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Nana - Lecteurs.com

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de son air absorbé un étalage de carnets et de porte-cigares, qui tous, surun coin, avaient la même hirondelle bleue. Certainement, <strong>Nana</strong> étaitchangée. Dans les premiers temps, après son retour de la campagne, ellele rendait fou, quand elle le baisait autour de la figure, sur ses favoris,avec des câlineries de chatte, en lui jurant qu’il était le chien aimé, le seulpetit homme qu’elle adorât. Il n’avait plus peur de Georges, retenu parsa mère aux Fondettes. Restait le gros Steiner, qu’il pensait remplacer,mais sur lequel il n’osait provoquer une explication. Il le savait de nouveaudans un gâchis d’argent extraordinaire, près d’être exécuté à laBourse, se cramponnant aux actionnaires des Salines des Landes, tâchantde leur faire suer un dernier versement. Quand il le rencontrait chez<strong>Nana</strong>, celle-ci lui expliquait, d’un ton raisonnable, qu’elle ne voulait pasle flanquer à la porte <strong>com</strong>me un chien, après ce qu’il avait dépensé pourelle. D’ailleurs, depuis trois mois, il vivait au milieu d’un tel étourdissementsensuel, qu’en dehors du besoin de la posséder, il n’éprouvait riende bien net. C’était, dans l’éveil tardif de sa chair, une gloutonneried’enfant qui ne laissait pas de place à la vanité ni à la jalousie. Une seulesensation précise pouvait le frapper : <strong>Nana</strong> devenait moins gentille, ellene le baisait plus sur la barbe. Cela l’inquiétait, il se demandait ce qu’elleavait à lui reprocher, en homme qui ignore les femmes. Cependant, ilcroyait contenter tous ses désirs. Et il revenait toujours à la lettre du matin,à cette <strong>com</strong>plication de mensonge, dans le but si simple de passer lasoirée à son théâtre. Sous une nouvelle poussée de la foule, il avait traverséle passage, il se creusait la tête devant un vestibule de restaurant,les yeux fixés sur des alouettes plumées et sur un grand saumon allongédans une vitrine.Enfin, il parut s’arracher à ce spectacle. Il se secoua, leva les yeux,s’aperçut qu’il était près de neuf heures. <strong>Nana</strong> allait sortir, il exigerait lavérité. Et il marcha, en se rappelant les soirées passées déjà en cet endroit,quand il la prenait à la porte du théâtre. Toutes les boutiques luiétaient connues, il en retrouvait les odeurs, dans l’air chargé de gaz, dessenteurs rudes de cuir de Russie, des parfums de vanille montant dusous-sol d’un chocolatier, des haleines de musc soufflées par les portesouvertes des parfumeurs. Aussi n’osait-il plus s’arrêter devant les visagespâles des dames de <strong>com</strong>ptoir, qui le regardaient placidement, en figurede connaissance. Un instant, il sembla étudier la file des petites fenêtresrondes, au-dessus des magasins, <strong>com</strong>me s’il les voyait pour la premièrefois, dans l’en<strong>com</strong>brement des enseignes. Puis, de nouveau, ilmonta jusqu’au boulevard, se tint là une minute. La pluie ne tombaitplus qu’en une poussière fine, dont le froid, sur ses mains, le calma.148

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