Nana - Lecteurs.com
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femme nue, songeait tout bas que les gens chic n’étaient déjà pas sipropres.Mais, dans le couloir, le tintement de la sonnette du père Barillot approchait.Quand il parut à la porte de la loge, il resta saisi, en apercevantles trois acteurs encore dans leurs costumes du second acte.– Oh ! messieurs, messieurs, bégaya-t-il, dépêchez-vous… On vient desonner au foyer du public.– Bah ! dit tranquillement Bordenave, le public attendra.Toutefois, après de nouveaux saluts, comme les bouteilles étaientvides, les comédiens montèrent s’habiller. Bosc, ayant trempé sa barbe dechampagne, venait de l’ôter, et sous cette barbe vénérable l’ivrogne avaitbrusquement reparu, avec sa face ravagée et bleuie de vieil acteur tombédans le vin. On l’entendit, au pied de l’escalier, qui disait à Fontan, de savoix de rogomme, en parlant du prince :– Hein, je l’ai épaté !Il ne restait dans la loge de Nana que Son Altesse, le comte et le marquis.Bordenave s’était éloigné avec Barillot, auquel il recommandait dene pas frapper sans avertir Madame.– Messieurs, vous permettez, demanda Nana, qui se mit à refaire sesbras et sa figure, qu’elle soignait surtout pour le nu du troisième acte.Le prince prit place sur le divan, avec le marquis de Chouard. Seul lecomte Muffat demeurait debout. Les deux verres de champagne, danscette chaleur suffocante, avaient augmenté leur ivresse. Satin, en voyantles messieurs s’enfermer avec son amie, avait cru discret de disparaîtrederrière le rideau ; et elle attendait là, sur une malle, embêtée de poser,pendant que M me Jules allait et venait tranquillement, sans un mot, sansun regard.– Vous avez merveilleusement chanté votre ronde, dit le prince.Alors, la conversation s’établit, mais par courtes phrases, coupées desilences. Nana ne pouvait toujours répondre. Après s’être passé du coldcreamavec la main sur les bras et sur la figure, elle étalait le blanc gras, àl’aide d’un coin de serviette. Un instant, elle cessa de se regarder dans laglace, elle sourit en glissant un regard vers le prince, sans lâcher le blancgras.– Son Altesse me gâte, murmura-t-elle.C’était toute une besogne compliquée, que le marquis de Chouard suivaitd’un air de jouissance béate. Il parla à son tour.– L’orchestre, dit-il, ne pourrait-il pas vous accompagner plus en sourdine? Il couvre votre voix, c’est un crime impardonnable.106
Cette fois, Nana ne se retourna point. Elle avait pris la patte-de-lièvre,elle la promenait légèrement, très attentive, si cambrée au-dessus de latoilette, que la rondeur blanche de son pantalon saillait et se tendait, avecle petit bout de chemise. Mais elle voulut se montrer sensible au complimentdu vieillard, elle s’agita en balançant les hanches.Un silence régna. Madame Jules avait remarqué une déchirure à lajambe droite du pantalon. Elle prit une épingle sur son cœur, elle restaun moment par terre, à genoux, occupée autour de la cuisse de Nana,pendant que la jeune femme, sans paraître la savoir là, se couvrait depoudre de riz, en évitant soigneusement d’en mettre sur les pommettes.Mais, comme le prince disait que, si elle venait chanter à Londres, toutel’Angleterre voudrait l’applaudir, elle eut un rire aimable, elle se tournaune seconde, la joue gauche très blanche, au milieu d’un nuage depoudre. Puis, elle devint subitement sérieuse ; il s’agissait de mettre lerouge. De nouveau, le visage près de la glace, elle trempait son doigtdans un pot, elle appliquait le rouge sous les yeux, l’étalait doucement,jusqu’à la tempe. Ces messieurs se taisaient, respectueux.Le comte Muffat n’avait pas encore ouvert les lèvres. Il songeait invinciblementà sa jeunesse. Sa chambre d’enfant était toute froide. Plus tard,à seize ans, lorsqu’il embrassait sa mère, chaque soir, il emportait jusquedans son sommeil la glace de ce baiser. Un jour, en passant, il avait aperçu,par une porte entrebâillée, une servante qui se débarbouillait ; etc’était l’unique souvenir qui l’eût troublé, de la puberté à son mariage.Puis, il avait trouvé chez sa femme une stricte obéissance aux devoirsconjugaux ; lui-même éprouvait une sorte de répugnance dévote. Il grandissait,il vieillissait, ignorant de la chair, plié à de rigides pratiques religieuses,ayant réglé sa vie sur des préceptes et des lois. Et, brusquement,on le jetait dans cette loge d’actrice, devant cette fille nue. Lui qui n’avaitjamais vu la comtesse Muffat mettre ses jarretières, il assistait aux détailsintimes d’une toilette de femme, dans la débandade des pots et des cuvettes,au milieu de cette odeur si forte et si douce. Tout son être se révoltait,la lente possession dont Nana l’envahissait depuis quelque tempsl’effrayait, en lui rappelant ses lectures de piété, les possessions diaboliquesqui avaient bercé son enfance. Il croyait au diable. Nana, confusément,était le diable, avec ses rires, avec sa gorge et sa croupe, gonfléesde vices. Mais il se promettait d’être fort. Il saurait se défendre.– Alors, c’est convenu, disait le prince, très à l’aise sur le divan, vousvenez l’année prochaine à Londres, et nous vous recevons si bien, que jamaisplus vous ne retournerez en France… Ah ! voilà, mon cher comte,107
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Cette fois, <strong>Nana</strong> ne se retourna point. Elle avait pris la patte-de-lièvre,elle la promenait légèrement, très attentive, si cambrée au-dessus de latoilette, que la rondeur blanche de son pantalon saillait et se tendait, avecle petit bout de chemise. Mais elle voulut se montrer sensible au <strong>com</strong>plimentdu vieillard, elle s’agita en balançant les hanches.Un silence régna. Madame Jules avait remarqué une déchirure à lajambe droite du pantalon. Elle prit une épingle sur son cœur, elle restaun moment par terre, à genoux, occupée autour de la cuisse de <strong>Nana</strong>,pendant que la jeune femme, sans paraître la savoir là, se couvrait depoudre de riz, en évitant soigneusement d’en mettre sur les pommettes.Mais, <strong>com</strong>me le prince disait que, si elle venait chanter à Londres, toutel’Angleterre voudrait l’applaudir, elle eut un rire aimable, elle se tournaune seconde, la joue gauche très blanche, au milieu d’un nuage depoudre. Puis, elle devint subitement sérieuse ; il s’agissait de mettre lerouge. De nouveau, le visage près de la glace, elle trempait son doigtdans un pot, elle appliquait le rouge sous les yeux, l’étalait doucement,jusqu’à la tempe. Ces messieurs se taisaient, respectueux.Le <strong>com</strong>te Muffat n’avait pas encore ouvert les lèvres. Il songeait invinciblementà sa jeunesse. Sa chambre d’enfant était toute froide. Plus tard,à seize ans, lorsqu’il embrassait sa mère, chaque soir, il emportait jusquedans son sommeil la glace de ce baiser. Un jour, en passant, il avait aperçu,par une porte entrebâillée, une servante qui se débarbouillait ; etc’était l’unique souvenir qui l’eût troublé, de la puberté à son mariage.Puis, il avait trouvé chez sa femme une stricte obéissance aux devoirsconjugaux ; lui-même éprouvait une sorte de répugnance dévote. Il grandissait,il vieillissait, ignorant de la chair, plié à de rigides pratiques religieuses,ayant réglé sa vie sur des préceptes et des lois. Et, brusquement,on le jetait dans cette loge d’actrice, devant cette fille nue. Lui qui n’avaitjamais vu la <strong>com</strong>tesse Muffat mettre ses jarretières, il assistait aux détailsintimes d’une toilette de femme, dans la débandade des pots et des cuvettes,au milieu de cette odeur si forte et si douce. Tout son être se révoltait,la lente possession dont <strong>Nana</strong> l’envahissait depuis quelque tempsl’effrayait, en lui rappelant ses lectures de piété, les possessions diaboliquesqui avaient bercé son enfance. Il croyait au diable. <strong>Nana</strong>, confusément,était le diable, avec ses rires, avec sa gorge et sa croupe, gonfléesde vices. Mais il se promettait d’être fort. Il saurait se défendre.– Alors, c’est convenu, disait le prince, très à l’aise sur le divan, vousvenez l’année prochaine à Londres, et nous vous recevons si bien, que jamaisplus vous ne retournerez en France… Ah ! voilà, mon cher <strong>com</strong>te,107