Nana - Lecteurs.com
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s’arrêta pas, hâtant sa marche, fuyant presque, en emportant à fleur depeau le frisson de cette trouée ardente sur un monde qu’il ignorait.– Hein ? c’est curieux, un théâtre, disait le marquis de Chouard, del’air enchanté d’un homme qui se retrouve chez lui.Mais Bordenave venait d’arriver enfin à la loge de Nana, au fond ducouloir. Il tourna tranquillement le bouton de la porte ; puis, s’effaçant :– Si Son Altesse veut bien entrer…Un cri de femme surprise se fit entendre, et l’on vit Nana, nue jusqu’àla ceinture, qui se sauvait derrière un rideau, tandis que son habilleuse,en train de l’essuyer, demeurait avec la serviette en l’air.– Oh ! c’est bête d’entrer comme ça ! criait Nana cachée. N’entrez pas,vous voyez bien qu’on ne peut pas entrer !Bordenave parut mécontent de cette fuite.– Restez donc, ma chère, ça ne fait rien, dit-il. C’est Son Altesse. Allons,ne soyez pas enfant.Et, comme elle refusait de paraître, secouée encore, riant déjà pourtant,il ajouta d’une voix bourrue et paternelle :– Mon Dieu ! ces messieurs savent bien comment une femme est faite.Ils ne vous mangeront pas.– Mais ce n’est pas sûr, dit finement le prince.Tout le monde se mit à rire, d’une façon exagérée, pour faire sa cour.Un mot exquis, tout à fait parisien, comme le remarqua Bordenave. Nanane répondait plus, le rideau remuait, elle se décidait sans doute. Alors, lecomte Muffat, le sang aux joues, examina la loge. C’était une pièce carrée,très basse de plafond, tendue entièrement d’une étoffe havane clair.Le rideau de même étoffe, porté par une tringle de cuivre, ménageait aufond une sorte de cabinet. Deux larges fenêtres ouvraient sur la cour duthéâtre, à trois mètres au plus d’une muraille lépreuse, contre laquelle,dans le noir de la nuit, les vitres jetaient des carrés jaunes. Une grandepsyché faisait face à une toilette de marbre blanc, garnie d’une débandadede flacons et de boîtes de cristal, pour les huiles, les essences et lespoudres. Le comte s’approcha de la psyché, se vit très rouge, de finesgouttes de sueur au front ; il baissa les yeux, il vint se planter devant latoilette, où la cuvette pleine d’eau savonneuse, les petits outils d’ivoireépars, les éponges humides, parurent l’absorber un instant. Ce sentimentde vertige qu’il avait éprouvé à sa première visite chez Nana, boulevardHaussmann, l’envahissait de nouveau. Sous ses pieds, il sentait mollir letapis épais de la loge ; les becs de gaz, qui brûlaient à la toilette et à lapsyché, mettaient des sifflements de flamme autour de ses tempes. Unmoment, craignant de défaillir dans cette odeur de femme qu’il102
etrouvait, chauffée, décuplée sous le plafond bas, il s’assit au bord dudivan capitonné, entre les deux fenêtres. Mais il se releva tout de suite,retourna près de la toilette, ne regarda plus rien, les yeux vagues, songeantà un bouquet de tubéreuses, qui s’était fané dans sa chambre autrefois,et dont il avait failli mourir. Quand les tubéreuses se décomposent,elles ont une odeur humaine.– Dépêche-toi donc ! souffla Bordenave, en passant la tête derrière lerideau.Le prince, d’ailleurs, écoutait complaisamment le marquis deChouard, qui, prenant sur la toilette la patte-de-lièvre, expliquait commenton étalait le blanc gras. Dans un coin, Satin, avec son visage pur devierge, dévisageait les messieurs ; tandis que l’habilleuse, M me Jules, préparaitle maillot et la tunique de Vénus. Madame Jules n’avait plus d’âge,le visage parcheminé, avec ces traits immobiles des vieilles filles que personnen’a connues jeunes. Celle-là s’était desséchée dans l’air embrasédes loges, au milieu des cuisses et des gorges les plus célèbres de Paris.Elle portait une éternelle robe noire déteinte, et sur son corsage plat etsans sexe, une forêt d’épingles étaient piquées, à la place du cœur.– Je vous demande pardon, messieurs, dit Nana en écartant le rideau,mais j’ai été surprise…Tous se tournèrent. Elle ne s’était pas couverte du tout, elle venait simplementde boutonner un petit corsage de percale, qui lui cachait à demila gorge. Lorsque ces messieurs l’avaient mise en fuite, elle se déshabillaità peine, ôtant vivement son costume de Poissarde. Par-derrière,son pantalon laissait passer encore un bout de sa chemise. Et les brasnus, les épaules nues, la pointe des seins à l’air, dans son adorable jeunessede blonde grasse, elle tenait toujours le rideau d’une main, commepour le tirer de nouveau, au moindre effarouchement.– Oui, j’ai été surprise, jamais je n’oserai…, balbutiait-elle, en jouant laconfusion, avec des tons roses sur le cou et des sourires embarrassés.– Allez donc, puisqu’on vous trouve très bien ! cria Bordenave.Elle risqua encore des mines hésitantes d’ingénue, se remuant commechatouillée, répétant :– Son Altesse me fait trop d’honneur… Je prie Son Altesse dem’excuser, si je la reçois ainsi…– C’est moi qui suis importun, dit le prince ; mais je n’ai pu, madame,résister au désir de vous complimenter…Alors, tranquillement, pour aller à la toilette, elle passa en pantalon aumilieu de ces messieurs, qui s’écartèrent. Elle avait les hanches trèsfortes, le pantalon ballonnait, pendant que, la poitrine en avant, elle103
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s’arrêta pas, hâtant sa marche, fuyant presque, en emportant à fleur depeau le frisson de cette trouée ardente sur un monde qu’il ignorait.– Hein ? c’est curieux, un théâtre, disait le marquis de Chouard, del’air enchanté d’un homme qui se retrouve chez lui.Mais Bordenave venait d’arriver enfin à la loge de <strong>Nana</strong>, au fond ducouloir. Il tourna tranquillement le bouton de la porte ; puis, s’effaçant :– Si Son Altesse veut bien entrer…Un cri de femme surprise se fit entendre, et l’on vit <strong>Nana</strong>, nue jusqu’àla ceinture, qui se sauvait derrière un rideau, tandis que son habilleuse,en train de l’essuyer, demeurait avec la serviette en l’air.– Oh ! c’est bête d’entrer <strong>com</strong>me ça ! criait <strong>Nana</strong> cachée. N’entrez pas,vous voyez bien qu’on ne peut pas entrer !Bordenave parut mécontent de cette fuite.– Restez donc, ma chère, ça ne fait rien, dit-il. C’est Son Altesse. Allons,ne soyez pas enfant.Et, <strong>com</strong>me elle refusait de paraître, secouée encore, riant déjà pourtant,il ajouta d’une voix bourrue et paternelle :– Mon Dieu ! ces messieurs savent bien <strong>com</strong>ment une femme est faite.Ils ne vous mangeront pas.– Mais ce n’est pas sûr, dit finement le prince.Tout le monde se mit à rire, d’une façon exagérée, pour faire sa cour.Un mot exquis, tout à fait parisien, <strong>com</strong>me le remarqua Bordenave. <strong>Nana</strong>ne répondait plus, le rideau remuait, elle se décidait sans doute. Alors, le<strong>com</strong>te Muffat, le sang aux joues, examina la loge. C’était une pièce carrée,très basse de plafond, tendue entièrement d’une étoffe havane clair.Le rideau de même étoffe, porté par une tringle de cuivre, ménageait aufond une sorte de cabinet. Deux larges fenêtres ouvraient sur la cour duthéâtre, à trois mètres au plus d’une muraille lépreuse, contre laquelle,dans le noir de la nuit, les vitres jetaient des carrés jaunes. Une grandepsyché faisait face à une toilette de marbre blanc, garnie d’une débandadede flacons et de boîtes de cristal, pour les huiles, les essences et lespoudres. Le <strong>com</strong>te s’approcha de la psyché, se vit très rouge, de finesgouttes de sueur au front ; il baissa les yeux, il vint se planter devant latoilette, où la cuvette pleine d’eau savonneuse, les petits outils d’ivoireépars, les éponges humides, parurent l’absorber un instant. Ce sentimentde vertige qu’il avait éprouvé à sa première visite chez <strong>Nana</strong>, boulevardHaussmann, l’envahissait de nouveau. Sous ses pieds, il sentait mollir letapis épais de la loge ; les becs de gaz, qui brûlaient à la toilette et à lapsyché, mettaient des sifflements de flamme autour de ses tempes. Unmoment, craignant de défaillir dans cette odeur de femme qu’il102