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Nana - Lecteurs.com

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– Chargez ! cria tout à coup le chef des machinistes.Et il fallut que le prince lui-même prévînt le <strong>com</strong>te. Une toile descendait.On posait le décor du troisième acte, la grotte du mont Etna. Deshommes plantaient des mâts dans les costières, d’autres allaient prendreles châssis, contre les murs de la scène, et venaient les attacher aux mâts,avec de fortes cordes. Au fond, pour produire le coup de lumière que jetaitla forge ardente de Vulcain, un lampiste avait fixé un portant, dont ilallumait les becs garnis de verres rouges. C’était une confusion, une apparentebousculade, où les moindres mouvements étaient réglés ; tandisque, dans cette hâte, le souffleur, pour délasser ses jambes, se promenaità petits pas.– Son Altesse me <strong>com</strong>ble, disait Bordenave en s’inclinant toujours. Lethéâtre n’est pas grand, nous faisons ce que nous pouvons… Maintenant,si Son Altesse daigne me suivre…Déjà le <strong>com</strong>te Muffat se dirigeait vers le couloir des loges. La pente assezrapide de la scène l’avait surpris, et son inquiétude venait beaucoupde ce plancher qu’il sentait mobile sous ses pieds ; par les costières ouvertes,on apercevait les gaz brûlant dans les dessous ; c’était une viesouterraine, avec des profondeurs d’obscurité, des voix d’hommes, dessouffles de cave. Mais, <strong>com</strong>me il remontait, un incident l’arrêta. Deux petitesfemmes, en costume pour le troisième acte, causaient devant l’œildu rideau. L’une d’elles, les reins tendus, élargissant le trou avec sesdoigts, pour mieux voir, cherchait dans la salle.– Je le vois, dit-elle brusquement. Oh ! cette gueule !Bordenave, scandalisé, se retint pour ne pas lui lancer un coup de pieddans le derrière. Mais le prince souriait, l’air heureux et excité d’avoir entenduça, couvant du regard la petite femme qui se fichait de Son Altesse.Elle riait effrontément. Cependant, Bordenave décida le prince à lesuivre. Le <strong>com</strong>te Muffat, pris de sueur, venait de retirer son chapeau ; cequi l’in<strong>com</strong>modait surtout, c’était l’étouffement de l’air, épaissi, surchauffé,où traînait une odeur forte, cette odeur des coulisses, puant legaz, la colle des décors, la saleté des coins sombres, les dessous douteuxdes figurantes. Dans le couloir, la suffocation augmentait encore ; des aigreursd’eaux de toilette, des parfums de savons, descendus des loges, ycoupaient par instants l’empoisonnement des haleines. En passant, le<strong>com</strong>te leva la tête, jeta un coup d’œil dans la cage de l’escalier, saisi dubrusque flot de lumière et de chaleur qui lui tombait sur la nuque. Il yavait, en haut, des bruits de cuvette, des rires et des appels, un vacarmede portes dont les continuels battements lâchaient des senteurs defemme, le musc des fards mêlé à la rudesse fauve des chevelures. Et il ne101

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