13.07.2015 Views

Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels - Dunod

Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels - Dunod

Souffrance et psychopathologie des liens institutionnels - Dunod

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

INCONSCIENT ET CULTURE<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong><strong>psychopathologie</strong><strong>des</strong> <strong>liens</strong><strong>institutionnels</strong>René KaësJ.-P. PinelO. KernbergA. CorrealeE. Di<strong>et</strong>B. Duez


Liste <strong>des</strong> auteursRené Kaës est professeur émérite de psychologie <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong>s cliniques à l’universitéLumière-Lyon 2, psychanalyste.Jean-Pierre Pinel est psychologue, psychanalyste, maître de conférences HDR à l’universitéParis XIII.Otto Kernberg est psychanalyste, professeur de psychiatrie au New-York Hospital, Cornellmedical University.Antonello Correale est psychanalyste.Emmanuel Di<strong>et</strong> est psychanalyste.Bernard Duez est psychanalyste, maître de conférences de psychologie <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong>cliniques à l’université Lumière-Lyon 2.Dessin de couverture :© Jacques Van den BusscheNouvelle présentation, 2012© <strong>Dunod</strong>, Paris, 2005ISBN 978-2-10-058318-8


Avant-proposDix ans après L’institution <strong>et</strong> les institutions (1986), un ouvrage estcomposé pour explorer plus précisément une question seulement esquisséedans le précédent : celle de la souffrance psychique invalidante<strong>et</strong> de la <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> d’origine institutionnelle. C’est unequestion constamment associée à nos pratiques de travail dans diversdispositifs <strong>institutionnels</strong> de soin <strong>et</strong> de psychothérapie, aussi bien dansles structures générales que spécialisées, notamment en psychiatrie.Plusieurs auteurs avaient commencé à poser les jalons d’une réflexionsur c<strong>et</strong>te question au début <strong>des</strong> années soixante : en Argentine(J. Bleger), aux États-Unis (E. Goffman, O. Kernberg) au Mexique(I. Illich), en Angl<strong>et</strong>erre (W.-R. Bion, R.-N. Rapoport <strong>et</strong> les chercheursdu Tavistock Institut), en Italie (A. Correale, E. Gaburri), en Israël(R. Springman).En France, les travaux de P.-C. Racamier, notamment, ont attirél’attention sur ces problèmes. Dans le même temps, le développementde nouvelles structures de soin <strong>et</strong> le malaise déjà très sensible <strong>des</strong> enseignantsont suscité <strong>des</strong> deman<strong>des</strong> de « supervision », d’élaboration<strong>des</strong> pratiques, d’intervention <strong>et</strong> d’accompagnement <strong>des</strong> équipes. Leursdeman<strong>des</strong> sont le plus souvent, sinon toujours, formulées dans uncontexte de crise <strong>et</strong> de souffrance psychique qui entravent leur capacitéprofessionnelle <strong>et</strong> atteint leur vie psychique dans son ensemble.Au début <strong>des</strong> années quatre-vingt dix une série d’étu<strong>des</strong>, de thèses <strong>et</strong>de communications voient le jour (J.-P. Pinel, S. Urwand, J.-P. Vidal,E. Di<strong>et</strong>, B. Duez, R. Kaës, J.-C. Rouchy, …).<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong> paraît en1996. Le choix éditorial de la collection est de publier <strong>des</strong> textes de référence<strong>et</strong> <strong>des</strong> travaux innovants de jeunes auteurs. Ce principe est appliquéà c<strong>et</strong> ouvrage dans le choix de deux étu<strong>des</strong>, l’une d’Otto Kernberg


IV<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>sur les noyaux psychotiques <strong>et</strong> l’évolution paranoïaque latente de touteinstitution, l’autre d’Antonello Correale sur le <strong>des</strong>tin <strong>des</strong> « restes » nonélaborés dans l’espace institutionnel. Les autres contributions portentsur la spécificité <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong> <strong>et</strong> sur quelques sources de lasouffrance psychique d’origine institutionnelle, notamment les eff<strong>et</strong>s<strong>des</strong> alliances inconscientes pathologiques <strong>et</strong> les attaques contre le narcissisme(R. Kaës).Une attention particulière est portée à une pathologie institutionnellequi se développe selon un processus particulièrement bien décritpar Racamier, Bleger <strong>et</strong> Illich : le r<strong>et</strong>ournement en son contraire de latâche primaire de l’institution : agresser au lieu de soigner. C<strong>et</strong>te inversiona pour conséquence d’instiller dans l’institution une violenceinnommée, non reconnue, qui amplifie la <strong>des</strong>truction <strong>des</strong> <strong>liens</strong>, mobiliseles angoisses archaïques qui prévalent alors sur les processus depensée : ils sont attaqués par la violence <strong>des</strong> patients sur eux-mêmes<strong>et</strong> sur les soignants, par celle <strong>des</strong> soignants entre eux <strong>et</strong> vis-à-vis <strong>des</strong>mala<strong>des</strong>, par la violence <strong>des</strong> rapports intra- <strong>et</strong> inter- <strong>institutionnels</strong>,enfin par la violence sociale. C’est sur ce fond que le travail de la mortaccomplit son œuvre <strong>et</strong> que son incarnation s’effectue dans un suj<strong>et</strong>thanatophore (E. Di<strong>et</strong>) qui en porte le symptôme <strong>et</strong> le stigmate. C’estaussi sur le fond que J.-P. Pinel expose ses recherches sur la dimensionéconomique <strong>des</strong> processus de déliaison <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>, alorsque B. Duez interroge les rapports entre l’originaire <strong>et</strong> les achoppementsde la figurabilité.<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong> constitueainsi le second vol<strong>et</strong> d’un ensemble, dont le troisième élément seracentré sur les mythes de fondations, les processus de transmissions <strong>et</strong>de transformation (L’institution en héritage, 2007).René Kaës


VI<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>L) appareillage psychique du lienÉtats du lien originaire <strong>et</strong> pictogrammeUhétérogénéité <strong>des</strong> structures du lienLes organisateurs de I'appareillage du lienLes fantasmes originairesLes deux modalités de I'appareillageProcessus <strong>et</strong> fonctions du lienProcessus d'institutionnalisation <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>et</strong> spécificité <strong>des</strong><strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>Les principes fondateursLes dimensions de I'institution4. <strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> du lien<strong>Souffrance</strong> psychique <strong>et</strong> formes psychopathologiques dela souffranceSpécifi cité de la souffrance dans le lienLa <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> intersubjectifsSur quelles bases décrire la <strong>psychopathologie</strong> du lien ?Quelques indicateurs de la souffrance institutionnelleQuelques sources de la souffrance institutionnelle5. Illustration clinique<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> de la représentation deI'origineObservationÉléments d'analyseAlliances inconscientes <strong>et</strong> transmission du refoulementoriginaireObservationÉléments d'analyse<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> du narcissisme dans lesinstitutionsObservationÉtéments d'analyse6. Le travail d'analyse <strong>des</strong> <strong>liens</strong> institués en souffrance11I2T3T4t415T6T7n18202l2T222224252727273T32323739394244


.t-.Èj!HTable <strong>des</strong> matièresVIIChapifte 2LA PÉLIAISON PATHOLOGIQUE DES LIENS INSTITUTIoNNELS.Perspective économique <strong>et</strong> principes d'intervention,par Jean-Pierre Pinel\q).o)+,(na)c.l\c)(n(d(-.a)U+J-c O.(d*lI'o(-.Jco1. Les obstacles pour penser I'institution2. L'institutionr une instance de liaison fragile3. Les mo<strong>des</strong> de liaison pathologique dans les <strong>liens</strong><strong>institutionnels</strong>Propositions pour une sémiologie de<strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>L'oscillation entre le sacrifice <strong>et</strong> I'envieU attaque contre les penséesLa dédifférenciation <strong>et</strong> la défense par I'organisationnelL'immobilisationL'écrasement de la temporalitéQuelques formes de déliaisonLa crise mutativeLa crise chaotique ou explosiveLa <strong>des</strong>tructionLa déliaison chronique ou I'usure <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>4. Proposition d'un modèle de déliaison <strong>des</strong> <strong>liens</strong><strong>institutionnels</strong>Présentation du modèleLes attacteurs de la déliaison pathologique <strong>des</strong> <strong>liens</strong><strong>institutionnels</strong>La négativité relevant <strong>des</strong> caractéristiques économiquesde la population accueillieLa négativité relevant <strong>des</strong> modalités du groupementLa négativité relevant de la fondation institutionnelle5. Illustration clinique6. Propositions de certains principes méthodologiquesd'interventionLes conditions de l'écoute institutionnelleLes dispositifs de traitement du matériel515254la déliaison pathologique5455565757575859606I6l6363646467687T767777


VruSouffranc <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>Chapitre 3L'ÉvOLUTION PARANOIAQUE DANS LES INSTITUTIONS,par Otto Kernb<strong>et</strong>g1,. Les organisations paranogènesExemples de symptômes de genèse paranoïaqueSymptômes de l'évolution paranoïaque2. F;tiotogieLa défaillance de la directionLa carence dans les ressourcesLes processus politiquesLes structures défaillantesLes dirigeants incompétentsL' identification proj ectiveLa trahisonLe narcissisme malinLes processus projectifs3. Les systèmes de correction <strong>et</strong> leurs limitesLa bureaucratieLes avantagesLes limitesL'humanismeLa démocratieL'altruisme8282848586878l899I929293939494949598100101Chapitre 4L'HypERTRopHIE DE LA tuÉvtolRE coMME FoRMEDE PAIHOLOGIE INSTITUTIONNELLE,par Antonello Correale1. Les différentes formesLes souvenirs collectifs106106


\Q). dThble <strong>des</strong> matièresIXLes rituels de groupeLes modalités répétitives de la pensée de groupe 1082. L'hypertrophie de la mémoire selon Bion 109La fonction alpha 109La métaphore digestive de I'esprit 110Les ) non élaborésIl23. Identification <strong>des</strong> mo<strong>des</strong> d'organisation <strong>et</strong> <strong>des</strong> processusî:lir;T,ences sur te ptan opérarionnerLa circulation d'une émotion secrèteI071r3r13Premier exemple clinique 116Deuxième exemple clinique 118Une nouvelle de Melvillell4Il9Chapitre 5LE THANATopHoRE.Travail de la mort <strong>et</strong> <strong>des</strong>tructivité dans les institutions,par Emmanuel Di<strong>et</strong>Éa.F'(nq)OJ\o)('JL{+JJ(gÉAJO"Uo.l-,-dO.(!JEI5oo1. Introduction à la notion de thanatophore I23Le thanatophore : un suj<strong>et</strong> <strong>des</strong>tructeur I23Les conditions du surgissement2. Le thanatophore : essai de définition I29Un pervers institutionnel 130Les processus mis en æuvr<strong>et</strong>33Généalogie d'un (< monstre >>I373. Les tactiques de <strong>des</strong>truction l4lLes attaques sur le cadreI24I43Les attaques sur I'idéal <strong>et</strong> I'idéologie 146IJ attaque sur les <strong>liens</strong> 149L attaque sur le pacte dénégatif 151L'attaque du contrat narcissique 152


X<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>4. Les æuvres de la mortLe groupe institutionnel à la dériveLes suj<strong>et</strong>s en souffranceLe > à l'épreuve5. L'articulation <strong>des</strong> espaces psychiques153154155156158Chapitre 6PsycuopATHoLocIE DE L'oRIGINAIRET TRAITEMENTDE LA FIGURABTLITÉ.Éléments pour une pratique psychanalytique en institution,par Bernard Duezl.L'origine de la problématiqueUne double impossibilitéConsistance de la psychanalyseContextualit é de I' hypothèsePrincipes du dispositif d'analyse2. Histoires institutionnellesUn pour tous, tous pour unDe I'origine de la criseDe la crise au chaos : le point de non-r<strong>et</strong>ourTransformations in stitutionnellesL'ante-criseMort <strong>et</strong> transfigurationUn næud figural : le service éducatifDe la transfiguration à la transformationLe lien figural manquant : au fond de la crypte,le patient3. Éléments pour une éthique de la pratiquepsychanalytique en institutionInvention d'un protocole psychanalytiqueHistoriqueEsquisses méthodologiquesMise en place du dispositif161r62r63r64165r66r6616817L17217z174t75177178179179180r82188


Table <strong>des</strong> matièresLa position du psychanalysteUn r<strong>et</strong>ournement méthodologiqueLe travail psychanalytique dans les institutions4. Apport métapsychologiqueLa configuration du tragiqueNæud figural <strong>et</strong> point d'associabilitéLe déficit de figurabilitéL'obscèneXI192192195196r97198t9920rBibliographieIndex <strong>des</strong> mots clés2052r3Index <strong>des</strong> noms cités215


Chapitre ISOUFFRANCEET PSYCHOI1ATHOLOGIEDES LI ENS INSTITUESUne introductionpar René KnËsJ'appelle lien institué un lien qui se détermine par l'eff<strong>et</strong> d'unedouble conjonction : La première détermination est celle du désir deL: ses suj<strong>et</strong>s d'inscrire leur lien dans une durée <strong>et</strong> dans une certaine sta-E bilité. La réalisation de ce proj<strong>et</strong> suppose un certain nombre de forgmation intersubjectives, telles que <strong>des</strong> alliances entre <strong>des</strong> formationsg psychiques qui, chez chaque suj<strong>et</strong>, trouve une correspondance ou:Ë une résonance chez I'autre, de telle sorte que ces alliances soient suf-Ê fisamment investies <strong>et</strong> protégées par I'un <strong>et</strong> par I'autre, en raison <strong>des</strong>E intérêts communs <strong>et</strong> spécifiques que chacun y trouve. La secondeE détermination est celle <strong>des</strong> formes sociales qui reconnaissent <strong>et</strong> souitiennent, de diverses manières (uridique, r"iigieuse, culturelle, éco-E nomique), I'institution de ce lien. Dans c<strong>et</strong>te double conjonctionË s'imposent trois composantes du lien institué ; l''elliance, Ia comma-J nauté de réalisation de but <strong>et</strong> la contrainte. Les couples, les familÏes,3 les institutions <strong>et</strong> leurs sous-ensemble sont <strong>des</strong> configurations de3 hens institués.


<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>1. PsvcHopATHoLocrE DES LrENS rNsTrruÉs :UN ESPACE DE RECHERCHELa découverte de la souffrance <strong>et</strong> <strong>des</strong> formes psychopathologiquesde la souffrance dans les <strong>liens</strong> institués, à deux ou à plusieurs, n'estpas récente. La littérature, le roman en particulier, le théâtre, lecinéma ont depuis longtemps exprimé avec finesse <strong>et</strong> profondeurI'expérience <strong>et</strong> le savoir sur la souffrance inhérente au lien intersubjectif: souffrance de I'amour, de la passion, de I'ambitioû, de la rivalité,de la jalousie, de I'envie, de la haine.La <strong>psychopathologie</strong> de la paire <strong>et</strong> du couple (folie à deux deLasègue <strong>et</strong> Falr<strong>et</strong> (1877), pathologie du couple), les névroses <strong>et</strong> psychosesfamiliales (la notion de névrose familiale est proposée parR. Laforgue en 1934),les folies dites collectives, la névrose institutionnelle(titre d'un ouvrage de Hermann Simon, 1944) <strong>et</strong> les maladies<strong>des</strong> institutions sont <strong>des</strong> catégories déjà bien établies pourconstituer les bases d'une <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> institués. Cesdécouvertes <strong>et</strong> ces idées ont une histoire, il existe en ce domaine <strong>des</strong>pratiques innovantes <strong>et</strong> <strong>des</strong> thèses fondatrices ; <strong>des</strong> articles ou <strong>des</strong>essais sont régulièrement publiés sur la <strong>psychopathologie</strong> du couple,<strong>des</strong> familles, <strong>des</strong> groupes <strong>et</strong> <strong>des</strong> institutions.Toutefois, si la question est omniprésente <strong>et</strong> insistante, chacun peutconstater que la psychologie, <strong>et</strong> la <strong>psychopathologie</strong>, <strong>des</strong> <strong>liens</strong> intersubjectifsne s'est pas constituée de manière cohérente, que laconnaissance de son obj<strong>et</strong> n'est pas encore structurée par <strong>des</strong> exposésqui en indiqueraient les hypothèses fondatrices, les implicationsthéoriques, méthodologiques <strong>et</strong> cliniques. C<strong>et</strong> ouvrage voudrait ycontribuer, mais en se limitant à montrer en quoi ce thème est nécessaire,sur quelles bases il peut prendre appui <strong>et</strong> comment il doitdemeurer ouvert à la recherche.Une histoire de la <strong>psychopathologie</strong> du lien intersubjectif est àécnre : elle nous rappellerait avec quels héritages nous continuons àpenser, avec quels courants nous avons rompu, <strong>et</strong> comment <strong>des</strong> perspectivesassez éloignées <strong>des</strong> nôtres, dans le temps ou les espaces culturels,ont pu frayer <strong>des</strong> voies à <strong>des</strong> représentations de certainsprocessus qui nous intéressent aujourd'hui. Par exemple, jusqu'à lapériode classique, il existe un modèle communautaire thaumaturgiquede la <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> troubles mentaux : que <strong>des</strong> dispo-


H<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> institués\(u"dÉJ.l-t(t)q,a)\q)v)L{)(gçsitifs de lien soient efficients dans le traitement d'une souffranceindividuelle repose sur f idée que c'est le lien qui est en souffrance,<strong>et</strong> non seulement les suj<strong>et</strong>s qui le constituent. Alors que le modèleprévalent de la période classique occidentale est un modèle individualiste,la période moderne, qui produit <strong>et</strong> accompagne la premièrerévolution psychiatrique, propose deux modèles concuffents : le premierlibère le malade de sa contention sociale <strong>et</strong> institue de nouveaula communauté comme principe thérapeutique; le second développe<strong>des</strong> perspectives biologisantes <strong>et</strong> comportementaliste sur la <strong>psychopathologie</strong>,expliquée par <strong>des</strong> eff<strong>et</strong>s d'hérédité <strong>et</strong> de milieu.La période contemporaine est marquée par le développement antagoniste<strong>et</strong> complémentaire <strong>des</strong> sciences humaines, <strong>et</strong> par la psychanalysequi en critique radicalement les fondements. La place que lesmodèles issus <strong>des</strong> sciences humaines, de la psychiatrie <strong>et</strong> de la psychanalyseaccordent au suj<strong>et</strong> singulier dans I'explication <strong>et</strong> le traitementde la <strong>psychopathologie</strong> de <strong>liens</strong> <strong>et</strong> <strong>des</strong> ensembles institués estassez différente : la plupart en exclut en tant que tels les suj<strong>et</strong>sconstituants du lien; ils sont traités comme <strong>des</strong> éléments d'un systèmeou, dans une conception sociologiste dont les pointes ont étémarquées par le courant culturaliste, sociopsychiatrique <strong>et</strong> freudomarxiste,comme les épiphénomènes d'une organisation socioculturelle.À l'opposé de ce réductionnisme, la psychanalyse est souventdemeurée fixée à une conception < individualiste >> du champ <strong>et</strong> dudéterminisme de la <strong>psychopathologie</strong> <strong>et</strong> à <strong>des</strong> dispositifs de traitementcentrés sur la seule organisation intrapsychique <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s.Un acquis demeure, les différents modèles qui impliquent les formationsdu lien institué dans la psychopathogenèse nous ont apportédeux idées fondamentales : I'idée que le lien soigne <strong>et</strong> I'idée que lelien soignant est susceptible de devenir pathogène. Nous avons àdévelopper ces deux idées qui font le paradoxe <strong>des</strong> institutions soignantes.Commençons par interroger ce que la psychanalyse peutnous perm<strong>et</strong>tre d'en penser.qJO..t-,(-.g"JEIÊ=o@2. hNsER LE LIEN INTERSUBJECTTF AVEC LA PSYCHANALYSEProblématique du lien <strong>et</strong> de I'intersubjectivitéLes notions nécessaires pour penser les <strong>liens</strong> intersubjectifs, qu'ilssoient ou non institués, n'ont pas formé les concepts premiers de la


<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>psychanalyse. Toujours évoquées à I'arrière-plan <strong>des</strong> grands débats<strong>et</strong> <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> formulations théoriques de la métapsychologie, bienavant les remaniements de la seconde topique, la question de f intersubjectivité,<strong>et</strong> du suj<strong>et</strong> qui s'y constitue, n'a pas été élaborée en uneproblématique qui s'inscrirait dans le domaine <strong>des</strong> obj<strong>et</strong>s théoriquescentraux de la psychanalyse.Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour rendre compte de cefait; la principale est celle-ci : la tâche fondatrice <strong>et</strong> fondamentale dela psychanalyse a étê de constituer la réalité psychique inconscientedans les limites d'un appareil psychique individuel fondé sur leconflit psychosexuel. Dans ces conditions, la psychanalyse s'estdonné comme obj<strong>et</strong> théorique la connaissance <strong>des</strong> systèmes, <strong>des</strong> processus<strong>et</strong> <strong>des</strong> formations de c<strong>et</strong> appareil, de ses lois de composition<strong>et</strong> de leurs eff<strong>et</strong>s pour en traiter, selon une méthodologie congruenteavec I'hypothèse de I'inconscient, les troubles profonds chez unsuj<strong>et</strong> considéré dans la singularité de son histoire <strong>et</strong> de sa structure.Cependant, dès ses premières représentations théoriques de I'appareilpsychique, dès ses interrogations sur la psychopathogenèse,Freud interrogera les conditions familiales directes <strong>et</strong> transmises, degénêration en génération, pour tenter de rendre compte de I'inscriptiondu suj<strong>et</strong> dans un ensemble, dans une chaîne dont il dira qu'il enest tout à la fois le maillon, le serviteur, I'héritier <strong>et</strong> le bénéficiaire.C<strong>et</strong>te ébauche de mise en perspective d'un suj<strong>et</strong> constitué conflictuellementdans sa division interne <strong>et</strong> dans la teneur psychique <strong>des</strong><strong>liens</strong> qui le précèdent <strong>et</strong> qui I'accompagnent ne sera vraiment travailléeque lorsque les conditions méthodologiques du traitementpsychanalytique perm<strong>et</strong>tront de passer de la spéculation à la mise àl'épreuve de la clinique.Si pour Freud les <strong>liens</strong> familiaux forment la matrice de référence dulien intersubjectif (il en aura I'expérience de près avec I'analyse deDora <strong>et</strong> avec celle du p<strong>et</strong>it Hans), les <strong>liens</strong> du couple restent peuexplorés, si l'on excepte son texte sur le choix d'obj<strong>et</strong> amoureux. Enrevanche, les référence sont nombreuses à un autre type de lien institué,celui qui est produit <strong>et</strong> maintenu par lesnelles >>, ce que nous pourrions aujourd'hui nommer les institutions.Sans doute la nécessité de perlaborer de c<strong>et</strong>te manière, oblique, sousle prétexte d'une psychanalyse appliquée, les enchevêtrements <strong>des</strong><strong>liens</strong> institués par I'association <strong>des</strong> premiers psychanalystes, a-t-ellefourni la matière d'une ébauche, tà encore de


<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> instituéssociale >>, selon le terme de Freud : psychologie <strong>et</strong> non pas microsociologiedu lien social. Ce qui r<strong>et</strong>ient I'attention de Freud est avanttout la consistanc e psychique inconsciente du lien dans les diversesformes, instituées ou non, qu'il peut prendre. Ce que nous avons àconstruire est une théorie psychanalytique du lien : une théorie quine sera pas celle <strong>des</strong> fondements sociaux du lien, ni de la psychologiede I'interaction, mais celle <strong>des</strong> mouvements du désir inconscient,désir de I'autre <strong>et</strong> de I'obj<strong>et</strong> du désir de I'autre.Le modèle de référence de c<strong>et</strong>te théorie du lien reste celui qui s'instaure<strong>et</strong> se repère dans le champ <strong>des</strong> transferts instaurés par le dispositif<strong>et</strong> la situation psychanalytiques. Toutefois nous devons icisouligner deux propositions distinctes :- les transferts n'apparaissent pas seulement comme une modalitétechnique de la cure mais ils témoignent d'une conception du suj<strong>et</strong>nativement tenu dans les <strong>liens</strong> de I'intersubjectivité;- si le transfert s'adresse à un autre, à plus d'un autre, dont l'alt&iténe se dévoil era que si le transfert peut être reconnu <strong>et</strong> analysé, lesmodalités <strong>des</strong> transferts/contr<strong>et</strong>ransferts ne sont pas intelligiblesdans les termes d'une psychologie de la communication intersubjective.Ce modèle spécifique d'un lien qui,pour n'être pas interactif, révèleles conditions de I'intersubjectivitê, est efficace dans d'autres situationspsychanalytiques, dérivées du modèle paradigmatique de lacure <strong>et</strong> répondant aux réquisits fondamentaux de la méthode psychanalytiquel.+,\c)'oça.|J(/)qJCJ\0)QL{I7(Ea-AJO.UFondement de Ia psyché dans le lienSi la problématique du lien <strong>et</strong> de I'intersubjectivité n' est pas historiquement<strong>et</strong> cliniquement première dans la théorisation psychanalytique,elle est épistémologiquement fondatrice de toute intelligibilitédu suj<strong>et</strong> : suj<strong>et</strong> de I'inconscient fondé dans I'intersubjectivité, pourla part qui revient à son statut de >.O.(ùJIEç5o1. J'en expose les conditions, les principes <strong>et</strong> les eff<strong>et</strong>s dans La Parole <strong>et</strong> le lien. Lesprocessus associatifs dans les groupes, Paris, <strong>Dunod</strong>, 1994.


<strong>Souffrance</strong> <strong>et</strong> <strong>psychopathologie</strong> <strong>des</strong> <strong>liens</strong> <strong>institutionnels</strong>Trois sortes de nécessités ont conduit à recentrer l'intérêt psychanalytiquesur le fondement de la psyché dans le lien.1. L'investigation clinique <strong>et</strong> Ia mise en évidence <strong>des</strong> troubles spécifiques<strong>des</strong> <strong>liens</strong> intersubjectifs <strong>et</strong> de leurs corrélations intrapsychiques.J'ai déjà rappelé gue, dans la relation du traitementpsychanalytique de Dora aussi bien que dans celle du p<strong>et</strong>it Hans parI'intermédiaire de sa famille, Freud interroge I'influence décisive ducontexte familial sur la genèse <strong>des</strong> troubles mentaux, <strong>et</strong> la part quirevient en propre au suj<strong>et</strong>. Les étu<strong>des</strong> contemporaines sur les modalités<strong>et</strong> les eff<strong>et</strong>s de la transmission de la vie psychique entre lesgénérations ont mis en évidence les conélations <strong>des</strong> <strong>liens</strong> intersubjectifsdans la clinique de la névrose, de la psychose <strong>et</strong> <strong>des</strong> étatslimitesl. Une <strong>psychopathologie</strong> spécifique <strong>des</strong> <strong>liens</strong> intersubjectifsapparaît impliquée dans un très grand nombre de troubles du fonctionnementintrapsychique. Dans c<strong>et</strong>te perspective, les recherchessur les formations du lien intersubjectif sont aussi <strong>des</strong> recherches surles formations de I'appareil psychique. La mise en perspectives réciproquesde ces deux espaces partiellement hétérogènes, dotés delogiques <strong>et</strong> de formations spécifiques, définit une nouvelle cliniquepsychanalytique repérable aussi bien dans la pratique de la cure individuelleque dans la pratique du travail psychanalytique en situationde groupe.2. L'invention méthodologique est la seconde nécessité qui soutientce développement de la recherche. La mise en æuvre de dispositifsappropriés à I'analyse <strong>et</strong> au traitement <strong>des</strong> troubles spécifiques dulien, mais aussi à la formation personnelle nécessaire pour s'engagerdans c<strong>et</strong>te approche, marque une rupture méthodologique <strong>et</strong> théoriquepar rapport aux spéculations de Freud sur les groupes <strong>et</strong> les institutions.Le p<strong>et</strong>it groupe (groupe thérapeutique, groupe del. Cf.les travaux de N. Abraham <strong>et</strong> M. Torok sur le fantôme <strong>et</strong> la crypte <strong>et</strong> leur réévaluationdans I'ouvrage collectif sous la direction de S. Tisseron <strong>et</strong> M. Torok (1995);voir aussi les travaux de M. Enriquez (1986) sur la psychose en héritage, deH. Faimberg (1987) sur le télescopage <strong>des</strong> générations, de A. Eiguer (1994), J.-J. Baranes (1993) <strong>et</strong> E. Granjon (1990) sur les enjeux de la transmission intergénérationnelle.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!