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<strong>Lettre</strong> <strong>de</strong>l'ACADEMIE <strong><strong>de</strong>s</strong>BEAUX-ARTSI N S T I T U TD E F R A N C EAMusiqueAfrançaise&rt baroquenuméro 60 printemps 2010


<strong>Lettre</strong> <strong>de</strong>l'ACADÉMIE <strong><strong>de</strong>s</strong>BEAUX-ARTSI N S T I T U TD E F R A N C EWilliam Christie succè<strong>de</strong> donc àMarcel Marceau. Bien que les académiciens,lors <strong>de</strong> son élection, n’aientEditorialeu sans doute d’autre souci que <strong>de</strong>faire le bon choix, le rapprochement <strong><strong>de</strong>s</strong> personnalités <strong>de</strong> WilliamChristie et <strong>de</strong> Marcel Marceau revêt un sens particulier. L’un et l’autre,selon leur génie propre, se sont voués à donner un nouvel essor, àcommuniquer une forme <strong>de</strong> re-naissance à <strong><strong>de</strong>s</strong> expressions artistiqueslongtemps considérées comme marginales, aussi importantes fussentellesdans l’Histoire : le mime et son silence avec Marceau, <strong>la</strong> musique« baroque » ou ancienne avec Christie. L’accomplissement <strong>de</strong> leurrecherche a permis d’imposer leur art dans le mon<strong>de</strong>. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> leursprestations, il les a conduits à rassembler et à former <strong><strong>de</strong>s</strong> talents enmesure <strong>de</strong> pérenniser leur démarche.William Christie a fondé en 1979 les « <strong>Arts</strong> florissants ». Il en conteici l’aventure. Pour <strong>la</strong> <strong>Lettre</strong> <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong>, GillesCantagrel, expert musicologue, correspondant <strong>de</strong> l’Académie, a conçuet réalisé un dossier éc<strong>la</strong>irant les cheminements créateurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> musiquebaroque et <strong>de</strong> ses résolutions instrumentales. Philippe Beaussant,<strong>de</strong> l’Académie française, « le meilleur connaisseur, souligne-t-il, <strong>de</strong> cettehistoire complexe et passionnante », évoque ce qu’il qualifie <strong>de</strong> « jeusans frontière » : les musiciens, compositeurs et instrumentistes, et leurcréation entraînés dans le ballet <strong><strong>de</strong>s</strong> pouvoirs au gré <strong><strong>de</strong>s</strong> intérêts ou <strong><strong>de</strong>s</strong>caprices, <strong><strong>de</strong>s</strong> goûts et du bon p<strong>la</strong>isir <strong><strong>de</strong>s</strong> familles <strong><strong>de</strong>s</strong> princes régnantsse partageant l’Europe.sommaire☛ page 2Editorial☛ pages 3, 4Réceptions sous <strong>la</strong> Coupole :William ChristiePierre-Edouard☛ page 5Exposition :« C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parent,l'œuvre construite,l'œuvre graphique »☛ pages 6 à 23Dossier : « Musique française& Art baroque »☛ page 24Publications :Pierre Cardin« 60 ans <strong>de</strong> création »Jean-Louis Florentz« Enchantements etmerveilles, aux sources <strong>de</strong>mon œuvre »DistinctionElection☛ page 25Exposition :« Femmes peintres et salons »au Musée Marmottan-MonetPar Adrien Gœtz☛ pages 26 et 27Communications :« Orientalisme, quand tunous tiens ! »Par Edhem El<strong>de</strong>m« L'art contemporain auMusée du Louvre »Par Marie-Laure Bernadac☛ page 28Calendrier <strong><strong>de</strong>s</strong> académiciensWilliam ChristieNé en 1944 à Buffalo (Etat <strong>de</strong> New-York), naturaliséfrançais en 1995, William Christie est l'artisan <strong>de</strong>l'une <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> aventures musicales <strong>de</strong> ces vingtcinq<strong>de</strong>rnières années : pionnier <strong>de</strong> <strong>la</strong> redécouverte, en<strong>France</strong>, <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique baroque, il a révélé à un très <strong>la</strong>rgepublic le répertoire français <strong><strong>de</strong>s</strong> XVII e et XVIII e siècles.Formé à Harvard et à Yale, installé en <strong>France</strong> <strong>de</strong>puis 1971,sa carrière a pris un tournant décisif avec <strong>la</strong> création en 1979<strong>de</strong> l’ensemble « Les <strong>Arts</strong> Florissants ».À <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> cet ensemble instrumental et vocal, WilliamChristie renouvelle l'interprétation d'un répertoire jusqu'alors<strong>la</strong>rgement négligé ou oublié. En 1987 il connaît unevéritable consécration publique avec <strong>la</strong> création d'Atys <strong>de</strong>Lully à l'Opéra Comique. De Charpentier à Rameau, en passantpar Couperin, Mondonville, Campra ou Montéc<strong>la</strong>ir, ilest le maître incontesté <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie lyrique, <strong>de</strong> l'opéra-ballet,du motet français comme <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique <strong>de</strong> cour, commeen témoigne son abondante production discographique.Ses col<strong>la</strong>borations avec <strong>de</strong> grands noms <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en scène<strong>de</strong> théâtre et d'opéra font chaque fois figure d'événement(Les In<strong><strong>de</strong>s</strong> ga<strong>la</strong>ntes <strong>de</strong> Rameau et Alcina <strong>de</strong> Haen<strong>de</strong>l en1999, Le Retour d’Ulysse dans sa patrie <strong>de</strong> Monteverdi en2002, Sant'Alessio <strong>de</strong> Stefano Landi en 2007).En tant que chef invité, William Christie répond régulièrementaux sollicitations <strong>de</strong> festivals d'art lyrique commeGlyn<strong>de</strong>bourne ou <strong>de</strong> maisons d'opéra comme l'Opernhaus<strong>de</strong> Zurich ou l'Opéra national <strong>de</strong> Lyon où, après Così fantutte (2005), il a dirigé Les Noces <strong>de</strong> Figaro (2007). Il estrégulièrement chef invité <strong>de</strong> l'Orchestre Philharmonique<strong>de</strong> Berlin.La formation et l'insertion professionnelle <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunesartistes sont également au cœur <strong>de</strong> ses préoccupations. C'estd'ailleurs aux <strong>Arts</strong> Florissants que <strong>la</strong> plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> directeursmusicaux d'ensembles baroques ont commencé leur carrière.Soucieux d'approfondir son travail <strong>de</strong> formateur, il a fondé àCaen une Académie pour les jeunes chanteurs, Le Jardin <strong><strong>de</strong>s</strong>Voix, qui connaît <strong>de</strong>puis 2007 un très <strong>la</strong>rge retentissementen <strong>France</strong>, en Europe et aux États-Unis.Réceptionsous <strong>la</strong> CoupoleLe mercredi 27 janvier 2010, sous <strong>la</strong>Coupole <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, le chefd'orchestre William Christie, élu dans <strong>la</strong>section <strong><strong>de</strong>s</strong> membres libres le 12 novembre2008 au fauteuil <strong>de</strong> Marcel Marceau, étaitreçu par son confrère Hugues R. Gall.Photos Juliette AgnelWilliam Christie et son confrère Hugues R. Gall (à gauche)et en compagnie du Ministre <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture FrédéricMitterand et <strong>de</strong> Laurent Beauvais, Prési<strong>de</strong>nt du Conseilrégional <strong>de</strong> Basse-Normandie (ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus).Extrait du discours prononcé par Hugues R. Gall :“Non, les <strong>Arts</strong> Florissants, que vous créez en 1979,cet ensemble que vous baptisez du nom d’un opéraoublié <strong>de</strong> Marc Antoine Charpentier, les « <strong>Arts</strong> Flo »,comme on les appelle affectueusement désormais, neseront pas une secte <strong>de</strong> chevaliers sénescents rassemblésautour d’un gourou égrotant ! Ils ne seront jamais unecoterie, mais une fédération toujours renouvelée <strong>de</strong> talents.L’esprit qui y règne <strong>de</strong>puis leur fondation, c’est le vôtre :un mé<strong>la</strong>nge d’enthousiasme, d’appétit, <strong>de</strong> curiosité, <strong>de</strong>rigueur et <strong>de</strong> p<strong>la</strong>isir. Là, autour <strong>de</strong> vous, s’épanouissent<strong>de</strong>puis trente ans, génération après génération, <strong><strong>de</strong>s</strong>artistes en quête <strong>de</strong> sens ; chacun apporte <strong>la</strong> fraîcheur<strong>de</strong> son engagement, certains assurent par leur fidélité <strong>la</strong>cohésion <strong>de</strong> l’ensemble et <strong>la</strong> maturation du projet, d’autress’y forment avant d’essaimer et d’en exporter l’espritd’aventure. Combien <strong>de</strong> chefs d’orchestre qui brillentaujourd’hui dans ce répertoire prérévolutionnaire n’ontilspas fait leurs premières armes dans le chœur ou dansl’orchestre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Arts</strong> Florissants ? »2 | LETTRE DE L'ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS • Directeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> publication : Arnaud d’Hauterives • Comité <strong>de</strong> rédaction : délégué Paul-Louis Mignon ;membres : Louis-René Berge, Yves Boiret, Edith Canat <strong>de</strong> Chizy, Gérard Lanvin, François-Bernard Michel, Lucien Clergue Conceptiongénérale, rédaction et coordination : Nadine Eghels • Conception graphique, réalisation : www.cmpezon.fr • Impression : Belzica - ImprimerieFrazier • ISSN 1265-3810 • Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong> 23, quai <strong>de</strong> Conti 75006 Paris • http://www.aca<strong>de</strong>mie-<strong><strong>de</strong>s</strong>-beaux-arts.frWilliam Christie est officier dans l'Ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> Légion d'Honneurainsi que dans l'Ordre <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Arts</strong> et <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Lettre</strong>s. ◆| 3


Réceptionsous <strong>la</strong> CoupoleExpositionPierre-EdouardLe mercredi 10 mars, sous <strong>la</strong> Coupole <strong>de</strong>l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>, le sculpteur et peintrePierre-Edouard, élu dans <strong>la</strong> section <strong>de</strong>Sculpture le 28 mai 2008 au fauteuil d'AlbertFéraud, était reçu à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong> par son confrère Gérard Lanvin.Pierre-Edouard naît en 1959. Très tôt, il se passionnepour le <strong><strong>de</strong>s</strong>sin et <strong>la</strong> peinture aux côtés <strong>de</strong> son père,peintre lui-même. A quatorze ans, il exécute ses premièressculptures, tout en continuant à peindre et à <strong><strong>de</strong>s</strong>siner.Les œuvres <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong> sont influencées par <strong>la</strong> statuaireKhmer et par Giacometti. Suivra une pério<strong>de</strong> abstraite où ildécouvre les grands abstraits américains - surtout Rothko -qui resteront toujours pour lui une référence importante.Au terme <strong>de</strong> ce voyage dans <strong>la</strong> peinture pure, il se tourne ànouveau vers <strong>la</strong> figuration, mais une figuration qui est passéepar l’abstraction et en gar<strong>de</strong>ra à jamais les stigmates.Il commence à é<strong>la</strong>borer une œuvre <strong><strong>de</strong>s</strong>sinée. De cettepério<strong>de</strong> datent les premières « Têtes » et <strong>la</strong> découverte <strong>de</strong>ce qu’il appellera « le mo<strong>de</strong>lé ininterrompu », Vision à partir<strong>de</strong> <strong>la</strong>quelle il établira l’œuvre à venir. Cette vision l’amène àappréhen<strong>de</strong>r toute forme sous l’angle d’un mo<strong>de</strong>lé d’ombreet <strong>de</strong> lumière, qui plus qu’un simple mo<strong>de</strong>lé, est une véritableutilisation, quasi musicale, <strong>de</strong> <strong>la</strong> modu<strong>la</strong>tion <strong><strong>de</strong>s</strong> ombres.A vingt-et-un ans, Pierre-Edouard entre à <strong>la</strong> GalerieC<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Bernard. Cette col<strong>la</strong>boration lui permet <strong>la</strong> rencontred’artistes remarquables : Balthus, Bacon, César, RaymondMason, Sam Szafran, Lopez-Garcia…C’est en 1989 qu’il réalisera sa première exposition personnelle<strong>de</strong> peintures et <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sins à <strong>la</strong> galerie. Il y exposeraensuite régulièrement et ses œuvres y sont aujourd’huiprésentées en permanence.De cette pério<strong>de</strong> datent les «Doubles portraits», les«Groupes» et surtout les premiers «Hommes à terre» quipréfigurent son travail <strong>de</strong> sculpture. Suivra toute une série<strong>de</strong> pastels et <strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sins sur le thème du « Personnage àl’échelle ». Pierre-Edouard y développe une déconstruction <strong>de</strong><strong>la</strong> figure par le fragment : l’image est désormais <strong>la</strong>cunaire.Au tout début <strong><strong>de</strong>s</strong> années 90, Pierre-Edouard renoue avec<strong>la</strong> sculpture à <strong>la</strong>quelle il va se consacrer prioritairement aufil <strong><strong>de</strong>s</strong> années ; cette <strong>de</strong>rnière lui paraît correspondre plusexactement à son besoin <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>lé et d’espace.Le public découvre en 2001 les premières figures <strong>de</strong>femmes en apesanteur : le thème d’«Eve» ou <strong>de</strong> «Noût» quinourrit aujourd’hui encore son œuvre.Il est en 2003 <strong>la</strong>uréat du Grand Prix <strong>de</strong> <strong>la</strong> FondationPrince Pierre <strong>de</strong> Monaco, dont il obtient le premier prix.Une exposition suivra l’année d’après à <strong>la</strong> Principauté <strong>de</strong>Monaco. En 2008, il est élu à l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong> aufauteuil d’Albert Féraud. ◆C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parent,l'œuvre construite, l'œuvre graphiqueRencontreDans le cadre <strong>de</strong> l’exposition consacrée à notreconfrère C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parent, <strong>la</strong> Cité <strong>de</strong> l’Architectureet du patrimoine a organisé une rencontre, entrelittérature et architecture, entre l’architecte et <strong>la</strong>romancière Dominique Manotti. Des mots pourdire les espaces urbains, <strong><strong>de</strong>s</strong> villes pour nourrirles livres, un dialogue fertile entre <strong>de</strong>ux écritures,animé par François Chaslin, correspondant, etrythmé par <strong><strong>de</strong>s</strong> lectures conçues par l’associationTextes & Voix.« Utopiste du territoire », comme le qualifiait récemmentPaul Virilio, son complice dans l’aventure <strong>de</strong> <strong>la</strong>« Fonction oblique », C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parent est l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> héros<strong>de</strong> <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>rnité architecturale . L’expérimentation estson champ d’investigation permanent.Reconnu aujourd’hui par les jeunes générations, C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parentfut longtemps marginalisé en raison du caractère utopique <strong><strong>de</strong>s</strong>on travail, qui cependant fascine encore hors <strong>de</strong> nos frontières.Portrait d’un homme résolument mo<strong>de</strong>rne autant que d’une époquecontemporaine, cette rétrospective retrace le parcours <strong>de</strong> l’architecteet sa ligne conceptuelle, comme ses liens avec l’art, <strong>la</strong> mo<strong>de</strong>, le théâtre,sans oublier son goût illimité pour l’automobile.On lui doit notamment <strong>de</strong>ux <strong><strong>de</strong>s</strong> icônes <strong>de</strong> l’architecture contemporaine: <strong>la</strong> Maison <strong>de</strong> l’Iran à <strong>la</strong> Cité universitaire <strong>de</strong> Paris et l’EgliseSainte-Berna<strong>de</strong>tte du Ban<strong>la</strong>y à Nevers.Auteur <strong>de</strong> maisons-culte comme <strong>la</strong> maison Drusch à Versailles (lecélèbre cube renversé), ou <strong>la</strong> vil<strong>la</strong> Bloc à Antibes, C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parent a travaillé<strong>de</strong> manière sérielle sur <strong>de</strong>ux programmes qui manient <strong>la</strong> gran<strong>de</strong>échelle : les centres commerciaux (dont le bâtiment tout en rampes <strong>de</strong>béton à Sens) et les centrales nucléaires. Pour EDF, il <strong>de</strong>viendra enquelque sorte le directeur artistique du programme « Architecture dunucléaire » et <strong><strong>de</strong>s</strong>sinera personnellement <strong>de</strong>ux « Maisons <strong>de</strong> l’atome »sur les sites <strong>de</strong> Cattenom et <strong>de</strong> Chooz. ◆“J’ai rencontré pour <strong>la</strong> première foisC<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parent il y a quelques semaines,pendant une émission <strong>de</strong> télévision où chacunvenait parler <strong>de</strong> lui, comme il se doit. Je luiglisse que j’ai gardé <strong>la</strong> mémoire très vivace <strong>de</strong>ma visite au pavillon français <strong>de</strong> <strong>la</strong> Biennale <strong>de</strong>Venise <strong>de</strong> 1970 (il y a quarante ans… ) dont ilfut le commissaire. Un espace construit sur leprincipe <strong>de</strong> l’oblique, pas un angle droit, pas unp<strong>la</strong>n horizontal. En le parcourant, le visiteur sentl’espace, le ressent, le vit physiquement. Et il neExtrait du discours <strong>de</strong> Gérard Lanvin :le perçoit plus jamais <strong>de</strong> <strong>la</strong> même manière. Uneexpérience inoubliable.“Vous apparaissez comme hors norme, l’esprit nonLa conversation et l’échange s’enclenchentprévenu, luci<strong>de</strong>. Vous ne pouvez pas vous passerimmédiatement. C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Parent est un esprit<strong>de</strong> <strong>la</strong> forme humaine et vous cherchez néanmoins toujoursouvert, à l’affût. Nous avons en commun un intérêtpassionné pour <strong>la</strong> ville.à l’éviter. Quoi que vous fassiez, vous <strong>la</strong> rencontrez. VousL’architecte parle d’utopie, rêve <strong>de</strong> bouleverser Cité <strong>de</strong> l'Architecture et du Patrimoine, jusqu'au 2 maiêtes fasciné par le tragique pascalien. C’est le Pascall’espace, <strong>de</strong> mettre « un horizon dans Paris ».www.citechaillot.fr<strong>de</strong> <strong>la</strong> géométrie du hasard, du vertige face aux infinis,L’exposition qui lui est consacrée, entre p<strong>la</strong>ns,du fragment, du contraste hallucinant <strong><strong>de</strong>s</strong> c<strong>la</strong>irs et <strong><strong>de</strong>s</strong>photos, maquettes (<strong><strong>de</strong>s</strong> petits chefs d’œuvre ensombres, <strong><strong>de</strong>s</strong> ruptures abruptes et <strong><strong>de</strong>s</strong> interrogations sansbois précieux, qu’on a envie <strong>de</strong> caresser), <strong><strong>de</strong>s</strong>sins En haut : Projets utopiques <strong>de</strong> villes obliques : « Les Spirales - Ponts III »,fin. Cette ascèse, vous <strong>la</strong> retrouverez chez Glenn Gould, leexubérants, entraînants, donne à voir, à vivre cet perspective, 1971. © Collection DAF/Cité <strong>de</strong> l’architecture et du patrimoine, Archivescréateur qui vous a le plus profondément marqué par saé<strong>la</strong>n utopique qui l’anime tout entier.d’architecture du XX e sièclepensée, sans doute pour cette modu<strong>la</strong>tion sans début ni fin,La romancière, elle, écrit <strong>la</strong> ville comme un personnage,raconte les vies croisées <strong>de</strong> ceux qui <strong>la</strong>et pour sa manière d’interpréter Bach en regard <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort,Ci-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous : Eglise Sainte-Berna<strong>de</strong>tte du Ban<strong>la</strong>y, Nevers. © Dominique De<strong>la</strong>unaymais dans un instant présent éternel.peuplent, se l’approprient, <strong>la</strong> reconstruisent auCe qui vous passionne véritablement dans toute création,quotidien, sans y penser.Maître Jacques Dauchez, Gérard Lanvin, le SecrétaireL’architecte qui conçoit l’espace a parfois bien4 | perpétuel Arnaud d'Hauterives et Pierre-Edouard c’est lorsque <strong>la</strong> rigueur géométrique est poussée tellementplus d’imagination que l’écrivain qui raconte <strong>la</strong>| 5lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> remise <strong>de</strong> l'épée loin qu’elle en <strong>de</strong>vient lyrique, incan<strong><strong>de</strong>s</strong>cente, et qu’elleville. »En haut : Gérard Lanvin et Pierre-Edouard. nous donne envie <strong>de</strong> mourir par sa beauté parce qu’elle aPhotos Brigitte Eymann perdu <strong>la</strong> raison. »


DossierUn baroque français ?Par Gilles Cantagrel8 |La réception sous <strong>la</strong> Coupole <strong>de</strong> William Christieinvite à réfléchir sur cette musique « baroque » que<strong>de</strong>puis trente ans il a puissamment contribué à fairerevivre à <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> son ensemble Les <strong>Arts</strong> Florissants, reprenantle titre d’une idylle en musique<strong>de</strong> Marc Antoine Charpentier,éloge <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong> protégés <strong>de</strong><strong>la</strong> Discor<strong>de</strong> par <strong>la</strong> Paix – déjà, unmanifeste.Ce n’est qu’au XIX e siècle que leterme péjoratif <strong>de</strong> « gothique » – <strong>la</strong>manière <strong><strong>de</strong>s</strong> Goths, <strong><strong>de</strong>s</strong> barbares – apu <strong>de</strong>venir une catégorie esthétiquedéfinissant l’art <strong><strong>de</strong>s</strong> bâtisseurs <strong>de</strong>cathédrales. Et il a fallu attendre<strong>la</strong> fin du même siècle pour quel’épithète <strong>de</strong> « baroque », dont enleur temps Di<strong>de</strong>rot ou le prési<strong>de</strong>nt<strong>de</strong> Brosses usaient pour vilipen<strong>de</strong>rce qu’ils considéraient comme lemauvais goût <strong>de</strong> l’art <strong>de</strong> <strong>la</strong> Contre-Réforme, s’applique elle aussi àdésigner un âge majeur <strong>de</strong> l’histoire<strong>de</strong> l’art.Depuis Wölfflin, on a d’abordparlé d’architecture baroque,avant que le terme n’en vînt, avecEugenio d’Ors et Focillon, à gagner<strong>la</strong> sculpture, <strong>la</strong> peinture – les beauxartsen général. Mais <strong>la</strong> musique,dans tout ce<strong>la</strong> ? Ce n’est guère quedans <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> moitié du <strong>de</strong>rniersiècle que l’on a tenté d’étendre <strong>la</strong> notion <strong>de</strong> « baroque »à <strong>la</strong> musique. D’abord pour désigner les manifestations <strong>de</strong>l’art <strong><strong>de</strong>s</strong> sons contemporaines <strong>de</strong> l’époque baroque dans lesbeaux-arts, puis leur esthétique et leur technique propres.En 1987, le tricentenaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> Lully fut célébré dans le mon<strong>de</strong>entier par une production <strong>de</strong> sa tragédie lyrique Atys, sur un livret <strong>de</strong>Quinault, sous <strong>la</strong> direction musicale <strong>de</strong> William Christie et dans une miseen scène <strong>de</strong> Jean-Marie Villégier. Ce spectacle a marqué une date capitaledans <strong>la</strong> résurrection <strong>de</strong> l’opéra baroque français. De <strong>la</strong> partition gravéed’Atys (1676), on voit ici <strong>la</strong> première page, le prologue.Au sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> polyphonie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Renaissance s’individualisent<strong>la</strong> voix et l’instrument. L’émergence du sujetpensant que bientôt définira Descartes se traduit dans unemusique vocale exprimée à <strong>la</strong> première personne, avecl’air, l’oratorio et l’opéra, tandis quel’autonomie conquise <strong>de</strong> <strong>la</strong> musiqueinstrumentale mène à <strong>la</strong> variationet à <strong>la</strong> passacaille, à <strong>la</strong> sonate, auconcerto et à <strong>la</strong> symphonie. Uneesthétique du mouvement s’incarnedans le théâtre et <strong>la</strong> danse, quand <strong>la</strong>p<strong>la</strong>sticité <strong><strong>de</strong>s</strong> lignes et <strong>la</strong> rhétoriqued’un discours omniprésent sousten<strong>de</strong>nttoute expression musicale.Avec en tout ce<strong>la</strong> une très <strong>la</strong>rge partfaite à <strong>la</strong> liberté et à l’imagination<strong><strong>de</strong>s</strong> exécutants. Et <strong><strong>de</strong>s</strong> tragédies auxtombeaux en musique, <strong><strong>de</strong>s</strong> cantatesaux fantaisies sur le luth, l’orgue oule c<strong>la</strong>vecin, règne une éloquencesavamment réglée sur les théories<strong><strong>de</strong>s</strong> affects, comme autant d’illustrationsd’un vaste traité <strong><strong>de</strong>s</strong> passions<strong>de</strong> l’âme.Cette gran<strong>de</strong> aventure se jouesur un siècle et <strong>de</strong>mi, assez précisément<strong>de</strong> 1600 à 1750, et dans toutel’Europe. Mais là encore, rien n’estsimple, et <strong>la</strong> <strong>France</strong> <strong>de</strong> Louis XIVaffirme sa singu<strong>la</strong>rité. Couperin yprône <strong>la</strong> « réunion <strong><strong>de</strong>s</strong> goûts », c'està-dire<strong>de</strong> <strong>la</strong> manière italienne et <strong>de</strong><strong>la</strong> française qui en architecture nous aura valu l’admirablechef-d’œuvre qu’est le Collège <strong><strong>de</strong>s</strong> Quatre Nations voulupar Mazarin, aujourd’hui siège <strong>de</strong> l’Institut <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Maisà Paris, toujours, Perrault remp<strong>la</strong>cera le cavalier Bernin auLouvre, et à Théophile <strong>de</strong> Viau et Saint-Amant succè<strong>de</strong>raBoileau. Existe-t-il, se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt certains, un « baroque »français ? Assurément, dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> danse et<strong>de</strong> l’art lyrique, répon<strong>de</strong>nt les musiciens. Musicologue etromancier récemment élu à l’Académie française, PhilippeBeaussant est aujourd’hui le meilleur connaisseur en <strong>France</strong><strong>de</strong> cette histoire complexe et passionnante. À lui d’évoquerce jeu sans frontière. Et il revient à William Christie <strong>de</strong> dresserun bref bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong> trente ans d’activités et <strong>de</strong> rechercheà <strong>la</strong> tête <strong>de</strong> son ensemble Les <strong>Arts</strong> Florissants, pionnier etréférence en <strong>la</strong> matière. ◆Gravure <strong>de</strong> Nico<strong>la</strong>s Bonnart représentant Damon jouant <strong>de</strong> l’angélique (1691). L’angéliqueétait une sorte <strong>de</strong> petit théorbe, qui connut une vogue éphémère au XVII e siècle.| 9


DossierLe jeusans frontièrePar Philippe Beaussant, <strong>de</strong> l’Académie françaiseAu temps où l’on ne par<strong>la</strong>it guère d’Europe (sauf enmythologie, où il était question d’un énorme taureauenlevant une <strong>de</strong>moiselle <strong>de</strong> ce nom, d’ailleurs apparemmentconsentante), mais où une Espagnole dite Anned’Autriche était reine <strong>de</strong> <strong>France</strong> et gouvernait avec un premierministre italien, où un Français était roi à Madrid, unPolonais en Lorraine, un Allemand à Buckingham, où unmaréchal saxon commandait l’armée française contre lesPrussiens, où Henriette <strong>de</strong> <strong>France</strong> était reine à Londres etHenriette sa fille, donc d’Angleterre, régnait sur les cœursà Paris, où en somme seuls les Papes étaient vraiment italienspour être mieux universels, en ce temps-là, les partitions,les castrats, les prime donne, les violons et mêmeles compositeurs ne cessaient <strong>de</strong> parcourir le continent, enparticulier dans le sil<strong>la</strong>ge <strong><strong>de</strong>s</strong> princesses à marier. C’est ainsique le plus grand musicien ang<strong>la</strong>is fut un Allemand qui faisait<strong>de</strong> <strong>la</strong> musique italienne : Haen<strong>de</strong>l. C’est ainsi que Lulli(qui doit s’écrire avec un y), natif<strong>de</strong> Florence, créa l’opéra français,malgré les Français, et contrel’opéra italien. C’est ainsi queJean-Marie Lec<strong>la</strong>ir enseigna <strong>la</strong>danse à Turin et y apprit le violon,avant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir à Paris le plusitalien <strong><strong>de</strong>s</strong> compositeurs français<strong>de</strong> son temps. Quant à Telemann,“Le plus grandmusicien ang<strong>la</strong>isfut un Allemandqui faisait <strong>de</strong> <strong>la</strong>musique italienne :Haen<strong>de</strong>l.”tel un caméléon sonore, il pensait en français quand il composaitune suite, prenait l’accent l’italien pour écrire unconcerto, par<strong>la</strong>it sa propre <strong>la</strong>ngue pour faire une cantate,mais a mené à bien à lui tout seul plus d’Ouvertures à <strong>la</strong>française que tous les Français réunis.Jean-Sébastien Bach fit mieux encore. Il a transcrit lesconcertos <strong>de</strong> Vivaldi dès leur parution et, pour certainsd’entre eux, probablement avant, possesseur ou dépositaire<strong>de</strong> ces manuscrits qui précédaient l’édition et parcouraientl’Europe musicale à <strong>la</strong> vitesse du son. À dix-sept ans il copiale Livre d’Orgue <strong>de</strong> Nico<strong>la</strong>s <strong>de</strong> Grigny, tout juste publié, enmême temps que les Fiori musicali <strong>de</strong> Frescobaldi. Il a euun maître à danser français. Après que son frère, élève <strong>de</strong>Pachelbel, lui eut transmis l’héritage <strong>de</strong> l’Allemagne du Sud,il a traversé l’Allemagne à pied, à vingt ans, pour écouterBuxtehu<strong>de</strong> et recueillir celui <strong>de</strong> l’Allemagne du Nord ; ce futle plus long voyage <strong>de</strong> toute sa vie, mais il n’a pas eu besoin<strong>de</strong> voyager : les partitions le faisaient pour lui.10 |À Venise, l’Ospedale <strong>de</strong>i Mendicanti est le <strong>de</strong>rnier édifice survivant <strong>de</strong> ceux qui abritaient les Ospedali,institutions charitables où <strong><strong>de</strong>s</strong> jeunes filles pauvres ou dé<strong>la</strong>issées recevaient un enseignement, principalementmusical. Vivaldi fut l’un leurs maîtres, à l’Ospedale <strong>de</strong>l<strong>la</strong> Pietà. Cette excellente éducation fit <strong>de</strong> nombred’entre elles <strong>de</strong> remarquables virtuoses. Elles se produisaient sur <strong><strong>de</strong>s</strong> tribunes, dans les salons ou les chapelles,cachées <strong><strong>de</strong>s</strong> regards <strong>de</strong> leurs éventuels protecteurs par <strong><strong>de</strong>s</strong> clôtures ajourées. Photo Ph. Lesage.À droite, costume <strong>de</strong> magicien pour le ballet Les Noces <strong>de</strong> Thétis et Pélée (Venise, 1639 ; Paris, 1654).L’Europe baroque, une et indivisibleL’Europe baroque est une. La vie musicale y circule d’uneextrémité à l’autre, avec une fluidité, une rapidité, aussi, quinous étonnent. Il en est <strong>de</strong> même pour les arts p<strong>la</strong>stiques,l’architecture. Nous croyons avoir inventé les voyages,<strong>de</strong>puis qu’il suffit <strong>de</strong> téléphoner à « Nouvelles Frontières »pour traverser le mon<strong>de</strong>. On voyageait moins souvent, maison gardait mieux <strong>la</strong> trace <strong>de</strong> ce qu’on avait vu, et entendu.Nous croyons avoir inventé <strong>la</strong> communication : mais Bach,tapi dans sa Thuringe natale dont il n’est guère sorti, a eutoute sa vie l’Europe à sa portée.L’idée que nous nous faisons souvent <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>l’Europe a été construite sur <strong><strong>de</strong>s</strong> catégories qui datent duXIX e siècle, et qui en sont le reflet. L’Europe du XIX e siècle, ☛| 11


Dossierc’est celle <strong><strong>de</strong>s</strong> « Nationalités »chère à Napoléon III. Maisl’émergence <strong><strong>de</strong>s</strong> nationalismesest postérieure à l’époque baroque,et c’est à tort que nousdivisons sans y songer l’Europe“L’émergence<strong><strong>de</strong>s</strong> nationalismesest postérieure àl’époque baroque.<strong>de</strong> ce temps à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> frontières qui n’existaient pas encore.Dire que l’Europe est une ne veut naturellement pas direqu’elle soit uniforme : bien sûr, elle ne l’est pas, et lespermanences que Fernand Brau<strong>de</strong>l a mises en évi<strong>de</strong>nces’imposent alors comme autrefois. Les lignes <strong>de</strong> division,simplement, ne sont pas toujours les nôtres ; les clivages nesont pas toujours où nous croyons ; et ils sont tous atténuéspar une coloration commune, qui nous apparaît peut-êtremieux aujourd’hui qu’elle ne pouvait le faire il y a encorequelques années, et surtout qui n’apparaissait pas aux contemporains,sensibles à ce qui les différenciait les uns <strong><strong>de</strong>s</strong>autres plus qu’à ce qui les faisait se ressembler.C’est en fait à cette profon<strong>de</strong>ur qu’il conviendrait <strong>de</strong>regar<strong>de</strong>r. Que les formes et les structures musicales setransmettent d’un musicien à l’autre, d’une tradition à uneautre, c’est une chose considérable. Mais ce qui nourrit, cequi fait vivre, ce qui fécon<strong>de</strong> <strong>la</strong> sensibilité d’une époque, cequi unifie, rapproche les petits talents <strong><strong>de</strong>s</strong> grands génies surun terrain commun, et les oppose globalement aux goûts,aux mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> penser, sujets d’émotion d’une autre époque ;c’est peut-être là ce qu’il y a <strong>de</strong> plus remarquable. Masquéspar les différences <strong>de</strong> superficie, ces grands courants dominantsne nous apparaissent pas toujours c<strong>la</strong>irement ; il fautpour les distinguer faire tomber moins les plâtras ou <strong>la</strong>patine qui les recouvre, que les préjugés et les schémas <strong>de</strong>nos propres conceptions.Après tout, regardons d’un peu près les choses, ou plutôtessayons <strong>de</strong> trouver le bon angle d’approche. Cette fameuseTransverbération <strong>de</strong> sainte Thérèse par le Bernin, avec toutce que cette œuvre majeure du Baroque peut avoir pourles uns <strong>de</strong> séduisant, pour les autres d’exaspérant, et quelquefoisles <strong>de</strong>ux ensemble, dans <strong>la</strong> transcription <strong>de</strong> l’émoisacré, sentimentalisme déliquescent si l’on veut, ou extasemystique si l’on préfère : que veut-elle nous dire ? Qu’est-ceque le sculpteur <strong>de</strong> génie qui l’a conçue, taillée et polie veutnous faire ressentir ? Est-ce réellement si différent <strong>de</strong> ceque Jean-Sébastien Bach veut <strong>de</strong> son côté nous faire éprouverdans tel air <strong>de</strong> Passion ou <strong>de</strong> cantate (texte et musiqueensemble, naturellement) :« Betrachte, meine Seel, mit ängstlichem Vergnügen,Mit bittrer Lust und halb beklemmtem HerzenDein höchstes Gut in Jesu Schmerzen… »(« Contemple, mon cœur, avec une joie douloureuse,Avec une peine amère et oppressante,Ton bien suprême dans les souffrances <strong>de</strong> Jésus… »)Bach : Passion selon saint Jean, air <strong>de</strong> basse”Joie douloureuse : c’est Bach qui le dit, en musique ; c’estBernin qui le sculpte. Autrement dit : au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> tout ce qui12 |peut en effet séparer <strong>la</strong> religiosité d’un sculpteur romain, nets qu’on ne le croit. Entre papistes et huguenots, quel estfascinante : à l’aria italienne, à son expressivité superbement Bach et <strong>de</strong> Telemann, le Music-Director dirige une cantate. Extrait duMusikalischen Theatrum <strong>de</strong> Johann Christian Weigel (1722).| 13papiste, exubérant, exalté et sensuel, <strong>de</strong> celle d’un Saxonluthérien, introverti et grave, n’y a-t-il pas une manièrecommune <strong>de</strong> ressentir et <strong>de</strong> traduire l’émotion religieusequi s’oppose globalement à <strong><strong>de</strong>s</strong> formes antérieures et postérieures<strong>de</strong> sensibilité ? D’ailleurs, le XIX e siècle bourgeois,en unissant dans une même réprobation le sensualismemystique du Bernin et <strong>la</strong> sentimentalité <strong>la</strong>rmoyante qu’onattribuait aux airs <strong>de</strong> Bach, ne touchait-il pas du doigt unevérité plus juste qu’il ne le croyait lui-même ? Ainsi, ce neseraient pas seulement les frontières <strong>de</strong> l’Europe baroque,qu’il faudrait faire tomber : ce sont certains clivages culturelset religieux, qui furent peut-être moins forts, ou moinsce courant souterrain qui semble parfois s’infiltrer, nappesouterraine où, débarrassés <strong><strong>de</strong>s</strong> pollutions <strong>de</strong> l’atmosphère,ils se retrouvent dans une matière plus pure ?Entre Venise et Dres<strong>de</strong>L’œuvre <strong>de</strong> Heinrich Schütz constitue probablement l’effortle plus intense <strong>de</strong> <strong>la</strong> religiosité luthérienne pour é<strong>la</strong>borer unmo<strong>de</strong> d’expression exactement approprié à ses cheminementsspirituels et intellectuels. Aucune musique, sans doute, pasmême celle <strong>de</strong> Bach, n’a su transcrire <strong>de</strong> manière aussi fidèlece que <strong>la</strong> sensibilité particulière à <strong>la</strong> religion luthérienne aédifié au cours du XVII e siècle, dans ses mouvements les plusintimes, les plus profonds, les plus secrets : cette méditationsolitaire, grave, douloureuse parfois, en directe re<strong>la</strong>tion cœur àcœur avec Dieu, si différente <strong>de</strong> ce que <strong>la</strong> sensibilité catholiqueé<strong>la</strong>borait à <strong>la</strong> même époque. Or, il n’est pas un seul <strong><strong>de</strong>s</strong> moyensd’expression utilisés par Schütz qui ne lui vienne <strong>de</strong> cetteVenise qu’il a connue quand il avait vingt ans. Il y <strong>de</strong>meuraquatre années pleines, ébloui par <strong>la</strong> luminosité et <strong>la</strong> somptuositésensuelle <strong>de</strong> ce qu’il entendait à San Marco, où officiaitGabrieli ; il n’eut <strong>de</strong> cesse qu’il ne s’y soit replongé vingt ansplus tard, juste à temps pour y découvrir Monteverdi et <strong>la</strong> Selvamorale, et assister à <strong>la</strong> naissance <strong>de</strong> l’oratorio. Cette fécondation<strong>de</strong> <strong>la</strong> plus spécifiquement et intimement luthérienne <strong>de</strong>toutes les musiques par <strong>la</strong> plus bril<strong>la</strong>mment papiste a quelquechose <strong>de</strong> fascinant : elle s’apparente à l’acte <strong>de</strong> l’abeille, quitransporte le pollen sur une autre p<strong>la</strong>nte ; c’est une transp<strong>la</strong>ntation,une greffe. Et <strong>la</strong> transformation opérée par Schütz surles structures musicales empruntées par lui n’est pas moinsextravertie, il fait subir une véritable conversion (à tous lessens du mot) pour faire d’elle le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> transcription du plusintroverti <strong><strong>de</strong>s</strong> chants intérieurs. ☛La cour <strong>de</strong> Dres<strong>de</strong>Sous influence italienne, <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Dres<strong>de</strong> s’estdotée d’un grand théâtre édifié pour Auguste leFort par son architecte attitré, Matthäus DanielPöppelmann. Inauguré en 1719, il pouvait accueillirjusqu’à <strong>de</strong>ux mille spectateurs. Dès les premièresannées, on y représenta <strong><strong>de</strong>s</strong> opéras italiens <strong>de</strong>Lotti et <strong>de</strong> Hasse, qui en assurèrent <strong>la</strong> direction,souvent sur <strong><strong>de</strong>s</strong> livrets du très célèbre Metastasio.Sur ce <strong><strong>de</strong>s</strong>sin anonyme, on voit en coupe <strong>la</strong> salle,l’orchestre et <strong>la</strong> scène pendant une représentation<strong>de</strong> <strong>la</strong> Teofane <strong>de</strong> Lotti, en 1719. Au nombre <strong>de</strong> 42,les musiciens constituaient, si l’on en croit Jean-Jacques Rousseau, « l’ensemble le plus parfait » enEurope. Dres<strong>de</strong>, Archives.En haut, à gauche : le compositeur assure généralement l’exécution <strong><strong>de</strong>s</strong>es propres œuvres. Avant l’usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> baguette, il se servait <strong>de</strong> rouleaux<strong>de</strong> papier pour amplifier son geste. Ici, en Allemagne au temps <strong>de</strong>En-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous, <strong>la</strong> salle et <strong>la</strong> scène du Teatro Fi<strong>la</strong>rmonico <strong>de</strong> Vérone, inauguréen 1729. Vivaldi y fit représenter plusieurs <strong>de</strong> ses nombreux opéras.


DossierLa vraie question qui se pose alors est nécessairementL’exception françaisecelle-ci, que nous ne pouvons formuler que parce que troissiècles ont passé : qu’y avait-il <strong>de</strong> commun entre Venise etDres<strong>de</strong>, entre le cœur luthérien et le chant italien, entrel’Allemagne protestante et l’Italie <strong>de</strong> <strong>la</strong> Contre-Réforme ?Au-<strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières, mais, plus encore, par <strong><strong>de</strong>s</strong>sousles mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> pensée, les traditions cultuelles et culturelles,quel est ce magma où baignent et dérivent les continents ?Qu’est-ce qui relie <strong>de</strong>ux religiosités aussi éloignées, que lescontemporains considéraient comme irréductibles ? Quelest ce terrain commun, que le génie <strong>de</strong> Schütz a su détecter,dont sans doute il n’a pas eu lui-même c<strong>la</strong>ire conscience àl’instant où il empruntait à l’une ce qu’elle avait inventé <strong>de</strong>plus opposé à l’autre, afin <strong>de</strong> lui faire dire ce que celle-ciEt <strong>la</strong> <strong>France</strong> ? Quelle est sa p<strong>la</strong>ce dans cette Europesans frontières <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture, alors que nos rois, générationaprès génération, ont si fort le désir <strong>de</strong> les fixer, et le plusloin possible ?Ici encore, les préjugés <strong>de</strong> l’Histoire, telle que nous l’atransmise le XIX e siècle, nous trompent. C’est vrai : nosrois ne rêvent que d’unifier leur royaume, <strong>de</strong> conquérirles F<strong>la</strong>ndres, <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r enfin Metz, Toul et Verdun, et<strong>la</strong> Franche-Comté, et un peu plus <strong>de</strong> Provence. Mais dansle même temps, ils s’en vont guerroyer en Italie, rêver <strong>de</strong>Florence et plus tard <strong>de</strong> Naples. L’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> musiquefrançaise est à peu près aussi pleine <strong>de</strong> contradictions.avait <strong>de</strong> plus intime et <strong>de</strong> plus spécifique ?La <strong>France</strong> a bien entendu <strong><strong>de</strong>s</strong> siècles <strong>de</strong> tradition musicale<strong>de</strong>rrière elle. Elle chante, et elle danse, autant qu’elle“C’est à ce niveau, sans doute, qu’il faudraitregar<strong>de</strong>r l’Europe baroque, dans lesLully etCharpentierdéc<strong>la</strong>me ses alexandrins : air <strong>de</strong> cour, ballet <strong>de</strong> cour, tragédiemouvements profonds <strong>de</strong> sa sensibilité,sont ses domaines <strong>de</strong> prédilection. Il va bien falloir qu’ils se<strong>de</strong> sa pensée et <strong>de</strong> son art. Et sans vouloir n’étaient pasdisputent…tout mêler, sans confondre ce qui doit si ennemisÀ peine les guerres <strong>de</strong> religion terminées avec Henri IVêtre séparé et défini, peut-être découvririons-nous<strong><strong>de</strong>s</strong> souterrains oubliés et <strong><strong>de</strong>s</strong> ”marquer son camp, sans doute…) une Italienne, Marieque ce<strong>la</strong>...et son Édit <strong>de</strong> Nantes, le roi <strong>de</strong> <strong>France</strong> épouse (pour bientrappes secrètes, qui font que Pascal comprenait mieux les<strong>de</strong> Médicis. Par coïnci<strong>de</strong>nce, c’est le jour même <strong>de</strong> sesJésuites qu’il ne le croyait lui-même (c’est certain) ; que dupiétisme <strong>de</strong> Fénelon au quiétisme <strong>de</strong> Bach ou <strong>de</strong> son entourage,on peut traverser à pied sec ; que Lully et Charpentiern’étaient pas si ennemis que ce<strong>la</strong> ; que Marini et La Fontaine,même combat ; que l’Europe baroque est unifiée par <strong>la</strong> bassecontinue ; que <strong>la</strong> chaconne est son dénominateur commun,en un temps où les violes viennent <strong>de</strong> Londres, les c<strong>la</strong>vecinsd’Anvers, les flûtes <strong>de</strong> Paris et les violons <strong>de</strong> Crémone.noces par procuration que l’on joue à Florence <strong>la</strong> premièreesquisse d’opéra <strong>de</strong> notre histoire : l’Euridice <strong>de</strong> Peri.Toujours est-il qu’à peine parisienne, Marie <strong>de</strong> Médicisfait venir le plus grand chanteur italien du temps, Caccini,accompagné <strong>de</strong> sa femme et <strong>de</strong> ses filles, toutes chanteuses.C’est l’impulsion décisive : les Français découvrent l’expressivitédu chant italien, une manière <strong>de</strong> déc<strong>la</strong>mer et surtoutl’art <strong>de</strong> l’ornementation vocale. Sans renier leur tradition <strong>de</strong>l’air <strong>de</strong> cour à quatre ou cinq parties, les chanteurs françaisvont peu à peu développer un art du chant particulier dontles contemporains, Italiens riches, parleront bientôt avecadmiration. Voilà pour le chant.La contradiction vient <strong>de</strong> ce que, pour les Français <strong>de</strong> cetemps, le chant n’est qu’un art mineur en comparaison <strong>de</strong> <strong>la</strong>littérature et en particulier <strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> tragédie. Et d’autreToison d’or... Ce<strong>la</strong> aussi, on l’oublie : Corneille à l’Opéra !)et le ballet (bien que Lully introduise <strong><strong>de</strong>s</strong> danses dans lesentractes d’Ercole amante). En 1653, le ballet culmine aveccelui <strong>de</strong> La Nuit, et Corneille avec Œdipe et La Toison d’or.Jacques Hotteterre, dit le Romain, appartenait à unepart que <strong>la</strong> préoccupation majeure, pour les Français, c’est <strong>la</strong> La <strong>France</strong> résiste, par ses <strong>de</strong>ux genres favoris : l’opéra estlongue dynastie <strong>de</strong> musiciens. Compositeur et flûtistedanse : le ballet <strong>de</strong> cour est un genre essentiel – bien que les una cosa d’Italia qui ne <strong>la</strong> concerne pas.virtuose à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Louis XIV, puis <strong>de</strong> Louis XV, ilcontradictions étant ce qu’elles sont… ce soit Catherine <strong>de</strong> La musique française constitue donc un domaine particulier,mais le plus étrange n’est-il pas que son évolution ait étéest notamment l’auteur d’une célèbre métho<strong>de</strong> pourMédicis (encore une Italienne) qui lui ait donné sa premièreson instrument, les Principes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Flûte traversièreampleur avec pour maître du jeu Baldassare <strong>de</strong>l Belgiocoso(1707). Gravure <strong>de</strong> Bernard Picart.l’œuvre d’un Italien ? ◆(toujours un Italien), le Ballet comique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Reine (1581).Ci-contre, Gentilhomme et dame jouant <strong>de</strong> l’épinette,Les Français, à <strong>la</strong> cour et ailleurs, ne cesseront <strong>de</strong> danser.représentation dite aussi La leçon <strong>de</strong> musique, parDès que les guerres <strong>de</strong> religion le permettront, le ballet <strong>de</strong>Vermeer <strong>de</strong> Delft. Londres, Buckingham Pa<strong>la</strong>ce.cour prendra son essor (Ballet <strong>de</strong> La Délivrance <strong>de</strong> Renaud,Ballet d’Alcine, Ballet <strong>de</strong> Tancrè<strong>de</strong>… ). Étranges, tous cessujets venus d’Italie… mais transposés à <strong>la</strong> française.L’épiso<strong>de</strong> suivant a pour metteur en scène Mazarin, donton oublie trop que sa jeunesse est pleine <strong>de</strong> musique. Àpeine est-il installé aux comman<strong><strong>de</strong>s</strong> que voici La Finta Pazza<strong>de</strong> Sacrati, le premier opéra joué en <strong>France</strong>. Puis L’Orfeo <strong>de</strong>Luigi Rossi, l’un <strong><strong>de</strong>s</strong> plus somptueux <strong>de</strong> tout le siècle, mais14 |composé à Paris pour les Parisiens. La Fron<strong>de</strong> n’est qu’enentracte avant Les Noces <strong>de</strong> Pélée et <strong>de</strong> Thétis, Xerxès, etpour le mariage <strong>de</strong> Louis XIV, Ercole amante <strong>de</strong> Cavalli.En haut, décor pour le prologue <strong>de</strong> <strong>la</strong> tragédie en musique Atys, <strong>de</strong> Lullyet Quinault, dite « l’Opéra du roi », représentée pour <strong>la</strong> première fois auchâteau <strong>de</strong> Saint-Germain-en-Laye en 1676. Paris, Musée Carnavalet.| 15Qu’en peuvent les Français ? Ils n’aiment qu’à moitié.L’opéra à l’italienne dérange à <strong>la</strong> fois leur tragédie (mêmesi Corneille s’y essaie timi<strong>de</strong>ment, avec Andromè<strong>de</strong> et LaEn-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous, <strong>la</strong> gravure <strong>de</strong> Le Paultre montre Louis XIV et <strong>la</strong> Courassistant, dans <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> marbre rose du château <strong>de</strong> Versailles, à <strong>la</strong>première représentation <strong>de</strong> l’Alceste <strong>de</strong> Lully et Quinault, en 1674.


DossierA gauche : William Christie et l'ensemble<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Arts</strong> Florissants. Photo Philippe MatsasC-<strong><strong>de</strong>s</strong>sous : représentation lors du Festival InternationalGeorge Enescu, Roumanie (2009). Photo Alex TudorEn bas : Dido & Aeneas d'Henry Purcell,à l'Opéra Comique (2008). Photo DRLes <strong>Arts</strong> Florissants,trente ans aprèsPar William Christie, membre <strong>de</strong> <strong>la</strong> section <strong><strong>de</strong>s</strong> Membres libresTrente ans après <strong>la</strong> création <strong>de</strong> mon ensemble, les<strong>Arts</strong> Florissants atteignent à une maturité tout enconservant une belle jeunesse. Je constate quel’enthousiasme et <strong>la</strong> curiosité <strong><strong>de</strong>s</strong> débuts sont intacts. Orce sont les stimu<strong>la</strong>nts essentiels dans <strong>la</strong> bonne interprétation<strong>de</strong> <strong>la</strong> musique.Les artistes qui nous sont fidèles, solistes, choristes etinstrumentistes, parfois <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> quinze années, ontgardé cette extraordinaire fraîcheur qui m’enchante et quienchante notre public. Le répertoire que nous défendons<strong>de</strong>meure leur passion et ils se retrouvent toujours avecp<strong>la</strong>isir. La maturité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Arts</strong> Florissants se manifeste par unemeilleure maîtrise du geste et du jeu, par unemobilisation plus rapi<strong>de</strong> grâce à l’expérienceacquise. Ce qui semb<strong>la</strong>it un peu difficile – voiretrès difficile – il y a vingt-cinq ans, certainesphrases <strong>de</strong> Rameau pour les violons, certaineslignes vocales dans un motet <strong>de</strong> Charpentier,paraît plus simple, ce qui nous permet d’allerplus loin. Notre travail reste soutenu, mais sedéveloppe dans un contexte bien rodé. Nos interprétationsjouissent aujourd’hui d’une démarche à <strong>la</strong> fraîcheur intacte,et d’une véritable maturité dans <strong>la</strong> mise en œuvre.J’insisterai sur trois initiatives récentes qui me tiennentà cœur, qui vont contribuer à renforcer <strong>la</strong> présence <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>Arts</strong> Florissants dans le paysage et qui sont le fruit <strong>de</strong>notre évolution.Le premier <strong>de</strong> ces projets est le Jardin <strong><strong>de</strong>s</strong> Voix. Sa créationet sa mise en œuvre en 2002 nous permettent <strong>de</strong> pallierun manque que nous avons constaté dans le domaine <strong>de</strong><strong>la</strong> pédagogie, en lien avec l’insertion professionnelle. Monenseignement au Conservatoire National Supérieur <strong>de</strong>Musique à Paris m’a rendu particulièrement sensible à ces“Je constate quel’enthousiasme et <strong>la</strong>curiosité <strong><strong>de</strong>s</strong> débutssont intacts !”questions <strong>de</strong> transmission et <strong>de</strong> formation. Au Jardin <strong><strong>de</strong>s</strong>Voix, nous recrutons, tous les <strong>de</strong>ux ans, <strong>de</strong> jeunes talentsque nous prenons en charge <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> formation au style etau répertoire baroque jusqu’aux concerts.Le second projet d’importance est notre travail d’édition.Nous nous sommes rendu compte, il y a une dizaine d’années,que nous avions constitué, au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> productions et<strong><strong>de</strong>s</strong> concerts, un extraordinaire fonds <strong>de</strong> partitions éditées ettranscrites par nous-mêmes. Pour l’exploiter intelligemment,nous avons donc créé notre propre <strong>la</strong>bel <strong>Arts</strong> Florissantsaux Éditions <strong><strong>de</strong>s</strong> Abbesses, afin <strong>de</strong> publier les chefs d’œuvreessentiellement français qui seront ainsi disponibles pourd’autres artistes et pour les programmateurs.Enfin, nous venons <strong>de</strong> <strong>la</strong>ncer un ambitieuxprojet qui nous tient particulièrement à cœur.Il s’agit du site-ressources <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Arts</strong> Florissants,« <strong>Arts</strong> Flo Media », qui, dès cette année, donneaccès sur Internet à l’ensemble <strong>de</strong> nos travaux :enregistrements, bibliothèque, documentsmusicologiques, etc. Les technologies les plusmo<strong>de</strong>rnes sont donc utilisées pour partager notre expérienceet nos activités.Ces trois projets sont liés par un thème dominant, par unepassion commune, qui est <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique française<strong><strong>de</strong>s</strong> XVII e et XVIII e siècles, que j’ai définie comme parmi nosmissions les plus importantes il y a maintenant trente ans.Nous avons constaté, au début <strong>de</strong> notre existence, <strong>la</strong>santé précaire <strong>de</strong> cette musique française par rapport auxmusiques alleman<strong><strong>de</strong>s</strong> ou italiennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> même époque, unemusique fragilisée surtout par le manque <strong>de</strong> savoir-faire.Trouver les moyens <strong>de</strong> donner vie et vigueur à ce répertoireétait donc notre tâche fondamentale et qui continue,avec ces trois nouvelles orientations. Aujourd’hui, je peuxconstater que Rameau, Lully, Charpentier ont retrouvé leurp<strong>la</strong>ce au Parnasse musical, au même titre que leurs illustres16 | contemporains, Bach et Haen<strong>de</strong>l - non seulement en <strong>France</strong>,mais dans le mon<strong>de</strong> entier. ◆| 17En haut : William Christie dirigeant l'ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>Arts</strong> Florissants lors <strong>de</strong> sa réception sous <strong>la</strong> coupole <strong>de</strong><strong>l'Institut</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Photo Juliette Agnelwww.artsflomedia.com


Dossier« À l’ancienne » :mo<strong>de</strong> ou renaissance ?Par Gilles CantagrelOOn par<strong>la</strong>it naguère encore <strong>de</strong> « baroque » pour Il n’y a que les instruments contemporains <strong>de</strong> l’œuvre et dudésigner le bizarre, voire le difforme. Mais après compositeur. C'est-à-dire les outils <strong>de</strong> production correspondantaux prescriptions du créateur pour obtenir un sonavoir qualifié un âge et une esthétique <strong>de</strong> l’histoire<strong>de</strong> <strong>la</strong> musique, le terme en est venu aujourd’hui, par abus <strong>de</strong><strong>la</strong>ngage, à désigner par « baroque » un peu tout ce qui est« ancien », dans ce que le mot a <strong>de</strong> plus flou. Le terme s’estpeu à peu vidé <strong>de</strong> son sens. Dans le domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique,ce qui reste dans l’esprit du public, c’est d’abord l’emploid’instruments « d’époque », au point d’entendre parler d’interprétation« baroque » lorsqu’unorchestre exécute <strong>la</strong> Symphoniefantastique <strong>de</strong> Berlioz avec les harpes,les ophicléi<strong><strong>de</strong>s</strong> ou les cornetsà piston <strong>de</strong> 1830, ou lorsqu’un pianistejoue Debussy sur un piano<strong>de</strong> 1910. Rien <strong>de</strong> baroque en toutce<strong>la</strong>, en effet – mais une exigencenouvelle en matière <strong>de</strong> rendusonore.Se préoccuper <strong>de</strong> faire entendreles œuvres du passé sur les instrumentspour lesquels elles ont étéconçues n’est pas un phénomènerécent. À Paris, le compositeur ethistorien François-Joseph Fétisproduit en 1832 <strong><strong>de</strong>s</strong> « Concerts historiques » sur <strong><strong>de</strong>s</strong> instrumentstombés en désuétu<strong>de</strong>, les violes <strong>de</strong> gambe et lec<strong>la</strong>vecin, le luth et les flûtes à bec. Plus tard, au tournant dusiècle, <strong><strong>de</strong>s</strong> musicologues et <strong><strong>de</strong>s</strong> interprètes comme FrançoisAuguste Gevaert, Wanda Landowska, Louis Diémer ouArnold Dolmetsch se sont à leur tour appliqués à rendreaux musiques d’autrefois <strong>la</strong> vivacité <strong>de</strong> leur coloris. Maisil faut attendre <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> moitié du XX e siècle pour que lemouvement se généralise. Des esprits chagrins et superficielsdonné dans un environnement acoustique donné. Ce n’estqu’en <strong><strong>de</strong>s</strong> temps plus récents que l’on a écrit, et continue àle faire, pour <strong><strong>de</strong>s</strong> instruments du passé, le violon <strong>de</strong> 1700,le piano <strong>de</strong> 1900.Et quand même le possè<strong>de</strong>-t-on, d’origine ou par copie,l’instrument lui-même est encore bien insuffisant, bienimpuissant, bien peu productifsi l’on néglige ou si l’on ignore <strong>la</strong>façon <strong>de</strong> le mettre en service – accordage<strong><strong>de</strong>s</strong> instruments à c<strong>la</strong>vier,diapasons et tempéraments, harmonisation<strong><strong>de</strong>s</strong> tuyaux d’orgue etrég<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> leur émission, nature<strong><strong>de</strong>s</strong> cor<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> c<strong>la</strong>vecins ou <strong><strong>de</strong>s</strong>violons, montage <strong><strong>de</strong>s</strong> chevalets,taille <strong><strong>de</strong>s</strong> anches, forme <strong><strong>de</strong>s</strong>embouchures, etc. Mais lors mêmeque ces obstacles parviendraient àêtre franchis, il reste à pratiquerl’essentiel, c'est-à-dire les mo<strong><strong>de</strong>s</strong><strong>de</strong> jeu, doigtés, articu<strong>la</strong>tions, souffle,technique d’archet, tout cequ’enseignent les nombreux traités du temps, les préfaceset les métho<strong><strong>de</strong>s</strong>, qu’il est évi<strong>de</strong>mment <strong>de</strong>venu indispensable<strong>de</strong> connaître.De plus, les instruments jouant en « concert », en « symphonie», mêlés, se fondant ou dialoguant, constituent <strong><strong>de</strong>s</strong>ensembles dont les sonorités doivent d’autant plus parvenirà un certain équilibre qu’ils sont porteurs <strong>de</strong> significationssymboliques précises, selon un co<strong>de</strong> en partie au moinsconnu et admis <strong><strong>de</strong>s</strong> auditeurs du temps. ☛18 |peuvent bien brocar<strong>de</strong>r les « baroqueux » et parler<strong>de</strong> mo<strong>de</strong> : c’est un mouvement radical et irréversible dansl’interprétation <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique qui s’est alors produit, et quicontinue <strong>de</strong> progresser.Mais on peut toujours se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelle légitimité il ya à vouloir aujourd’hui interpréter <strong>la</strong> musique du passé surles instruments du temps plutôt que <strong>de</strong> l’abor<strong>de</strong>r avec <strong>la</strong>sensibilité et les outils <strong>de</strong> notre époque. Que signifie cette| 19Le célèbre Habit <strong>de</strong> musicien, gravure <strong>de</strong> Nico<strong>la</strong>s II <strong>de</strong> Larmessin publiée dans Les Costumes Grotesques Et Les Métiers. Habits DesMétiers Et Professions (fin XVII e siècle). Le musicien porte un vêtement entièrement constitué d’instruments <strong>de</strong> musique les plus divers,et c’est une trompette marine qui lui sert <strong>de</strong> canne.recherche d’une prétendue « authenticité » ? Il est en effetintellectuellement aussi absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> parler d’« authenticité »que d’« ancienneté ». Il n’y a pas d’« instruments anciens ».En haut : scène <strong>de</strong> musique <strong>de</strong> chambre dans un salon <strong>de</strong> jardin. Gravure<strong>de</strong> Daniel Niko<strong>la</strong>us Chodowiecki (1769).


DossierTraité <strong>de</strong> notation pour le luthDès le XVI e siècle fleurissent nombre <strong>de</strong> traitéset métho<strong><strong>de</strong>s</strong>. On voit ici une page <strong>de</strong> <strong>la</strong>Rego<strong>la</strong> ferma e vera per l’intavo<strong>la</strong>tura di liuto<strong>de</strong> Michele Carrara publiée à Rome en 1585.La gravure en a été exécutée par AmbrogioBrambil<strong>la</strong>. Il s’agit d’un traité <strong>de</strong> <strong>la</strong> notationpour le luth selon le système <strong>de</strong> <strong>la</strong> tab<strong>la</strong>ture.Les musiciens français <strong>de</strong> l’âge baroque ontfait un <strong>la</strong>rge usage du luth, en soliste, enensemble et dans <strong>la</strong> réalisation <strong>de</strong> <strong>la</strong> bassecontinue. L’étu<strong>de</strong> approfondie <strong><strong>de</strong>s</strong> traités etmétho<strong><strong>de</strong>s</strong> est <strong>la</strong> principale source d’informationsur l’exécution et interprétation <strong><strong>de</strong>s</strong>musiques du passé.20 | | 21


Dossier“L’interprèten’est-il pas toujoursun traducteur, untranscripteur ?”Certes, personne n’interdit, pour les adapter à nos oreillesd’aujourd’hui, <strong>de</strong> jouer les symphonies <strong>de</strong> Beethoven dans<strong><strong>de</strong>s</strong> salles <strong>de</strong> congrès ou <strong>de</strong> sport, <strong>de</strong>vant trois mille ou vingtmille auditeurs, avec l’appui <strong>de</strong> sonorisations, en grossissantjusqu’à soixante-dix exécutants les effectifs <strong><strong>de</strong>s</strong> instrumentsà cor<strong><strong>de</strong>s</strong> montés en cor<strong><strong>de</strong>s</strong> métalliques, en doub<strong>la</strong>ntcuivres et bois, <strong>de</strong> facture mo<strong>de</strong>rne, voire, comme l’a faitGustav Mahler, en corrigeant les « fautes » ou « erreurs »qu’auraient commises le compositeur ou son éditeur. C’est<strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte procé<strong>de</strong>r – et pourquoi pas, à condition d’en êtreconscient – à <strong><strong>de</strong>s</strong> transcriptions, à l’usage <strong>de</strong> sensibilitésnouvelles et <strong>de</strong> mentalités différentes. L’interprète n’est-ilpas toujours un traducteur, un transcripteur ? De même,pourquoi ne pas jouer, quatre siècles plus tard, les pages <strong>de</strong>c<strong>la</strong>vecin <strong>de</strong> Sweelinck au piano ? La question se pose. LesVariations Goldberg ou les pièces <strong>de</strong> Rameau y sonnentmagnifiquement, et le piano les enrichit même d’une lisibilité,d’une expressivité et d’éc<strong>la</strong>irages nouveaux. On peutcependant se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r aussi pourquoi les adapter à l’instrumentdu XIX e siècle plutôt qu’à <strong><strong>de</strong>s</strong> instruments réellementmo<strong>de</strong>rnes offerts par l’électronique numérique. Certainesmusiques s’y prêtent parfois avec un réel bonheur.Cette réflexion amène à renverser <strong>la</strong> proposition : ce n’estpas parce que l’on joue sur l’instrument prescrit et supposéapproprié – le c<strong>la</strong>vecin (mais quel c<strong>la</strong>vecin ?) plutôt que lepiano – que l’on joue mieux, que l’on est meilleur musicien,que l’on a plus <strong>de</strong> motif à prétendre à l’« authenticité ». Ceserait confondre, comme on le fait trop souvent, <strong>la</strong> qualité <strong>de</strong>l’instrument et celle <strong>de</strong> l’instrumentiste, c'est-à-dire l’outil et<strong>la</strong> façon d’en user. L’auteur d’une photographie est le photographe,ce n’est pas l’appareildont il se sert, quelle que soitl’importance <strong>de</strong> son rôle.Mais les questions touchantaux mo<strong><strong>de</strong>s</strong> d’exécution <strong><strong>de</strong>s</strong> musiquesdu passé dépassent <strong>de</strong> trèsDans l’Encyclopédie <strong>de</strong> Di<strong>de</strong>rot et d’Alembert, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nche XVIII <strong>de</strong> l’articleLutherie est intitulée « La vignette représente l’atelier d’un Luthier, oùsont plusieurs compagnons occupés à différens objets <strong>de</strong> cet Art ». Elleconstitue une sorte <strong>de</strong> sommaire <strong>de</strong> tous les instruments représentés aufil <strong><strong>de</strong>s</strong> p<strong>la</strong>nches, comme, en page <strong>de</strong> gauche, ces « Instruments Anciens,Mo<strong>de</strong>rnes, Etrangers, à vent, à bocal et à anche » <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nche VII.Bibliothèque <strong>de</strong> l’Institut.loin celle <strong><strong>de</strong>s</strong> instruments anciens. Mentalités, esprits,mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> vie et d’écoute, références sonores et temporellesCi-contre, en frontispice du Dictionnaire <strong>de</strong> musique <strong>de</strong> Johann Gottfriedont si profondément évolué au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong>rniers siècles qu’ilWalther (Leipzig, 1732), on voit le compositeur dirigeant une cantate à <strong>la</strong>y a moins encore d’« authenticité » qu’il n’y a d’instrumentstribune d’une église, entouré <strong>de</strong> ses musiciens.« anciens ». Pour parler d’authenticité, il faudrait commencerpar avoir, en l’occurrence, le cerveau, <strong>la</strong> culture et <strong>la</strong>sensibilité d’un honnête homme du XVII e siècle, <strong>de</strong> Naples,<strong>de</strong> Leipzig ou <strong>de</strong> Versailles.Ce qui est résolument neuf dans ce grand mouvement <strong>de</strong>renouveau dans l’interprétation <strong>de</strong> <strong>la</strong> musique « baroque »,c’est un engagement considérable <strong><strong>de</strong>s</strong> interprètes dans <strong>la</strong>connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres. Celle-ci se fon<strong>de</strong> sur un retour auxsources par l’étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> traités, <strong>de</strong> <strong>la</strong> facture instrumentaleet <strong><strong>de</strong>s</strong> mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> jeu, <strong>de</strong> <strong>la</strong> paléographie musicale comme<strong>de</strong> l’acoustique. On ne peut plus, comme on le fit très longtempset parfois avec bonheur, jouer <strong>la</strong> musique ancienne ense fiant exclusivement à son instinct. Bien au-<strong>de</strong>là du mouvement« baroque », ces exigences nouvelles s’appliquentdésormais avec acuité à <strong>la</strong> totalité du domaine musical. Car22 | le passé a commencé hier. ◆| 23


ActualitésExpositionPierre Cardin« 60 ans <strong>de</strong> création »Préface Laurence Benaïm, Textes Jean-Pascal HessePubliée par les éditions Assouline, cette monographierétrospective <strong>de</strong> l’œuvre du couturier Pierre Cardinrévèle un créateur dont le style a révolutionné <strong>la</strong> haute coutureet marqué son histoire. Cet ouvrage, essentiellementvisuel, révèle l'immense apport <strong>de</strong> Pierre Cardin dans lemon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> couture, <strong><strong>de</strong>s</strong> accessoires et du parfum. Il reflètel'esprit et l'énergie <strong>de</strong> ce créateur unique en son genre, ainsique <strong>la</strong> dimension internationale <strong>de</strong> <strong>la</strong> marque. ◆www.assouline.com24 |Jean-Louis Florentz« Enchantements et merveilles, auxsources <strong>de</strong> mon œuvre »Paru aux éditions Symétrie, ce livre-album présente le catalogue<strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres du compositeur Jean-Louis Florentz(1947-2004), sous forme d’extraits photographiques et textuels.Chacune <strong>de</strong> ses œuvres musicales est née d’une imaginationpoétique et mystique, nourrie <strong>de</strong> ses voyages, essentiellementafricains – occasions <strong>de</strong> rencontres humaines, musicales –,et <strong><strong>de</strong>s</strong> explorations littéraires <strong>de</strong> contes, textes apocryphes etmystiques orientaux, chrétiens, juifs et arabes. ◆www.symetrie.comDistinctionLe Festival <strong>de</strong> Berlin vient <strong>de</strong> décerner l'Ours d'argentdu meilleur réalisateur à Roman Po<strong>la</strong>nski pourson <strong>de</strong>rnier film, The Ghost Writer, tiré du roman<strong>de</strong> Robert Harris. C’est A<strong>la</strong>in Sar<strong>de</strong>, producteur dufilm, qui a reçu le Prix pour Roman Po<strong>la</strong>nski.ElectionLors <strong>de</strong> sa séance plénière du 21 octobre 2009,l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong> a élu MichèleSalmon, membre correspondant dans <strong>la</strong> section<strong>de</strong> Peinture, et non <strong>de</strong> Sculpture comme annoncépar erreur dans <strong>la</strong> <strong>Lettre</strong> <strong>de</strong> l'Académie n°59.Au musée Marmottan Monet s’estachevée, le 7 mars, l’exposition « Fauves et expressionnistes.De Van Dongen à Otto Dix », réaliséeen col<strong>la</strong>boration avec le musée Von <strong>de</strong>r Heydt <strong>de</strong>Wuppertal, après une prolongation <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux semainesdue à son succès. L’intérêt <strong>de</strong> faire découvrir aupublic le courant expressionniste germanique, malreprésenté dans les collections françaises et rarementexposé en <strong>France</strong>, en le confrontant au courantcontemporain <strong><strong>de</strong>s</strong> Fauves n’a pas échappé aupublic, venu en nombre, ni à <strong>la</strong> presse, quotidienne,hebdomadaire et mensuelle, qui lui a consacré <strong>de</strong>nombreux articles. Les visiteurs ont ainsi admiré,parmi les chefs-d’œuvre présentés, outre <strong><strong>de</strong>s</strong> toiles<strong>de</strong> V<strong>la</strong>minck, Braque, Van Dongen, <strong><strong>de</strong>s</strong> tableaux <strong><strong>de</strong>s</strong>meilleurs représentants <strong><strong>de</strong>s</strong> mouvements Die Brücke,B<strong>la</strong>ue Reiter ; Alexeï von Jawlensky, August Macke,Franz Marc, Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel,etc., ainsi que <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres montrant <strong>la</strong> trajectoiresingulière <strong>de</strong> Kandinsky. Le parcours se clôturaitpar <strong><strong>de</strong>s</strong> toiles issues <strong>de</strong> <strong>la</strong> « Nouvelle Objectivité »,<strong>de</strong> Max Beckmann et Otto Dix notamment, apportantune perspective en montrant le mouvement quisuccéda à l’Expressionnisme. L’exposition a connuun grand succès, attirant plus <strong>de</strong> 100 000 visiteurs enquatre mois, trip<strong>la</strong>nt ainsi <strong>la</strong> fréquentation habituelledu musée. A cette exposition succè<strong>de</strong> l’exposition« Les salons et les femmes peintres au temps <strong>de</strong>Proust. De Ma<strong>de</strong>leine Lemaire à Berthe Morisot »jusqu’au 6 juin.Jacques Tad<strong>de</strong>i, Directeur du musée MarmottanMonet, membre <strong>de</strong> l’Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong>En haut : Pierre Georges Jeanniot (1848-1934),Une chanson <strong>de</strong> Gibert, 1891, Huile sur toile 56 × 98 cm.© Roubaix, La Piscine, musée d’Art et d’industrie André-DiligentMUSÉE MARMOTTAN-MONETFemmes peintres et salonsPar Adrien Gœtz, écrivain et historien <strong>de</strong> l'ArtUne exposition surprenante consacrée à cesfemmes peintres, libérées et en quelque sortepionnières, qui assumaient pleinement leurvocation artistique et leur féminité au tournant<strong><strong>de</strong>s</strong> XIX e et XX e siècles, et auraient putrouver p<strong>la</strong>ce dans l’œuvre <strong>de</strong> Marcel Proust.C’est en suivant les pas du jeune Marcel Proust quele visiteur s’engagera dans l’exposition du MuséeMarmottan-Monet, Femmes peintres et salons. Uneélégante traversée <strong>de</strong> l’époque 1900, à travers <strong><strong>de</strong>s</strong> salles quisont toutes dédiées à une égérie : chacune <strong>de</strong> ces muses estd’abord une créatrice, le fait mérite d’être souligné. Durantsa pério<strong>de</strong> mondaine, Proust a fréquenté ou aperçu quelquespersonnalités fortes, artistes, fantasques, éprises d’artet <strong>de</strong> littérature. De <strong>la</strong> princesse Mathil<strong>de</strong>, qui règne surun «salon historique», à sa chère amie Ma<strong>de</strong>leine Lemaire,elles comptèrent peut-être pour lui plus que comme modèles<strong>de</strong> Madame Verdurin. Ces femmes exposent au Salon,ont leurs collectionneurs et leurs admirateurs, et quan<strong>de</strong>lles reçoivent <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes artistes, elles traitent avec euxd’égal à égal. Les ridicules, bien sûr, <strong>de</strong> «<strong>la</strong> patronne» se <strong>la</strong>issentaisément <strong>de</strong>viner, <strong>de</strong>vant certains portraits, ou certainesaquarelles <strong>de</strong> fleurs <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>leine Lemaire, que Robert<strong>de</strong> Montesquiou rail<strong>la</strong>it sans pitié. Ces femmes artistes quitiennent salon ont en commun un goût <strong>de</strong> <strong>la</strong> liberté, quiles distingue <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes du mon<strong>de</strong> qui ne brillent que parleurs invités. C’est peut-être ce<strong>la</strong> qui a pu séduire l’auteurd’A <strong>la</strong> Recherche du Temps perdu, à l’époque où il jouaitles chroniqueurs mondains. Ces femmes artistes composentaujourd’hui une saisissante et bril<strong>la</strong>nte galerie <strong>de</strong> por-traits, que restituent avec goût Jacques Tad<strong>de</strong>i, directeur dumusée, et Bernard Grassin-Champernaud, expert et collectionneur; ils ont repris les textes <strong>de</strong> Proust et ont réuni, pourles illustrer, d’émouvants souvenirs, éventails, bijoux, piècesd’orfèvrerie, mais aussi <strong><strong>de</strong>s</strong> peintures oubliées commece Char <strong><strong>de</strong>s</strong> fées (Dieppe, Château-Musée, 1892) œuvreétrange, qui vient d’être restaurée et qui semble née dansl’Angleterre Victorienne.La princesse Edmond <strong>de</strong> Polignac Winaretta Singer, aucentre d’une ga<strong>la</strong>xie <strong>de</strong> musiciens et <strong>de</strong> peintres, Marguerite<strong>de</strong> Saint-Marceaux, femme <strong>de</strong> sculpteur et musicienne elleaussi, ont une haute conscience <strong>de</strong> leur rôle social et, diraitonaujourd’hui, « culturel ». Rosa Bonheur, animalière etfarouche, ou Louise Bres<strong>la</strong>u, qui réussit quelques émouvantsportraits <strong>de</strong> jeunes filles en fleur, <strong>la</strong> miniaturiste Mathil<strong>de</strong>Herbelin ou Louise Abbéma, peintre à part entière, fuient<strong>la</strong> futilité ; cette <strong>de</strong>rnière, cravatée et sanglée dans sa vestecavalière, lunettes sur le nez, retient l’attention dans sonétonnant autoportrait conservé au Musée intercommunald’Etampes : Sarah Bernhardt l’appe<strong>la</strong>it «mon amiral japonais».A <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l’exposition, <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> Berthe Morisotsemble <strong>la</strong> conclusion logique <strong>de</strong> cette mise en perspectivenouvelle. Au cœur du groupe impressionniste, elle imposeune nouvelle image <strong>de</strong> <strong>la</strong> femme artiste, mo<strong>de</strong>rne, simple,mais qui ne renonce ni aux réceptions ni aux p<strong>la</strong>isirs <strong>de</strong> <strong>la</strong>conversation. En retrouvant ces quelques pages oubliéesd’un charmant album 1900, l’exposition a ressuscité <strong>de</strong>vraies héroïnes, <strong><strong>de</strong>s</strong> pionnières, qui ouvrirent <strong>la</strong> marche <strong><strong>de</strong>s</strong>femmes au début du XX e siècle. ◆Musée Marmottan Monet, jusqu'au 6 juin 2010www.marmottan.com| 25


CommunicationCommunicationOrientalisme,quand tu nous tiens !Par Edhem El<strong>de</strong>m, , Professeur au département d’Histoire,Université <strong>de</strong> Boǧˇazi Boǧaziçi i d'IstanbulL'art contemporainau Musée du Louvre26 |Si certains auteurs, dont le célèbre Edward Said, fontremonter l’orientalisme à <strong><strong>de</strong>s</strong> temps fort reculés et sil’on peut effectivement parler d’un orientalisme conscientdès <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> <strong>la</strong> Renaissance, il n’en est pas moins vraique c’est au XIX e siècle que cette discipline acquiert toute<strong>la</strong> puissance d’une idéologie. Si le colonialisme et <strong>la</strong> dominationdu mon<strong>de</strong> par les puissances occi<strong>de</strong>ntales définissentles gran<strong><strong>de</strong>s</strong> lignes d’un discours triomphaliste <strong>de</strong> supériorité<strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt sur un Orient marginalisé et réduit à une séried’images et <strong>de</strong> clichés essentialistes, c’est l’industrialisationet <strong>la</strong> naissance d’une société <strong>de</strong> consommation qui rendrontcette nouvelle idéologie accessible aux masses popu<strong>la</strong>iresen Europe. Ainsi naît un nouvel Orient, rêvé, imaginé,défini, caricaturé, subjectivisé par un éventail <strong>de</strong> plus enplus <strong>la</strong>rge <strong>de</strong> produits <strong>de</strong> consommation et <strong>de</strong> services <strong>de</strong>masse. Ce « petit » orientalisme, pour reprendre - avec <strong><strong>de</strong>s</strong>pincettes - <strong>la</strong> distinction <strong>de</strong> Redfield entre <strong>la</strong> petite et <strong>la</strong>gran<strong>de</strong> tradition, acquerra une puissance à <strong>la</strong> mesure <strong><strong>de</strong>s</strong>a formidable propagation par le biais <strong><strong>de</strong>s</strong> médias les plusdivers : publicité, tourisme, décoration, littérature et imageriepopu<strong>la</strong>ires, ban<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>sinée, cartes postales, bibelots…Cet épanchement est tel qu’il finit par acquérir une formed’innocence, puisque l’artiste, l’industriel, l’auteur ne réfléchissentmême plus au sens <strong>de</strong> leur création mais se conformentsimplement à une nouvelle norme culturelle quemasquent facilement <strong><strong>de</strong>s</strong> abords <strong>de</strong> curiosité bienveil<strong>la</strong>nte.C’est donc une innocence terrible et malsaine, mais uneinnocence quand même, et qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’on se penchepeut-être avec un peu moins d’acrimonie sur <strong><strong>de</strong>s</strong> produitsparfois amusants, souvent attachants, voire même esthétiquementsurprenants…C’est ce que j’ai tenté <strong>de</strong> faire dans l'exposition « Unorient <strong>de</strong> consommation » qui regroupe du beau et du kitsch,En haut, à gauche : Enfant préparant le café, <strong>la</strong>mpe <strong>de</strong> chevet,Allemagne, vers 1901. Collection <strong>de</strong> l’auteur.En haut, à droite : Anonyme, affiche publicitaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> Compagnieinternationale <strong><strong>de</strong>s</strong> wagons-lits, Orient-Express, vers 1920.Fondation Ab<strong>de</strong>rrahman S<strong>la</strong>oui.Avec l’industrialisation et <strong>la</strong> société <strong>de</strong>consommation est née une nouvelle formed’orientalisme qui conjugue le beau et lekitsch sous le signe d’un Orient désormaisà <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> tous.toujours plus ou moins éphémère, autour <strong><strong>de</strong>s</strong> quatre thèmes<strong>de</strong> prédilection <strong>de</strong> l’orientalisme popu<strong>la</strong>ire : l’exotisme,<strong>la</strong> curiosité ethnographique, l’érotisme et <strong>la</strong> dimensionhistorique. Mais cette histoire ne se réduit pas à <strong>la</strong> démystification<strong><strong>de</strong>s</strong> clichés occi<strong>de</strong>ntaux, car ce qui fait <strong>la</strong> force <strong>de</strong>l’orientalisme, c’est qu’il est désormais produit et consommé<strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong> <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> démarcation entre Orientet Occi<strong>de</strong>nt. Le cas turc en est l’exemple le plus f<strong>la</strong>grant :conséquence <strong>de</strong> <strong>la</strong> ferveur avec <strong>la</strong>quelle l’Empire ottomanet <strong>la</strong> République <strong>de</strong> Turquie embrassèrent l’occi<strong>de</strong>ntalisation,l’orientalisme ottoman puis turc est un phénomènefort intéressant par lequel l’élite s’appropria un discoursd’altérisation <strong>de</strong> popu<strong>la</strong>tions et <strong>de</strong> communautés jugées« orientales » : Arabes, Kur<strong><strong>de</strong>s</strong>, bédouins, opposants <strong>de</strong> <strong>la</strong>mo<strong>de</strong>rnité… C’est ainsi que le mo<strong>de</strong>rnisme turc, obsédépar un désir d’occi<strong>de</strong>ntalisation, reprendra à son compte <strong>la</strong>plupart <strong><strong>de</strong>s</strong> clichés orientalistes créés par l’Occi<strong>de</strong>nt pour lesprojeter sur divers « autres », mais cè<strong>de</strong>ra tout aussi souventà <strong>la</strong> tentation <strong>de</strong> s’auto-orientaliser pour satisfaire les besoinsd’un marché touristique <strong>de</strong> plus en plus alléchant.Au XIX e siècle, <strong>la</strong> production et <strong>la</strong> consommation <strong>de</strong>l’orientalisme était une exclusivité occi<strong>de</strong>ntale ; si nous ysommes encore soumis aujourd’hui, c’est en gran<strong>de</strong> partieparce qu’il s’est fait plus insidieux, plus politiquementcorrect et qu’il a réussi le remarquable tour <strong>de</strong> force <strong><strong>de</strong>s</strong>’imposer à une bonne partie <strong><strong>de</strong>s</strong> popu<strong>la</strong>tions qu’il prenait àl’origine pour cible. ◆Gran<strong>de</strong> Salle <strong><strong>de</strong>s</strong> séances, le 3 février2010Par Marie-Laure Bernadac, , conservateur général du patrimoine,chargée <strong>de</strong> l’art contemporain au Musée du LouvreCes initiatives, diverses dans leurs choix et leurs concepts,sont une façon d'attirer <strong>de</strong> nouveaux publics,<strong>de</strong> réconcilier patrimoine et art contemporain, passéet présent, et <strong>de</strong> proposer une nouvelle lecture <strong>de</strong> l'histoire<strong>de</strong> l'art. Le Musée du Louvre, dans ce contexte, peut êtreconsidéré comme un exemple à part, non seulement parl'ampleur <strong>de</strong> ses collections et <strong>de</strong> ses espaces, mais aussiparce qu'il est à <strong>la</strong> fois un musée<strong><strong>de</strong>s</strong> antiquités et un musée <strong><strong>de</strong>s</strong>“beaux-arts, et que surtout, son Réintroduire <strong>la</strong>nom le positionne, aux yeux du question <strong>de</strong> l'art,grand public, comme un musée <strong>de</strong> <strong>la</strong> création,c<strong>la</strong>ssique, aux antipo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> l'artdans un muséecontemporain. Afin <strong>de</strong> mieuxcomprendre les enjeux <strong>de</strong> cette en constantenouvelle politique, il convient mutation.ici d'en retracer les origines, ”d'en définir les principaux axes et d'analyser les conséquencesque peuvent avoir <strong>la</strong> rencontre avec <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes vivantset l'insertion d'œuvres contemporaines - avec leur médiumsspécifiques et leurs mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> présentation -, tant sur <strong>la</strong>muséographie que sur <strong>la</strong> conservation et l'étu<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> collections.Nous verrons qu'il ne s'agit pas uniquement d'unphénomène <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, mais d'une redéfinition du musée auXXI e siècle.Pourquoi montrer l'art contemporain au Louvre ?Avant tout, pour réactiver un regard “artistique” sur lescollections et réintroduire <strong>la</strong> question <strong>de</strong> l'art, <strong>de</strong> <strong>la</strong> création,dans un musée en constante mutation. L'évolution actuelle<strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> institutions muséales vers un tourisme <strong>de</strong> masse,une fréquentation en constante progression qui entraîne<strong><strong>de</strong>s</strong> contraintes <strong>de</strong> sécurité et une logique <strong>de</strong> flux, doit êtrecontreba<strong>la</strong>ncée par <strong>la</strong> logique <strong>de</strong> l'art vivant, son système<strong>de</strong> production aléatoire, et l'intervention <strong>de</strong> <strong>la</strong> personne <strong>de</strong>l'artiste qui développe une vision particulière et proposeaux visiteurs une confrontation avec le mon<strong>de</strong> d'aujourd'hui.Depuis quelques années, <strong>de</strong> nombreuxmusées d'art ancien, tant parisiens querégionaux, ouvrent leurs salles et leurscollections aux artistes contemporains.La présence discrète d'œuvres contemporaines permet nonseulement <strong>de</strong> tisser les liens entre l’art du passé et l’art duprésent, mais peut aussi agir <strong>de</strong> manière homéopathiquesur le terrain du musée. L'écart entre l'œuvre ancienne etl'œuvre contemporaine suscite en effet une modification<strong><strong>de</strong>s</strong> comportements, <strong><strong>de</strong>s</strong> procédures, et <strong>de</strong> <strong>la</strong> réceptionqui incite tant le personnel du musée que le public à sepositionner différemment par rapport aux collections. Leregard <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes contemporains est en effet une façon <strong>de</strong>proposer une autre lecture <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres anciennes, qui tendà les rendre vivantes et toujours actuelles. ◆Gran<strong>de</strong> Salle <strong><strong>de</strong>s</strong> séances, le 3 mars 2010En haut : François Morellet, L'Esprit d'escalier, 2010.Poursuivant son engagement vis-à-vis <strong><strong>de</strong>s</strong> artistes vivants via unepolitique <strong>de</strong> comman<strong><strong>de</strong>s</strong> pérennes, le Musée du Louvre a confié àl’artiste François Morellet <strong>la</strong> création <strong><strong>de</strong>s</strong> vitraux <strong>de</strong> l’escalier Lefuel,dans l'aile Richelieu. © 2009 Musée du Louvre / Angèle Dequier| 27


28 |C a l e n d r i e r d e s A c a d é m i c i e n sPaul AndreuExposition « Paul Andreu, unarchitecte français en Chine », àNiort, du 12 au 23 avril.Une rencontre aura lieu le 8 avril.Louis-René BergeParticipe à l’exposition « Vous avezdit Estampe ? », à Guyancourt (78),du 7 avril au 16 mai.Participe aux 3 e Rencontresinternationales d'Estampecontemporaines Estamp'Art 77-2010, à Souppes-sur-Loing (77), du 4juin au 20 juin.Participe à l'exposition « Un peintre, unsculpteur, un graveur », à <strong>la</strong> Vil<strong>la</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>Roses, à Courbevoie, les 12 et 13 juin.Edith Canat <strong>de</strong> ChizyLe vol b<strong>la</strong>nc, création pour <strong>de</strong>uxviolons et électroacoustique parJean Leber et Jacques Ghestem, àl’Auditorium Saint-Germain, à Paris,le 31 mars.Charles ChaynesOnze visages ou l'Antifugue, pourorchestre à cor<strong><strong>de</strong>s</strong>, directionPhilippe Raynaud, au Conservatoireà Rayonnement Régional <strong>de</strong>Versailles, le 12 avril.Le Chemin d'Avi<strong>la</strong>, création pourmezzo soprano et orgue par MarieKobayashi et Damien Simon, à <strong>la</strong>cathédrale <strong>de</strong> Strasbourg, le 23 avril.Chu Teh-ChunExposition rétrospective au NationalArt Museum of China, à Pékin, du1 er au 31 mars.Lucien ClergueExposition « 50 ans dans l’Arène »,au Pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> l’Archevêché, à Arles,jusqu'au 1 er mai.Expose au Festival <strong>de</strong> photographie<strong>de</strong> Bretagne, à Dôle-<strong>de</strong>-Bretagne(35), du 29 mai au 7 juin.Exposition « Hommage àPicasso » au sein du Festival <strong>de</strong> <strong>la</strong>phototographie, à Pékin, jusqu'àfin mai, et à <strong>la</strong> Galerie Gagosian <strong>de</strong>Londres, du 13 juin au 15 août.Participe à un atelier <strong>de</strong> photographieà Bessèges (Gard), du 25 au 27 juin.Jean CortotExposition « Une lecture <strong>de</strong> Dante »,à <strong>la</strong> Galerie Evolution Pierre Cardin,du 6 au 27 mai.Michaël LevinasSortie d'un CD (Saphir Productions)dans lequel il interpréte, aupiano, <strong><strong>de</strong>s</strong> œuvres <strong>de</strong> RobertSchumann, accompagné <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxrécitals au Grand Auditorium <strong>de</strong> <strong>la</strong>Bibliothèque Nationale <strong>de</strong> <strong>France</strong>,les 8 et 9 avril.François-Bernard MâcheAera et Marae, œuvres pourpercussions, interprétées dans lecadre du spectacle Ka<strong>la</strong>m Terre,chorégraphie <strong>de</strong> Michel Lestréhan,le 8 avril à Vanves, le 10 avril àBrétigny et le 14 avril à Guyancourt.Eridan, interprété par le quatuorà cor<strong><strong>de</strong>s</strong> Bé<strong>la</strong>, au Lavoir Mo<strong>de</strong>rneParisien (18 e ), le 20 avril.Guy <strong>de</strong> RougemontExpose à <strong>la</strong> Galerie du Passage VeroDodat, à Paris, du 28 avril au 29 mai.Laurent PetitgirardDirige et interpréte Tremundum,pour piano et orchestre <strong>de</strong> ThierryPecou (Grand Prix Del Duca 2010)avec le compositeur en soliste, parl'Orchestre Colonne. Au mêmeprogramme figurent le concerto pourviolon et orchestre <strong>de</strong> Katchaturian etle Sacre du Printemps <strong>de</strong> Stravinsky.Salle Pleyel, à Paris, le 6 avril.Brigitte TerzievExpose à <strong>la</strong> Galerie Pierre CardinEvolution, à Paris, du 1 er au 16 avril.V<strong>la</strong>dimir VelickovicParticipe à l’exposition « La mémoiredu geste - Hommage à Marey »au Musée Rétif <strong>de</strong> Vence,jusqu’au 30 mai.Expose à <strong>la</strong> Galerie Samantha Sellem,à Paris, du 30 mars au 17 avril.Participe au Drawing Art Fair,au White Hôtel, à Bruxelles,du 23 au 25 avril.Zao Wou-KiExposition d'œuvres sur papieret <strong>de</strong> céramiques récentes àl'occasion <strong>de</strong> <strong>la</strong> sortie <strong><strong>de</strong>s</strong> éditionsang<strong>la</strong>ise et chinoise <strong>de</strong> l'importantemonographie (Kwai FungPublishing), à <strong>la</strong> galerie Kwai FungHin, à Hong Kong.Exposition <strong>de</strong> peintures et œuvressur papier, à <strong>la</strong> Fondation Vieira daSilva et Arpad Szenes, à Lisbonne,<strong>de</strong> juin à septembre.Page 1 : Jean Antoine Watteau (1684-1721), Le Flûtiste, <strong><strong>de</strong>s</strong>sin , Bibliothèque <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Arts</strong> décoratifs.L'ACADÉMIEDES BEAUX-ARTSSecrétaire perpétuel : Arnaud D’HAUTERIVESB U R E A U 2 0 1 0Prési<strong>de</strong>nt : Roger TAILLIBERTVice-Prési<strong>de</strong>nt : Laurent PETITGIRARDS E C T I O N I - P E I N T U R EGeorges MATHIEU • 1975Arnaud d’HAUTERIVES • 1984Pierre CARRON • 1990Guy <strong>de</strong> ROUGEMONT • 1997Chu TEH-CHUN • 1997Yves MILLECAMPS • 2001Jean CORTOT • 2001Zao WOU-KI • 2002V<strong>la</strong>dimir VELICKOVIC • 2005S E C T I O N I I - S C U L P T U R EJean CARDOT • 1983Gérard LANVIN • 1990C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> ABEILLE • 1992Antoine PONCET • 1993Eugène DODEIGNE • 1999Brigitte TERZIEV • 2007PIERRE-EDOUARD • 2008S E C T I O N I I I - A R C H I T E C T U R ERoger TAILLIBERT • 1983Paul ANDREU • 1996Michel FOLLIASSON • 1998Yves BOIRET • 2002C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> PARENT • 2005Jacques ROUGERIE • 2008Aymeric ZUBLENA • 2008S E C T I O N I V - G R A V U R EPierre-Yves TRÉMOIS • 1978René QUILLIVIC • 1994Louis-René BERGE • 2005Erik DESMAZIÈRES • 2008S E C T I O N V - C O M P O S I T I O N M U S I C A L EJean PRODROMIDÈS • 1990Laurent PETITGIRARD • 2000JacquesTADDEI • 2001François-Bernard MÂCHE • 2002Edith CANAT DE CHIZY• 2005Charles CHAYNES • 2005MichaëlLEVINAS • 2009S E C T I O N V I - M E M B R E S L I B R E SMichel DAVID-WEILL• 1982Pierre CARDIN• 1992Henri LOYRETTE • 1997François-BernardMICHEL • 2000Hugues R.GALL • 2002Marc LADREIT DE LACHARRIÈRE• 2005William CHRISTIE • 2008S E C T I O N V I IC R É A T I O N S A R T I S T I Q U E S D A N SL E C I N É M A E T L’ A U D I O V I S U E LPierre SCHŒNDŒRFFER• 1988Roman POLANSKI• 1998Jeanne MOREAU • 2000Régis WARGNIER • 2007Jean-Jacques ANNAUD • 2007S E C T I O N V I I -P H O T O G R A P H I ELucienCLERGUE • 2006Yann ARTHUS-BERTRAND • 2006A S S O C I É S É T R A N G E R SS.M.I. Farah PAHLAVI• 1974Ieoh Ming PEI• 1983Philippe ROBERTS-JONES• 1986Ilias LALAOUNIS• 1990Andrzej WAJDA • 1994Antoni TAPIÉS • 1994Leonardo CREMONINI • 2001Leonard GIANADDA • 2001Seiji OZAWA • 2001WilliamCHATTAWAY • 2004Seiichiro UJIIE • 2004WoodyALLEN • 2004SA KarimAGA KHAN IV • 2007SA SheikhaMOZAH • 2007Sir NormanFOSTER • 2007L'Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong> est l'une <strong><strong>de</strong>s</strong> cinqacadémies qui constituent <strong>l'Institut</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> :l'Académie française, l'Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Inscriptions et Belles-<strong>Lettre</strong>s,l'Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences, l'Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>Beaux</strong>-<strong>Arts</strong>,l'Académie <strong><strong>de</strong>s</strong> Sciences Morales et Politiques.

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