Des outils pour la géométrie à l'âge du collège

Des outils pour la géométrie à l'âge du collège Des outils pour la géométrie à l'âge du collège

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REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILSPOUR LA GEOMETRIEA L’AGE DU COLLEGE ?Daniel PERRINIUFM de VersaillesRésumé : Après avoir rappelé quelques objectifs que l’on peut assigner à l’enseignement de lagéométrie (développer la vision géométrique, apprendre à raisonner), nous examinons dansce texte certains outils qui sont ou pourraient être à la disposition des collégiens pour fairede la géométrie. Nous expliquons, en particulier, pourquoi il serait intéressant d’associer àl’usage des transformations l’utilisation des invariants (longueurs, angles, aires) et des casd’isométrie et de similitude.0. INTRODUCTIONLe texte qui suit s’inscrit dans le droit fildu rapport d’étape sur la 1 géométrie (cité [R]dans ce qui suit) de la commission de réflexionsur l’enseignement des mathématiques (commissionKahane) et de plusieurs autres textesqui sont venus en complément à ce rapport,cf. [Perrin], cité [P] et [Duperret & Perrin &Richeton], cité [DPR]. 2 Le rapport d’étapeconclut à la nécessité de conserver un enseignementde géométrie au collège et au lycéeet développe plusieurs arguments en faveurde la géométrie. Il y est notamment questionde son utilité et de son importance culturelle.Je retiendrai plutôt ici deux autres aspectsqui sont à mes yeux des objectifs essentiels del’enseignement de la géométrie :— développer la vision géométrique commeoutil de pensée (en mathématiques et ailleurs) ;— promouvoir la géométrie comme lieu privilégiéde l’apprentissage du raisonnement.Ces objectifs étant définis et explicités, ilrestera à préciser les outils qui permettrontde les atteindre. Le mot « outil » est d’ailleurs1 Je préfère parler de la géométrie plutôt que des géométries.Bien entendu, il existe de multiples facettes de la géométrieet c’est ce qui en fait le charme. Mais, outre qu’il mesemble que nous ne puissions raisonnablement penser à enseignerau collège d’autres géométries que l’euclidienne, je croisplus important d’insister sur ce qui lie les diverses approchesde la géométrie (la vision de l’espace, le raisonnement, et àun niveau plus avancé l’idée fondamentale de groupe opérantsur un ensemble, c’est-à-dire la vision unificatrice du programmed’Erlangen), plutôt que sur les différences.2 Le lecteur qui connaîtrait déjà tous ces textes me pardonneraun certain nombre de redites.91

REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILSPOUR LA GEOMETRIEA L’AGE DU COLLEGE ?Daniel PERRINIUFM de VersaillesRésumé : Après avoir rappelé quelques objectifs que l’on peut assigner à l’enseignement de <strong>la</strong>géométrie (développer <strong>la</strong> vision géométrique, apprendre à raisonner), nous examinons dansce texte certains <strong>outils</strong> qui sont ou <strong>pour</strong>raient être à <strong>la</strong> disposition des collégiens <strong>pour</strong> fairede <strong>la</strong> géométrie. Nous expliquons, en particulier, <strong>pour</strong>quoi il serait intéressant d’associer àl’usage des transformations l’utilisation des invariants (longueurs, angles, aires) et des casd’isométrie et de similitude.0. INTRODUCTIONLe texte qui suit s’inscrit dans le droit fil<strong>du</strong> rapport d’étape sur <strong>la</strong> 1 géométrie (cité [R]dans ce qui suit) de <strong>la</strong> commission de réflexionsur l’enseignement des mathématiques (commissionKahane) et de plusieurs autres textesqui sont venus en complément à ce rapport,cf. [Perrin], cité [P] et [Duperret & Perrin &Richeton], cité [DPR]. 2 Le rapport d’étapeconclut à <strong>la</strong> nécessité de conserver un enseignementde géométrie au collège et au lycéeet développe plusieurs arguments en faveurde <strong>la</strong> géométrie. Il y est notamment questionde son utilité et de son importance culturelle.Je retiendrai plutôt ici deux autres aspectsqui sont à mes yeux des objectifs essentiels del’enseignement de <strong>la</strong> géométrie :— développer <strong>la</strong> vision géométrique commeoutil de pensée (en mathématiques et ailleurs) ;— promouvoir <strong>la</strong> géométrie comme lieu privilégiéde l’apprentissage <strong>du</strong> raisonnement.Ces objectifs étant définis et explicités, ilrestera à préciser les <strong>outils</strong> qui permettrontde les atteindre. Le mot « outil » est d’ailleurs1 Je préfère parler de <strong>la</strong> géométrie plutôt que des géométries.Bien enten<strong>du</strong>, il existe de multiples facettes de <strong>la</strong> géométrieet c’est ce qui en fait le charme. Mais, outre qu’il mesemble que nous ne puissions raisonnablement penser à enseignerau collège d’autres géométries que l’euclidienne, je croisplus important d’insister sur ce qui lie les diverses approchesde <strong>la</strong> géométrie (<strong>la</strong> vision de l’espace, le raisonnement, et àun niveau plus avancé l’idée fondamentale de groupe opérantsur un ensemble, c’est-à-dire <strong>la</strong> vision unificatrice <strong>du</strong> programmed’Er<strong>la</strong>ngen), plutôt que sur les différences.2 Le lecteur qui connaîtrait déjà tous ces textes me pardonneraun certain nombre de redites.91


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?le mot clé de ce texte. C’est sans doute une réminiscencede cette affiche, sur les murs desc<strong>la</strong>sses des écoles primaires d’autrefois, quiproc<strong>la</strong>mait : « les bons ouvriers ont toujoursde bons <strong>outils</strong> ». Je pense que ce<strong>la</strong> s’appliqueaussi aux mathématiques.Dans le cas de <strong>la</strong> géométrie <strong>du</strong> collège, 3je discuterai ci-dessous de <strong>la</strong> pertinence de certains<strong>outils</strong> « <strong>pour</strong> voir » (figures, maquettes,logiciels) et d’autres <strong>outils</strong> « <strong>pour</strong> prouver »,parmi lesquels je distinguerai notamment :— les invariants (longueurs, angles, aires),— les cas « d’égalité » et de similitude,— le calcul,— les transformations.Depuis <strong>la</strong> réforme des mathématiquesmodernes, les cas « d’égalité » ont disparude notre enseignement et le rôle de certainsinvariants comme angle et aire a été<strong>la</strong>rgement minoré. Je considère qu’il s’agitd’une double erreur et je vais essayer d’enconvaincre le lecteur. Pour autant, je nesouhaite pas <strong>la</strong> disparition des transformationsdans l’enseignement de <strong>la</strong> géométrieau collège. Il me semble que l’objectifà <strong>pour</strong>suivre est plutôt de trouver, à terme,un nouvel équilibre entre ces diversesapproches de <strong>la</strong> géométrie.Pour conclure j’évoquerai les conditionsd’une évolution de l’enseignement de <strong>la</strong> géométrieau collège dans le sens indiqué ci-dessuset notamment <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> formationdes maîtres.3 J’étendrai ici le collège à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse de seconde, dernièrec<strong>la</strong>sse de <strong>la</strong> sco<strong>la</strong>rité obligatoire, dernière c<strong>la</strong>sseindifférenciée, dernière c<strong>la</strong>sse de <strong>la</strong> formationmathématique (presque) universelle <strong>du</strong> citoyen. Parmices citoyens, je pense en particulier aux futurs professeursdes écoles (pas nécessairement scientifiques, bienenten<strong>du</strong>) dont le rôle est essentiel dans <strong>la</strong> formation,notamment mathématique, des enfants.1. LES OBJECTIFS1.1 Penser géométriquementLe premier point qui fait l’importancede <strong>la</strong> géométrie, c’est le fait, en mathématiquescomme dans d’autres domaines, devoir et penser géométriquement. Il s’agitlà de quelque chose qui est difficile à formuler,mais qui est fondamental. Pour ma part,je vais me contenter d’évoquer ce point par rapportà ce que je connais, c’est-à-dire l’enseignement...des mathématiques.Face à une situation qui n’est pas a priorigéométrique, penser géométriquementsignifie d’abord être capable de faire un dessin.C’est une injonction que je répète sans cesseà mes élèves de CAPES (et j’y enseigne l’analyse): faites un dessin !Voici deux exemples où le dessin est décisif<strong>pour</strong> comprendre (mais il y en a mille <strong>du</strong>même acabit).• Pour montrer l’unicité de <strong>la</strong> limite d’une suiteil suffit de faire le petit dessin suivant :IJ] [ ] [abFigure 1Figure 1(avec I et J disjoints) et de dire : si u n tend versa les termes de <strong>la</strong> suite sont tous dans I (saufun nombre fini), si elle tend aussi vers b ilssont tous dans J (sauf un nombre fini). CommeI et J sont disjoints c’est impossible.• Pour encadrer <strong>la</strong> somme des 1/n à l’aide <strong>du</strong>logarithme de n :92


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?Je n’insisterai pas sur le point de <strong>la</strong> difficulté,sauf <strong>pour</strong> souligner que c’est aussil’un des charmes de <strong>la</strong> géométrie que desexercices élémentaires puissent faire séchermême les experts. Ainsi, voici deux petitsproblèmes, juste <strong>pour</strong> le p<strong>la</strong>isir <strong>du</strong> lecteur.J’emprunte le premier à [DPR] §4 (le problèy=1/ x10 1 2 3 4 5Figure 2Figure 2L’expérience montre que <strong>la</strong> plupart desétudiants de CAPES n’ont pas spontanémentce réflexe <strong>du</strong> dessin dans ce genre de situations.J’attribue ce<strong>la</strong>, au moins partiellement,à un déficit de <strong>la</strong> pensée géométrique tout aulong de leur sco<strong>la</strong>rité.1.2 Géométrie et raisonnementSur l’intérêt de <strong>la</strong> géométrie <strong>pour</strong> l’apprentissage<strong>du</strong> raisonnement (je pense là encoreà cet apprentissage <strong>pour</strong> tous les citoyens, passeulement <strong>pour</strong> les futurs mathématiciens, nimême <strong>pour</strong> les futurs scientifiques), je renvoiele lecteur au rapport d’étape (notamment §1b) et §3 c)). Je me contenterai de rappeler cequi fait à mes yeux l’importance <strong>du</strong> raisonnementgéométrique :— Il s’agit d’un domaine qui peut être abordédès le collège, où le raisonnement intervientdès le début et dans lequel on perçoit aisémentles articu<strong>la</strong>tions logiques ;— Il s’agit d’un domaine riche, varié, utile,avec un aspect visuel et esthétique, voireludique.Il est essentiel cependant de ne pas sousestimerdeux difficultés :— L’apprentissage des mathématiques engénéral et de <strong>la</strong> géométrie en particulier, estdifficile ;— Le raisonnement géométrique ne doitpas être ré<strong>du</strong>it à l’apprentissage formel de <strong>la</strong>démonstration.93


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?me « des segments décalés » ; ce problème aété proposé en c<strong>la</strong>sse de seconde par J.-P.Richeton). Le jeu n’est pas tant de trouver unesolution que d’en trouver une différente de cellesqui sont dans [DPR] (où il y en a déjà neuf).Soit ABC un triangle. Construire despoints M ∈ [AB] et N ∈ [AC] de sorte que lesdroites (BC) et (MN) soient parallèles etqu’on ait l’égalité AN = MB.La distinction raisonnement-démonstrationme semble, en revanche, fondamentaleet il me paraîtrait désastreusement ré<strong>du</strong>cteurde les identifier. A cet égard, le commentairedes programmes de collège décrit fort bien ceque devrait être une réelle activité mathématique:… identifier un problème, conjecturer unrésultat, expérimenter sur des exemples,bâtir une argumentation, mettre en forme unesolution, contrôler les résultats obtenus et évaluerleur pertinence en fonction <strong>du</strong> problèmeétudié.BMFigure 3Figure 3NCDans cette optique, <strong>la</strong> preuve a deuxfonctions essentielles. D’abord, lorsque le problèmene donne pas d’avance le résultat, <strong>la</strong> preuveest souvent le seul moyen de trouver celuici.C’est le cas par exemple, <strong>pour</strong> le problèmedes segments décalés ci-dessus où <strong>la</strong> constructionn’est pas possible sans une amorce dedémonstration. 5 Ensuite, <strong>la</strong> démonstration permetd’assurer les résultats avec certitude.Voici, par exemple, un petit problème où <strong>la</strong> figurepeut in<strong>du</strong>ire en erreur et où seul le raisonnement6 permet d’être sûr de ce qu’onavance :Le second est un problème de géométriedans l’espace, 4 un peu plus ar<strong>du</strong> :Un deltaèdre est un polyèdre convexe donttoutes les faces sont des triangles équi<strong>la</strong>téraux.Pour déterminer tous les deltaèdres àsimilitude près on tombe sur deux jolis problèmes:1) Montrer qu’un sommet d’ordre 3 (c’est-àdireun sommet où aboutissent 3 arêtes) nepeut pas être voisin d’un sommet d’ordre 5.2) Montrer qu’il n’y a pas de deltaèdreavec un sommet d’ordre 4 et dix sommetsd’ordre 5.Soit ABCD un carré de côté 8 et soient E,Fportés par (AD) et (AB) avec DE = 5 etBF = 13, cf. figure 4. Les points E,C,Fsont-ils alignés ?4 Si je parle essentiellement de géométrie p<strong>la</strong>ne dans ce texte,ce n’est pas que je n’accorde pas d’importance à <strong>la</strong> géométriedans l’espace, bien au contraire !5 Pour un autre exemple (dans le domaine numérique et àl’école élémentaire) d’une situation dans <strong>la</strong>quelle les élèvesdoivent argumenter et raisonner, même s’ils n’ont pas les moyensd’une démonstration formelle, voir par exemple [Ermel], <strong>la</strong> situation<strong>du</strong> plus grand pro<strong>du</strong>it, p. 102. Je ne saurais trop conseiller<strong>la</strong> lecture de ce texte à tous les enseignants de mathématiquescomme élément <strong>du</strong> débat entre preuve et argumentation.6 Il y a au moins trois arguments qui permettentde conclure.94


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?E5DC8A813BFigure 4Figure 4FA l’opposé de cette conception de <strong>la</strong> preuve,il me semble qu’un usage trop précoce ettrop rigide des règles de <strong>la</strong> démonstrationrisque de faire que celle-ci perde les deuxcaractères évoqués ci-dessus <strong>pour</strong> n’être plusqu’un exercice de style stéréotypé, dans lequelles élèves de collège ne <strong>pour</strong>ront rentrer quepar une sorte de docilité qui n’est peut-être pas<strong>la</strong> chose <strong>la</strong> mieux partagée à l’heure actuelle.7 Je sais bien que mener, au collège, une réelleactivité de recherche, dans <strong>la</strong> ligne de ce quiprécède, n’est pas chose facile et que, dans certainessituations, l’existence d’un quelconqueapprentissage est déjà problématique, maisce<strong>la</strong> demeure un objectif qui vaut <strong>la</strong> peinequ’on s’y attache. En tous cas, <strong>pour</strong> qu’une telleactivité puisse vraiment avoir lieu, il y a uncertain nombre de conditions :— Il faut proposer aux élèves des problèmesouverts, qui soient à <strong>la</strong> fois à leur portée,7 Comme le dit Rudolf Bkouche, cf. [Bkouche 1997] : La démonstrationrisque d’apparaître comme une simple nécessitéréglementaire <strong>du</strong> cours de mathématiques, renforcée par desassertions autoritaires <strong>du</strong> type : «en mathématiques, on nes’appuie pas sur l’évidence, il faut démontrer» ; <strong>la</strong> conséquencemais aussi suffisamment riches et complexes.En géométrie, les problèmes de lieux géométriquesou de constructions sont souvent lesplus pertinents.— Les enseignants doivent être très disponiblescar certaines situations permettent demultiples approches qui con<strong>du</strong>isent parfois àdes solutions originales (c’est le cas <strong>du</strong> problèmedes segments décalés évoqué ci-dessus) et ilest important de ne pas brider l’imaginationdes élèves.— Enfin, et c’est le point sur lequel je veuxinsister ici, <strong>la</strong> possibilité de mener une réelleactivité de recherche n’est pas indépendantedes <strong>outils</strong> dont disposent les élèves.De ce point de vue, il me semble que l’usagetrop exclusif des transformations n’est pas lemieux adapté <strong>pour</strong> faire de <strong>la</strong> géométrie aucollège le lieu d’un apprentissage <strong>du</strong> raisonnement.en est que les mathématiques apparaissent sous un anglepurement juridique où <strong>la</strong> démonstration tient lieu de règle, moins<strong>pour</strong> des raisons de savoir que <strong>pour</strong> des raisons d’autoritéinstitutionnelle, le professeur devenant le garant de cetteautorité.95


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?2. LES OUTILS POUR VOIRDans les premiers temps de <strong>la</strong> réforme desmathématiques modernes, les figures ont étésinon totalement bannies des cours de géométrie,<strong>du</strong> moins regardées avec une forte suspicion.Sur cette question, Jean Dieudonné, l’un despromoteurs de <strong>la</strong> réforme, a le mérite de direles choses c<strong>la</strong>irement (cf. [Dieudonné]) : C’estainsi qu’il serait désirable de libérer l’élève dèsque possible de <strong>la</strong> camisole de force des « figures »traditionnelles, en en par<strong>la</strong>nt le moins possible(point, droite et p<strong>la</strong>n exceptés, bien enten<strong>du</strong>),au profit de l’idée de transformation géométrique<strong>du</strong> p<strong>la</strong>n et de l’espace tout entiers...Mise en pratique au début des années 1970(on consultera avec effarement les manuelsde l’époque), cette doctrine s’est révélée désastreuse.Pour ma part, et comme beaucoup demathématiciens d’aujourd’hui, je pense trèsexactement le contraire, à savoir que lesfigures sont essentielles <strong>pour</strong> apprendre àvoir et à penser géométriquement, ce quiconstitue l’un des objectifs avancés ci-dessus.Bien enten<strong>du</strong>, depuis cette époque, lesfigures (ou configurations) sont réapparues dansles programmes, mais d’une certaine façon, <strong>la</strong>suspicion à leur encontre est restée vive etnombre de professeurs répugnent à s’en servir,souvent par souci de rigueur. La réflexionsur les liens entre figure, calcul, démonstrationdevrait en tous cas être une partie importantede <strong>la</strong> formation des maîtres.J’ajouterai deux points encore sur ce sujetdes <strong>outils</strong> <strong>pour</strong> voir.Le premier est l’importance des logicielsde géométrie dynamique (je suis un utilisateurconvaincu de CABRI). La facilité avec<strong>la</strong>quelle on peut réaliser, à volonté, des figurescorrectes, dans de multiples cas particuliers,en faisant varier les paramètres, est une aideextraordinaire, notamment <strong>pour</strong> pro<strong>du</strong>ire ettester des conjectures.Le second concerne <strong>la</strong> géométrie dansl’espace. Là, quelles que soient les qualités <strong>du</strong>dessinateur <strong>pour</strong> rendre <strong>la</strong> perspective ou lesperformances des logiciels, le plus efficaceest encore souvent <strong>la</strong> construction de maquettes.J’utilise <strong>pour</strong> ma part systématiquement desmaquettes, des pliages, voire des objets familiers(ballon de football, globe terrestre, etc.)lorsque j’enseigne <strong>la</strong> géométrie dans l’espace.Ainsi, <strong>pour</strong> revenir à un problème posé ci-dessus,il me semble difficile de comprendre<strong>pour</strong>quoi les sommets d’ordre 3 et 5 d’un deltaèdrene peuvent être voisins tant que l’onn’a pas fabriqué une maquette.3. LES OUTILS POUR PROUVER :LES INVARIANTSD’abord un mot d’explication sur ma positionpar rapport à l’enseignement <strong>du</strong> seconddegré. Comme je n’y ai jamais enseigné moimêmeet que je ne suis pas didacticien (saufpar alliance, ce qui n’est pas rien), ma positionest, avant tout, celle d’un mathématiciendont <strong>la</strong> spécificité, depuis plus de 25 ans, est<strong>la</strong> formation des maîtres. Ainsi, au départ, c’esten enseignant <strong>la</strong> géométrie aux sévriennes quej’ai été amené à réfléchir sur les fondementsmathématiques et épistémologiques de <strong>la</strong>géométrie. Ma position didactique, en faveurde l’usage des invariants et des cas d’isométrieau collège est donc sous-ten<strong>du</strong>e essentiellementpar cette réflexion mathématique,(avec quelques mots-clés comme groupes,transitivité, invariants). Cette réflexion peutsembler théorique, mais comme c’est monseul apport au débat, je vais <strong>la</strong> présenter96


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?maintenant, en essayant d’être le plus bref etle moins technique possible.3.1 Programme d’Er<strong>la</strong>ngen et invariants.Le discours dominant à l’époque desmathématiques modernes mettait en avant leprogramme d’Er<strong>la</strong>ngen de Felix Klein (1872).Ce programme explique qu’une géométrieconsiste essentiellement en <strong>la</strong> donnée d’un groupe(de transformations) opérant sur unensemble. Ce point de vue, à mon avis, restetout à fait va<strong>la</strong>ble, mais, tel quel, il est insuffisantcar il n’explique pas par quel procédéon obtient les théorèmes de <strong>la</strong> géométrie enquestion. Or, cette question est résolue aussi,à peu près à l’époque de Klein, par <strong>la</strong> théoriedes invariants. Le principe c’est que toutthéorème d’une géométrie donnée, re<strong>la</strong>tive àun groupe donné, correspond à une re<strong>la</strong>tionentre les invariants (polynomiaux) de cette géométrie.Mon opinion est que <strong>la</strong> théorie des invariantsest inséparable <strong>du</strong> programme d’Er<strong>la</strong>ngen.Or, et c’est là un contresens majeur de<strong>la</strong> réforme des mathématiques modernes, cesinvariants ont été <strong>la</strong>rgement occultés à l’époqueet restent encore mal aimés aujourd’hui.J’ai développé ces idées dans l’annexe 1<strong>du</strong> rapport [R] et dans l’article [P] (dans le casdes aires) et j’y renvoie le lecteur qui souhaiteraitplus de détails. Je voudrais seulementdonner ici quelques exemples.D’abord que sont les invariants <strong>pour</strong> <strong>la</strong>géométrie <strong>du</strong> collège ? On peut les voir de deuxfaçons. La première est géométrique : il s’agitde notions familières, longueur, angle, aire.La seconde est plus algébrique. En effet, si un→→vecteur OA (resp. OB ) a <strong>pour</strong> coordonnées(a 1 , a 2 ) (resp. (b 1 , b 2 ), les invariants précédentscorrespondent respectivement au carré sca-<strong>la</strong>ire OA . OA = a 12+ a 22(c’est le carré de <strong>la</strong>longueur OA), ou au pro<strong>du</strong>it sca<strong>la</strong>ire→→→→OA . OB = a 1 b 1 + a 2 b 2 , (qui correspond aucosinus de l’angle^AOB→→, ou encore au « pro<strong>du</strong>itvectoriel » 8 OA ∧ OB = a 1 b 2 – a 2 b 1 (ledouble de l’aire orientée <strong>du</strong> triangle AOB, ouencore <strong>la</strong> quantité OA×OB.sin AOB . Cesinvariants apparaissent ainsi comme despolynômes en les coordonnées des points, etces polynômes sont invariants sous l’action <strong>du</strong>groupe des rotations (l’aire étant, de plus,invariante par le groupe de toutes les transformationsaffines de déterminant 1).Bien enten<strong>du</strong>, quiconque a fait de <strong>la</strong> géométriesait qu’il est utile d’utiliser les invariantsgéométriques <strong>pour</strong> prouver les théorèmes.Ce que je vais expliquer maintenant c’est queces démonstrations, comme Janus, ont deuxfaces : celle de <strong>la</strong> géométrie et celle de l’algèbre.Voici deux exemples très simples : le concoursdes médianes et celles des hauteurs dans untriangle.3.2 Exemple 1 : les médianes.^Avant de parler de concours des médianes,quelques détails techniques sur l’outil «aire».Un lemme qui devrait être, à mon avis, un desrésultats clés de <strong>la</strong> géométrie <strong>du</strong> collège estce que je propose d’appeler le « lemme des proportions» :Si deux triangles ont un sommet communet des bases portées par <strong>la</strong> même droite,le rapport de leurs aires est égal au rapport desbases, cf. figure 5.8 En fait, le sca<strong>la</strong>ire a 1 b 2 – a 2 b 1 est plutôt le déterminant desdeux vecteurs sur <strong>la</strong> base canonique, mais ce<strong>la</strong> revientessentiellement au même.97


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?AAOBA'C BA'Figure 5 Figure 6CUn cas particulier de ce lemme est lelemme « de <strong>la</strong> médiane » qui affirme qu’unemédiane partage un triangle en deux trianglesd’aires égales. Ces lemmes résultent parexemple de <strong>la</strong> formule base×hauteur / 2 (cf. [P]<strong>pour</strong> une discussion). Une conséquence <strong>du</strong>lemme des proportions est le « lemme <strong>du</strong> chevron» (<strong>la</strong> figure 6 explique ce nom dans le casoù O est un point intérieur <strong>du</strong> triangle) :Soit ABC un triangle et O un point <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n.Si (OA) coupe (BC) en A’, on a <strong>la</strong> formule :A(OBA)––––––A’B= ––– .A(OCA) A’CCe lemme implique aussitôt le résultat suivant 9 :Si ABC est un triangle, un point O (intérieurau triangle) est sur <strong>la</strong> médiane AA’ si etseulement si on a l’égalité d’aires :(1) A(OAB) = A(OAC).9 Ce résultat peut se démontrer à l’aide <strong>du</strong> seul lemme de<strong>la</strong> médiane et d’un petit raisonnement par l’absurde. C’est d’ailleursun bel exemple où les propriétés (de convexité essentiellement)sont évidentes sur <strong>la</strong> figure, mais pas tout à fait trivialesà prouver.98La formule (1) peut se tra<strong>du</strong>ire en termesde pro<strong>du</strong>it vectoriel grâce à <strong>la</strong> formule :1A(OAB) = – OA ∧ OB .2Plus précisément, on a une variante orientéede (1) : le point O (quelconque) est sur <strong>la</strong>médiane si et seulement si on a :→→→→(2) OA ∧( OB + OC ) = 0 .→→→→(En effet, si on pose OM = OB + OC , <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tionsignifie que O, A et M sont alignés. Or,le quadri<strong>la</strong>tère OBMC est un parallélogramme,de sorte que (OM) passe par le milieu A’de [BC] et on a bien le résultat. 10On peut alors montrer le concours desmédianes, d’abord par <strong>la</strong> voie géométrique. Sion note AA’, BB’, CC’ les médianes et O le point10 On notera que l’égalité d’aires A(OAB) = A(OAC)est équivalenteà OA ∧ ( OB + OC) = 0 ou à OA ∧ ( OB − OC) = 0 . Cettedeuxième égalité correspond au cas où (OA) est parallèle à(BC), cf. le lemme <strong>du</strong> « trapèze » de [P] ou sa variante <strong>du</strong>« papillon ».→


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?d’intersection de (BB’) et (CC’) on a alors, par(1), A(OAB) = A(OBC)et A(OBC) = A(OAC),d’où A(OAB) = A(OAC) et le résultat.Mais cette preuve se lit aussi de manièrealgébrique. En effet, <strong>pour</strong> tout point O <strong>du</strong>p<strong>la</strong>n, on a <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion :→(*) OA ∧( OB + OC ) + OB ∧( OC + OA )→+ OC ∧( OA + OB ) = 0qui tra<strong>du</strong>it <strong>la</strong> bilinéarité et l’antisymétrie <strong>du</strong>pro<strong>du</strong>it vectoriel. Si on prend l’origine O à l’intersectionde deux des médianes, <strong>la</strong> formule (2)montre que deux des pro<strong>du</strong>its vectoriels sontnuls, donc aussi le troisième.Ce qu’il faut retenir de cette façon algébriquede voir les choses c’est que le théorèmecorrespond à <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion (*), d’ailleurs essentiellementtriviale ici, entre les invariants.3.3 Exemple 2 : les hauteursCette fois, le lemme de base est le suivant :Soient ABC un triangle et O un point <strong>du</strong>p<strong>la</strong>n. Alors O est sur <strong>la</strong> hauteur issue de A siet seulement si on a(3) OB.cos( AOB ) = OC.cos( AOC ) .(En effet, cette égalité tra<strong>du</strong>it le fait que lesprojections de B et C sur <strong>la</strong> droite (OA) sontégales, et ceci, quel que soit le cas de figure.)En termes de pro<strong>du</strong>it sca<strong>la</strong>ire, cette re<strong>la</strong>tions’écrit→→^→→→→→→→^→(4) OA . CB = OA .( OB – CB ) = 0 .On peut alors montrer le concours des hauteurs,d’abord en termes de longueurs et (de→→→cosinus) d’angles. On appelle O l’intersectiondes hauteurs issues de B et C. On a donc :OA.cos( AOB ) = OC.cos( BOC )et OA.cos( AOC ) = OB.cos( BOC )dont on dé<strong>du</strong>it aussitôt <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion (3) ci-dessus,donc le fait que O est sur <strong>la</strong> troisième hauteur.Mais cette preuve a sa tra<strong>du</strong>ction algébrique.En effet, on a <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion (essentiellementtriviale là encore)→(**) OB .( OA – OC ) + OC .( OB – OA )+ OA .( OC – OB ) = 0qui tra<strong>du</strong>it <strong>la</strong> bilinéarité et <strong>la</strong> symétrie <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>itsca<strong>la</strong>ire, de sorte que si on prend <strong>pour</strong> originel’intersection de deux des hauteurs elleest aussi sur <strong>la</strong> troisième. Là encore, le théorèmese résume en <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion (**).3.4 Bi<strong>la</strong>n→→^^→→→→^^→→L’intérêt théorique 11 de cette vision algébriquedes invariants réside alors dans les troispoints suivants :1) On peut montrer (cf. par exemple [P])que tout théorème d’une géométrie s’interprètecomme une re<strong>la</strong>tion entre des invariants re<strong>la</strong>tifsà cette géométrie, comme il est apparu dansles exemples ci-desssus ;2) On a une sorte de théorème de complétude<strong>pour</strong> les invariants : on montre que<strong>pour</strong> <strong>la</strong> géométrie euclidienne <strong>du</strong> triangle11 et seulement théorique, car il n’est pas question de fairece type de démonstrations calcu<strong>la</strong>toires (« en tournant <strong>la</strong> manivelle» aurait dit Jean-Jacques Rousseau, cf. ci-dessous §5 a) au collège, ni même, à mon sens, au lycée, mais ellessont importantes <strong>pour</strong> saisir l’importance des invariants.99


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?(resp. <strong>pour</strong> <strong>la</strong> géométrie affine), il n’y a pasd’autres invariants que ceux vus ci-dessus(pro<strong>du</strong>its sca<strong>la</strong>ires et vectoriels) ;3) On a aussi un théorème de complétude<strong>pour</strong> les re<strong>la</strong>tions : là encore on les connaîttoutes, il n’y en a pas (de non triviale) en géométrieaffine et, en géométrie euclidienne,elles se dé<strong>du</strong>isent toutes de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion→ →(***) ( . ) 2 → →OB OC + OA ∧ OB→→2=( OB . OB )( OC . OC ) ,(dite identité de Lagrange) qui n’est autreque <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion cos 2 θ + sin 2 θ = 1 .Ce qu’affirme <strong>la</strong> théorie c’est donc qu’onpeut, en principe, obtenir mécaniquementtous les théorèmes de géométrie à partir deces invariants et de leurs re<strong>la</strong>tions.Par exemple, <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion fondamentale (***)ci-dessus est exactement <strong>la</strong> tra<strong>du</strong>ction analytique,dans le cas <strong>du</strong> triangle O, B, C avecO = (0, 0), de <strong>la</strong> célèbre propriété de <strong>la</strong> droited’Euler : le centre de gravité, le centre <strong>du</strong>cercle circonscrit et l’orthocentre <strong>du</strong> triangleO,B,C sont alignés. De même, le théorème affirmantque le symétrique de l’orthocentre <strong>du</strong> trianglepar rapport à un côté est sur le cerclecirconscrit est lui aussi une tra<strong>du</strong>ction de <strong>la</strong>re<strong>la</strong>tion (***).3.5 Invariants et re<strong>la</strong>tions,encore un exemple.→→Je propose au lecteur un petit détour enmontrant un exemple, peut-être plus convaincantencore que ceux qui portent sur <strong>la</strong> géométrieeuclidienne. Cet exemple est issu de<strong>la</strong> géométrie anal<strong>la</strong>gmatique (celle de l’inversion)qui n’est plus enseignée à l’heure actuelle,encore que ce qui suit <strong>pour</strong>rait aisémentêtre expliqué à un élève de terminale Sd’aujourd’hui.Un invariant de cette géométrie, bienconnu des têtes chenues, est le birapport :c – a d – a c – a d – b[abcd] = –––– : –––– = –––– × –––– .c – b d – b c – b d – aLorsque a, b, c, d sont quatre points distincts^de C = C ∪ {∞}, il est facile de calculer l’argumentde [abcd] en termes d’angles orientésde vecteurs et on en dé<strong>du</strong>it que les points a,b, c, d sont cocycliques ou alignés si et seulementsi leur birapport est réel.Mais, si on a huit points a, b, c, d, p, q,r, s, on a une re<strong>la</strong>tion, évidente mais splendide,entre les birapports (« le théorème dessix birapports ») :(5) [abrs][bcps][caqs][pqcd][qrad][rpbd] = 1.La tra<strong>du</strong>ction géométrique de cette conditionest immédiate : si on a huit points et sicinq des quadruplets ci-dessus sont cocycliquesou alignés, les birapports correspondantssont réels. Mais alors, le sixième birapportest aussi réel et donc les quatre dernierspoints sont aussi cocycliques ou alignés.Cette re<strong>la</strong>tion entre les invariants et sesvariantes sont à <strong>la</strong> source de nombreux théorèmesgéométriques : le théorème de <strong>la</strong> droitede Simson, celui des six cercles de Miquel, etc.(cf. [Audin], exercice V.38) ; citons par exemplele suivant dans lequel on a pris s = ∞ :Soient a,b,c trois points non alignés et p,q, r trois points distincts de a, b, c, situés surles droites (bc), (ca), (ab). Alors les cercles circonscritsaux triangles cpq, brp, aqr ont unpoint commun appelé le « pivot ».100


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?aSoit ABC un triangle. Une droite ∆ couperespectivement (BC), (CA), (AB) en A’, B’, C’.A’B B’C C’AMontrer qu’on a : ––– × ––– × ––– = 1 .A’C B’A C’BqAdrB'bpcC'CFigure 7 7BFigure 8Figure 8A'3.6 Deux exemples encore<strong>pour</strong> conclureComme on l’a vu, ce que dit <strong>la</strong> théorie c’estque les théorèmes d’une géométrie proviennenttoujours de re<strong>la</strong>tions entre invariants re<strong>la</strong>tifsà cette géométrie. La conséquence pratiquede ce fait c’est que <strong>la</strong> constatation empiriqueque les invariants sont efficaces <strong>pour</strong> faire de<strong>la</strong> géométrie est pleinement justifiée par <strong>la</strong> théorie: tout problème de géométrie affine (resp.euclidienne) doit pouvoir se résoudre parusage des aires (resp. des longueurs et desangles). C’est ce qui motive ma position en faveurd’un usage plus systématique des invariantsau collège.Voici encore deux exemples pratiques<strong>pour</strong> achever de convaincre le lecteur de leurefficacité.Le premier, qui utilise les aires, est lecélèbre théorème de Méné<strong>la</strong>üs.En vérité, les rapports ci-dessus peuventêtre vus comme des rapports de mesures algébriques(sur une même droite) et non commedes distances. Ce<strong>la</strong> montre que le problèmeest de nature affine. D’après les principesénoncés ci-dessus, on doit donc pouvoir letraiter au moyen des aires.Pour ce<strong>la</strong>, on interprète les rapports commedes rapports d’aires (grâce au lemme des proportions).Ainsi, on a ––– = –––––– .A’B A(A’BC’)A’C A(A’CC’)On notera qu’on a choisi le triangle A’BC’ caril fait intervenir deux des longueurs en jeu (A’Bet C’B) et on réutilise ce triangle <strong>pour</strong> le troisièmerapport : ––– = –––––– . L’égalité àC’A A(A’AC’)C’B A(A’BC’)B’C A(A’CC’)prouver devient alors ––– = –––––– : c’estB’A A(A’AC’)le lemme <strong>du</strong> chevron !101


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?Le second exemple, très c<strong>la</strong>ssique également,utilise les angles et il est aussi étudiédans [DPR] :Soit ABCD un carré. On construit à l’intérieurde ABCD (resp. à l’extérieur) le triangleéqui<strong>la</strong>téral ABE (resp. BCF). Montrer que lespoints D, E, F sont alignés.DALa solution en termes d’angles est trèssimple : on calcule les angles en E. On a^EFigure 9^^DEA = 75°, AEB = 60°, BEF = 45° et,comme <strong>la</strong> somme vaut 180°, les trois pointsD, E, F sont alignés.Dans <strong>la</strong> pratique, <strong>pour</strong> que l’utilisationdes invariants aire et angle soit efficace ilest nécessaire de disposer d’un petit nombred’<strong>outils</strong>.Pour les aires il s’agit essentiellementdes « lemmes <strong>du</strong> collège », cf. [P] ; <strong>pour</strong> les angles,on peut citer en vrac <strong>la</strong> somme des angles d’untriangle, l’usage <strong>du</strong> complémentaire et <strong>du</strong>supplémentaire, les angles alternes-interneset correspondants, et enfin, le théorème de l’angleinscrit.CBFigure 9F4. LES OUTILS POUR PROUVER :LES CAS D’« ÉGALITÉ »4.1 La réforme desmathématiques modernesParmi les cibles préférées des promoteursde <strong>la</strong> réforme des mathématiquesmodernes on trouve les cas d’égalité et desimilitude des triangles. Voilà, par exemple,ce que dit Dieudonné à ce sujet :... tout s’obtient de <strong>la</strong> façon <strong>la</strong> plus directeen quelques lignes de calculs triviaux, là oùauparavant il fal<strong>la</strong>it ériger au préa<strong>la</strong>bletout un échafaudage complexe et artificiel deconstructions de triangles auxiliaires, afinde se ramener vaille que vaille aux sacro-saints« cas d’égalité » ou « cas de similitude » destriangles ...C’est un des points que je conteste le plus dansle discours de l’époque et dont les conséquencesdemeurent importantes à l’heure actuelle puisqueles cas d’égalité 12 et de similitude ne font plus partiedes <strong>outils</strong> des collégiens. 134.2 Fondements théoriques de l’usagedes cas d’isométrie comme outilUn problème crucial qu’on rencontre lorsqu’ontravaille avec un groupe de transfor-12 Contrairement à certains, cf. [Cuppens], je pense vraiment qu’ilfaut éviter le mot «égalité». Bien sûr, toute re<strong>la</strong>tion d’équivalence estune égalité dans l’ensemble quotient et je n’hésite pas à écrire égalquand je calcule dans Z/nZ ou dans des endroits bien pires encore.Bien sûr, Euclide en faisait bien d’autres puisque l’égalité des trianglespouvait signifier <strong>pour</strong> lui aussi bien l’isométrie que <strong>la</strong> seule égalité desaires. Cependant, si les mathématiciens sont capables de se retrouverdans une telle jungle grâce au contexte, je crois qu’il ne faut pascompliquer inutilement <strong>la</strong> tâche de nos élèves. Dans ce cas il me sembleque ce<strong>la</strong> ne coûte pas très cher de parler de triangles isométriques(ou congruents si l’on préfère).13 Ils ont fait leur réapparition en seconde dans les derniers programmes.Je m’en réjouis dans <strong>la</strong> mesure où ce<strong>la</strong> suscite une réflexion sur lesujet, mais je pense que cette intro<strong>du</strong>ction est trop tardive et les argumentsque je vais donner en leur faveur, tant <strong>du</strong> point de vue de l’efficacitéde l’outil que de l’axiomatique, en témoignent.102


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?mations G d’un ensemble X est de dire si Gest transitif, c’est-à-dire si on peut transformern’importe quel élément de X en n’importequel autre par l’action <strong>du</strong> groupe. 14 Parexemple, dans le p<strong>la</strong>n, le groupe des isométriesopère transitivement sur l’ensemble despoints ou sur celui des demi-droites. Enrevanche, il n’est pas transitif sur l’ensembledes segments, ou sur l’ensemble des couplesde demi-droites de même sommet.Lorsque le groupe n’est pas transitif,l’objectif est de décrire ses orbites, c’est-àdirede donner un critère commode <strong>pour</strong> savoirsi deux éléments peuvent ou non être transportésl’un sur l’autre. Beaucoup d’invariantsgéométriques peuvent s’interpréter en cestermes de description d’orbites, en visant unthéorème <strong>du</strong> genre :Deux éléments de X peuvent être échangéspar l’action de G (i.e. sont dans <strong>la</strong> mêmeorbite) si et seulement si certains de leurs invariantssont les mêmes.Par exemple, deux segments peuventêtre échangés par le groupe des isométries siet seulement si ils ont même longueur. Deuxcouples de demi-droites peuvent être échangéspar le groupe des isométries si et seulementsi ils ont même angle.Or, que font les cas d’isométrie des triangles? Ils décrivent exactement les orbites<strong>du</strong> groupe des isométries dans son action surles triangles en donnant des critères commodesqui permettent d’affirmer l’existenced’une isométrie échangeant deux triangles(avec comme conséquence l’égalité des autreséléments que ceux utilisés) sans être obligé,comme c’est le cas actuellement, d’exhiber14 On se reportera à [DPR], § 8 <strong>pour</strong> quelques illustrationsde l’intérêt de ce type de résultat de transitivité.celle-ci. D’ailleurs leur démonstration est uneparfaite illustration de ce principe de transitivité: on envoie un sommet sur un autre, puisune demi-droite sur une autre, etc. et peuimporte qui est <strong>la</strong> transformation finale. Parodiantle célèbre sketch de Pierre Dac et FrancisB<strong>la</strong>nche on <strong>pour</strong>rait avoir ce dialogue :–– Votre sérénité, pouvez-vous envoyer ce triangleABC sur cet autre triangle A’B’C’ ?–– Oui–– Vous pouvez le faire ?–– Oui–– Il peut le faire !Nous allons donner ci-dessous des exemplesde cette situation en espérant convaincre lelecteur de l’efficacité des cas d’isométrie destriangles, par rapport à l’usage direct destransformations. En vérité, dans le p<strong>la</strong>n,comme on connaît toutes les isométries, ilest souvent assez facile de repérer <strong>la</strong>quelleemployer. En revanche, ce qui est plus délicatc’est de prouver qu’elle fait bien ce qu’onsuppose. On y arrive, mais c’est souvent lourdet, presque toujours, inutile.Le même argument vaut évidemment<strong>pour</strong> les similitudes, avec, dans ce cas, deuxavantages supplémentaires :— il y a un critère (avec deux angles égaux)d’une simplicité enfantine,— on connaît encore toutes les similitudesp<strong>la</strong>nes mais il est nettement plus compliquéque dans le cas des isométries de repérercelle qui va faire le travail.4.3 <strong>Des</strong> exemplesIl y a dans [DPR] de nombreux exemplesde cette utilisation des cas d’isométrie ou desimilitude dans lesquels cette voie est plus simple103


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?que le recours aux transformations. à <strong>la</strong> lumièrede ces exemples, je reprendrais volontiers<strong>la</strong> citation de Dieudonné, en <strong>la</strong> renversant :... tout s’obtient de <strong>la</strong> façon <strong>la</strong> plus directeen utilisant les « cas d’égalité » ou « cas desimilitude » des triangles, là où auparavantil fal<strong>la</strong>it ériger au préa<strong>la</strong>ble tout un échafaudagecomplexe et artificiel de constructions,afin de se ramener vaille que vaille à<strong>la</strong> transformation pertinente ...Voici un exemple que j’emprunte à <strong>la</strong>thèse (en cours) de Sophie Gobert [Gobert] :Soit ABCD un parallélogramme. Onconstruit, à l’extérieur de ABCD les triangleséqui<strong>la</strong>téraux ADP et ABQ. Montrerque PQC est équi<strong>la</strong>téral.Q^égal à celui de QBA . On peut aussi montrerque le triangle AQP est isométrique à l’un quelconquedes précédents (il faut un petit calcul^ ^ ^ ^d’angles <strong>pour</strong> montrer D = A ou D = B ).Bien enten<strong>du</strong>, on peut aussi montrer lerésultat en utilisant les transformations. Il faut,soit montrer que <strong>la</strong> rotation de centre O (le centrede PQC) conserve ce triangle (mais ce<strong>la</strong> nesemble pas évident), soit montrer que <strong>la</strong> rotationde centre Q 16 et d’angle –π/3 transformeC en P. Pour ce<strong>la</strong>, on envoie C en P comme onpeut, c’est-à-dire en passant par D. Autrementdit, on considère <strong>la</strong> composée ƒ = ρτ de <strong>la</strong>rotation de centre A et d’angle –π/3 et de <strong>la</strong>→trans<strong>la</strong>tion de vecteur CD . La transformationƒ est une rotation de –π/3 et on a bienƒ(C) = ρ(D) = P.Il reste à trouver le centre de ƒ . Soit Q’tel que τ(Q) = Q’. Le triangle AQQ’ est équi<strong>la</strong>téral.On a donc ƒ(Q) = ρ(τ(Q))= ρ(Q’) = Qce qui montre que ƒ est de centre Q et que PQCest équi<strong>la</strong>téral.PDAFigure 10Figure 10CBJe considère que cette preuve est doublementplus compliquée que l’autre. En effet,outre qu’il faut parfaitement maîtriser <strong>la</strong>composition des isométries, 17 il faut uneconstruction supplémentaire. Qui par<strong>la</strong>it d’unéchafaudage complexe ?On voit aussitôt que les triangles BQC etDCP sont isométriques 15 ce qui donne CP = CQ.Pour conclure, deux méthodes sont possibles.On peut montrer que l’angle en C de PQC vautπ/3 en notant que son supplémentaire est15 Attention tout de même, il y a deux cas de figure.16 En fait, le plus simple est d’utiliser <strong>la</strong> rotation de 60 degrésde centre P.17 Le fait que <strong>la</strong> composée d’une rotation d’angle θ et d’uneVoici un autre exemple, qui concerne <strong>la</strong>similitude et qui est étudié dans [DPR] :Soit ABC un triangle isocèle en A. Une droitepassant par A coupe le côté [BC] en D ettrans<strong>la</strong>tion soit une autre rotation d’angle θ est trivial si l’ondispose de <strong>la</strong> transformation vectorielle associée à une transformationaffine, ce qui est le cas à l’Université. C’est encoreassez facile en terminale avec <strong>la</strong> décomposition en pro<strong>du</strong>itde réflexions. En revanche, au collège, ce<strong>la</strong> n’est pas <strong>du</strong>tout évident !104


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?le cercle circonscrit en E. Montrer qu’on a :−−AD. AE = AB 2 .B−−^La re<strong>la</strong>tion est immédiate en montrantque les triangles ABD et AEB sont semb<strong>la</strong>bles,(il faut utiliser le théorème de l’angleinscrit). En revanche il n’est pas évidentd’exhiber <strong>la</strong> transformation qui donne lerésultat. Il s’agit en effet de <strong>la</strong> similitudeindirecte, composée de <strong>la</strong> symétrie d’axe <strong>la</strong> bissectricede BAE et de l’homothétie de centreA et de rapport AB/AD, mais <strong>pour</strong> le voir ilfaut construire les points B’ et D’ symétriquesde B et D par rapport à <strong>la</strong> bissectrice et il n’estpas encore évident de montrer que (B’D’) estparallèle à (BE). Echafaudage, vous avez ditéchafaudage ?4.4 Cas d’isométrie et axiomatiqueAIl y a un dernier argument en faveurdes cas d’isométrie, c’est celui des fondementsde notre enseignement de <strong>la</strong> géométrie.En effet, avant <strong>la</strong> réforme des mathématiquesmodernes, le fondement de <strong>la</strong> géomé-DFigure 11ECtrie, plus ou moins implicite, était un systèmed’axiomes inspiré d’Euclide. Dans ce système,on « démontrait » les cas d’égalité par<strong>la</strong> méthode de superposition qui, si elle estconvaincante <strong>pour</strong> l’intuition, n’était pasvraiment rigoureuse sur le p<strong>la</strong>n mathématique.On sait, depuis Hilbert, qu’il faut au moinsmettre le « premier cas d’égalité » dans lesaxiomes. Mais, une fois qu’on disposait descas d’égalité, <strong>la</strong> suite pouvait être alors parfaitementjustifiée.La perspective des réformateurs desannées 60-70 était c<strong>la</strong>irement de substituerà ce système d’axiomes celui issu de l’algèbrelinéaire. Choquet parle d’une « route royale »et Dieudonné dit :Il me semble qu’il y a intérêt à familiariserle débutant le plus tôt possible avec lesnotions essentielles de cette discipline (l’algèbrelinéaire), à lui apprendre à « penser linéairement» ...Cette doctrine a d’ailleurs été mise en œuvreau lycée, au début des années 70 avec le succèsque l’on sait.Dans <strong>la</strong> période suivante on a renoncé àcette idée <strong>du</strong> tout linéaire et proposé unesorte de système intermédiaire, fondé surl’intro<strong>du</strong>ction progressive des transformations,mais <strong>la</strong> base théorique n’en était pas toujourstrès c<strong>la</strong>ire (il y a bien eu des tentativesintéressantes de ce point de vue, dont celled’Annie Cousin-Fauconnet [Cousin-Fauconnet],mais elles étaient assez peu connues, mêmeen formation des maîtres).Tout bien pesé, mon sentiment est que finalement,<strong>pour</strong> les élèves de collège, c’est encoreEuclide, convenablement adapté, qui est leplus simple !105


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?5. LES AUTRES OUTILS POURPROUVER : LE CALCUL,LES TRANSFORMATIONS.5.1 Le calcul.Je voudrais dire ici que le calcul aussi estun outil important <strong>pour</strong> faire de <strong>la</strong> géométrie.à un stade plus avancé, il n’y a d’ailleurs pasde géométrie qui ne soit liée au calcul. Parexemple, on ne comprend <strong>la</strong> solution négativedes problèmes des grecs (<strong>du</strong>plication <strong>du</strong> cube,quadrature <strong>du</strong> cercle, etc.) qu’en tra<strong>du</strong>isantles propriétés géométriques en propriétés desnombres. Voici ce que dit <strong>Des</strong>cartes à ce sujetdans un texte magnifique (cf. [<strong>Des</strong>cartes]) :Tous les problèmes de géométrie se peuventfacilement ré<strong>du</strong>ire à tels termes, qu’iln’est besoin par après que de connoître <strong>la</strong> longueurde quelques lignes droites <strong>pour</strong> lesconstruire. Et comme toute l’arithmétique n’estcomposée que de quatre ou cinq opérations,qui sont l’addition, <strong>la</strong> soustraction, <strong>la</strong> multiplication,<strong>la</strong> division et l’extraction desracines, qu’on peut prendre <strong>pour</strong> une espècede division, ainsi n’a-t’on autre chose àfaire en géométrie touchant les lignes qu’oncherche <strong>pour</strong> les préparer à être connues, quede leur en ajouter d’autres, ou en ôter ; oubien en ayant une, que je nommerai l’unité<strong>pour</strong> <strong>la</strong> rapporter d’autant mieux auxnombres, et qui peut ordinairement êtreprise à discrétion, puis en ayant encore deuxautres, en trouver une quatrième qui soit àl’une de ces deux comme l’autre est à l’unité,ce qui est le même que <strong>la</strong> multiplication ; oubien en trouver une quatrième qui soit àl’une des deux comme l’unité est à l’autre, cequi est le même que <strong>la</strong> division ; ou enfin trouverune ou deux, ou plusieurs moyennesproportionnelles entre l’unité et quelqueautre ligne, ce qui est le même que tirer <strong>la</strong>racine carrée ou cubique, etc. Et je ne craindraipas d’intro<strong>du</strong>ire ces termes d’arithmétiqueen <strong>la</strong> géométrie, afin de me rendreplus intelligible.De même, le problème, anodin en apparence,de savoir combien de coniques <strong>du</strong> p<strong>la</strong>nsont tangentes à cinq coniques données 18 relèvetypiquement de ce qu’on appelle <strong>la</strong> géométriealgébrique, qui, comme son nom l’indique,instaure un dialogue profond et difficile entrecalcul et géométrie.A un niveau plus élémentaire il ne s’agitpas de calculer au lieu de faire de <strong>la</strong> géométrie,mais de calculer en faisant de <strong>la</strong> géométrie.La citation suivante de Jean-JacquesRousseau (dans Les confessions) illustre bience point :Je n’ai jamais été assez loin <strong>pour</strong> bien sentirl’application de l’algèbre à <strong>la</strong> géométrie.Je n’aimais pas cette manière d’opérer sansvoir ce qu’on fait, et il me semb<strong>la</strong>it querésoudre un problème de géométrie par leséquations, c’était jouer un air en tournantune manivelle. La première fois que je trouvaipar le calcul que le carré d’un binôme étaitcomposé <strong>du</strong> carré de chacune de ses parties,et <strong>du</strong> double pro<strong>du</strong>it de l’une par l’autre, malgré<strong>la</strong> justesse de ma multiplication, je n’envoulus rien croire jusqu’à ce que j’eusse fait<strong>la</strong> figure. Ce n’était pas que je n’eusse un grandgoût <strong>pour</strong> l’algèbre en n’y considérant que<strong>la</strong> quantité abstraite ; mais appliquée àl’éten<strong>du</strong>e, je vou<strong>la</strong>is voir l’opération sur leslignes ; autrement je n’y comprenais plus rien.Je trouve que ce défaut de faire de <strong>la</strong>géométrie « en tournant une manivelle » est18 <strong>la</strong> réponse est 3264 si l’on travaille dans le p<strong>la</strong>n projectifcomplexe !106


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?assez répan<strong>du</strong>, notamment parmi les étudiantsde CAPES avec qui je dois souventlutter <strong>pour</strong> qu’ils ne déroulent pas un calculvectoriel à grands coups de re<strong>la</strong>tions deChasles, hors de toute intuition géométrique.En revanche, l’apport <strong>du</strong> calcul, lorsqu’ilest lié à <strong>la</strong> géométrie, est souvent décisif, cf.par exemple [DPR], § 4.5.2 Les transformationsLes arguments des paragraphes précédentsme con<strong>du</strong>isent à critiquer un usage trop exclusifde l’outil « transformations » au collège. Eneffet, ce choix présente au moins deux défautsessentiels : il appauvrit et il complique.— Il appauvritLes transformations ne constituent un outilréellement efficace que lorsqu’on dispose detoute <strong>la</strong> panoplie des isométries, voire dessimilitudes p<strong>la</strong>nes. Ce<strong>la</strong> con<strong>du</strong>it, en attendant,à n’utiliser que <strong>la</strong> transformation qui relève<strong>du</strong> programme de <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse considérée (et,dans le meilleur des cas, de celui des c<strong>la</strong>ssesprécédentes), ce qui appauvrit beaucoup lesproblèmes que l’on peut poser. Ce défaut decomplexité con<strong>du</strong>it, de plus, à un autre effetpervers, qui est d’insister sur l’aspect formeldes démonstrations dont j’ai déjà dit qu’iln’est pas l’essentiel. Les invariants et les casd’isométrie, en revanche, sont des <strong>outils</strong> qui,dès qu’on en dispose, permettent de faire à peuprès toute <strong>la</strong> géométrie <strong>du</strong> collège et de poserdès le début des problèmes où une vraieréflexion, appuyée sur <strong>la</strong> figure, est possible.— Il compliqueComme on l’a vu ci-dessus, il y a denombreux cas où l’usage des transformations,en lieu et p<strong>la</strong>ce des cas d’isométrie,con<strong>du</strong>it, au niveau <strong>du</strong> collège, à des contorsionspénibles, notamment lorsqu’il fautcalculer explicitement des composées detransformations, au lieu d’utiliser <strong>la</strong> transitivité.Une conséquence inéluctable decette complication est <strong>la</strong> suivante : <strong>pour</strong> queles élèves puissent résoudre les problèmeson est obligé de leur donner beaucoup d’indications,de sorte que les tâches qui leur restentsont trop parcel<strong>la</strong>ires et ne donnentpas lieu à une véritable recherche. Commeles élèves n’ont plus vraiment à trouverquelque chose, ce qu’on leur demande est doncplutôt de l’ordre de <strong>la</strong> mise en forme et ce<strong>la</strong>ne fait que renforcer le défaut que je signa<strong>la</strong>isplus haut : <strong>la</strong> démonstration ré<strong>du</strong>ite àun exercice de style.Attention, même si j’ai essayé de vousconvaincre que les transformations ne sontpas toujours le meilleur outil <strong>pour</strong> faire de<strong>la</strong> géométrie, notamment au collège, ilconvient de se garder de retomber dans letravers que dénonçait Choquet en 1961 (cf.[Choquet]) :On rencontre fréquemment <strong>la</strong> situation paradoxalesuivante : le professeur étudie avecses élèves une figure dotée d’un axe de symétrieévident ; <strong>pour</strong> établir l’égalité de deuxsegments, <strong>la</strong> tendance naturelle de l’élève estd’utiliser cette symétrie ; son professeur le luiinterdit, au profit d’un cas d’égalité de triangles.Ne parlons pas de <strong>la</strong> faute pédagogiqueainsi commise ; mais, d’une part, leprofesseur oublie que sa démonstration descas d’égalité était basée implicitement sur <strong>la</strong>symétrie ; d’autre part, il présente les mathématiquescomme un jeu vain, dans lequel despropriétés évidentes doivent être démontréesà partir d’autres propriétés qui le sontbeaucoup moins.107


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?Les arguments contenus dans ce texte,qui sont tout à fait recevables et expliquenten partie <strong>la</strong> position prise à l’époque, doiventnous guider <strong>pour</strong> trouver une voie médianeentre le « tout transformation » et le « toutcas d’égalité ».Voici d’ailleurs un exemple, emprunté à[DPR] § 7 où les transformations sont l’outille mieux adapté :Construire un carré ABCD dont le centreO est donné et tel que les points A et B soientrespectivement sur deux droites donnéesƒ A et ƒ B .Dans ce cas, <strong>la</strong> considération de <strong>la</strong> rotationde centre O et d’angle –π/2 est décisive,cf. figure 12 <strong>pour</strong> le cas indirect.Pour conclure sur ce point, je retiendraisvolontiers le principe suivant : il est natureld’utiliser les transformations quand elles sontévidentes (c’est-à-dire quand on les voit !).Sinon, si on ne les aperçoit pas, ou si on nesait pas montrer que leur effet est bien celui108BH'ρ(∆ Α )Figure 1212∆ ΒHOA∆ Αqu’on pense (et ce<strong>la</strong> peut dépendre des aptitudeset des connaissances de chacun), plutôtque d’essayer à toute force de les faireapparaître, il est toujours possible et souventplus simple d’utiliser les invariants et les casd’isométrie.6 CONCLUSION.6.1 <strong>Des</strong> propositionsEn ce qui concerne <strong>la</strong> géométrie <strong>du</strong> collège,les deux orientations que j’ai envie de proposersont les suivantes :— une plus grande utilisation des invariants,notamment aires et angles,— <strong>la</strong> réintro<strong>du</strong>ction des cas d’isométrie aucollège.Le premier point ne représente pas un changementconsidérable. C’est plus un changementd’état d’esprit qu’autre chose. Le second point estplus conséquent et, avant de passer à sa réalisation,il y a tout un travail préa<strong>la</strong>ble à faire :— Il faut mener une réflexion (collective) sur<strong>la</strong> cohérence générale des programmes etl’ordre dans lequel les notions doivent être intro<strong>du</strong>ites,sur l’axiomatique (en un sens assez <strong>la</strong>rge)qui est sous-jacente et sur les conséquencesdidactiques de tels choix et faire des propositionsen ce sens (cf. par exemple [Bkouche2000]). Il y a beaucoup de questions dont <strong>la</strong>réponse n’est pas évidente : quel équilibretransformations-cas d’isométrie ? quand intro<strong>du</strong>ireces notions ? 19— Un grand effort est nécessaire <strong>pour</strong>convaincre les maîtres de l’intérêt de cette évolutionet de ce qu’elle peut leur apporter, en19 Une façon de faire, pas trop brutale, consisterait à partir<strong>du</strong> libellé des actuels programmes qui demandent : Construireun triangle connaissant <strong>la</strong> longueur d’un côté et les deuxangles qui lui sont adjacents, etc. En effet, cette constructions’appuie implicitement sur les cas d’isométrie. Il ne seraitpas très difficile de justifier alors les conséquences de ce qu’onvient de faire, c’est-à-dire l’égalité des autres éléments.


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?tenant compte de l’expérience qu’ils ont accumuléeau cours des années sur les transformations.C’est ce que j’essaie de faire ici. Maisje sais que ce n’est pas facile. Le proverbe russequi dit : le plus court chemin est celui que tuconnais est va<strong>la</strong>ble <strong>pour</strong> chacun de nous.— Un effort important de formation initiale etcontinue est indispensable car, à l’exception desanciens qui ont été formés aux cas d’égalité(mais qui, d’abord, ont oublié ces techniquesqu’ils n’ont pas ou peu enseignées et qui, ensuite,vont bientôt partir à <strong>la</strong> retraite !), les autresn’en ont pratiquement jamais enten<strong>du</strong> parler. Jereviens sur ce point au paragraphe suivant.6.2 La formation des maîtresen géométrieIl est c<strong>la</strong>ir que <strong>la</strong> formation des maîtres, àl’heure actuelle, présente de graves insuffisancesen ce qui concerne <strong>la</strong> géométrie. Ce<strong>la</strong> estdû notamment au fait que les cursus actuels deDEUG et de licence contiennent, en général, trèspeu de géométrie. Je recense ici quelques thèmessur lesquels <strong>la</strong> formation devrait, à mon avis,être complétée (ce<strong>la</strong> <strong>pour</strong>rait être en licence, voireen maîtrise, afin que tout ne repose pas sur l’annéede préparation au CAPES).— L’axiomatique : il faudrait montrer (brièvement)aux futurs professeurs, à côté de <strong>la</strong>présentation par les espaces affines et vectoriels(essentiellement inutile <strong>pour</strong> enseignerau collège 20 ), un système cohérent d’axiomes<strong>du</strong> style Euclide-Hilbert, en explicitant aumoins les axiomes d’incidence élémentaires,les axiomes de congruence (le premier casd’égalité), le postu<strong>la</strong>t des parallèles et enfinles axiomes des aires. Il y a maintenant desréférences abordables, cf. [Arsac], [Hartshorne],[Lion]. Un complément importantde cette étude devrait être de montrer quelques20 Comme le dit G. Arsac (cf. [Arsac]) : un enseignant estaussi bien armé avec cette axiomatique qu’une poule avecun couteau <strong>pour</strong> résoudre les problèmes de l’enseignementde <strong>la</strong> géométrie.rudiments d’une géométrie non euclidienne (parexemple <strong>la</strong> géométrie <strong>du</strong> demi-p<strong>la</strong>n de Poincaré,voir le livre de G. Lion [Lion]).— Parmi les points qui devraient être approfondisfigure certainement <strong>la</strong> notion d’angle,ou plutôt les notions d’angles (orientés ounon, de demi-droites, de droites, etc.), avecnotamment le théorème de l’angle inscrit etses applications.— Il y a un travail important à faire sur <strong>la</strong> figure,afin de donner aux futurs professeurs les moyensde maîtriser les difficultés qui s’y rapportent.— Un autre point noir de notre enseignementuniversitaire concerne les notions de mesuredes longueurs, des aires et des volumes. C’estun point qu’il faut corriger <strong>pour</strong> permettre auxfuturs professeurs d’être au c<strong>la</strong>ir sur <strong>la</strong> mesuredes angles, ou encore sur <strong>la</strong> limite de sinx/xen 0, ou enfin sur l’existence des primitives.— Enfin, <strong>la</strong> géométrie dans l’espace est unpoint essentiel et redouté des candidats auCAPES. Il devrait y avoir en licence ou en maîtriseun moment <strong>pour</strong> étudier les polyèdres,<strong>la</strong> formule d’Euler, les polyèdres réguliers, etc.J’ai prononcé ici, à plusieurs reprises, lemot maîtrise. Je pense en effet que vouloir formeren trois ans (plus l’année de CAPES) desprofesseurs qui dominent à <strong>la</strong> fois, <strong>la</strong> géométrie,l’algèbre, l’arithmétique, l’analyse, lesstatistiques et les probabilités, qui aient desconnaissances solides dans les disciplines voisines(<strong>pour</strong> les TPE), qui soient aussi formésen informatique, que sais-je encore, c’est <strong>la</strong> quadrature<strong>du</strong> cercle, et ce d’autant plus qu’il vafalloir former beaucoup de professeurs dans lesannées qui viennent. Je suis donc un partisanrésolu de l’allongement d’un an des études<strong>pour</strong> les futurs professeurs de mathématiques21 , mais ceci est une autre histoire ...21 et je le dis chaque fois que j’en ai l’occasion. Après tout,à force de répéter « il faut détruire Carthage », elle a fini parêtre détruite !109


REPERES - IREM. N° 53 - octobre 2003QUELS OUTILS POUR LAGEOMETRIE A L’AGE DU COLLEGE ?7 RÉFÉRENCES[Arsac] Arsac G., L’axiomatique de Hilbert et l’enseignement de <strong>la</strong> géométrieau collège et au lycée, Aléas, IREM de Lyon, 1998.[Audin] Audin M., Géométrie, Belin, 1998.[Bkouche 1997] Bkouche R., Quelques remarques à propos de l’enseignementde <strong>la</strong> géométrie, Repères IREM 26, 1997.[Bkouche 2000] Bkouche R., Quelques remarques autour des cas d’égalité destriangles, Bull. APMEP 430, septembre 2000.[Choquet] Choquet G., Recherche d’une axiomatique commode <strong>pour</strong> le premierenseignement de <strong>la</strong> géométrie élémentaire, Brochure APM numéro 3, 1961.[Cousin-Fauconnet] Cousin-Fauconnet A., Enseigner <strong>la</strong> géométrie au collège,A. Colin, 1995.[Cuppens] Cuppens R., Enseigner <strong>la</strong> géométrie avec un ordinateur ?, Bull. APMEP431, novembre 2000.[<strong>Des</strong>cartes] <strong>Des</strong>cartes R., La géométrie, nouvelle édition, Hermann, 1886.[Dieudonné] Dieudonné J., Algèbre linéaire et géométrie élémentaire, Hermann,1968.[Duperret & Perrin & Richeton] = [DPR] Duperret J.-C., Perrin D., RichetonJ.-P., Une illustration <strong>du</strong> rapport sur <strong>la</strong> géométrie de <strong>la</strong> commissionKahane : analyse de quelques exercices de géométrie, à paraître au Bulletinde l’APMEP.[Ermel] ERMEL, Vrai ? Faux ? On en débat ! De l’argumentation vers <strong>la</strong> preuveen mathématiques au cycle 3, INRP, 1999.[Gobert] Gobert S., Questions de didactique liées au rapport entre <strong>la</strong> géométrieet l’espace sensible, dans le cadre de l’enseignement à l’école élémentaire,Thèse, Université Paris 7, 2001.[Hartshorne] Hartshorne R., Geometry : Euclide and beyond, Undergra<strong>du</strong>ateTexts in Mathematics, Springer, 2000.[Lion] Lion G., Géométrie <strong>du</strong> p<strong>la</strong>n, Vuibert, 2001.[Perrin] = [P] Perrin D., Une illustration <strong>du</strong> rapport sur <strong>la</strong> géométrie de <strong>la</strong>commission Kahane : l’exemple de <strong>la</strong> géométrie affine <strong>du</strong> collège, Bull. APMEP431, novembre 2000.[Rapport] = [R] Rapport d’étape de <strong>la</strong> commission de réflexion sur l’enseignementdes mathématiques, Bull. APMEP 430, septembre 2000. Ce rapport est maintenantpublié sous le titre :L’enseignement des sciences mathématiques, Rapport au ministre de l’é<strong>du</strong>cationnationale, sous <strong>la</strong> direction de Jean-Pierre Kahane, Odile Jacob, 2002.Ce texte a été publié dans les Actes <strong>du</strong> Colloque Inter-Irem Premier Cycle(Juin 2001 - La Grande Motte) « Quelles géométries au collège ? Geste physique,geste virtuel, geste mental » (Edition Irem de Montpellier 2003).110

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