13.07.2015 Views

Les architectes de la fleur : variations sur un thème imposé

Les architectes de la fleur : variations sur un thème imposé

Les architectes de la fleur : variations sur un thème imposé

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>Les</strong> <strong>architectes</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong> :<strong>variations</strong> <strong>sur</strong> <strong>un</strong> thème imposéMarianne De<strong>la</strong>rue, maître assistante, Université Paris Sud, IBPRésuméDans son essai <strong>sur</strong> les métamorphoses, le poèteallemand Goethe défendit l’idée selon <strong>la</strong>quelle lespièces florales sont <strong>de</strong>s feuilles transformées. Deuxsiècles plus tard, les apports <strong>de</strong> <strong>la</strong> génétique molécu<strong>la</strong>ireconfirment que le poète était visionnaire.L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mutants floraux a permis d’éluci<strong>de</strong>r lefonctionnement d’<strong>un</strong> réseau <strong>de</strong> gènes <strong>architectes</strong>,dont l’action combinée orchestre les <strong>de</strong>stinées cellu<strong>la</strong>ireslors <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong>. <strong>Les</strong> donnéesexponentielles <strong>de</strong> séquençage <strong>de</strong>s génomes ontpermis <strong>de</strong> démontrer que, malgré l’extraordinairefoisonnement <strong>de</strong>s formes florales, ce mécanismeest conservé chez <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s angiospermes. Ausein <strong>de</strong> cette diversité, <strong>la</strong> zygomorphie (ou symétriebi<strong>la</strong>térale) est considérée comme <strong>un</strong>e innovationclé dont les bases molécu<strong>la</strong>ires commencent égalementà être décryptées.à <strong>de</strong>s mutants dont les <strong>fleur</strong>s présentent <strong>de</strong>s défautsd’i<strong>de</strong>ntité, comme <strong>de</strong>s étamines remp<strong>la</strong>cées par <strong>de</strong>spétales et <strong>de</strong>s carpelles par <strong>de</strong>s sépales. Ces modifications,où <strong>un</strong> type d’organe est remp<strong>la</strong>cé par <strong>un</strong> autre,sont appelées conversions homéotiques, telles quecelles affectant l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> <strong>la</strong> drosophile.L’interprétation du phénotype <strong>de</strong> toute <strong>un</strong>e série<strong>de</strong> ces mutants, chez les p<strong>la</strong>ntes modèles Arabidopsisthaliana (l’arabette <strong>de</strong>s dames) et Antirrhinum majus(le muflier), a permis d’i<strong>de</strong>ntifier et <strong>de</strong> comprendre lemo<strong>de</strong> d’action d’acteurs molécu<strong>la</strong>ires responsables <strong>de</strong>l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s organes floraux (Cohen & Meyerowitz ;1991).Trois catégories <strong>de</strong> mutants d’A. thaliana sont remarquables:Maintenant que <strong>de</strong>s acteurs majeurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction<strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s ont été découverts, <strong>un</strong> <strong>de</strong>s défisactuels est d’essayer d’intégrer et <strong>de</strong> modéliser leurfonctionnement pour comprendre l’évolution et les<strong>variations</strong> <strong>de</strong> l’architecture <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s.Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s se distingue par son extraordinairevariété d’architectures, <strong>de</strong> formes, <strong>de</strong> couleursou encore <strong>de</strong> parfums. Mais, malgré cette apparentediversité, <strong>la</strong> structure et l’organisation <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s sonttrès bien conservées au sein <strong>de</strong>s angiospermes.Chaque <strong>fleur</strong> est constituée, <strong>de</strong> l’intérieur vers l’extérieur,<strong>de</strong>s organes reproducteurs femelles puis mâlessuivis du périanthe, formé d’organes stériles. La majorité<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes à <strong>fleur</strong>s présente <strong>un</strong> périanthe bipartitecomprenant <strong>de</strong>ux types d’organes : les pétales puis lessépales. Chaque type d’organe, inséré au même niveau<strong>sur</strong> <strong>un</strong> axe, s’organise en <strong>un</strong>e couronne nommée verticille.Au cours <strong>de</strong> l’organogenèse florale, le méristèmefloral met en p<strong>la</strong>ce, <strong>de</strong> façon séquentielle, les primordiums<strong>de</strong>s sépales (S), <strong>de</strong>s pétales (P), <strong>de</strong>s étamines (E)et ensuite <strong>de</strong>s carpelles (C). La propriété histogène <strong>de</strong>l’apex caulinaire cesse après <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s primordiums<strong>de</strong> carpelles.Le déterminisme génétique <strong>de</strong> <strong>la</strong> structure <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong>a pu être élucidé grâce aux travaux d’E. Cohen et E.Meyerowitz qui, dans les années 1990, se sont intéressésLe modèle ABCE (d’après Causier et Coll 2010)• Le mutant apeta<strong>la</strong>1 (ap1) ne possè<strong>de</strong> ni pétale, nisépale ; ils sont respectivement remp<strong>la</strong>cés par <strong>de</strong>s carpelleset <strong>de</strong>s étamines (structure <strong>de</strong> type C-E-E-C).• <strong>Les</strong> mutants apeta<strong>la</strong>3 (ap3) ou pistil<strong>la</strong>ta (pi) ne possè<strong>de</strong>ntni pétale, ni étamine, et l’on observe <strong>un</strong>e structureen verticille <strong>de</strong> type S-S-C-C.• Le mutant agamous (ag) présente <strong>un</strong>iquement <strong>de</strong>spièces stériles : <strong>la</strong> structure est <strong>de</strong> type S-P-P-S.15


16Ainsi, dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième catégorie <strong>de</strong> mutant, il semblequ’<strong>un</strong>e fonction ait disparu au niveau <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux verticillescentraux, fonction qui permet en temps normal<strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s pétales et <strong>de</strong>s étamines. Il s’agitbien d’<strong>un</strong>e conversion homéotique puisque auc<strong>un</strong>organe n’a disparu mais seule leur i<strong>de</strong>ntité a été modifiée.Par ailleurs, les mutants <strong>de</strong>s première et troisièmecatégories sont symétriques et complémentaires, cequi a suggéré l’action <strong>de</strong> facteurs dont les fonctionssont antagonistes.Ces observations ont conduit à l’é<strong>la</strong>boration d’<strong>un</strong>modèle impliquant l’action <strong>de</strong> 3 c<strong>la</strong>sses <strong>de</strong> gènes,nommées A, B et C, qui agissent <strong>de</strong> façon combinéeavec <strong>de</strong>s fonctions distinctes au cours du développementfloral. Leur mo<strong>de</strong> d’action est représenté <strong>sur</strong> <strong>la</strong>figure 1. L’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s sépales est définie par l’action<strong>de</strong>s gènes <strong>de</strong> catégorie A, celle <strong>de</strong>s pétales nécessitel’action combinée <strong>de</strong>s gènes A et B, celle <strong>de</strong>s étaminesdépend <strong>de</strong> l’action conjointe <strong>de</strong>s gènes B et C et enfin,l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s carpelles dépend <strong>de</strong> l’action <strong>de</strong>s gènes <strong>de</strong><strong>la</strong> catégorie C.Grâce à <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s récentes, <strong>la</strong> représentation du réseaud’interactions <strong>de</strong> ces facteurs et <strong>de</strong> leur mo<strong>de</strong> d’actionséquentielle, dans le temps, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s<strong>fleur</strong>s, commence à être ébauchée. La transition floraleimplique <strong>la</strong> transformation d’<strong>un</strong> méristème végétatifindéterminé, capable en théorie <strong>de</strong> produire <strong>un</strong>e infinité<strong>de</strong> feuilles et d’entre-nœuds, en méristème floraldéterminé où <strong>la</strong> croissance <strong>de</strong> l’axe s’achève lorsque<strong>la</strong> <strong>fleur</strong> est construite. Lors <strong>de</strong> cette transition, <strong>un</strong> <strong>de</strong>spremiers événements est <strong>la</strong> synthèse du facteur AP1(produit du gène APETALA1 ou AP1) grâce à l’actiondirecte du facteur FT considéré comme <strong>un</strong> florigène,<strong>de</strong> façon à initier <strong>la</strong> construction <strong>de</strong>s sépales. Demême, on sait que l’action antagoniste <strong>de</strong> AP1 et <strong>de</strong>AG (produit du gène AGAMOUS ou AG) est due à <strong>un</strong>efixation directe <strong>de</strong> <strong>la</strong> protéine AG <strong>sur</strong> le gène AP1 afin<strong>de</strong> réprimer son expression. Dès les premiers sta<strong>de</strong>s <strong>de</strong>l’ontogenèse florale, l’expression <strong>de</strong> AP1 est donc inhibéedans le centre du méristème floral afin qu’y soientconstruits <strong>un</strong>iquement les organes reproducteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong><strong>fleur</strong> (Posé et coll. ; 2012).<strong>Les</strong> approches <strong>de</strong> génétique molécu<strong>la</strong>ire ont ainsipermis d’é<strong>la</strong>borer <strong>un</strong> modèle simple et élégant afind’expliquer comment l’action combinée <strong>de</strong> quelquesgènes permet <strong>de</strong> construire <strong>un</strong>e <strong>fleur</strong> parfaite. Et effectivement,les mutations simultanées <strong>de</strong> gènes <strong>de</strong>s troisc<strong>la</strong>sses conduisent logiquement à <strong>la</strong> formation d’<strong>un</strong>estructure à 4 verticilles mais où chaque type d’organeest remp<strong>la</strong>cé par <strong>de</strong>s feuilles. Ce résultat confirme <strong>la</strong>théorie du naturaliste allemand Goethe, exposée il y a<strong>de</strong>ux cents ans dans son ouvrage <strong>sur</strong> <strong>la</strong> métamorphose<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntes, selon <strong>la</strong>quelle les organes floraux sont<strong>de</strong>s feuilles transformées ayant <strong>un</strong>e même origine <strong>de</strong>développement.Toujours selon ce modèle, <strong>un</strong>e expression ectopique<strong>de</strong> ces gènes au sein <strong>de</strong> tissus végétatifs <strong>de</strong>vrait enthéorie résulter en <strong>la</strong> formation d’<strong>un</strong>e structure florale.Malheureusement, <strong>la</strong> co-expression <strong>de</strong> gènes<strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse A et B s’est avérée incapable <strong>de</strong> modifierl’i<strong>de</strong>ntité d’organes végétatifs. Donc si les gènes ABCsont nécessaires pour <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong>, ils nesont pas suffisants : il est indispensable qu’<strong>un</strong> contexte« floral » soit préétabli pour qu’ils puissent être efficaces.C’est dans les années 2000 que le modèle ABCa pu être complété avec l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s protéinesSEPALLATA (SEP) dont <strong>la</strong> présence dans l’ensemble<strong>de</strong>s verticilles est nécessaire pour construire lesorganes floraux. Il fallut donc ajouter au modèle ABCles gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse E dont l’activité combinée permet<strong>de</strong> déterminer l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s organes floraux (l’activitéD joue <strong>un</strong> rôle dans <strong>la</strong> formation <strong>de</strong>s ovules et elle nesera pas traitée ici). Au p<strong>la</strong>n molécu<strong>la</strong>ire, l’association<strong>de</strong> 4 protéines <strong>de</strong> type SEP, selon les différentescombinaisons possibles au sein <strong>de</strong> complexes appeléstétramères, va contrôler le <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> chaque verticille.Ce modèle est représenté <strong>sur</strong> <strong>la</strong> Figure 1. Logiquementl’expression ectopique 1 <strong>de</strong> ces activités dans <strong>un</strong>e feuillesuffit pour transformer <strong>un</strong>e feuille en pétale ou en étamine(Honma & Goto ; 2001).Chez toutes les angiospermes pour lesquelles <strong>la</strong> présence<strong>de</strong>s gènes ABC a été recherchée, cette catégorie<strong>de</strong> gènes a été détectée et lorsqu’elles étaient techniquementpossibles, les analyses fonctionnelles ontrévélé <strong>un</strong>e assez bonne conservation <strong>de</strong> leur action aucours <strong>de</strong> l’ontogenèse florale. Il existe toutefois certaines<strong>variations</strong>, à l’image <strong>de</strong> <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s,dues essentiellement à <strong>de</strong>s événements <strong>de</strong> duplicationsou <strong>de</strong> modifications <strong>de</strong>s domaines d’expression <strong>de</strong>sgènes. Notamment, on assiste aujourd’hui à <strong>un</strong> débat<strong>sur</strong> <strong>la</strong> conservation <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction <strong>de</strong> type A. En effet,le rôle <strong>de</strong> répression <strong>de</strong>s gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse C par AP1observé chez A. thaliana ne semble pas être conservéchez d’autres espèces, et notamment chez A. majusoù, chez <strong>un</strong> mutant dans <strong>un</strong> gène homologue à AP1(le gène SQUAMOSA), les <strong>fleur</strong>s se développent enaxes inflorescentiels. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’<strong>un</strong>econversion homéotique mais d’<strong>un</strong>e véritable modificationdu fonctionnement méristématique. De mêmechez certains mutants ap1 et ap2 d’A. thaliana, <strong>un</strong>econversion <strong>de</strong>s sépales en feuilles ou en bractées peutêtre obtenue. Ces observations étayent l’hypothèseque les gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction A pourraient être dédiés àl’i<strong>de</strong>ntité du méristème floral en lui-même plutôt qu’à<strong>la</strong> formation spécifique du périanthe. D’autant plus quechez A. thaliana, pléthore <strong>de</strong> facteurs, appartenantà <strong>de</strong>s familles biochimiques totalement différentesd’AP1, ont été i<strong>de</strong>ntifiés comme réprimant l’actiond’AG et qui donc pourraient contribuer à <strong>la</strong> fonctionA. Ces facteurs sont peu conservés et parfois mêmeabsents chez certaines espèces. Ainsi, l’idée actuelleest que <strong>la</strong> fonction initialement dénommée <strong>de</strong> type A1Ectopique signifie que par manipu<strong>la</strong>tions molécu<strong>la</strong>ires, on oblige <strong>la</strong> synthèse d’<strong>un</strong>e protéine dans <strong>un</strong> organe, <strong>un</strong> tissu ou bien à <strong>un</strong>eétape <strong>de</strong> développement inhabituelle.


dans le modèle d’E. Cohen et E. Meyerovitz, serait<strong>un</strong>iquement <strong>de</strong> spécifier l’i<strong>de</strong>ntité du méristème floralet <strong>de</strong> réprimer l’action <strong>de</strong>s gènes C dans les verticillesexternes, sans avoir <strong>de</strong> réelle fonction homéotique.Certains n’hésitent pas à proposer <strong>un</strong> modèle revisité<strong>de</strong> type (A)BCE (Heijmans et coll. ; 2012).En revanche, il est prouvé que les gènes <strong>de</strong>s c<strong>la</strong>ssesB et C sont extrêmement bien conservés comme l’illustrentcertains travaux remarquables <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ntesnon modèles. Par exemple, chez les angiospermes lesplus primitives, comme les nénuphars (nymphéacées),les gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse B possè<strong>de</strong>nt <strong>un</strong> profil d’expressionplus <strong>la</strong>rge s’étendant dans le premier verticille, cequi explique l’existence <strong>de</strong> tépales, organes hybri<strong>de</strong>s etsimi<strong>la</strong>ires dans les verticilles 1 et 2. Un autre exempleconcerne <strong>la</strong> monocotylédone Lacandomia schismatica: il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> seule p<strong>la</strong>nte parmi les quelque300 000 espèces d’angiospermes recensées, où <strong>la</strong> <strong>fleur</strong>,hermaphrodite, présente <strong>un</strong> androcée central entouréd’<strong>un</strong> gynécée périphérique. Des étu<strong>de</strong>s molécu<strong>la</strong>iresont montré qu’il s’agit d’<strong>un</strong> mutant homéotique oùABC est <strong>de</strong>venu ACB (Garay-Arroyo et coll. ; 2012).On peut également citer les travaux <strong>sur</strong> l’architecture<strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s <strong>de</strong> cornouiller (Cornus), qui ont montré que<strong>la</strong> transformation <strong>de</strong>s bractées en <strong>de</strong>s organes sépaloï<strong>de</strong>sest due à <strong>un</strong>e expression anormale <strong>de</strong> gènes <strong>de</strong>sc<strong>la</strong>sses A et B dans ces organes (Feng et coll. ; 2012).Un autre exemple concerne les travaux menés parl’équipe <strong>de</strong> M. Bendahmane à l’Université <strong>de</strong> Lyon<strong>sur</strong> les processus <strong>de</strong> domestication <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s doubleschez les rosiers (Dubois et coll. ; 2010). L’analyse cytologique<strong>de</strong>s zones du méristème floral dans lesquellesva s’accumuler le produit d’<strong>un</strong> homologue du gèneAGAMOUS chez <strong>de</strong>s ancêtres sauvages et leurs <strong>de</strong>scendants,a démontré l’existence d’<strong>un</strong>e corré<strong>la</strong>tionentre le nombre <strong>de</strong> pétales <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s et <strong>la</strong> présenced’AGAMOUS : ceci confirme <strong>de</strong>s observations préa<strong>la</strong>blesconférant aux gènes <strong>de</strong> <strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse C, en plus <strong>de</strong>leur rôle « i<strong>de</strong>ntitaire», <strong>un</strong> rôle dans le caractère déterminé<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong>. En analysant le profil d’action <strong>de</strong>shomologues d’AGAMOUS chez <strong>de</strong>s ancêtres sauvagesissus soit du bassin périméditerranéen (R. gallica) soitd’Asie (R. chinensis), cette étu<strong>de</strong> démontre égalementque ce même événement génétique a été sélectionnéindépendamment et en parallèle au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> domestication<strong>de</strong>s roses, dans <strong>de</strong>s régions géographiquementéloignées.La morphogenèse florale n’est pas <strong>un</strong>iquement déterminéepar l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s différents organes floraux,mais également par <strong>la</strong> forme d’<strong>un</strong> même type d’organequi peut varier en fonction <strong>de</strong> sa position. Si tous lesmêmes types d’organes floraux ont <strong>la</strong> même forme,<strong>la</strong> <strong>fleur</strong> présente <strong>un</strong>e symétrie axiale, elle est actinomorphe.Chez d’autres <strong>fleur</strong>s, les pétales ou les sépalespeuvent avoir <strong>de</strong>s formes différentes selon leur position,résultant en <strong>un</strong>e symétrie bi<strong>la</strong>térale, dans ce cason parle <strong>de</strong> <strong>fleur</strong>s zygomorphes. L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>mutants où <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s zygomorphes sont transforméesen <strong>fleur</strong>s actinomorphes confirme que ce caractère estsous contrôle génétique (Figure 2). C’est Carl Von Linné(ou plutôt <strong>un</strong> <strong>de</strong> ses étudiants, Magnus Zioberg) qui,au milieu du XVIII e siècle, remarque pour <strong>la</strong> premièrefois <strong>un</strong>e telle transformation chez <strong>la</strong> linaire comm<strong>un</strong>e(Linaria vulgaris) et lui fait dire : « ce n’est certainementpas moins remarquable que si <strong>un</strong>e vache avaitdonné naissance à <strong>un</strong> veau à tête <strong>de</strong> loup ». Ébranlédans ses certitu<strong>de</strong>s, considérant que les espèces présentesdans <strong>la</strong> nature ont été créées <strong>un</strong>iquement parDieu et n’ont pas varié <strong>de</strong>puis, <strong>de</strong>vant cette nouvelleespèce impossible à c<strong>la</strong>sser, Linné <strong>la</strong> baptise Peloria, cequi signifie monstre en grec. Aujourd’hui, les mutants<strong>de</strong> ce type sont qualifiés <strong>de</strong> péloriques.Il fallut attendre les années 2000 pour que les généticiensP. Cubas et E. Cohen démontrent que <strong>la</strong>forme Peloria est due à <strong>un</strong>e mutation dans le gèneCYCLOIDEA (CYC) i<strong>de</strong>ntifié grâce à <strong>de</strong>s mutants simi<strong>la</strong>ireschez A. majus (Cubas et coll. ; 2001). Ceci leur apermis <strong>de</strong> décrypter les bases génétiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> zygomorphie,impliquant l’action <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux facteurs CYCet DICHOTOMA (DICH) qui fonctionnent <strong>de</strong> façonpartiellement redondante pour spécifier l’i<strong>de</strong>ntitédorsale au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong>. La <strong>fleur</strong> <strong>de</strong> muflier présente<strong>un</strong>e asymétrie à <strong>la</strong> fois pour les pétales et les étamines.Le <strong>de</strong>uxième verticille <strong>de</strong> chaque <strong>fleur</strong> est composé<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pétales dorsaux, <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pétales <strong>la</strong>téraux etd’<strong>un</strong> pétale ventral. Dans le troisième verticille, sedéveloppent <strong>de</strong>ux étamines <strong>la</strong>térales et <strong>de</strong>ux étaminesventrales. En position dorsale, l’<strong>un</strong>ique étamine estréduite à <strong>un</strong> stamino<strong>de</strong>. <strong>Les</strong> disparités entre les différentstypes <strong>de</strong> pétales en fonction <strong>de</strong> leur position dansle verticille sont dues à <strong>de</strong>s <strong>variations</strong> dans le nombreet <strong>la</strong> forme <strong>de</strong>s cellules <strong>de</strong> ces organes. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux gènesCYC et DICH sont activés très tôt au cours <strong>de</strong> l’é<strong>la</strong>boration<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>fleur</strong> au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> région dorsale. Une<strong>de</strong> leurs fonctions est <strong>de</strong> réguler négativement <strong>de</strong>s facteursdu cycle cellu<strong>la</strong>ire afin <strong>de</strong> réduire le nombre <strong>de</strong>divisions cellu<strong>la</strong>ires et donc <strong>la</strong> croissance <strong>de</strong>s pétalesdorsaux qui, par conséquent, seront plus petits etdissymétriques par rapport aux autres pétales.17


18Ainsi, les <strong>fleur</strong>s du double mutant CYC DICH sonttotalement ventralisées, avec <strong>de</strong>s pétales dorsaux et<strong>la</strong>téraux i<strong>de</strong>ntiques aux pétales ventraux <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ntesauvage et <strong>de</strong>s étamines dorsales fertiles.L’événement initial <strong>de</strong> cette voie <strong>de</strong> signalisation estdonc l’expression dorsale du gène CYC, suggérant que,avant même l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s primordiums <strong>de</strong>s futurspétales, le méristème s’oriente selon l’axe inflorescentiel-bractée.Ceci a été confirmé par <strong>de</strong>s expériencesd’ab<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> partie dorsale du méristème floral quiaboutissent également à <strong>un</strong>e radialisation <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>sindiquant qu’<strong>un</strong> signal mobile est en jeu. Il s’agit sansdoute <strong>de</strong> l’auxine, <strong>un</strong>e phytohormone, puisque sonapplication localisée au niveau du méristème permetégalement <strong>un</strong>e radialisation <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s.De même que pour les gènes du modèle ABCE, les donnéesexponentielles <strong>de</strong> séquençage <strong>de</strong>s génomes ontpermis d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong>s homologues <strong>de</strong>s gènes CYC/DICH (nommés CYC-like) chez <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s espècesanalysées. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> morphogenèse florale est particulièrementintéressante d’<strong>un</strong> point <strong>de</strong> vue évolutifet elle s’inscrit parfaitement dans les démarches dites« EVO-DEVO » consistant à étudier <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ced’<strong>un</strong> caractère au cours <strong>de</strong> l’évolution pour mieuxl’appréhen<strong>de</strong>r. <strong>Les</strong> étu<strong>de</strong>s qui ont tenté d’éluci<strong>de</strong>rles caractères floraux <strong>de</strong>s premières angiospermesont conclu que les <strong>fleur</strong>s ancestrales étaient actinomorphes.Des analyses phylogénétiques ont prouvé que<strong>la</strong> zygomorphie est <strong>un</strong> caractère adaptatif très importantqui a évolué plusieurs dizaines <strong>de</strong> fois <strong>de</strong> façonindépendante et sans doute <strong>de</strong> façon conjointe avec<strong>de</strong>s pollinisateurs spécialisés, dans le but d’augmenter<strong>la</strong> précision du dépôt du pollen et ainsi l’efficacité <strong>de</strong><strong>la</strong> pollinisation croisée (Citerne et coll. ; 2010). Il fautnoter également qu’auc<strong>un</strong> mutant zygomorphique n’aété i<strong>de</strong>ntifié au sein d’espèces actinomorphes, suggérantqu’il s’agit <strong>de</strong> voies <strong>de</strong> régu<strong>la</strong>tion multigénétiquescomplexes, où <strong>de</strong> nombreux facteurs sont impliqués,et qu’elles ont été mises en p<strong>la</strong>ce graduellement aucours <strong>de</strong> l’évolution.Ainsi, <strong>de</strong>rrière l’apparente diversité <strong>de</strong>s structures secachent <strong>de</strong>s mécanismes molécu<strong>la</strong>ires simi<strong>la</strong>ires, responsables<strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce et <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme <strong>de</strong>s <strong>fleur</strong>s.Il est évi<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong> multiples facteurs agissent en ava<strong>la</strong>fin <strong>de</strong> façonner les organes floraux et <strong>de</strong> leur donner,aux pétales en particulier, leurs couleur, forme et parfum.L’objectif aujourd’hui est justement d’i<strong>de</strong>ntifier lescibles molécu<strong>la</strong>ires <strong>de</strong> ces gènes « maîtres » grâce auxprogrès technologiques qui ont permis l’émergence <strong>de</strong>nouvelles stratégies (génomique, transcriptomique ouencore protéomique) qui autorisent désormais, à <strong>un</strong>temps donné, <strong>un</strong>e vision globale <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s processusmolécu<strong>la</strong>ires dans <strong>un</strong> organe ou <strong>un</strong> organisme.<strong>Les</strong> premiers travaux <strong>la</strong>issent <strong>de</strong>viner <strong>un</strong> gigantesqueréseau <strong>de</strong> réactions interdépendantes, rétroactives ouencore redondantes, intimement liées avec d’autresétapes du développement grâce à l’action d’intégrateurscomm<strong>un</strong>s (Wuest et coll. ; 2012). <strong>Les</strong> défisd’aujourd’hui et <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, grâce aux approches <strong>de</strong>séquençage <strong>de</strong> plus en plus rapi<strong>de</strong>s et aisées, consistentégalement à explorer d’autres génomes que celui <strong>de</strong>sp<strong>la</strong>ntes modèles historiques (A. thaliana et A. majus)pour peut-être découvrir <strong>de</strong> nouvelles voies chez <strong>de</strong>sespèces dont l’architecture florale est plus complexe.Références bibliographiquesCausier B, Schwarz-Sommer Z, Davies B. 2010. Floralorgan i<strong>de</strong>ntity: 20 years of ABCs. Seminars in Cell &Developmental Biology. 21: 73-79.Citerne H, Jabbour F, Nadot S, Damerval C. 2010. Theevolution of floral symmetry. Advances in BotanicalResearch. 54: 85-137.Coen ES & Meyerowitz EM. 1991. The war of thewhorls : genetic interactions controlling flower <strong>de</strong>velopment.Nature 353: 31-7.Cubas P, Coen E, Zapater JM. 2001. Ancient asymmetriesin the evolution of flowers. Curr Biol. 2001 Jul 10;11(13) : 1050-2.Dubois A, Raymond O, Maene M, Baudino S, Lang<strong>la</strong><strong>de</strong>NB, Boltz V, Vergne P, Bendahmane M. 2010. Tinkeringwith the C-f<strong>un</strong>ction : a molecu<strong>la</strong>r frame for the selectionof double flowers in cultivated roses. PLoS One.2010 Feb 18; 5 (2)Feng CM, Liu X, Yu Y, Xie D, Franks RG, Xiang QY.2012. Evolution of bract <strong>de</strong>velopment and B-c<strong>la</strong>ssMADS box gene expression in petaloid bracts ofCornus s. l. (Cornaceae). New Phytol. 196 (2): 631-43.Garay-Arroyo A, Piñeyro-Nelson A, García-Ponce B,Sánchez M<strong>de</strong> L, Álvarez-Buyl<strong>la</strong> ER. 2012. When ABCbecomes ACB. J Exp Bot. 63: 2377-95.Heijmans K, Morel P, Van<strong>de</strong>nbussche M. 2012.MADS-box genes and floral <strong>de</strong>velopment : the darksi<strong>de</strong>. Journal of Experimental Botany. 63: 5397-5404.Honma T & Goto K. 2001. Complexes of MADS-boxproteins are sufficient to convert leaves into floralorgans. Nature. 409: 525-529.Posé D, Yant L, Schmid M. 2012. The end of innocence:flowering networks explo<strong>de</strong> in complexity. CurrentOpinion in P<strong>la</strong>nt Biology. 15: 45-50.Tcherkez G. 2002. <strong>Les</strong> <strong>fleur</strong>s : évolution <strong>de</strong> l’architectureflorale <strong>de</strong>s angiospermes. D<strong>un</strong>od éditions.Wuest SE, O’Maoileidigh DS, Rae L, Kwasniewska K,Raganelli A, Hanczaryk K, Lohan AJ, Loftus B, GracietE, Wellmer F. 2012. Molecu<strong>la</strong>r basis for the specificationof floral organs by APETALA3 and PISTILLATA.Proc Natl Acad Sci U S A. Aug 14; 109 (33) : 13452-7.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!