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Dans la statue d'Aphrodite reproduite en couverture, l ... - gemca

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INTRODUCTION 9même chose. Faire l’expéri<strong>en</strong>ce de <strong>la</strong> matière, n’est-ce pas le proprede l’art, même lorsque celui-ci conserve sa visée mimétique ?Les moy<strong>en</strong>s et l’effetLa question c<strong>en</strong>trale qui traverse les articles regroupés dans cevolume est donc bi<strong>en</strong> <strong>la</strong> suivante : comm<strong>en</strong>t les matériaux conditionn<strong>en</strong>t-ilsl’imitation, comm<strong>en</strong>t façonn<strong>en</strong>t-ils le regard, et comm<strong>en</strong>t cedernier fait-il ou non abstraction de cette matière à l’âge c<strong>la</strong>ssique, etsurtout à <strong>la</strong> fin de cette période qui voit les assises théoriques de <strong>la</strong>doctrine de <strong>la</strong> mimesis progressivem<strong>en</strong>t vaciller sous l’effet d’uneautonomisation progressive des arts, <strong>en</strong> particulier de <strong>la</strong> peinture et de<strong>la</strong> poésie ? La question ne peut <strong>en</strong> effet se poser sans t<strong>en</strong>ir compte duglissem<strong>en</strong>t d’un paradigme comparatif à un paradigme différ<strong>en</strong>ciatifqui se fait jour au XVIII e siècle. En effet, si l’abbé Batteux fait <strong>en</strong>coreparaître ses Beaux-arts réduits à un même principe <strong>en</strong> 1746, le processusd’autonomisation des arts est déjà mis <strong>en</strong> branle avec l’abbé DuBos dans ses Réflexions critiques sur <strong>la</strong> poésie et <strong>la</strong> peinture (1719),pour aboutir à <strong>la</strong> séparation nette <strong>en</strong>tre le p<strong>la</strong>stique et le verbal dans leLaocoon de Lessing (1766). Le prisme de <strong>la</strong> matière permet de marquer<strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité de chaque forme d’art et donc de p<strong>en</strong>ser leur autonomie.La question sous-jac<strong>en</strong>te est ainsi celle de savoir si le reculprogressif du modèle de l’ut pictura poesis et de <strong>la</strong> théorie de l’imitationqui le sous-t<strong>en</strong>d va de pair avec cette prise <strong>en</strong> compte grandissantede <strong>la</strong> matière dans l’œuvre. Les différ<strong>en</strong>tes contributions de cerecueil cherch<strong>en</strong>t précisém<strong>en</strong>t à examiner dans quelle mesure celle-cia partie liée dans ce processus de divorce <strong>en</strong>tre les arts, qui par conséqu<strong>en</strong>tmodifie les processus de réception et d’é<strong>la</strong>boration de l’imagetextuelle, picturale et sculpturale pour les lecteurs et spectateurs.La question est d’autant plus complexe qu’il faut préa<strong>la</strong>blem<strong>en</strong>ts’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre sur <strong>la</strong> définition même du mot matière. En effet, qu’est-ceque « <strong>la</strong> » matière des arts ? Chaque art n’est-il pas issu de plusieursformes de matérialités conjuguées ? Qu’est-ce que <strong>la</strong> matière de <strong>la</strong>« poésie », par exemple ? Le <strong>la</strong>ngage ? Le livre manuscrit et l’<strong>en</strong>cre ?Le sujet ou l’inv<strong>en</strong>tio que le poète retravaille à partir de son élocutionpropre ?<strong>Dans</strong> un article bi<strong>en</strong> connu, « Frontières du récit » publié dansFigures II, Gérard G<strong>en</strong>ette établit une curieuse comparaison <strong>en</strong>tre lesdiscours littéraire et pictural. La répétition des paroles d’un locuteur


INTRODUCTION 11critiques d’art au XVIII e siècle est le « faire », défini par Cochin commele « degré d’élévation supérieure par l’art que <strong>la</strong> peinture fait répandresur <strong>la</strong> manière dont elle parvi<strong>en</strong>t à [l’]imitation » 9 . Les voix sont deplus <strong>en</strong> plus nombreuses au XVIII e siècle à insister sur le fait que <strong>la</strong>beauté de l’art ne ti<strong>en</strong>t pas tant à <strong>la</strong> force de l’illusion mais à l’empreintede l’art dans l’œuvre, <strong>la</strong> main de l’artiste ou <strong>la</strong> touche du génie,toujours inéga<strong>la</strong>ble et unique. L’aspect « technique » de l’art est ainsiinséparable du « style » de l’œuvre. C’est ce qu’a bi<strong>en</strong> compris Du Boslorsqu’il insiste dans ses Réflexions sur <strong>la</strong> poésie et <strong>la</strong> peinture sur <strong>la</strong>« poésie du style » dans un poème à <strong>la</strong>quelle correspond « l’expression» dans un tableau. Il y a là un effort de reconnaître l’importancede <strong>la</strong> « manière » propre à chaque artiste. Du côté de <strong>la</strong> peinture, noustrouvons déjà chez Roger de Piles une même consci<strong>en</strong>ce de l’aspectfabriqué, artificiel donc de l’art, dans <strong>la</strong> distinction qu’il établit <strong>en</strong>tre<strong>la</strong> couleur et le coloris d’un tableau dans son Dialogue sur le coloris.D’une part, <strong>la</strong> couleur dans <strong>la</strong> nature est accid<strong>en</strong>telle, et son usage sur<strong>la</strong> toile a partie liée avec <strong>la</strong> matière ; d’autre part, elle requiert uneactivité manuelle. Le coloris, c’est l’art de mettre <strong>en</strong> œuvre cettematière, « cette partie de <strong>la</strong> peinture par <strong>la</strong>quelle le peintre sait imiter<strong>la</strong> couleur de tous les objets naturels et distribuer aux artificiels cellequi leur est <strong>la</strong> plus avantageuse pour tromper <strong>la</strong> vue » 10 . Aussi de Pilesmet-il l’acc<strong>en</strong>t sur les processus de production, <strong>la</strong> technique du peintre,<strong>en</strong> un mot son métier 11 . <strong>Dans</strong> cette optique, l’œuvre d’art n’est plusconçue comme l’imitation d’un modèle mais comme une œuvre autonome,indép<strong>en</strong>dante d’une « nature » extérieure quelconque.Enfin, <strong>la</strong> matière peut faire irruption quand il y a transgressiondes seuils, par exemple par métalepse narrative, par jeu sur les couleursde l’<strong>en</strong>cre d’imprimerie ou <strong>en</strong>core par intégration d’élém<strong>en</strong>ts du9 Ch.-N. Cochin, art. « Illusion », dans Dictionnaire des arts, p. 117-118.10 R. de Piles, Cours de peinture par principes [1708], Amsterdam et Leipzig,Arkstée et Merkus, et Paris, les frères Esti<strong>en</strong>ne, 1767, p. 239.11 R. de Piles, Dialogue sur le coloris, Paris, Nico<strong>la</strong>s Langlois, 1673, p. 4 et 6.Comme le souligne A. Becq, « Diderot, att<strong>en</strong>tif aux activités techniques, repr<strong>en</strong>dra cesanalyses, dont Baude<strong>la</strong>ire tirera toutes les conséqu<strong>en</strong>ces dans le Salon de 1846, <strong>en</strong>affirmant que l’harmonie colorée du tableau ne saurait être copiée sur celle de <strong>la</strong>nature, qui a sa beauté propre, elle est <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t construite. Aussi l’œuvre d’artpeut-elle s’écarter de l’exacte vérité et peut-on s’écrier devant les Rub<strong>en</strong>s : “ O lebeau fard ! ” Parler de statut formel des couleurs revi<strong>en</strong>t alors à leur reconnaître uneintellig<strong>en</strong>ce qui consiste moins dans l’illustration d’un référ<strong>en</strong>t que dans <strong>la</strong> cohér<strong>en</strong>cede re<strong>la</strong>tions mutuelles. » (« Rhétoriques et littérature d’art <strong>en</strong> France à <strong>la</strong> fin duXVII e siècle : le concept de couleur », dans CAIEF, 24 [1972], p. 230).


INTRODUCTION 13Celles-ci sembl<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet plutôt préoccupées par <strong>la</strong> question du bongoût qui doit assurer l’imitation de <strong>la</strong> belle nature. Partant de <strong>la</strong>dim<strong>en</strong>sion polysémique de cette notion de « goût », Martial Guédronexamine quels sont les s<strong>en</strong>s touchés <strong>en</strong> « matière » artistique. Il souligneainsi que le toucher pr<strong>en</strong>d au XVIII e siècle un s<strong>en</strong>s qui conjugue lesdim<strong>en</strong>sions littérale et émotive du terme : le spectateur voudrait pouvoirtoucher l’œuvre comme œuvre, et non pas comme image, pourêtre davantage touché au cœur.Le parcours que nous proposons au lecteur se poursuit <strong>en</strong>suite àtravers les différ<strong>en</strong>tes formes d’art : peinture, littérature, sculpture,danse, musique. Il débute à <strong>la</strong> R<strong>en</strong>aissance, où <strong>la</strong> matérialité des toilespeintes affleure par l’ajout d’inscriptions sur l’image, participant ainsid’une esthétique anti-illusionniste dont <strong>la</strong> sacralité est inversem<strong>en</strong>tproportionnelle au naturalisme de l’esthétique dominante. EmmanuelleH<strong>en</strong>in explore les argum<strong>en</strong>ts des t<strong>en</strong>ants et des adversaires de <strong>la</strong> pratiquedes inscriptions, vantée dans un cas pour sa valeur didactique,condamnée de l’autre pour <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>dresse dont elle fait preuve parrapport à l’idéal mimétique. L’inscription à <strong>la</strong> surface du tableauforme, au cœur de l’ut pictura poesis, <strong>en</strong> même temps sa limite, <strong>en</strong> ces<strong>en</strong>s où elle questionne <strong>la</strong> traductibilité mutuelle des signes iconiqueset graphiques.Ce rapport <strong>en</strong>tre écriture et peinture se retrouve au XVII e siècle dansles tableaux de Georges de La Tour. Comme le montre Dalia Judovitz,ce peintre a constamm<strong>en</strong>t cherché à visualiser l’écriture au sein de <strong>la</strong>peinture dans le cadre de sa quête religieuse. Au-delà de <strong>la</strong> remise <strong>en</strong>cause de l’immédiateté de <strong>la</strong> vue dans l’art du visible par excell<strong>en</strong>ce,La Tour invite son spectateur à réfléchir sur <strong>la</strong> difficulté de saisir,par le biais du visible, le domaine invisible de <strong>la</strong> foi. La contemp<strong>la</strong>tionspirituelle est sans cesse privilégiée par ce peintre du début duXVII e siècle, qui p<strong>la</strong>ce <strong>la</strong> vraie connaissance du côté de <strong>la</strong> parole et nonpas du côté de <strong>la</strong> vue.Au XVIII e siècle, où <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> r<strong>en</strong>contre <strong>en</strong>tre poésie et peinturese fait-elle plus prégnante que dans le discours de <strong>la</strong> critique d’art,et tout particulièrem<strong>en</strong>t dans celui de Diderot, dont les Salons opèr<strong>en</strong>tune véritable fusion <strong>en</strong>tre ces deux arts ? D’une part, les contributionsde Stéphane Lojkine, Julie Boch et Élise Pavy s’attach<strong>en</strong>t à examinerl’<strong>en</strong>tre<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre image peinte et image décrite dans ce même corpus.Partant du ridicule achevé que représ<strong>en</strong>te un coussin vert dans untableau représ<strong>en</strong>tant l’étable de Bethléem, comme le relève Diderot,Stéphane Lojkine montre que ces « beautés techniques » qui off<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t


14 AUX LIMITES DE L’IMITATIONl’esprit mais p<strong>la</strong>is<strong>en</strong>t à l’œil ramèn<strong>en</strong>t <strong>la</strong> toile peinte à sa pure texture,à une « irréductibilité visuelle » que le critique d’art est am<strong>en</strong>é progressivem<strong>en</strong>tà pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> compte <strong>en</strong> dissociant <strong>la</strong> question de <strong>la</strong>matière de <strong>la</strong> peinture et celle de sa manière.D’autre part, le développem<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> critique littéraire au XVIII e sièclesous l’impulsion de La Font de Saint-Y<strong>en</strong>ne, étudié par KrisPeeters, et de Diderot attise aussi <strong>la</strong> consci<strong>en</strong>ce de <strong>la</strong> matérialité mêmede l’œuvre d’art. <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> réflexion théorique qui se dégage des textescritiques, on observe notamm<strong>en</strong>t une insistance grandissante sur <strong>la</strong>gageure technique que représ<strong>en</strong>te <strong>la</strong> réalisation d’une œuvre au-delàde l’exig<strong>en</strong>ce de reproduction parfaite de <strong>la</strong> nature. La réussite dufaire conditionne <strong>la</strong> beauté de l’idéal voire même intéresse indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>tde l’idéal, affirme Julie Boch <strong>en</strong> soulignant que cette redéfinitiondes arts à partir du critère de leur matérialité met à mal d’unefaçon inédite <strong>la</strong> doctrine de l’ut pictura poesis. <strong>Dans</strong> son étude sur lesSalons de Diderot, Élise Pavy nous livre quant à elle une hypothèseintéressante sur <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> matérialité de <strong>la</strong> poésie, qui se faitplus aiguë lorsqu’elle cherche à se faire l’égale de <strong>la</strong> peinture. NathalieFerrand poursuit cette interrogation sur <strong>la</strong> matière de l’écriture <strong>en</strong>étudiant les livres polychromes de Louis-Antoine Caraccioli, danslesquels l’auteur retourne <strong>en</strong> quelque sorte <strong>la</strong> matière contre elle-mêmepuisqu’il joue de <strong>la</strong> matérialité du livre comme arme anti-matérialisteet anti-philosophique.Les études du discours critique sur <strong>la</strong> peinture au XVIII e siècle sont<strong>en</strong>richies par celle d’Aurélia Gail<strong>la</strong>rd pour <strong>la</strong> sculpture, abordée à partirde <strong>la</strong> vogue du mythe de Pygmalion. Ce mythe permet de formulerun paradoxe de l’esthétique c<strong>la</strong>ssique, dans <strong>la</strong> mesure où il célèbrel’illusion de l’art tout <strong>en</strong> glorifiant <strong>la</strong> sculpture comme art du palpablepar excell<strong>en</strong>ce et de <strong>la</strong> matière observable. Comme elle le souligne,« le référ<strong>en</strong>t de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion mimétique n’est plus <strong>la</strong> “ nature ” maisl’art, confondu avec elle. On atteint ici aux limites de l’imitation, l’art,par l’art de sculpture, n’imite plus <strong>la</strong> nature mais l’incarne ». Cetteincarnation du corps dans l’œuvre trouve sa réalisation <strong>la</strong> plus concrètedans <strong>la</strong> danse, l’art le plus éloigné de l’imitation mais que l’on at<strong>en</strong>té malgré tout de p<strong>en</strong>ser comme mimétique. C’est ce qu’EdwardNye examine à partir de <strong>la</strong> montée du ballet d’action au XVIII e siècle,où à travers l’art de <strong>la</strong> pantomime une esthétique de l’expression sefait jour. Le corps dansant serait capable d’exprimer <strong>la</strong> passion intérieuredes personnages et serait à ce titre un art de l’expression plutôtque de l’imitation. « Le ballet d’action est un art de <strong>la</strong> mimesis qui


INTRODUCTION 15t<strong>en</strong>d vers une esthétique de l’expression ». Curieusem<strong>en</strong>t, « l’innovation» dont parle E. Nye dans les théories de <strong>la</strong> danse n’est qu’unereprise de <strong>la</strong> théorie de l’imitation picturale, qui cherche à r<strong>en</strong>dre <strong>la</strong>nature à travers des signes naturels. La question de <strong>la</strong> matérialité del’art dans le contexte de <strong>la</strong> mimesis c<strong>la</strong>ssique peut ainsi être reformuléede <strong>la</strong> façon suivante : comm<strong>en</strong>t voir et ress<strong>en</strong>tir avec les yeux del’âme et du cœur ce que voi<strong>en</strong>t les yeux ou touch<strong>en</strong>t les mains ?C’est un problème qu’explore plus avant Anaël Lejeune dans sacontribution sur <strong>la</strong> sculpture à <strong>la</strong> fin du XVIII e siècle et au début duXIX e siècle. L’incarnation vers <strong>la</strong>quelle t<strong>en</strong>d l’art sculptural supposeune (re)valorisation du modèle dans son caractère <strong>en</strong>core esquissé,parce qu’il ti<strong>en</strong>t de « cette divine vivacité de <strong>la</strong> première idée conçue »(Hemsterhuis, Lettre sur <strong>la</strong> sculpture). L’esquisse est immédiate,directe, elle relève d’une recherche de l’auth<strong>en</strong>ticité, contrairem<strong>en</strong>t aufini, au poli de l’art c<strong>la</strong>ssique qui par son excès de perfection n’<strong>en</strong>devi<strong>en</strong>t que plus artificiel. La trace du doigt de l’artiste dans <strong>la</strong> g<strong>la</strong>iseséchée est un « défaut de soin » qui prés<strong>en</strong>te l’œuvre dans son auth<strong>en</strong>ticité.Boileau n’avait-il pas déjà remarqué qu’une œuvre devait affecterquelque désordre pour paraître plus naturelle ? L’abbé Batteux lerappellera <strong>en</strong> citant Boileau <strong>en</strong> 1746 :[L]es grands peintres <strong>la</strong>iss<strong>en</strong>t quelquefois jouer leur pinceau sur <strong>la</strong> toile :tantôt, c’est une symétrie rompue, tantôt un désordre affecté dans quelquepetite partie ; ici c’est un ornem<strong>en</strong>t négligé ; là une tache légère, <strong>la</strong>issée àdessein: c’est <strong>la</strong> loi de l’imitation qui le veut :À ces petits défauts marqués dans <strong>la</strong> peinture,L’esprit avec p<strong>la</strong>isir reconnaît <strong>la</strong> nature. 13La tache légère de l’abbé Batteux devi<strong>en</strong>t l’<strong>en</strong>taille du ciseaupour les théorici<strong>en</strong>s de <strong>la</strong> sculpture à <strong>la</strong> fin du XVIII e siècle (Watelet,Lévesque, M<strong>en</strong>gs). La matière n’est plus seulem<strong>en</strong>t un moy<strong>en</strong> qui doits’effacer pour faire adv<strong>en</strong>ir <strong>la</strong> représ<strong>en</strong>tation, mais devi<strong>en</strong>t une « causeagissante ». À l’aube de <strong>la</strong> modernité, avec <strong>la</strong> promotion de certainesformes artistiques comme <strong>la</strong> danse et <strong>la</strong> sculpture, <strong>la</strong> matière devi<strong>en</strong>tpuissante et créatrice, au point d’effacer son référ<strong>en</strong>t, <strong>la</strong> Nature, pourne plus se signifier qu’elle-même.Cette transformation importante de <strong>la</strong> mimesis comme art du signetranspar<strong>en</strong>t, générateur de l’illusion que doit produire l’œuvre, <strong>en</strong> unart du signe arbitraire, qui pr<strong>en</strong>d <strong>en</strong> compte <strong>la</strong> matérialité du support,13 N. Boileau, Art Poétique, III, v. 107-108, dans Ch. Batteux, Les Beaux-Arts réduitsà un même principe, op. cit., p. 134.


16 AUX LIMITES DE L’IMITATIONforme l’objet de <strong>la</strong> contribution de Jan Herman sur <strong>la</strong> musique. LeTristram Shandy de Laur<strong>en</strong>ce Sterne (1760), qui thématise constamm<strong>en</strong>t<strong>la</strong> difficulté de narrer par l’instauration de sa propre illisibilité,trouve son répondant sur le p<strong>la</strong>n musical dans l’apparition de <strong>la</strong> musiqueabsolue, qui se substitue graduellem<strong>en</strong>t à <strong>la</strong> musique imitativefondée sur l’ut poesis musica. La musique absolue est une forme d’artqui permet – comme les illisibilités dans Tristram Shandy, les tracesdu doigt de l’artiste sur l’œuvre sculptée, <strong>la</strong> représ<strong>en</strong>tation du livreouvert dans les tableaux de Georges de La Tour – une réflexion surelle-même à travers <strong>la</strong> mise <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce de sa propre matérialité.Au final, on peut dire que <strong>la</strong> matière « insiste et résiste », comme leformule si bi<strong>en</strong> Herman Parret, à l’emprise du modèle poétique, voirelinguistique. Elle jette immanquablem<strong>en</strong>t le trouble dans le pactemimétique réglé par l’ut pictura poesis. D’où <strong>la</strong> nécessité de desc<strong>en</strong>dredans l’atelier de l’artiste pour observer le faire. D’où <strong>la</strong> nécessitéégalem<strong>en</strong>t de proposer une phénoménologie des accid<strong>en</strong>ts, des traces,des indices de l’irruption de <strong>la</strong> matière.Plutôt que de parler <strong>en</strong> termes de changem<strong>en</strong>t de paradigme, nefaudrait-il pas plutôt réfléchir <strong>en</strong> termes de dialectique instable <strong>en</strong>tretranspar<strong>en</strong>ce et opacité, représ<strong>en</strong>tation et prés<strong>en</strong>ce, ce que LouisMarin appelle « le travail » de l’articu<strong>la</strong>tion <strong>en</strong>tre réflexivité et transitivité,« travail au double s<strong>en</strong>s de ce terme, à <strong>la</strong> fois son fonctionnem<strong>en</strong>trigoureux et le jeu […], <strong>la</strong> force de <strong>la</strong> réflexivité et le dép<strong>la</strong>cem<strong>en</strong>t,<strong>la</strong> “ métaphore ” de <strong>la</strong> transitivité » 14 ? Il convi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet deréintroduire du jeu <strong>en</strong>tre ces deux pôles, qui est le jeu de l’art même,quoi qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t les esthétiques c<strong>la</strong>ssiques qui privilégi<strong>en</strong>t un pôleau détrim<strong>en</strong>t de l’autre, l’intelligible contre le s<strong>en</strong>sible, <strong>la</strong> forme contre<strong>la</strong> matière, l’âme contre le corps. <strong>Dans</strong> <strong>la</strong> notion de jeu, se trouve parailleurs l’idée d’un processus qui nous permet finalem<strong>en</strong>t de p<strong>en</strong>ser <strong>la</strong>matière <strong>en</strong> termes dynamiques. Cette matérialité correspond à <strong>la</strong> chimieou l’alchimie de l’art, r<strong>en</strong>voyant à une sorte de magie de <strong>la</strong> métamorphoseet de <strong>la</strong> transmutation, transformant l’informe <strong>en</strong> forme etfigure. De ce point de vue, on peut dire que les arts des XVII e etXVIII e siècles résist<strong>en</strong>t et forc<strong>en</strong>t <strong>la</strong> théorie, <strong>en</strong> l’obligeant à p<strong>en</strong>ser leje-ne-sais-quoi du s<strong>en</strong>s de <strong>la</strong> matière et de <strong>la</strong> matière du s<strong>en</strong>s, pourfinalem<strong>en</strong>t reconnaître que ut poesis pictura non erit (Diderot), ouvrantainsi <strong>la</strong> voie à une p<strong>en</strong>sée de l’irréductibilité et donc de l’autonomiede chaque art défini selon ses matériaux, et non selon ses référ<strong>en</strong>ts.14 L. Marin, op. cit., p. 16.


INTRODUCTION 17Pour terminer, ne convi<strong>en</strong>t-il pas de rappeler le contexte d’apparitionde <strong>la</strong> formule horati<strong>en</strong>ne : « Un poème est comme un tableau : telp<strong>la</strong>ira à être vu de près, tel autre à être regardé de loin » (Art poétique,v. 360). Tout ne serait finalem<strong>en</strong>t qu’une question de point de vue.L’ut pictura poesis joue <strong>en</strong> quelque sorte le rôle d’une l<strong>en</strong>tille assurant<strong>la</strong> bonne mise au point, c’est-à-dire <strong>la</strong> juste distance à l’égard del’œuvre. Mais <strong>en</strong>tre le regard distant et idéalisant et « les yeux attachéssur <strong>la</strong> toile », <strong>en</strong>tre le chaos des couleurs et l’image distincte etsignifiante, il y a une infinie gradation, un jeu de va-et-vi<strong>en</strong>t où l’int<strong>en</strong>tionimageante est incessamm<strong>en</strong>t stimulée. L’opérateur ou le moteurde ce mouvem<strong>en</strong>t perpétuel n’est-il pas, à partir du XVIII e siècle, l’émotionet le p<strong>la</strong>isir, grâce auxquels on peut comm<strong>en</strong>cer à p<strong>en</strong>ser l’expéri<strong>en</strong>cede <strong>la</strong> matière, cette « matière émotion » dont parlera bi<strong>en</strong> plustard R<strong>en</strong>é Char ?Remerciem<strong>en</strong>ts* * *Les articles publiés dans ce volume ont fait l’objet d’une prés<strong>en</strong>tationpréa<strong>la</strong>ble lors d’une r<strong>en</strong>contre à Bruxelles, sous forme de deuxjournées d’étude à l’Académie Royale des sci<strong>en</strong>ces et des beaux-arts,les 30 novembre et 1 er décembre 2007. La r<strong>en</strong>contre comme <strong>la</strong> publicationde ce volume n’aurait pu avoir lieu sans le souti<strong>en</strong> des instancessuivantes : les Académies royales de sci<strong>en</strong>ces et beaux-arts deBelgique, f<strong>la</strong>mande (KVAB) et francophone (ARB), les Fonds pour<strong>la</strong> recherche sci<strong>en</strong>tifique francophone (FNRS) et f<strong>la</strong>mande (FWO),ainsi que le Groupe d’Analyse Culturelle de <strong>la</strong> Première Modernité(GEMCA) de l’Université catholique de Louvain.

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