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autour de l'explicit* littératures des Espagnes - Lycée Chateaubriand

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150 lES espagnesDon Juan Manuel, tout en conservant les formules canoniques <strong>de</strong> l’explicit,a inauguré dans leur antécé<strong>de</strong>nce immédiate un retournement spectaculaire<strong>de</strong> l’ex-plicare en un com-plicare <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong>nse et obscur,démontrant ainsi l’extraordinaire potentiel d’innovation et <strong>de</strong> liberté offertpar la fin, toujours élastique et toujours réversible, d’un texte.Vraisemblablement terminé en 1381 <strong>de</strong> l’ère espagnole (1343 <strong>de</strong> l’èrechrétienne), le Libro <strong>de</strong> buen amor, <strong>de</strong> Juan Ruiz, Archiprêtre <strong>de</strong> Hita, offre,quant à lui, une éblouissante variation, elle aussi traditionnelle et innovante,sur l’explicit, pris dans ses <strong>de</strong>ux sens étymologiques d’œuvre accomplie etdéroulée d’une part, d’œuvre dé-chiffrée et dé-pliée, c’est‐à‐dire expliquéed’autre part. Mais ce qui <strong>de</strong>vrait être « explication » n’est en réalité qu’unealternance entre facéties et expression <strong>de</strong> la foi qui tisse le texte d’une inextricableambiguïté. Une particularité du LBA est qu’il requiert constammentdu lecteur une interprétation juste, adaptée à son propos : l’ambiguïté estalors, elle aussi, soumise au doute et à l’interrogation, dans une oscillationpermanente qui va <strong>de</strong> son annulation – en faveur d’une lecture comique etmoqueuse ou d’une lecture chrétienne sérieuse – à la solution (résignée ?)<strong>de</strong> son maintien.Pour en revenir à l’objet <strong>de</strong> cet article, il n’est pas indifférent que lelivre détourne une formule d’explicit propre au métier <strong>de</strong> jonglerie pourl’intérioriser et donner du fil à retordre à ses commentateurs. Je commencepar ce déplacement. À l’issue <strong>de</strong> la dispute que les Grecs et les Romainseurent entre eux 25 (44-63), est démontrée plaisamment l’opacité <strong>de</strong>ssignes. La strophe 64 tire la leçon <strong>de</strong> l’anecdote et affirme qu’aucun discoursn’est mauvais s’il est interprété dans le bon sens. Son <strong>de</strong>rnier versdéclare : Interprète bien mon livre et tu auras une dame gaillar<strong>de</strong>.Quelle est cette « dame gaillar<strong>de</strong> » promise à celui qui interprétera dans lebon sens ? Une belle dame qui répondra à la quête amoureuse et érotiquedu récepteur du livre, faible pécheur comme tout un chacun et commel’archiprêtre lui-même ? La dame <strong>de</strong>s dames, dont l’amour inépuisablerécompense le vertueux, qui précisément interprète toujours dans le bonsens, et qui ne peut être que la Vierge Marie ? Les <strong>de</strong>ux sans doute, selonque l’on aura tête folle ou tête sensée mais, plus encore, il s’agit ici <strong>de</strong> réutiliser,pour s’amuser et multiplier les interprétations, la formule d’explicit <strong>de</strong>certains copistes qui, étant parvenus au terme <strong>de</strong> leur travail <strong>de</strong> calligraphie,<strong>de</strong>mandaient en récompense une pulchra puella : c’est par la citation d’unexplicit détourné que se clôt la leçon du débat entre le Grec et le Romain.Neuf strophes peuvent être considérées comme l’explicit élargi duLibro <strong>de</strong> buen amor (1626-1634), mais seule la strophe 1634 donne uneindication <strong>de</strong> date et, résumant la double finalité du livre, ajoute à lafinalité morale une intention esthétique :25. Toutes les traductions proviennent <strong>de</strong> : Juan Ruiz, Livre du bon amour : texte castillan du xiv e siècle,éd. et trad. <strong>de</strong> l’espagnol par Michel Garcia, Stock, « Stock plus. Moyen Âge », 1995.Revue ATALA

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