PRÉFACE DELAUTEUR.A une distance de cinquante lieues et plus, les Alpes offr<strong>en</strong>t auxregards leurs sommités couvertes de neiges et de glaces éternelles, quibord<strong>en</strong>t l'horizon comme le rempart crénelé d'une forteresse gigantesque.Une force inconnue attire l'homme vers ces régions élevées; il traverseles plaines, s'<strong>en</strong>fonce dans les longues vallées, franchit des gorges étroites,et <strong>en</strong>fin, parv<strong>en</strong>u au pied de ces colosses, il s'arrête saisi d'un étonnem<strong>en</strong>tmuet; il contemple avec une sorte de respect religieux ces cimes élancéesdans l'azur des cieux, ces formidables rochers coupés à pic, ces cascadesécumantes qui batt<strong>en</strong>t-le flanc des ravins, ces antiques forêts de sapins etde mélèzes qui tapiss<strong>en</strong>t les escarpem<strong>en</strong>ts des monts, et ces vallons solitaires<strong>en</strong>tourés de tout ce que la nature offre de grand, d'imposant et même deterrible.Dans la longue chaîne de ces montagnes audacieuses, trois ou quatregrouppes se font principalem<strong>en</strong>t remarquer. A.l'est, s'élève au-dessus dessommités nombreuses du Tyrol et des Grisons, la cime de POrteler, d'oùse répand l'Adige et où jaillit la source merveilleuse de l'Adda. Au c<strong>en</strong>trede la Suisse, le Finsteraarhorn élance, au milieu du plus vaste champ deglace que prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les Alpes, le plus beau pic de roche primitive queje connoisse; c'est du pied de cette montagne que l'Aar s'échappe pourarroser les délicieuses contrées de l'Oberland bernois, uniques même <strong>en</strong>
VIVSuisse. Entre le Vallais et l'Italie, l'imm<strong>en</strong>se Mont-Rose et le Matterhorn(Mont=Cerv'm')s dont la forme extraordinaire produit une sorte de stupéfaction,domin<strong>en</strong>t sur une vaste ét<strong>en</strong>due de glaciers, et sur les hautespointes de la vallée de Viège. Enfin, surpassant <strong>en</strong> hauteur toutes lesautres montagnes, et <strong>en</strong>touré de ses fameuses aiguilles, le Mont-Blancapparoît avec son dôme éblouissant, isolé dans les hauteurs du ciel, et,de la position avantageuse qu'il occupe, promène ses regards dominateursjusqu'aux Ap<strong>en</strong>nins, aux terres basses de la Lombardie et du Piémont,aux <strong>en</strong>virons de Lyon, embrasse dans sa vue imm<strong>en</strong>se les rochers duDauphiné, la Bourgogne, les collines de Langres, les Vosges dans touteleur ét<strong>en</strong>due, la Forêt noire, les plaines de la Suabe, et les arêteshérissées des glaciers de la Suisse.C'est au revers sept<strong>en</strong>trional de la chaîne du Mont-Blanc que setrouve la vallée de Chamonix, <strong>en</strong>ceinte paisible <strong>en</strong>tourée de belles horreurs.De nos jours elle est visitée par une foule d'étrangers; mais il n'y a guèreplus d'un demi-siècle qu'elle étoit inconnue au reste de l'Europe. Lesvoyageurs ne faisoi<strong>en</strong>t que contempler de loin avec effroi les MontagnesMaudites qui la déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t. Les premiers voyageurs qui osèr<strong>en</strong>t pénétrerjusqu'à ces aiguilles m<strong>en</strong>açantes, <strong>en</strong>tourées d'un effrayant amas de neigeset de glaces, fur<strong>en</strong>t deux anglais, Windham et Pockocke. Ils partir<strong>en</strong>tde G<strong>en</strong>ève au mois de Juin 1741, après avoir fait des préparatifs commes'il se fut agi de reconnoitre une contrée lointaine habitée par un peuplesauvage. On se munit de vivres, de chevaux, de t<strong>en</strong>tes; la petite caravaneétoit, <strong>en</strong> outre, armée de toutes pièces. À Maglan on lâcha descoups de fusil pour <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre l'écho; à Sall<strong>en</strong>che Pockocke se donna ledivertissem<strong>en</strong>t de jouer l'Emir arabe; <strong>en</strong>fin ils arrivèr<strong>en</strong>t au Prieuré sanspéril, et sans autre inconvéni<strong>en</strong>t que quelque fatigue. Accompagnés desindigènes, qui les avoi<strong>en</strong>t fort bi<strong>en</strong> accueillis, ils gravir<strong>en</strong>t sur le Montanvert,et eur<strong>en</strong>t la satisfaction de contempler la scène admirable que prés<strong>en</strong>te lamer de glace.Mais l'homme qui contribua le plus à faire connoître ces contrées futle savant de Saussure. Ses voyages, ses découvertes, ses expéri<strong>en</strong>cesphysiques, et son asc<strong>en</strong>sion au Mont-Blanc <strong>en</strong> 1786, jetèr<strong>en</strong>t les fondem<strong>en</strong>tsde cette r<strong>en</strong>ommée qu'a acquise la vallée de Chamonix, et qui a toujours