13.07.2015 Views

tableaux-photographiques - Histoire culturelle et sociale de l'art

tableaux-photographiques - Histoire culturelle et sociale de l'art

tableaux-photographiques - Histoire culturelle et sociale de l'art

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008Biennale <strong>de</strong> Venise 4 , New spirit in painting, Londres, 1980 5 ; Baroques 81, Paris,1981 ; Documenta VII, Cassel, 1982 ; Transavantguardia Italia/America, Modène, 1982 ;Prospect à Francfort en 1986 ; Endgame: Reference and Simulation in Recent Painting andSculpture à Boston, 1986 ; <strong>et</strong> l’année suivante L’Époque, la mo<strong>de</strong>, la morale, la passion, àParis.Au cœur <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te question <strong>de</strong> l’hybridité se joue un passage, ou un détour, par lapeinture mais plus encore par son histoire. Plutôt que la peinture, c’est son évolution <strong>et</strong> sacapacité à s’adapter face aux nouveaux moyens d’expression qui semblent r<strong>et</strong>enir l’attention<strong>de</strong>s artistes représentés dans les manifestations listées ci-<strong>de</strong>ssus. Reléguant la politique <strong>de</strong> la« table rase » au rang <strong>de</strong>s utopies, ils témoignent <strong>de</strong> leur ferme intention <strong>de</strong> prendre en chargele passé, qui les engage « à travailler avec ce que la peinture représente <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> cinqcents ans 6 . » Dès lors, l’intarissable réservoir que forment l’histoire, le passé <strong>et</strong> ses référencesre<strong>de</strong>vient une source privilégiée, à une époque où la pratique généralisée <strong>de</strong> la citation estprésentée comme le paradigme postmo<strong>de</strong>rne par excellence, tandis que l’avènement du récit<strong>et</strong> <strong>de</strong> la narrativité porte un nouveau coup à la théorie formaliste mo<strong>de</strong>rniste.C’est donc à partir du phénomène central <strong>de</strong> l’hybridité que nous avons choisi <strong>de</strong> m<strong>et</strong>treà l’épreuve c<strong>et</strong>te notion <strong>de</strong> postmo<strong>de</strong>rnisme, aux contours théoriques si flous <strong>et</strong> fluctuantsselon les auteurs. Dès lors que la théorisation <strong>et</strong> la périodisation du concept sont formuléesdifféremment en Europe <strong>et</strong> aux États-Unis une représentation <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux continents s’imposait ;<strong>de</strong> sorte que trois artistes ont été r<strong>et</strong>enus, dont <strong>de</strong>ux d’une même génération, le Canadien JeffWall (né en 1946) <strong>et</strong> le Français Jean-Michel Alberola (né en 1953). Parce que l’Allemagne,où est né ce mouvement improprement appelé « Nouveaux fauves » ou « Néoexpressionnisme», entr<strong>et</strong>ient une histoire aussi privilégiée qu’ambiguë avec le r<strong>et</strong>our à lapeinture <strong>et</strong> à la figuration, il nous a paru à propos <strong>de</strong> compléter c<strong>et</strong>te sélection par la figureemblématique <strong>de</strong> Gerhard Richter (né en 1932), issu d’une génération antérieure. L’œuvre <strong>de</strong>chacun entrelace peinture <strong>et</strong> photographie à travers une réinterprétation <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>chaque médium <strong>et</strong> renoue le dialogue avec l’histoire <strong>de</strong> l’art <strong>et</strong> les maîtres, tout en ne cessant<strong>de</strong> proclamer la faillite <strong>de</strong>s catégories esthétiques classiques. Puisque ces artistes semblentrecourir à certains procédés estampillés postmo<strong>de</strong>rnes, relevant notamment <strong>de</strong> la mixité <strong>de</strong>s4 Qui consacre l’apparition <strong>de</strong>s « néo-expressionnistes », « néo-fauves allemands », <strong>de</strong> la « trans-avant-gar<strong>de</strong> » <strong>et</strong><strong>de</strong> la « Pittura Colta » italiennes.5 Exposition dans laquelle figure Richter comme le remarque Roald Nasgaard, qui ne manque pas <strong>de</strong> souligner laprésence <strong>de</strong> l’artiste aux côtés <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> l’Arte Povera, <strong>de</strong> l’art minimaliste <strong>et</strong> conceptuel dans Europein the Seventies, organisée en 1977 à l’Art Institute <strong>de</strong> Chicago, cf. Gerhard Richter paintings, Chicago,Museum of Contemporary Art ; Toronto, Art Gallery of Ontario ; Londres, Thames & Hudson, 1988, p. 33.6 Jean-Michel Alberola, dans Flash Art, n° 8, hiver 1983-1984.58


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008médias, l’enjeu <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> serait <strong>de</strong> mesurer, à travers le corpus arrêté, la pertinence <strong>de</strong>scritères <strong>de</strong> définition du concept.• La peinture passée au filtre <strong>de</strong> la photographie ou comment peindre après lemo<strong>de</strong>rnismeDepuis que la photographie s’est emparée <strong>de</strong> la fonction mimétique initialementdévolue à la peinture, s’est engagée entre les <strong>de</strong>ux médiums une forme <strong>de</strong> rivalité biaisée dontRoland Barthes, dans La Chambre claire, rappelle le contexte <strong>et</strong> l’enjeu : « La peinture, elle,peut feindre la réalité sans l’avoir vue. Le discours combine <strong>de</strong>s signes qu’ont certes <strong>de</strong>sréférents, mais ces référents peuvent être <strong>et</strong> sont le plus souvent <strong>de</strong>s "chimères". Au contraire<strong>de</strong> ces imitations, dans la Photographie, je ne puis nier que la chose a été là 7 ». Forts <strong>de</strong> ceconstat, nombreux sont les artistes qui ont organisé dans leur œuvre la confrontation entrepeinture <strong>et</strong> photographie, dans le but avoué <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre à mal la prétendue objectivité <strong>de</strong> l’unecomme <strong>de</strong> l’autre. Quitte à douter <strong>de</strong> la célèbre promesse cézanienne <strong>de</strong> « dire la vérité enpeinture 8 », c’est en eff<strong>et</strong> l’artifice <strong>de</strong> toute forme <strong>de</strong> représentation qui est traqué <strong>et</strong> entraîneune remise en cause <strong>de</strong>s catégories esthétiques traditionnelles.Photographie <strong>de</strong> peinture, photographie d’après peinture, peinture d’après photographie,peinture sur photographie, <strong>et</strong>c., l’œuvre <strong>de</strong> Richter, Wall <strong>et</strong> Alberola décline <strong>et</strong> invente enpermanence <strong>de</strong> nouvelles combinaisons. Comme points <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> ses peintures, lesphotographies d’amateurs collectionnées par Richter sont <strong>de</strong>puis 1964 méticuleusementarchivées dans l’encyclopédique Atlas, qui compte aujourd’hui plus <strong>de</strong> cinq mille images –reproductions ou détails <strong>de</strong> photographies <strong>et</strong> illustrations découpées dans la presse. Il arriveaussi que dans sa pratique la photographie prenne la forme d’un ready-ma<strong>de</strong> transposé surtoile comme dans Frau, die Treppe herabgehend en 1965, réalisée d’après une image extraited’un magazine <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, puis encore réutilisé l’année suivante dans Ema (Akt auf einerTreppe), première <strong>de</strong> ses toiles en couleur obtenue d’après l’un <strong>de</strong> ses clichés<strong>photographiques</strong>. Et ce n’est pas sans provocation que Richter revendique l’héritage mo<strong>de</strong>rne<strong>de</strong> la chronophotographie <strong>et</strong> s’approprie la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> décomposition cubo-futuriste proposéepar Duchamp en 1912 pour un nu peint délibérément anti-iconoclaste par sa pose, son cadrage7 Roland Barthes, La Chambre claire : note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980, p. 20.8 « Je vous dois la vérité en peinture, <strong>et</strong> je vous la dirai » : Paul Cézanne dans une « L<strong>et</strong>tre à Émile Bernard »datée du 23 octobre 1905, voir Conversations avec Cézanne : Emile Bernard, Maurice Denis, Joachim Gasqu<strong>et</strong>,Angers, Macula, 1978.59


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008<strong>et</strong> sa facture classiques 9 . Ainsi comprise, Ema incarnerait « une sorte <strong>de</strong> faux ready-ma<strong>de</strong> àtiroirs qui instruit à la fois le procès <strong>de</strong> la critique duchampienne <strong>de</strong> la peinture <strong>et</strong> celui duready-ma<strong>de</strong> 10 ». En réalité, Richter fait <strong>de</strong>s photographies avec les moyens <strong>de</strong> la peinture, <strong>de</strong>sorte qu’il va vers la photographie « non pas en l’utilisant comme moyen <strong>de</strong> peindre mais enutilisant la peinture comme moyen <strong>de</strong> photographier 11 ».Alberola, quant à lui, choisit dès sa première exposition à la galerie Templon en 1984,avec l’emblématique Nature morte avec portrait <strong>de</strong> Marcel Duchamp <strong>et</strong> Marcel Broodthaersen Frères Lumière <strong>de</strong> 1983 <strong>de</strong> se placer sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux Marcel, dont le travail <strong>de</strong> sape<strong>et</strong> <strong>de</strong> remise en cause <strong>de</strong> l’œuvre d’art, <strong>de</strong> son statut <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa valeur 12 , a profondément marqué– <strong>et</strong> marque toujours – le travail <strong>de</strong>s artistes du XX e siècle à aujourd’hui. À l’occasion <strong>de</strong> c<strong>et</strong>temanifestation inaugurale, Alberola déclare sans doute en hommage au titre <strong>de</strong> la premièreexposition <strong>de</strong> Broodthaers en 1964 (Moi aussi je me suis <strong>de</strong>mandé si je ne pouvais pas vendrequelque chose…, Bruxelles, gal. Saint-Lambert) : « J’ai trouvé quelque chose à vous dire & jevais le faire en peignant 13 » – formulation qui fait aussi résonner les mots <strong>de</strong> Cézanne <strong>et</strong> ceux<strong>de</strong> John Cage : « I have nothing to say and I am saying it ! 14 ». Déjà le ton est donné dansc<strong>et</strong>te œuvre qui réunit : peintures abstraite <strong>et</strong> figurative, photographie, écriture, cinéma <strong>et</strong>rassemble les genres : mythologie, nature morte <strong>et</strong> portrait. Par une espiègle superposition, ilépingle littéralement les profils photographiés <strong>de</strong>s Marcel <strong>et</strong> les m<strong>et</strong> en situation <strong>de</strong>regar<strong>de</strong>urs, sinon <strong>de</strong> voyeurs, qui épient <strong>et</strong> masquent tout à la fois la jeune femme dénudéedans la reproduction du Tintor<strong>et</strong>. Les voilà donc dans la position <strong>de</strong>s vieillards <strong>de</strong> la Suzanneau bain, d’Actéon 15 surprenant Diane ou encore <strong>de</strong>s spectateurs indiscr<strong>et</strong>s d’Étant donné…Dans la même veine, une photographie trouvée, signée « Acteon invenit » <strong>et</strong> reproduite dansL’Impression d’Afriques est titrée « <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> la peinture ». Avouant le besoin « d’êtreplusieurs noms », Alberola prétend en finir avec les hiérarchies, comme le résume Bernard9 Ce qu’adm<strong>et</strong> Richter : « Comme je connaissais Duchamp, il a certainement eu une influence. Peut-être était-ceaussi une attitu<strong>de</strong> inconsciente <strong>de</strong> contradiction, car son Nu <strong>de</strong>scendant l’escalier m’a plutôt agacé. Jel’appréciais, mais je n’arrivais pas à adm<strong>et</strong>tre qu’il mît un terme à une certaine manière <strong>de</strong> peindre. J’ai donc faitle contraire <strong>et</strong> peint un « nu conventionnel ». Mais, comme je le disais, ceci s’est produit inconsciemment, sansbut ni stratégie, <strong>de</strong> même pour Vier Glasscheiben. Je pense qu’il y avait chez Duchamp un aspect qui ne meconvenait pas, trop <strong>de</strong> mystère » dans Hans-Ulrich Obrist (éd.), op. cit., « Entr<strong>et</strong>ien avec Jonas Storsve », 1995,p. 181.10 Christian Bernard, « Gerhard Richter. Emma (Nu dans un escalier) », art press, n° 120, décembre 1987, p. 88.11 Robert Storr, Gerhard Richter. Forty years of painting, New York, The Museum of Mo<strong>de</strong>rn Art, 2002, p. 36.12 Un <strong>de</strong>s points d’orgue <strong>de</strong> la contestation conduite par Broodthaers rési<strong>de</strong> dans l’ouverture en 1968 du « muséed’Art mo<strong>de</strong>rne, Département <strong>de</strong>s aigles » proposant un rassemblement d’obj<strong>et</strong>s divers ébranlant le caractèreprécieux, sinon sacré, <strong>de</strong> l’œuvre d’art <strong>et</strong> tournant en dérision les ambitions muséales, ses critères péremptoires<strong>de</strong> classifications <strong>et</strong> ses rêves d’éternité.13 Jean-Michel Alberola, « Interview par Catherine Strasser », Galerie Templon, Paris, 1984.14 John Cage, « La Conférence sur Rien » [1952], Silence, Cambridge, MIT Press, 1961.15 L’autre nom <strong>de</strong> l’artiste, écrit en toutes l<strong>et</strong>tres comme une signature dans la peinture.60


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008Marcadé dans ce chapitre au titre programmatique : « Où il se traite <strong>de</strong> la différence <strong>de</strong> natureentre la peinture & ses équivalents. Où l’on voit qu’une photo ou qu’une parole dite estl’équivalent d’un tableau fait. Où l’on raconte à c<strong>et</strong>te occasion l’histoire <strong>de</strong>s "<strong>de</strong>uxMarcel" 16 ». À ce p<strong>et</strong>it jeu <strong>de</strong>s combinaisons <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux médiums, Alberola concurrence doncsérieusement Richter, mais la question n’est pas tant <strong>de</strong> savoir qui <strong>de</strong> l’un ou l’autre l’emportedans la surenchère, que <strong>de</strong> saisir la finalité <strong>de</strong> ces confrontations, qui relèvent <strong>de</strong> pratiques <strong>de</strong>décloisonnement <strong>et</strong> <strong>de</strong> transposition <strong>et</strong> ont à voir avec la nécessité <strong>de</strong> dépasser <strong>de</strong>sclassifications anciennes, aujourd’hui caduques, <strong>et</strong> <strong>de</strong> renouveler les moyens techniques <strong>de</strong>représentation.Quant à Wall, il tranche en faveur d’une théorie <strong>de</strong>s équivalences qui l’érige en« peintre <strong>de</strong> la vie mo<strong>de</strong>rne 17 » maniant le cibachrome sur caisson lumineux – commercialisé<strong>de</strong>puis 1963, ce tirage agrandi, aussi appelé ilfochrome, est monté dans un boîtier métalliqueéclairé par l’arrière –, qui tient autant du cinéma que du ready-ma<strong>de</strong> d’obj<strong>et</strong> publicitaire, ouplutôt, selon ses propres mots, ne sont « pas <strong>de</strong> la photo, ni du cinéma, ni <strong>de</strong> la peinture, cen’était pas <strong>de</strong> la publicité, mais cela avait fortement à voir avec tout cela 18 ». À contre-courant<strong>de</strong> l’approche qui cherche à recréer la photographie en peinture, Wall propose unereconstitution mise en scène <strong>de</strong> la peinture dans <strong>et</strong> par la photographie, visant « la réinventiond’une tradition picturale sans les moyens propres ou considérés comme tels <strong>de</strong> la peinture 19 ».C’est ainsi que dans The Guitarist (1987) – sa version révisée <strong>de</strong> L’Odalisque à l’esclaved’Ingres (1843) – Wall se prive du potentiel d’idéalisation <strong>de</strong> la peinture, <strong>de</strong> sa capacité àconstruire le décor ou <strong>de</strong> sa dimension allégorique <strong>et</strong> assume pleinement la contrainte dumédium photographique, qui implique d’assembler <strong>de</strong>s personnes, <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> <strong>de</strong>senvironnements bien réels, témoins comme le rappelle Barthes que « la chose a été là ». Àl’inverse <strong>de</strong> Richter qui, par le recours à la photographie, évite l’écueil maniériste <strong>de</strong> lastylisation <strong>et</strong> « corrige sa manière <strong>de</strong> voir » en s’efforçant <strong>de</strong> limiter son interventionartistique au minimum, Wall s’autorise <strong>de</strong>s corrections sur le modèle, apporte <strong>de</strong>s rectificatifsà l’original, comme dans Picture for Women qui révise la perspective suspecte du Bar auxFolies-Bergère (1881-1882) <strong>de</strong> Man<strong>et</strong>.16 Jean-Michel Alberola. Astronomie populaire, Nîmes, Carré d’art, 1990, p. 9.17 Jeff Wall, Essais <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>iens 1984-2001, « Typologie, luminescence, liberté ; Extraits d’une conversationavec Els Barents», Paris, Ensba, 2001, p. 62.18 Ibid., p. 63.19 Jean-François Chevrier, Jeff Wall, Paris, Hazan, 2006, p. 179.61


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008Face à la difficulté, voire à l’impossibilité, aujourd’hui <strong>de</strong> continuer <strong>de</strong> peindre« comme avant », tous trois optent pour <strong>de</strong>s stratégies différentes. Richter prend le parti <strong>de</strong>rendre compte <strong>de</strong> l’« effacement du visible dans la seule lisibilité <strong>de</strong> la peinture 20 . » Aprèsavoir fait l’expérience en 1973 <strong>de</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> peindre, <strong>et</strong> même <strong>de</strong> copier, un cycle surl’Annonciation après <strong>et</strong> d’après Titien, il déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> « résoudre le problème en démontrantc<strong>et</strong>te incapacité 21 . » Abandonnant l’image au profit <strong>de</strong> la peinture, il franchit le pas dufiguratif à l’abstrait pour se délivrer finalement <strong>de</strong> sa référence initiale. Et simultanément àces abstractions conçues à partir <strong>de</strong> brouillages d’obj<strong>et</strong>s comme pour la série Vorhang autour<strong>de</strong> 1965, ou <strong>de</strong> peintures à la manière <strong>de</strong>s Ausschnitt inspirés du Cri <strong>de</strong> Munch entre 1970 <strong>et</strong>1973, Richter n’a cessé <strong>de</strong> concevoir <strong>de</strong> 1960 à 2005 <strong>de</strong> « pures abstractions » dépourvues d<strong>et</strong>out référent.La progression <strong>de</strong> l’image à l’image peinte, puis <strong>de</strong> l’image peinte à la peinture, c’estaussi le cheminement d’Alberola à partir <strong>de</strong> sa rencontre <strong>de</strong> 1982 avec l’œuvre <strong>de</strong> Man<strong>et</strong> 22 –qu’il tient avec Cézanne <strong>et</strong> Broodthaers pour les déclencheurs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te crise <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité :« il n’est pas simple <strong>de</strong> peindre <strong>de</strong> nos jours, pas même simple <strong>de</strong> dire "je peins" sansdéclencher immédiatement <strong>de</strong>s réactions louches, d’un côté ou <strong>de</strong> l’autre, celui <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxMarcel, ou celui <strong>de</strong>s enfants d’Édouard 23 ». Quant au rôle qu’il assigne à la photographie, ilhésite entre un travail <strong>de</strong> repérage <strong>et</strong> d’enregistrement, aussitôt désavoué par le jeu du flou <strong>et</strong><strong>de</strong> la disparition obtenue par eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> solarisation ou <strong>de</strong> variation du temps d’exposition. Àtravers la fragilisation <strong>de</strong> la certitu<strong>de</strong> photographique, s’opère une mise en doute <strong>de</strong>s capacités<strong>de</strong>s médias relayée par les « Films, textes, photos [qui] prennent <strong>de</strong>s formes différentes pourcontinuer à parler <strong>de</strong> peinture, <strong>et</strong> à en parler le plus complètement possible. (…) Un peintreseul ne suffit plus, il faut être trois : un pour la peinture traditionnelle, un pour la rupture, <strong>et</strong>moi 24 . » Contraint d’adm<strong>et</strong>tre la situation <strong>de</strong> la peinture submergée par l’image <strong>et</strong> le spectacle,il fait le constat dans L’Effondrement <strong>de</strong>s enseignes lumineuses d’une peinture réduite à ne20 Bernard Blistène, « Gerhard Richter ou l’exercice du soupçon », dans Gerhard Richter, Saint-Étienne, Muséed’Art <strong>et</strong> d’Industrie, 1984, p. 5.21 Hans-Ulrich Obrist (éd.), op. cit., « Entr<strong>et</strong>ien avec Jonas Storsve », 1995, p. 182.22 Alberola revient dans son entr<strong>et</strong>ien avec Demosthène Davv<strong>et</strong>as (Jean-Michel Alberola, Les Images peintes,1984, p. 17) sur c<strong>et</strong>te différence majeure entre image <strong>et</strong> peinture qu’il introduit dans son travail à partir <strong>de</strong> c<strong>et</strong>tedate : « Avant le travail sur Man<strong>et</strong>, il y avait en présence, <strong>de</strong>s images « trouvées », toutes plus ou moinsexplicables ; après, il se trouve que <strong>de</strong> plus en plus, ce sont <strong>de</strong>s images « sous influence », <strong>de</strong>s images« dictées », libres <strong>de</strong> toute appartenance si ce n’est la mienne (mon histoire personnelle), <strong>de</strong>s peintures que je nedésire plus expliquer ».23 Jean-Michel Alberola. La peinture, l’histoire <strong>et</strong> la géographie, « Occupation peinture », Paris, MNAM, 1985,p. 91.24 Jean-Michel Alberola, op. cit., 1984, p. 3.62


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008plus exister que « dans le coin 25 », comme un enfant puni envoyé au coin… Et pendant quecertains font « <strong>de</strong>s images en passant par la peinture, sans doute pour avoir c<strong>et</strong>te équivalenceavec la photographie, le cinéma <strong>et</strong> la vidéo », lui, observe la démarche inverse, ancrée dans lacertitu<strong>de</strong> que « la peinture ne sera jamais comme les images que l’on voit défiler. La peinturen’est pas une image chimique, toute la différence est là 26 ».Des « enseignes lumineuses » d’Alberola aux caissons lumineux <strong>de</strong> Wall empruntés auregistre commercial <strong>de</strong>s vitrines, il est chaque fois question <strong>de</strong> « spectacularité », induite chezWall par le déplacement <strong>de</strong> la peinture à la « cinématographie » qui fonctionne comme un« commentaire <strong>et</strong> une analyse dans une nouvelle image pour essayer d’en dégager la structureinterne. (…) C’est à la fois l’occasion <strong>de</strong> récupérer le passé – le grand art <strong>de</strong>s musées – <strong>et</strong> <strong>de</strong>faire intervenir un eff<strong>et</strong> critique dans la spectacularité la plus récente. C’est ce qui donne àmon travail c<strong>et</strong>te relation particulière avec la peinture. J’aime à penser que mes images sont lecontraire spécifique <strong>de</strong> la peinture 27 . » Frédéric Migayrou 28 m<strong>et</strong> en évi<strong>de</strong>nce la parenté <strong>de</strong>c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> avec l’« image dialectique » censée, selon Adorno, produire un schémanouveau du passé. En conjuguant les moyens techniques <strong>de</strong> la peinture <strong>et</strong> <strong>de</strong> la photographie,Wall entreprend une monumentalisation <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière qui renoue avec l’échelle un, perduedans la reproduction photographique, <strong>de</strong> sorte que, par leur gran<strong>de</strong>ur nature, ses <strong>tableaux</strong><strong>photographiques</strong> engagent physiquement le spectateur dans l’œuvre <strong>et</strong> rivalisent avec laportée allégorique <strong>de</strong>s grands formats <strong>de</strong> la peinture d’histoire du XIX e siècle. En ce sens, loin<strong>de</strong> participer à une entreprise <strong>de</strong> liquidation <strong>de</strong> la peinture, la photographie se présente plutôtcomme un prolongement <strong>de</strong> celle-ci.Au terme <strong>de</strong> c<strong>et</strong> examen <strong>de</strong>s pratiques formelles, il apparaît que les seuls critèrespratiques ne suffisent pas à qualifier l’œuvre dite postmo<strong>de</strong>rne. À ceci près que les procédés<strong>de</strong> décloisonnement <strong>et</strong> <strong>de</strong> transposition exploités par Richter, Wall <strong>et</strong> Alberola garantissent un<strong>de</strong>gré minimal d’appropriation <strong>et</strong> les gar<strong>de</strong>nt d’une citation littérale, récurrente dans le travailJulian Schnabel ou <strong>de</strong>s trans-avant-gar<strong>de</strong>s. À l’éclectisme <strong>et</strong> au pastiche du « tout sur latable » <strong>de</strong> Bonito-Oliva, ils opposent ainsi la cohérence <strong>de</strong> l’hybridité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la citationchoisies. Les modèles dont ils se réclament nous invitent à prendre en considération d’autrescritères, non plus formels mais d’ordre idéologique.25 « … ce serait une exposition qui rendrait compte <strong>de</strong> la place laissée à la peinture après quelque temps – uneplace dans le coin » dans L’Effondrement <strong>de</strong>s enseignes lumineuses, Fondation Cartier pour l’art contemporain,Paris, 1995, p. 9.26 Jean-Michel Alberola, entr<strong>et</strong>ien avec Demosthène Davv<strong>et</strong>as, op.cit., 1984, p. 1527 Jeff Wall, op. cit., 2001, p. 64.28 Frédéric Migayrou, Jeff Wall, Bruxelles, La L<strong>et</strong>tre volée, 1995, p. 27.63


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008• « Nous n’avons jamais été postmo<strong>de</strong>rnes 29 » : Avant-gar<strong>de</strong>s <strong>et</strong> postmo<strong>de</strong>rnismeRichter, Wall <strong>et</strong> Alberola se r<strong>et</strong>rouvent encore sur la façon <strong>de</strong> se situer en marge du« postmo<strong>de</strong>rnisme », auquel ils récusent toute forme d’appartenance, <strong>et</strong> qu’ils rej<strong>et</strong>tent jusquedans le terme <strong>de</strong> « citation », jugé réducteur : « Certes, il est peu d’artistes qui aient unepratique plus sophistiquée du réemploi, du détournement <strong>de</strong> sources, <strong>de</strong> l’allusion frontale ouoblique. Mais ces procédés sont aux antipo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la pratique citationnelle qui domine chez lesartistes qui comme lui sont issus <strong>de</strong> l’art conceptuel, aux antipo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la citation conçuecomme obj<strong>et</strong> trouvé ou comme ready-ma<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’appropriation, <strong>de</strong> la rephotographie, <strong>de</strong> l’art<strong>de</strong>s guillem<strong>et</strong>s 30 . » Interrogé sur son rapport au postmo<strong>de</strong>rne, Wall répond : « Je n’aime pas ceconcept. Ce n’est pas le mien. "Post-mo<strong>de</strong>rne" veut suggérer que le mo<strong>de</strong>rne est passé. Pourmoi, seule l’avant-gar<strong>de</strong> est passée, ou mieux, les idées <strong>de</strong> l’avant-gar<strong>de</strong> ont changé <strong>et</strong> parexemple l’idée qu’il fallait être contre la conception bourgeoise <strong>de</strong> l’art 31 . »Richter exprime la même méfiance à l’égard du postmo<strong>de</strong>rnisme qu’il dédaigne commeétranger à « son propos » <strong>et</strong> ce n’est pas sans un certain mépris qu’il traite « l’art à messages »qui lui est associé : « quand les peintres "expriment", ils illustrent, m<strong>et</strong>tent leur bêtise enévi<strong>de</strong>nce ; leurs messages sont déplacés, ennuyeux, hypocrites, truqués, minables <strong>et</strong> agressifs(exemple type : Kucki, Kia, Klemente) – la seule exception est Beuys 32 . » Condamnant sansappel le département <strong>de</strong> la Dokumenta <strong>de</strong> 1977 consacré à la « peinture <strong>de</strong> la peinture », ildénigre ce « pseudo-thème » jugé « factice » <strong>et</strong> rappelle que : « Le fait que la peinture seréfère à la peinture est une évi<strong>de</strong>nce (…) on ne saurait en faire un thème central (…). Uneidée insatisfaisante qui j’espère servira <strong>de</strong> leçon 33 . »Pas plus que Wall <strong>et</strong> Richter, Alberola ne cautionne ce terme <strong>de</strong> « postmo<strong>de</strong>rne », àmoins <strong>de</strong> le définir à la suite <strong>de</strong> Marie-Luise Syring comme une « radicalisation <strong>de</strong> l’artmo<strong>de</strong>rne » qui placerait alors l’artiste « au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> tout système <strong>de</strong> classification, <strong>de</strong> tout ordresymbolique, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s catégories esthétiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s époques, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> style<strong>et</strong> <strong>de</strong> forme 34 », lui qui s’efforce <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer « tout au long <strong>de</strong> [son] existence inqualifiable29 Titre d’une contribution au dossier esthétique d’art press n° 292, juill<strong>et</strong>-août 2003.30 Thierry <strong>de</strong> Duve, Jeff Wall, New York, Londres, Phaidon, 2006, p. 27.31 Jeff Wall, op. cit., « "Une tradition démocratique, une tradition bourgeoise <strong>de</strong> l’art", Anne-Marie Bonn<strong>et</strong> <strong>et</strong>Rainer M<strong>et</strong>zger, entr<strong>et</strong>ien avec Jeff Wall », 2001, p. 261.32 Hans-Ulrich Obrist (éd.), op. cit., « Notes 1986 », p. 102.33 Id. (éd.), op. cit., « Réponses aux questions <strong>de</strong> Marlies Grüterich », p. 71. Idée reprise plus tard lors d’un« Entr<strong>et</strong>ien avec Sabine Schütz » : « Jürgen Harten écrivait que vos œuvres étaient « la peinture <strong>de</strong> la peinture »c’est-à-dire un commentaire <strong>de</strong> la peinture. / C’est inexact. Sinon, je pourrais tout aussi bien dire en écoutantBach que c’est <strong>de</strong> la musique sur la musique parce que sa musique repose sur une tradition, sur une harmoniecohérente où chaque son se rapporte au précé<strong>de</strong>nt, ce qui signifierait qu’elle n’a aucune finalité <strong>et</strong> qu’elle neparle pas. Une partie d’échecs. À qui cela <strong>de</strong>vrait-il servir ? », p. 173.34 Die Malerei, die Geschichte, die Geographie, und…, op. cit., 1989, p. 75.64


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008au niveau <strong>de</strong> [sa] praxis » <strong>et</strong> nous m<strong>et</strong> au défi <strong>de</strong> jamais parvenir à « lui m<strong>et</strong>tre le grappin<strong>de</strong>ssus 35 . »Si tous trois se défen<strong>de</strong>nt d’illustrer une quelconque tendance à <strong>de</strong>s r<strong>et</strong>ours, leursœuvres soulignent en revanche l’affinité élective <strong>de</strong> leur pratique avec celle du photomontagedéveloppé par les avant-gar<strong>de</strong>s surréalistes, constructivistes ou dadaïstes. Ils se réclamentd’ailleurs ouvertement <strong>de</strong> l’héritage mo<strong>de</strong>rniste <strong>et</strong> avant-gardiste : tandis que Wall débute sacarrière comme artiste conceptuel <strong>et</strong> avoue son intérêt pour les théories <strong>de</strong> Greenberg <strong>et</strong> Fried,Richter mène <strong>de</strong> front peinture abstraite <strong>et</strong> figurative, ou plus exactement déclare peindre « àtravers toute l’histoire <strong>de</strong> l’art en direction <strong>de</strong> l’abstraction… (…) C<strong>et</strong> élément informeltraverse chaque image que je réalise, qu’il s’agisse d’un paysage, d’un portrait <strong>de</strong> familled’après photo, ou <strong>de</strong> chartes colorées ou <strong>de</strong> peintures grises 36 ». Délaissant progressivementles « images peintes » au profit <strong>de</strong> la peinture, Alberola se pose en figure <strong>de</strong> laréconciliation parvenant à faire coexister la peinture traditionnelle <strong>et</strong> les « <strong>de</strong>ux Marcel ».Alors que tous trois récusent catégoriquement l’inscription <strong>de</strong> leur travail dans le champ<strong>de</strong> l’art postmo<strong>de</strong>rne, ils le rej<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> manière plus ou moins virulente. L’attitu<strong>de</strong> modérée<strong>de</strong> Jeff Wall est à resituer dans l’espace spécifique du débat théorique américain où coexistent<strong>de</strong>ux acceptions antithétiques du concept. Tandis qu’une première position, liée à la politiquenéo-conservatrice, prend fait <strong>et</strong> cause pour un postmo<strong>de</strong>rnisme entendu comme un antimo<strong>de</strong>rnisme<strong>et</strong> fait du pastiche le style officiel, la secon<strong>de</strong>, progressiste <strong>et</strong> attachée à la théoriepost-structuraliste, plai<strong>de</strong> en faveur du postmo<strong>de</strong>rnisme, conçu comme une critique <strong>de</strong> lareprésentation. Sur la scène européenne où c<strong>et</strong>te dualité n’existe guère, le concept <strong>de</strong>postmo<strong>de</strong>rnisme est presque systématiquement associé à une idéologie passéiste <strong>et</strong>réactionnaire. Et en Allemagne, dans un climat d’après-guerre placé sous le signe <strong>de</strong> lasuspicion <strong>et</strong> <strong>de</strong> menaces <strong>de</strong> relents fascistes, on s’explique mieux la très vive réaction <strong>de</strong>Richter <strong>et</strong> la virulence <strong>de</strong> ses propos à l’encontre d’un postmo<strong>de</strong>rnisme pour le moins ambigu,auquel il est fâcheux d’associer sa pratique.Si le mélange <strong>de</strong>s supports <strong>et</strong> <strong>de</strong>s techniques <strong>et</strong> la confrontation <strong>de</strong> leur histoirerespective sont bien caractéristiques <strong>de</strong>s pratiques d’hybridation <strong>et</strong> <strong>de</strong> citation qui envahissentle champ <strong>de</strong> l’art dit postmo<strong>de</strong>rne, ces procédés formels ne lui sont cependant pasexclusivement réservés. D’autres artistes, <strong>et</strong> notamment ici Richter, Wall <strong>et</strong> Alberola,irréductibles à c<strong>et</strong>te étiqu<strong>et</strong>te, recourent à ces mêmes moyens, mais dans une finalité biendifférente.35 Jean-Michel Alberola, L’Effondrement <strong>de</strong>s enseignes lumineuses, op. cit., 1995, p. 38.36 Robert Storr, op. cit., 2002, p. 27 note 35.65


Le Postmo<strong>de</strong>rne : un paradigme pertinent dans le champ artistique ?, INHA & Grand Palais, Paris, 30-31 mai 2008Résolument hermétique, en eff<strong>et</strong>, au postmo<strong>de</strong>rnisme entendu au sens d’esthétique dupluralisme <strong>et</strong> du second <strong>de</strong>gré, <strong>de</strong> règne <strong>de</strong>s citations aveugles <strong>et</strong> amnésiques précipitant uneinévitable confusion <strong>de</strong>s genres <strong>et</strong> célébrant la faillite <strong>de</strong>s critères mo<strong>de</strong>rnistes d’originalité <strong>et</strong>d’authenticité <strong>de</strong> l’œuvre d’art, le travail <strong>de</strong> Richter, Wall <strong>et</strong> Alberola forme avec beaucoupd’autres <strong>de</strong>s poches <strong>de</strong> résistance garantes <strong>de</strong> l’héritage mo<strong>de</strong>rniste <strong>et</strong> d’une authentiquemémoire <strong>de</strong> l’histoire, farouchement opposée à l’éclectisme défini par Jean-François Lyotardcomme « le <strong>de</strong>gré zéro <strong>de</strong> la culture générale contemporaine 37 ». Force est <strong>de</strong> reconnaître quel’œuvre <strong>de</strong> ces trois artistes ignore tout <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te vampirisation du modèle, bafoué, déprécié,systématiquement pastiché 38 , vidé <strong>de</strong> sens <strong>et</strong> privé <strong>de</strong> contexte, réduit à n’être qu’un prétextefiguratif <strong>et</strong> narratif. Parce que, selon les mots mêmes <strong>de</strong> Wall, « rien ne lui était donné paravance, que rien n’était gagné, que l’héritage <strong>de</strong> la peinture <strong>de</strong>vait être reconstruit pièce àpièce 39 », leurs pratiques se situent aux antipo<strong>de</strong>s d’une littérale <strong>et</strong> d’une plate récupération.Centré sur un corpus resserré, il s’agit, plutôt que d’épuiser le référent <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’arracher à sonhistoire, <strong>de</strong> lui offrir le présent comme valeur ajoutée, dans une réflexion qui engage uneréactualisation à caractère politique ou social <strong>et</strong>, surtout, qui n’a pas oublié que « Faire <strong>de</strong> lapeinture, c’est la faire comme elle a toujours été faite, sans que ça soit un r<strong>et</strong>our mais unecontinuation 40 . »Ainsi c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> a-t-elle révélé l’absence <strong>de</strong> spécificités formelles <strong>de</strong> l’art postmo<strong>de</strong>rne<strong>et</strong> nous a progressivement entraînés vers <strong>de</strong>s considérations d’une autre nature ; l’œuvre <strong>de</strong>Richter, Wall <strong>et</strong> Alberola m<strong>et</strong>tant en crise la notion <strong>de</strong> postmo<strong>de</strong>rnisme, elle appelle àrepenser sa définition, sous l’angle notamment <strong>de</strong> la question idéologique.37 Jean-François Lyotard, Le Postmo<strong>de</strong>rne expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1986.38 Notion approfondie par Fredric Jameson <strong>et</strong> définie par lui comme une parodie sans obj<strong>et</strong>.39 Jean-François Chevrier, op. cit., 2006, p. 184.40 Jean-Michel Alberola, op. cit, 1984, p. 2.66

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!