589-(03) Ch. Eggers - Mémorial de la Shoah

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14 LE MONDE JUIFObtenir les visas de transit et des places sur les rares bateaux estloin d’être facile, et beaucoup d’internés des Milles n’y arriveront pasavant que l’entrée en guerre des Etats-Unis ne rende illusoire toutespoir d’émigration. En août 1942, environ 2 000 personnes, dont beaucoupde Juifs allemands, seront déportées à partir des Milles à Drancy,puis à Auschwitz. Le 11 août, 488 personnes seront envoyées desMilles à Drancy, et le 13 août il en sera de même pour 562 personnes.D’autres déportés vont transiter par Rivesaltes. Une fois vidé par lesdéportations, le camp des Milles sera définitivement fermé le 11décembre 1942.Lorsque l’on essaye d’analyser la démarche de Vichy à l’égard del’internement, on constate qu’elle est marquée à la fois par unedémarche répressive et sécuritaire et par un discours humanitaire. Ausein du projet de bouleversement des bases de la société françaisequ’est la “Révolution Nationale”, les camps sont l’outil rêvé pourl’exclusion durable de la vie sociale de certaines catégories d’hommes.Mais l’administration, au moins dans un premier temps, essaye defaire de “bons camps”, où il fait bon vivre, aussi insensé que cela puisseparaître. On veut réorganiser le système d’internement de telle façon“…que les hébergés les plus dignes d’intérêt, femmes, enfants,vieillards, malades soient assurés d’y trouver la sollicitude et les soinsque requiert leur état…”. 20 Ce dualisme signifie dans la pratique quele système d’internement “produit” des grands malades, par les conditionsde vie qui y règnent, mais que son agencement prévoit des lieuxspéciaux pour les concentrer et les “soigner”. Le lieu emblématique decette politique absurde est le “camp-sanatorium” de la Guiche(Saône-et-Loire), ouvert le 15 octobre 1941 et pouvant accueillirjusqu’à 260 personnes. La maladie type que l’on contracte dans lescamps est la tuberculose, conséquence directe de la sous-alimentationet des conditions de logement. La Guiche, ancien sanatorium désaffectéaprès la mise en place de la ligne de démarcation, est destiné àaccueillir tous les tuberculeux des camps de la zone sud, hommes etfemmes confondus, qui devraient y être guéris avant d’être rejetésdans les camps.En fait, une fois de plus, toute la démarche de l’administration s’estsoldée par un échec. Une alimentation correcte, condition premièrepour guérir la tuberculose, n’y a jamais été assurée. La cause en est lacorruption des responsables sur place. En principe, les services duRavitaillement allouent au centre des suppléments de nourriture, dontla quantité est calculée en fonction du nombre de malades. Ces rationssont complétées par des apports de la part des œuvres privées. Cependant,à la Guiche, la cuisine est faite en commun pour les malades etles surveillants, de telle sorte que les denrées destinées à la suralimentationdes malades sont en grande partie mangées par les administrateurs,médecins et gardiens.

LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 15“La Guiche est le seul sana de France où les malades maigrissent21 ”.Soixante-quatre personnes sont mortes au “Sanatorium surveillé”de la Guiche avant sa fermeture en mars 1944.La Guiche n’est pas le seul lieu destiné aux personnes tombéesmalades dans les camps. Dans le cadre de la réorganisation du systèmeaprès son passage sous la responsabilité du ministère de l’Intérieur,deux structures dites : “Camps-hôpitaux” sont créées. Par ailleurs,l’hôpital St-Louis, à Perpignan, ouvert pour les seuls malades descamps dès février 1939 dans un “édifice guère qualifié pour servird’hôpital 22 ”, est maintenu en service par l’Intérieur et continue à fonctionnerau moins jusqu’en mai 1943.Les “Camps-hôpitaux” de Noé et du Récébédou sont tous deuxsitués à proximité de Toulouse. Le village de Noé se trouve à 25 km ausud du chef-lieu de la Haute-Garonne, sur la route nationale 117, et leRécébédou est une banlieue de Toulouse à 6 km environ au sud ducentre-ville. Dans les deux cas, il s’agit d’anciens logements d’ouvriersdes usines d’armement. Initialement, les deux installations étaientnon pas des camps d’internement, mais de véritables centres d’accueilpour les réfugiés du nord de la France. En automne 1940, Le Récébédouest géré par la ville de Toulouse, et Noé par les Quakers. En février1941, la préfecture de la Haute-Garonne, donc l’Intérieur, a récupéréles deux centres et les a intégrés dans le système d’internement poury rassembler les internés vieux et les malades. Chacun des deux campsest prévu pour 2 000 internés. Pendant les deux années qui suiventleur ouverture, l’effectif de chacun des deux camps se situe aux alentoursde 1 500 personnes.Les internés transférés dans l’un des deux camps à partir de février1941, notamment ceux qui viennent de Gurs, ont au début l’impressiond’une nette amélioration de leur situation. A Noé et au Récébédou, lesbaraques, que l’administration dénomme ici “pavillons”, sont enciment et disposent de véritables fenêtres au lieu des trappes de Gursqu’il faut fermer par mauvais temps et en hiver. Des lavabos sont installésà l’intérieur des baraques, et chacune d’elles dispose d’un poêle.A Noé il existe une réserve de linge qui date de la période où le centreétait géré par les Quakers.Cependant, au bout de quelques mois, la situation dans les“camps-hôpitaux” se détériore rapidement. La cause principale decette évolution, comme dans les autres camps, est la sous-alimentationqui y sévit bientôt, et qui est particulièrement dangereuse pour despersonnes âgées et malades. Si l’administration s’est montrée capabled’organiser le transfert des vieillards et des malades des autres campsà Noé et au Récébédou, elle a toutefois omis de faire le nécessaire pour

14 LE MONDE JUIFObtenir les visas <strong>de</strong> transit et <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ces sur les rares bateaux estloin d’être facile, et beaucoup d’internés <strong>de</strong>s Milles n’y arriveront pasavant que l’entrée en guerre <strong>de</strong>s Etats-Unis ne ren<strong>de</strong> illusoire toutespoir d’émigration. En août 1942, environ 2 000 personnes, dont beaucoup<strong>de</strong> Juifs allemands, seront déportées à partir <strong>de</strong>s Milles à Drancy,puis à Auschwitz. Le 11 août, 488 personnes seront envoyées <strong>de</strong>sMilles à Drancy, et le 13 août il en sera <strong>de</strong> même pour 562 personnes.D’autres déportés vont transiter par Rivesaltes. Une fois vidé par lesdéportations, le camp <strong>de</strong>s Milles sera définitivement fermé le 11décembre 1942.Lorsque l’on essaye d’analyser <strong>la</strong> démarche <strong>de</strong> Vichy à l’égard <strong>de</strong>l’internement, on constate qu’elle est marquée à <strong>la</strong> fois par unedémarche répressive et sécuritaire et par un discours humanitaire. Ausein du projet <strong>de</strong> bouleversement <strong>de</strong>s bases <strong>de</strong> <strong>la</strong> société françaisequ’est <strong>la</strong> “Révolution Nationale”, les camps sont l’outil rêvé pourl’exclusion durable <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie sociale <strong>de</strong> certaines catégories d’hommes.Mais l’administration, au moins dans un premier temps, essaye <strong>de</strong>faire <strong>de</strong> “bons camps”, où il fait bon vivre, aussi insensé que ce<strong>la</strong> puisseparaître. On veut réorganiser le système d’internement <strong>de</strong> telle façon“…que les hébergés les plus dignes d’intérêt, femmes, enfants,vieil<strong>la</strong>rds, ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s soient assurés d’y trouver <strong>la</strong> sollicitu<strong>de</strong> et les soinsque requiert leur état…”. 20 Ce dualisme signifie dans <strong>la</strong> pratique quele système d’internement “produit” <strong>de</strong>s grands ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, par les conditions<strong>de</strong> vie qui y règnent, mais que son agencement prévoit <strong>de</strong>s lieuxspéciaux pour les concentrer et les “soigner”. Le lieu emblématique <strong>de</strong>cette politique absur<strong>de</strong> est le “camp-sanatorium” <strong>de</strong> <strong>la</strong> Guiche(Saône-et-Loire), ouvert le 15 octobre 1941 et pouvant accueillirjusqu’à 260 personnes. La ma<strong>la</strong>die type que l’on contracte dans lescamps est <strong>la</strong> tuberculose, conséquence directe <strong>de</strong> <strong>la</strong> sous-alimentationet <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> logement. La Guiche, ancien sanatorium désaffectéaprès <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong> <strong>la</strong> ligne <strong>de</strong> démarcation, est <strong>de</strong>stiné àaccueillir tous les tuberculeux <strong>de</strong>s camps <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone sud, hommes etfemmes confondus, qui <strong>de</strong>vraient y être guéris avant d’être rejetésdans les camps.En fait, une fois <strong>de</strong> plus, toute <strong>la</strong> démarche <strong>de</strong> l’administration s’estsoldée par un échec. Une alimentation correcte, condition premièrepour guérir <strong>la</strong> tuberculose, n’y a jamais été assurée. La cause en est <strong>la</strong>corruption <strong>de</strong>s responsables sur p<strong>la</strong>ce. En principe, les services duRavitaillement allouent au centre <strong>de</strong>s suppléments <strong>de</strong> nourriture, dont<strong>la</strong> quantité est calculée en fonction du nombre <strong>de</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. Ces rationssont complétées par <strong>de</strong>s apports <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s œuvres privées. Cependant,à <strong>la</strong> Guiche, <strong>la</strong> cuisine est faite en commun pour les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s etles surveil<strong>la</strong>nts, <strong>de</strong> telle sorte que les <strong>de</strong>nrées <strong>de</strong>stinées à <strong>la</strong> suralimentation<strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s sont en gran<strong>de</strong> partie mangées par les administrateurs,mé<strong>de</strong>cins et gardiens.

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