589-(03) Ch. Eggers - Mémorial de la Shoah

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38 LE MONDE JUIFles interpréter à sa façon. Par ailleurs, un élément d’exploitation économiquede la main-d’œuvre est inhérent dès les débuts à toute l’entreprise.En fonction des scrupules des commandants, gardiens et entrepreneurs,cet élément est plus ou moins fortement ressenti par chaqueincorporé. Et la “valeur marchande” que possèdent les individus pourle système est inégale. Certains des hommes incorporés sont plus aptesque d’autres au travail physique dans l’agriculture ou comme bûcherons.Le GTE-type n’existe pas. On trouve des unités dont l’effectif nedépasse pas la trentaine, et d’autres qui comptent jusqu’à 2 000 hommes.Les détachements individuels font que souvent une partie seulementdes hommes sont effectivement au camp. La plupart des cantonnementssont de véritables camps, déjà par leur aspect. Un GTE, c’estgénéralement un ensemble de baraquements, soit en bois (Alès, Mauriac),soit en fibrociment (Les Garrigues, Fabrèges) ou en plâtre (Miramas),soit en pierre (La Favède, La Grand’Combe, La Peyrade). Maisles exceptions sont nombreuses. A peu près tout peut servir de cantonnementde GTE : des usines désaffectées (Albi), des châteaux(Arlanc-Mons, Aubagne, Nébouzat, Tombebouc), des fermes (Carnonplage, Cascardet, Chibron) ou des maisons au milieu d’un village (LesMées, St-Sauveur), les tribunes d’un stade de foot (La Ciotat) commedes garages (St-Cyr-sur-Mer), même d’anciennes fortifications (Fort deChapoly/Lyon). Si une partie des cantonnements paraît correcte,d’autres sont tout simplement insupportables. A Ruffieux (Savoie),camp dit “de palestiniens” et situé pourtant en haute montagne, lesbaraques n’ont pas de chauffage, et les fenêtres en “Vitrex” sont qualifiéesde “plus ou moins étanches” par le rabbin aumônier du groupe.A Septfonds, où est interné également un “groupe palestinien”, lesbaraques en bois sont en mauvais état. Elles n’ont pas de plancher, pasd’éclairage, les toitures sont endommagées et rien n’est fait pour lesisoler contre le froid. A St-Pé-de-Bigorre, c’est “une sorte de maisonsans lits ni éclairage” qui sert de logement. Les lits sont rares, généralementon dort sur des paillasses voire sur la paille, souvent infestéede vermine (Miramas).Certes, la vie d’un travailleur étranger détaché chez un paysan peutressembler à la vie de n’importe quel ouvrier agricole français. Certainsvivent avec leur famille et jouissent d’une relative liberté de mouvement.Mais un GTE peut aussi être un lieu de privation complète deliberté individuelle. Les cantonnements de tous les groupes disciplinairessont entourés d’une clôture de barbelés, que des gardiens armésinterdisent de franchir. Tel est aussi le cas d’un certain nombred’autres unités, notamment de “Groupes palestiniens”. En ce quiconcerne la liberté de mouvement, la situation des non-détachés peutêtre celle d’un soldat ou celle d’un détenu dans une prison ou un camp
LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 39répressif, avec tous les échelons intermédiaires. Dans de nombreuxgroupes les travailleurs jouissent d’un semblant de liberté. A Ruffieux(Savoie), “Groupe palestinien”, “les internés sortent en principe unefois par semaine. Quelques hommes mariés, dont les femmes habitentRuffieux ou les environs immédiats, ont obtenu l’autorisation de découcher”,note un visiteur en novembre 1941. 80 Dans d’autres groupes, leshommes peuvent disposer de toutes les soirées, généralement de 17 hà 22 h. En revanche, on possède des témoignages sur des cas où deshommes ont été envoyés dans un groupe disciplinaire pour avoir quittépendant le week-end le cantonnement sans autorisation formelle.Certes, il paraît facile de s’échapper d’un GTE, au moins pour ceux quin’ont pas une famille à leur charge. Mais ce n’est qu’une fois qu’on aquitté le camp que les vrais problèmes commencent, car un incorporédans un GTE est privé de ses papiers, de ses tickets d’alimentation,etc., et généralement n’a que peu ou pas d’argent. Où aller ? En fait,les tentatives de fuite ne peuvent réussir qu’avec l’aide d’un réseau.Comme dans les grands camps, jusqu’en été 1942, la plupart des fugitifssont vite repris, faute de soutien dans la population. Le changementinterviendra seulement après les déportations d’août 1942.La dépendance économique et le régime disciplinaire remplacentd’une certaine façon les barbelés. Chaque homme, même les détachés,a l’épée de Damoclès du groupe disciplinaire suspendu en permanenceau-dessus de sa tête. Rappelons le parfait arbitraire des décisions ducommandant et de l’employeur à cet égard. Les travailleurs étrangerssont des sans-droit. Un soupçon peut être suffisant pour déclencher lamesure punitive. Et “les Groupes disciplinaires sont souvent de véritablesbagnes”, ou l’on casse les hommes. 81 Les gardiens exercent àl’intérieur même du groupe une surveillance permanente, qui estd’autant plus efficace que les groupes sont petits. Toute préparation defuite risque d’être remarquée. Dans certains camps les gardiens sontd’anciens légionnaires qui font régner leur loi au sein des groupes,insultent et brutalisent les internés. Il ne faut pas sous-estimer l’effetque peuvent avoir sur le moral des humiliations subies en permanencede la part des gardiens. Poussés au désespoir, des hommes se sont suicidésdans les GTE.Les commandants, qui savent que la fuite est impossible sansargent, prennent soin de ne pas en laisser trop aux internés. Dans unebonne partie des groupes, dont tous les groupes disciplinaires, onenlève systématiquement aux nouveaux arrivants tous leurs moyensfinanciers. L’argent doit être déposé auprès du commandant, quiaccorde, selon son bon vouloir, des mensualités peu élevées à son propriétaire.Cette méthode est en usage depuis le début dans les grandscamps d’internement. Un interné du GTE 518 à Buzy (Basses-Pyr.)reçoit en juin 1941 un mandat de 4 000 F. Le commandant, qui gère la
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