589-(03) Ch. Eggers - Mémorial de la Shoah

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36 LE MONDE JUIFcentres du Service Social des Etrangers, dont il sera question au chapitreIII. Ainsi, après le 1 er mars 1942, plus aucun réfugié juif ne doitse trouver en liberté. Dans la pratique, les délais fixés par Vichy serontplus au moins respectés selon les départements, et l’incorporation systématiquen’a jamais été terminée. Dans l’Ariège, par exemple, elle n’amême pas encore commencé à la mi-mai 1942.La population des grands camps est également concernée par lanouvelle vague d’incorporations, tout comme les naturalisés français etles étrangers juifs indigents encore en liberté, qui ne sont plus trèsnombreux en ce début 1942. Des commissions d’incorporation commencentà siéger dans les camps. Dès le mois de janvier, une telle commissionséjourne pendant quelques jours au camp d’émigration desMilles, d’où elle envoie dans les GTE du département quelque200 internés juifs et un bon nombre de non-juifs, tous pourvus de visaspour des pays d’outre-mer. La période pendant laquelle on pouvaitespérer le salut d’une émigration outre-mer est définitivement terminée.Par la suite, tous les camps de la zone non-occupée sont passés aupeigne fin. A Gurs, dès le mois de janvier, le rabbin Kapel, aumônierdu camp, note que : “Les autorités du camp se demandent déjà commentelles pourront assurer les différentes corvées si tous les hommesjeunes et sains physiquement sont engagés dans les compagnies detravailleurs étrangers 71 .” En juin 1941, l’âge moyen des internés deGurs est estimé à 55 ans environ par des délégués du Comité d’assistanceaux Réfugiés (CAR). 72 Notons au passage que ce sont “les Juifsétrangers arrivés en France après le 1 er janvier 1936” qui seront la premièrecatégorie déportée de la zone non-occupée en août 1942. Lors dela mise en œuvre de leur déportation les autorités utiliseront les résultatsdu recensement effectué au printemps 1942 en vertu des dispositionsde la circulaire Pucheu. 73GTE et Camps d’hébergement – ressemblances et différencesLa comparaison que font les internés passés des grands camps auxGTE les amène souvent à des considérations qui ne sont pas très favorablespour ces derniers. Nombreux sont ceux qui “…se considèrentcomme des internés soumis à des travaux forcés.” 74 Dans un premiertemps les organisations d’assistance avaient accueilli favorablementles projets d’incorporation massive de l’administration. Mais au fil deleurs expériences et observations sur le terrain, ainsi que des entretienset de la correspondance avec les personnes dans les camps, leurappréciation évolue nettement. Au bout de quelques mois, force leurest de constater que les différences en ce qui concerne les conditions devie restent très minces, et que les “Centres d’hébergement” comme les

LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 37GTE sont en fait deux formes du même phénomène, l’internement. Enoctobre 1941, devant le Comité de Nîmes, Georges Picard porte encoreun jugement mitigé.« Certes bien, sous de nombreux rapports, le travailleur étrangerest dans une situation nettement privilégiée, quand on compare cettesituation avec celle de l’interné. Mais le travailleur étranger n’en restepas moins un transplanté, un déraciné, un instable, un homme exerçantun emploi pour lequel il est fort peu qualifié 75 .»Deux mois plus tard, son jugement se fait nettement plus sévère.« Dans la plupart des formations de travailleurs étrangers, onretrouve les mêmes problèmes que dans les Centres d’hébergement,nourriture insuffisante, situation vestimentaire lamentable, manquede médicaments, etc. 76 »Au printemps 1942 enfin, les nombreux contacts qu’il a eus entretempsavec des incorporés et des délégués des différentes œuvres ontmodifié son avis.« Les travailleurs étrangers en provenance des camps d’internéscivils sont unanimes à trouver que leur sort est un peu mieux à certainségards…, mais ils se considèrent tous, à bon droit semble-t-il,comme des condamnés aux travaux forcés. 77 »Jules Jefroykin, qui représente à ce moment-là le JOINT à Marseille,porte en avril 1942 un jugement similaire, quand il écrit quedans les GTE « …les conditions matérielles d’existence sont sinon plusmauvaises, du moins en aucune façon meilleures que celles des centresd’hébergement. 78 »Le D r Silberstein, du bureau du CAR à Montauban, après avoirvisité en mai et juin 1942 bon nombre de GTE du sud-ouest, note quela plupart des hommes qu’il a vus ont l’aspect typique des sous-alimentés.Dans toutes les unités inspectées il a rencontré des casd’œdèmes de carence. 79Plus encore que les camps dits “d’hébergement”, les GTE ont étéconçus et fonctionnent comme un système. Cela se manifeste surtoutpar les transferts fréquents et par la grande mobilité des groupes quichangent fréquemment de lieu de stationnement. Des individus peuventcirculer à l’intérieur du système, mais il leur est extrêmement difficiled’en sortir. Ce caractère de système n’empêche pas que les conditionsd’existence varient énormément d’une unité à l’autre, et souventmême au sein d’un même GTE, en fonction du statut individuel du travailleur.Soulignons au passage que ces différences de statut et deconditions ne sont pas le résultat d’un plan initial. Elles semblent plutôtavoir été provoquées par les incohérences des ordres en provenancedes instances centrales. Chaque responsable sur le terrain peut et doit

36 LE MONDE JUIFcentres du Service Social <strong>de</strong>s Etrangers, dont il sera question au chapitreIII. Ainsi, après le 1 er mars 1942, plus aucun réfugié juif ne doitse trouver en liberté. Dans <strong>la</strong> pratique, les dé<strong>la</strong>is fixés par Vichy serontplus au moins respectés selon les départements, et l’incorporation systématiquen’a jamais été terminée. Dans l’Ariège, par exemple, elle n’amême pas encore commencé à <strong>la</strong> mi-mai 1942.La popu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s grands camps est également concernée par <strong>la</strong>nouvelle vague d’incorporations, tout comme les naturalisés français etles étrangers juifs indigents encore en liberté, qui ne sont plus trèsnombreux en ce début 1942. Des commissions d’incorporation commencentà siéger dans les camps. Dès le mois <strong>de</strong> janvier, une telle commissionséjourne pendant quelques jours au camp d’émigration <strong>de</strong>sMilles, d’où elle envoie dans les GTE du département quelque200 internés juifs et un bon nombre <strong>de</strong> non-juifs, tous pourvus <strong>de</strong> visaspour <strong>de</strong>s pays d’outre-mer. La pério<strong>de</strong> pendant <strong>la</strong>quelle on pouvaitespérer le salut d’une émigration outre-mer est définitivement terminée.Par <strong>la</strong> suite, tous les camps <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone non-occupée sont passés aupeigne fin. A Gurs, dès le mois <strong>de</strong> janvier, le rabbin Kapel, aumônierdu camp, note que : “Les autorités du camp se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt déjà commentelles pourront assurer les différentes corvées si tous les hommesjeunes et sains physiquement sont engagés dans les compagnies <strong>de</strong>travailleurs étrangers 71 .” En juin 1941, l’âge moyen <strong>de</strong>s internés <strong>de</strong>Gurs est estimé à 55 ans environ par <strong>de</strong>s délégués du Comité d’assistanceaux Réfugiés (CAR). 72 Notons au passage que ce sont “les Juifsétrangers arrivés en France après le 1 er janvier 1936” qui seront <strong>la</strong> premièrecatégorie déportée <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone non-occupée en août 1942. Lors <strong>de</strong><strong>la</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> leur déportation les autorités utiliseront les résultatsdu recensement effectué au printemps 1942 en vertu <strong>de</strong>s dispositions<strong>de</strong> <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>ire Pucheu. 73GTE et Camps d’hébergement – ressemb<strong>la</strong>nces et différencesLa comparaison que font les internés passés <strong>de</strong>s grands camps auxGTE les amène souvent à <strong>de</strong>s considérations qui ne sont pas très favorablespour ces <strong>de</strong>rniers. Nombreux sont ceux qui “…se considèrentcomme <strong>de</strong>s internés soumis à <strong>de</strong>s travaux forcés.” 74 Dans un premiertemps les organisations d’assistance avaient accueilli favorablementles projets d’incorporation massive <strong>de</strong> l’administration. Mais au fil <strong>de</strong>leurs expériences et observations sur le terrain, ainsi que <strong>de</strong>s entretienset <strong>de</strong> <strong>la</strong> correspondance avec les personnes dans les camps, leurappréciation évolue nettement. Au bout <strong>de</strong> quelques mois, force leurest <strong>de</strong> constater que les différences en ce qui concerne les conditions <strong>de</strong>vie restent très minces, et que les “Centres d’hébergement” comme les

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