589-(03) Ch. Eggers - Mémorial de la Shoah

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30 LE MONDE JUIFEn mars 1942, le commandant du GTE 664 à Mauriac (Cantal)ordonne l’envoi de cinq hommes au groupe disciplinaire d’Egletons. Illeur avait imposé un travail dans la forêt, en montagne, à un endroitdifficile d’accès. Par un froid de – 28 °C à – 32 °C, ils devaient passerla nuit dans une baraque à toit ouvert et non aménagée pour y coucher.Leur protestations ont été interprétées comme un “refus de travail” etsanctionnées par la mesure disciplinaire. Tous sont des anciens engagésvolontaires, soit dans l’armée française, soit dans la Légion ou lesarmées alliées.Le GTE 706 à Aubagne (B.-du-Rh.) est un groupe disciplinaire. “Letraitement qui y est infligé dépasse l’imagination, tant l’attitude deschefs est cruelle et injuste”, note Israël Salzer, Grand Rabbin de Marseille,après avoir effectué une visite à Aubagne. 54 Au printemps 1942deux décès en l’espace de quelques semaines y sont signalés à la suitede brutalités de la part des gardiens. Le 20 février 1942, RichardKraus, viennois, âgé de 48 ans et récemment arrivé du Camp desMilles, meurt à l’infirmerie du GTE des suites de coups de pied, depoing et crosse. 55 Au Fort de Chapoly (Rhône) près de Lyon (GTE 972)il existe une véritable prison pour travailleurs étrangers punis. Lerégime y est tel que trois à quatre semaines dans ces lieux suffisentpour briser un homme.Le GTE 525 à Bagnères de Bigorre (Hautes-Pyrénées) possède une“section disciplinaire” où se trouvent, en juin 1942, 23 hommes qui sontdans un état misérable. On leur a tondu la tête, comme il était d’usagedans les bagnes. Il leur est interdit de recevoir des lettres, de l’argentou des colis. La plupart a été envoyée dans la section disciplinaire pour“refus de travail”. Le délégué d’une organisation d’assistance, aprèsavoir eu l’occasion de s’entretenir avec eux, estime que des malentendusou “la mauvaise volonté ou la rapacité de l’employeur” sont à l’originede la mesure disciplinaire dans la moitié des cas. 56“Envoi dans un camp d’internement” signifie généralement l’envoiau camp répressif du Vernet, de sinistre réputation. C’est le cas poursix anciens prestataires du GTE 304 à Langlade (Gard) en mars 1941,et pour trois travailleurs étrangers du GTE 665 à Soudeilles (Corrèze),que leur commandant envoie au Vernet en avril 1942. 57 Souvent unrien suffit pour s’attirer les foudres de son commandant. En novembre1941, le jeune Kurt Hirsch, âgé de 18 ans et originaire de Berlin, estenvoyé du GTE au camp du Récébédou (Haute-Garonne) pour s’êtreabsenté un dimanche sans permission du cantonnement du groupe. 58Les brutalités de la part de surveillants ne sont pas le privilège desseuls groupes disciplinaires. Le GTE 416 à Mont-Louis (Pyrénées-Orientales) n’a pas ce statut particulier. Néanmoins les coups y sontmonnaie courante. Des internés qui ne comprennent pas très bien le

LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 31français sont fréquemment frappés brutalement, roués de coups ougiflés par surveillants et contremaîtres quand ils n’exécutent pasimmédiatement les ordres. L’un des surveillants se distingue particulièrementsur ce plan-là, et les travailleurs le qualifient d’“être brutalet inhumain”. 59 Certes, ces exemples ne sont pas significatifs du quotidiendans la plupart des GTE. En général, l’encadrement et lespatrons semblent avoir traité les hommes plutôt correctement, dansles limites toutefois de la philosophie du système. Il s’agit là de faitsexceptionnels, d’abus de pouvoir, bien qu’attestés par des témoignagesrelativement nombreux. Ils montrent néanmoins que le travailleur estsans défense légale face à un surveillant, un employeur ou un commandantmalveillant. Tous ces exemples vont dans la même direction :l’incorporé dans un GTE est aussi exposé à l’arbitraire que l’internédans l’un des grands camps. Mais dans les GTE, les cas de conflit onttendance à être plus nombreux que dans les camps, dans la mesure oùil y a amalgame entre l’autorité de commandement et des intérêts économiques– ceux qui ont un pouvoir sur les hommes ont tendance àl’utiliser pour les obliger à un rendement maximal dans leur travail.Congés et libérationsLes dispositions légales prévoient la possibilité d’accorder des “permissionsde détente” aux ouvriers des GTE. Théoriquement, en 1941les hommes ont droit à une permission par an, d’une durée de 10 jours.Le 1 er mars 1942, une circulaire entre en vigueur qui modifie le règlementdes permissions. Dorénavant les travailleurs ont droit, après sixmois de travail, à six jours de congé payé, et à 12 jours au bout d’un an.Pour partir en permission, ils ont besoin d’un certificat d’hébergementvisé par la préfecture de leur lieu de destination, ainsi que d’une autorisationécrite de leur employeur pour les détachés. Au moment de leurdépart en permission, ceux qui travaillent comme détachés doivent percevoirle montant des sommes versées par l’employeur pendant l’annéeà ce titre. Pendant la durée de sa permission, chaque ouvrier doit recevoirla “prime d’alimentation” de 12 F 75 par jour, puisqu’il ne mangepas au cantonnement, ainsi que les 50 centimes de solde par jour. 60Mais souvent ces dispositions ne sont pas respectées. Dans certainsGTE, aucune permission n’est accordée, car le commandant tient à garderchaque homme pour effectuer les travaux confiés au groupe. Dansd’autres, les permissionnaires ne reçoivent pas d’argent.Ceux qui veulent se déplacer pendant leur permission, par exemplepour voir leurs femmes et leurs enfants, souvent internés dansd’autres camps ou centres, s’exposent à d’autres tracasseries. Il fautdemander un ordre de mission auprès du chef du groupe. La demandedoit être visée par l’employeur. Le chef du groupe la transmet aux préfecturesdu département de destination et du département où se trouve

LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 31français sont fréquemment frappés brutalement, roués <strong>de</strong> coups ougiflés par surveil<strong>la</strong>nts et contremaîtres quand ils n’exécutent pasimmédiatement les ordres. L’un <strong>de</strong>s surveil<strong>la</strong>nts se distingue particulièrementsur ce p<strong>la</strong>n-là, et les travailleurs le qualifient d’“être brutalet inhumain”. 59 Certes, ces exemples ne sont pas significatifs du quotidiendans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s GTE. En général, l’encadrement et lespatrons semblent avoir traité les hommes plutôt correctement, dansles limites toutefois <strong>de</strong> <strong>la</strong> philosophie du système. Il s’agit là <strong>de</strong> faitsexceptionnels, d’abus <strong>de</strong> pouvoir, bien qu’attestés par <strong>de</strong>s témoignagesre<strong>la</strong>tivement nombreux. Ils montrent néanmoins que le travailleur estsans défense légale face à un surveil<strong>la</strong>nt, un employeur ou un commandantmalveil<strong>la</strong>nt. Tous ces exemples vont dans <strong>la</strong> même direction :l’incorporé dans un GTE est aussi exposé à l’arbitraire que l’internédans l’un <strong>de</strong>s grands camps. Mais dans les GTE, les cas <strong>de</strong> conflit onttendance à être plus nombreux que dans les camps, dans <strong>la</strong> mesure oùil y a amalgame entre l’autorité <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>ment et <strong>de</strong>s intérêts économiques– ceux qui ont un pouvoir sur les hommes ont tendance àl’utiliser pour les obliger à un ren<strong>de</strong>ment maximal dans leur travail.Congés et libérationsLes dispositions légales prévoient <strong>la</strong> possibilité d’accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s “permissions<strong>de</strong> détente” aux ouvriers <strong>de</strong>s GTE. Théoriquement, en 1941les hommes ont droit à une permission par an, d’une durée <strong>de</strong> 10 jours.Le 1 er mars 1942, une circu<strong>la</strong>ire entre en vigueur qui modifie le règlement<strong>de</strong>s permissions. Dorénavant les travailleurs ont droit, après sixmois <strong>de</strong> travail, à six jours <strong>de</strong> congé payé, et à 12 jours au bout d’un an.Pour partir en permission, ils ont besoin d’un certificat d’hébergementvisé par <strong>la</strong> préfecture <strong>de</strong> leur lieu <strong>de</strong> <strong>de</strong>stination, ainsi que d’une autorisationécrite <strong>de</strong> leur employeur pour les détachés. Au moment <strong>de</strong> leurdépart en permission, ceux qui travaillent comme détachés doivent percevoirle montant <strong>de</strong>s sommes versées par l’employeur pendant l’annéeà ce titre. Pendant <strong>la</strong> durée <strong>de</strong> sa permission, chaque ouvrier doit recevoir<strong>la</strong> “prime d’alimentation” <strong>de</strong> 12 F 75 par jour, puisqu’il ne mangepas au cantonnement, ainsi que les 50 centimes <strong>de</strong> sol<strong>de</strong> par jour. 60Mais souvent ces dispositions ne sont pas respectées. Dans certainsGTE, aucune permission n’est accordée, car le commandant tient à gar<strong>de</strong>rchaque homme pour effectuer les travaux confiés au groupe. Dansd’autres, les permissionnaires ne reçoivent pas d’argent.Ceux qui veulent se dép<strong>la</strong>cer pendant leur permission, par exemplepour voir leurs femmes et leurs enfants, souvent internés dansd’autres camps ou centres, s’exposent à d’autres tracasseries. Il faut<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un ordre <strong>de</strong> mission auprès du chef du groupe. La <strong>de</strong>man<strong>de</strong>doit être visée par l’employeur. Le chef du groupe <strong>la</strong> transmet aux préfecturesdu département <strong>de</strong> <strong>de</strong>stination et du département où se trouve

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