589-(03) Ch. Eggers - Mémorial de la Shoah

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18 LE MONDE JUIFLes Groupes de travailleurs étrangersou “la libération par le travail”Après quelques mois marqués par un certain flottement dans lapolitique à l’égard des camps hérités de la défunte III e République, unesérie de lois promulguées en automne 1940 marque la prise en maindu système d’internement par le nouveau régime qui vient de se mettreen place, et leur mise au service de l’exclusion. Le premier de ces textescrée les “Groupes de travailleurs étrangers” ou GTE. Il s’agit de la loidu 27 septembre 1940, “Loi sur la situation des étrangers en surnombredans l’économie nationale 26 ”. Ce texte est un étrange mélangede malthusianisme, de xénophobie et de volonté d’exploitation. Son butaffiché est la lutte contre le chômage par l’exclusion – temporaire,dit-on – de la main-d’œuvre étrangère du marché du travail.“Art.1 erLes étrangers de sexe masculin, âgés de plus de 18 ans et de moinsde 55 pourront, aussi longtemps que les circonstances l’exigent, êtrerassemblés dans des groupements d’étrangers s’ils sont en surnombredans l’économie nationale et si, ayant cherché refuge en France, ils setrouvent dans l’impossibilité de regagner leur pays d’origine.”Pourtant la campagne de mai-juin 1940 a réduit la main-d’œuvrefrançaise de près de 2 millions d’hommes, morts au combat (180 000)ou prisonniers de guerre. D’ailleurs, l’article 2 de la loi relativise fortementla présomption d’inutilité économique qui pèse sur ces étrangers,car il prévoit la mise à la disposition d’employeurs privés des unitéscréées. Par ailleurs, l’article 4 stipule qu’aucun salaire ne seraversé aux intéressés, mais qu’ils pourront recevoir “éventuellementune prime de rendement”. Le même article promet enfin aux famillesainsi privées de leurs soutiens des allocations fixées par un futurdécret.Au moment de la parution de la loi, ces groupements d’étrangersayant cherché refuge en France existent déjà depuis 18 mois. Il s’agitdes Compagnies de travailleurs étrangers (CTE) qui ont été crééespour pouvoir utiliser la main-d’œuvre des réfugiés républicains espagnols,afin de réduire au maximum le coût de leur entretien. 27 Leur origineremonte au printemps de l’année 1939. La “Loi sur l’organisationde la nation en temps de guerre” du 11 juillet 1938 avait prévu pourles étrangers masculins bénéficiaires du droit d’asile l’obligation defournir une participation à l’effort de défense de la France sous formede “prestations”, que d’ailleurs le texte ne précise pas. Un décret-loi du20 mars 1939 avait appliqué ces dispositions aux réfugiés espagnols,et un décret-loi du 12 avril 1939 les avait, dès le temps de paix, étenduesà tous les étrangers de sexe masculin, apatrides ou bénéficiairesdu droit d’asile et ayant entre 20 et 48 ans. 28 Les premières unités sont

LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 19formées en avril et mai 1939 au camp du Barcarès. Comme prévu parles textes mentionnés, elles dépendent de l’armée. Une “Direction de lamain-d’œuvre étrangère” est créée au ministère de la Défense, dirigéepar le général Ménard, qui a également la responsabilité des campsd’internement. Le décret du 27 mai 1939, qui en fixe les règles d’organisationet d’encadrement, est en fait une adaptation des règles envigueur dans les autres unités de l’armée française. 29 Les incorporésont un statut de militaires et reçoivent une solde de 50 centimes parjour, comme les appelés du contingent de l’époque. Une compagnie,composée de 250 “prestataires”, est divisée en cinq sections. Elle estencadrée par cinq caporaux, cinq sous-officiers et un officier, tousFrançais. Le besoin de cadres français sera d’ailleurs jusqu’à l’armisticeun obstacle permanent au développement du système. En principeil est prévu dès le début de les doter d’uniformes, et en décembre 1939l’armée adopte le modèle d’un uniforme marron, avec béret. Mais à ladate de l’armistice, quelques unités seulement ont pu être équipées, etla plupart des hommes incorporés a donc servi dans de vieux uniformesbleu clair, datant de la Grande Guerre, 30 si toutefois ils n’étaient pasobligés de travailler dans leurs propres vêtements civils.Bien que l’appellation officielle soit “Compagnies de travailleursétrangers” (CTE), l’administration emploie aussi des termes comme“Compagnies de travailleurs espagnols” ou “Compagnies de travailleurscatalans” pour les désigner. On parle le plus couramment de“Compagnies de prestataires”. Pendant l’été 1939 on les utilise surtoutpour des travaux de fortification, de construction de routes, de terrassement,et dans l’agriculture. L’armée, qui a du mal à les employer, lesmet dès le début à la disposition d’autres ministères ou d’entreprises,pratique qui tend à se développer. Quand la guerre éclate, on compte79 compagnies regroupant 20 000 réfugiés espagnols, dont certainstravaillent dans la métallurgie ou dans des usines d’avions. Et la mobilisationqui prive l’économie française de plus de 5 millions d’hommesfait d’eux une réserve précieuse de bras et de cerveaux aux yeux desautorités.Pendant l’hiver 1939-1940, les autorités tentent d’utiliser les CTE– avec plus ou moins de bonheur – pour résoudre le problème des nombreuxréfugiés allemands. On sait que la déclaration de guerre a étésuivie par l’internement systématique de tous les hommes “ressortissantsennemis”, terme que l’administration interprète par rapportaux frontières du Reich à la date du 1 er septembre 1939. Sont doncinternés, à côté des Allemands, tous les Autrichiens, Tchèques germanophones,Dantzigois, etc. Une centaine de nouveaux camps, appelés :“Centres de rassemblement”, sont aménagés, ou plutôt hâtivementimprovisés, à l’intention des personnes concernées par cette deuxièmevague d’internement. Dans ces camps, on trouve pendant l’hiver

18 LE MONDE JUIFLes Groupes <strong>de</strong> travailleurs étrangersou “<strong>la</strong> libération par le travail”Après quelques mois marqués par un certain flottement dans <strong>la</strong>politique à l’égard <strong>de</strong>s camps hérités <strong>de</strong> <strong>la</strong> défunte III e République, unesérie <strong>de</strong> lois promulguées en automne 1940 marque <strong>la</strong> prise en maindu système d’internement par le nouveau régime qui vient <strong>de</strong> se mettreen p<strong>la</strong>ce, et leur mise au service <strong>de</strong> l’exclusion. Le premier <strong>de</strong> ces textescrée les “Groupes <strong>de</strong> travailleurs étrangers” ou GTE. Il s’agit <strong>de</strong> <strong>la</strong> loidu 27 septembre 1940, “Loi sur <strong>la</strong> situation <strong>de</strong>s étrangers en surnombredans l’économie nationale 26 ”. Ce texte est un étrange mé<strong>la</strong>nge<strong>de</strong> malthusianisme, <strong>de</strong> xénophobie et <strong>de</strong> volonté d’exploitation. Son butaffiché est <strong>la</strong> lutte contre le chômage par l’exclusion – temporaire,dit-on – <strong>de</strong> <strong>la</strong> main-d’œuvre étrangère du marché du travail.“Art.1 erLes étrangers <strong>de</strong> sexe masculin, âgés <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 18 ans et <strong>de</strong> moins<strong>de</strong> 55 pourront, aussi longtemps que les circonstances l’exigent, êtrerassemblés dans <strong>de</strong>s groupements d’étrangers s’ils sont en surnombredans l’économie nationale et si, ayant cherché refuge en France, ils setrouvent dans l’impossibilité <strong>de</strong> regagner leur pays d’origine.”Pourtant <strong>la</strong> campagne <strong>de</strong> mai-juin 1940 a réduit <strong>la</strong> main-d’œuvrefrançaise <strong>de</strong> près <strong>de</strong> 2 millions d’hommes, morts au combat (180 000)ou prisonniers <strong>de</strong> guerre. D’ailleurs, l’article 2 <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi re<strong>la</strong>tivise fortement<strong>la</strong> présomption d’inutilité économique qui pèse sur ces étrangers,car il prévoit <strong>la</strong> mise à <strong>la</strong> disposition d’employeurs privés <strong>de</strong>s unitéscréées. Par ailleurs, l’article 4 stipule qu’aucun sa<strong>la</strong>ire ne seraversé aux intéressés, mais qu’ils pourront recevoir “éventuellementune prime <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ment”. Le même article promet enfin aux famillesainsi privées <strong>de</strong> leurs soutiens <strong>de</strong>s allocations fixées par un futurdécret.Au moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> parution <strong>de</strong> <strong>la</strong> loi, ces groupements d’étrangersayant cherché refuge en France existent déjà <strong>de</strong>puis 18 mois. Il s’agit<strong>de</strong>s Compagnies <strong>de</strong> travailleurs étrangers (CTE) qui ont été crééespour pouvoir utiliser <strong>la</strong> main-d’œuvre <strong>de</strong>s réfugiés républicains espagnols,afin <strong>de</strong> réduire au maximum le coût <strong>de</strong> leur entretien. 27 Leur origineremonte au printemps <strong>de</strong> l’année 1939. La “Loi sur l’organisation<strong>de</strong> <strong>la</strong> nation en temps <strong>de</strong> guerre” du 11 juillet 1938 avait prévu pourles étrangers masculins bénéficiaires du droit d’asile l’obligation <strong>de</strong>fournir une participation à l’effort <strong>de</strong> défense <strong>de</strong> <strong>la</strong> France sous forme<strong>de</strong> “prestations”, que d’ailleurs le texte ne précise pas. Un décret-loi du20 mars 1939 avait appliqué ces dispositions aux réfugiés espagnols,et un décret-loi du 12 avril 1939 les avait, dès le temps <strong>de</strong> paix, étenduesà tous les étrangers <strong>de</strong> sexe masculin, apatri<strong>de</strong>s ou bénéficiairesdu droit d’asile et ayant entre 20 et 48 ans. 28 Les premières unités sont

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