589-(03) Ch. Eggers - Mémorial de la Shoah

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16 LE MONDE JUIFy créer les conditions appropriées à la survie d’une telle population.L’insuffisance de la nourriture a déjà été mentionnée, et les deuxcamps manquent également de combustible. Au Récébédou, pendantl’hiver 1941-1942, même l’infirmerie ne peut pas être chauffée.Mais il leur manque surtout l’essentiel pour mériter l’appellation de“camps-hôpitaux”. A peu près rien n’est prévu pour assurer auxmalades concentrés dans ces deux camps les soins que leur étatrequiert. Au Récébédou, où la moyenne d’âge des internés se situe auprintemps 1941 entre 60 et 65 ans, trois médecins seulement doiventsoigner 1 500 hommes et femmes malades. Les crédits n’ont pas étésuffisants pour embaucher le personnel nécessaire, et ainsi seulsquelques bénévoles s’occupent des malades. La plupart du temps,ceux-ci sont livrés à eux-mêmes. Les médicaments font souvent défaut,et l’équipement médical est rudimentaire. Les conséquences ne se fontpas attendre. A Noé, au mois de mars 1941, sur un convoi de transfertde 601 vieillards en provenance de Gurs, environ 150 meurent pendantle mois qui suit leur arrivée. 23 Dans ce camp, au moins 202 Juifs sontmorts entre 1941 et 1944. Pour le Récébédou, on connaît les noms de314 personnes, dont 254 Juifs, qui entre 1941 et octobre 1942 sontmorts dans ce camp. 24 Noé fonctionnera jusqu’à la fin de la guerre. LeRécébédou sera fermé le 5 octobre 1942, après la déportation de lamajeure partie des internés. Ici comme ailleurs la conception de l’Intérieurpour faire des “bons camps” s’est soldée par un échec qui jette unelumière cruelle sur le principe même de la spécialisation et de laconcentration.TransfertsA tout moment dans l’histoire de l’internement, une partienon-négligable des internés est en train d’être transférée d’un lieu dedétention vers un autre. Une étude statistique portant sur un millierd’internés de différents camps démontre qu’en 1941 et 1942 la plupartdes hommes et des femmes internés en sont à leur cinquième, sixièmevoire huitième camp. 25 C’est peut-être par cet aspect-là que le caractèrede système de l’internement ressort le plus clairement. L’internéentre dans un espace fermé, à l’intérieur duquel des déplacements restentpossibles – bien qu’ils soient généralement ordonnés par l’administration– mais dont on ne sort plus guère.La conception ministérielle qui prévoit des lieux d’internement spécialisésselon les différentes catégories d’internés entraîne nécessairementune multitude de déplacements de population. Par ailleurs, toutedécision visant la restructuration du système provoque des déplacementsmassifs. Au moment de l’ouverture de Rivesaltes, 8 000 personnes,principalement des familles avec des enfants, sont envoyées

LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 17dans les dix premiers jours du mois de février 1941 à partir des autrescamps dans le nouveau centre du Roussillon. D’autres transferts, dontil a déjà été question, ont lieu au moment de l’ouverture des“camps-hôpitaux”. Les différentes décisions visant à utiliser au maximumla main-d’œuvre dans les camps entraînent à partir du début1941 les transferts progressifs de la quasi-totalité des hommes validesdes camps dans les Groupes de travailleurs étrangers. La tentative desresponsables de cette partie du système de faire des groupes homogènesselon le critère de la nationalité provoque d’autres transfertsimportants. De tout cela, il sera question au chapitre II.Si ces transferts sont motivés par des restructurations, d’autres lesont par le fait qu’aux yeux de l’administration un interné ait changéde catégorie. Une maladie grave et prolongée entraîne en principel’envoi dans un camp-hôpital. Un interné qui est entré en conflit avecl’administration est envoyé dans un camp disciplinaire ou “répressif”.Les camps disciplinaires envoient à leur tour leurs “fortes têtes” dansles camps d’Afrique du Nord, réputés particulièrement durs, et où l’onastreint les internés à un travail de force. Jusqu’au moment où commencentles déportations, l’administration voit dans l’émigrationoutre-mer le moyen privilégié pour se débarrasser à moyen terme desinternés étrangers. Du point de vue de l’Etat, l’émigration devrait êtrela seule issue prévue pour sortir du système. Le transfert aux Millesdans l’espoir de pouvoir quitter la France et les camps est par ailleursl’un des rares déplacements à l’intérieur du système sur lequell’interné peut lui-même exercer une certaine influence.Le volume des transferts semble avoir eu tendance à s’accroître aufur et à mesure que le système se complexifiait. Sous Vichy, les transfertsne concernent pas uniquement les seuls camps dits “d’hébergementet d’internement”. D’autres types de lieu d’internement apparaissentqui doivent souvent leur existence au souci d’économie del’administration. Les transferts nécessitent d’ailleurs l’utilisation delieux de passage (prisons, etc.), qui certes ne font pas véritablementpartie du système, mais qui lui sont nécessaires. Pour développer denouvelles formes de détention, Vichy se contente parfois de réorienterdes structures déjà existantes. C’est le cas des Groupes de travailleursétrangers déjà mentionnés. D’autres formes de détention n’ont pas demodèle au cours de la période précédente. Au cours des chapitres suivants,nous allons retracer l’évolution de ces formes de détention certesmoins voyantes, mais tout aussi efficaces et nuisibles.

LE TEMPS DES “INDÉSIRABLES” 17dans les dix premiers jours du mois <strong>de</strong> février 1941 à partir <strong>de</strong>s autrescamps dans le nouveau centre du Roussillon. D’autres transferts, dontil a déjà été question, ont lieu au moment <strong>de</strong> l’ouverture <strong>de</strong>s“camps-hôpitaux”. Les différentes décisions visant à utiliser au maximum<strong>la</strong> main-d’œuvre dans les camps entraînent à partir du début1941 les transferts progressifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> quasi-totalité <strong>de</strong>s hommes vali<strong>de</strong>s<strong>de</strong>s camps dans les Groupes <strong>de</strong> travailleurs étrangers. La tentative <strong>de</strong>sresponsables <strong>de</strong> cette partie du système <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s groupes homogènesselon le critère <strong>de</strong> <strong>la</strong> nationalité provoque d’autres transfertsimportants. De tout ce<strong>la</strong>, il sera question au chapitre II.Si ces transferts sont motivés par <strong>de</strong>s restructurations, d’autres lesont par le fait qu’aux yeux <strong>de</strong> l’administration un interné ait changé<strong>de</strong> catégorie. Une ma<strong>la</strong>die grave et prolongée entraîne en principel’envoi dans un camp-hôpital. Un interné qui est entré en conflit avecl’administration est envoyé dans un camp disciplinaire ou “répressif”.Les camps disciplinaires envoient à leur tour leurs “fortes têtes” dansles camps d’Afrique du Nord, réputés particulièrement durs, et où l’onastreint les internés à un travail <strong>de</strong> force. Jusqu’au moment où commencentles déportations, l’administration voit dans l’émigrationoutre-mer le moyen privilégié pour se débarrasser à moyen terme <strong>de</strong>sinternés étrangers. Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’Etat, l’émigration <strong>de</strong>vrait être<strong>la</strong> seule issue prévue pour sortir du système. Le transfert aux Millesdans l’espoir <strong>de</strong> pouvoir quitter <strong>la</strong> France et les camps est par ailleursl’un <strong>de</strong>s rares dép<strong>la</strong>cements à l’intérieur du système sur lequell’interné peut lui-même exercer une certaine influence.Le volume <strong>de</strong>s transferts semble avoir eu tendance à s’accroître aufur et à mesure que le système se complexifiait. Sous Vichy, les transfertsne concernent pas uniquement les seuls camps dits “d’hébergementet d’internement”. D’autres types <strong>de</strong> lieu d’internement apparaissentqui doivent souvent leur existence au souci d’économie <strong>de</strong>l’administration. Les transferts nécessitent d’ailleurs l’utilisation <strong>de</strong>lieux <strong>de</strong> passage (prisons, etc.), qui certes ne font pas véritablementpartie du système, mais qui lui sont nécessaires. Pour développer <strong>de</strong>nouvelles formes <strong>de</strong> détention, Vichy se contente parfois <strong>de</strong> réorienter<strong>de</strong>s structures déjà existantes. C’est le cas <strong>de</strong>s Groupes <strong>de</strong> travailleursétrangers déjà mentionnés. D’autres formes <strong>de</strong> détention n’ont pas <strong>de</strong>modèle au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> précé<strong>de</strong>nte. Au cours <strong>de</strong>s chapitres suivants,nous allons retracer l’évolution <strong>de</strong> ces formes <strong>de</strong> détention certesmoins voyantes, mais tout aussi efficaces et nuisibles.

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