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l'autobiographie et les enjeux du dialogisme culturel dans l'amour ...

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RENCONTRE DES CULTURES ET ENJEUX IDENTITAIRESL'AUTOBIOGRAPHIE ET LES ENJEUXDU DIALOGISME CULTUREL DANS L’AMOUR,LA FANTASIA D’ASSIA DJEBARMounia BENALIL *1. Djebar <strong>et</strong> le <strong>du</strong>alisme autobiographiqueDans L'amour, la fantasia (a) le proj<strong>et</strong>autobiographique s'articule en étroitecorrélation avec le proj<strong>et</strong> historiographique.Le «pacte autobiographique» que l'auteure signe dès<strong>les</strong> pages inaugura<strong>les</strong> <strong>du</strong> roman, a pour fonction deféminiser le regard rétrospectif sur l'histoireindivi<strong>du</strong>elle de l'auteure <strong>et</strong> sur l'histoire collectivedes femmes algériennes. C<strong>et</strong>te démarche rendl'écriture mnémonique <strong>et</strong> réfléchit la problématiqueidentitaire <strong>dans</strong> le complexe des tensions <strong>culturel</strong><strong>les</strong><strong>et</strong> linguistiques soulevées par le roman.L'imbrication des récits autobiographiques <strong>et</strong>historiques décloisonne la chronotopicité objective<strong>du</strong> roman: le temps historique (de la conquête <strong>et</strong> dela guerre d'Algérie) se double d'un temps subjectif(des récits autobiographiques <strong>et</strong> biographiques desaïeu<strong>les</strong> de l'auteure) qui le rem<strong>et</strong> en cause car, d'unepart, <strong>les</strong> frontières entre <strong>les</strong> deux temporalités nesont pas délimitées <strong>et</strong>, d'autre part, la modernité <strong>du</strong>geste créatif djébarien repose sur la superposition,voire l'orchestration de ces deux niveaux de latemporalité <strong>dans</strong> un même univers fictif où l'histoirepersonnelle <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> s'inscrit <strong>dans</strong> le champ del'Histoire collective.Posons d'entrée de jeu que l'écritureautobiographique fait ressortir <strong>et</strong> mesurer <strong>les</strong>rapports d'intériorité ou d'extériorité qu'un auteurpeut avoir envers une culture donnée (la sienne,maternelle, ou d'autres, adoptives). Djebar abordel'écriture autobiographique avec une sur-consciencedes <strong>enjeux</strong> qu'implique ce double rapport <strong>et</strong> c'estpourquoi l'intériorité chez elle, plus que l'extériorité,est creusée par une sorte d'ancrage pluriel del'entreprise autobiographique: le Je indivi<strong>du</strong>el estinclusif <strong>du</strong> Nous <strong>culturel</strong> ou collectif. Or, malgréc<strong>et</strong>te n<strong>et</strong>te <strong>du</strong>alité <strong>du</strong> Je <strong>et</strong> <strong>du</strong> Nous, on peut parlerd'une évolution <strong>du</strong> parcours autobiographiquedjébarien. Les deux premières parties <strong>du</strong> romans'étendent de l'enfance-ado<strong>les</strong>cence de l'auteurejusqu'à son mariage à Paris. La troisième partieexpose ses idées théoriques sur la conditionféminine au Maghreb, sans pour autant atténuer ladimension romancée de <strong>l'autobiographie</strong>. Deuxgrandes thématiques traversent <strong>les</strong> parties <strong>du</strong> roman:celle <strong>du</strong> corps féminin face à la tradition <strong>et</strong> celle dela langue d'écriture face à l'effort de remémoration,de tra<strong>du</strong>ction <strong>et</strong> de représentation de soi en dialogueavec (<strong>et</strong> non pas complètement en rupture avec) latradition. La narration <strong>du</strong> récit autobiographique,comme celle <strong>du</strong> récit historiographique, estmajoritairement a-chronologique: <strong>les</strong> informationsrecueillies sur la vie de l'auteure nous parviennentsous forme de bribes <strong>et</strong> <strong>dans</strong> un aller-r<strong>et</strong>our <strong>du</strong>temps présent vers le temps passé <strong>et</strong> <strong>du</strong> temps passévers le temps présent. L'intellectualisation <strong>du</strong> proj<strong>et</strong>autobiographique <strong>dans</strong> la troisième partie se justifiepar la profondeur d'une remontée <strong>dans</strong> le Temps dela mémoire qu'aurait, à notre avis, occasionnée enelle <strong>les</strong> interviews menées auprès des combattantesde la guerre d'Algérie <strong>et</strong> le recul de l'expérienceromanesque en général.Le parcours autobiographique est entamé d<strong>et</strong>elle sorte que l'auteure puisse se positionner parrapport à l'univers féminin de son enfance. Cepositionnement s'articule à la fois <strong>dans</strong> <strong>les</strong> termes del'identification <strong>et</strong> de l'absence d'identification.L'univers féminin est décrit tel un vaste harem oùdes femmes enfermées luttent sourdement pour uneforme de libération. Ainsi, Djebar, qui faisaitd'abord partie de ce harem, raconte ses vacancesd'été à la campagne avec <strong>les</strong> fil<strong>les</strong> <strong>du</strong> cheikh. Elleparle de leur rêveries «sous <strong>les</strong> néfliers» [11: 23] dela maison, de leur découverte des «romans en vrac<strong>dans</strong> la bibliothèque interdite <strong>du</strong> frère» [11: 26]absent <strong>et</strong> de la correspondance secrète de ces fil<strong>les</strong>avec des hommes arabes inconnus «choisis <strong>dans</strong> <strong>les</strong>annonces d'un magazine féminin largementrépan<strong>du</strong>, à l'époque, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> harems». [11: 24] Les* Chercheure postdoctorale, Université McGill, Département de langue <strong>et</strong> littérature française, QuébecDialogos 9/2004 75


RENCONTRE DES CULTURES ET ENJEUX IDENTITAIRESfil<strong>les</strong> cloîtrées vivent leur découverte comme unpéché, avec «une insolence de gamines» [11: 25]renforcée par leur rencontre avec <strong>les</strong> fil<strong>les</strong> de lafamille pied-noire (<strong>du</strong> gendarme français) quifréquentaient la demeure <strong>du</strong> cheikh. Djebar seremémore le comportement différent de ces fil<strong>les</strong>, lacuriosité des femmes «cantonnées <strong>dans</strong> l'espace dela maison» [11: 42] qui se plaisaient «à considérersans discrétion <strong>les</strong> moindres détails de [leur]mise[s], en faisant de légers commentaires à mivoix»[11: 36]. Quant aux fil<strong>les</strong> cloîtrées, el<strong>les</strong> sefaisaient spectatrices avides pour observer <strong>les</strong>scènes d'amour en public des jeunes européennes[11:41] dont la fille <strong>du</strong> gendarme, Marie-Louise.Ces spectac<strong>les</strong> osés, tant <strong>du</strong> point de vue des fil<strong>les</strong><strong>du</strong> cheikh que de celui de l'auteure, marquent ladifférence entre <strong>les</strong> «mœurs à la pur<strong>et</strong>é ‘arabe’ (…)[<strong>et</strong> <strong>les</strong>] mœurs exotiques» [11: 39] des étrangers.D'autres exemp<strong>les</strong> ressuscitent la pudeur descousines <strong>et</strong> des tantes voilées de l'auteure, leurcrainte d'être vues par un homme étranger car leur«mission, leur vie entière [est] de préserver leurimage, de considérer ce devoir comme le legs leplus sacré» [11: 146] de la tradition ancestrale.Pour souligner la séparation des espacesmasculins <strong>et</strong> féminins <strong>et</strong> l'impossibilité de touteparticipation publique pour <strong>les</strong> femmes, l'auteureévoque <strong>les</strong> réunions de ses parentes maternel<strong>les</strong>,«qui, orgueilleuses aristocrates, [lui] apparaiss[aient]plongées <strong>dans</strong> la musique, l'encens <strong>et</strong> le brouhaha».[11: 222] En témoignent <strong>les</strong> cérémonies mystérieusesd'exorcisme <strong>et</strong> de transes qu'organisait sa grand-mèrematernelle parmi un cercle de musiciennes nommées«‘chikhats’» [11: 168] ou «prêtresses païennes»[11: 169] qui animaient le carnaval d'affranchissementde l'aïeule maternelle. «Contre qui, contre <strong>les</strong> autresou contre le sort» [11: 169], se demande Djebar quiécrira, plus tard, que la «voix <strong>et</strong> le corps de lamatrone hautaine m'ont fait entrevoir la source d<strong>et</strong>oute douleur: comme un arasement de signes quenous tentons de déchiffrer, pour le restant de notrevie». [11: 169] Les réunions féminines sont régiespar un protocole tacite où priment le respect <strong>et</strong> lavénération des plus âgées. Toute parole fémininelibérée au cours de ces réunions ne l'est quepartiellement car, d'une part, «le ‘je’ de la premièrepersonne ne sera [jamais] utilisé (...) puisque ce seraitdédaigner <strong>les</strong> formu<strong>les</strong>-couvertures qui maintiennentle traj<strong>et</strong> indivi<strong>du</strong>el <strong>dans</strong> la résignation collective»[11: 180-81] <strong>et</strong>, d'autre part, «toutes <strong>les</strong> mises enscène verba<strong>les</strong> se déroulent pour égrener le sort, ou leconjurer, mais jamais le m<strong>et</strong>tre à nu». [11: 180]L'impersonnalité de toute référence comprend le mariaussi. Que l'obj<strong>et</strong> <strong>du</strong> rassemblement soit une76célébration de mariage ou une liturgie <strong>du</strong> deuil, <strong>les</strong>convenances maintiennent <strong>les</strong> femmes <strong>dans</strong> unvoilement de voix, <strong>les</strong> relèguent <strong>dans</strong> la «prisonirrémédiable» [11: 233] <strong>du</strong> silence. Et lorsque le«corps, hors de l'embaumement des plaintes rituel<strong>les</strong>,se trouve comme fagoté de hardes» [11: 182], on faitappel aux musiciennes, aux <strong>dans</strong>euses ou auxpleureuses pour provoquer une forme de catharsis ausein <strong>du</strong> harem. C'est le cas, par exemple, de cesfemmes appelées «voyeuses» qui circulent voiléesparmi <strong>les</strong> autres dévoilées <strong>du</strong> harem. Ces femmesgénéralement exclues <strong>et</strong> marginalisées par la sociétéou par <strong>les</strong> hommes sont admises <strong>dans</strong> <strong>les</strong> fêtes; el<strong>les</strong>personnifient la révolte <strong>et</strong> leur voix «ne s'abîm[e] ni<strong>dans</strong> la prière, ni <strong>dans</strong> le murmure des diseuses, maiss'élè[ve] nue, improvisée, en protestation franchissant<strong>les</strong> murs (...) [<strong>et</strong>] attis[ant] le risque suprême» [11:232-33] <strong>du</strong> bannissement.Pour Djebar, la sortie <strong>du</strong> harem <strong>et</strong> <strong>du</strong> «théâtredes aveux féminins» [11: 181] a été possible grâce àl'école française. L'auteure souligne la «dichotomiede l'espace» [11: 212] é<strong>du</strong>catif, coranique <strong>et</strong>séculier, de son enfance. La sensibilité islamiquerepose sur «la séparation des sexes» [11: 195],l'interdit <strong>du</strong> regard <strong>et</strong> la discipline <strong>du</strong> corps. C'estpourquoi <strong>dans</strong> la tradition islamique, «un besoind'effacement s'exerce sur le corps des femmes qu'ilfaut emmitoufler, enserrer, langer, comme unnourrisson ou comme un cadavre. Exposé, ilb<strong>les</strong>serait chaque regard, agresserait le plus pâledésir, soulignerait toute séparation». [11: 207] Lesavoir coranique, tout en étant lié au corps parl'exercise de la calligraphie, la lecture <strong>et</strong> la récitationdes vers<strong>et</strong>s, condamne celui-ci en la personne de lafemme surtout lorsqu'elle commence à s'épanouir.L'é<strong>du</strong>cation européenne favorise un rapportautre au corps. C'est ce nouveau rapport, seremémore Djebar, qui fut déterminant <strong>dans</strong> lasingularité de son traj<strong>et</strong>, à commencer par «l'ivressedes entraînements sportifs» [206] à l'école françaisejusqu'à ses «noces parisiennes» [11: 127] célébrées«hors de la protection <strong>du</strong> père (...) [<strong>et</strong> de] la formesouhaitée par <strong>les</strong> aïeu<strong>les</strong>». [11: 125] «(M)on‘devoir’ n'est-il pas de rester ‘en arrière’, <strong>dans</strong> legynécée, avec mes semblab<strong>les</strong>? (...) ‘Pourquoimoi?» «Pourquoi à moi seule, <strong>dans</strong> la tribu c<strong>et</strong>techance?’» [11: 243] L'auteure trouve une réponse<strong>dans</strong> l'équivoque même de l'é<strong>du</strong>cation reçue.L'enseignement religieux la porte à la lecture, c'està-dire,à l'étude; quant à l'enseignement laïque, ilintro<strong>du</strong>it le «vertige» de la sé<strong>du</strong>ction de la langue,déplace <strong>les</strong> pô<strong>les</strong> de la référentialité <strong>et</strong> <strong>les</strong>paramètres de l'espace <strong>et</strong> <strong>du</strong> temps.Il est important de noter que l'auteure attribueDialogos 9/2004


RENCONTRE DES CULTURES ET ENJEUX IDENTITAIRESnoussoiement inclusif’» [Gil<strong>les</strong> Charpentier cité<strong>dans</strong> 9: 28] <strong>du</strong> groupe collectif/<strong>culturel</strong> (fémininici), mais plutôt entre le masque <strong>et</strong> le dévoilement,entre la pudeur (de l'exhibition <strong>du</strong> moi) <strong>et</strong> son défi.C<strong>et</strong>te tension explique le choix de l'auteure d'écriresous le pseudonyme d'Assia Djebar (au lieu de sonvrai nom de Fatima-Zohra Imalayene) <strong>et</strong> justifie lelong silence, au niveau de la pro<strong>du</strong>ctionromanesque, entre Les alou<strong>et</strong>tes naïves (1967) <strong>et</strong>Femmes d'Alger <strong>dans</strong> leur appartement (1980).L'auteure explique:« Dans mon premier roman, La Soif, jem'étais masquée. Dans mon second roman,Les Impatients, je me suis rappelée. Dansmon troisième roman, Les Enfants <strong>du</strong>nouveau monde, j'ai voulu j<strong>et</strong>er un regard sur<strong>les</strong> miens. La position de Lila, à côté <strong>et</strong> enmême temps de<strong>dans</strong> <strong>et</strong> témoin, c'est un peumoi (...) Avec Les Alou<strong>et</strong>tes naïves, pour lapremière fois, j'ai eu à la fois la sensationréelle de parler de moi <strong>et</strong> le refus de ne rienlaisser transparaître de mon expérience defemme. Quand j'ai senti que le cœur de celivre commençait à frôler ma propre vie, j'aiarrêté de publier volontairement jusqu'àFemmes d'Alger <strong>dans</strong> leur appartement. »[<strong>dans</strong> 3: 104]Il faut adm<strong>et</strong>tre que l'expression <strong>du</strong> Jeautobiographique <strong>dans</strong> la tradition des l<strong>et</strong>tresmaghrébines s'est généralement «faite <strong>dans</strong> lecontexte de l'acculturation étrangère». [10: 62] Bienqu'une certaine tradition <strong>du</strong> genre autobiographiqueait existé <strong>dans</strong> la littérature classique arabe avant lecolonialisme, notamment <strong>l'autobiographie</strong> soufie <strong>et</strong>la biographie hagiographique, c'est le contact avecl'Occident <strong>et</strong> avec <strong>les</strong> valeurs de l'indivi<strong>du</strong>alisme <strong>et</strong>de l'introspection psychanalytique qui a réorienté <strong>les</strong>perspectives de <strong>l'autobiographie</strong> maghrébine. Pourla majorité des auteurs maghrébins le recours à<strong>l'autobiographie</strong> est fondateur de leur rupture avecle groupe <strong>et</strong> <strong>les</strong> conventions socia<strong>les</strong>. Pour <strong>les</strong>auteurs féminins, la prise de parole exprime la miseen mouvement d'une lutte pour l'autonomie, lareconnaissance <strong>et</strong> pour la légitimité de laparticipation à l'expression littéraire <strong>dans</strong> un espacesocio-<strong>culturel</strong> où il n'existe pas de «tradition defemmes écrivains» [Djebar, citée <strong>dans</strong> 1: 153] <strong>et</strong> oùil est généralement «scandaleux» de dire Je. C'est icique le choix de la langue d'écriture devient un enjeudécisif.2. Djebar <strong>et</strong> le bilinguisme créateurL'une des questions <strong>les</strong> plus récurrentes <strong>dans</strong>L'amour, la fantasia concerne la possibilté (oul'impossibilté) de l'écriture autobiographique <strong>dans</strong> lalangue de l'Autre. Tout au long <strong>du</strong> roman, Djebaraffirme sa «conscience malheureuse» d'écrivainebilingue <strong>et</strong> son rapport ambivalent à la languefrançaise: «[j]e cohabite avec la langue française:mes querel<strong>les</strong>, mes élans, mes soudains ou violentsmutismes forment incidents d'une ordinaire vie deménage. Si sciemment je provoque des éclats, c'estmoins pour rompre la monotonie qui m'insupporte,que par conscience vague d'avoir fait trop tôt unmariage forcé, un peu comme <strong>les</strong> fill<strong>et</strong>tes de maville «promises» dès l'enfance». [11: 243] Ainsi,l'effort de mémoire, de lecture <strong>et</strong> de réécriturepalimpsestiques de l'Histoire/histoire <strong>dans</strong> la langueétrangère tra<strong>du</strong>it le besoin de réconciliation entre <strong>les</strong>deux univers linguistiques auxquels l'auteureparticipe, l'arabo/berbère <strong>et</strong> le français. L'effort estdéployé de sorte que l'écriture devienne la «scène de‘l'indeuillé’, où même le deuil ne peut tra<strong>du</strong>ire laperte de [mémoire]» [8: 36, souligné <strong>dans</strong> le texte],l'amnésie de l'héritage <strong>culturel</strong>, l'effacement desvoix des «sœurs disparues» [11: 233] <strong>et</strong> «lemurmure des compagnes cloîtrées». [11: 249,souligné <strong>dans</strong> le texte]La fiction autobiographique en français serévèle à la fois dangereuse <strong>et</strong> impossible. Elleaccentue, pour l'auteure, le dévoilement <strong>du</strong> Moiprofond <strong>et</strong> rend fictive toute tra<strong>du</strong>ction perméable(b) à la langue <strong>et</strong> à la culture maternel<strong>les</strong> par lalangue <strong>et</strong> la culture adoptives. «Se parcourir» <strong>dans</strong> lalangue de l'Autre implique l'acceptation de«l'autopsie» <strong>et</strong> de «l'anesthésie» <strong>du</strong> parcours, donc lerisque d'une violence de soi qui mène à l'impasse dela «transparence». C<strong>et</strong>te violence est illustrée par «lacrise de lyrisme» [11: 134] qui saisit l'auteure <strong>dans</strong>la ville étrangère. Le cri qui lui échappe tra<strong>du</strong>itl'intra<strong>du</strong>isible, le «rési<strong>du</strong> macabre d'un autre siècle»ou l' «[i]incantation <strong>dans</strong> l'exil qui s'étire» [11: 136].La violence <strong>du</strong> cri se substitue à la violence de l'écritqui débute par le «vol» de la langue de l'Autre <strong>et</strong> sonmaniement subversif <strong>et</strong> créatif par l'auteure. Sur ceplan, «l'écriture se révèle espace de la violence quiaccompagne la violence de l'Histoire. Elle estinstrument d'usurpation <strong>et</strong> de possession de l'autre,colonisation des signes qui accompagne <strong>et</strong> suit laconquête <strong>et</strong> l'invasion de c<strong>et</strong>te patrie avec laquelle lanarratrice se confond». [13: 98] L'écrit ne nie pas lecri, mais le fait surgir. «Écrire en langue étrangère»,78Dialogos 9/2004


RENCONTRE DES CULTURES ET ENJEUX IDENTITAIRES(b) «Il est d'usage», écrit Paul Siblot, «en linguistique de discerner <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations de contacts de langues<strong>et</strong> de cultures un bilinguisme dit “perméable” d'un second dit “étanche”. On entend par là que <strong>dans</strong> lepremier cas un même substrat sémiotique <strong>et</strong> cognitif sert de référence unique aux systèmes linguistiquesconcurremment employés. Dans l'autre cas, <strong>les</strong> langues coexistantes renvoient à deux représentationsn<strong>et</strong>tement différenciées <strong>du</strong> monde». [18: 32](c) Voir notre article «Traj<strong>et</strong>s idéologiques de la bi-langue khatibienne <strong>dans</strong> Amour bilingue», Étudesfrancophones, 13.2, 1998 (p. 93-103).(d) «‘On nous dit société orale’», affirme Djebar, «‘alors que la culture arabe repose sur l'enseignement [<strong>et</strong>donc l'écriture lue <strong>et</strong> recopiée] <strong>du</strong> Livre; alors qu'au Maghreb, il y a une des plus anciennes culturesécrites, avec <strong>les</strong> femmes comme détentrices privilégiées de l'écriture, l'alphab<strong>et</strong> tamazigh desTouaregs’». [<strong>dans</strong> 7: 65]RÉFÉRENCES1. Abu-Haidar, Farida, «“Parler en d'autres langues”. Femmes écrivains <strong>du</strong> Maghreb», Point derencontre: le roman. Actes <strong>du</strong> colloque international d'Oslo, 7-10 septembre, 1994, Vol. 1, Ed. Juli<strong>et</strong>teFrølich, Oslo: Conseil norvégien de la recherche scientifique, 19952. Bonn, Char<strong>les</strong>, Le roman algérien de langue française. Vers un espace de communication littérairedécolonisé? Paris, L'Harmattan, 19853. Chikhi, Beïda, «Les espaces mnémoniques <strong>dans</strong> <strong>les</strong> romans d'Assia Djebar», Autobiographies <strong>et</strong> récitsde vie en Afrique, Ed. Bernard Mouralis, Paris: L'Harmattan, 19914. Cixous, Hélène, «Le rire de la mé<strong>du</strong>se», L’Arc, 61, 1975 (p. 39-54)5. Cixous, Hélène, «Le sexe ou la tête?», Les cahiers <strong>du</strong> GRIF, 13, 1976 (p. 5-15)6. Cixous, Hélène, La venue à l’écriture, Paris, UGE, 19777. Clerc, Jeanne Marie, Assia Djebar. Écrire, transgresser, résister, Paris, L'Harmattan, 19978. Décarie, Isabelle, «La voilure <strong>du</strong> natal», Spirale, septembre-octobre, 20009. Déjeux, Jean, «L'émergence <strong>du</strong> “je” <strong>dans</strong> la littérature maghrébine de langue française»,Autobiographies <strong>et</strong> récits de vie en Afrique, Ed. Bernard Mouralis, Paris, L'Harmattan, 199110. Déjeux, Jean, La littérature féminine de langue française au Maghreb, Paris, KARTHALA, 199411. Djebar, Assia, L'amour, la fantasia, Casablanca, EDDIF, 199212. Elbaz, Robert, «Mémoire <strong>et</strong> répétition <strong>dans</strong> le roman maghrébin», Parole exclusive, parole exclue,parole transgressive. Marginalisation <strong>et</strong> marginalité <strong>dans</strong> <strong>les</strong> pratiques discursives, Eds. AntonioGómez-Moriana & Catherine Poupeney Hart, Montréal, Le Préambule, 199013. Gafaïti, Hafid, «Écriture autobiographique <strong>dans</strong> l'œuvre d'Assia Djebar: L'amour, la fantasia»,Autobiographies <strong>et</strong> récits de vie en Afrique, Ed. Bernard Mouralis. Paris, L'Harmattan, 199114. Grandguillaume, Gilbert, «La relation père-fils <strong>dans</strong> L'amour, la fantasia d'Assia Djebar <strong>et</strong>Bandarshah de Tayeb Salah», Littératures maghrébines. Colloque Jacqueline Arnaud. Vill<strong>et</strong>aneuse, <strong>les</strong>2, 3, <strong>et</strong> 4 décembre 1987. Perspectives généra<strong>les</strong>, Vol. 1, Ed. Jacqueline Arnaud, Paris, L'Harmattan,199015. Irigaray, Luce, Le corps-à-corps avec la mère, Montréal, La Pleine Lune, 198116. Lyotard, Jean-François, Le différend, Paris, Seuil, 198817. Macaire, Monique Carcaud & Jeanne-Marie Clerc, «De l'Algérie comme mythe féminin à l'histoiredes femmes Algériennes. De Kateb Yacine à Assia Djebar», Europe. Revue littéraire mensuelle, 828,199818. Siblot, Paul, «Procès <strong>du</strong> sens <strong>et</strong> condamnation à mort. Refléxions sur <strong>les</strong> <strong>enjeux</strong> linguistiques <strong>et</strong> le statutlittéraire en Algérie», Littérature maghrébine <strong>et</strong> littérature mondiale. Actes <strong>du</strong> colloque de Heidelberg,octobre 1993, Eds. Char<strong>les</strong> Bonn & Arnold Rothe, Wurzburg, Königshausen, Newmann, 199519. Tenkoul, Abderrahmane, «Mythe de l'androgyne <strong>et</strong> texte maghrébin», Littératures maghrébines.Colloque Jacqueline Arnaud. Vill<strong>et</strong>aneuse, <strong>les</strong> 2, 3, <strong>et</strong> 4 décembre 1987. Perspectives généra<strong>les</strong>, Vol. 1,Ed. Jacqueline Arnaud, Paris, L'Harmattan, 199020. Yacine, Kateb, Nedjma, Paris, Seuil, 195680Dialogos 9/2004

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