(suite)Il faut donc se résoudre, en s’appuyant sur le caractère fluctuant dûà l’agitation turbulente, à définir et utiliser <strong>de</strong>s moyennes. Une <strong>de</strong>sapproches les plus répandues consiste à abor<strong>de</strong>r le problème sousun angle statistique. Les moyennes d’ensemble <strong>de</strong> vitesse, <strong>de</strong> pression,<strong>de</strong> température… dont <strong>la</strong> distribution caractérise l’écoulementturbulent sont définies comme les variables principales<strong>de</strong> l’écoulement qu’on cherche à qualifier par rapport à cesmoyennes. Ceci conduit à une décomposition du mouvement (dite<strong>de</strong> Reynolds) en champs moyen et fluctuant, ce <strong>de</strong>rnier mesurantl’écart instantané et local entre chaque gran<strong>de</strong>ur réelle et samoyenne (figure). Ces fluctuations représentent <strong>la</strong> turbulence etcouvrent une partie importante du spectre <strong>de</strong> Kolmogorov (1) .Cette opération réduit considérablement le nombre <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés <strong>de</strong>liberté du problème et le rend « manipu<strong>la</strong>ble » informatiquement.Elle comporte aussi <strong>de</strong> nombreuses difficultés : il faut tout d’abordconstater que, précisément en raison <strong>de</strong>s non-linéarités <strong>de</strong>s équationsdu mouvement, toute moyenne fait surgir <strong>de</strong>s termes nouve<strong>aux</strong>et inconnus qu’il faut estimer. En fermant <strong>la</strong> porte à <strong>la</strong> <strong>de</strong>scriptioncomplète et déterministe du phénomène, on ouvre celle<strong>de</strong> <strong>la</strong> modélisation, c’est-à-dire à <strong>la</strong> représentation <strong>de</strong>s effets <strong>de</strong> <strong>la</strong>turbulence sur les variables moyennes.Beaucoup <strong>de</strong> progrès ont été accomplis <strong>de</strong>puis les premiersmodèles (Prandtl, 1925). Les modélisations n’ont cessé d’évoluervers plus <strong>de</strong> complexité, se basant sur le fait généralement vérifiéque toute nouvelle extension permet <strong>de</strong> conserver les propriétésantérieurement acquises. Il faut aussi constater que, même(1) On peut faire référence à <strong>la</strong> répartition spectrale <strong>de</strong> l’énergie cinétiqueturbulente, connue comme le “spectre <strong>de</strong> Kolmogorov”, qui illustre<strong>de</strong> manière très simple <strong>la</strong> hiérarchie <strong>de</strong>s échelles, <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s échelles porteusesd’énergie <strong>aux</strong> échelles <strong>de</strong> plus en plus petites et <strong>de</strong> moins en moinsénergétiques.(2) Cette étendue est le résultat <strong>de</strong>s non-linéarités <strong>de</strong>s équations du mouvementqui donne naissance à une gamme étendue d’échelles spatialeset temporelles. Cette gamme est une fonction croissante du nombre <strong>de</strong>Reynolds, Re, mesurant le rapport entre force d’inertie et force visqueuse.(3) L’hypothèse selon <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> résolution complète <strong>de</strong>s équations <strong>de</strong>Navier-Stokes permet <strong>la</strong> simu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> turbulence est généralementadmise, tout du moins dans <strong>la</strong> gamme <strong>de</strong>s écoulements sans choc.(4) Il s’agit d’un problème régi par <strong>de</strong>s conditions initiales et <strong>aux</strong> limites.Fsi <strong>de</strong> nombreux développements remettent en avant <strong>la</strong> nécessité<strong>de</strong> traiter les écoulements en respectant leur caractère instationnaire,les modélisations les plus popu<strong>la</strong>ires ont été développéesdans le cadre <strong>de</strong>s écoulements stationnaires, pour lesquelson n’accè<strong>de</strong> donc qu’à une représentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> moyennetemporelle <strong>de</strong> l’écoulement : dans le modèle mathématique final,les effets <strong>de</strong> <strong>la</strong> turbulence proviennent ainsi intégralement <strong>de</strong> <strong>la</strong>modélisation.Il est également remarquable que, malgré <strong>de</strong> nombreux trav<strong>aux</strong>,aucune modélisation n’est aujourd’hui capable <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong>l’intégralité <strong>de</strong>s phénomènes qui influencent <strong>la</strong> turbulence ou sontinfluencés par elle (transition, instationnarité, stratification, compression,etc.). Ce qui semble pour l’instant empêcher les modélisationsstatistiques <strong>de</strong> nourrir une ambition d’universalité.Malgré ces limitations, <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s modélisations statistiquescourantes sont maintenant disponibles dans les co<strong>de</strong>s commerci<strong>aux</strong>et les outils <strong>de</strong>s industriels. Il n’est pas possible <strong>de</strong> prétendrequ’elles permettent <strong>de</strong>s calculs prédictifs dans toute situation.Leur précision est variable, offrant <strong>de</strong>s résultats utiles pourl’ingénieur dans <strong>de</strong>s situations maîtrisées et favorables (prédiction<strong>de</strong> <strong>la</strong> trainée avec une précision <strong>de</strong> 5 % à 10 % d’erreur [parfoismieux] sur certains profils), mais parfois f<strong>aux</strong> dans <strong>de</strong>s situationsqui se révèlent, après coup, en <strong>de</strong>hors du champ <strong>de</strong> validitédu modèle. Tout emploi maîtrisé d’une modélisation repose doncsur une qualification particulière au type d’écoulement à traiter.Des modélisations alternatives, répondant au besoin d’une plusgran<strong>de</strong> précision sur <strong>de</strong>s gammes d’échelles spatiales et temporellesplus étendues et donc basées sur un opérateur <strong>de</strong> “moyenne”d’une nature différente, sont actuellement en développement etreprésentent <strong>de</strong>s voies nouvelles.Le paysage <strong>de</strong>s modélisations <strong>de</strong> <strong>la</strong> turbulence est aujourd’huitrès complexe et l’unification <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> vue et <strong>de</strong>s diversconcepts <strong>de</strong> modélisation est une gageure. La tentation <strong>de</strong> l’universalité<strong>de</strong>s modélisations reste donc hors <strong>de</strong> propos. Leur miseen œuvre réelle relève <strong>la</strong> plupart du temps <strong>de</strong> compromis généralementguidés par le savoir-faire <strong>de</strong> l’ingénieur.Frédéric DucrosDirection <strong>de</strong> l’énergie nucléaire<strong>CEA</strong> centre <strong>de</strong> Grenoble
Expériences analytiques et expériences globalesDPour comprendre et approfondir les connaissances, <strong>de</strong>s expériencesportant prioritairement sur l’étu<strong>de</strong> d’un seul phénomènesont d’abord réalisées, souvent à taille réduite. Ces expériencesdites analytiques, élémentaires ou détailléespermettent d’évaluer individuellement chaque phénomène, oudu moins d’étudier <strong>de</strong>s effets séparés en essayant <strong>de</strong> limiterl’influence d’autres phénomènes. Leurs résultats sont ensuiteintégrés sous forme <strong>de</strong> données utilisées par les modèlesphysiques dans <strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s (logiciels) <strong>de</strong> calcul.Dans le domaine nucléaire, l’équation <strong>de</strong> bi<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s neutronsdans un réacteur à fission (équation <strong>de</strong> Boltzmann) fournitun exemple <strong>de</strong> linéarité ; ainsi, une expérience menée sur unréacteur critique <strong>de</strong> basse puissance tel Éole est représentative<strong>de</strong> configurations rencontrées dans les réacteurs électrogènespour <strong>de</strong>s paramètres clefs <strong>de</strong> leur dimensionnementcomme <strong>la</strong> distribution <strong>de</strong> puissance ou l’efficacité <strong>de</strong>s absorbants.En revanche, <strong>la</strong> physique <strong>de</strong> <strong>la</strong> fusion thermonucléaireest non linéaire : il est donc impossible d’extrapoler comptetenu du fait que <strong>de</strong>s seuils doivent être franchis.Les expériences prenant en compte l’ensemble <strong>de</strong>s phénomènesélémentaires et donc – ce qui est essentiel – <strong>de</strong> leurs interactionssont qualifiées d’expériences globales ou encore “système”.Leur objectif est <strong>de</strong> reproduire, éventuellement à échelle réduitemais avec tous les éléments du système étudié, l’enchaînement<strong>de</strong>s processus physiques (le cas échéant, chimiques et biologiques)essentiels qui caractérisent leur fonctionnement, aussibien dans <strong>de</strong>s conditions normales que dans <strong>de</strong>s conditions “<strong>aux</strong>limites”, voire hors <strong>de</strong> ces limites (situations acci<strong>de</strong>ntelles, parexemple avec <strong>la</strong> boucle Bethsy en thermohydraulique et le réacteurCabri en thermomécanique du combustible). Ces expériencesfont apparaître les effets système et ren<strong>de</strong>nt possiblel’acquisition <strong>de</strong> données ainsi que l’établissement <strong>de</strong> critères etsont nécessaires pour vérifier que les logiciels <strong>de</strong> calcul intégranttoutes ces connaissances ren<strong>de</strong>nt bien compte <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité.