La Cité <strong>de</strong>s Hommes <strong>Samedi</strong> 15 octobre 2011<strong>de</strong> démocratie musulmane dont il s’agit, mais <strong>de</strong> construction progressive <strong>de</strong> la mainmise <strong>de</strong> lareligion sur la foi.L’intervention <strong>de</strong> la France en Libye m’a quelque peu troublé. Elle a été décidée sur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>notre « nouveau » ministre <strong>de</strong>s Affaires étrangères, l’ex nouveau philosophe un peu mannequinBernard Henri-Lévy. Je ne suis pas d’accord pour adopter le concept <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir d’ingérence.Imaginons que les Corses aient <strong>de</strong>mandé leur indépendance et que l’armée soit intervenue dansl’île, que dirions-nous si Kadhafi s’était immiscé dans le conflit ? Être allé défendre les habitants <strong>de</strong>Benghazi nous honore. Mais je pose la question : pourquoi n’avons nous pas aidé et sauvé leshabitants <strong>de</strong> Syrte ? Si ce <strong>de</strong>voir d’ingérence est réel, pourquoi avons-nous laissé les Séoudiensbalayer en une après-midi la place <strong>de</strong> la liberté occupée par les manifestants à Manama, la capitaledu royaume <strong>de</strong> Bahreïn ? Qu’attendons-nous pour intervenir en Syrie, au Yémen, au Zimbabwe, enCorée du Nord ?Dans le conflit israélo-palestinien, l’Europe s’est contentée <strong>de</strong> mener une diplomatie du chéquier.Mahmoud Abbas a déclaré récemment aux Nations-Unies : « Il n’y a pas un peuple en trop enPalestine Israël est légitime, mais il manque un État en Palestine ». J’aurais aimé que cette phrasesoit prononcée par un Européen. Nous ne pouvons pas mener une politique du <strong>de</strong>ux poids, <strong>de</strong>uxmesures. N’ayons pas la mémoire courte. S’il y a aujourd’hui <strong>de</strong>s islamistes, c’est parce qu’en1957, les États-Unis ont entraîné la France et la Gran<strong>de</strong>-Bretagne dans une alliance stratégique avecl’Arabie Saoudite plutôt qu’avec Nasser. L’Arabie Saoudite est une théocratie qui a le coran pourconstitution et la charia pour loi pénale et civile. Cette décision américaine a donné un coup d’arrêtfatal à la sécularisation du mon<strong>de</strong> arabe.Nous <strong>de</strong>vons nous intéresser à nouveau au conflit israélo-palestinien, véritable nœud gordien <strong>de</strong> larégion. Au regard <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers évènements, je pose cette question : la force fait-elle le droit ? Si oui,nous <strong>de</strong>vons avoir conscience que la force sans le droit sera toujours injuste et le droit sans la forcetoujours impuissant.<strong>Les</strong> <strong>Colloques</strong> <strong>de</strong> <strong>Menton</strong> Penser notre Temps 10
La Cité <strong>de</strong>s Hommes <strong>Samedi</strong> 15 octobre 2011Table ron<strong>de</strong>Henri GUAINOJ’aimerais répondre à Antoine Sfeir.Premièrement, nous n’avons qu’un seul ministre <strong>de</strong>s Affaires étrangères, qui est Alain Juppé, et unprési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République qui déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> la politique étrangère <strong>de</strong> la France, à savoir NicolasSarkozy. Le reste n’est qu’anecdote.Concernant le « <strong>de</strong>ux poids, <strong>de</strong>ux mesures » entre la Syrie et la Palestine, je crois qu’il n’y a rien <strong>de</strong>pire que la transposition <strong>de</strong> la religion en politique. <strong>Les</strong> droits <strong>de</strong> l’homme, c’est magnifique ; lareligion <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme, c’est dangereux. <strong>Les</strong> décisions politiques doivent être prises auregard <strong>de</strong> leurs conséquences éventuelles. La morale, les droits <strong>de</strong> l’homme et le droit <strong>de</strong>s peuplesnous ont poussés à condamner la Chine après Tien-An-Men. En revanche, il serait parfaitementirresponsable et immoral d’aller déclarer la guerre à la Chine parce que les conséquences d’une telledécision seraient bien pires que le remè<strong>de</strong>. La question israélo-palestinienne ne peut être comparéeà celle <strong>de</strong> la Libye, non pas parce que nous pratiquons le « <strong>de</strong>ux poids, <strong>de</strong>ux mesures », mais parceque nous sommes responsables.Antoine Sfeir a raison <strong>de</strong> souligner à quel point la question israélo-palestinienne <strong>de</strong>meureessentielle pour l’avenir <strong>de</strong> la région méditerranéenne et au-<strong>de</strong>là. D’un point <strong>de</strong> vue moral aussi, larésolution <strong>de</strong> ce conflit s’impose <strong>de</strong> manière absolument fondamentale. Antoine Sfeir a aussi mis encause la politique du prési<strong>de</strong>nt américain. Mais a-t-il les moyens d’avoir une autre attitu<strong>de</strong> ?Barack Obama doit tenir compte du Congrès, <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> pression et <strong>de</strong> la réalité politiqueintérieure américaine. Je rappelle qu’aux États-Unis, il n’existe pas <strong>de</strong> passerelle entre le parlementet le pouvoir exécutif et qu’en cas <strong>de</strong> conflit entre les <strong>de</strong>ux, le pays est plongé dans une situationinextricable. Le dirigeant qui dispose du plus grand pouvoir parmi les démocraties occi<strong>de</strong>ntales estle Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République française. Le droit <strong>de</strong> dissolution et l’article 49-3 lui confèrent unpouvoir inégalé dans les gran<strong>de</strong>s démocraties <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong>. En France, le pouvoir exécutif dirigecomme il l’entend durant son mandat. Le prési<strong>de</strong>nt américain n’est pas dans cette situation, ce quiexplique à quel point sa marge <strong>de</strong> manœuvre est réduite.Le cas du conflit israélo-palestinien est typique. Il ne s’agit pas d’un drame dans lequel l’un <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux protagonistes a tort. Nous sommes dans le cadre d’une tragédie où il faut parvenir àconvaincre les <strong>de</strong>ux camps à la fois. La France a adopté une position claire. De la tribune <strong>de</strong> laKnesset, le Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République a <strong>de</strong>mandé aux Israéliens d’accepter la reconnaissance d’unEtat palestinien et d’un statut particulier pour Jérusalem. Aux Nations-Unies, la France a affirmé lanécessité <strong>de</strong> la création d’un Etat palestinien. Nous sommes conscients <strong>de</strong>s difficultés qui sedressent sur notre chemin, c’est pourquoi nous proposons une étape intermédiaire susceptible <strong>de</strong>faire progresser la situation actuelle. Ce n’est pas une position indigne, timorée ou craintive. Elletient compte <strong>de</strong> la réalité politique dans laquelle nous nous trouvons. Affirmer <strong>de</strong>s positionsradicales, c’est se donner bonne conscience à peu <strong>de</strong> frais. Je comprends la position <strong>de</strong>s autoritésmorales. La position morale du politique consiste à faire avec les réalités.La complexité <strong>de</strong> la situation israélienne tient à <strong>de</strong> nombreux éléments sur lesquels nous n’avonspas <strong>de</strong> prise. J’aimerais en citer <strong>de</strong>ux : un système <strong>de</strong> proportionnelle intégrale qui affaiblit l’Étatsur le plan politique et <strong>de</strong>s pays voisins faibles, soumis aux passions <strong>de</strong> leur opinion. Je constate<strong>Les</strong> <strong>Colloques</strong> <strong>de</strong> <strong>Menton</strong> Penser notre Temps 11