Les Colloques de Menton Samedi 1 - Ville de Menton

La Cité des Hommes Samedi 15 octobre 2011Ali BENMAKHLOUFProfesseur de philosophie à l’université Paris-Est Val-de-Marne, Président du comitéd’éthique et de déontologie de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD)Je vais décliner ici une grammaire de l’émancipation. Elle commence par l’accélération del’Histoire et l’internationalisation des droits humains. Ce mouvement bouscule depuis cinquanteans les souverainetés nationales en affirmant qu’elles ne peuvent plus prendre leur souverainetécomme alibi pour nationaliser des pratiques inhumaines. Les démocraties reconnaissent à présentdes droits opposables à l’État, c’est-à-dire que le droit n’émane plus seulement de l’État lui-même,il peut aussi aller contre lui lorsque celui-ci se fait souverain de l’inhumain. C’est précisément ce àquoi nous avons assisté lors de ces révoltes arabes car les personnes instruites connaissentaujourd’hui l’existence de ce droit opposable.Certains ont été tentés de comparer ces évènements à d’autres révolutions passées. Or, comme ledisait Montaigne : « Comparer n’est pas égaler ». Le parallèle avec l’année 1989 dans les pays del’Est n’est pas exact, car les pays de l’ex-Union soviétique ont reçu une aide importante de l’Ouestdestinée à neutraliser leurs mouvements extrémistes. Je précise qu’à mes yeux, l’islamisme n’estpas en général un mouvement radical. Néanmoins, il peut l’être et c’est pourquoi il est vital que leNord apporte une aide ciblée au Sud afin de bloquer le développement les mouvements extrémistes.Les droits opposables sont des droits simples, tels que la liberté d’aller et venir, de parler sans êtrecensuré, d’avoir une vie privée et familiale. Ils sont ancrés dans nos sociétés, mais pas dans cellesdes pays arabes. Les peuples arabes sont exaspérés de vivre dans des pays où l’élite est disqualifiée,et où le peuple est vendu comme main d’œuvre à bas prix à des firmes étrangères. Ils revendiquentla lutte contre la corruption, la reconnaissance de la dignité humaine, des droits politiques et de ladiversité religieuse. Ils réclament la sécularisation des institutions politiques et rejettent l’économiede rente.Les sociétés arabes, longtemps figées politiquement, se sont découvertes vivantes face à des Etatsmoribonds. Leurs dirigeants ont été épuisés par leur inertie. N’importe quel dirigeant, même lemeilleur, serait confronté à une accumulation d’abus s’il devait rester au pouvoir dix, quinze ouvingt ans. Des rendez-vous électoraux réguliers sont les seuls remparts contre cette dérive.La grammaire de l’émancipation court le risque de la désillusion. Je n’y ai pas encore cédé. Il fautavoir conscience de la dimension du temps humain, du temps de la communication et du tempshistorique. La démocratie n’est pas la voix du plus grand nombre ; c’est la justice indépendante et laréduction de la pauvreté. Montaigne disait : « Je hais la pauvreté à pair de la douleur ».L’expérience de la douleur étant commune à toute l’humanité, je suggère de la prendre commeétalon de mesure pour réduire la pauvreté.Nous nous trouvons dans une phase de transition vers la démocratie. Je voudrais que l’on cesse deconsidérer que les peuples arabes sont prisonniers de la fatalité, cernés par la dictature etl’islamisme. La seule fatalité qui existe, c’est de croire à la fatalité.Les Colloques de Menton Penser notre Temps 8