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désigner cette mémoire affective qui ne se laisse pas diriger, mais se déclenche spontanément,Vermersch reprend le terme de Gusdorf de « mémoire concrète » (Vermersch, 1994, p.90).L’épisode de la madeleine de Proust va lui servir non seulement d’illustration, maisencore davantage de source pour indiquer des appuis techniques qui soutiennent la dynamiquede remémoration. Proust rappelle en effet dans ce passage des circonstances très précises quiencadrent l’événement qu’il cherche à évoquer, comme par exemple des lieux, des moments,des saisons. Il décrit avec précision son utilisation de la sensation gustative de la madeleine etdu thé pour essayer de tirer un souvenir du tréfonds de sa mémoire ; puis il évoqueintérieurement cette sensation sans ingérer ni le thé ni le gâteau. Après maintes tentatives pourrevivre en lui-même cette émotion, au bord de l’abandon, il redécouvre tout à coup la scèneattendue.Vermersch retire plusieurs enseignements précieux du texte de Proust. Le rappel dusouvenir est facilité par l’évocation d’un déclencheur sensoriel que l’on peut provoquer àrépétition ; les efforts pour amener le souvenir directement à la conscience en se concentrantsur lui sont vains. Il vaut mieux procéder en respectant certaines étapes : partir d’une émotionque l’on pressent en rapport avec un événement, dans le relâchement revivre la sensation pourlaisser le souvenir émerger en relation avec des éléments du cadre, et, enfin, accéder au faitbiographique, lui-même source de l’émotion.Au cours du XX e siècle de nombreuses pratiques psychothérapeutiques se sontinspirées de tels mécanismes pour aider les patients à retrouver les traces d’événementstraumatiques de leur passé. Différentes de l’association libre freudienne, ces thérapiesémotionnelles et corporelles auxquelles Vermersch s’est formé trouveraient, selon lui, unsocle commun dans « la recherche d’un élément sensoriel spécifique qui va servir de pointd’entrée vers le vécu ancien » (ibid., p.96, souligné par l’auteur). Une technique théâtralebasée sur le même processus a été développée dans l’école américaine de « l’Actors Studio ».Pour revivre une émotion, les acteurs la relient, par répétition, à un objet déclencheur quipermettra sur commande, en évoquant non pas l’émotion mais l’objet, d’incarner réellementcelle-ci et de la restituer sur scène. Le principe commun à ces pratiques est la transition par unélément relié à l’émotion pour y accéder.Ainsi depuis Proust entraîné par sa mémoire involontaire, ont été mises en évidencedes techniques qui permettent de provoquer et de guider l’évocation. Les principesfondamentaux retenus par Vermersch dans le cadre de l’explicitation en sont les suivants :rappeler une situation spécifiée ; guider vers l’évocation sensorielle (sons, voix, ton, posture,Numér

couleur, etc.) ; éviter la recherche de l’accès direct au souvenir ; chercher à fractionner defaçon très fine les enchaînements pour éviter la mise en récit.L’exemple proposé par l’auteur permet de mieux saisir comment s’appliquent enpratique ces principes (ibid., pp. 98-99).- « Guide : Et quand tu vois ce blanc de la feuille là, tu vois ce blanc net ? Tu entendstoujours cette enfant qui te parle et que ne veux pas entendre ? Tu t’es tournée, et quand tuentends ce que tu entends, qu’est-ce que tu entends encore plus précisément ? Tu vois cecahier blanc, tu sens ton corps penché pour te détourner de cette voix-là qui te dérange …- Interviewée : J’entends ma voix.- G. : Tu entends ta voix, oui.- I. : Je demande à la gamine de relire ce qu’elle a écrit et je me vois suivre avec le doigt surce qu’elle a écrit pour … il doit manquer un mot, quelque chose comme ça.- G. : Oui.- I. : Et je voudrais qu’elle se rende compte qu’elle a oublié quelque chose.- G. : Donc tu lui parles, tu suis avec ton doigt.- I. : Je lui montre avec mon doigt chaque mot qu’elle prononce, ça je revois bien ça … et àce moment-là, j’entends alors par là, donc en biais, j’entends la voix de Baptiste et …- G. : Et quand tu entends ce que tu entends là, qu’est-ce que tu entends précisément ?- I. : Il est en train de dire à son copain Alexandre, à quel endroit il faut trouver tel mot ? Ilest en train, je sais pas, il cherche un mot, j’entends ça il lui dit que dans le cahier de vie ilfaut trouver le mot, pour moi c’est un verbe … je ne sais plus lequel, mais c’est un verbe.- G. : Donc, là tu entends la voix de Baptiste, Baptiste demande à son copain où il fauttrouver ce mot.- I. : Non je crois que c’est ça, il lui demande pas à son copain, il lui dit ce qu’il faut faire, illui dit qu’il faut trouver le mot en question… » [suit une description très précise de la scène centrée sur Baptiste qui était l’informationrecherchée dans le cadre de cette analyse de pratique se déroulant quatorze mois plus tard.]On remarque par cet échange que l’entretien d’explicitation retranscrit par écrit rendcompte d’une pratique très particulière et inhabituelle. Les relances ericksoniennes, lesreformulations en écho, les questions sur les sensations qui interrompent l’interviewéeparaissent insolites par rapport aux entretiens ordinairement proposés. C’est pourtant par ceprocédé que le souvenir affleure peu à peu à la conscience.Il nécessite la position de parole incarnée qui met en œuvre la mémoire concrète. Cettemémoire « involontaire » ne peut être dirigée ou commandée directement ; elle conserve uneNumér

désigner cette mémoire affective qui ne se laisse pas diriger, mais se déclenche spontanément,Vermersch reprend le terme de Gusdorf de « mémoire concrète » (Vermersch, 1994, p.90).L’épisode de la madeleine de Proust va lui servir non seulement d’illustration, maisencore davantage de source <strong>pour</strong> indiquer des appuis techniques qui soutiennent la dynamiquede remémoration. Proust rappelle en effet dans ce passage des circonstances très précises quiencadrent l’événement qu’il cherche à évoquer, comme par exemple des lieux, des moments,des saisons. Il décrit avec précision son utilisation de la sensation gustative de la madeleine etdu thé <strong>pour</strong> essayer de tirer un souvenir du tréfonds de sa mémoire ; puis il évoqueintérieurement cette sensation sans ingérer ni le thé ni le gâteau. Après maintes tentatives <strong>pour</strong>revivre en lui-même cette émotion, au bord de l’abandon, il redécouvre tout à coup la scèneattendue.Vermersch retire plusieurs enseignements précieux du texte de Proust. Le rappel dusouvenir est facilité par l’évocation d’un déclencheur sensoriel que l’on peut provoquer àrépétition ; les efforts <strong>pour</strong> amener le souvenir directement à la conscience en se concentrantsur lui sont vains. Il vaut mieux procéder en respectant certaines étapes : partir d’une émotionque l’on pressent en rapport avec un événement, dans le relâchement revivre la sensation <strong>pour</strong>laisser le souvenir émerger en relation avec des éléments du cadre, et, enfin, accéder au faitbiographique, lui-même source de l’émotion.Au cours du XX e siècle de nombreuses pratiques psychothérapeutiques se sontinspirées de tels mécanismes <strong>pour</strong> aider les patients à retrouver les traces d’événementstraumatiques de leur passé. Différentes de l’association libre freudienne, ces thérapiesémotionnelles et corporelles auxquelles Vermersch s’est formé trouveraient, selon lui, unsocle commun dans « la recherche d’un élément sensoriel spécifique qui va servir de pointd’entrée vers le vécu ancien » (ibid., p.96, souligné par l’auteur). Une technique théâtralebasée sur le même processus a été développée dans l’école américaine de « l’Actors Studio ».Pour revivre une émotion, les acteurs la relient, par répétition, à un objet déclencheur quipermettra sur commande, en évoquant non pas l’émotion mais l’objet, d’incarner réellementcelle-ci et de la restituer sur scène. Le principe commun à ces pratiques est la transition par unélément relié à l’émotion <strong>pour</strong> y accéder.Ainsi depuis Proust entraîné par sa mémoire involontaire, ont été mises en évidencedes techniques qui permettent de provoquer et de guider l’évocation. Les principesfondamentaux retenus par Vermersch dans le cadre de l’explicitation en sont les suivants :rappeler une situation spécifiée ; guider vers l’évocation sensorielle (sons, voix, ton, posture,Numér

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