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La médiation civile et commerciale - Barreau du Québec

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Le profilage des candidats à la magistratureLes convictions personnelles des jugesM e Jean-C. Hébert, LL. M.Une nomination politique à la magistrature mine la confiance <strong>du</strong> public dansl’administration de la justice. Maintes fois enten<strong>du</strong>e, c<strong>et</strong>te affirmation est désormaisconvenue par la Cour suprême 1 . Qu’à cela ne tienne, le premier ministre StephenHarper n’en a rien à cirer de l’opinion des juges. Il semble se soucier de lamagistrature comme d’une guigne. À ses yeux, la sécurité publique exige l’adoptionde « lois qui s’attaquent à la criminalité <strong>et</strong> rendent nos rues <strong>et</strong> nos communautésplus sûres. Nous voulons, dit-il, faire en sorte que le choix de nos juges corresponde àces objectifs 2 ». Est-ce là une perversion de notre système judiciaire ? <strong>La</strong> séparationdes pouvoirs <strong>et</strong> l’indépendance judiciaire sont-elles menacées par c<strong>et</strong>te « prise decontrôle 3 » <strong>du</strong> pouvoir exécutif ?Les nominations politiquesAvec une franchise qui l’honore, l’actuel juge en chef<strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, Michel Robert 4 , a déjà reconnu l’influencedéterminante des politiciens à propos de certainesnominations à la magistrature fédérale : « Ce sont eux qui choisissent. Est-ce que lespoliticiens font leurs choix en regardant le penchant politique des avocats, je ne saispas. Mais dans certains cas, peut-être. » Le processus fédéral de nomination agit entrompe-l’œil. Certes, les comités de sélection (avec ou sans policier) perm<strong>et</strong>tentd’éliminer les candidats indésirables. Cependant, rien n’empêche la nomination,parmi plusieurs postulants, de celui ou celle qui bénéficie d’un soutien politique. <strong>La</strong>causa causans n’a souvent rien à voir avec la compétence <strong>et</strong> le mérite personnel d’uncandidat.Ministre de la justice <strong>du</strong> dernier gouvernement libéral, Irwin Cotler jugea nécessaired’apporter des mesures en vue de « rehausser la transparence, l’imputabilité ainsi quela compréhension par le public <strong>du</strong> processus de nomination à la magistrature ». Uncode d’éthique fut rédigé pour la gouverne des comités consultatifs. Les questionstouchant les idées ou les allégeances politiques d’un candidat sont interdites. Il estmême précisé qu’aucune inférence favorable ou défavorable ne peut être tirée à cesuj<strong>et</strong>, si ce n’est qu’un candidat lié à un parti politique possède une aptitude às’impliquer socialement.Les membres des comités consultatifs doivent suivre des lignes directrices jointes aucode d’éthique. L’une d’elles dispose que le ministre peut inviter un comité à réévaluerune candidature en tout temps « lorsque les renseignements recueillis d’autres sourcesvont à l’encontre de l’évaluation faite par le comité ». Quelles peuvent bien être cessources mystérieuses ? Exceptionnellement, précise-t-on, le comité peut lui-mêmedécider de réévaluer une candidature « s’il estime posséder de nouveauxrenseignements importants » contredisant l’évaluation déjà faite. Quelles peuventbien être ces nouvelles informations ?En clair, une singulière mesure d’exception perm<strong>et</strong> au ministre de contourner le rej<strong>et</strong>d’une candidature par un comité de sélection. Suite à une procé<strong>du</strong>re en révision depure forme, un candidat aux solides assises politiques pourrait obtenir la note depassage. À n’en point douter, c<strong>et</strong>te prérogative ministérielle porte ombrage à lacrédibilité <strong>du</strong> travail accompli par les membres d’un comité consultatif (avec ou sanspolicier). En eff<strong>et</strong>, la nomination fondée sur le mérite <strong>du</strong> postulant risque d’êtreconfon<strong>du</strong>e avec celle qui résulte d’un ténébreux système de repêchage.<strong>La</strong> conscience <strong>du</strong> jugeDans l’imagerie traditionnelle, la Justice (incarnée par Thémis) a les yeux bandés; elleécarte le chien (symbole de l’amitié) <strong>et</strong> le serpent (symbole de la haine). Rien n’estcensé influencer son jugement, lequel doit être chevillé uniquement avec la loi. Il estacquis que certaines règles de droit comportent une zone d’imprécision relative. Uneloi générale <strong>et</strong> abstraite ne peut prévoir tous les cas de figure. Autrement dit, certainessituations problématiques échappent à l’application mécanique de la loi. Voilàpourquoi les juges disposent d’une indéniable liberté dans l’interprétation <strong>et</strong>l’application <strong>du</strong> droit.Ce pouvoir discrétionnaire intro<strong>du</strong>it une teinte de subjectivité dans le processusdécisionnel. Toute décision se façonne dans un milieu ambiant. Le passé, l’histoire <strong>et</strong>la culture sont des facteurs guidant la décision <strong>du</strong> juge. Comment le magistratpourrait-il faire l’impasse sur sa propre idéologie, sa morale, s’il est de bonne foi, <strong>et</strong>ses caprices ou préjugés s’il ne l’est pas ? Qui plus est, dans les affaires liées auxgrands débats de société (avortement, euthanasie, soins de santé, environnement,é<strong>du</strong>cation, religion <strong>et</strong> égalité), l’angle politique imprègne l’analyse judiciaire.En général, sinon toujours, les juges prennent grand soin de masquer leur moralepersonnelle. Si, comme en matière d’obscénité, le traitement <strong>du</strong> dossier exige uneréférence à un standard de tolérance, le juge dira fonder son jugement sur laperception communautaire. Tout ça n’est que pure fiction : en vérité, c’est la moralepersonnelle <strong>du</strong> juge qui est source de normativité. Alors, pourquoi occulter le réel ?Confronté à une perception morale <strong>du</strong> juge bien affirmée, le plaideur pourrait ajusterson argumentaire. Le secr<strong>et</strong> pervertit l’acte de justice. Quoi qu’il en soit, les règles dedroit encadrent inéluctablement la discrétion judiciaire. C<strong>et</strong>te limitation restreint lesrisques de jugements d’opportunité <strong>et</strong> d’humeur. <strong>La</strong> Cour suprême 5 a reconnu que desjugements de valeur sont inévitables. C<strong>et</strong>te réalité ne signifie pas pour autant que leprocessus décisionnel soit purement subjectif, voire même arbitraire.Philosophe <strong>et</strong> juriste éminent, Ronald Dworkin 6 considère que l’é<strong>du</strong>cation <strong>et</strong> laformation professionnelle des juges « and the m<strong>et</strong>hods by which they are selected,tend to insure that, at least for the most part, their personal convictions are noteccentric – that they fall […] within the “mainstream” of popular opinion ». Dans unmodèle de sélection de juges représentatifs de la société canadienne, rien ne s’opposelogiquement à ce que leurs convictions personnelles soient prises en compte. Encorefaut-il que le processus d’appel, <strong>et</strong> surtout de nomination, autorise un exercic<strong>et</strong>ransparent de détermination des compétences <strong>et</strong> de captation des convictionspersonnelles des candidats. Présentement, au niveau fédéral, les candidats ne sontjamais rencontrés par quiconque. Quelle belle invitation aux jeux de coulisses !L’escarcelle politiqueSuj<strong>et</strong> controversé, la nomination des juges fédéraux fut récemment nichée dansl’escarcelle politique. Faut-il y voir une menace sérieuse à la séparation des pouvoirs<strong>et</strong> à l’indépendance de la magistrature ? Nullement. Au Canada, le principe de laséparation des pouvoirs correspond au respect mutuel que se doivent réciproquementles trois pouvoirs (exécutif, législatif <strong>et</strong> judiciaire) afin de singulariser <strong>et</strong> de renforcerleur rôle respectif. C’est dans ce contexte singulier que s’exerce l’autonomie politique<strong>du</strong> juge canadien. Les pouvoirs ne peuvent s’équilibrer que s’ils agissent sur lesmêmes domaines, <strong>et</strong> tous les pouvoirs (y compris le judiciaire) exercent à leur manièreune fonction politique.Quant à l’indépendance judiciaire, elle n’existe qu’après l’assermentation <strong>du</strong> nouveaujuge. Elle consiste essentiellement en la liberté de rendre des décisions que seules lesexigences <strong>du</strong> droit <strong>et</strong> de la justice inspirent. Elle requiert que les juges en exercicesoient libres d’agir sans ingérence in<strong>du</strong>e des pouvoirs exécutif <strong>et</strong> législatif <strong>du</strong>gouvernement ou de quiconque. Dans l’un <strong>et</strong> l’autre cas, l’étalement confidentieldevant un comité de sélection des convictions morales <strong>et</strong> politiques (non partisanes)d’un candidat à la magistrature n’affecterait aucunement le principe de la séparationdes pouvoirs <strong>et</strong> l’exigence d’indépendance judiciaire.<strong>La</strong> stratégie HarperFace à l’imminence d’une campagne électorale, les conservateurs ont choisinotamment de plancher sur le thème de la sécurité publique; d’où, la flopée de proj<strong>et</strong>sde loi favorisant une justice pénale plus répressive. En 1987, la Commissioncanadienne sur la détermination de la peine 7 (Rapport Archambault) révélait quel’opinion publique perçoit le juge comme le principal acteur en mesure d’assurer lasécurité publique. Dix ans plus tard, une enquête similaire tenue au Royaume-Unifaisait le même constat 8 .En matière de peine, la couverture médiatique des affaires judiciaires portemajoritairement sur des crimes de violence. Or, selon le Rapport Archambault 9 , « lescrimes avec violence représentent un pourcentage largement exagéré des crimesrapportés dans la presse, compte tenu de leur fréquence réelle ». Conséquence : lepublic se fait une idée déformée <strong>du</strong> traitement judiciaire de la criminalité. <strong>La</strong> presse,d’ajouter la commission d’enquête, « réserve ses colonnes aux affairesexceptionnelles ». En somme, les journalistes dressent le menu : « dans la plupart descas, ce sont les sentences considérées comme “douces” qui seront jugéesintéressantes ».Habile politicien, inspiré par le puissant lobby policier, le premier ministre Harperpropose aux électeurs d’avaler une couleuvre en bouclant la boucle sécuritaire : unappel aux futurs juges à partager ses objectifs.Il y a fort à parier qu’après le scrutin, s’il est réélu, Stephen Harper va se désintéresser<strong>du</strong> profilage de la magistrature. Qui s’en plaindra ?1 Ell c. Alberta, [2003] 1 R.C.S. 857, par.45.2 Le Devoir, édition <strong>du</strong> 15-02-07, Hélène Buzz<strong>et</strong>ti, Harper veut des juges qui pensent comme lui.3 Le Devoir, édition <strong>du</strong> 15-02-07, Josée Boileau, Prise de contrôle.4 Alec Castonguay, « Le juge en chef <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> ne veut pas de juges souverainistes », Le Devoir,27 avril 2005, p.A-8.5 R. c. <strong>La</strong>baye, [2005] 3 R.C.S. 728, par.54.6 The Judge’s New Role : Should personal Convictions Count?, (2003) Journal of International CriminalJustice 1, p.9.7 Réformer la sentence : une approche canadienne, Approvisionnements <strong>et</strong> Services Canada, Ottawa,1987. Le juge Omer Archambault présidait c<strong>et</strong>te commission.8 Configuring Security and Justice, Jean-Paul Brodeur and Clifford Shearing, (2005) European Soci<strong>et</strong>yof Criminology, 380, p.383.9 Précité, p.106 à 109.Jean-Claude Hébert est professeur associé au Département des sciences juridiques del’UQAM. jchebert@hdavocats.comC<strong>et</strong> article n'engage que la responsabilité de son auteur.10 Avril 2007 Le Journal <strong>Barreau</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>

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