culture humaniste - Centre académique de ressources sur la ...

Comité scientifiqueÉlisabeth Bautier (Université de Paris 8, Saint-Denis, France), Anne-Marie Chartier (Institut nationalde la recherche pédagogique, Paris, France), Suzanne Chartrand (Université Laval, Québec,Canada), Jean-Louis Chiss (Université de Paris 3, France), Bernard Combettes (Universitéde Nancy 2, France), Daniel Delas (Université de Cergy-Pontoise, France), Françoise Gadet(Université de Paris 10, Nanterre, France), Dominique Maingueneau (Université de Paris 12,Créteil, France), Mariagrazia Margarito (Université de Turin, Italie), Mohammed Miled (Universitéde Tunis, Tunisie), Sylvie Plane (Université de Paris 4 – IUFM, France), Yves Reuter (Universitéde Lille 3, France), Laurence Rosier (Université libre de Bruxelles, Belgique), Jürgen Trabant(Université de Berlin, Allemagne), Jean Verrier (Université de Paris 8, Saint-Denis, France).Comité de rédactionMarie-Madeleine Bertucci (Université de Cergy-Pontoise – IUFM, France), Marie-France Bishop(Université de Cergy-Pontoise – IUFM, France), Pierre Bruno (Institut universitaire de technologie,Dijon, France), Max Butlen (Université de Cergy-Pontoise – IUFM, France), LucileCadet (Université d’Artois – IUFM, Villeneuve d’Ascq, France), Jacques David (Université deCergy-Pontoise – IUFM, France), Bénédicte Etienne (Collège Jean Jaurès, Pantin, France),Jeanne-Antide Huynh (Université Sorbonne Paris 4 – IUFM, France), Isabelle Laborde-Milaa(Université de Paris 12, Créteil, France), Sandrine Luigi (Lycée Lavoisier, Paris, France), SergeMartin (Université de Caen, Basse-Normandie – IUFM, France), Christine Mongenot (Universitéde Cergy-Pontoise – IUFM, France), Marie-Anne Paveau (Université de Paris 13, Villetaneuse,France), Claire Renvoisé (Collège André Chénier, Eaubonne, France), Jérôme Roger (UniversitéMontesquieu – Bordeaux 4 – IUFM, France), Pierre Sivan (Lycée Saint-Louis, Paris, France),Francis Tourigny (CRDP de l’académie de Créteil, France).Comité de lectureDanièle Cogis (Université de Paris 4 – IUFM, France), Colette Corblin (Université de Cergy-Pontoise – IUFM, France), Joaquim Dolz (Université de Genève, FPSE, Suisse), Jean-LouisDufays (Université catholique de Louvain, Belgique), Marie-Laure Elalouf (Université de Cergy-Pontoise – IUFM, France), Valérie Frydman (Inspection pédagogique régionale, France), RolandGoigoux (Université Blaise Pascal – IUFM, Clermont-Ferrand, France), Violaine Houdart-Merot(Université de Cergy-Pontoise, France), Jean Jordy (Inspection générale, Paris, France), GérardLanglade (IUFM de Toulouse, France), Annie Le Fustec (Lycée Michelet de Vanves, France),Danièle Manesse (Université de Paris 3, France), Jean-François Massol (Université Stendhal –Grenoble 3, France), Marie-France Morin (Université de Sherbrooke, Québec, Canada), IsabellePécheyran (Inspection pédagogique régionale de Bordeaux, France), Marie-Claude Penloup(Université de Rouen, France), Claudia Polzin (Université de Saarbrücken, Allemagne), AnniePortelette (Université Paris 12, Val de Marne – IUFM, Créteil, France), Alain Rabatel (UniversitéClaude Bernard – IUFM, Lyon, France), Annie Rouxel (Université Montesquieu – Bordeaux 4– IUFM, France).Tarifs d'abonnement 2009 TTC (Offre valable jusqu'au 31 décembre 2009)FranceÉtranger (hors UE)Particuliers 62 € 72 €Institutions 90 € 110 €Bouquet Lettres / Langues480 €496 €(Langages, Langue française, Le Français au lieu de 530 € au lieu de 620 €aujourd'hui, Littérature, Romantisme)= -10 %= -20 %Chaque abonnement donne droit àla livraison des 4 numéros annuelsde la revue et à l’accès en ligneaux articles en texte intégral auxconditions prévues par l’accordde licence disponible sur le sitewww.armand-colin.com.Abonnements et vente au numéroArmand Colin - Services Abonnements5, rue Laromiguière - 75240 Paris Cedex 05 — France– Fax : +33 (0)1 40 46 49 93 – Étranger : +33 (0)1 40 46 49 89Internet : www.armand-colin.com / infos@armand-colin.frVente aux librairesDiffusion U.P. Diffusion / D.G.Sc.H.5, rue Laromiguière - 75005 ParisTel : 01 40 46 49 20 - Fax : 01 40 46 49 9020/11/2009 10:23:22

Revue de l’Association Françaisedes Enseignants de FrançaisDirectrice de la publicationViviane YouxPrésidente de l’AFEFSite : http://www.afef.orgRédacteur en chefJacques DavidCoordinatrice de ce numéroJeanne-Antide HuynhIllustration de couvertureFabienne Calame-GippetRédaction et administrationArmand Colin21, rue du Montparnasse 75006 ParisTél. : 01 44 39 51 21Courriel éditeur :infos@armand-colin.frCourriel rédaction :le-francais-aujourdhui@wanadoo.frArticles en lignewww.armand-colin.comN° Commission paritaire1012 T 82432N° ISSN0184-7732ImpressionImprimerie Chirat42540 Saint-Just-la-PendueDépôt légalDécembre 2009, N° xxxxParutionDécembre 2009Revue publiée avec le concoursdu Centre national du livreLa revue Le Français aujourd'huiconstitue un outil de réflexion et d'actualisationdes connaissances sur lefonctionnement de la langue et desdiscours, sur un auteur ou une approchelittéraire, sur des démarches d’enseignement-apprentissagenovatrices.Chaque numéro regroupe, autourd'une thématique, des contributionsqui s'appuient sur les données desrecherches en sciences humaines, etplus particulièrement en sciences dulangage et en didactique des langueset des textes, ainsi que sur des expériencesconcrètes, menées dans lesdifférentes classes où le français estenseigné ou utilisé.La revue comporte également deschroniques ouvertes à des analysescritiques autour d'une question d'actualitédans les domaines de la linguistique,de la poésie, de la littérature dejeunesse et de l'histoire de l'enseignement.Elle propose également desnotes de lecture et de synthèse surdes ouvrages récemment parus dansle champ.La revue s’adresse à tous ceux, enseignants,formateurs, chercheurs, impliquéspar l’enseignement du françaislangue maternelle, seconde ou étrangère,soucieux de parfaire leur pratiqueprofessionnelle à tous les niveauxd’enseignement, de la maternelle àl’université.La revue Le Français aujourd’hui appliqueles Rectifications de l’orthographe proposéespar le Conseil supérieur de la languefrançaise et entérinées par l’Académiefrançaise (Journal officiel, n° 100, du06/12/1990).Les conditions de publication (consignesgénérales et sélection des articles) sontconsultables sur le site des éditionsArmand Colin à l'adresse : www.armandcolin.com.© Armand Colin / AFEFTous droits de traduction, d’adaptation et de reproductionpar tous procédés réservés pour tous pays. Enapplication de la loi du 1 er juillet 1992, il est interdit dereproduire, même partiellement, la présente publicationsans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre françaisd’exploitation du droit de copie (3, rue Hautefeuille,75006 Paris).All rights reserved. No part of this publication may betranslated, reproduced, stored in a retrieval system ortransmitted in any form or any other means, electronic,mechanical, photocopying recording or otherwise, withoutprior permission of the publisher.Couv FA 167.indd 2

sommaireJeanne-Antide HUYNHPrésentation................................................................................................................ 3REPÈRES HISTORIQUES ET GÉOGRAPHIQUESClaude LELIÈVRECulture humaniste et « socle » de l’école obligatoire(tout le reste est littérature) ..................................................................................... 11Anne-Marie THIESSELittérature et éducation au national ....................................................................... 19Jean-Louis CHISSLes Humanités entre langue, littérature et culture .............................................. 27APPROCHES CROISÉES DE LA LITTÉRATURECéline VINCENTELLI et Frédérique CAUCHIQuand textes littéraires et textes philosophiquessont étudiés conjointement, qu’est-ce qui changedans l’enseignement de la littérature ? .................................................................. 37Florence DUPONTDémystifier la mythologie ? ...................................................................................... 45Jeanne-Antide HUYNHDe la pertinence de l’argumentation dans la constructiond’une culture humaniste au XXI e siècle.................................................................. 53MÉDIATIONS ENTRE PATRIMOINE ET MODERNITÉChantal BERTAGNAFaire dialoguer culture moderne ou contemporaineet culture patrimoniale .............................................................................................. 69Bénédicte ÉTIENNE« Frotter et limer sa cervelle contre celle d’aultruy » .......................................... 79P001-002_9782200925765.indd 1 27/11/09 10:52:43

Le Français aujourd’hui n° 167, « Culture humaniste : textes et pratiques »Françoise BALLANGERChoisir des romans pour la jeunesse et développerune culture humaniste .............................................................................................. 91RÉSUMÉS .................................................................................................................. 99CHRONIQUESLinguistiqueMarie-Anne PAVEAUL’éthique, les morales langagières, le courage de la vérité ............................ 105PoésieSerge MARTINDaniel Leuwers ou le Livre déplié multiplement ................................................. 115Littérature de jeunesseMarie-France BISHOPLa littérature de jeunesse est-elle scolaire ? ...................................................... 119NOTES DE LECTURE2P001-002_9782200925765.indd 2 27/11/09 10:52:43

PRÉSENTATIONCULTURE HUMANISTE : TEXTES ET PRATIQUESJeanne-Antide HuynhCrise des valeurs, perdues ou démotivées, risques de « tribalisation » de lasociété menaçant le partage de valeurs communes, manifestations d’inhumanité« ordinaire » croissantes ou sensibilité accrue à leur expression, peurs dela « barbarie » et interrogations sur ce qui la définit et les moyens de laprévenir : la culture humaniste a-t-elle jamais paru aussi nécessairequ’aujourd’hui, aussi essentielle à l’homme de notre société qualifiée de« postmoderne » ? La pluralité des références culturelles des élèves ne questionne-t-ellepas, depuis les années 1970, de manière de plus en plus cruciale,l’enseignement du français en particulier ? Comment enseigner, aujourd’hui, lalittérature dédiée à la construction d’une culture de l’humain ?La culture humaniste définie comme une compétence à maitriser partous les élèves en fin de scolarité obligatoire s’inscrit dans ces constats et cesquestionnements. L’école de la République porte au premier plan et désignecomme un des fondamentaux des apprentissages, la question de l’humain,de la formation à l’humanité par une certaine culture, la culture lettrée.La culture humaniste est caractérisée par un long compagnonnage avecl’enseignement du français. Depuis la fin du XIX e siècle, l’acquisition d’uneculture humaniste figure dans les discours prescriptifs sur les grandes finalitésde l’enseignement des lettres, en préambule ou en cadrage des Instructionsofficielles et des programmes. Avec le décret du 11 juillet 2006, définissant le« socle commun de connaissances et de compétences », la culture humanistechange de statut, elle devient explicitement une compétence majeure au sensfort, c’est-à-dire une combinaison de connaissances, de capacités et d’attitudesdont la maitrise permet de réaliser des tâches complexes. Ainsi que lessix autres « grandes compétences » du socle, « La culture humaniste » a vocationà fonder les objectifs des programmes de l’école primaire et du collège.Elle est prescrite, avec « La maitrise de la langue française », comme unepriorité majeure des nouveaux programmes du collège en français qui sontentrés en application en classe de 6 e à la rentrée 2009.Qu’est-ce qui caractérise « La culture humaniste » telle qu’elle est définiedans le socle commun du point de vue de l’enseignement du français ?Définie au plan des connaissances à travers deux grands types de « repères »,« géographiques » et « historiques » et un ensemble d’objets de savoirs (civiques,culturels, religieux, économiques, politiques) « pour comprendrel’unité et la complexité du monde », elle apparait de nature encyclopédique.C’est une culture de l’écrit, et pour une part importante de naturelittéraire. La connaissance des « textes majeurs de l’Antiquité » et desP003-008_9782200925765.indd 3 27/11/09 10:53:10

Le Français aujourd’hui n° 167, « Culture humaniste : textes et pratiques »« œuvres littéraires du patrimoine français, européen et mondial (ancien,moderne ou contemporain) » est constitutive de l’acquisition ou constructionde repères historiques. Le corpus retenu se signale également par sadimension encyclopédique. La culture humaniste n’est pas propre au français,elle se construit dans d’autres disciplines comme l’histoire et géographie,l’enseignement des arts, l’éducation physique et sportive.La lecture apparait au premier rang des capacités et des attitudes caractéristiquesde la culture humaniste : « les élèves doivent être capables de lireet utiliser différents langages, en particulier les images » ; « elle donne àchacun l’envie d’avoir une vie culturelle personnelle : – par la lecture ».D’autres capacités et attitudes qui sont en jeu dans l’enseignement du françaisspécifient également la culture humaniste, notamment celles liées àl’« approche sensible de la réalité », aux pratiques culturelles (cinéma,théâtre), au développement d’une « attitude de curiosité ». Mais il ressortque la construction de cette culture en classe de français passe en prioritéet pour l’essentiel par la lecture de la littérature française, européenne etmondiale, représentée par des textes majeurs, fondateurs et patrimoniaux.La culture humaniste signifie-t-elle retour, survivance, renouvellementdes « humanités » ?Elle apparait de fait liée à un héritage et même à la transmission d’unhéritage. Sa définition présente quelque analogie, toutes choses égales parailleurs, avec ce qui composait les « humanités » ou ce que signifiait « faireses humanités » : étudier les auteurs grecs et latins, ou les grands textes dupassé, les traduire, les commenter, s’y confronter personnellement, lesimiter même, pour acquérir les connaissances dont l’homme est le centre,pour se forger soi-même dans l’humanité. Ainsi, la culture humaniste duXXI e siècle parait directement héritière de la formation de la personne parles lettres, par l’étude des humaniores litterae (ces « lettres humaines » ou« lettres qui rendent plus humain » selon la traduction de Marc Fumaroli)que les Romains opposaient aux diviniores litterae (lettres divines). Cetteétude des lettres est initiée au XV e siècle en Italie et développée au XVI e sièclepar le courant de « l’humanisme » qui met l’homme, pensé à travers leprisme de la religion et du religieux, au centre de ses intérêts et de ses interrogations.Cette nouvelle conception de l’homme qui se construit, se fondesur la revendication et la pratique d’un accès direct aux textes, y compris àceux de l’Écriture sainte, dépouillés de leur glose essentiellement ecclésiastique.Elle légitime les connaissances profanes, promeut l’esprit d’examenet la confiance dans les facultés humaines. Ce mouvement va de pair avecla diffusion des écrits et des connaissances que permet l’invention de l’imprimerie.L’humanisme et la culture qu’il définit s’élaborent dans un cadreeuropéen, de l’Italie à la Hollande, et dans une ouverture au monde àtravers la découverte de l’Autre, l’homme « naturel », le « Bon sauvage »,avec les premières expéditions « civilisatrices ».La culture humaniste du XXI e siècle hérite des traits fondateurs de sesorigines révisés par les Lumières qui instaurent la raison comme mesure detoute chose et la rationalité comme fondatrice d’humanité : l’homme pensepar lui-même, les connaissances, vastes et essentielles, l’éclairent sur la voiede la raison. La conception renouvelée de l’humanité s’inscrit dans les4P003-008_9782200925765.indd 4 27/11/09 10:53:10

Présentationgrandes données de l’héritage : la dimension européenne, l’universalismeque visent les valeurs fondamentales et l’idéal humain recherché, la problématiquede l’Altérité qui continue de poser l’Autre comme essentiel à l’humanitéet de l’interroger mais cette fois en tant qu’il permet de penserl’identité. L’écriture, la littérature sont les voies royales de l’élaboration decette culture humaniste et de son partage.Cette filiation, encombrante ou possiblement féconde, reste un objet àtransformer pour aujourd’hui et demain en classe de français. Commentfaire jaillir une intelligibilité nouvelle de ce « frottement » à la culturehumaniste selon la tradition ?Que faire pour construire cette compétence au XXI e siècle ? Commentranimer cet héritage commun pour qu’il puisse aider à résoudre les impassesculturelles du présent empreint des attaques extrêmes portées à l’humanité? Comment faire accéder à ce fonds particulier, au socle de la culturehumaniste ?Sans doute dans un premier temps en n’esquivant pas les questions queposent les caractéristiques définitoires de la « culture humaniste » qui pourl’enseignement du français concernent au premier chef la littérature.La culture humaniste reste associée à la notion de somme de connaissances,et de connaissances « scripturales », en tant qu’elle est essentiellementune culture de l’écrit et par l’écrit. La conception exposée dans le socle manifestebien cette dimension. La liste des connaissances à maitriser par les élèvesest impressionnante. Difficile de ne pas convoquer l’empilement encyclopédiquedes connaissances pratiqué par Bouvard et Pécuchet jusqu’à constituerce que Flaubert a nommé une « encyclopédie de la bêtise humaine ». Lerisque n’est pas écarté de promouvoir une culture livresque vaine et périlleuseoù les connaissances priment la capacité à comprendre, où la réflexion théoriqueest coupée du reste de l’existence ou sans effets sur elle. Vouloir écarterce risque ne signifie pas que soit minimisée une dimension essentielle de laculture humaniste : l’importance des savoirs et avec elle la prise de consciencequ’il est primordial de ne jamais cesser d’apprendre.Le corpus ambitieux des textes majeurs, lui aussi de nature encyclopédique,pose de manière cruciale la question des modes d’accès et d’appropriation.Suffit-il d’« exposer » les élèves aux « grandes » œuvres pour qu’ilsles comprennent et en tirent des « leçons » d’humanité ? Que signifie ici« être capable de lire » ? Y a-t-il des démarches de lecture préférables àd’autres pour permettre aux textes majeurs d’exercer le pouvoir qu’on leurattribue de fonder l’humain aujourd’hui ? Sont-elles déjà mises en œuvredans la discipline, à inventer ou à réinventer ?La littérature figurant dans la composante « avoir des repères historiques »de « La culture humaniste » fait penser que l’histoire littéraire devient la cléde toute lecture. Mais quelle conception de l’histoire littéraire ? L’histoirelittéraire conçue comme un ensemble de connaissances sur les courantshistoriques littéraires, un retour à l’apprentissage d’un discours à tenir sur desœuvres ou des périodes phares de la littérature française, européenne,mondiale ou l’histoire littéraire conçue comme démarche, telle que la préconiseles documents d’accompagnement des programmes actuels du lycée :démarche de lecture permettant de développer des compétences de contex-5P003-008_9782200925765.indd 5 27/11/09 10:53:10

Le Français aujourd’hui n° 167, « Culture humaniste : textes et pratiques »tualisation et de mises en relation qui favorisent la compréhension et l’interprétation,mais aussi, possiblement, démarche d’écriture permettant, parimitation ou « invention », d’acquérir ou fixer des connaissances littéraires,de construire un rapport personnel aux œuvres ?La culture humaniste fondée sur la littérature ne pouvait-elle être assortied’une mention d’activités de lecture « littéraire » sans que cela excède lerôle et le niveau de prescription du socle ? Faut-il comprendre que lacompétence de lectures plurielles des œuvres n’est pas essentielle à laconstruction d’une culture humaniste ? L’absence de quelques indicationsen la matière font courir le risque que la littérature ne soit envisagée quecomme patrimoine à transmettre et que soit perdu de vue qu’elle est aussiensemble de formes en écho, variation sur les normes, objet social etproduction particulière, art singulier dans le champ des productions artistiques…Ces différents éclairages, adaptés au niveau des élèves, sont nécessairesà la construction du sens des textes littéraires, a fortiori des textesmajeurs du patrimoine, si on ne restreint pas le « sens » à la compréhensiondu « sujet », au « contenu » de la fiction, en restaurant implicitement lastérile opposition du fond et de la forme. Le croisement des approchespossibles de la littérature est aussi constitutif de l’identité de la disciplinedu français fondée sur certaines pratiques des textes littéraires, ce qui n’estpas accessoire ou qu’il est bon de rappeler alors que la culture humanisteest un champ partagé par des disciplines scolaires qui peuvent égalementfaire appel aux textes majeurs de l’Antiquité ou du patrimoine.Il faut également constater deux absences remarquables dans la liste descapacités caractéristiques de la culture humaniste fondée sur un corpuslittéraire, fondateur ou patrimonial : la pensée critique et l’écriture « littéraire». Former une culture humaniste n’est-ce pas aussi former à développerune réflexion critique sur ses propres lectures, former à s’approprierles méthodes et toutes les méthodes en jeu dans les lettres humaines, etplus particulièrement, l’esprit d’examen et le discernement ? L’écritureassociée à la lecture « littéraire » ne permet-elle pas de mener à la connaissancedes œuvres comme à la connaissance de soi ?La culture humaniste engage fortement une certaine conception de lalittérature. Définie sous l’angle du patrimoine à transmettre, elle est signifiéeessentiellement à travers les valeurs humanistes dont elle est porteuseou comme un lieu privilégié de leur élaboration et de leur partage. Lesvaleurs littéraires prennent valeurs d’existence. La question de ce que« vaut » ce qui se dit sous de multiples formes devient centrale. Cetteconception de la littérature oriente l’esprit de son enseignement et impliquedes pratiques appropriées. C’est « la valeur d’usage de la littérature » qui estalors privilégiée pour gouverner l’esprit des programmes et caractériserl’identité du système éducatif français ainsi que le précise le groupe Lettresde l’inspection générale en 2006 : « La littérature n’est pas enseignée selondes vues purement esthétiques, [...] mais c’est en quelque sorte sa valeurd’usage qui est retenue. » (Revue de l’Inspection générale 03 « Existe-t-il unmodèle éducatif français ? »). Cette conception entre en tension avecd’autres traditions d’étude de la littérature. La question des valeurs en jeudans la littérature et de leur transmission demande à être analysée, appro-6P003-008_9782200925765.indd 6 27/11/09 10:53:10

Présentationfondie et mise en débat pour éviter le risque que la littérature soit instrumentaliséeou enfermée dans une fonction morale. La réflexion initiée en1995 sur cette dimension de la littérature dans le numéro 110 du Françaisaujourd’hui « La littérature et les valeurs » demeure tout à fait pertinente.La culture humaniste de ce siècle et pour ce siècle est un objet vaste etcomplexe que ce numéro du Français aujourd’hui ne prétend pas embrasser.Il vise à entreprendre une réflexion sur cette prescription récente du soclecommun de connaissances et de compétences dans le cadre de l’enseignementdu français, en commençant d’explorer des notions, des corpus, desthéories et des pratiques à convoquer et à construire pour donner sens auxchoix effectués dans la définition « officielle » de cette compétence majeure.Il déborde également ce cadre définitoire en cherchant à préciser les savoirset les éclairages nouveaux ou renouvelés à privilégier pour former une culturehumaniste ainsi que le capital et les atouts progressivement construits de ladiscipline pouvant favoriser la construction de cette compétence cruciale.L’article de Claude Lelièvre traite de la culture humaniste dans une perspectivehistorique : il met en valeur les principales évolutions de la notiondans les cursus scolaires, depuis sa conception initiale et sa mise en œuvrehistorique jusqu’à son inscription dans le « socle commun de connaissanceset de compétences ». La culture humaniste devient une compétence qui doitêtre maitrisée par tous à l’issue de la scolarité obligatoire. Les questions liéesà la citoyenneté et aux identités nationales ou européennes deviennentcentrales ainsi que la spécification des apports « irremplaçables » de la littératuredans la constitution d’une culture humaniste pour tous. La littératureest constitutive du système éducatif français et même de l’identité françaiseainsi que le montre l’article d’Anne-Marie Thiesse introduit par un titre fortsignificatif « Littérature et éducation au national ». L’article explique commentles conceptions modernes de la littérature et de la nation naissent ensembledans la seconde moitié du XVIII e siècle, enracinées dans la transformationidéologique et culturelle de la Renaissance et étroitement associées auxréflexions sur les cultures nationales. La conception de la littérature qui endécoule se trouve actuellement mise en question dans le cadre de constitutiond’une nouvelle communauté de citoyens au niveau européen. Jean-Louis Chiss interroge le devenir de la culture humaniste sous l’angle durapport entre la langue ou les langues avec la culture et la littérature. Ilexplique que la notion de « langues de culture », employée par plusieurs chercheursaujourd’hui, est mise à l’épreuve d’une critique qui préfère retenir lanotion de « cultures du langage » permettant d’englober les idéologies linguistiques.Il précise que seule la distinction entre langue et discours permet deposer le débat des valeurs culturelles et d’envisager la place de la littératuredans une théorie du langage. Ces questionnements concernent égalementdirectement la didactique des langues à l’échelle européenne.Trois articles s’attachent ensuite à aborder la littérature sous divers éclairagescroisés dans le champ des sciences humaines : lettres et philosophie,lettres et anthropologie, lettres et rhétorique-argumentation, afin d’ouvriret d’élargir les pratiques « littéraires » en les décloisonnant, de favoriser uneréflexion sur la littérature comme patrimoine à transmettre et transmissionde valeurs. Céline Vincentelli et Frédérique Cauchi-Bianchi montrent, en7P003-008_9782200925765.indd 7 27/11/09 10:53:11

Le Français aujourd’hui n° 167, « Culture humaniste : textes et pratiques »s’appuyant sur des exemples concrets de thèmes au programme des classespréparatoires scientifiques tels que « L’animal et l’homme » ou « Penserl’Histoire », comment la littérature et la philosophie « mêlées » permettentune « re-suturation » de la littérature et de la vie.Florence Dupont propose, avec des audaces qui peuvent passer pour de laprovocation, de réviser et revivifier l’enseignement des mythes en dénonçantl’illusion d’une conception du mythe comme histoire fabuleuse reconstituéedans sa pureté originelle ou son essence et dotée d’un sens variable selon l’herméneutiqueutilisée. Cette déconstruction suppose de lire les textes en rappelantqu’ils sont les traces de pratiques discursives destinées à des événements particuliers,tragédies, poésie chorale, chant de banquet ... propres à la culture grecque,et donc d’accepter l’altérité grecque dans son étrangeté. Jeanne-Antide Huynhmontre que l’argumentation devrait participer de la construction d’une culturehumaniste en raison des éléments qui la constituent comme la problématiquecentrale de l’Autre – appréhendé et construit dans le discours – les catégoriesrenouvelées de la rhétorique de l’ethos, du pathos et du logos et la question desvaleurs toujours en jeu dans le propos orienté vers une fin. Ces constituantsprésentant une parenté certaine avec ceux de la culture humaniste doivent enfaciliter la formation, notamment à travers la fréquentation des textes fondateurset patrimoniaux au moyen de la lecture et de l’écriture « littéraires ».Les pratiques liées à l’enseignement du français dans les classes, le souci dedéfinir des corpus, de mettre en œuvre concrètement des démarches quipermettent la construction d’une culture humaniste, dans sa complexité et sesexigences, font l’objet d’un autre ensemble d’articles. Chantal Bertagna faitdialoguer, à travers des activités de lecture, d’écriture et de langue, culturecontemporaine et œuvres patrimoniales. La perspective intertextuelle caractéristiquede l’histoire des arts est largement convoquée avec les réécritures desmythes antiques ou littéraires, l’étude des images documentaires et artistiques,l’approche lexicale fécondée par les nouvelles technologies. Bénédicte Étiennerelate deux expériences pédagogiques qui montrent en quoi la dimensionfondatrice des textes dits patrimoniaux est davantage à élaborer en aval qu’àconvoquer comme un préconstruit en amont chez les élèves. Elle montrecomment le travail sur les textes et le principe de la « filiation inversée », desfils vers les pères, permettent d’expérimenter une élaboration de soi fondée surla possibilité offerte d’éprouver sa propre humanité, condition d’avènementd’une culture humaniste. Françoise Ballanger expose les atouts de la littératurede jeunesse, traditionnellement porteuse de valeurs humanistes, dansl’élaboration d’une culture de l’humain. Elle propose un choix de romanspour les 8-12 ans dans lesquels les procédés d’écriture conduisent à l’acquisitionde cette compétence. Elle met l’accent sur l’intérêt d’un travail sur lestraductions, ainsi que sur les textes qui ont recours à l’humour.Il parait naturel de clore la présentation de ce numéro par un hommageà Claude Lévi-Strauss, décédé récemment, auteur d’une œuvre majeure duXX e siècle, Tristes Tropiques, et grand penseur de l’humanité dans la variétédes cultures et la singularité des peuples.Jeanne-Antide HUYNH8P003-008_9782200925765.indd 8 27/11/09 10:53:11