A NDRÉEA. MICHAUDLa mort© Martine DoyonDès les premières pages de Lazy Bird, dernier romand’Andrée A. Michaud, l’amateur de polars et de films noirsa presque envie de soupirer de satisfaction tant il se sentdans son élément: éclairs zébrant le ciel, appels mystérieuxd’une certaine « Misty » au milieu de la nuit, meurtres sesuccédant à une cadence alarmante devant un corps depolice complètement dépassé… Tous les éléments sonten place pour une balade de première classe dans unauthentique polar, où Bob Richard, animateur de nuit à lapetite station WZCZ de Solitary Mountain, aura fort à fairepour échapper à la folle meurtrière qui semble lancée à sestrousses. Quand on apprend qu’en fait, ce qu’Andrée A.Michaud voit tous les jours de sa table de travail, ce sontplutôt les écureuils et les promeneurs du parc Baldwin,situé en plein Plateau-Mont-Royal, on ne peut que saluerl’imaginaire de l’auteur: « Je peux vraiment écrire n’importeoù. Ce n’est pas un problème pour moi. Cela dit, écriredevant ce parc est un immense privilège, même si, dansle fond, je rêve de travailler dans une petite maisonà la campagne. »ParCatherine LachausséeLE LIBRAIRE • AVRIL - MAI 2009 • 48Si, dans ce nouveau livre, Andrée A.Michaud admet se plier pour la premièrefois à toutes les règles du romanpolicier, elle souligne qu’elle flirtaittout de même avec le genre depuis uncertain temps: « Si je considère monparcours, il y a des éléments depolicier et de roman noir dansplusieurs de mes livres, à commencerpar <strong>Le</strong> ravissement (Prix littéraire duGouverneur général 2001), dont jeparle parfois comme de mon ‘‘ protopolar!’’ Tous mes romans ont ce côténoir, avec la mort qui rôde. » Mais pourelle, un bon policier fait place à l’introspection,donne de la densité aux personnages,et ne se contente surtoutpas de ne servir au lecteur qu’unestricte intrigue policière: « Je me rendscompte que, finalement, je suis souventdéçue par les polars que je lis. MaisMystic River de Dennis <strong>Le</strong>hane demeure ungrand classique à mes yeux. »<strong>Le</strong> voyage américainAndrée A. Michaud poursuit dans LazyBird un voyage américain entamé avecMirror Lake (prix Ringuet 2007). Enplus d’installer son histoire dans uneville imaginaire du Vermont, elle multiplieles clins d’œil à un vieux film deClint Eastwood, Play Misty for me, oùil interprétait un animateur radioharcelé par une femme dangereusementpossessive, film qui l’a beaucoupmarquée. À l’instar d’Eastwood, BobRichard anime une émission où le jazzrègne en maître, ce qui fait de LazyBird un roman émaillé de référencesmusicales, à commencer par lafameuse « Lazy Bird » du titre — aircélèbre de John Coltrane: « C’était unautre des défis du roman. J’aime lejazz, mais je ne suis pas une connaisseuse,ce qui m’a obligée à faire beaucoupde recherches. J’ai écumé lacollection de l’homme de ma vie, unmordu de jazz. Je me préparais commesi j’allais animer moi-même mes émissions.» La musique des Doors aussirésonnera dans la tête du lecteur,lors d’un orage particulièrementmémorable…Curieusement, l’influence américaine seressent jusque dans le style de l’auteure.Après une première période qu’ellequalifie « d’européenne », très imprégnéedu style de Marguerite Duras, le dialoguedevient beaucoup plus présent dans deslivres récents comme Lazy Bird ou MirrorLake: « C’est comme si le ton de ces romanset leur ancrage dans le quotidienexigeaient des échanges où la parolen'est plus exclusivement portée parla narration. <strong>Le</strong>s interactions entremes personnages sont aussi beaucoupplus présentes. Je me permets enfinde me laisser aller à un certainhumour, et même au sarcasme et à l’autodérision,ce qui ne m’arrivait jamais auparavant.»Petite musique de nuitAvant même de commencer son roman,il était clair pour Andrée A. Michaudque la nuit y jouerait un rôle central,avec ses insomniaques qui tournent enrond, son snack-bar « 24 heures » al-
ENTREVUEpolicieraux troussesLE LIBRAIRE CRAQUE!policierUN CHIEN DE MA CHIENNEAu cours d’une fête donnée dans unemanufacture désaffectée de Montréal,François aperçoit une jeune femme à la beauté fulgurante dévaler l’escalier de secours.Il la voit, il la veut. « Mené par le bout de sa queue », il la talonne jusqu’à Sherbrooke,où il apprend que la belle serait peut-être mêlée au crime organisé.Parce qu’il s’en est amouraché, François le traqueur est à son tourpoursuivi, engagé malgré lui dans une course folle impliquant desarmes, de la drogue, des billets verts, un cadavre et une passion torride.Mandalian signe, avec Un chien de ma chienne, un premier romantémoignant d’un talent certain, un polar au rythme effréné dont lelangage cru et les phrases brèves recèlent quelques étonnantes tournurespoétiques. Comme autant de lueurs matinales dans ce chassécroiséde noctambules. François Martin Clément MorinMandalian, Coups de tête, 112 p., 10,95$lumé comme un phare au cœur de l’obscurité et ses routes longeant des boisopaques, avec la mélancolie du jazz pour seule musique. Poésie des images,poésie des symboles aussi, quand Bob Richard, dont Michaud a fait un albinosmarqué par le destin, trouve sur sa route un immense chevreuil au pelage miraculeusementblanc, inspiré par un chevreuil albinos qui hantait les environs dupetit village de Saint-Sébastien, dans les Cantons-de-l’Est, où elle est née.De la nuit profonde de Solitary Mountain jaillira aussi Lazy, une adolescente perturbéeà laquelle Bob Richard finira par s’attacher plus que de raison. Avec sonéternelle chique de Bazooka, ses ongles noirs et sa drôle de façon de marcher,un bras battant la mesure comme un balancier pendant que l’autre reste toutraide, ce personnage de jeune fille entièrement nouveau dans son œuvres’est fortement imposé à l’imaginaire de l’écrivaine: « Cette petite bonne femmelàest apparue un jour dans ma tête et j’ai tout de suite vu son potentiel. Je m’ysuis énormément attachée. J’aurais bien aimé la ramener dans un autre de meslivres. Mais la logique du roman me menait ailleurs. »Curieuse chose que l’écriture, alors que le romancier ne semble pas toujoursmener le bal, du moins pas de façon consciente, et que les éléments du romansurgissent comme les pièces d’un puzzle quelque part dans son inconscient. Uneville entrevue en voyage ou un animal surgi du passé peuvent ainsi longtempshanter son imaginaire avant qu’Andrée A. Michaud ne se décide à les utiliser,mais sans jamais savoir exactement où tout ça va la mener: « La logique romanesqueva au-delà de notre propre volonté. Quand on s’engage dans une voieX, il y a parfois des choses qui ne relèvent pas de la décision: le texte nous forceà prendre une direction. Dans le cas du destin de Lazy, ç’a été déchirant. Maisil y a aussi des moments miraculeux où on a l’impression qu’on ne va nulle part,et tout à coup, les éléments semblent se mettre en place d’eux-mêmes, l’horizons’éclaire, et finalement, on se rend compte que, oui, un chemin allait s’ouvrir. Etqu’on allait bien quelque part. »LAZY BIRDQuébec Amérique,424 p. | 26,95$LE CLUB DES POLICIERS YIDDISH Israël a fermé ses portes en 1948, peu detemps après sa fondation. On a déplacéle peuple juif dans la ville de Sitka, en Alaska, où ils sont aujourd’hui 2 millions quivivent en yiddish. Mais qu’est-ce que je raconte? Je raconte les prémices du nouveauroman de Michael Chabon. Malgré ses allures d’uchronie (un genrede la science-fiction où l’on revisite l’Histoire), <strong>Le</strong> club des policiersyiddish est bel et bien un polar. Un véritable roman noir où l’on reconnaîtla silhouette d’une version kasher de Raymond Chandler. C’estsurtout un livre d’une force littéraire incroyable avec ses images saisissantes,sa tranquille ironie où pointe toujours une tendresse irréductibleenvers le genre humain. Si vous pouvez encaisser la miseen situation incroyable, presque surréaliste, vous entrerez dans ungrand livre! Stéphane Picher PantouteMichael Chabon, Robert Laffont, 486 p., 34,95$RUE DES MENSONGESJamie considère sa vie sans intérêt: ellen’aime pas son travail, elle a peu d’amiset rien de palpitant ne se passe. Un soir, elle rencontre Brad, un homme charmant,drôle et attentionné qui, après quelques soirs de fréquentations, lui propose une escapadeen Ohio pour visiter son fils. Elle accepte avec bonne humeur.Enfin de l’imprévu dans sa vie! Mais au cours du trajet, le vraicaractère de Brad se manifeste: il se révèle être un homme violent.La route sera longue et pleine de surprises jusqu’à Mad River Road.Au fait, le fils existe-t-il vraiment? Que vont-ils faire au juste enOhio? Ces questions et bien d’autres trouveront leurs réponses, maisen attendant, elles correspondent à des taloches bien senties. Bienécrit, ce récit nous tient en haleine et nous bouleverse.Lina <strong>Le</strong>ssard <strong>Le</strong>s BouquinistesJoy Fielding, Robert Laffont, 336 p., 26,95$L’HEURE TROUBLEC’est avec curiosité, mais sans grandes attentes,que j’ai abordé L’heure trouble, récipiendairedu Prix du meilleur roman policier suédois en 2007. La quatrième decouverture laissait présager un roman psychologique plutôt lent: en compagnie de safille, un grand-père relance une enquête sur la disparition de sonpetit-fils survenue vingt ans plus tôt, question de faire définitivementson deuil. Mais au bout de quelques pages, j’étais accroché.Une sombre histoire se déploie dans une atmosphère à couper aucouteau et sans temps morts. Theorin joue sur deux époques avecbrio. On y suit, au passé, la transformation du supposé ravisseur entueur, tandis que l’enquête et ses répercussions se déroulent auprésent. <strong>Le</strong>s personnages et leurs motivations sont décrits en finesseet l’intrigue est sans faille. Un premier roman envoûtant.Denis <strong>Le</strong>Brun le <strong>libraire</strong>Johan Theorin, Albin Michel, 432 p., 29,95$LE LIBRAIRE • AVRIL - MAI 2009 • 49