J’imagine bien pourquoi ils se sont engueulés. C’est probab<strong>le</strong>ment à cause de moi. Jepourrais reproduire <strong>le</strong>ur conversation au soupir près.Hier après-midi, j’ai demandé à mon frère s’il pouvait m’emmener.« Quel<strong>le</strong> question... » S’est-il offusqué gentiment au téléphone. Ensuite l’autregreluche a dû piquer sa crise, ça <strong>le</strong>s obligeait à faire un gros détour. Mon frère a dûhausser <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s et el<strong>le</strong> en a remis une couche. « Enfin chéri... pour <strong>le</strong> Limousin...la place Clichy ce n’est pas exactement un raccourci que je sache... »Il a été obligé de se faire vio<strong>le</strong>nce pour paraître ferme, ils se sont couchés fâchés etel<strong>le</strong> a dormi à l’hôtel du Cul Tourné.El<strong>le</strong> s’est <strong>le</strong>vée de mauvaise humeur. El<strong>le</strong> a redit devant sa chicorée bio :« Quand même, ta feignante de sœur, el<strong>le</strong> aurait pu se <strong>le</strong>ver et venir jusqu’ici...Franchement, ce n’est pas son boulot qui la tue, si ? »Il n’a pas re<strong>le</strong>vé. Il étudiait la carte.El<strong>le</strong> est allée bouder dans sa sal<strong>le</strong> de bains Kaufman & Broad (je me souviens denotre première visite... El<strong>le</strong>, une espèce d’écharpe en mousseline mauve autour ducou, virevoltant entre ses plan- tes vertes et commentant son Petit Trianon avec desglouglous dans la gorge : « Ici la cuisine.., fonctionnel<strong>le</strong>. Ici la sal<strong>le</strong> â manger...convivia<strong>le</strong>. Ici <strong>le</strong> salon.., modulab<strong>le</strong>. Ici la chambre de Léo... ludique. Ici la buanderie..,indispensab<strong>le</strong>. Ici la sal<strong>le</strong> de bains.., doub<strong>le</strong>. Ici notre chambre... lumineuse. Ici la... Onavait l’impression qu’el<strong>le</strong> voulait nous la vendre. Simon nous avait raccompagnés jusqu’àla gare et, au moment de <strong>le</strong> quitter, nous lui avions redit : « El<strong>le</strong> est bel<strong>le</strong> tamaison... » « Oui, el<strong>le</strong> est fonctionnel<strong>le</strong> », Avait-il répété en hochant la tête. Ni Lola niVincent ni moi n’avons prononcé la moindre paro<strong>le</strong> pendant <strong>le</strong> trajet retour. Tous unpeu tristes et chacun dans notre coin, nous devions probab<strong>le</strong>- ment songer à la mêmechose. Que nous avions perdu notre grand frère et que la vie allait être bien plusardue sans lui...), ensuite el<strong>le</strong> a dû regarder sa montre au moins dix fois entre <strong>le</strong>urrésidence et mon bou<strong>le</strong>vard, gémi à tous <strong>le</strong>s feux, et quand enfin el<strong>le</strong> a klaxonné -parce que c’est el<strong>le</strong> qui a klaxonné, j’en suis sûre - je ne <strong>le</strong>s ai pas entendus.Misère de misère de misère.Mon Simon, je suis désolée de te faire subir tout ça...La prochaine fois, je m’organiserai autrement, je te <strong>le</strong> promets.Je me débrouil<strong>le</strong>rai mieux. Je me coucherai tôt. Je ne boirai plus. Je ne jouerai pasaux cartes.La prochaine fois, je me stabiliserai tu sais... Mais si. J’en trouverai un. Un bongarçon. Un Blanc. Un fils unique. Un qui a <strong>le</strong> permis et la Toyota au colza.Je vais m’en choper un qui travail<strong>le</strong> àla Poste parce que son papa travail<strong>le</strong> à la Poste et qui fait ses vingt-neuf heures sanstomber malade. Et non fumeur. Je l’ai précisé sur ma fiche Meetic. Tu ne me crois pas? Eh ben, tu verras. Pourquoi tu te marres, idiot ?Comme ça je ne t’embêterai plus <strong>le</strong> samedi matin pour al<strong>le</strong>r à la campagne. Je dirai àmon chouchounou des PTT : « Ho ! Chouchounou ! Tu m’emmènes au mariage dema cousine avec ton beau GPS qui fait même la Corse et <strong>le</strong>s Dom- Tom ? » Et hop !L’affaire sera réglée.Et pourquoi tu ris bêtement, là ? Tu penses que je ne suis pas assez maligne pourfaire comme <strong>le</strong>s autres ? Pour m’en choper un gentil avec <strong>le</strong> gi<strong>le</strong>t jaune et l’autocollantNigloland ? Un fiancé à qui j’irais acheter des ca<strong>le</strong>çons Celio pendant ma pause
déjeuner ? Oh oui... Rien que d’y penser, j’m’émeus déjà... Un bon bougre. Carré.Simp<strong>le</strong>. Fourni avec <strong>le</strong>s pi<strong>le</strong>s et <strong>le</strong> <strong>livre</strong>t de Caisse d’Epargne.Et qui ne se prendrait jamais la tête. Et qui ne penserait à rien d’autre qu’àcomparer <strong>le</strong>s prix dans <strong>le</strong>s rayons avec ceux du catalogue et qui dirait : « Y a pas àtortil<strong>le</strong>r chérie, la différence entre Casto et Leroy Merlin, c’est vraiment <strong>le</strong> service... »Et qu’on passerait toujours par <strong>le</strong> sous-sol pour ne pas salir l’entrée. Et qu’onlaisserait nos chaussures en bas des marches pour ne pas salir l’escalier. Et qu’onserait amis avec <strong>le</strong>s voisins qui seraient si sympathiques. Et qu’on aurait un barbecueen dur et que ça serait une chance pour <strong>le</strong>s enfants parce que <strong>le</strong> lotissement y seraitbien sécur comme dit ma bel<strong>le</strong>-sœur et que...Ô bonheur.C’était trop affreux. Je me suis endormie.J’ai émergé sur <strong>le</strong> parking d’une station essence du côté d’Orléans. Bien dans <strong>le</strong>coaltar. Ensuquée et baveuse. J’avais du mal à ouvrir <strong>le</strong>s yeux et mes cheveux meparaissaient étonnamment lourds. D’ail<strong>le</strong>urs je <strong>le</strong>s ai même tâtés pour voir si c’étaientvraiment des cheveux.Simon attendait devant <strong>le</strong>s caisses. Carine se repoudrait.Je me suis postée devant une machine à café.J’ai mis au moins trente secondes avant de réaliser que je pouvais récupérer mongobe<strong>le</strong>t. J’ai l’ai bu sans sucre et sans conviction. J’avais dû me tromper de bouton.Un petit goût de tomate ce cappuccino, non ?Bouh. La journée allait être bien longue.Nous sommes remontés en voiture sans échanger un mot. Carine a sorti une lingetted’alcool de son vanity pour se désinfecter <strong>le</strong>s mains.Carine se désinfecte toujours <strong>le</strong>s mains quand el<strong>le</strong> sort d’un lieu public.C’est à cause de l’hygiène.Parce que Carine, el<strong>le</strong> voit <strong>le</strong>s microbes.El<strong>le</strong> voit <strong>le</strong>urs petites pattes velues et <strong>le</strong>ur horrib<strong>le</strong> bouche.C’est la raison pour laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> ne prend jamais <strong>le</strong> métro d’ail<strong>le</strong>urs. El<strong>le</strong> n’aime pas<strong>le</strong>s trains non plus. El<strong>le</strong> ne peut pas s’empêcher de penser aux gens qui ont mis <strong>le</strong>urspieds sur <strong>le</strong>s fauteuils et collé <strong>le</strong>urs crottes de nez sous l’accoudoir.El<strong>le</strong> interdit à ses enfants de s’asseoir sur un banc ou de toucher <strong>le</strong>s rampes desescaliers. El<strong>le</strong> a du mal à <strong>le</strong>s emmener au square. El<strong>le</strong> a du mal à <strong>le</strong>s poser sur untoboggan. El<strong>le</strong> a du mal avec <strong>le</strong>s plateaux des McDonald’s et el<strong>le</strong> a beaucoup de malavec <strong>le</strong>s échanges de cartes Pokémon. El<strong>le</strong> déguste avec <strong>le</strong>s charcutiers qui neportent pas de gants et <strong>le</strong>s petites vendeuses qui n’ont pas de pince pour lui servirson croissant. El<strong>le</strong> souffre avec <strong>le</strong>s goûters communs de l’éco<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s sorties depiscine où tous <strong>le</strong>s gamins se donnent la main avant de s’échanger <strong>le</strong>urs mycoses.Vivre, pour el<strong>le</strong>, est une occupation harassante.Moi, ça me gêne beaucoup cette histoire de lingettes désinfectantes.Toujours percevoir l’autre comme un sac de microbes. Toujours regarder ses ong<strong>le</strong>sen lui serrant la main. Toujours se méfier. Toujours se planquer derrière son écharpe.Toujours mettre ses gosses en garde.Touche pas. C’est sa<strong>le</strong>.
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