Nous nous écrivions toutes <strong>le</strong>s semaines. El<strong>le</strong> était ma grande sœur chérie. Jel’idéalisais, je lui envoyais des dessins et lui écrivais des poèmes. Quand el<strong>le</strong> rentrait,el<strong>le</strong> me demandait si Vincent s’était bien comporté pendant son absence. Bien sûrque non, lui répondais-je, bien sûr que non. Et je racontais dans <strong>le</strong> détail toutes <strong>le</strong>sinfamies dont j’avais été la victime la semaine passée. A ce moment-là, et à magrande satisfaction, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> traînait jusque dans la sal<strong>le</strong> de bains pour <strong>le</strong> cravacher.Plus mon frère hurlait, mieux je bichais.Et puis un jour, pour que ce soit meil<strong>le</strong>ur encore, j’ai voulu <strong>le</strong> voir souffrir. Et là,horreur, ma sœur donnait des coups de cravache dans un polochon pendant queVincent beuglait en rythme et en lisant un Bou<strong>le</strong> et Bill. Ce fut une affreusedéception. Ce jour-là, Lola est tombée de son piédestal.Ce qui s’avéra être une bonne chose.Nous étions désormais à la même hauteur.Aujourd’hui el<strong>le</strong> est ma meil<strong>le</strong>ure amie. Ce truc à la Montaigne et La Boétie, voussavez... Parce que c’était el<strong>le</strong>, parce que c’était moi. Et que cette jeune femme detrente-deux ans soit ma sœur aînée est tout à fait anecdotique. Disons un petit plusdans la mesure où nous n’avons pas perdu de temps à nous trouver.À el<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s essais, <strong>le</strong>s super théories, que l’on est puny pour s’opiniaster et quephilosopher c’est apprendre à mourir. A moi <strong>le</strong> Discours de la servitude volontaire, <strong>le</strong>sabus infinis et tous ces tyrans qui ne sont grands que parce que nous sommes àgenoux. A el<strong>le</strong> la vraye cognoissance, à moi <strong>le</strong>s tribunaux. A nous deux l’impressiond’estre la moitié de tout et que l’une sans l’autre ne serait plus qu’à demy.Nous sommes bien différentes pourtant... El<strong>le</strong> a peur de son ombre, je m’assoisdessus. El<strong>le</strong> recopie des sonnets, je télécharge des samp<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> admire <strong>le</strong>s peintres,je préfère <strong>le</strong>s photographes. El<strong>le</strong> ne dit jamais ce qu’el<strong>le</strong> a sur <strong>le</strong> cœur, je dis tout ceque je pense. El<strong>le</strong> n’aime pas <strong>le</strong>s conflits, j’aime que <strong>le</strong>s choses soient bien claires.El<strong>le</strong> aime être « un peu pompette », je préfère boire.El<strong>le</strong> n’aime pas sortir, je n’aime pas rentrer. El<strong>le</strong> ne sait pas s’amuser, je ne sais pasme coucher. El<strong>le</strong> n’aime pas jouer, je n’aime pas perdre. El<strong>le</strong> a des bras immenses,j’ai la bonté un peu échaudée. El<strong>le</strong> ne s’énerve jamais, je pète <strong>le</strong>s plombs.El<strong>le</strong> dit que <strong>le</strong> monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, je la supplie de par<strong>le</strong>r moinsfort. El<strong>le</strong> est romantique, je suis pragmatique. El<strong>le</strong> s’est mariée, je papillonne. El<strong>le</strong> nepeut pas coucher avec un garçon sans être amoureuse, je ne peux pas coucher avecun garçon sans préservatif. El<strong>le</strong>... El<strong>le</strong> a besoin de moi et j’ai besoin d’el<strong>le</strong>.El<strong>le</strong> ne me juge pas. El<strong>le</strong> me prend comme je suis. Avec mon teint gris et mes idéesnoires. Ou avec mon teint rose et mes idées bouton-d’or. Lola sait ce que c’est qu’unegrosse envie de caban ou de talons hauts. El<strong>le</strong> comprend <strong>le</strong> plaisir qu’il y a à fairechauffer une carte de crédit et à culpabiliser à mort dès qu’el<strong>le</strong> a refroidi. Lola megâte. El<strong>le</strong> tient <strong>le</strong> rideau quand je suis dans la cabine d’essayage, me dit toujours queje suis bel<strong>le</strong> et que non, pas du tout, ça ne me fait pas un gros cul. El<strong>le</strong> me demande àchaque fois comment vont mes amours et fait la moue quand je lui par<strong>le</strong> de mesamants.Quand nous ne nous sommes pas vues depuis longtemps, el<strong>le</strong> m’emmène dans unebrasserie, chez Bofinger ou au Balzar pour regarder <strong>le</strong>s garçons. Je me concentre surceux des tab<strong>le</strong>s voisines et el<strong>le</strong>, sur <strong>le</strong>s serveurs. El<strong>le</strong> est fascinée par ces grandsdadais en gi<strong>le</strong>t cintré. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s suit du regard, <strong>le</strong>ur invente des destins à la Sautet etdissèque <strong>le</strong>urs manières stylées. Le truc rigolo, c’est qu’il arrive toujours un moment
où l’on en voit un passer dans l’autre sens à la fin de son service. Il ne ressemb<strong>le</strong> plusà rien. Le jean ou <strong>le</strong> bas de survêt’ a remplacé <strong>le</strong> grand tablier blanc et il salue sescollègues en <strong>le</strong>s apostrophant vulgairement :- Salut Bernard !- Salut Mimi. On t’voit d’main ?- C’est ça. Espère, mon con.Lola baisse <strong>le</strong>s yeux et sauce son assiette avec <strong>le</strong>s doigts. Adieu veaux, vaches,cochons, Paul, François et <strong>le</strong>s autres...Nous nous étions un peu perdues de vue. Sa pension, ses études, sa liste demariage, ses vacances chez ses beaux-parents, ses dîners...L’accolade était là, mais il nous manquait l’abandon. El<strong>le</strong> avait changé de camp.D’équipe, plutôt. El<strong>le</strong> ne jouait pas contre nous, el<strong>le</strong> jouait dans une ligue qui nousennuyait un peu. Un genre de cricket à la con avec p<strong>le</strong>in de règ<strong>le</strong>s imbitab<strong>le</strong>s, où tucours après un truc que tu ne vois jamais et qui fait mal en plus... Un truc en cuir avecun cœur en liège. (Hé, ma Lolo ! Sans faire exprès, je viens de tout résumer !)Alors que nous, « <strong>le</strong>s petits », nous en étions encore à des schémas plus basiques.Beau gazon houba, houba ! Canettes et galipettes. Grands garçons en polo blanchonc, honc ! Batte dans <strong>le</strong> derrière. Enfin, vous voyez <strong>le</strong> genre... Pas vraiment mûrspour <strong>le</strong>s promenades autour du bassin de Neptune...Donc voilà. On s’envoyait des petits coucous de loin. El<strong>le</strong> m’a faite marrai- ne de sonpremier enfant et je l’ai faite dépositaire de mon premier chagrin d’amour (et j’en aip<strong>le</strong>uré, des fonts baptismaux...), mais entre ce genre de grands événements il ne sepassait pas grand-chose. Des anniversaires, des déjeuners de famil<strong>le</strong>, quelquescigarettes en cachette de son cher et pou, un clin d’œil complice, ou sa tête sur monépau<strong>le</strong> quand nous regardions <strong>le</strong>s mêmes photos...C’était la vie... La sienne, du moins.Respect.Et puis el<strong>le</strong> nous est revenue. Couverte de cendres et <strong>le</strong> regard fou de la pyromanequi vient rendre la boîte d’allumettes. Demandeuse d’un divorce auquel personne nes’attendait. Il faut dire qu’el<strong>le</strong> cachait bien son jeu, la bougresse. Tout <strong>le</strong> monde lapensait heureuse. Et je crois même qu’el<strong>le</strong> était admirée pour cela, d’avoir su trouverla sortie si vite et si faci<strong>le</strong>ment. « Lola a tout bon », admettions-nous sans amertumeet sans l’envier. Lola continue d’inventer <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>ures chasses au trésor...Et puis badaboum. Changement de programme.El<strong>le</strong> a débarqué chez moi à l’improviste et à une heure qui ne lui ressemblait pas. Al’heure des bains et des histoires du soir. El<strong>le</strong> p<strong>le</strong>urait, el<strong>le</strong> demandait pardon. El<strong>le</strong>pensait sincèrement que son entourage était ce qui la justifiait sur cette terre et que <strong>le</strong>reste, tout <strong>le</strong> reste, ce qui couvait dans sa tête, sa vie secrète et tous <strong>le</strong>s petits replisde son âme n’avaient pas tel<strong>le</strong>ment d’importance. Ce qu’il fallait, c’était être gaie ettirer sur <strong>le</strong> joug sans en avoir l’air. Et quand ça devenait plus diffici<strong>le</strong>, il y avait lasolitude, <strong>le</strong> dessin.., <strong>le</strong>s promenades, de plus en plus longues, derrière la poussette,<strong>le</strong>s <strong>livre</strong>s des enfants et la vie domestique dans <strong>le</strong>squels il était si confortab<strong>le</strong> de seretirer.Eh oui. Super commode, la petite pou<strong>le</strong> rousse du Père Castor comme bout dumonde...
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