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Oui, c’est ainsi que nous nous réconfortons. En nous rappelant que nous sommesjeunes et déjà trop lucides. Que nous nous tenons à mil<strong>le</strong> coudées au-des- sus de lafourmilière et que la bêtise ne nous atteint pas tant que ça. Nous nous en moquons.Nous avons autre chose. Nous avons nous. Nous sommes riches autrement.Il suffit de se pencher à l’intérieur.Il y a p<strong>le</strong>in de choses dans notre tête. P<strong>le</strong>in de choses très éloignées de cesborborygmes racistes. Il y a la musique et <strong>le</strong>s écrivains. Des chemins, des mains, destanières. Des bouts d’étoi<strong>le</strong>s filantes recopiés sur des reçus de carte b<strong>le</strong>ue, des pagesarrachées, des souvenirs heureux et des souvenirs affreux. Des chansons, desrefrains sur <strong>le</strong> bout de nos langues. Des messages archivés, des <strong>livre</strong>s massues, desoursons à la guimauve et des disques rayés. Notre enfance, nos solitudes, nospremiers émois et nos projets d’avenir. Toutes ces heures de guet et toutes cesportes tenues. Les flip-flap de Buster Keaton. La <strong>le</strong>ttre d’Armand Robin à la Gestapoet <strong>le</strong> bélier des nuages de Michel Leiris. La scène où Clint Eastwood se retourne endisant Oh... and don’t kid yourself Francesca... et cel<strong>le</strong> où Nicola Carati soutient sesmalades suppliciés au procès de <strong>le</strong>ur bourreau. Les bals du 14 Juil<strong>le</strong>t à Villiers.L’odeur des coings dans la cave. Nos grands-parents, <strong>le</strong> sabre de Monsieur Racine,sa cuirasse luisante, nos fantasmes de provinciaux et nos veil<strong>le</strong>s d’examen.L’imperméab<strong>le</strong> de Mam’zel<strong>le</strong> Jeanne quand el<strong>le</strong> monte derrière Gaston sur sa moto.Les Passagers du vent de François Bourgeon et <strong>le</strong>s premières lignes du <strong>livre</strong> d’AndréGorz â sa femme que Lola m’a lues hier soir au téléphone alors que nous venionsencore de saquer l’amour pendant une plombe : « Tu vas avoir quatre-vingt-deux ans.Tu as rapetissé de six centimètres, tu ne pèses que quarante-cinq kilos et tu estoujours bel<strong>le</strong>, gracieuse et désirab<strong>le</strong>. » Marcello Mastroianni dans Les Yeux noirs et<strong>le</strong>s robes de Cristobal Ba<strong>le</strong>nciaga. L’odeur de poussière et de pain sec des chevaux,<strong>le</strong> soir, quand nous descendions du car. Les Lalanne dans <strong>le</strong>urs ateliers séparés parun jardin. La nuit où nous avons repeint la rue des Vertus et cel<strong>le</strong> où nous avonsglissé une peau de hareng sous la terrasse du restaurant où travaillait cet âne bâté dePoê<strong>le</strong> Tefal. Et ce trajet, allongés sur des cartons à l’arrière d’une camionnette,pendant que Vincent nous lisait tout L’Etabli à haute voix. La tête de Simon quand il aentendu Björk pour la première fois de sa vie et Monteverdi sur <strong>le</strong> parking duMacumba.Toutes ces bêtises, tous ces remords, et nos bul<strong>le</strong>s de savon à l’enterrement duparrain de Lola...Nos amours perdues, nos <strong>le</strong>ttres déchirées et nos amis au téléphone. Ces nuitsmémorab<strong>le</strong>s, cette manie de toujours tout déménager et celui ou cel<strong>le</strong> que nousbouscu<strong>le</strong>rons demain en courant après un autobus qui ne nous aura pas attendus.Tout ça et plus encore.Assez pour ne pas s’abîmer l’âme.Assez pour ne pas essayer de discuter avec <strong>le</strong>s abrutis.Qu’ils crèvent.Ils crèveront de toute façon.Ils crèveront seuls pendant que nous serons au cinéma.Voilà ce qu’on se dit pour se conso<strong>le</strong>r de n’être pas partis ce jour-là.

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