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« Bah... C’est la vase au fond du lac. C’est obligé, c’est humain. N’y touchons pas, çala fait remonter à la surface. »Comment supporte-t-il ces déjeuners familiaux ? Comment fait-il pour aider son beaupère à couper sa haie ?Il pense aux cabanes de Léo.Il pense au moment où il prendra son petit garçon par la main et s’enfoncera avec luidans <strong>le</strong>s sous-bois si<strong>le</strong>ncieux.J’ai honte car nous nous sommes écrasés ce jour-là.Nous nous sommes encore écrasés.Nous n’avons pas re<strong>le</strong>vé <strong>le</strong>s propos de cet épicier enragé qui ne verra jamais plus loinque son lointain nombril.Nous ne l’avons pas contredit. Nous ne nous sommes pas <strong>le</strong>vés de tab<strong>le</strong>. Nous avonscontinué de mastiquer <strong>le</strong>ntement chaque bouchée en nous contentant de penserque ce type était un connard et en tirant fort sur toutes <strong>le</strong>s coutures pour tâcher denous draper encore dans ce qui nous tenait lieu de dignité.Pauvres de nous. Si lâches, si lâches...Pourquoi sommes-nous ainsi tous <strong>le</strong>s quatre ? Pourquoi <strong>le</strong>s gens qui crient plus fortque <strong>le</strong>s autres nous impressionnent-ils ? Pourquoi <strong>le</strong>s gens agressifs nous font-ilsperdre nos moyens ?Qu’est-ce qui ne va pas chez nous ? Où s’arrête la bonne éducation et où commencela veu<strong>le</strong>rie ?Nous en avons souvent parlé. Nous avons tant battu notre coulpe devant des croûtesde pizzas et des cendriers de fortune. Nous n’avons besoin de per- sonne pour nousappuyer sur la nuque. Nous sommes assez grands pour la courber seuls et quel quesoit <strong>le</strong> nombre de bouteil<strong>le</strong>s vides, nous en arrivons toujours à la même conclusion.Que si nous sommes ainsi, si<strong>le</strong>ncieux et déterminés mais toujours impuissants faceaux cons, c’est justement parce que nous n’avons pas la moindre parcel<strong>le</strong> deconfiance en nous. Nous ne nous aimons pas.Pas personnel<strong>le</strong>ment, j’entends.Nous ne nous accordons pas tel<strong>le</strong>ment d’importance.Pas assez pour postillonner sur <strong>le</strong> gi<strong>le</strong>t du père Molinoux. Pas assez pour croire uneseconde que nos cris d’orfraie pourraient infléchir la courbe de ses pensées. Pasassez pour espérer que nos mouvements de dégoût, nos serviettes jetées sur la tab<strong>le</strong>et nos chaises renversées puissent changer de quelque manière que ce soit lamarche du monde.Qu’aurait-il pensé ce brave contribuab<strong>le</strong> en nous regardant nous agiter ainsi etquitter son logis la tête haute ? Il aurait simp<strong>le</strong>ment gavé sa femme toute la soirée enrépétant « Quels petits cons. Non mais, quels petits cons. Non mais, vraiment, quelspetits cons... »Pourquoi imposer cela à cette pauvre femme ?Qui sommes-nous pour gâcher la fête de vingt personnes ?On peut aussi dire que ce n’est pas de la lâcheté. On peut aussi admettre que c’est dela sagesse. Admettre que nous savons prendre du recul. Que nous n’aimons pasmarcher dans la merde. Que nous sommes plus honnêtes que tous ces gens quimoulinent sans cesse et n’irriguent nul<strong>le</strong> part.

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