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les années 2000 de Boyd Van Hoeij - WBI

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ColophonAvant-propos 5Antécé<strong>de</strong>nts 9Textes et interviews<strong>Boyd</strong> van <strong>Hoeij</strong>boyd@europeanfilms.netPortraitsFabrizio Maltesewww.fabriziomaltese.comConception graphiqueBaseDesignwww.base<strong>de</strong>sign.comOnt collaboré à cet ouvrageMarc Clement (rédaction<strong>de</strong> la version française),Julien Beauvois, MathieuDe Biasio, Louis Héliot,Geneviève Kinet, AnnaKnight, EmmanuelleLambert, Ian Mun<strong>de</strong>ll,Rosanna O’Sullivan, GuyTrifin, Natasha Senjanovic,Thierry <strong>Van</strong><strong>de</strong>rsan<strong>de</strong>n,Ariane Vaughan.CoordinationEric FranssenManagerWallonie Bruxel<strong>les</strong> ImagesTél +32 (0)2 223 23 04eric.franssen@wbimages.beCoéditionMinistère <strong>de</strong> laCommunauté Française<strong>de</strong> BelgiqueService général <strong>de</strong>l’Audiovisuel et <strong>de</strong>sMultimédias – Centre duCinéma et <strong>de</strong> l’AudiovisuelBoulevard Léopold II,44, B-1080 Bruxel<strong>les</strong>Tél +32 (0)2 413 35 02Fax +32 (0)2 413 20 68myriam.lenoble@cfwb.bewww.audiovisuel.cfwb.beWallonie-Bruxel<strong>les</strong>InternationalPlace Sainctelette, 2B-1080 Bruxel<strong>les</strong>Tél +32 (0)2 421 83 15/09Fax +32 (0)2 421 87 66a.lenoir@wbi.bewww.wbi.be/cultureToute représentationou reproduction, mêmepartielle, <strong>de</strong> la présentepublication, sous quelqueforme que ce soit, estinterdite sans autorisationpréalable <strong>de</strong> l’éditeur.Cette représentationou reproduction, parquelque procédé quece soit, constitueraitune contrefaçon.© 2010 Ministère <strong>de</strong> laCommunauté Française<strong>de</strong> Belgique/Wallonie-Bruxel<strong>les</strong> International/Wallonie Bruxel<strong>les</strong> ImagesImprimé par IPM PrintingImprimé sur FuriosoDépôt légal :D/2010/4101/1ISBN 2-87263-030-9EAN 9782872630301Joachim Lafosse 17Sam Garbarski 31Dominique Abel& Fiona Gordon 45Micha Wald 59Fabrice du Welz 73Bouli Lanners 85Olivier Masset-Depasse 99Stéphane Aubier& Vincent Patar 113Ursula Meier 127Nabil Ben Yadir 141Conclusion 153Filmographie sélective 166Note sur <strong>les</strong> portraits 174Note sur <strong>les</strong> auteurs 175


4 5Avant-proposLes décennies nous ai<strong>de</strong>ntà dresser <strong>de</strong>s bilans, dégager<strong>de</strong>s tendances, tirer <strong>de</strong>sperspectives.<strong>2000</strong> – 2010 donc !Le cinéma belge francophone.L’émergence d’unenouvelle génération <strong>de</strong>réalisateurs.Qu’ont en commun JoachimLafosse, Bouli Lanners, UrsulaMeier, Sam Garbarski,Dominique Abel et FionaGordon ? Quel lien entreOlivier Masset-Depasse, Fabricedu Welz, Micha Wald,Nabil Ben Yadir, StéphaneAubier et Vincent Patar ?Un style, une trajectoire,une singularité dans lepaysage cinématographiqueinternational mais aussiune convergence spatiotemporellequi <strong>les</strong> a vuséclore juste après l’an <strong>2000</strong>dans une région au cœur<strong>de</strong> l’Europe.Cette région, d’autresréalisateurs, d’autres filmsl’ont placée sur l’échiquiermondial du cinéma lors <strong>de</strong> ladécennie précé<strong>de</strong>nte : Totole héros (1991), C’est arrivéprès <strong>de</strong> chez vous (1992), <strong>les</strong>frères Dar<strong>de</strong>nne, FrédéricFonteyne, Ma vie en rose(1997), Lucas Belvaux,…Si ces figures tutélaires ontpoursuivi leur route avecle succès que l’on sait, leurinfluence majeure sur cettenouvelle génération se situesans doute davantage dansla confiance qu’ils ont suinsuffler, dans cette attitu<strong>de</strong>décomplexée qui <strong>les</strong> anime,que dans une quelconqueécole stylistique.Et si on a pu lier un tempsle cinéma belge au courantsurréaliste et au réalismemagique, on n’en trouveplus guère dans la productioncontemporaine quequelques traces éparses etpeut-être davantage dansle processus <strong>de</strong> productionartisanal <strong>de</strong> certains films.Entre <strong>2000</strong> et 2010, lanouvelle génération <strong>de</strong>réalisateurs belges francophonesaura accouché <strong>de</strong>drames intimes et comédiesbur<strong>les</strong>ques, d’épopéeset fresques historiques,<strong>de</strong> thrillers et dramessociaux, <strong>de</strong> comédies etfilms d’horreur, <strong>de</strong> filmsd’anticipation ou <strong>de</strong> giallo,d’animations loufoques…Cette diversité <strong>de</strong> genres,<strong>de</strong> couleurs et <strong>de</strong> langues– puisque la Belgiquefrancophone accueille <strong>de</strong>nombreux réalisateursd’origines étrangères – estparadoxalement la caractéristiquequi semble le mieuxdéfinir le cinéma belgefrancophone mo<strong>de</strong>rne. Iln’y a pas un mais <strong>de</strong>s cinémasbelges francophones.Une multitu<strong>de</strong> d’universdont le seul point communest d’être chaque fois fortset singuliers.C’est en tout cas cette diversité,à travers <strong>les</strong> personnalitéset <strong>les</strong> œuvres <strong>les</strong> plusmarquantes <strong>de</strong> la décennieécoulée, que nous avonsvoulu mettre en lumièredans cet ouvrage.Bien sûr, comme on l’aévoqué au début, <strong>les</strong> bilansquand ils sont bien pensésdoivent nous ai<strong>de</strong>r à envisagerl’avenir et si tous <strong>les</strong>réalisateurs considérés icipréparent un nouveau projet,la décennie qui s’ouvre<strong>de</strong>vrait nous réserver <strong>de</strong>nouvel<strong>les</strong> surprises.Avec une moyenne <strong>de</strong> dixpremiers films chaqueannée, nous avançonsconfiants.Frédéric Delcor(à gauche)DirecteurCentre du Cinémaet <strong>de</strong> l’AudiovisuelPhilippe Suinen(à droite)Administrateur généralWallonie-Bruxel<strong>les</strong>International


6 7Les BaronsSimonKonianskiBelgiqueFrancophone± 4.200.000HabitantsÇa rendheureuxUltranovaBelgiqueIllégalEldoradoLa RégateCalvaireCagesPaniqueau Village


10 11 90–00C’est arrivéprès <strong>de</strong>chez vous© Les ArtistesAnonymesà sa sphère linguistique. Enfait, tout le film repose surla notion que Thomas croitvivre sous une fausse i<strong>de</strong>ntité: il est persuadé d’avoirété échangé à sa naissanceavec Alfred, son voisin né lemême jour, qui est à la foisplus téméraire et plus chanceuxque lui. Cette impression<strong>de</strong>vient si profon<strong>de</strong> queThomas finit par envisager,même après <strong>de</strong>s décennies,<strong>de</strong> tuer Alfred pour lui avoir« volé sa vie ».La référence à « <strong>Van</strong> Chickensoup» introduit unélément anglophone dansce gag belgo-belge, révélantl’influence <strong>de</strong> la cultureanglo-américaine sur la vie<strong>de</strong> Thomas. Cette notionest renforcée par son admirationpour <strong>les</strong> histoirespolicières américaines plutôtnoires qu’il a regardéeà la télévision étant enfant(et qui ont sans doute euune influence directe surce meurtre qu’il complotera<strong>de</strong>s années plus tard).Toto, le surnom favori <strong>de</strong>Thomas, repris dans letitre du film, se calque sur<strong>les</strong> américains brillants etsûrs d’eux qu’il connaît <strong>de</strong>la télévision.Le rêve <strong>de</strong> Thomas/Toto <strong>de</strong><strong>de</strong>venir Alfred est une métaphore<strong>de</strong> la Belgique en soi,partagée entre différentesinfluences linguistiqueset culturel<strong>les</strong> ; ou, dans lecadre <strong>de</strong> notre objet, <strong>de</strong> laculture et du cinéma francophonesen particulier.Les francophones peinentà s’affirmer non seulementvis-à-vis <strong>de</strong> la France voisine,mais aussi vis-à-visd’autres groupes linguistiquesrégionaux (<strong>les</strong> flamandsnéerlandophones etla minorité germanophone),sans parler <strong>de</strong> l’influenceculturelle plus forte encore<strong>de</strong>s valeurs et idées américainespropagées par lecinéma et la télévision, unedomination culturelle communeà l’Europe <strong>de</strong> l’ouest<strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong>Guerre Mondiale.De façon quelque peu ironique,la « recherche d’i<strong>de</strong>ntité» cinématographiquequi permit à <strong>Van</strong> Dormael<strong>de</strong> mélanger différentsgenres et sty<strong>les</strong> au seind’un récit cohérent, <strong>de</strong>vintrapi<strong>de</strong>ment un jalon <strong>de</strong>référence dans le cinémabelge d’aujourd’hui et plusparticulièrement dans lecinéma belge francophone.Le film rencontra un succèsconsidérable au box-officeet reçut <strong>les</strong> éloges <strong>de</strong> la critique,remportant la Camérad’Or au Festival du Film <strong>de</strong>Cannes pour le MeilleurPremier Film.Mais Toto le Héros n’est pastombé du ciel. L’influence<strong>de</strong> l’œuvre du cinéastephare André Delvaux, quis’inscrit dans le cycle duréalisme magique (et dontle <strong>de</strong>rnier film est sorti <strong>de</strong>uxans seulement avant lepremier <strong>de</strong> <strong>Van</strong> Dormael) yfut sans doute considérable,tout comme le fut l’analogie<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux cinéastes quiont réalisé <strong>de</strong>s films ancrésdans une réalité belge bienspécifique et ont tourné indifféremmentdans <strong>les</strong> <strong>de</strong>uxlangues principa<strong>les</strong> du pays(ainsi qu’à l’étranger). Maisce sont bien Toto le Héroset <strong>de</strong>ux autres films, réalisésplus ou moins au mêmemoment, qui ont façonné lecinéma belge francophone,sa perception et sa promessedans <strong>les</strong> années qui suivirent,et qui ont influencédirectement la générationprésente <strong>de</strong> réalisateurs.III. C’est arrivé près <strong>de</strong>chez vous : une étu<strong>de</strong>en contrastes.Un an après que Totose vit décerner la Camérad’Or à Cannes, un autre filmbelge francophone laissason empreinte, indélébile,sur la Croisette : C’est arrivéprès <strong>de</strong> chez vous (1992), unfaux-documentaire d’uneviolence extrême et particulièrementdrôle, réalisépar trois étudiants belgesen cinéma. Le film suit <strong>les</strong>pérégrinations d’un meurtriers’attaquant principalementaux retraités (unchoix qui permet d’épargnerquelques bal<strong>les</strong> puisque <strong>les</strong>personnes âgées sont souventsujettes, entre autres,aux arrêts cardiaques), etaux facteurs. L’équipe <strong>de</strong>tournage qui documente<strong>les</strong> exploits du tueur n’en <strong>de</strong>vientpas moins l’inévitablecomplice au fil du film.Le titre, C’est arrivé près <strong>de</strong>chez vous, évoque le désir<strong>de</strong> raconter une histoire àlaquelle le public s’i<strong>de</strong>ntifieaisément. Il ne s’agit là que<strong>de</strong> la première instance d’unmélange <strong>de</strong> forts contrastes,<strong>de</strong> distanciation et d’humournoir dont est imprégnéle film. Dans sa galeried’ancêtres cinématographique,notons Henry, portraitd’un serial killer (1986, 1991en Europe) <strong>de</strong> John McNaughton,cinéaste originaire<strong>de</strong> Chicago, qui, avec <strong>de</strong>smoyens très restreints,dressa le portrait effroyabled’un tueur en série.À l’instar <strong>de</strong> Toto le Héros,C’est arrivé près <strong>de</strong> chezvous est un film très drôle.


12 13 90–00Je penseà vous© ChristinePlenusLe fait qu’il fut tourné en noiret blanc dans le style cinéma-véritéajoute un contrastesignificatif. Contrairementà Henry, portrait d’unserial killer, C’est arrivé près<strong>de</strong> chez vous se veut uneparodie <strong>de</strong>s documentairestélévisés réalistes, alors quele grain et le manque <strong>de</strong>couleurs <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> vuesl’entraînent indéniablementdans une sphère cinématographique.Une méta-blaguehilarante illustre parfaitementce paradoxe, lorsqueBen, le meurtrier, zigouilleune équipe <strong>de</strong> journalistesrivaux parce qu’ils tournentavec une « simple »caméra vidéo.Le film fut réalisé par RémyBelvaux, André Bonzel etBenoît Poelvoor<strong>de</strong>, avecVincent Tavier commeco-scénariste (ce <strong>de</strong>rnierretrouvera plus tard BenoîtPoelvoor<strong>de</strong> sur le film d’animationPanique au Village,longuement analysé dansce volume).Malgré son statut <strong>de</strong> filmculte acquis quasi instantanément,ce fut le seul etunique film réalisé par cescinéastes. Rémy Belvaux<strong>de</strong>vint un grand réalisateur<strong>de</strong> films publicitaires enFrance avant <strong>de</strong> décé<strong>de</strong>ren 2006, tandis que BenoîtPoelvoor<strong>de</strong>, qui tenait lerôle du tueur dans C’estarrivé près <strong>de</strong> chez vous,est aujourd’hui l’un <strong>de</strong>sacteurs comiques <strong>les</strong> plusconnus dans le mon<strong>de</strong>francophone.Toto le Héros et C’est arrivéprès <strong>de</strong> chez vouspourraient, à premièrevue, apparaître comme untan<strong>de</strong>m boiteux. La violenceextrême <strong>de</strong> C’est arrivéprès <strong>de</strong> chez vous n’a pas saplace dans le mon<strong>de</strong> coloréet imaginaire <strong>de</strong> Toto.De même, <strong>les</strong> élémentsfantasques et enfantins<strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier seraient <strong>de</strong>sintrus intolérab<strong>les</strong> au sein<strong>de</strong> l’extrême perversité dupremier. Toutefois, <strong>les</strong> <strong>de</strong>uxfilms partagent plus <strong>de</strong> similitu<strong>de</strong>sque <strong>de</strong> différences :tous <strong>de</strong>ux utilisent l’humourcomme force motrice durécit, dressent le portrait <strong>de</strong>personnages obsédés parle meurtre, prônent avecfierté <strong>les</strong> influences cinématographiquesaméricaineset s’attaquent à la société(belge), qu’ils critiquent <strong>de</strong>façon directe et indirecte.Les <strong>de</strong>ux films forcent leurspropositions jusqu’à leurconclusion logique ultime,et tous <strong>de</strong>ux ont rencontréun succès considérableauprès du public.Salués avec enthousiasme,<strong>de</strong>ux premiers films primésà Cannes et exportés dans<strong>de</strong> nombreux pays, Toto leHéros et C’est arrivé près <strong>de</strong>chez vous furent instantanémentconsidérés commeexemp<strong>les</strong> d’un nouveaucinéma belge francophone,susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> créerun précé<strong>de</strong>nt.IV. Les frères Dar<strong>de</strong>nneet la reconnaissanceinternationale.Il est amusant <strong>de</strong> noterque <strong>de</strong>ux cinéastes, quiallaient ensuite être associésà une nouvelle forme <strong>de</strong>cinéma belge <strong>de</strong> qualité, vivaientune pério<strong>de</strong> quelquepeu frustrante au moment<strong>de</strong> la sortie <strong>de</strong> Toto le Héroset <strong>de</strong> C’est arrivé près <strong>de</strong>chez vous. En 1992, Jean-Pierre et Luc Dar<strong>de</strong>nne,documentaristes <strong>de</strong> longuedate et originaires <strong>de</strong> la villeindustrielle <strong>de</strong> Seraing, près<strong>de</strong> Liège, tournaient leursecond long métrage <strong>de</strong>fiction : Je pense à vous.Falsch, leur premier filmsorti en 1987, avait été undrame historique tiré d’unepièce <strong>de</strong> théâtre, retraçantl’histoire d’une famille juive.Ce nouveau long métragevoyait <strong>les</strong> frères faire appelà leurs talents <strong>de</strong> documentaristes,à la fois en terme<strong>de</strong> sujet (le désespoir d’unouvrier en sidérurgie <strong>de</strong>Seraing qui perd son emploisuite à la fermeture <strong>de</strong>l’usine où il travaillait), ainsiqu’en termes <strong>de</strong> style. Maisbien qu’il s’agisse ici d’uneétape nécessaire au développementfutur <strong>de</strong> la filmographie<strong>de</strong>s frères, ce ne futpas une expérience joyeuse.Le scénario, co-écrit parle scénariste français JeanGruault (co-scénariste égalementsur Ju<strong>les</strong> et Jim <strong>de</strong>Truffaut) le casting ainsi quebien d’autres choix artistiquesconcernant la productionne furent pas au goût<strong>de</strong>s frères. Avec Je penseà vous, une co-productionentre plusieurs sociétés <strong>de</strong>production belges et étrangères,<strong>les</strong> frères avaientl’impression <strong>de</strong> ne pasavoir la mainmise sur leurœuvre… une expériencequi <strong>les</strong> poussa, vite après,à créer leur propre société<strong>de</strong> production, Les Filmsdu Fleuve.Quatre ans plus tard, la sociétéproduisit son premierlong métrage, La Promesse(1996), instantanémentreconnu comme étant uneœuvre significative lors<strong>de</strong> l’avant-première Cannoise.(L’importance <strong>de</strong>ce festival pour le cinéma


14 15 90–00La Promesse© Christine Plenusbelge francophone ne peutêtre sous-estimée, mêmesi la quête <strong>de</strong> bénédictionfrançaise a souvent empêché<strong>les</strong> films belges d’êtreréellement belges, du moinsjusqu’à la sortie <strong>de</strong> Toto leHéros, C’est arrivé près <strong>de</strong>chez vous et La Promesse.)En 1999, Rosetta, le film quisuccéda à La Promesse, décrochala plus belle récompenseau Festival du Film <strong>de</strong>Cannes, la Palme d’Or, ainsique le prix d’interprétationféminine décerné à la toutejeune Emilie Dequenne. Lesfrères remportèrent une secon<strong>de</strong>Palme d’Or en 2005pour L’Enfant.Si l’on analyse la filmographieimpressionnante <strong>de</strong>sDar<strong>de</strong>nne, qui comprendégalement Le Fils (2002) etLe Silence <strong>de</strong> Lorna (2008),il est impossible <strong>de</strong> ne pasremarquer à quel point leurexpression cinématographiqueétait déjà forméedans La Promesse. Le film,qui retrace l’histoire d’unado<strong>les</strong>cent se retrouvantconfronté à <strong>de</strong>s responsabilitésinattendues,contient déjà <strong>les</strong> caractéristiquesstylistiquesprincipa<strong>les</strong> qui <strong>de</strong>viendrontle sceau <strong>de</strong>s films <strong>de</strong>sDar<strong>de</strong>nne : un récit moralmais non moralisateur,situé dans une Belgiquesombre et postindustrielle,tourné caméra à l’épaule etgénéralement interprétépar <strong>de</strong> tous jeunes acteursinexpérimentés.C’est dans la parfaite maîtrised’une très particulièrelueur d’espoir que <strong>les</strong> frèresexcellent. Cette espérancesemble planer aux limites<strong>de</strong> l’image, se concrétisantenfin au moment où el<strong>les</strong>’immisce dans la vie <strong>de</strong>sprotagonistes, outrepassanttout risque <strong>de</strong> mélodramefacile. C’est bien l’espoir, cetélément essentiel que <strong>les</strong>protagonistes <strong>de</strong>s Dar<strong>de</strong>nnesemblent mériter plus quetout, et qui rend ces filmssi puissants.Puisqu’il est dorénavantaisé <strong>de</strong> reconnaitre un film<strong>de</strong>s Dar<strong>de</strong>nne, et que leurstyle a souvent été copié(The Wrestler <strong>de</strong> DarrenAronofsky est un exemplerécent parmi tant d’autres),il est surprenant <strong>de</strong> remarquerqu’aucun <strong>de</strong>s cinéastesinfluencés par <strong>les</strong> frèresDar<strong>de</strong>nne ne soit belge.Tandis que certains cinémasnationaux en Europe connurent<strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s dominéesen gran<strong>de</strong> partie par uneécole en particulier ou unmo<strong>de</strong> d’expression, tels que<strong>les</strong> films du Dogme au Danemark(1995-2005) ou leNoul val românesc contemporain(la nouvelle vague ducinéma roumain), ceci ne futle cas <strong>de</strong> la Belgique.Compter quelques grandsmaîtres en guise d’ambassa<strong>de</strong>ursdu cinéma, cela peutêtre une véritable bénédictionpour la visibilité d’unpetit pays sur la scène cinématographiquemondiale.Mais cela peut aussi représenterun obstacle considérablepour <strong>les</strong> jeunes cinéastesqui essaient <strong>de</strong> laisserleur empreinte et luttentpour trouver leur voie.V. La générationpost-Dar<strong>de</strong>nne.Il est impossible d’affirmeravec certitu<strong>de</strong> quela nouvelle génération <strong>de</strong>cinéastes belges francophonesait décidé, consciemmentet collectivement,<strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s films sidifférents <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong>sfrères Dar<strong>de</strong>nne. Mais il estimportant <strong>de</strong> constater quepour la Belgique, un pays <strong>de</strong>contrastes avec <strong>de</strong>s traditionstrès diverses, il n’estpas étrange d’aller dansla direction inverse <strong>de</strong> sesprédécesseurs.Dire que la nouvelle génération<strong>de</strong> cinéastes est richeet diverse peut sembler facileet peu recherché. Mais,comparant <strong>les</strong> œuvres <strong>de</strong>sréalisateurs présentés dans<strong>les</strong> pages suivantes à cel<strong>les</strong><strong>de</strong> leurs prédécesseurs, i<strong>les</strong>t tout autant impossible<strong>de</strong> leur trouver <strong>de</strong>s similaritésclaires et nettes que<strong>de</strong> nier qu’il s’agit d’œuvresorigina<strong>les</strong>, uniques etsingulières. Et tout cela sansjamais faire oublier qu’ilsont bien été créés dans unmême endroit et non dansun vacuum.Ce recueil contient peutêtreun ou plusieurs prochainslauréats <strong>de</strong> la Palmed’Or, bien que dorénavant<strong>les</strong> belges n’aient plusbesoin <strong>de</strong>s français pourvali<strong>de</strong>r leur cinéma. Cannesa le grand mérite d’avoirsouligné l’individualité etle talent <strong>de</strong> Jaco <strong>Van</strong> Dormael,<strong>de</strong>s cinéastes <strong>de</strong> C’estarrivé près <strong>de</strong> chez vous et<strong>de</strong>s frères Dar<strong>de</strong>nne qui, àleur tour, ont permis à cettenouvelle génération <strong>de</strong>cinéastes belges <strong>de</strong> prendreconscience que – mêmedans la partie sud d’un petitpays européen – le cinéman’est pas un rêve mais unepossibilité, une industrieoù <strong>de</strong>s voix individuel<strong>les</strong>peuvent se développer, êtreencouragées et écoutées.


16 17JoachimLafosse


18 19 Lafosse110JoachimLafosseDe tous <strong>les</strong> cinéastesprésentés dans cevolume, JoachimLafosse est leplus productif,avec quatre longsmétrages à son actif<strong>de</strong>puis 2004. Lestitres <strong>de</strong> trois d’entreeux, Folie privée,Nue propriété etÉlève libre suggèrentd’emblée un thèmerécurrent : la sphèreprivée et ses limites(une continuité plusflagrante encoredans <strong>les</strong> titres <strong>de</strong>ces films en anglais,Private Madness,Private Property,Private Lessons).Si tous <strong>les</strong> cinéastes belges<strong>de</strong> la jeune génération sontà la recherche d’un équilibreprécis entre la narrationet <strong>les</strong> aspects formels <strong>de</strong>leurs films, l’un renforçantl’autre ou lui pouvant servir<strong>de</strong> contrepoint, JoachimLafosse en a fait sa spécialité.À ce titre, Nue propriétéest un modèle à suivre pourcomprendre comment iljuxtapose le fond et la formeen vue d’atteindre un résultatfinal bien plus puissantque la simple succession<strong>de</strong> scènes.Nue propriété, le troisièmelong métrage du cinéaste,retrace le parcours accablé<strong>de</strong> conflits d’une mèredivorcée, interprétée parIsabelle Huppert, et <strong>de</strong> ses<strong>de</strong>ux grands jumeaux, avecqui elle vit toujours. La premièrebataille, aussi involontairesoit-elle, est déclaréepar la mère lorsqu’elle annonceson projet <strong>de</strong> vendrela maison et <strong>de</strong> refaire sa vieen France avec son compagnonflamand. La nouvelleest une véritable déchirurepour ses fils, et tout particulièrementpour Thierry interprétépar Jérémie Renier.Ils ne se sentent pas encoreprêts à laisser <strong>de</strong>rrière euxla vie paisible qu’ils menaienten tant que post-ado<strong>les</strong>centsfainéants au sein<strong>de</strong> la maison familiale.Lafosse filme le jeu <strong>de</strong>pouvoir et <strong>de</strong> conflit quis’ensuit en plans fixes, <strong>les</strong>images reflétant un sentimentd’inertie et d’impétuosité,illustrant l’entêtement<strong>de</strong>s personnages. Alorsque la tension va grandissante,l’atmosphère <strong>de</strong>vientétouffante, renforcée, cettefois, par <strong>les</strong> plans statiques,trop rigi<strong>de</strong>s pour pouvoircontenir une situation prêteà exploser. C’est à la fin dufilm que la caméra bougesoudainement, au grandsoulagement <strong>de</strong> tous.Bien que la thématiquecentrale <strong>de</strong> cette trilogie<strong>de</strong> films soit l’examen ducomportement dérangeantd’un petit groupe <strong>de</strong> personnesqui ne connaissentaucune limite, ils possè<strong>de</strong>ntchacun leur propre universavec leurs propres personnages(même si certainsnoms <strong>de</strong> personnages ouacteurs apparaissent dansplusieurs films).Le premier long métrage<strong>de</strong> Lafosse, Folie privée,se penche sur le refus d’unhomme face à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong><strong>de</strong> divorce prononcée par safemme. Élève libre retracel’histoire d’un jeune ado<strong>les</strong>cent,laissé pour comptepar ses parents, qui se faitinsidieusement manipulerpar un groupe d’adultes. Leshistoires et <strong>les</strong> techniquesont beau être très différentes<strong>les</strong> unes <strong>de</strong>s autres, lacaméra <strong>de</strong> Lafosse, est, unefois <strong>de</strong> plus, plus qu’un simpleoutil d’enregistrement ;elle est un véritable instrumentqui permet au cinéaste<strong>de</strong> raconter son histoire.Ça rend heureux, son<strong>de</strong>uxième long métrage, estun film semi-autobiographiqueet suit un cinéaste quiessaie <strong>de</strong> trouver une suiteà son premier film. Le filmsuggère également que Lafosse(interprété par l’acteurFabrizio Rongione dans lefilm) prend un réel plaisirà réaliser un film, même sises sujets sont durs et sonapproche <strong>de</strong> la réalisation,complexe et appréciable àplusieurs niveaux.En conversation avecJoachim LafosseDans votre premier film,Folie privée, la circonscription<strong>de</strong> votre cinéma et <strong>les</strong>limites qui le typifient sontdéjà très claires.Folie privée est inspiré<strong>de</strong> la Médée d’Euripi<strong>de</strong> etd’un fait divers qui s’estproduit dans <strong>les</strong> Ar<strong>de</strong>nnesbelges. Il m’importait<strong>de</strong> montrer le drame d’unhomme qui ne supportepas la séparation d’avec safemme et <strong>de</strong> sa famille, aupoint <strong>de</strong> tuer son fils. L’idéeest très proche <strong>de</strong> mon prochainfilm, Aimer à perdre laraison. Dans tous mes films,la nécessité d’instaurer <strong>de</strong>slimites dans <strong>les</strong> relationsme préoccupe. Folie privéemontre un père incapable<strong>de</strong> s’imposer <strong>de</strong>s limitesdans la relation envers safemme et son enfant ; dansÇa rend heureux, on voit unréalisateur qui n’arrive pasà se limiter vis-à-vis <strong>de</strong> sonéquipe ; dans Nue propriétéil s’agit d’une mère aux limitesinsuffisantes envers sesenfants ; et dans Élève libre,d’un professeur qui manque<strong>de</strong> limites par rapport àun élève.Comment impliquez-vous <strong>les</strong>pectateur dans ce questionnement?J’aime proposer uneréflexion aux spectateursà travers la manière dontle film est vécu. Je veilleà être assez excessif pourjustement questionner <strong>les</strong> limitesdu spectateur et pourl’obliger à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si luiserait allé aussi loin que leprotagoniste. Je préfère quele spectateur vive la question<strong>de</strong>s limites à travers lecinéma plutôt que dans lavraie vie, parce que dans lecinéma cette confrontationn’a pas <strong>de</strong> conséquences.La question <strong>de</strong>s limites mesemble assez universelle ;c’est une question très morale.C’est aussi questionner<strong>les</strong> lois et leur fonction. Lecinéma peut faire réfléchirle spectateur sur la justification<strong>de</strong>s lois et sur ceque j’appellerais « <strong>les</strong> loisuniversel<strong>les</strong> », c’est-à-direl’interdiction <strong>de</strong> l’inceste, dumeurtre et <strong>de</strong> l’infantici<strong>de</strong>.Essayer d’établir quel<strong>les</strong> loisont été transgressées pourqu’une tragédie se produise,c’est pour moi une manière<strong>de</strong> faire réfléchir à la fonction<strong>de</strong>s lois qui circonscriventnos vies.Dans vos films, <strong>les</strong> enfantsont souvent une logique quileur est propre, comme lepetit Thomas qui suggèredans Folie privée que papaet l’amant <strong>de</strong> maman peuventhabiter tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>uxavec elle. Mais cette logiqued’enfant n’est jamaisloin <strong>de</strong> comment pensent<strong>les</strong> adultes.Tous <strong>les</strong> enfants ontenvie que leur parentss’aiment, et tous ont envie<strong>de</strong> régler <strong>les</strong> problèmes<strong>de</strong> famille. Je voulais montrerce qui arrive quand unadulte a un raisonnementenfantin, la tragédie quecela peut provoquer. Au final,être là tout le temps, nepas vouloir se séparer, estfondamentalement la mêmechose que ne jamais être là.Les ado<strong>les</strong>cents dans Nuepropriété se comportentenvers leur mère divorcéecomme <strong>de</strong>s bébés qui nesupportent pas l’idée qu’el<strong>les</strong>’éloigne d’eux, et ils hurlentquand ils apprennent qu’el<strong>les</strong>ouhaite vendre la maison.Ils sont coincés dans cetteposition parce que leurmère ne leur a pas transmisla possibilité <strong>de</strong> s’éloigneret <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir adulte. Ellen’a pas incorporé suffisamment<strong>de</strong> lois dans sa relationavec ses enfants pourqu’ils puissent s’émanciper.On dit toujours que c’estle père qui dit « non », quiimpose <strong>de</strong>s limites et quifait respecter <strong>les</strong> lois, et j’ail’impression que, <strong>de</strong> filmen film, je reparle <strong>de</strong> cetteconvention. J’essaye <strong>de</strong>montrer que, dès que cettelogique n’est pas respectée,on avance vers la tragédie.Dans Élève libre le père et lamère sont absents…C’est avant tout un filmsur <strong>les</strong> abus <strong>de</strong> pouvoir, etl’influence qu‘un adultepeut exercer sur un ado<strong>les</strong>centà travers son discours.Je montre comment l’adulte,<strong>de</strong> par sa plus gran<strong>de</strong> expérience,peut manipuler unado<strong>les</strong>cent avec <strong>les</strong> mots,<strong>les</strong> théories et <strong>les</strong> idées.Je voulais faire réfléchir <strong>les</strong>pectateur sur ce qui constituela différence – et donc,la limite – entre la transmissionet la transgression.À partir <strong>de</strong> quel momentest-ce que cette transmissionentre adulte et ado<strong>les</strong>cent<strong>de</strong>vient une transgression,quelque chose <strong>de</strong>néfaste ? Quel est le seuilqu’il ne faut pas dépasserpour qu’une relation entreun adulte et un ado<strong>les</strong>centreste vivable ?


20 21 LafosseÇa rend heureux© Jean-François MetzNue propriété© Hichame Alaouie


26 27 Lafossemon premier long métrage,après avoir terminé l’école,j’étais plutôt influencé par<strong>les</strong> photographes et <strong>de</strong>sréalisateurs tels que Gus<strong>Van</strong> Sant, donc j’aimaisbien ce format plus carré.C’est tout à fait l’inverse<strong>de</strong>puis que j’ai touché auscope. Je trouve que c’estle format du cinéma parcequ’il n’exige pas <strong>de</strong> champscontre-champs. Je peuxfilmer une table avec <strong>de</strong>nombreuses personnessans <strong>de</strong>voir couper.Je crois qu’il n’y a pas dutout <strong>de</strong> champs contrechampsdans Nue propriétéet Élève libre.Il n’y en a pas, justementparce que je me rendscompte que je fais <strong>de</strong>sfilms sur <strong>les</strong> liens entre <strong>de</strong>spersonnages qui ne saventpas imposer <strong>de</strong>s limites, quin’ont pas <strong>de</strong> limites, donc i<strong>les</strong>t intéressant <strong>de</strong> ne faireaucune coupe entre eux,<strong>de</strong> ne pas <strong>les</strong> séparer d’unplan à un autre. Les plansséquencesdonnent auspectateur l’impression <strong>de</strong>réellement vivre avec <strong>les</strong>acteurs. J’ai évolué d’unemise en scène peu présente,<strong>de</strong> films qui s’écrivaientbeaucoup au montage,vers <strong>de</strong>s films qui s’écriventbeaucoup plus sur le plateauet où le plan-séquencea fini par l’emporter. Folieprivée est un film en 500plans, Élève libre n’en a plusque 83. En anglais, <strong>les</strong> titres<strong>de</strong> Folie privée, Nue propriétéet Élève libre commencenttous par le mot « private». Il est vrai que <strong>les</strong> troisfilms ressemblent à unetrilogie ; d’un côté dramatique,ils sont très proches <strong>les</strong>uns <strong>de</strong>s autres.Je connais <strong>les</strong> titres enanglais mais je ne l’avaisjamais remarqué. Je vaisavertir <strong>les</strong> producteursqu’ils trouvent un titre avec« private » pour le cinquièmeaussi ! Effectivement, celacolle bien aux films en question.C’est une façon <strong>de</strong> direque maintenant, on va regar<strong>de</strong>rce que normalementon ne peut pas voir, ce qu’onnous cache. C’est ce quirend le cinéma fascinant. Engénéral, si l’on donne unecaméra aux gens, ils filmenttous la même chose : <strong>les</strong> anniversaires,la Saint-Nicolasqui se passe bien, un Noëloù tous sourient et rigolent.À moi, on me donne une caméraet je filme exactementce qu’on ne montre pas : <strong>les</strong>moments où l’on se dispute,où il y a <strong>de</strong>s bagarres,<strong>de</strong>s tensions.Dans votre filmographie,c’est Ça rend heureuxqui est – et qui a – le titreatypique.Oui, mais c’est aussi l’un<strong>de</strong>s plus intéressants parcequ’il fait partie <strong>de</strong>s plusspontanés – il a été co-écritpar <strong>les</strong> comédiens. C’estd’ailleurs aussi un film surl’importance <strong>de</strong> la solidaritéet <strong>de</strong> la collectivité. Leprojet s’est écrit en troismois, tourné en <strong>de</strong>ux mois,puis monté en quatre moiset a été distribué tout <strong>de</strong>suite après. C’est le projet leplus agréable que j’ai fait etc’est d’ailleurs pour cela quenous avons choisi ce titre. Jene m’attendais pas à cela, jepensais être quelqu’un d’assezsérieux et cérébral et jeme suis découvert capable<strong>de</strong> faire autre chose. C’estl’un <strong>de</strong> mes plus grandsplaisirs <strong>de</strong> cinéaste : <strong>de</strong>découvrir que je peux êtreautre chose que je m’imaginaisêtre. Je referai unfilm dans cette logique-là etavec cette spontanéité-là,j’en suis sûr. J’ai tourné Folieprivée et Ça rend heureuxparce que la Commission <strong>de</strong>Sélection <strong>de</strong>s Films jugeaitque je n’avais pas assez d’expériencepour faire un longmétrage. J’ai donc fait ces<strong>de</strong>ux films avec un budgetridicule, avec <strong>de</strong>s personnesqui n’étaient pas payées – ilsétaient d’accord <strong>de</strong> le faire,bien sûr. Quand le <strong>de</strong>uxièmefut terminé, j’ai eu l’accord<strong>de</strong> la Commission, puis l’accordd’Isabelle Huppert, etnous avons pu tourner Nuepropriété, qui, en réalité,était déjà écrit avant <strong>les</strong>autres. Voilà pourquoi j’ai putourner trois films en troisans – je n’arriverai probablementpas à faire cela souvent.En Belgique, c’est trèscompliqué. Personne n’a faitquatre films en cinq ans. Jeme rends compte que cen’est pas une course, mais jepense que cette fréquenceun peu hallucinante a ouvert<strong>de</strong>s portes à d’autres cinéastesqui avaient envie <strong>de</strong>tourner <strong>de</strong> la même manière,un peu sauvagement.Ça rend heureux est un filmqui se passe en ville, dans<strong>les</strong> rues et <strong>les</strong> bars. Des lieuxqu’on ne voit pas dans vosautres films.C’est un <strong>de</strong>s rares filmsfrancophones réellementbruxellois. Enfin, il y ena eu quelques-uns maisvraiment très peu. Je suistrès heureux que ce filmsoit l’un <strong>de</strong>s premiers filmsfrancophones qui montrela réalité <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong> et <strong>de</strong>la Belgique.« Je pensais être quelqu’un d’assez sérieux etcérébral et je me suis découvert capable <strong>de</strong>faire autre chose. C’est l’un <strong>de</strong> mes plus grandsplaisirs <strong>de</strong> cinéaste : <strong>de</strong> découvrir que je peux êtreautre chose que ce que je m’imaginais être. »Mais ce côté belge est trèsprésent dans tous vos films.Bien qu’ils parlent <strong>de</strong> chosesuniversel<strong>les</strong>, ils se déroulenttrès concrètement enBelgique. Et il y a toujoursou moins un personnagenéerlandophone…C’est très importantpour moi et ce l’était <strong>de</strong>puismon tout premiercourt métrage. J’ai toujourstravaillé avec <strong>de</strong>s néerlandophones: l’acteur KrisCuppens a même co-écritplusieurs <strong>de</strong> mes films. Pourmoi, travailler avec lui est unmystère parce qu’il vient <strong>de</strong>cette autre culture. J’aimebeaucoup <strong>les</strong> acteurs néerlandophonesparce qu’ilsont un rapport au métier quiest très concret. Les acteursfrancophones peuvent avoirune culture assez théâtrale,parfois très réfléchie etspirituelle, et <strong>les</strong> acteurs flamandsne fonctionnent pasdu tout comme ça. Commele dit toujours Kris : « Moi, ilfaut que j’essaye ». Mes parentsétaient <strong>de</strong>s francophonesqui vivaient en Flandreset donc la cohabitation m’atoujours intéressé. Dans lefilm que je suis en train <strong>de</strong>préparer, je vais <strong>de</strong> nouveauparler <strong>de</strong> cette question etil y aura encore <strong>de</strong>s acteursnéerlandophones.Ça rend heureux était unvrai travail collectif, maisdans <strong>les</strong> autres films, plusieursnoms apparaissentsouvent : François Pirot, quia co-écrit plusieurs scénarios,Hichame Alaouie à lacaméra, Sophie Vercruysseau montage.Ce qui me passionne leplus dans le cinéma, c’estque c’est un art collectif,que j’ai le droit d’être celuiqui peut recevoir toutes <strong>les</strong>propositions et qui par seschoix fait coexister le travaild’une dizaine d’artistesdifférents. Mon père a étéphotographe d’œuvres d’art,et il m’a appris qu’il fallaitrespecter <strong>les</strong> créations et<strong>les</strong> œuvres <strong>de</strong>s gens avecqui on travaille. En faisantdu cinéma, j’ai pu resterdans cette logique-là, ceque je trouve absolumentformidable. Certes, il peuty avoir <strong>de</strong>s crises et <strong>de</strong>sconflits humainement compliquésà gérer, mais il s’agitd’une énigme et d’une quêtepassionnante. Le cinéma estune discipline qu’on apprendsur le champ ; c’est enfaisant <strong>de</strong>s films qu’on découvrece qu’est le cinéma.Le tournage <strong>de</strong> votre cinquièmefilm, Aimer à perdrela raison, est prévu pour leprintemps 2011.C’est un projet qui metient beaucoup à cœur parceque j’ai le sentiment qu’ilme permet d’abor<strong>de</strong>r et <strong>de</strong>prendre en compte toutes<strong>les</strong> obsessions <strong>de</strong> mes filmsprécé<strong>de</strong>nts. Pour la premièrefois dans mes films, la formeva l’emporter sur le fond,c’est-à-dire que <strong>de</strong>puis ledébut <strong>de</strong> l’écriture il y a uneforme que je suis impatient<strong>de</strong> traduire sur le plateau. J’aitoujours dit qu’on <strong>de</strong>venaitcinéaste au bout <strong>de</strong> quatreou cinq films, et là je sensque l’expérience accumuléeva me permettre <strong>de</strong> prendreplus <strong>de</strong> risques et <strong>de</strong> dévoilerune part <strong>de</strong> ce qui mepréoccupe, avec, j’espère, leplus <strong>de</strong> justesse possible. Lefilm est inspiré <strong>de</strong> « L’affaireLhermitte », un quintupleinfantici<strong>de</strong> qui a marquéla Belgique. Pour le grandpublic, le meurtre d’enfantsest une chose inimaginable ;ce n’est pas nous, c’est <strong>les</strong>autres. Je veux essayer <strong>de</strong>montrer que, finalement,cela nous ressemble quandmême un peu. Les enfantsn’auront pas <strong>les</strong> mêmesnoms et ce sera une fictionlibrement inspirée ; commetous <strong>les</strong> auteurs, j’invente.Ce qui m’intéresse n’est pasle côté morbi<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’histoire,c’est vraiment <strong>de</strong> savoircomment on peut en arriverlà. Si, <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxmillénaires, on rejoue Médéeet <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s tragédiesgrecques au théâtre, c’estbien parce qu’el<strong>les</strong> ont quelquechose d’universel.


28 29LafosseJoachim Lafossepar Stijn ConinxFilmographieSituations douloureuses, réalités diffici<strong>les</strong>, humour et sensibilitéextrême sont autant d’empreintes que laissent <strong>les</strong> films<strong>de</strong> Joachim Lafosse. La facilité et la lucidité avec <strong>les</strong>quel<strong>les</strong>il suit ses personnages, ou <strong>les</strong> enferme dans <strong>de</strong>s plans fixesoù ils laissent libre cours à leur douleur, est le résultat d’untravail minutieux sur le développement <strong>de</strong>s personnages etd’une direction d’acteurs magistrale. Simplistes à premièrevue, ces histoires vont souvent très loin dans la complexité<strong>de</strong> l’amour et <strong>de</strong>s rapports humains, <strong>de</strong>s séparations et <strong>de</strong>straumas qu’el<strong>les</strong> engendrent à la fois pour <strong>les</strong> parents et pour<strong>les</strong> enfants. Joachim Lafosse jongle avec le drame inhérentà la passion et à la haine, avec l’amour propre et l’impossibilitépour beaucoup <strong>de</strong> vivre en harmonie avec <strong>les</strong> autres.Empreint d’émotions fortes, comme dans Folie privée, ou <strong>de</strong>personnages inflexib<strong>les</strong>, dans Nue propriété, un véritable diamantà l’état brut, Lafosse est <strong>de</strong>venu l’un <strong>de</strong>s cinéastes <strong>les</strong>plus uniques <strong>de</strong> sa génération. Il sait aussi prendre du reculsur lui-même et sur son métier avec légèreté et humour, commenous le prouve son film Ça rend heureux.Stijn Coninx est le réalisateur <strong>de</strong>s comédies flaman<strong>de</strong>sHector (1987) et Coco Flanel (1990), qui ont toutes <strong>de</strong>ux rencontréun immense succès, avant <strong>de</strong> tourner le drame Daens(1993), nominé aux Oscars. Plus récemment, il a réalisé SœurSourire (2009), un film biographique en français sur unenonne belge chantante, interprétée par Cécile <strong>de</strong> France.2011Aimer à perdre la raisonen préparation.—2008Élève libreQuinzaine <strong>de</strong>s Réalisateurs,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.Compétition, Festival<strong>de</strong>s Films du Mon<strong>de</strong><strong>de</strong> Montréal.Festival international duFilm <strong>de</strong> Rotterdam.—2006Nue propriétéCompétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Venise.Prix SIGNIS Mentionspéciale, Festival duFilm <strong>de</strong> Venise.Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Toronto.Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Sao Polo.—Ça rend heureuxCompétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.Prix du Jury, PremiersPlans (Angers).Prix du Public, Festival duFilm européen <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>.—2004Folie privéeCompétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.Prix FIPRESCI, Festivaldu Film <strong>de</strong> Bratislava.Prix SACD <strong>de</strong> la meilleureoeuvre audiovisuelle.—2001Tribu (court)Meilleur court métrage,Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.Mention spéciale, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.Prix du Prési<strong>de</strong>nt du Jury(Wim Wen<strong>de</strong>rs), Festivalinternational <strong>de</strong>s Filmsd’Eco<strong>les</strong> <strong>de</strong> Munich.—Scarface (documentaire)—<strong>2000</strong>Égoïste Nature (court)Meilleur court métrage,Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.


30 31SamGarbarski


32 33 Garbarski210SamGarbarskiÀ 62 ans, Sam Garbarski est le plus âgé <strong>de</strong>s jeunescinéastes présentés ici. Le réalisateur, dont lepremier long métrage, Le Tango <strong>de</strong>s Rashevski,date <strong>de</strong> 2003, a connu une carrière florissanteen tant que publiciste avant <strong>de</strong> se tourner versle cinéma. Depuis, il a réalisé Irina Palm, sorti en2007, et plus récemment, Quartier lointain.Garbarski est né en Allemagnemais vit en Belgique<strong>de</strong>puis 40 ans. Étrangerégalement en Allemagne,puisque ses parents étaientJuifs d’origine polonaise,ses films traitent tous <strong>de</strong>snotions d’i<strong>de</strong>ntité et <strong>de</strong> lafaçon dont le passé et l’environnementinfluencent laconstruction personnelle.Quartier lointain, sorti enAllemagne en mai 2010 où ils’intitule Vertraute Frem<strong>de</strong>(« Des étrangers familiers »),est une adaptation à l’écrandu manga éponyme <strong>de</strong>Jiro Taniguchi. Ce n’estpas une coïnci<strong>de</strong>nce quece titre pourrait tout aussibien s’appliquer aux <strong>de</strong>uxautres longs métragesd’un cinéaste à tous <strong>les</strong>coups surprenant.Dans la comédie dramatiqueLe Tango <strong>de</strong>s Rashevski,le décès d’une matriarchejuive plonge <strong>les</strong> membres<strong>de</strong> sa famille dans une crisei<strong>de</strong>ntitaire. La questionprincipale, même si ellen’est jamais expressémentprononcée, est alors <strong>de</strong> savoirce que signifie être Juif(et plus particulièrement,ce que veut dire être Juifaujourd’hui). Dans un beléchange assez animé, l’un<strong>de</strong>s personnages explique,se rapportant à lui-même,“On le sent, c’est tout !” àquoi, un goy s’apprêtantà épouser un membre <strong>de</strong>la famille, répond du tacau tac : «Alors je peux êtreJuif aussi !»Les questions religieuses,culturel<strong>les</strong>, linguistiques eti<strong>de</strong>ntitaires sont maniéesavec un mélange <strong>de</strong> comédieet <strong>de</strong> drame, et <strong>de</strong>nombreux personnagesdécouvriront <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong>facettes aux personnesqu’ils croyaient parfaitementconnaître – y compriseux-mêmes.Le thème du familier/étranger revient aussi, <strong>de</strong>Quartierlointain© Entre Chienet Loup


34 35 GarbarskiIrina Palm© Entre Chienet Loupmanière plus introspectivecette fois, dans Irina Palm,où une veuve quinquagénaire,interprétée par MarianneFaithfull, se découvre undon pour satisfaire <strong>les</strong> hommes.Le film, co-écrit parPhilippe Blasband (égalementco-scénariste sur <strong>les</strong>autres longs métrages <strong>de</strong>Garbarksi), est construit surune série <strong>de</strong> contradictionsapparentes, à commencerpar le choix surprenant <strong>de</strong>Faithfull, l’ex-égérie <strong>de</strong> MickJagger, qui joue le rôle d’uneveuve abstinente et bouffie.Outre le fait qu’elle croitjuste <strong>de</strong>voir servir le café,ce qui détermine Maggiedans son choix <strong>de</strong> <strong>de</strong>venirhôtesse au Sexy Worldclub <strong>de</strong> Soho à Londres estsa volonté <strong>de</strong> réunir uneimportante somme d’argentpour couvrir <strong>les</strong> frais d’hospitalisation<strong>de</strong> son petit-fils,très gravement mala<strong>de</strong>. Defaçon ironique, en exploitantune facette latente etinitialement refoulée d’ellemême,<strong>les</strong> choses commencentà tourner en sa faveur.Un mécanisme similaireest à la base <strong>de</strong> Quartierlointain, qui, tout en étantla première adaptation augrand écran du cinéaste, atoutes <strong>les</strong> caractéristiquesd’un film <strong>de</strong> Garbarski. Ici,le contraste entre le familieret l’étranger s’exprimeà travers une combinaison<strong>de</strong> transformations corporel<strong>les</strong>et <strong>de</strong> voyage dans letemps. À ce titre, un hommed’une quarantaine d’années,interprété par Pascal Greggory,revient dans son corpsd’ado<strong>les</strong>cent <strong>de</strong> 14 anslorsqu’il visite le village <strong>de</strong>son enfance. Avec du recul,l’ado<strong>les</strong>cent revit alorscertains <strong>de</strong>s événementsmajeurs <strong>de</strong> sa jeunesse,illustrant ainsi l’idée <strong>de</strong>Wordsworth que « l’enfantest le père <strong>de</strong> l’homme. »En conversation avecSam GarbarskiLe but <strong>de</strong> cet ouvrage est<strong>de</strong> regrouper <strong>de</strong>s réalisateursbelges francophones.Vous êtes un cas unpeu particulier…On peut le dire ainsi,oui. Je suis polonais d’origine,né en Allemagne, etmaintenant je suis belge. Jesuis arrivé en Belgique dans<strong>les</strong> années 1970, en suivantune femme ; au départ noussommes venus en Belgiquepour un week-end. C’estpar pur hasard que je mesuis retrouvé ici et je mesens un peu <strong>de</strong> nulle part et<strong>de</strong> partout, mais, au final,surtout belge. Ça fait presquequarante ans que je visen Belgique. Je suis allé àl’université à Munich, doncla langue <strong>de</strong> ma jeunesse estl’allemand, mais mes parentsparlaient le polonais,je parle un peu <strong>de</strong> yiddishégalement (enfin, je lecomprends).Avez-vous l’impression qu’ilexiste « un cinéma belge »et, si oui, est-ce que vous enfaites partie ?On parle <strong>de</strong> cinémabelge mais si je pense à unfilm <strong>de</strong>s Frères Dar<strong>de</strong>nne etun film <strong>de</strong> Yolan<strong>de</strong> Moreau,par exemple, tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>uxbelges, j’ai l’impression quecela reste <strong>de</strong>ux films assezdifférents. Il y a une autodérisionbelge qui peut leurêtre commune, mais encore.Chez <strong>les</strong> Dar<strong>de</strong>nne, il n’y ena pas vraiment et pourtantc’est du très grand cinémabelge. Je n’aime pas caser<strong>les</strong> choses ou être casémoi-même. Comparer unfilm belge à un autre, c’estdifficile. Mais, certainesréalités du cinéma belgeexistent, et sont pareil<strong>les</strong>pour tout le mon<strong>de</strong> ; le faitqu’on fait <strong>de</strong>s films avec peu<strong>de</strong> moyens, par exemple.Je crois que c’est Sartrequi a dit « l’argent n’a pasd’idées ». Quand on fait ducinéma comme ça, on abesoin d’idées.Vous venez du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> lapublicité. Est-ce que c’étaitune bonne école, avantd’entamer une carrière dansle cinéma ?Je crois que dans ma vieje n’ai rien fait <strong>de</strong> volontaire.La vie est venue vers moi etje ne regrette absolumentrien. J’ai toujours aimé lecinéma mais je n’avais pasl’intention d’en faire. Unconcours <strong>de</strong> circonstancesm’y a poussé. La publicitéy était pour quelque chose,et il est vrai que mes pubsressemblaient toujours à<strong>de</strong>s petites histoires. C’estun exercice très intéressantque <strong>de</strong> con<strong>de</strong>nser entrès peu <strong>de</strong> temps – vingt,trente secon<strong>de</strong>s – unepetite histoire, d’en faire un« micro métrage ». Je suissûr que, sans l’avoir faitintentionnellement, cela m’abeaucoup aidé.Est-ce que vous ressentezque ces expériences dansla pub ont fait <strong>de</strong> vousquelqu’un qui soigne uneapproche plus axée versle grand public ? Est-ceque vous avez l’intention<strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s films plus


36 37 Garbarski« Pour moi, un film est commeun voyage : on peut partirchaque année à la mer, et boireson café sur la même terrasse.Mais je préfère partir à chaquefois ailleurs, différemment. »accessib<strong>les</strong> que <strong>les</strong> filmsd’auteur ou <strong>les</strong> œuvres plusexpérimenta<strong>les</strong> ?Je ne le sais pas, cesfrontières sont très flouespour moi. Évi<strong>de</strong>mment,quand on fait un film, on aenvie <strong>de</strong> plaire, on ne le faitpas pour le gar<strong>de</strong>r dans unplacard. Mais je ne crois pasque je fais <strong>de</strong>s films pourracoler, pour chercher lepublic le plus large possible.Un réalisateur qui fait<strong>de</strong>s films uniquement pourlui-même doit être assezculotté <strong>de</strong> prendre tout cetargent. C’est cher, un film !Je n’aime pas analyser <strong>les</strong>choses <strong>de</strong> manière entièrementrationnelle, mais i<strong>les</strong>t certain que l’on a envieque son film soit vu, appréciéet partagé. J’ai envie<strong>de</strong> raconter <strong>de</strong>s histoires,pas trop idiotes, j’espère.Prenez mes trois films etpourquoi pas le quatrième,qui est en train <strong>de</strong> se faire– ils sont tous totalementdifférents. Pour moi, un filmest comme un voyage : onpeut partir chaque annéeà la mer, au même endroit,et boire son café sur lamême terrasse. Mais jepréfère partir à chaque foisailleurs, voir <strong>les</strong> choses unpeu différemment. Un film aune durée <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> trois ouquatre années, donc pourmoi il est essentiel <strong>de</strong> fairequelque chose <strong>de</strong> différent àchaque fois.Votre premier long métrage,Le Tango <strong>de</strong>s Rashevski,parle d’une famille juiveet <strong>de</strong> personnages quicherchent, d’un côté, leursracines et, <strong>de</strong> l’autre, simplementce qu’ils partagenten tant qu’êtres humains.Est-ce que ce début avait uncôté autobiographique ?L’écrivain israélienAmos Oz a dit dans son livreUne histoire d’amour et <strong>de</strong>ténèbres : « un bon lecteurne cherche pas <strong>les</strong> tracesbiographiques <strong>de</strong> l’auteur,mais <strong>les</strong> siennes ». C’est-àdire,je crois qu’il y a toujoursdu biographique dansce qu’on crée, et en mêmetemps dans mes trois films,il n’y a rien d’explicitementbiographique. Mon histoiren’est pas aussi intéressante.Si une histoire ne m’émouvaitpas, s’il n’y avait pasune partie <strong>de</strong> moi, je nepourrais pas vivre avec mespersonnages et je ne feraispas ce film. Le Tango <strong>de</strong>sRashevski est une histoire<strong>de</strong> Juifs comme j’en suis un,moi : un Juif laïc, iconoclasteet à la limite <strong>de</strong> l’athéisme.Les Rashevski me sont trèsproches, mais leur histoiren’est pas la mienne, mêmesi il y a <strong>de</strong>s moments quiauraient pu être <strong>de</strong> ma vie. Ily a toujours <strong>de</strong>s expériencesnous aidant à nous i<strong>de</strong>ntifierà une histoire. Dans IrinaPalm, pour moi, c’est le faitque mon père avait un bar,même si c’était un autregenre <strong>de</strong> bar. Dans Quartierlointain, il y a un retour vers<strong>les</strong> 14 ans du protagoniste ;mon père n’est jamais parti,et l’histoire originale sepasse au Japon, et pourtant,c’est mon histoire. Je croisque le fait d’accepter l’autreet sa différence m’intéresse,et il n’y a rien <strong>de</strong> plus enrichissantque d’être confrontéà <strong>de</strong>s cultures différenteset <strong>de</strong> <strong>les</strong> partager. C’estcomme ça que nous grandissons,que nous vivons.Vous avez dirigé votre fille,la comédienne Tania Garbarski,dans Le Tango <strong>de</strong>sRashevski et dans Quartierlointain. Vous étiez vousmêmeà l’affiche d’un film<strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Miller, Le Secret.Une affaire <strong>de</strong> famille ?Avoir une fille comédienne,en tant que réalisateur,c’est formidable. Taniaest une très bonne actrice etc’est un plaisir <strong>de</strong> travailleravec elle. C’est au cours dufilm <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Miller queje me suis rendu compteque faire l’acteur n’est pasvraiment pour moi. Clau<strong>de</strong>voulait absolument queje le fasse et j’ai accepté.Je n’aurais jamais imaginéfaire cela <strong>de</strong> ma vie. L’expériencem’a permis <strong>de</strong> voir<strong>les</strong> choses <strong>de</strong> l’autre côté etelle m’a beaucoup enrichie.L’atmosphère, son travailavec <strong>les</strong> acteurs étaient trèsproches <strong>de</strong> ce que je fais surmes plateaux, donc cela m’aplutôt rassuré.Tous vos scénarios ont étéco-écrits avec PhilippeBlasband.Philippe fait partie <strong>de</strong>mon histoire, je l’ai connuquand je travaillais encoredans la publicité. Il y a <strong>de</strong>sréalisateurs qui font touteux-mêmes, ils écrivent, ilsjouent, ils font la lumière etparfois même la musique.Je crois que je n’arrive àrien faire tout seul, et j’aimebien emprunter le talent<strong>de</strong>s autres pour réussir àfaire quelque chose ensemble.Ce qui est magnifiqueavec Philippe, ce n’est passeulement qu’il écrit trèsbien, mais qu’il racontemes histoires encore mieuxque je <strong>les</strong> ai dans la tête. Enprincipe, j’écris une histoire– Quartier lointain étaitdifférent car c’est une adaptation– assez brièvement :<strong>de</strong>ux, cinq ou dix pages.Après, je discute avec lui<strong>de</strong> ce qui est bien, <strong>de</strong> ce quine va pas, et il revient versmoi avec une réécritureen forme <strong>de</strong> scénario. Il y aencore <strong>de</strong>s parties à moi là<strong>de</strong>dans,mais c’est lui qui estle scénariste.Pour Irina Palm, l’histoirea été transposée en Angleterrepar un scénaristeanglais. Est-ce important<strong>de</strong> travailler avec quelqu’undu lieu pour avoir cegoût « local » ?Au départ, l’histoire <strong>de</strong>vaitse passer ici, à la Garedu Nord bruxelloise. Lesproducteurs vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nttous une histoire originaleet dès que vous en avezune, elle fait peur. Sébastien,le producteur belge,s’est beaucoup battu et etsa tâche était très difficilependant un moment, jusqu’àce que nous rencontrionsune productrice anglaise aufestival <strong>de</strong> Rotterdam quinous a dit : « Pourquoi ne pasle faire en anglais ? ». En tantque petit belge, je n’auraisjamais pensé à faire unfilm en anglais. Ce sont <strong>les</strong>circonstances qui nous ontpoussés à le faire, mais je nel’ai vraiment pas regretté,au contraire. Il fallait transposerl’histoire en anglais,et pour cela nous avonsfait appel à un scénaristeanglais, Martin Herron. PourQuartier lointain, où l’onavait transposé l’histoire originaledu Japon en France,on a co-écrit le scénariofinal avec Jérôme Tonnerre,un scénariste français. Pourmon nouveau film, je suisencore dans le même cas :j’ai écrit une histoire avecPhilippe, et elle se passe àNew York. En ce moment, unscénariste américain est entrain <strong>de</strong> la « faire exister » àNew York. Il s’agit surtout <strong>de</strong>la raconter dans une réalitélocale, concrète et sociale,cela fait toute la différence,et bien sûr le flair pour lalangue est important. Unehistoire ne peut pas simplementêtre traduite, on doit laréécrire. Il faut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à<strong>de</strong>s locaux : « est-ce qu’il estimaginable que cette histoireexiste ici ? » Si la réponseest « non », ne la faisons pas,parce que nous allons droitdans un mur.Quartier lointain est l’adaptationd’un manga japonais.Qu’est-ce qui vous a attirédans l’histoire originale ?Ce qui m’a plu, c’est lefait que la création peut êtreen même temps un travaild’analyse. Au lieu <strong>de</strong> secoucher sur un canapé et <strong>de</strong>créer l’histoire <strong>de</strong> son passé,on peut résoudre un problèmequi était là pendant <strong>de</strong>sannées et qui compliquait lavie. Je crois qu’en comprenantmieux son passé, onmaîtrise mieux son présent.On dit tous : « si je pouvaisrevivre ça, je le ferais autrement» ; mais je ne crois pasque c’est vrai. Les chosesessentiel<strong>les</strong> se passent commeel<strong>les</strong> doivent se passer.


38 39 GarbarskiLe Tango <strong>de</strong>sRashevski© Jean-PaulKieffer


40 41GarbarskiLe Tango <strong>de</strong>sRashevski© Jean-PaulKieffer« On dit tous : ” si je pouvaisrevivre ça, je le feraisautrement ” ; mais je ne croispas que c’est vrai. Les chosesessentiel<strong>les</strong> se passent commeel<strong>les</strong> doivent se passer. »Une fois cela compris, leprésent <strong>de</strong>vient beaucoupplus intéressant à vivre.Tous vos films ont un petitcôté mélancolique. Unetouche personnelle ?J’aime beaucoup cecôté mélancolique, je mesens bien <strong>de</strong>dans. Je penseà <strong>de</strong> bel<strong>les</strong> choses quej’ai vécues, et remettre cesentiment dans un film meplaît, même si je ne le faispas exprès ; je ne chercheen aucun cas à lier un nouveauprojet avec <strong>les</strong> filmsprécé<strong>de</strong>nts.Mais il y a bien <strong>de</strong>s élémentsrécurrents qui contribuentau ton mélancolique <strong>de</strong>chaque film. La mort ou lamenace <strong>de</strong> mort, par exemple,est toujours présente :la grand-mère morte dansLe Tango <strong>de</strong> Rashevski, lepetit-fils qui a une maladieterminale dans Irina Palm etle cimetière qui est un lieuclédans Quartier lointainen témoignent.Je ne me suis jamaisrendu compte <strong>de</strong> cetterelation entre <strong>les</strong> différenteshistoires. De surcroît, il y a<strong>de</strong> nouveau un enterrementdans mon prochain film…c’est l’histoire <strong>de</strong> quelqu’unqui par un concours <strong>de</strong>circonstances est déclarémort, et qui va à son propreenterrement pour voir ceque <strong>les</strong> gens pensent vraiment<strong>de</strong> lui. Il est déguisé ensikh, et, manque <strong>de</strong> chance,sa femme va trouver cetindien très séduisant. Laquestion d’où l’on vient,qui on est, et pourquoi <strong>les</strong>choses se passent d’unecertaine manière est peutêtrele thème commun <strong>de</strong>mes films, mais cela resteinconscient la plupart dutemps. Oui, il y a la mortaussi ; elle fait partie <strong>de</strong> lavie et elle nous préoccupe à<strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés différents au fil<strong>de</strong>s années. Elle fait souventpartie <strong>de</strong>s histoires intéressantes.Ce film new-yorkaisest une comédie dont j’espèrequ’elle sera intelligenteet vraiment très drôle. Je mesuis rendu compte que <strong>de</strong>puislongtemps, j’avais envie<strong>de</strong> faire une vraie comédie.Comme je dis toujours àmon fils : « c’est l’humour quipermet <strong>de</strong> dire <strong>les</strong> choses<strong>les</strong> plus graves ».


42 43GarbarskiSam Gabarskipar Alain BerlinerFilmographieNul n’est pré<strong>de</strong>stiné à faire du cinéma et il n’existe certespas un chemin pour faire <strong>de</strong>s films qui ressemblent à un autre.Mais tout <strong>de</strong> même, rares sont ceux qui, ayant déjà une vied’homme d’affaires couronnée <strong>de</strong> succès – un accomplissementen soi – déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> tourner la page et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir cinéaste.Sam Garbarski a fait ce choix. Au début, il en a certainementintrigué plus d’un. Fait sourire, peut-être. Voulait-iljuste réaliser <strong>de</strong>s films comme on monte <strong>de</strong>s affaires, profiterdu « glamour » et <strong>de</strong>s paillettes ? Etait-ce le caprice d’un hommequi, ayant réussi, « aurait voulu être un artiste » ? Même pas.Le Tango <strong>de</strong>s Rashevski est le film d’un cinéaste qui fait <strong>de</strong>schoix, développe un propos, expose son point <strong>de</strong> vue, bref,impose son regard. Et mène l’histoire <strong>de</strong> plusieurs personnagesen même temps en nous <strong>les</strong> rendant attachants. Celaaurait pu être la chance <strong>de</strong>s débutants. Mais Irina Palm, sur unmo<strong>de</strong> narratif très différent, puisque le film suit cette fois unseul personnage, interprété par Marianne Faithfull, confirmeavec force que Garbarski aime raconter <strong>de</strong>s parcours tordus<strong>de</strong> gens pourtant très normaux, qu’il le fait avec une gran<strong>de</strong>tendresse et une belle humanité, sans complaisance ou effetfacile. En suivant lui-même la logique <strong>de</strong>s personnages qu’ilaffectionne, il est bel et bien <strong>de</strong>venu cinéaste.Alain Berliner est un réalisateur belge. Son premier longmétrage Ma vie en rose (1997) a gagné <strong>de</strong> nombreux prix,dont le Gol<strong>de</strong>n Globe du meilleur film étranger. Son film musicalJ’aurai toujours voulu être un danseur est sorti en 2007.2010Quartier lointain—2007Irina PalmCompétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Berlin.Meilleur Film <strong>de</strong> l’UnionEuropéenne, PrixDavid di Donatello.Nomination, MeilleureActrice, EuropeanFilm Awards.Nomination, MeilleureActeur, EuropeanFilm Awards.—2003Le Tango <strong>de</strong>s RashevskiFestival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur—<strong>2000</strong>Joyeux Noël, Rachid (court).Gryphon <strong>de</strong> Bronze,Festival du Film <strong>de</strong> Giffoni.—La vie, la mort & lefoot (court).—1999La Din<strong>de</strong> (court).Quartierlointain© Entre Chienet Loup


44 45Dominique Abel& Fiona Gordon


46 47 Abel & Gordon310Dominique Abel& Fiona GordonBien que la plupart <strong>de</strong>s films belges francophonesactuels appartiennent au genre du drame, le pays,bien connu pour son mouvement surréaliste, produitégalement sa part <strong>de</strong> films plus surprenants. À cetitre, rien <strong>de</strong> plus étrange que <strong>les</strong> films signés par lecouple Dominique Abel (un Belge) et Fiona Gordon(une Canadienne née en Australie). En collaborationavec le Français Bruno Romy, le couple, basé àBruxel<strong>les</strong>, a réalisé plusieurs courts, puis <strong>de</strong>ux longsmétrages inclassifiab<strong>les</strong> : L’Iceberg et Rumba.Co-réalisateurs, co-producteurs,Abel et Gordon sontaussi <strong>les</strong> acteurs principaux<strong>de</strong> leurs films, et interprètentun couple dans <strong>les</strong><strong>de</strong>ux longs métrages (Romyapparaissant systématiquementdans <strong>les</strong> seconds rô<strong>les</strong>masculins).En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> ce duo et<strong>de</strong> Bouli Lanners, la jeunegénération <strong>de</strong> cinéastesbelges ne compte guèred’acteurs-réalisateurs.Même si Bouli Lanners n’apas joué dans Ultranova,son premier long métrage,il s’est révélé en tant qu’acteuret continue toujours <strong>de</strong>travailler <strong>de</strong>vant la caméra.Abel et Gordon, quant àeux, ont écrit, réalisé etjoué dans tous leurs filmsmais n’ont guère contribuéà d’autres projets entant qu’acteurs. Il est doncjustifié <strong>de</strong> penser que le duopossè<strong>de</strong> son propre universcinématographique.La question se pose alors <strong>de</strong>savoir si le terme d’acteurleur est approprié. Leursfilms sont en effet virtuellementmuets et <strong>les</strong> scènesgénéralement saccadéesse suivent comme autant<strong>de</strong> farces bur<strong>les</strong>ques, <strong>de</strong>comédies silencieuses,<strong>de</strong> chorégraphies et <strong>de</strong>gags visuels. Le termed’interprète semble doncplus complet.Bien que <strong>les</strong> dialoguessoient quasiment inexistants,il existe un termefrançais qui qualifie parfaitement<strong>les</strong> événementsembarrassants et malheureux,<strong>les</strong> inci<strong>de</strong>nts imprévusauxquels sont sans cesseconfrontés <strong>les</strong> personnagesd’Abel et Gordon : « Contretemps». Leur maison peutbrûler, l’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux peut seretrouver enfermé toute unenuit dans la chambre froi<strong>de</strong>d’un restaurant – ils persévèrentenvers et contre tout.Après avoir travaillé dansl’univers du mime, du théâtreet <strong>de</strong> la comédie bur<strong>les</strong>que,Abel, Gordon et Romysignent <strong>de</strong>s œuvres typéeset constantes qui prennentleur origine dans le jeu surscène mais exploitent legrand écran et certaines <strong>de</strong>ses conventions, tel<strong>les</strong> quela rétroprojection, pour obtenir<strong>de</strong>s effets hilarants.Les plans fixes, dont ils sontfriands, permettent nonseulement aux scènes chorégraphiées<strong>de</strong> se déroulersans fausses notes, maisplacent aussi <strong>les</strong> spectateursà une certaine distance,comparable au théâtre.Les couleurs ainsi que <strong>les</strong>décors, stylisés, y jouentun rôle essentiel, même si,à l’instar <strong>de</strong>s films <strong>de</strong> Tati,leur univers n’est pas dépouilléau point d’en <strong>de</strong>venirinhabitable.Tandis que L’Iceberg etRumba pourraient êtrequalifiées <strong>de</strong> comédiesbur<strong>les</strong>ques, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux filmss’attaquent aussi à <strong>de</strong>ssujets plus profonds telsque le bonheur urbain etl’immigration clan<strong>de</strong>stine. Ilexiste une mélancolie sousjacenteaux personnagesd’Abel et Gordon qui place<strong>les</strong> événements dans uneréalité certaine, même si <strong>les</strong>personnages ressemblent à<strong>de</strong>s pantins caricaturaux.En conversation avecDominique Abel etFiona GordonVous venez du mon<strong>de</strong> duthéâtre et du bur<strong>les</strong>que.Abel : Nous nous sommesrencontrés dans uneécole à Paris dans <strong>les</strong>années quatre-vingts. Nousétions tous <strong>de</strong>ux attirés parle jeu en mouvement, le jeuvisuel, et nous avons commencéà faire du théâtre.Nous avons fait plusieursspectac<strong>les</strong>, puis nous avonspetit à petit développé uneécriture pour le cinéma aucours <strong>de</strong>s années nonantepour enfin passer du courtau long métrage en 2005.Gordon : Nous sommesun peu <strong>les</strong> petits-enfants <strong>de</strong>Chaplin. Nous aimons beaucoupson mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> clowns.Il existe tout un mon<strong>de</strong> d’artistesqui travaillent avecleurs propres fail<strong>les</strong> pourfaire rire <strong>les</strong> gens – ceux-làsont notre famille.Vous êtes basés à Bruxel<strong>les</strong>,mais vous réalisez vos filmsavec l’acteur et réalisateurBruno Romy, qui est installéen France.Abel : Bruno était unclown <strong>de</strong> cirque. Nous noussommes rencontrés lorsd’une tournée théâtraledans le Calvados. Il préparaitson premier film àl’époque, et parallèlementnous commencions notrecourt métrage et on s’est dit,pourquoi ne pas travaillerensemble, et ainsi fut ! Iln’y a pas <strong>de</strong> répartition <strong>de</strong>stâches précise. C’est en essayantqu’on trouve <strong>les</strong> choses,puisque le langage quenous créons est visuel etphysique. Tant que l’un d’entrenous n’est pas d’accordavec ce que nous sommesen train <strong>de</strong> faire, on sait qu’ily a encore du travail.Gordon : Souvent quandnous répétons, Bruno nousfilme et nous regardons lerésultat ensemble. La partied’écriture proprement diteest différente parce quechacun écrit dans son coinet <strong>de</strong>s fois nos idées sontconflictuel<strong>les</strong>. Comme il estdifficile <strong>de</strong> juger <strong>de</strong> la valeurd’une idée écrite avant <strong>de</strong>l’avoir essayée, souventnous passons rapi<strong>de</strong>mentà la répétition pour voirce que cela donne. Nousjouons nous-mêmes etBruno joue tous <strong>les</strong> autresrô<strong>les</strong>, donc parfois il y ena un qui lui correspondparticulièrement et on saitd’emblée que ce sera sonrôle à l’écran.Vos films sont très singuliersdans le paysage du cinémabelge et même mondial,du moins <strong>de</strong> notre époque.Comment décririez-vous votreapproche à la création ?Abel : C’est un peucomme quand <strong>les</strong> enfants<strong>de</strong>ssinent un chat et puiscela ressemble à une table,mais c’est quand même unchat, parce que l’enfant yvoit un chat. Il y a un côténaïf, <strong>de</strong>s couleurs trèsfraîches, toute la personnalité<strong>de</strong> l’enfant y est visible.Nous abordons le cinémacomme <strong>de</strong>s enfants. Bienévi<strong>de</strong>mment, nous noussommes quand mêmerenseignés sur commentfaire un film, parce c’est unprocessus complexe. Maisnous ne voulions en aucuncas, en passant du théâtreau cinéma, perdre l’essentiel– ce qui pour nous estun regard frais et naïf sur lemon<strong>de</strong>, couplé à un sens <strong>de</strong>la convention sans lequel lethéâtre ne peut pas exister.C’est-à-dire, nous ne voulionspas <strong>de</strong>venir réalistes,tout d’un coup, juste parceque c’est une <strong>de</strong>s possib<strong>les</strong>manières <strong>de</strong> faire ducinéma. Dans un film, onpeut être dans une voiture.C’est une chose impossibleau théâtre, où l’on faitsemblant et le public faitsemblant d’y croire. NousPage suivanteL’Iceberg© LaurentThurin


48 49 Abel & Gordon


50 51 Abel & Gordon« Nous sommes un peu <strong>les</strong>petits-enfants <strong>de</strong> Chaplin.Nous aimons beaucoup sonmon<strong>de</strong> <strong>de</strong> clowns. Il existe toutun mon<strong>de</strong> d’artistes quitravaillent avec leurs propresfail<strong>les</strong> pour faire rire <strong>les</strong> gens –ceux-là sont notre famille. »jouons comme <strong>de</strong>s enfants ;dans <strong>les</strong> arts vivants il ytoute une écriture transposéeà cet effet et nousavons voulu la conserverdans le cinéma.Donc vous ne voyez pas lethéâtre et le cinéma comme<strong>de</strong>ux choses séparées ?Abel : Nous ne noussommes jamais dit que nousallions faire « du théâtre ».Au départ, nous étions plusinspirés par <strong>les</strong> clowns <strong>de</strong>cinéma que par ceux qu’onconnaît du théâtre ou ducirque. Nous avons commencépar faire du théâtresimplement parce que nousvenions d’une école où nousavons appris à jouer sur <strong>de</strong>splanches.Gordon : Il est vrai que<strong>les</strong> grands clowns du cinémaont souvent commencépar le théâtre et sont passésau cinéma par après. Mais àl’époque où ils ont commencé,il n’y avait que le théâtreou le music hall. À notreépoque, tout existait déjà,donc nous avons toujourseu en tête une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>chemins possib<strong>les</strong>, que cesoit le cirque, le théâtre, larue ou l’écran. Nous sautons<strong>de</strong> l’un à l’autre en fonctiond’où nous emporte le vent.Qu’est-ce que le cinémavous a apporté <strong>de</strong> nouveau,comment vous a-t-il aidéà vous développer en tantqu’artistes ?Gordon : Les films nouspermettent <strong>de</strong> réfléchir unpeu plus. Le théâtre a uncaractère très éphémère. Ladifférence, dans le cinéma,c’est que l’on peut créer lecadre et une fois qu’il a étécréé, il y restera, et noussommes heureux qu’il soittoujours là, sur la pellicule.Abel : La gran<strong>de</strong> différencepour nous, c’était letravail sur le découpage, quin’existe pas au théâtre. Lethéâtre te présente avec unplan-séquence d’une heureet <strong>de</strong>mie ; c’est une trèsbonne école parce que trèsdifficile. Au cinéma, il y a <strong>les</strong>possibilités d’ellipses, <strong>de</strong>découpage et le jeu avec <strong>les</strong>cadres qui est très jouissifpour nous.Vous dites que vos filmsne sont pas réalistes, mais<strong>les</strong> personnages semblentnéanmoins assez proches <strong>de</strong>vous-mêmes.Abel : Nous ne sommespas dans une recherche sociologique.Nous ne voulonspas dire aux spectateurs :« regar<strong>de</strong>z un peu commentvous êtes ». Nous voulonsplutôt dire : « regar<strong>de</strong>z commentnous sommes ». Nousessayons <strong>de</strong> rentrer dans celangage. Les clowns, ce sontquand même <strong>de</strong>s gens quiont l’air impuissants dansun mon<strong>de</strong> qui <strong>les</strong> domine,<strong>de</strong>s gens trop lents dansun mon<strong>de</strong> où il faut allervite, <strong>de</strong>s gens qui n’ont pasun physique idéal dans unmon<strong>de</strong> où tout le mon<strong>de</strong>doit être beau.Gordon : Les lieux où sepassent nos histoires sontvariab<strong>les</strong> ; dans tous <strong>les</strong>milieux il y a ceux qui sontefficaces et ceux qui ne <strong>les</strong>ont pas, ce n’est ni particulieraux riches en ville ni auxpauvres à la campagne.Abel : Nous cherchons labeauté dans la différence oudans le défaut. C’est ce quinous passionne.Etant donné qu’il n’y a pasbeaucoup <strong>de</strong> dialogues –quelle que soit la langue quevous utilisez – que <strong>les</strong> lieuxne sont pas tout <strong>de</strong> suitereconnaissab<strong>les</strong>, et que<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s trois réalisateursne sont pas nés en Belgique,diriez-vous que vous faites<strong>de</strong>s films belges ?Abel : Il y a dans nosfilms une autodérision propreà beaucoup <strong>de</strong> Belges.Nous avions un managerpour le théâtre, une Parisienne,mère d’un enfantque nous avons connuquand il avait cinq ans. Età cinq ans il avait déjà unvocabulaire plus étendu quemoi. En Belgique, nous parlonsbeaucoup moins qu’enFrance – même si on parletoujours dix fois plus qu’unAki Kaurismäki.Gordon : Il est vrai que<strong>les</strong> films belges sont rarementbavards. Les FrèresDar<strong>de</strong>nne ne sont pas bavards,Bouli Lanners ne l’estpas non plus dans ses filmset il y a beaucoup <strong>de</strong> cinéastesbelges qui trouventautre chose que le langagepour s’exprimer.Même si vos longs métragessont presque muets, tous<strong>de</strong>ux débutent par la parole.Gordon : Dans L’Iceberg,c’est fait exprès, dans <strong>les</strong>ens où nous ne savions pascomment <strong>les</strong> gens allaientréagir à notre style. Nousnous sommes <strong>de</strong>mandé audépart : « comment fairecomprendre aux gens tout<strong>de</strong> suite que ce qui suit estune fable ? ». Pour Rumba,c’est plutôt un hasard. Lesmots employés dans cettescène sont presque <strong>de</strong>sgestes. Ils sont comme unesonorité, une plaisanterie àne pas comprendre, doncc’est tout à fait autre choseque <strong>de</strong> parler pour dire quelquechose.Abel : C’est JacquesTati, je crois, qui disait <strong>de</strong>son film Mon oncle, qu’ilavait mis le dialogue dans<strong>les</strong> sons. Chez nous, cen’est pas tout à fait ça,mais on n’en est pas loin.Nous utilisons très peu <strong>de</strong>musique ; jusqu’à présentnous n’avons jamais vouluappuyer ou sous-titrer <strong>les</strong>sentiments <strong>de</strong>s personnagespar la musique. Il nereste alors peut-être plusque le son pour exprimercertaines choses.Gordon : Ce n’est pasqu’il y aurait, <strong>de</strong> notrepart, un refus <strong>de</strong> la parole.On improvise, et souventau départ il y a <strong>de</strong>s dialogues.Mais petit à petit,en affinant <strong>les</strong> scènes, ces<strong>de</strong>rniers disparaissent toutnaturellement.Le cinéma offre la possibilité<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>les</strong> personnages<strong>de</strong> très près, mais ce n’estpas quelque chose que l’onretrouve dans vos films. Auniveau du cadrage, vousmontrez surtout <strong>de</strong>s corpsen entier.Abel : Nous aimons bien<strong>les</strong> corps et comment ilsbougent. Il n’y a pas beaucoup<strong>de</strong> dialogues, donc onaime bien mettre en avantce que le corps est en train<strong>de</strong> dire. Forcément, il fautrester à distance avec lacaméra pour bien le montrer.Nous affectionnons<strong>les</strong> cadres fixes parce qu’ilslaissent le rythme à l’acteurau lieu <strong>de</strong> le déléguer à latechnique ; <strong>de</strong>s plans entierspour avoir toute l’émotiondu jeu <strong>de</strong> A à Z sansla truquer.Gordon : Nous ne sommespas vraiment intéresséspar la psychologie. Plutôtque <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>viner ce quise passe dans la pensée <strong>de</strong>spersonnages, nous mettonsl’accent sur d’autres signessusceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> faire découvrir<strong>les</strong> êtres humains dansnos films.Abel : Il y a <strong>de</strong>s bobinesentières où l’on ne ditpas un mot. Nous ne nousempêchons pas <strong>de</strong> parler,ni n’avons la nostalgie ducinéma muet. C’est commeune peinture : certains seconcentrent sur <strong>les</strong> lignes,d’autres sur <strong>les</strong> couleurs.Les couleurs forment unmo<strong>de</strong> d’expression à partentière, ce sont <strong>de</strong>s signesqui s’adressent aux sens <strong>de</strong>la personne, et nous aimonsbeaucoup ce côté <strong>de</strong> sentimentstransposés.Les films exhibent un côté« fait main » très fort, quis’aperçoit surtout au niveau<strong>de</strong>s trucages.Gordon : Le fait quenous n’avons pas beaucoupd’argent pour <strong>les</strong> tournagesnous oblige à bricoler,à réfléchir à <strong>de</strong>s solutions.Nous tenons beaucoup àcette touche humaine quivient <strong>de</strong>s choses bricolées,mais nous savons très bienque si on nous offrait <strong>de</strong>faire du numérique, nous neresterions pas forcément


52 53 Abel & GordonL’Iceberg© Laurent Thurin


54 55Abel & Gordon« Nous ne voulions en aucun cas, en passantdu théâtre au cinéma, perdre l’essentiel – cequi pour nous est un regard frais et naïf surle mon<strong>de</strong>, couplé à un sens <strong>de</strong> la conventionsans lequel le théâtre ne peut pas exister. »Rumba© Laurent Thurin Nalavec la vieille rétroprojection,juste pour faire commeHitchcock. Jusqu’à présent,nous avons toujours trouvé<strong>les</strong> vieux trucages trèschouettes.Abel : Les clowns ontl’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> signaler leurvision du mon<strong>de</strong> à travers<strong>les</strong> couleurs, <strong>les</strong> costumes,<strong>les</strong> effets spéciaux etdonc, la manière <strong>de</strong> filmer.C’est pour cela que nouscherchons toujours <strong>de</strong>strucages qui dégagent uneconnivence. Il faut sentirqu’on y joue. Dans le théâtre,si on n’a pas ce sousentenduavec le public,on meurt sur scène. Nousessayons <strong>de</strong> créer un cinémaqui gar<strong>de</strong> ce lien-là envie – où <strong>les</strong> gens rient parcequ’ils se reconnaissent,parce qu’on se montre unpeu maladroit, parce qu’il ya <strong>de</strong> l’autodérision.Même avec peu <strong>de</strong> moyens,vos films sont très forts,visuellement.Abel : Nous avonstoujours développé notreunivers à travers quelquesobjets seulement, et nousavons un sens <strong>de</strong> l’épuréqui est presque mandataireau théâtre. C’est unpeu comme la ligne claired’un <strong>de</strong>ssin animé ; si onmet peu <strong>de</strong> choses, on serad’autant plus attentif à cequ’on y met.Gordon : Il nous importeque ces objets aient unélément <strong>de</strong> vécu. Parfois <strong>les</strong>gens pensent que nous sommesnostalgiques avec nosvieux trucs, mais c’est plutôtque nous aimons bien que<strong>les</strong> objets et <strong>les</strong> vêtementsaient une vie antérieure.Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux films, on al’impression qu’il y a plein<strong>de</strong> choses que le personnageinterprété par Dominiquene réalise pas, ou n’arrivepas à saisir.Abel : Partiellement,c’est dans ma personnalité.C’est un thème intéressant,quelqu’un qui se sent transparent,qui a l’impression<strong>de</strong> n’exister pour personne.Un peu comme dans LaRuée vers l’or, où Chaplinarrive dans un bar et il y aune femme qui cherche unhomme, et elle fait tout letour <strong>de</strong> Chaplin.Gordon : Elle voit toutsauf lui. Les clowns onttoujours joué avec le faitqu’ils sont inexistants dansle mon<strong>de</strong>.Abel : Mais ils veulentexister, c’est ça le fond <strong>de</strong>sclowns, c’est un désir qu’ilsne laissent jamais tomber,même s’il peut <strong>les</strong> faire tombertrès bas. Rumba parlait<strong>de</strong> cette fragilité du bonheurmais aussi <strong>de</strong> la fragilité dumalheur ; il y a une espèced’adaptation avec l’espoirqui revient. C’est un peucomme si c’était le corpsqui s’en souvenait mais pasla mémoire, et dans un senscela reflète bien notre style.Dans L’Iceberg et dansRumba vous jouez un couple.Est-ce que ce sera <strong>de</strong>nouveau le cas pour votretroisième film, La Fée ?Abel : Non, nous nejouons pas un couple. La Féeest l’histoire d’un veilleur <strong>de</strong>nuit, joué par moi, qui travailledans une ville <strong>de</strong> béton(filmé au Havre). Un soir,je vois arriver une femmeaux pieds nus et en pyjama :une fée. Elle me donne droità trois vœux, dont <strong>de</strong>ux seréalisent tout <strong>de</strong> suite, puiselle disparaît. Alors j’essaye<strong>de</strong> la retrouver.Gordon : Dans nos pièces,nous avons toujoursjoué <strong>de</strong>s personnes qui serencontraient, sauf dans un,qui d’ailleurs n’a pas fonctionné.Néanmoins, avecce film, nous nous sommesrésolus à faire autre chosequ’un couple !


56 57 Abel & GordonDominique Abel etFiona Gordonpar Nathanaël KarmitzFilmographieCe que j’aime dans <strong>les</strong> films <strong>de</strong> Abel, Gordon et Romyc’est que c’est une forme <strong>de</strong> bur<strong>les</strong>que contemporain. ChezMK2, on gère <strong>les</strong> films <strong>de</strong> Charlie Chaplin et <strong>de</strong> Buster Keaton,donc c’est beau <strong>de</strong> pouvoir dire que, cent ans après eux, il y a<strong>de</strong>s films qui continuent dans la même ligne. Je <strong>les</strong> ai rencontréspour la première fois dans un festival où ils étaient avecL’Iceberg, qu’on a ensuite acheté pour la France et le reste dumon<strong>de</strong>. Après, on a produit leur second long métrage, Rumba,et aussi leur nouveau film, La Fée. Même si il y a un côtébelge au niveau <strong>de</strong> la sensibilité à l’humour, leur cinéma estun vrai cinéma universel qui s’exporte très bien. C’est un cinémad’expression avec <strong>de</strong>s histoires simp<strong>les</strong>, très humaines,basées sur <strong>les</strong> corps et le gestuel, avec très peu <strong>de</strong> dialogues.Ce sont <strong>de</strong>s films qui sont compréhensib<strong>les</strong> aussi bien en Europequ’en Asie, aux Etats-Unis et ailleurs.Nathanaël Karmitz est un producteur français. Il a produit,entre autres, Rumba <strong>de</strong> Abel, Gordon et Romy, Paranoid Park(2007) <strong>de</strong> Gus <strong>Van</strong> Sant, L’Heure d’été (2008) d’Olivier Assayaset Copie Conforme (2010) <strong>de</strong> Abbas Kiarostami.2011La Féeen production.—2008RumbaSéance spéciale, Semaine<strong>de</strong> la Critique, Festivaldu Film <strong>de</strong> Cannes.Compétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Stockholm.Prix du Jury Carnet Jove,Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Sitges.Meilleur Film, Festivalinternational duFilm <strong>de</strong> Zagreb.Prix spécial du Jury, FestivalRiver Run Winston Salem.—2005L’IcebergZabaltegi, Festival duFilm <strong>de</strong> San Sebastian.Cercle Précolombien d’Or,Festival du Film <strong>de</strong> Bogota.Meilleur Film, Festivalinternational duFilm <strong>de</strong> Zagreb.Meilleur Film,Molodist (Kiev).Prix d’interprétationféminine, Molodist (Kiev).New Directors FilmFestival <strong>de</strong> New York.—2003Walking on the WildSi<strong>de</strong> (court).Festival international duFilm <strong>de</strong> Karlovy Vary.Meilleur court métragebelge, Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.—1997Rosita (court).Meilleur court métragebelge, Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.—1994Merci cupidon (court).


58 59MichaWald


60 61 WaldMichaWaldPlusieurs cinéastesbelges ont exploré<strong>les</strong> dynamiquesfamilia<strong>les</strong>, dontJoachim Lafosse,Ursula Meier et SamGarbarski. Maisseul Micha Wald asuggéré avec forceque c’est la familleet non la situationgéographique quiest constitutive duvéritable chez-soi.Dans ses <strong>de</strong>ux longsmétrages, Voleurs<strong>de</strong> chevaux et SimonKonianski, <strong>de</strong>sfamil<strong>les</strong> se déplacentmais leur sentimentd’appartenance resteabsolument intact.410Dans le film historique Voleurs<strong>de</strong> chevaux, <strong>de</strong>ux coup<strong>les</strong><strong>de</strong> frères se traquent« quelque part à l’est en1810 ». Deux frères, Jakub,le plus âgé et sauvage <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux, et son frère ca<strong>de</strong>t,Vladimir, plus timi<strong>de</strong>, sechamaillent dans une rivièrelorsqu’un autre couple <strong>de</strong>jeunes frères dérobent leurschevaux et s’enfuient.La séquence d’ouvertureinstalle d’emblée une symétrieparfaite. Le premiercouple <strong>de</strong> frères, qui ontété entraînés par <strong>les</strong> Cosaques,et le second, secorrespon<strong>de</strong>nt avec unenette domination du frèrele plus âgé et expérimentésur le plus jeune. La symétries’étend ensuite à lanarration puisque <strong>les</strong> <strong>de</strong>uxpremiers segments du filmanalysent chaque couple <strong>de</strong>frères séparément avant <strong>de</strong>déboucher sur une véritablepoursuite acharnée quiunira à l’écran <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux coup<strong>les</strong>dans la troisième partiedu film.Malgré une apparentesimplicité dans ce mon<strong>de</strong>violent et orphelin, le regardque porte Micha Wald surl’amour et <strong>les</strong> chamailleriesfraternels n’est pas aussisimpliste qu’il le suggère. Endépit du peu <strong>de</strong> dialogues,<strong>les</strong> rapports entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>uxcoup<strong>les</strong> <strong>de</strong> frères sont complexeset bien réels.Le cinéaste, né à Bruxel<strong>les</strong>,essaie <strong>de</strong> botteler <strong>les</strong> traits<strong>de</strong> caractère qui ren<strong>de</strong>ntses personnages uniques,<strong>les</strong> liens universels qu’ilspartagent ainsi que l’environnementdans lequelils vivent – un contextedicté par <strong>les</strong> us et coutumesspécifiques à l’époque etau milieu. La tension et <strong>les</strong>contrastes entre ces différentséléments ren<strong>de</strong>ntle cinéma <strong>de</strong> Wald à la foiscomplexe et cohérent.Sur un ton bien plus comiqueque le précé<strong>de</strong>nt,Simon Konianski, le secondlong métrage <strong>de</strong> Wald,opère plus ou moins selon<strong>les</strong> mêmes co<strong>de</strong>s. Le film retracel’histoire d’une famillemo<strong>de</strong>rne juive basée enBelgique dont aucun membrene sait gar<strong>de</strong>r sa languedans sa poche. Tout d’abord,la fascination envers l’est,où l’on retrouve <strong>les</strong> racinesfamilia<strong>les</strong> <strong>de</strong> la famille Konianski(tout comme cel<strong>les</strong><strong>de</strong> la famille Wald, d’ailleurs)est toujours présente, maisle film se penche égalementsur <strong>les</strong> liens masculinstendus au sein d’une famille,même si dans ce cas précis,il s’agit <strong>de</strong> ceux qui unissentun grand-père, un père etun fils. Une fois <strong>de</strong> plus, i<strong>les</strong>t impossible <strong>de</strong> comprendrele clan sans prendre enconsidération <strong>les</strong> contexteshistoriques et sociétaux quil’entourent, même si le filmse concentre davantagesur <strong>les</strong> protagonistes dufilm, à l’image <strong>de</strong> Voleurs<strong>de</strong> chevaux.Le travail <strong>de</strong> Jean-Paul <strong>de</strong>Zaeytijd, directeur <strong>de</strong> laphotographie (ainsi quecelui <strong>de</strong>s personnes responsab<strong>les</strong>pour <strong>les</strong> repérages)est un élément-clé qui permet<strong>de</strong> comprendre que lechez-soi est universel. Bienque <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux films soienten partie situés en Europe<strong>de</strong> l’est, l’environnementsemble ordinaire et permetVoleurs <strong>de</strong>chevaux© Versusproduction,StéphanePuopolo


SimonKonianski© Versusproduction,LaurentThurin Nal62 63 Wald


64 65Wald« Je n’en suis qu’à mes débutset mon style n’est pas encoreassez particulier pour ne pasressembler à d’autres. C’estrare, <strong>les</strong> gens qui ont une pattedès le départ. »SimonKonianski© Versusproduction,LaurentThurin Nalaux spectateurs belges eteuropéens du nord <strong>de</strong> <strong>les</strong>appréhen<strong>de</strong>r comme <strong>de</strong>sendroits bien connus etnon lointains.Dans Simon Konianski, c’esten connaissance <strong>de</strong> causeque Wald joue avec la familiarité.À ce titre, il utilise<strong>de</strong>s chansons à consonanceslatines comme contrepointet fait <strong>de</strong> la mère dufils du personnage principalune goy espagnole et <strong>de</strong>son nouvel amant un brésilien,créant ainsi un parfumd’exotisme qui se démarqueclairement <strong>de</strong> l’est et <strong>de</strong>l’ouest réunis.En conversation avecMicha WaldDans <strong>les</strong> critiques <strong>de</strong> vosfilms, dans chacune <strong>de</strong>vos interviews, <strong>de</strong>s noms<strong>de</strong> grands cinéastes et <strong>de</strong>chefs-d’œuvre semblentbouillonner à la surface…Comment cela se fait-il, et,est-ce que cela vous gèneque ce n’est jamais simplement« un film <strong>de</strong> MichaWald » ?On a toujours besoin<strong>de</strong> citer <strong>de</strong>s références, <strong>de</strong>catégoriser et <strong>de</strong> tenter<strong>de</strong>s comparaisons. C’estnormal. Après, même pourmoi, chaque projet a sesfilms <strong>de</strong> référence. PourVoleurs <strong>de</strong> chevaux, c’étaitLes Duellistes et DersuUzala <strong>de</strong> Kurosawa que nousavons beaucoup regardésavec l’équipe. Pour SimonKonianski, c’était The Big Lebowskiet La Famille Tenenbaum.Mais ne me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>zpas <strong>de</strong> me placer entre<strong>les</strong> frères Coen, Kurosawa,Wes An<strong>de</strong>rson, Kubrick etje ne sais pas qui d’autre. Jeprends un peu <strong>de</strong> chacun,mais je ne sais pas vraimentme situer. Je n’en suis qu’àmes débuts et mon stylen’est pas encore assez particulierpour ne pas ressemblerà d’autres. C’est rare,<strong>les</strong> gens qui ont une pattedès le départ. Wes An<strong>de</strong>rsona tout <strong>de</strong> suite trouvé sasignature ; ce qu’il fait esttrès maniéré et <strong>les</strong> costumeset <strong>les</strong> décors prennentune place bien plus importanteque <strong>les</strong> personnagesou l’histoire. Avec <strong>les</strong> frèresCoen, leurs premiers filmssont assez différents l’un <strong>de</strong>l’autre. Je pense que la patteindividuelle met du tempsà venir et ce n’est qu’aprèsplusieurs films qu’unestructure se démarque clairement.Évi<strong>de</strong>mment, on aenvie <strong>de</strong> comparer tel débutantà tel maître. On dira queBouli Lanners est le Jim Jarmuschbelge, que JoachimLafosse est le Haneke belgeet ainsi <strong>de</strong> suite. Coller <strong>de</strong>sréférences à un jeune artisteest facile car, au final, tout adéjà été fait. Surtout <strong>les</strong> réalisateursqui s‘intéressentintensément aux acteurset aux histoires finissentpar faire <strong>de</strong>s choses qui ontdéjà été faites et vues. Il n’ya rien <strong>de</strong> grave là-<strong>de</strong>dans ;que tout le mon<strong>de</strong> fasse à sasauce et que ça plaise. À lafin, c’est le but principal.


66 67 WaldDans vos <strong>de</strong>ux films, on senttrès fort la présence <strong>de</strong> racinesdont <strong>les</strong> ramificationspartent ailleurs… un peucomme dans l’histoire <strong>de</strong>votre famille.Mes grands-parentsviennent <strong>de</strong> Pologne etd’Ukraine tandis quemes parents et moi sommesnés ici. Mes parentscomprenaient encore leyiddish, mes grands-parentsparlaient toutes <strong>les</strong> langues<strong>de</strong>s pays <strong>de</strong> l’Est. Je me sensbelge, je me sens juif et jeme sens assez proche <strong>de</strong>cette zone Pologne-Ukraine.En même temps, j’ai <strong>de</strong> lafamille partout. Voleurs <strong>de</strong>chevaux, je l’aurais bienfait en russe ou en anglais.Mais pour un premier film,je me sentais comme obligé<strong>de</strong> le faire en français. Parailleurs, le faire en russeme paraissait compliqué ;en anglais, ça me semblaitun peu effrayant aussi. Aufinal, il y avait quand mêmedéjà <strong>les</strong> chevaux, <strong>les</strong> décors,<strong>les</strong> scènes <strong>de</strong> combat et <strong>les</strong>casca<strong>de</strong>s. Si en plus j’avaisdû faire jouer <strong>les</strong> acteurs enrusse, je crois que je serais<strong>de</strong>venu fou. Mais pour <strong>les</strong>uivant, qui <strong>de</strong>vrait être enanglais, je me dis que c’estune nouvelle aventure.Est-ce que vous vous sentezun cinéaste belge ou francophone?Je ne sais pas très bience que c’est qu’un cinéastebelge. Quand je regar<strong>de</strong> <strong>de</strong>près <strong>les</strong> autres réalisateurs<strong>de</strong> ma génération, je nevois pas autant <strong>de</strong> pointscommuns. Il y avait le « filmsocial » et le surréalismebelge, mais j’ai l’impression<strong>de</strong> n’être ni dans l’un nidans l’autre. Je ne sais passi je fais <strong>de</strong> l’humour juif ou<strong>de</strong> l’humour belge ou unamalgame <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux. Pourmoi c’est un hasard d’êtreici et j’en suis très content. Ily a beaucoup d’avantages.Mais je pourrais faire <strong>de</strong>sfilms ailleurs, aussi. Que cesoit Bouli Lanners, JoachimLafosse, Olivier Masset-Depasse,Fabrice du Welz oumoi : on fait <strong>de</strong>s films trèsdifférents. S’il y a une caractéristiqueunifiante, c’estla liberté. Nous sommeslibres <strong>de</strong> faire un cinémabien moins formaté qu’enFrance parce qu’on n’estpas tributaires <strong>de</strong>s chaînes<strong>de</strong> télé et parce qu’on estd’accord <strong>de</strong> faire souvent<strong>de</strong>s films sous-financés, <strong>de</strong>spetits films.Pourquoi étiez-vous si clairementdécidé que Voleurs<strong>de</strong> chevaux <strong>de</strong>vait être votrepremier long métrage ?Parce que c’est le genre<strong>de</strong> film qui m’a fait rêvertoute mon enfance. C’est envoyant Barry Lyndon que j’aieu envie <strong>de</strong> faire du cinéma,et je me suis dit : si je ne faispas un tel projet maintenant,je ne le ferai jamais.Si j’avais commencé parSimon Konianski, j’auraispeut-être continué danscette veine-là. Peut-êtreque je me cherche encore ;pour l’instant je n’ai faitque trois courts et <strong>de</strong>uxlongs, ce qui est à la foisbeaucoup et rien. Je ne saispas encore ce que j’aimeou fais le mieux. Est-ce quec’est la comédie ou <strong>les</strong> filmsépiques et d’aventures ?J’aime <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux, et pourle prochain j’espère avoirréglé le problème, car je fais<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux à la fois ; c’est unecomédie d’aventures.Simon Konianski est inspirépar votre court métragecomique Alice et moi. Ilsemble que vous avez toujourseu l’envie <strong>de</strong> faire et<strong>de</strong>s comédies et <strong>de</strong>s filmsd’aventures…Après Voleurs <strong>de</strong> chevaux,qui est néanmoins unfilm d’époque assez lourd,tourné avec une grosseéquipe, j’ai préféré faire unprojet plus familial, qui parled’ailleurs <strong>de</strong> moi et <strong>de</strong> mafamille. Simon Konianski esten effet un film plus simple,comme Alice et Moi, qui estcertes lié à ma personnemais beaucoup moins àmes envies. Ce sont là <strong>de</strong>sacci<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> parcours. Jen’aurais jamais pensé qu’unjour, j’écrirais une comédie,mais cela s’est produitcomme ça. Alice et Moi étaitun scénario que j’avais écritpour régler <strong>les</strong> comptesavec une ex ; c’était un filmpour dire tout le mal que jepensais d’elle. Elle m’a laissétomber et j’avais mal. Jevoulais me venger. Voilà, letemps passe, l’écriture est<strong>de</strong>venue drôle, et au finalc’est <strong>de</strong>venu Alice et moi,celui <strong>de</strong> mes films qui a lemieux marché. Bizarrement,j’y ai pris beaucoup <strong>de</strong> plaisiret je voulais creuser dans<strong>les</strong> choses sur ma familleet sur moi, et le résultat estSimon Konianski. Mais lacomédie est vraiment venuetrès tard. Pendant cinq, sixans il n’y avait que <strong>de</strong>s histoiresépiques et rugueuses,<strong>de</strong>s histoires <strong>de</strong> vengeance,<strong>de</strong> famille.La vengeance et surtoutla famille sont <strong>de</strong>s thèmesrecurrents.Ce sont <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux grandsthèmes essentiels, et dansVoleurs <strong>de</strong>chevaux© Versusproduction


68 69 Wald« Nous sommes libres <strong>de</strong> faireun cinéma bien moins formatéqu’en France parce qu’on n’estpas tributaires <strong>de</strong>s chaînes<strong>de</strong> télé et parce qu’on estd’accord <strong>de</strong> faire souvent<strong>de</strong>s films sous-financés,<strong>de</strong>s petits films. »la famille ce seraient plusparticulièrement <strong>les</strong> histoires<strong>de</strong> frères et <strong>de</strong> fratries.Peut-être que maintenant<strong>les</strong> histoires <strong>de</strong> père et <strong>de</strong>fils gagnent en importanceparce que j’ai <strong>de</strong>s enfants.Je viens <strong>de</strong> déménager et jesuis tombé sur <strong>de</strong>s projetsque j’ai <strong>de</strong>puis que j’ai 18ans, et <strong>les</strong> histoires <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxfrères ou <strong>de</strong> père et <strong>de</strong> filsy reviennent à chaque fois.Nous sommes quatre frères,dont un qui a pratiquementle même âge que moi etavec qui j’ai grandi. Avec lui,j’ai tout fait ; on habitait lamême petite chambre. Onétait très proche, une vraierelation <strong>de</strong> frères, un amourhaine,où l’on partage toutet rien.Est-ce que votre famille apprécievos films, bien qu’ilsparlent d’eux ?Ma famille est fan <strong>de</strong>mes films. Ils savent quedans le cinéma, tout estamplifié. Pour Voleurs <strong>de</strong>chevaux, mon frère m’a dit« quand même ! », mais il yavait un peu <strong>de</strong> mon frèreet <strong>de</strong> moi dans chacun <strong>de</strong>scoup<strong>les</strong> <strong>de</strong> frères, donc çaallait. Ce qui est marrant,c’est que mon producteur aaussi un frère très proche,donc il trouvait ça chouette.Je fais un cinéma assez proche<strong>de</strong> moi, mais à chaquefois, il faut que le cadre soittrès différent, comme leGrand Nord, la forêt amazonienneou la science-fiction.J’aime bien le cinéma quifait rêver.Autre chose qui fait rêver,c’est l’envie <strong>de</strong> voyager <strong>de</strong>vos personnages.J’aime beaucoup voyageret j’aime surtout lalittérature <strong>de</strong> voyage. KnutHamsun parle beaucoup<strong>de</strong> vagabonds et <strong>de</strong> voyageurset j’aime bien Conrad,Melville, Stevenson et <strong>les</strong>récits <strong>de</strong> voyage, qui sontd’ailleurs souvent <strong>de</strong>s récitsinitiatiques. J’ai toujoursrêvé <strong>de</strong> quitter la Belgique,j’ai essayé plusieursfois mais à chaque fois,j’ai échoué. On a toujoursl’impression que c’est mieuxailleurs, ça fait partie <strong>de</strong>mes rêves, et le cinéma estune mise en images <strong>de</strong> cesrêves. J’ai beaucoup voyagéquand j’étais jeune, maintenantavec <strong>les</strong> enfants c’estun peu plus difficile. Maisdès qu’ils seront un peuplus grands, on partira enfamille, en Mongolie, fairedu cheval dans <strong>les</strong> pampas.Des choses comme ça nousnourrissent très fort. Pourun cinéaste, c’est vraimentgai <strong>de</strong> tourner ailleurs. Jen’ai pas <strong>de</strong> chance pourl’instant : je me tape soit laPologne soit l’Ukraine, ce nesont pourtant pas <strong>les</strong> endroits<strong>les</strong> plus merveilleux.J’essaie désespérément <strong>de</strong>faire un projet dans un paysoù il fait chaud !Vos longs métrages racontent<strong>de</strong>s histoires inscritesdans un lieu et une époquetrès spécifiques, mais quiauraient finalement pu sepasser n’importe où et n’importequand.C’est parce que c’estfinalement l’histoire <strong>de</strong>spersonnages qui m’intéresse.Au final, <strong>les</strong> décors ettout ce que je mets en placem’importent peu. Pour Voleurs<strong>de</strong> chevaux, je me suisun peu perdu, et à un momentje me <strong>de</strong>mandais ceque j’étais en train <strong>de</strong> faire ;j’étais beaucoup plus à l’aisedans la <strong>de</strong>uxième partie,où il n’y avait plus que troispersonnages dans la forêt etune espèce <strong>de</strong> duel implacable.Même chose pourSimon Konianski, où la partiedans l’appartement entrele père et le fils à Bruxel<strong>les</strong>est la plus réussie. Plus onfait, plus on apprend à seconnaître.Votre troisième film est unecomédie d’aventures.Le scénario, qui estpresque écrit, est librementinspiré <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux nouvel<strong>les</strong><strong>de</strong> Jack London, un écrivainque j’adore et que jelis <strong>de</strong>puis très longtemps.J’ai redécouvert Londonavec Construire un feu etpar après, j’ai lu quelquesautres romans. Je me suisrendu compte que c’étaitquelqu’un <strong>de</strong> complètementdifférent <strong>de</strong> ce qu’on voulaitprésenter au jeune public.C’est quelqu’un d’assez noiret <strong>de</strong> désespéré, qui a unevision <strong>de</strong> l’humanité plutôtterrible et un humour noirqui me correspond bien.En plus, cela se passe dansle Grand Nord, et c’estquelque chose qui m’abeaucoup attiré. Ce seraune comédie d’aventuresavec <strong>de</strong>s trappeurs et unemine d’or, <strong>de</strong>s indiens et <strong>de</strong>sesquimaux. C’est un grosprojet que l’on va tourner enanglais, au Canada. J’espèreque ça va rouler comme <strong>les</strong><strong>de</strong>ux autres, avec <strong>les</strong>quelsje n’ai pas vraiment eu <strong>de</strong>problèmes, où tout est alléassez vite entre l’achèvementdu scénario, le financementet le tournage. Mes<strong>de</strong>ux longs étaient trèscompliqués au niveau <strong>de</strong>spréparatifs, dans le cas dupremier, atroce, et mêmepire pour le <strong>de</strong>uxième,donc je commence à m’yconnaître. Je me dis, cettefois-ci, je serai un peu plussage, j’apprendrai <strong>de</strong> meserreurs et je ne fonceraipas tête baissée en medisant qu’on va y arrivercoûte que coûte. Je vaisessayer <strong>de</strong> prendre plus <strong>de</strong>temps et <strong>de</strong> faire tout biencorrectement.Donc encore un projet trèsambitieux. Vous n’aimez pas<strong>les</strong> petits films ?J’essaye <strong>de</strong>puis longtemps<strong>de</strong> trouver unehistoire avec peu <strong>de</strong> personnages,quelque choseque je pourrais faire avecpeu <strong>de</strong> moyens, mais jen’y arrive pas. Je ne vousparle même pas <strong>de</strong> tous <strong>les</strong>projets mégalomanes quej’ai écrits mais que je nepeux pas faire maintenant,parce qu’il faudrait que jesorte un grand succès pourpouvoir <strong>les</strong> sortir du tiroir. Ily a toujours quelque chosequi fait que le projet estambitieux, et pas mal <strong>de</strong>mes projets sont dorénavanten anglais. J’ai vraimentenvie <strong>de</strong> tourner dans cettelangue pour une simpleraison : le casting. Pour nepas être bloqué, pour ne pasvouloir <strong>les</strong> mêmes personnesque tout le mon<strong>de</strong> veut.J’écris <strong>de</strong>s personnages quiont mon âge, ou quelquesannées <strong>de</strong> plus, et dans lemon<strong>de</strong> francophone, <strong>les</strong>4 ou 5 stars qu’il faut pouravoir un budget raisonnab<strong>les</strong>ont <strong>les</strong> mêmes que toutle mon<strong>de</strong> sollicite : RomainDuris, Guillaume Canet… J’aieu <strong>de</strong>ux expériences d’attente,pendant <strong>de</strong>s mois et<strong>de</strong>s mois, et jamais je n’ai eu<strong>de</strong> réponse. Dans le mon<strong>de</strong>anglo-saxon, il y a beaucoupplus <strong>de</strong> cinq personnes <strong>de</strong>30-45 ans capab<strong>les</strong> <strong>de</strong> déclencherun financement, etça vaut la peine d’essayer !


70 71 WaldSimon Konianskipar Jonathan ZaccaïFilmographieSimon Konianski est partiellement basé sur la vie du réalisateurMicha Wald dont j’avais beaucoup apprécié le courtmétrage Alice et moi. Le tournage, qui s’est en majorité déroulédans une voiture, était une vraie aventure, je me suis retrouvéquasi en huis clos avec mes partenaires hors normes,puisque l’actrice qui interprète ma tante Irene Hertz en était àson premier film à 85 ans, Abraham Leber qui interprète mononcle est à moitié sourd et mon fils <strong>de</strong> six ans Nassim Ben Ab<strong>de</strong>loumen,très en forme ! C’est donc avec cette joyeuse ban<strong>de</strong>que nous avons traversé <strong>de</strong>s petits villages ukrainiens et vécuune aventure hors tournage aussi folle que celle à l’image.Ce tournage restera marqué dans ma mémoire. Je n’oublieraipas l’émotion d’Irène revoyant l’Ukraine qu’elle avait fui cinquanteans auparavant. Micha est un réalisateur kamikaze quipeut gar<strong>de</strong>r le sourire sous la pluie dans une route boueused’Ukraine où même Borat n’aurait pas osé aller ! J’aimerais ànouveau travailler avec lui mais il est clair qu’il faut se méfier<strong>de</strong> lui, il est dangereux !Jonathan Zaccaï est un comédien belge. Il apparaît dansLe Tango <strong>de</strong>s Rashevski (2003) et Quartier lointain (2010) <strong>de</strong>Sam Garbarski ainsi que dans Élève libre (2008) <strong>de</strong> JoachimLafosse. Il tient le rôle titre dans Simon Konianski (2009) <strong>de</strong>Micha Wald.2009Simon KonianskiFestival du Film <strong>de</strong> Rome.Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.—2006Voleurs <strong>de</strong> chevauxSemaine <strong>de</strong> la Critique,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.—2004Alice et moi (court).Petit Rail d’Or, Semaine<strong>de</strong> la Critique, Festivaldu Film <strong>de</strong> Cannes.Meilleur court métragebelge, Prix Joseph Plateau.Prix du Jury jeune, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.Mention spéciale, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.Meilleur court européen, LesLutins du Court Métrage.—2002Les galets (court).—1999La nuit tous <strong>les</strong> chatssont gris (court).Voleurs <strong>de</strong>chevaux© Versusproduction,StéphanePuopolo


72 73Fabricedu Welz


74 75 du Welz510Fabricedu WelzL’étiquette tantredoutée <strong>de</strong>réalisateur <strong>de</strong> genrea souvent collé à lapeau <strong>de</strong> Fabrice duWelz, du moins danscertains milieuxguindés du cinéma.Mais alors queses films laissententrevoir quelquesimages d’os broyésou <strong>de</strong> giclées <strong>de</strong>sang, ils sont l’œuvred’un artiste accompliqui situe la véritablehorreur non dansl’explicitation visuelle<strong>de</strong> mutilationscorporel<strong>les</strong> maisdans un pouvoiriconographiquebien plussombre : l’horreurpsychologique.Ses <strong>de</strong>ux longs métrages,Calvaire et Vinyan, provoquentsouvent <strong>de</strong> vivesréactions, tel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s para<strong>de</strong>sinfinies <strong>de</strong> torture et <strong>de</strong>sang. En réalité, <strong>les</strong> images<strong>de</strong> violence et d’horreur ysont très peu nombreuses.En revanche, avant même<strong>de</strong> voir ces rares scènesd’épouvante à l’écran, leton général du film est bienpire : l’angoisse <strong>de</strong> ce quiva survenir est palpable, cequi explique certainementla perception extrême que<strong>les</strong> spectateurs ont <strong>de</strong>s films<strong>de</strong> du Welz. C’est grâce à samaîtrise du rythme, du sonet <strong>de</strong> l’image, que le cinéasteréussit à créer une atmosphèred’effroi constant.Bien que Calvaire fut tournédans <strong>les</strong> Ar<strong>de</strong>nnes avecun casting entièrementmasculin et Vinyan, enThaïlan<strong>de</strong> avec EmmanuelleBéart dans le rôle principal,tous <strong>de</strong>ux montrent unecohérence remarquableen termes <strong>de</strong> thème et <strong>de</strong>narration, au point qu’ilserait possible d’affirmerque <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux films sont enréalité <strong>de</strong>s variations sur unmême thème.Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux histoires, laperte d’un proche laisse unvi<strong>de</strong> si dévastateur qu’elleengendre <strong>de</strong>s comportementsdésespérés, quiéchappent rapi<strong>de</strong>ment aucontrôle d’un <strong>de</strong>s protagonistes.La nécessité <strong>de</strong>remplacer l’être aimé parquelque chose <strong>de</strong> concretet tangible existe dans <strong>les</strong><strong>de</strong>ux films. La preuve qu’ilou elle est véritablementdécédé(e) peut bel et bienexister, mais rien n’estmoins certain lorsqu’il s’agit<strong>de</strong> son remplacement. Dans<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux films, <strong>les</strong> personnagesprincipaux essaientà tout prix <strong>de</strong> résoudre <strong>les</strong>contradictions, au détriment<strong>de</strong> leurs esprits déjà sitourmentés.La perte et le <strong>de</strong>uil ne sontpas un moteur typique dans<strong>les</strong> films <strong>de</strong> genre, et lafaçon dont du Welz intègrenaturellement la religiondans ses <strong>de</strong>ux films est unexemple <strong>de</strong> l’attention précisequ’il consacre à la psychologie<strong>de</strong>s personnages,autant qu’un geste <strong>de</strong> reconnaissanceenvers le mon<strong>de</strong>plus vaste dans lequel ilsvivent. Calvaire, comme letitre l’indique, contient <strong>de</strong>nombreuses références àla souffrance chrétienne.Vinyan, <strong>de</strong> l’autre côté, seréfère à la croyance que <strong>les</strong>personnes confrontées <strong>de</strong>près à la mort vivent tel<strong>les</strong><strong>de</strong>s esprits incapab<strong>les</strong> <strong>de</strong>trouver la paix. Dans <strong>les</strong><strong>de</strong>ux cas, <strong>les</strong> référencesreligieuses se corrompent àtel point qu’el<strong>les</strong> pourraients’appliquer à <strong>de</strong> nombreusespersonnes et situations,reflétant <strong>les</strong> âmes tourmentées<strong>de</strong>s protagonistesplutôt qu’un impératif moralquelconque.Sur un plan plus global,Vinyan témoigne égalementdu désir d’exporter le cinémabelge et <strong>de</strong> le transporterau-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la réalité ducinéma francophone, avecBéart jouant en anglais dansun film situé en Thaïlan<strong>de</strong>(son mari est interprété parRufus Sewell, un acteurbritannique). De la mêmefaçon, Sam Garbarski a exportéses talents <strong>de</strong> réalisateurà l’étranger ; Irina Palm« Je reste fasciné par lareprésentation <strong>de</strong> la violenceet du sexe à l’écran. »a été entièrement tournéen Angleterre et interprétépar <strong>de</strong>s acteurs anglais,prouvant encore une foisque <strong>les</strong> frontières du cinémabelge ne sont plus aussiclairement définies qu’el<strong>les</strong>ne l’étaient.En conversation avecFabrice du WelzEst-ce que vous vous voyezcomme un réalisateur <strong>de</strong>« films <strong>de</strong> genre » ?J’ai grandi en regardant<strong>de</strong>s films d’horreur. Quandj’étais ado<strong>les</strong>cent, j’écrivaisdéjà <strong>de</strong>s scénarios <strong>de</strong> filmsd’horreur débi<strong>les</strong>, pompés<strong>de</strong> Vendredi 13 ; je me disaisque je ferais ce genre <strong>de</strong>films, un jour. Le cinémad’horreur est mon premieramour, mais j’aime le cinéma<strong>de</strong> manière générale.Il existe <strong>de</strong> grands filmsd’horreur qui sont aussi <strong>de</strong>sgrands films <strong>de</strong> cinéma. Laclassification <strong>de</strong> « films <strong>de</strong>genre » est souvent problématiqueen Europe, elle estun peu déconsidérée. Maisregardons ce que font <strong>les</strong>grands metteurs en scèneaméricains actuels, il s’agit<strong>de</strong> films <strong>de</strong> genre transcendés,que ce soit MichaelMann ou Martin Scorsese.Le cinéma <strong>de</strong> genre est uncinéma populaire. Je n’aipas grandi dans le culte ducinéma d’auteur, même si,en voyant un film <strong>de</strong> DarioArgento ou <strong>de</strong> Sergio Martino,je voyais bien une différence<strong>de</strong> style, <strong>de</strong> ton et <strong>de</strong>rigueur. Le cinéma d’auteurcomme on l’entend cheznous, je ne l’ai découvertque par après, à l’école etdans ma boulimie cinéphile.Est-ce que cela vous gèned’être considéré commeun réalisateur <strong>de</strong> films <strong>de</strong>genre ? Vos films n’ont pasbeaucoup en communavec <strong>les</strong> films d’horreurhollywoodiens.Je reste fasciné par lareprésentation <strong>de</strong> la violenceet du sexe à l’écran etje n’ai pas honte d’affirmerque je fais <strong>de</strong>s films d’horreur.Même si je suis trèsloin du cinéma d’horreurhollywoodien qui a mesyeux est souvent puéril etinoffensif, j’ai une approcheplus introspective <strong>de</strong> l’horreur,sans doute plus prochedu film d’auteur, ce qui mevaut pas mal <strong>de</strong> problèmes.On ne peut pas définir mesfilms comme <strong>de</strong>s filmsd’horreur pur jus, et ce nesont pas non plus <strong>de</strong>s filmsd’auteur. Je suis un cinéastebelge assez décompléxé etcomme beaucoup <strong>de</strong> réalisateurs<strong>de</strong> ma générationnous faisons ce que nousavons envie <strong>de</strong> faire, que cesoit Bouli Lanners, JoachimLafosse ou autres, nousavons tous l’espace pourdévelopper notre univers et<strong>de</strong> surcroît, il y a <strong>de</strong>s liensavec d’autres cinéastes belges.Personnellement, j’aiun amour considérable pourAndré Delvaux, qui est pourmoi le grand cinéaste dufantastique et du réalismemagique franco-belge. Jesuis très attaché à ce réalismemagique, ancré dansune Belgique étrange, mystérieuseet bâtar<strong>de</strong>. Cela meplaît et me correspond toutà fait, mais en même temps,j’ai un grand appétit d’allervoir au-<strong>de</strong>là et <strong>de</strong> voyager.J’ai toujours voulu faire <strong>de</strong>sfilms partout dans le mon<strong>de</strong>.J’aime aller vers l’inconnu,me faire peur, prendre <strong>de</strong>srisques, même si parfois cedésir reste complètementinconscient. C’est cela, finalement,qui m’excite.Les films <strong>de</strong> genre réussissentsouvent à attirer plus<strong>de</strong> mon<strong>de</strong> que <strong>les</strong> films d’artet d’essai.En Belgique francophone,la relation entre lepublic et <strong>les</strong> films locauxlaisse à désirer. En Flandres,<strong>les</strong> films <strong>de</strong> Felix <strong>Van</strong>Groeningen par exemple,arrivent à rencontrer unpublic considérable en dépitd’être <strong>de</strong>s films d’auteur.Peut-être sommes-nousun peu autistes, maisaussi avons-nous un statut


76 77 du Welz« J’aime aller vers l’inconnu,me faire peur, prendre <strong>de</strong>srisques, même si parfois cedésir reste complètementinconscient. C’est cela,finalement, qui m’excite. »Calvaire© Luca Etterquelque peu difficile. Nousvivons au sein <strong>de</strong> la culturefrançaise, regardons <strong>les</strong>mêmes chaînes <strong>de</strong> télévisionque <strong>les</strong> Français et nosve<strong>de</strong>ttes sont françaises.Nous sommes quelque peuplus bâtards dans ce sens,et pour <strong>les</strong> Belges francophones,le rapport à laFrance est aggravé par uncomplexe, selon lequel cequi n’est pas validé par <strong>les</strong>Français ne peut pas êtrebien. Les flamands ont leurpart d’autonomie culturelle,sur base <strong>de</strong> laquelle ils ontcréé leur petit marché, unvrai marché qui fonctionneadmirablement bien. À envoir <strong>les</strong> chiffres, cela fait rêver.En ce qui me concerne,je me sens très peu françaiset le cinéma vers lequel jetends est autre.Vos longs métrages partenttous <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> la mêmesituation : une personneabsente laisse une vi<strong>de</strong> quiperturbe l’un <strong>de</strong>s personnagesprincipaux.C’est le point <strong>de</strong> départd’une vraie quête existentielle.Mais je préfère laisserces films vivre, sans tropparler <strong>de</strong>s « comments » et<strong>de</strong>s « pourquois ». Ce quim’importe, c’est d’avoir unehistoire suffisamment fortepour permettre une expérimentationformelle, et d’endégager un style. Que l’onpratique le cinéma, la littératureou la peinture – <strong>les</strong>mêmes thèmes sont perpétuellementà l’ordre du jourdans toutes <strong>les</strong> disciplines<strong>de</strong> l’art : l’amour et la mort.Ce qui fait la différence entre<strong>les</strong> œuvres individuel<strong>les</strong>,ce sont le style et le point <strong>de</strong>vue <strong>de</strong> l’artiste par rapport àson travail. Ce qui m’importe,c’est d’avoir <strong>de</strong>s schémas,avec <strong>de</strong>s personnagesqui soient toujours entreraison et folie – et qu’il y aitun basculement, parce quele basculement permet d’exploiteret d’explorer. En purformaliste, je m’occupe <strong>de</strong>la représentation : commentreprésenter la violence, unecertaine forme <strong>de</strong> folie, unecertaine forme <strong>de</strong> perdition,comment représenter lamort, la sexualité ? C’est lagran<strong>de</strong> question, commentreprésenter ? Pour un cinéastec’est ce qui compte,à la manière d’un peintre :comment parvenir à toucherle spectateur en représentant<strong>les</strong> choses ? De nombreuxfilms sont <strong>de</strong>s scénariosfilmés ; mon ambitionest <strong>de</strong> faire du cinéma. C’estl’outil cinématographique,l’image, le son, <strong>les</strong> acteurs,<strong>les</strong> corps et l’inscription <strong>de</strong>scorps dans <strong>les</strong> espaces, quim’intéressent.Les <strong>de</strong>ux films surprennentpar une assez forte présence<strong>de</strong> thèmes religieux. Est-ceque ce sont <strong>les</strong> symbo<strong>les</strong>, lecôté représentatif du religieuxqui vous fascinent ?La religion y figure unpeu malgré moi. Bien quej’aie été élevé dans <strong>de</strong>s collègescatholiques, au fond,je ne suis pas quelqu’un<strong>de</strong> croyant. Par contre, la


78 79 du Welz« Les acteurs sont souvent à la limite du sadomasochisme.Ils savent qu’ils vont partir pour untruc qui sera <strong>de</strong>nse, qui constitue une expérience,et ils aiment et ont envie <strong>de</strong> ça. Souvent, ils mepoussent, et alors je <strong>les</strong> pousse encore plus loin. »Calvaire© Luca Etterreligion comme instrument<strong>de</strong> manipulation et d’aveuglement,comme processusaliénant, m’intéressebeaucoup. Le côté rituel m’yfascine également, parceque dans le cérémonialreligieux, il y a <strong>de</strong>s procédésvisuels absolumentincroyab<strong>les</strong>. Dans Calvaire,il y a cette scène <strong>de</strong> zoophiliequi a un peu marqué <strong>les</strong>esprits… Cela m’a beaucoupamusé, <strong>de</strong> représenter uncérémonial <strong>de</strong> petite crècheen le pervertissant. Le lâcher<strong>de</strong> ballons sur la plagedans Vinyan était une scènetrès belle à voir et à reproduire.Finalement, j’aimeexplorer la notion du sacré,et la confronter à l’environnement,à la nature. Le point<strong>de</strong> départ <strong>de</strong> Vinyan est leTsunami, je suis fasciné parla puissance <strong>de</strong> l’environnement,du jour au len<strong>de</strong>main,une mer se lève etterrasse tout. Il y a ici l’idéeque, si à un moment donnénous <strong>de</strong>venons nocifs pournotre environnement – cequi semble être le cas – lanature va en avoir assezet elle va nous balayer. Onpeut expliquer le mon<strong>de</strong>par Dieu – personnellementje n’y crois pas du tout –ou l’on peut imaginer quel’être humain n’est qu’uneparenthèse dans l’histoiredu mon<strong>de</strong>. Il suffit <strong>de</strong> sepromener dans <strong>les</strong> grandssites mayas pour se rendrecompte qu’à un certainmoment, la nature reprendratoujours ses droits, <strong>de</strong>manière implacable.Vos films sont fréquemmentcaractérisés comme étant« violents », mais il n’y a, aufinal, que peu <strong>de</strong> scènes oùla violence est explicite.Ce qui perturbe souvent,c’est l’ambiance. Onme reproche souvent quel’ambiance <strong>de</strong> mes films estsuffocante et pénétrante. Etprécisément, c’est souventle but <strong>de</strong> mes films. BenoîtDebie, mon chef opérateuret moi aimons créer <strong>de</strong>senvironnements qui soientpurement sensitifs. L’idéeserait que <strong>les</strong> gens soientempreints du film quand ilsquittent la salle. Il y a tellement<strong>de</strong> films où tu sors<strong>de</strong> la salle et tu as déjà toutoublié. Et il est probable quemême <strong>les</strong> gens qui ont détestéVinyan se souviennent<strong>de</strong> la moiteur <strong>de</strong> certainesscènes.Nous essayons <strong>de</strong> créerune atmosphère à respirer,<strong>de</strong> faire en sorte que le filmsente, pue même et je penseque c’est cela qui perturbe.Sur la violence, on est tout àfait d’accord, elle m’intéresse,surtout <strong>les</strong> mécanismes<strong>de</strong> la violence. Je me rendsaussi compte que la violenceque j’essaie d’exploiter a<strong>de</strong>s effets potentiellementbeaucoup plus nocifs que laviolence plate du « tortureporn ». Dans Calvaire, toutela violence est hors-champ,tandis que dans Vinyan,elle est aliénante, c’est uneconfrontation, une guerre<strong>de</strong>s sexes. Il y a une scènequi est un peu violente, maisen même temps elle esttrès belle à voir. Mon plaisir<strong>de</strong> spectateur est satisfaitquand un film me retournela tête – c’est rare maisj’adore ça.Comment avez-vous vécule changement du passaged’un film belge, tourné dans<strong>les</strong> Ar<strong>de</strong>nnes, à un projetinternational, filmé enThaïlan<strong>de</strong> ?Le projet était assezmo<strong>de</strong>ste, au départ. Ce quis’est passé, c’est que j’aieu un peu la folie <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>urs.S’il y a une choseque j’ai apprise, c’est quesi l’on dispose d’un budget<strong>de</strong> trois millions, on doitfaire un film à trois, et nonpas à quatre millions. Enmême temps, j’avais besoin<strong>de</strong> m’y confronter : le <strong>de</strong>visétait plus élevé que lebudget. Cependant, je n’aipas lâché sur mes ambitionsartistiques. J’ai lâché sur letemps, et je me suis aperçuà un moment donné quej’en aurais nécessité davantage.Mon camara<strong>de</strong> Bouli


80 81 du Welz« Ce qui m’importe, c’est d’avoir <strong>de</strong>sschémas, avec <strong>de</strong>s personnages qui soienttoujours entre raison et folie – et qu’il y aitun basculement, parce que le basculementpermet d’exploiter et d’explorer. »Lanners, qui travaille un peucomme <strong>les</strong> Frères Dar<strong>de</strong>nne,n’a pas beaucoup <strong>de</strong> machinerie,par contre, il a dutemps. Personnellement,je tombe pour <strong>les</strong> gadgets,donc je choisis souventla machinerie au péril <strong>de</strong>manquer <strong>de</strong> temps. Je coursbeaucoup, il y a <strong>de</strong>s carences.Je me suis adonné àune ambition et une prise <strong>de</strong>risques totale, limite inconsciente,mais je ne regretteabsolument pas. Si c’était àrefaire, je le referais <strong>de</strong>main.Et même si le film a été unéchec en sal<strong>les</strong>, au final,Vinyan s’est bien vendu àl’international.Vos projets offrent à leursacteurs <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> hors ducommun, pleins <strong>de</strong> défis.Comment travaillez-vousavec eux ?Les acteurs sont souventà la limite du sado-masochisme.Ils aiment pousserplus loin, aller dans <strong>les</strong>retranchements et être enapnée. Ils aiment beaucoupêtre bousculés et dirigés.Ils savent qu’ils vont partirpour un truc qui sera <strong>de</strong>nse,qui constitue une expérience,et ils aiment et ont envie<strong>de</strong> ça. Souvent, ils me poussent,et alors je <strong>les</strong> pousseencore plus loin. Parfois,il y a <strong>de</strong>s crises, mais ilsaiment être au centre <strong>de</strong>quelque chose qu’ils vontpouvoir exploiter, et surtoutils aiment s’abandonner. J’aiune formation <strong>de</strong> comédienet j’ai un rapport très simpleavec eux, même si mes filmssont souvent très techniques,ce qui peut causercertaines frustrations. D’habitu<strong>de</strong>,nous partons d’unehumanité en quelque sortefactice pour arriver à un étatrégressif qui <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plusen plus bestial et instinctif.L’instinct peut faire émerger<strong>de</strong>s choses assez étonnantes.À la fin <strong>de</strong> Vinyan, jepense qu’Emmanuelle Béarts’est vraiment abandonnée,qu’elle a exploré une chosequ’elle n’a pas forcémentl’habitu<strong>de</strong> d’explorer.Votre troisième long métrages’appellera Alléluia, encoreune référence religieuse…J’ai plusieurs projets encours, dont un film indépendant,produit par <strong>de</strong>saméricains, qui <strong>de</strong>vrait setourner à New York. C’est unpolar qui a pour contexte lemon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’art contemporainet qui est basé sur la vied’une personne qui a inventéun service <strong>de</strong> torture surmesure pour <strong>de</strong>s personnesriches. Le projet a pris duretard car nous avons vouluprendre le temps pour retravaillerle scénario. Je <strong>de</strong>vaistourner ce projet en premierlieu, mais il est maintenantplus probable que je meconcentre sur Alléluia, unetransposition en Belgique<strong>de</strong> l’histoire improbable <strong>de</strong>Martha Beck et RaymondFernan<strong>de</strong>z, <strong>les</strong> « tueurs <strong>de</strong> lalune <strong>de</strong> miel », morts sur lachaise électrique en 1951.L’idée serait d’ancrer cefait divers dans une « vraie »Belgique. C’est un petit filmtrès venimeux, qui sera trèsviolent et très dérangeant,une quête d’amour fou.Alléluia est très proche <strong>de</strong>Calvaire ; dans Calvaire onparlait beaucoup <strong>de</strong> Gloria,un personnage <strong>de</strong> femmeabsente, que l’on retrouveradans ce film. Je crée <strong>de</strong>sliens entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux, mais <strong>les</strong>films peuvent toujours sevoir séparément. Selon monidée, il y aurait un troisièmefilm… Gloria ayant <strong>de</strong>s enfantsqu’elle va abandonnerpour retrouver son amant.J’aimerais tourner ce troisièmevolet dans quelquesannées, lorsqu’ils serontado<strong>les</strong>cents. Il y a pour moiun côté très jouissif dans lafabrication <strong>de</strong> cette petitetrilogie ar<strong>de</strong>nnaise.Vinyan© Marcel Hartmann


82 83du WelzFabrice du Welzpar Yannick RenierFilmographieLorsque j’ai rencontré Fabrice pour la première fois, je <strong>de</strong>vaisavoir à peine 16 ans et lui un peu plus. Par hasard, nousnous sommes croisés chez un ami commun. À l’époque, jecommençais à m’intéresser au théâtre, mais <strong>de</strong> loin, sans oserm’impliquer. Et là, pendant <strong>de</strong>ux ou trois heures, Fabrice m’aparlé avec passion <strong>de</strong> ce que représentait pour lui le travail <strong>de</strong>l’acteur. Je ne me souviens pas <strong>de</strong>s détails <strong>de</strong> notre conversationmais elle m’a laissé une très forte impression. Des annéesplus tard, lorsque je regar<strong>de</strong> Calvaire et Vinyan, je repenseà cette rencontre et je me dis que Fabrice n’a rien perdu <strong>de</strong>cette fièvre communicative. En tant qu’acteur, je regar<strong>de</strong> <strong>les</strong>films <strong>de</strong> genre avec attention, car souvent dans ces films, <strong>les</strong>acteurs sont poussés à interpréter <strong>de</strong>s situations à la limitedu vraisemblable. Dans ces cas-là, la frontière entre le naturelet le ridicule est très fragile. Il faut donc <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’acteurune gran<strong>de</strong> générosité et une totale confiance dans le réalisateur.Et <strong>de</strong> la part du réalisateur, il faut un regard très justeet la faculté <strong>de</strong> transmettre sa propre imagination. Ainsi, dansses films, Fabrice emmène ses acteurs dans leurs <strong>de</strong>rniers retranchements,et il nous emmène avec une gran<strong>de</strong> maîtrise,nous spectateurs, dans <strong>les</strong> confins <strong>de</strong> son imagination. Et ellevaut le détour !Yannick Renier est un comédien belge. Il apparaît dansMiss Montigny <strong>de</strong> Miel van Hoogenbemt et enchaîne <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong>dans <strong>les</strong> films <strong>de</strong> Joachim Lafosse (Nue propriété, Élève libre),Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Nés en ’68, L’Arbre etla forêt) et Christophe Honoré (Les Chansons d’amour).2011Alléluiaen préparation.—2008VinyanHors Compétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Venise.Prix du Jury Carnet Jove,Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Sitges.—2004CalvaireSemaine <strong>de</strong> la Critique,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.Prix d’Argent du Festivaldu Film fantastiqued’Amsterdam.Prix du Jury, Festivalinternational du Film<strong>de</strong> Gérardmer.Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Toronto.—1999Quand on est amoureuxc’est merveilleux (court).Grand Prix, Festivalinternational du Film<strong>de</strong> Gérardmer.—1997Fol<strong>les</strong> aventures <strong>de</strong>Thierry <strong>Van</strong> Hoost(animation, court).Vinyan© Marcel Hartmann


84 85BouliLanners


86 87 Lanners610BouliLannersC’est par le biais <strong>de</strong> sa collaborationavec Les Snuls, une émissiontélévisée populaire composée<strong>de</strong> sketches hilarants, véritab<strong>les</strong>symbo<strong>les</strong> <strong>de</strong> la Belgitu<strong>de</strong>, queBouli Lanners <strong>de</strong>vient célèbreen Belgique. Il se fait ainsi trèsrapi<strong>de</strong>ment connaître au début <strong>de</strong>sannées 1990 grâce à une imaged’acteur comique et jovial dotéd’une forte présence physique.Ultranova© VersusproductionNul doute que la sortieen 2005 d’Ultranova, sonpremier long métrage, adû surprendre bien <strong>de</strong>stéléspectateurs belges. Lefilm, véritable introspectionpicturale <strong>de</strong> la régionsemi-industrielle, sombreet isolée <strong>de</strong> Liège, évoquele rapport particulier que lecinéaste entretient <strong>de</strong>puistoujours avec la peinture.Lanners égale ainsi soninattendue ascension dansLes Snuls, où sa collaborationen coulisse lui permit<strong>de</strong> <strong>de</strong>venir l’un <strong>de</strong>s acteursréguliers <strong>de</strong> la troupe.Bouli Lanners tourne Ultranova,puis Eldorado, un roadmovie original à travers <strong>les</strong>Ar<strong>de</strong>nnes, en plans largesmagistraux, accentuantainsi <strong>les</strong> lignes d’horizonbasses et <strong>les</strong> ciels immenses<strong>de</strong> cette région. C’est Jean-Paul <strong>de</strong> Zaeytijd, lui-aussi unancien élève <strong>de</strong>s Snuls, quisigne la photographie <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux films.Outre <strong>les</strong> compositions pictura<strong>les</strong>qui sont un véritablehommage aux paysages surgrand écran, la photographieprécise <strong>de</strong> Bouli Lannersne délaisse pas sa fonctionnarrative. En cela, <strong>les</strong>personnages <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>uxfilms semblent littéralementet métaphoriquementécrasés par la nature qui <strong>les</strong>entoure, ou du moins remisà leur place.Un élément <strong>de</strong> distorsionintéressant entre en jeulorsque Bouli Lanners alterne<strong>les</strong> prises <strong>de</strong> campagneet <strong>les</strong> paysages urbainsbelges : une tendance déjàprésente dans Ultranovamais qui prend tout sonessor dans Eldorado. L’œilpictural du cinéaste estextrêmement précis et sesprises <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> paysagesbelges – si rares, comme lemontre l’œuvre <strong>de</strong>s FrèresDar<strong>de</strong>nne, où la nature nesemble exister que pourcombler le vi<strong>de</strong> entre <strong>les</strong>personnages – y sont considéréscomme <strong>de</strong> véritab<strong>les</strong>sujets cinématographiques.Autant qu’ils se transformenten <strong>de</strong> véritab<strong>les</strong>tableaux non-belges.L’iconographie d’Eldoradorappelle moins Bruegel que<strong>les</strong> road movies américains.De la même façon, <strong>les</strong> forêtset <strong>les</strong> routes ar<strong>de</strong>nnaisesauraient tout aussi bien puêtre filmées dans un coinperdu du Montana. Il n’ya pas <strong>de</strong> doute que BouliLanners appréhen<strong>de</strong> sespersonnages ainsi que leurenvironnement avec unesensibilité qui lui est propre.Ultranova et Eldorado ontbien <strong>de</strong>s points en commun: une photographiecomposée avec soin, un tonmélancolique assez poignantet un humour, certesrare mais cinglant, qui sertà la fois <strong>de</strong> soupape <strong>de</strong>sécurité et d’amplificateurà <strong>de</strong>s situations malheureusesdont il révèle avecsuccès l’absurdité.


88 89LannersCependant, une gran<strong>de</strong>différence met à part <strong>les</strong><strong>de</strong>ux films. Lanners ne faitpas partie du casting dansUltranova, dans lequel VincentLecuyer interprète leprotagoniste solitaire. DansEldorado, par contre, Lannersendosse le rôle d’Yvan,un ven<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> voitures d’occasionet sans doute le plusimposant personnage d’unduo improbable – l’autrecompère, interprété parFabrice Ad<strong>de</strong>, étant un junkiequi fait la connaissanced’Yvan en cambriolant samaison. Dans Eldorado, Lannersa peut-être trouvé lemetteur en scène qui sait aumieux mettre en valeur sesnombreux talents d’acteur.En conversation avecBouli LannersVous êtes né près <strong>de</strong> la frontièrealleman<strong>de</strong>. Est-ce quecela fait <strong>de</strong> vous quelqu’un<strong>de</strong> plus international ou, aucontraire, <strong>de</strong> plus belge ?Je suis en effet né àcôté <strong>de</strong> la frontière ; monpère était douanier. Je suistrès belge, ça, je le sens ; etmes films sont très belgesaussi, même si je ne sais paspourquoi. Il y a <strong>de</strong> l’inconscientculturel là-<strong>de</strong>dansque je ne veux pas développer.Je veux que cela resteinstinctif. Je suis né dans larégion germanophone, àla frontière <strong>de</strong> l’Allemagneet <strong>de</strong>s Pays-Bas, une situationqui fait que <strong>les</strong> gens yparlent plusieurs languessans aucune difficulté. Onmélange, on passe d’unelangue à l’autre, d’uneculture à l’autre. C’est unerégion où il y a une ouvertured’esprit énorme qui faitque je n’accepte pas du toutce qui se passe en Belgiqueen ce moment. Cela me choqueénormément et je suisvraiment en colère contrecertaines gens.Dans vos films – surtoutdans <strong>les</strong> courts mais aussidans <strong>les</strong> longs métrages –on ressent fortement votreattachement à la Belgique.Je ne suis pas sûr.C’est peut-être vrai pour<strong>les</strong> premiers, mais dansEldorado, par exemple, <strong>les</strong>paysages ressemblent plusà <strong>de</strong>s paysages américainsque belges. L’histoire <strong>de</strong>mon troisième film pourraitmême ne pas se passer cheznous, parce qu’il n’existepas en Belgique <strong>de</strong> rivièrequi permettrait aux gamins<strong>de</strong> voyager jusqu’à la mer ;au moins qui ne soit pasentravée par <strong>de</strong>s barrages.J’essaye d’échapper à cecôté belge, au dictat quel’histoire doive se passeren Belgique, avec <strong>de</strong>s busbelges qui passent. Je suistrès belge, je suis un filtre ;j’écris l’histoire et donc l’histoireet le film seront indiscutablementbelges, mais jene veux pas nécessairementque cela se passe en Belgique.J’aurais bien aimé êtrené aux Etats-Unis et faire<strong>de</strong>s films américains, maisje ne suis pas américain,donc je fais <strong>de</strong>s films belges.Ma culture personnellen’est en effet pas liée à lacinématographie belge dutout, au contraire : je suisplutôt inspiré par le filmanglo-saxon et américain.Il est vrai que la Belgiqueprésente une mixité culturelleimpressionnante, avecune empreinte américainequi s’est rajoutée avec lePlan Marshall. Mais je trouvedifficile <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> mesinfluences parce que c’estl’instinct qui me gui<strong>de</strong>.Dans Eldorado, sur le planvisuel, il est vrai qu’on n’apas du tout l’impressiond’être en Belgique.Je viens <strong>de</strong> la peinture,ce qui fait que j’ai toujoursenvie d’avoir <strong>de</strong>s choses trèsaériennes et très aérées.L’évolution du personnagedans le paysage est pourmoi la clé <strong>de</strong> la narration –c’est ce qui me met à part<strong>de</strong>s Frères Dar<strong>de</strong>nne parexemple. Si on n’a peut-êtrepas l’impression que l’histoirese déroule en Belgique,elle se passe pourtant bienici, juste différemment. J’aiessayé d’échapper à tout cequi est urbain. Et justementparce qu’on n’a pas l’impressiond’être en Belgique,on se rend peut-être plusfacilement compte que c’estquelque chose <strong>de</strong> très belgeque d’essayer <strong>de</strong> faire passerle pays pour autre chosequ’il n’est. Je crois que je neferai plus <strong>de</strong> films ici parceque <strong>les</strong> paysages qui m’intéressentdisparaissent. Toutest refait, la campagne n’estplus la campagne et il y a<strong>de</strong>s avions qui passent sansarrêt. J’espère pouvoir alleren Écosse pour l’un <strong>de</strong> mesprochains films, et égalementaux Etats-Unis pour unautre projet. J’aspire à faire<strong>de</strong>s films belges ailleurs,et pas forcément avec <strong>de</strong>sacteurs belges.Vous avez d’abord fait l’école<strong>de</strong>s Beaux-Arts et pratiquéla peinture. Ensuite est venula déco pour la télévision ;vous êtes passé <strong>de</strong>vant lacaméra pour être comédien; au final est venue« Je suis très belge, ça, je le sens ; et mes filmssont très belges aussi, même si je ne saispas pourquoi. Il y a <strong>de</strong> l’inconscient culturellà-<strong>de</strong>dans que je ne veux pas développer.Je veux que cela reste instinctif. »la mise en scène. S’agit-ild’une série <strong>de</strong> hasards oud’une trajectoire réfléchie ?Chaque chose m’amenaità une autre chose sansque je ne sache où j’allaisterminer. Jamais je ne meserais dit : « tiens, je seraicomédien », et encoremoins, réalisateur. Je nesavais tout simplement pasquoi faire au début, et c’esten ne le sachant pas que j’aifini par trouver mon métier.J’espère pour <strong>les</strong> autres queleur parcours sera plus rapi<strong>de</strong>que le mien. Je ne suispas sûr d’avoir définitivementmis à l’écart la peinture,mais pour le moment, jem’épanouis complètementdans le cinéma. Dès quej’aurai l’envie et le temps <strong>de</strong>changer, je reprendrai peutêtrecette activité.Diriez-vous que vos rô<strong>les</strong>dans <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s productionsfrançaises tel<strong>les</strong>que Un long dimanche <strong>de</strong>fiançail<strong>les</strong> et Astérix auxJeux Olympiques vous ontaidé en tant qu’acteur etréalisateur ?La façon <strong>de</strong> faire ducinéma est la même dans <strong>les</strong><strong>de</strong>ux pays, si ce n’est qu’enFrance tout est beaucoupplus rigi<strong>de</strong>, plus hiérarchisé.En Belgique, on va très vite,parce que le cinéma y esttrès jeune. Tout le mon<strong>de</strong> afait à peu près <strong>de</strong> tout, cequi fait que tous sont polyvalents.Ce n’est pas dutout le cas en France. En cemoment, le jeu est que <strong>les</strong>Français essaient <strong>de</strong> s’inspirer<strong>de</strong> l’école belge. Sur leplateau <strong>de</strong> Louise Michel <strong>de</strong>Gustave Kervern et BenoîtDelépine, il y avait unevolonté expresse <strong>de</strong> fairecomme <strong>les</strong> Belges, donc,ça se décoinçait et c’étaitbien. Il est essentiel pourmoi <strong>de</strong> travailler commeacteur en France. Pour<strong>les</strong> casca<strong>de</strong>s et <strong>les</strong> effetsspéciaux, par exemple, ily a <strong>de</strong>s techniciens que jene trouverais pas ici et j’yapprends énormément <strong>de</strong>choses. Et puis, je rencontrerégulièrement <strong>de</strong>s comédiens<strong>de</strong> renom qui ont fait30 ans, 40 ans <strong>de</strong> cinéma.Comme je joue <strong>de</strong>s secondsrô<strong>les</strong> et que j’aime rester surle plateau même quand jene tourne pas, j’ai le temps<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r, d’observer etd’apprendre.D’où est venue l’envie <strong>de</strong>passer <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> lacaméra ?Le premier court métrageque j’ai fait était plusou moins une blague. Puisj’ai rencontré Jacques-Henri Bronckart, qui est<strong>de</strong>venu mon producteur.Ce petit projet s’est transforméen film 35 mm etpuis Jacques-Henri a montésa boîte <strong>de</strong> production etil m’a dit « il faut faire un<strong>de</strong>uxième court » et puis « ilfaut vraiment faire un longmaintenant ». Je pense quele couple producteur-réalisateurest essentiel dans lecinéma : si je n’avais pas ceproducteur-là, je n’en seraispas arrivé là.Vous êtes acteur à l’origine,mais vous avez choisi <strong>de</strong> nepas jouer dans votre premierfilm, Ultranova. Vouliezvousvous concentrer sur laréalisation pour ce premierlong métrage ?Je ne pensais jamaisjouer dans mes films. C’estsur Eldorado que ma femmeet mon producteur m’ontdit : « Tu as écrit un rôle, ondirait que c’est toi. Pourquoicherches-tu un comédienqui est comme toi ? » J’avaisun peu peur, mais au final,je me suis beaucoup amusé.Dans mon nouveau film, LesGéants, je ne joue pas nonplus ; par contre, dans lefilm prévu par après, je jouerai<strong>de</strong> nouveau. J’ai beaucoup<strong>de</strong> plaisir à être dirigépar moi, parce que je saisexactement ce que je veux.C’est le projet qui déci<strong>de</strong>tout ; je ne me dis pas, « j’aienvie <strong>de</strong> jouer dans un film,qu’est-ce que je pourraisécrire autour <strong>de</strong> moi ». Audébut il y avait un rôle quiaurait pu être un rôle pour


90 91 LannersEldorado© Nicolas Bomal


92 93LannersUltranova© Versusproductionmoi dans Les Géants, et puistrès rapi<strong>de</strong>ment il s’est avéréque cela ne marcherait paset donc je l’ai enlevé.Qu’est-ce que vous avez apprissur Ultranova qui vous aservi pour Eldorado ?Déjà au niveau <strong>de</strong>l’écriture, tout s’est passébeaucoup plus vite. Ultranovaétait un scénario trèspeu construit et très difficileà résumer. Dans Eldorado,l’histoire était plusconstruite, mais une doubleécriture était tout <strong>de</strong> mêmenécessaire parce que <strong>de</strong>uxrô<strong>les</strong> ont disparu pendant letournage. Dorénavant, j’essayeraid’avoir un scénarioencore plus ficelé, avec unenarration plus complète.Je continue à apprendre lemétier au fil <strong>de</strong>s tournages.Surtout en fonction <strong>de</strong>sfilms que j’ai fait. Je ne sauraispas donner <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong>mise en scène parce que jene saurais pas quoi dire – j’aitoujours l’impression d’êtreun étudiant.Le ton <strong>de</strong> vos films est plutôtsombre, mais il y a aussi <strong>de</strong>l’humour.C’est très proche <strong>de</strong>moi ; ces situations me fontrire quand je <strong>les</strong> écris. Desfois, il y en a trop – alors,j’en enlève. Puis ça <strong>de</strong>vienttrop triste et j’en remets.C’est très agréable d’écrire<strong>de</strong>s scènes drô<strong>les</strong>. Entermes <strong>de</strong> registre, c’est ducomique <strong>de</strong> situation plutôtque verbal. Il est importantque le spectateur puisserire d’une façon qui luipermette <strong>de</strong> mieux plongerdans l’émotion par après.Le rire ouvre le diaphragmepour mieux pleurer. Mais j’aihorreur que l’on improvisesur une scène et que l’ondoive la réécrire plusieursfois pour que la mécanique<strong>de</strong> la scène fonctionne. Iln’y a pas d’improvisationune fois que la camératourne. La réécriture continuedans la salle <strong>de</strong> montage.Ce n’est que quand <strong>les</strong>journalistes me posent <strong>de</strong>squestions que je comprendsce que j’ai fait. En peinture,c’est pareil. Quand on peint,qu’est-ce qui fait que letableau est fini ? C’est unequestion que je me posaistoujours : parfois je rajoutais<strong>de</strong>s trucs et c’était trop.Les dates butoir m’ai<strong>de</strong>ntbeaucoup, et le fait d’avoirun producteur <strong>de</strong>rrière moiqui dit : « ça coûte trop cher,il faut arrêter » !Ultranova et Eldorado sont<strong>de</strong>s titres très forts, quisuggèrent déjà un certainnombre <strong>de</strong> thèmes et d’atmosphères.Est-ce qu’ilsétaient là dès l’écriture ?Eldorado m’est venupendant le tournage, maisje n’ai trouvé Ultranovaqu’à la fin du montage son.Les t-shirts <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> tournageportaient donc <strong>de</strong>stitres autres que celui dufilm final… Maintenant, cesont <strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> collection,un peu comme <strong>de</strong>st-shirts <strong>de</strong> films qui n’existentpas ! Souvent, je metsun jambon en jeu, et celuiqui trouve le titre gagne lejambon. Jusqu’à présent,c’était à chaque fois moiqui ai gagné le jambon –cela me motive à trouver letitre. Pour le prochain, LesGéants, je pense qu’on aun bon titre, mais ce n’estpas moi qui l’ai trouvé. Si onle gar<strong>de</strong>, je vais peut-être<strong>de</strong>voir repayer un jambon.Votre bagage <strong>de</strong> peintre, a-t-il <strong>de</strong>s effets sur le rapportavec Jean-Paul <strong>de</strong> Zaeytijd,votre directeur <strong>de</strong> la photo ?Ça fait 25 ans que noustravaillons ensemble et ily a <strong>de</strong>s choses que nousn’avons même plus besoin<strong>de</strong> nous dire. Il connaît l’importanceque j’attribue aucadre et lui est un cadreurhors-pair, un dieu du cadrage.De son côté, il effectueune réflexion sur mes filmsqui est vraiment intéressante,qui ne traite pas que<strong>de</strong> l’image mais qui est uneréflexion <strong>de</strong> fond. Il me faitretravailler certains aspectset cela m’ai<strong>de</strong> beaucoup àréécrire. Nous sommes dansune collaboration où <strong>les</strong>choses évoluent petit à petit,que ce soit sur le cadre,l’image, <strong>les</strong> mouvements,certaines implications techniquesou la proximité <strong>de</strong>la caméra.Tous vos films ont été tournésen scope.Mes peintures étaient<strong>de</strong> grands paysages plats,avec beaucoup <strong>de</strong> ciel et<strong>de</strong>s lignes d’horizon toujourstrès basses. Je trouveque c’est un format danslequel <strong>les</strong> personnagesévoluent bien. Mais commejustement ce décor a uneimportance narrative pourmoi, il faut bien évi<strong>de</strong>mmentque je le mette enscène. Je trouve que <strong>les</strong>cope reste un format trèsélégant. Notre vue en tantqu’humains est plus panoramiqueque carrée ouverticale, et donc pour moiça correspond à une visionréelle <strong>de</strong> la vie. Les personnagesrespirent mieux, il ya <strong>de</strong> l’air ; le format carrém’oppresse un peu.


94 95Lanners« Je viens <strong>de</strong> la peinture,ce qui fait que j’ai toujoursenvie d’avoir <strong>les</strong> choses trèsaériennes et très aérées.L’évolution du personnagedans le paysage est pour moila clé <strong>de</strong> la narration. »Vous tournez toujoursen 35 mm, ce qui, désormais,donne un petit côté« old school »…Ça coûte un peu pluscher, mais je résiste. Jetrouve qu’il y a un piqué trèsfin et doux dans l’argentiqueque l’on n’a pas encoretrouvé en digital. J’aime travailleravec <strong>de</strong>s filtres, allerchercher dans <strong>les</strong> basseslumières qui sont beaucoupplus fines. Je sais que jeferai <strong>de</strong>s films en numérique– je suis bien conscient<strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> la société– mais tant que je peux lefaire en 35 mm, je le fais. LesGéants est également faitavec Jean-Paul, en 35 mm,en scope, avec <strong>de</strong>s filtres ettrès peu <strong>de</strong> digitalisation,voire aucune. Nous seronsbeaucoup à l’extérieur etce sera ma mère qui fera lamétéo. Elle fait <strong>de</strong>s prières,elle est toujours créditée augénérique : « Mme Lanners :météo » et jusqu’à présent,cela a marché. Il <strong>de</strong>vraitfaire beau en été, maismême s’il pleut, cela peutêtre beau, c’est juste unequestion <strong>de</strong> logistique, <strong>de</strong>confort, et <strong>de</strong> continuité.Vous avez déjà fait référenceà votre troisième film,Les Géants, plusieurs fois.Pourriez-vous en révéler unpeu plus ?Le film suit le parcours<strong>de</strong> trois gamins, dont <strong>de</strong>uxfrères <strong>de</strong> 13 et 14 ans quirencontrent un autre garçondu même âge, dans un petitvillage perdu. Les frères ontété délaissés par leur mèremais non dans le sens d’unréalisme social, plutôt dansle sens qu’elle se fout d’eux.Elle prend <strong>de</strong> la cocaïne, ellepart à Ibiza, alors qu’eux restentdans la maison <strong>de</strong> leurgrand-père. Cet été-là, ils enont marre et ils déci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s’amuser avec leur nouveaucopain. Leurs aventures<strong>les</strong> amèneront dans unesituation précaire, maisavec toujours la rivière etl’appel <strong>de</strong> la nature commeexutoire, leur permettant <strong>de</strong>partir vers un idéal meilleur.L’histoire n’est pas autobiographique,mais j’habite surl’eau, et <strong>de</strong>puis longtempsje voulais intégrer la rivièrequi m’a fasciné dans l’un <strong>de</strong>mes projets. Ce sont <strong>de</strong>sobsessions d’enfance et<strong>de</strong>s lectures, comme MarkTwain par exemple. Je mesuis dit que remettre toutça dans <strong>les</strong> yeux <strong>de</strong> troisado<strong>les</strong>cents, à l’âge où ily a un désir d’aventure etd’émancipation, cela pourraitbien donner. Je suisun vieil ado<strong>les</strong>cent, maisaujourd’hui <strong>les</strong> ado<strong>les</strong>centssont <strong>de</strong> plus en plus jeunes.Je suis resté vierge asseztard mais j’ai l’impressionqu’aujourd’hui, <strong>les</strong> chosesvont beaucoup plus vite.Ultranova© Versus production


96 97 LannersFabrizio Rongionesur EldoradoFilmographieJ’aime Eldorado parce qu’il parle <strong>de</strong> l’autre, comment vivreavec l’autre, cet étranger. Nous sommes toujours un peuétrangers à nous-mêmes, ce qui nous rend souvent peu disposésà rencontrer un inconnu. Le film <strong>de</strong> Bouli Lanners racontecette tentative <strong>de</strong> rencontre. L’envie d’un homme d’aller voir<strong>de</strong> l’autre côté. C’est d’autant plus difficile quand <strong>de</strong> l’autrecôté, il découvre un junkie en train <strong>de</strong> cambrioler chez lui. Quiest-il ? Comment faire pour se comprendre quand tout noussépare et que <strong>de</strong> ce tout, fait partie la drogue ? On sait que ladrogue est le symptôme <strong>de</strong> quelque chose <strong>de</strong> plus profond ;et Bouli, à travers son personnage, essaie <strong>de</strong> nous montrer ceque ça fait quand on essaie <strong>de</strong> comprendre ce profond. Il vaprendre sa voiture, faire un bout <strong>de</strong> route avec ce « tout cabossé» et prendre le temps <strong>de</strong> lui parler, <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r. Pourquoi ?On ne le sait pas. Un acte gratuit ? C’est d’autant plus beau. J’aipris ce film en pleine poire, il m’a mis KO. Romain Gary auraitpu l’appeler Les Promesses <strong>de</strong> l’autre, Bouli déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’appelerEldorado. Longtemps, je me suis <strong>de</strong>mandé le pourquoi dutitre. Finalement, je crois que le plus beau combat <strong>de</strong>vait êtrela recherche <strong>de</strong> cet autre, trop bien caché. C’est peut-être çal’Eldorado : un cœur à prendre, une âme en or, perdu au fondd’une forêt. Existe-t-il trésor plus beau ? La rencontre <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxhommes, même si celle-ci se finit mal. Une vie <strong>de</strong> chien, c’estvrai. Mais, si même <strong>les</strong> chiens méritent <strong>de</strong> se faire enterrerdans <strong>de</strong>s chefs-d’œuvre, alors ça vaut la peine <strong>de</strong> se battrejusqu’au bout. Merci Bouli.Fabrizio Rongione est un acteur belge d’origine italienne.Il tourne plusieurs films avec <strong>les</strong> frères Dar<strong>de</strong>nne (Rosetta, LeSilence <strong>de</strong> Lorna) et tient le rôle principal du réalisateur dansÇa rend heureux <strong>de</strong> Joachim Lafosse.2011Les Géantsen production.—2008EldoradoPrix FIPRESCI, Quinzaine<strong>de</strong>s Réalisateurs, Festivaldu Film <strong>de</strong> Cannes.Prix Europa Cinema,Quinzaine <strong>de</strong>s Réalisateurs,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.Prix Regards jeunes,Quinzaine <strong>de</strong>s Réalisateurs,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.Nomination, Meilleur FilmÉtranger, César 2009.Prix <strong>de</strong> la mise en scène,Festival internationaldu Film Buchar-EST.Prix du meilleur film,Festival internationaldu Film Buchar-EST.Prix <strong>de</strong> L’Union belge <strong>de</strong>la Critique <strong>de</strong> Cinéma.—2005UltranovaPanorama, BerlinFilm Festival.Prix C.I.C.A.E., BerlinFilm Festival.Prix du meilleur film,Festival internationaldu Film <strong>de</strong> GijonPrix <strong>de</strong> la critique,Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Gijon.—2001Muno (court).Mention spéciale, TorinoInternational Festivalof Young Cinema.Prix FIPRESCI Mentionspéciale, TorinoInternational Festivalof Young Cinema.Prix CinemAvvenireMeilleur court métrage,Torino InternationalFestival of Young Cinema.Meilleur court métrage,Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.Nomination, Meilleurcourt métrage, EuropeanFilm Awards.Quinzaine <strong>de</strong>s Réalisateurs,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.Compétition, Festivalinternational duCourt Métrage <strong>de</strong>Clermont-Ferrand.—Welcome in NewBelgique (court).—Le Festival <strong>de</strong> Kanne<strong>de</strong> Belgique (court).1999Travellinckx (court).Meilleur court métragebelge (SABAM).Mention spéciale,Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.—1996Non Wallonie ta culturen’est pas morte (court).—1995Les sœurs <strong>Van</strong>hoof(court).


98 99OlivierMasset-Depasse


100 101 Masset-Depasse710OlivierMasset-DepasseLes films belgesréalisés par <strong>de</strong> jeunesréalisateurs nesont pas forcémentmasculins. À titred’exemple, ce sont <strong>les</strong>femmes qui tiennent<strong>les</strong> rô<strong>les</strong> principauxdans Vinyan <strong>de</strong> duWelz et Irina Palm<strong>de</strong> Garbarski, tandisque Nue propriété<strong>de</strong> Joachim Lafosseretrace autant leparcours <strong>de</strong> lamère que celui <strong>de</strong>ses jumeaux.Plusieurs réalisatrices belgesont été actives au cours<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières décennies,dont Chantal Akerman etMarion Hänsel. Mais el<strong>les</strong>sont <strong>de</strong>venues plutôt raresaujourd’hui. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong>Fiona Gordon, qui fait partiedu duo <strong>de</strong> réalisateurs Abel& Gordon, la seule femmeinterviewée dans ce volumeest Ursula Meier, qui partageson temps entre Bruxel<strong>les</strong> etla Suisse.Cependant, seul OlivierMasset-Depasse se concentreexclusivement sur <strong>les</strong>portraits <strong>de</strong> femmes. Il afilmé sa compagne, l’actriceAnne Coesens, danstous ses courts et ses <strong>de</strong>uxlongs métrages.Travailler en terrain connuest manifestement avantageux,mais à chaquenouvelle collaboration avecCoesens, Masset-Depassea réussi à révéler <strong>de</strong>s facettesnouvel<strong>les</strong> et surprenantes<strong>de</strong> l’actrice, qui estincontestablement l’un <strong>de</strong>ssecrets <strong>les</strong> mieux gardés ducinéma belge.Il n’existe aucun doute quantaux interprétations magistra<strong>les</strong>que Coesens nouslivre à chaque fois. Cecis’explique en partie par <strong>les</strong>rô<strong>les</strong> <strong>de</strong> femmes ambitieuxqu’écrit Masset-Depasse,qui imposent <strong>de</strong>s limitestrès strictes à l’actrice, l’obligeantsouvent à être créative,et à ne pas simplementlaisser parler le scénario. Parconséquent, dans <strong>les</strong> filmsdu cinéaste, <strong>les</strong> visages et<strong>les</strong> corps <strong>de</strong>s acteurs sont<strong>de</strong>s éléments essentiels.Dans l’ombre, un <strong>de</strong>s courts<strong>de</strong> Depasse, voit Coesensinterpréter une femmeisolée en raison <strong>de</strong> sonhandicap. Elle espionne sonvoisin sans savoir véritablementcomment attirerson attention… Dans le longmétrage intitulé Cages, ellejoue le rôle d’une ambulancièrequi perd l’usage <strong>de</strong> laparole à la suite d’un graveacci<strong>de</strong>nt et qui fera toutpour ne pas perdre l’homme<strong>de</strong> sa vie. Dans son <strong>de</strong>rnierlong métrage, Illégal,l’actrice dresse le portraitd’une immigrée russe vivantclan<strong>de</strong>stinement en Belgique,qui refuse <strong>de</strong> révélerson i<strong>de</strong>ntité lorsqu’elle estarrêtée par la police.Tous ces rô<strong>les</strong> sont fortementmarqués par <strong>de</strong>snon-dits et <strong>de</strong>s barrières <strong>de</strong>communication, qui forcentCoesens à appréhen<strong>de</strong>rson personnage <strong>de</strong> façonplus physique.Les titres <strong>de</strong>s films suggèrentégalement un fortintérêt pour <strong>les</strong> frontières et<strong>les</strong> limites. Dans ces <strong>de</strong>uxfilms, <strong>les</strong> personnages sontexclus malgré eux. L’on se<strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors jusqu’à quelpoint un couple peut continuerà s’aimer (dans Cages)et en quelle mesure l’Étatdoit se sentir re<strong>de</strong>vablevis-à-vis <strong>de</strong> ses citoyens,mêmes clan<strong>de</strong>stins (Illégal).Dans ces <strong>de</strong>ux longs métrages,le titre permet un nombred’interprétations, dontcertaines particulièrementpoignantes : le traitementdu personnage principaldans Illégal, par exemple,pourrait être caractérisé <strong>de</strong>moralement illégal.Nue propriété et Elèvelibre <strong>de</strong> Joachim Lafossesont dédiés « à nos limites» – la même chose estvraie pour tous <strong>les</strong> films<strong>de</strong> Masset-Depasse.En conversation avecOlivier Masset-DepasseUn sujet qui revient souventdans vos films est le manque<strong>de</strong> communication etl’impossibilité <strong>de</strong> s’exprimerconvenablement.Oui, <strong>les</strong> entraves <strong>de</strong>communication me fascinent.Même pour <strong>les</strong> courts,je travaillais beaucoup sur<strong>les</strong> handicaps et l’handicap<strong>de</strong> la communication enparticulier. C’est une obsessionpour moi, surtout parceque je me suis toujoursconsidéré un peu commeun handicapé, dans la vie ;je suis un handicapé social.Je suis heureux d’avoir l’artqui me vient en ai<strong>de</strong> maintenant,mais durant monado<strong>les</strong>cence il y a eu unepério<strong>de</strong> où je n’ai pas parlépendant six mois. J’ai faitune dépression assez forte.J’allais tous <strong>les</strong> jours aucimetière. Peut-être que cetépiso<strong>de</strong> est venu à caused’un manque <strong>de</strong> communicationdans ma famille. Jeme l’imagine, bien que jen’en aie jamais vraiment faitl’analyse. En tout cas, il estvrai que certains élémentssont récurrents dans mesfilms : le personnage <strong>de</strong> lafemme forte, déterminée,qui à mon avis s’apparenteà ma mère, et cette femmequi doit se confronter aumanque <strong>de</strong> communication.Dans Cages, le personnaged’Anne Coesens est incapable<strong>de</strong> parler, alors que dansIllégal, au contraire, elle estune russe qui parle très bienle français, mais qui ne peutpas parler, ne peut pas révélerson i<strong>de</strong>ntité au prix <strong>de</strong> seretrouver expulsée.Tania, cette femme russe,ne parle pas beaucoupune fois arrivée au centrefermé. Elle est empêchée<strong>de</strong> parler à cause <strong>de</strong> sesproblèmes d’i<strong>de</strong>ntité, doncelle a un problème <strong>de</strong> communicationqui est clairementlié aux secrets et auxmensonges. J’ai parlé à <strong>de</strong>savocats qui me disaient « j’airéussi à avoir <strong>de</strong>s papiers à<strong>de</strong>s famil<strong>les</strong> qui m’ont avouépar la suite qu’ils n’étaientpas <strong>de</strong> cette nationalité-là ».Pour moi, c’était intéressantparce que ça veut direqu’il y a plusieurs niveaux<strong>de</strong> « prison ». Un sans-papiersest en quelque sorteun prisonnier, car il court<strong>de</strong> grands dangers à chaquefois qu’il se déplace.Tout <strong>de</strong>vient une question<strong>de</strong> survie. Puis, il y a laprison intérieure qu’est lemensonge. Certaines gensont <strong>de</strong>s faux papiers. Ils travaillent,payent leurs impôtset mènent une vie « normale». Mais qui a <strong>de</strong>s fauxpapiers ne peut pas parler<strong>de</strong> son passé, qui n’est pascohérent avec son i<strong>de</strong>ntité.En tant que cinéaste je suisfasciné par ces « prisons »,je trouve surtout qu’il estimportant <strong>de</strong> parler aussi<strong>de</strong>s prisons intérieures.Anne Coesens joue le rôleprincipal dans tous vos films.Est-ce qu’on pourrait imaginerun cinéma d’OlivierMasset-Depasse sans elle ?Quand j’écris, je ne medis pas « je vais écrire çapour Anne », cela ne donneraitaucun sens. Mais Anneest un Stradivarius, et il estdifficile <strong>de</strong> ne pas jouer avecelle. Est-ce que ce serait dûà l’amour, aussi ? Je n’en saisrien, ça fait 14 ans que noustravaillons ensemble, et ellereste le visage que j’ai envie<strong>de</strong> voir. J’ai besoin d’Anneparce que je sais que je seraimeilleur si je travaille avecelle, comme j’ai besoin <strong>de</strong>mon chef opérateur ou <strong>de</strong>mon monteur parce que,sans eux, je suis moins bon.Le réalisateur a son pouvoirparticulier parce que <strong>les</strong>autres membres <strong>de</strong> l’équipele lui donnent. En tant queréalisateur, je suis partisan<strong>de</strong> la manipulation positive,c’est-à-dire que pour mieuxdominer, il faut mieux servir.J’ai mes petites fleurs, et jedois aller leur parler, je dois<strong>les</strong> arroser pour qu’el<strong>les</strong>donnent ce qu’el<strong>les</strong> ont <strong>de</strong>meilleur. Je n’ai pas peur duconflit mais je pense qu’onfait mieux son travail quandon est épanoui, donc j’aimebien cette métho<strong>de</strong> <strong>de</strong>


102 103 Masset-DepasseIllégal© Versus production,Patrick Muller


104 105Masset-Depasse« Le réalisateur a son pouvoirparticulier parce que <strong>les</strong> autresmembres <strong>de</strong> l’équipe le luidonnent. En tant queréalisateur, je suis partisan <strong>de</strong>la manipulation positive,c’est-à-dire que pour mieuxdominer, il faut mieux servir. »cinéaste communiste. Pourmoi, le cinéma est commeune peinture flaman<strong>de</strong> ; ona l’impression qu’elle a étépeinte par une personne,mais en fait l’équipe encomptait vingt-cinq.Comment « arrosez »-vous<strong>les</strong> comédiens ?Au départ je dirigeaisbeaucoup Anne, avec pleind’exercices même avant ledébut du tournage, selonune métho<strong>de</strong> très technique,très Stanislavski, très« studio ». Pour Cages, j’aitravaillé toute l’histoire <strong>de</strong>spersonnages avec SagamoreStevenin et AnneCoesens. Pour Illégal,Anne a beaucoup travailléavec <strong>de</strong>s coachs russesqui avaient mené <strong>de</strong>s viesincroyab<strong>les</strong> dont elle s’estbeaucoup nourrie. Puis, il ya <strong>les</strong> aspects techniques, uncahier <strong>de</strong> charges qu’Annefait presque toute seuleaujourd’hui. Elle est assezgran<strong>de</strong> et si on se limiteà quelques réunions bienciblées, je peux me concentrersur <strong>les</strong> personnes <strong>de</strong>l’équipe que je connaismoins, c’est mieux. On atoujours plus <strong>de</strong> facilitéavec ceux qu’on connaît, etune autre qualité <strong>de</strong> travail,aussi.Et sur le plateau ?Je me suis rendu comptequ’un réalisateur doit arriverà ne plus faire penser <strong>les</strong>acteurs. Au moment où unacteur arrive au tournage,il va forcément penser à cequ’il doit faire. Pour arriverà un résultat naturel, il luifaut lâcher prise, et pourcela il faut qu’il arrête <strong>de</strong>penser à ce qu’il doit faire.Illégal était un succès dansce sens, il y avait une vraieurgence et on a tourné très,très vite. J’avais une équipemagnifique <strong>de</strong>rrière moi ;et puis j’avais développéune technique qui était <strong>de</strong>tourner « en direct ». Onne faisait pas <strong>de</strong> répétitions; en fait, je tournais<strong>les</strong> répétitions. Forcément,c’était bingo. Il y avait unefraîcheur incroyable et àpartir <strong>de</strong> ce moment-là,mon but était <strong>de</strong> ne plus <strong>les</strong>faire penser. Je <strong>les</strong> focalisaissur une action ou <strong>de</strong>sdétails techniques. Après,l’accélération a fait qu’ilsn’avaient pas le temps <strong>de</strong>réfléchir et ils étaient tout àfait naturels.Vos films sont plutôt féminins,aussi parce qu’Annetient le rôle principal danstous vos films.En général, j’aime bienpenser avec la tête d’unefemme et cela me fascinespécialement <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>schoses sur ce personnageféminin. Il y a beaucoup <strong>de</strong>moi dans ces femmes, bienque, peut-être un peu moinsdans Illégal. Des coachsrusses nous ont aidés pource rôle, mais comme j’aiécrit ses réactions, le personnagereste bel et biendans ma logique. J’aimebien quand <strong>de</strong>s spectatricesme disent par aprèsCages© Luca Etter


106 107Masset-Depasse« Il est clair que j’aime bientravailler l’ombre, je suis plutôtun néo-néo-expressionniste,dans l’idée en tout cas, parceque plus on travaille sur lalumière plus on doit forcémentconsidérer <strong>les</strong> ombres. »Cages© Luca Etterqu’el<strong>les</strong> croyaient que le filmétait mis en scène par unefemme ; ça veut dire qu’el<strong>les</strong>ont ressenti quelque chose<strong>de</strong> féminin, que cela leur aparlé. En même temps, cequ’el<strong>les</strong> ont vu est un personnagequi est moi, pourau moins trois-quarts. C’est,là, mon propre petit combatféministe. Question <strong>de</strong> montrerqu’à l’intérieur, l’hommeet la femme ne sont passi différents.Illégal est un film beaucoupplus politique et plus engagéque Cages et vos courts.Quelle était à la base <strong>de</strong> cechangement <strong>de</strong> direction ?Comme tout le mon<strong>de</strong>,j’avais entendu parler <strong>de</strong>scentres fermés mais je n’ensavais pas grand-chose. Àun certain moment, quelquessans-papiers que jeconnaissais personnellementen ont parlé et je mesuis rendu compte qu’il nefaut pas partir loin pour entrouver. Quand j’ai apprisqu’il y avait un centre ferméà Steenokkerzeel, à 15 kilomètres<strong>de</strong> chez moi, j’étaisun peu perturbé. Des fois,on ne comprend pas pourquoion réagit si fortement ;ensuite j’ai fait <strong>de</strong>s recherchessur Internet et plus jecreusais le sujet, plus j’étaisatterré et révolté. Je me suisdit, il y a un film à faire. Cen’était pas prévu comme ça ;jusqu’à ce moment, j’étaisplutôt dans <strong>les</strong> problèmesrelationnels. Je n’étais pas legenre <strong>de</strong> cinéaste qui auraitfait <strong>de</strong>s films militants – plutôt<strong>de</strong>s films humanistes.Est-ce que vous avez faitbeaucoup <strong>de</strong> recherches ?En tout, un an d’enquêteavec <strong>de</strong>s journalistes surle terrain. Ça me rappelait<strong>les</strong> films <strong>de</strong> Costa-Gavras.Je me suis dit que quandtes rêves coûtent 3 millionsd’euros, ce qui n’est riendans le cinéma mais beaucouppar rapport à la viequotidienne, il faut bien quecela rapporte un petit plus.En faisant Cages, je n’airien appris, enfin, pas surle mon<strong>de</strong>, mais pour Illégalnous avons étudié l’histoire<strong>de</strong> la Russie pour le personnage<strong>de</strong> Tania, pour luidonner une crédibilité. J’aifait la découverte du mon<strong>de</strong><strong>de</strong>s sans-papiers, <strong>de</strong>s centresfermés et <strong>de</strong>s rouagespolitiques. Je l’ai vraimentfait avec le plus grand soin,parce que par rapport à cegenre <strong>de</strong> film, on ne peutpas se permettre d’être àcôté <strong>de</strong> la plaque.La presse belge a pu voirle film à Cannes. Commentétaient <strong>les</strong> réactions ?La presse était plutôtunanime, <strong>les</strong> seu<strong>les</strong> remarquesétaient du genre« pourquoi n’y a-t-il pas <strong>de</strong>flamands dans le film ? ». I<strong>les</strong>t vrai qu’il y a cinq centresfermés en Belgique, quatreen Flandres et un en Wallonie.Je voulais que le centremontré soit européen avanttout, même si c’est quelquechose <strong>de</strong> particulièrementbelge. J’ai fini par m’inspirer


108 109Masset-Depasse« J’essaie d’allier l’efficacité du récit américain auportrait européen. Forcément, il y a <strong>de</strong>s contrastescar j’essaie <strong>de</strong> faire du cinéma sensoriel, ce qui n’estpas évi<strong>de</strong>nt quand il y a une narration à exécuter. »Cages© Luca Etterdu centre <strong>de</strong> Vottem, près<strong>de</strong> Liège, un centre francophone,aussi pour éviterque <strong>les</strong> gardiens soientflamands, pour ne pas fairedire au film, même indirectement,que <strong>les</strong> « mauvais »étaient flamands. On seraitrentré dans un conflitcommunautaire, alors quele sujet du film n’a rien à voiravec cela.Dans tous vos films il y a unevraie réflexion sur l’image.Je viens <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong><strong>de</strong>ssinée et du <strong>de</strong>ssin, doncje suis un visuel avant tout.Pour <strong>les</strong> gens qui réfléchissenten termes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssin ou<strong>de</strong> peinture, la lumière estprimordiale, elle doit refléterla psychologie <strong>de</strong>s personnages.Dans Illégal, j’ail’impression qu’on est plusdans le documentaire, maisil y a néanmoins ces planslarges qui m’étaient importantset que j’aime bien. Situ contrains quelqu’un dansun coin, la moindre <strong>de</strong> sesréactions sera visible. Ici, j’aiessayé d’être plus diversifiédans mon découpage, d’uncôté parce que le sujet lenécessitait mais aussi parceque je voulais donner <strong>de</strong>la place à la subjectivité àl’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> gros plans et <strong>de</strong>splans <strong>de</strong> caméra volante.Des fois, un mouvement <strong>de</strong>sourcil ou un mouvement <strong>de</strong>joue fait comprendre plusqu’un dialogue. Il est clairque j’aime bien travaillerl’ombre, je suis plutôt unnéo-néo-expressionniste,dans l’idée en tout cas, parceque plus on travaille surla lumière plus on doit forcémentconsidérer <strong>les</strong> ombres.Avec le chef opérateur, TomassoFiorilli, c’était un peucomme avec Anne au début,on regardait <strong>de</strong>s peintureset <strong>de</strong>s films pour nous inspirer.Nous sommes restéscalés sur l’expressionnisme,justement parce qu’il met enavant l’expression et la psychologied’un personnage.L’expressivité <strong>de</strong> l’ombreme permet <strong>de</strong> mieux puiserdans la psychologie.L’ombre et la lumière, letravail sur <strong>de</strong>s contrastes engénéral, semblent emblématiquespour vos films. Il suffit<strong>de</strong> considérer <strong>les</strong> premièresdix minutes <strong>de</strong> Cages, avecses oscillations extrêmesentre la vie et la mort, le noiret la lumière.C’est vrai, tout celaest lié au fait que j’essaied’allier l’efficacité du récitaméricain au portrait européen.Forcément, il y a <strong>de</strong>scontrastes car j’essaie <strong>de</strong>faire du cinéma sensoriel,ce qui n’est pas évi<strong>de</strong>ntquand il y a une narration àexécuter. Je n’ai malheureusementpas encore trouvémon âme sœur en matière<strong>de</strong> scénario. Je cherche unco-scénariste et j’espère letrouver à un certain moment.Si je regar<strong>de</strong> In theMood for Love <strong>de</strong> WongKar-Wai, une histoire quel’on peut résumer en <strong>de</strong>uxlignes et le reste, ce n’estque du sensoriel – c’est impressionnant.Je n’y arrivepas encore, j’ai besoin <strong>de</strong>mon action, j’ai besoin queça bouge et j’ai besoin <strong>de</strong>contrastes. C’est sans douteparce que je suis encore jeuneet que j’ai besoin <strong>de</strong> bouger; je ne pourrais pas faire<strong>de</strong> films lents, et pourtant ily a beaucoup <strong>de</strong> films lentsque j’aime bien. Mais cen’est pas dans mon tempérament.Ce que je chercheen ce moment va plus dansla direction <strong>de</strong> Hitchcock,arriver à faire <strong>de</strong>s films d’actionpsychologique.


110 111Masset-DepasseOlivier Masset-Depassepar François YonFilmographieNous aimons suivre <strong>les</strong> cinéastes, et nous suivons <strong>de</strong>très près cette nouvelle génération <strong>de</strong> réalisateurs belges.Nous essayons chaque année <strong>de</strong> prendre quelques premiersfilms, et avec Olivier Masset-Depasse, dont nous avions vu <strong>les</strong>courts, dont nous avons lu le scénario <strong>de</strong> son projet <strong>de</strong> longmétrage, Cages, et dont on connaissait le producteur, Jaques-Henri Bronckart, avec qui on travaille beaucoup – le choix étaitsans hésitation. Le film est sorti dans un moment difficile, etsouffre peut-être d’un petit excès d’ambition. Il ne s’est pastrop vendu. Par contre, pour son <strong>de</strong>uxième film, Illégal, c’étaitdiffèrent. À la lecture du scénario, on savait que c’était quelquechose qu’Olivier pourrait parfaitement gérer : <strong>les</strong> lieux, lacaméra et l’actrice <strong>de</strong> tous ses films, Anne Coesens. En plus,le sujet du film est un sujet transnational, quelque chose quivoyage bien ; on venait <strong>de</strong> faire Welcome <strong>de</strong> Philippe Lioret,qui est un film sur l’immigration clan<strong>de</strong>stine aussi. Après sonpassage à Cannes, Illégal se vend effectivement très bien. Iln’est pas du tout vendu comme un film belge ou même un filmfrancophone mais vraiment sur le sujet, sur son côté politiqueet sa force émotionnelle. Voilà ce qui parle aux gens.François Yon est l’un <strong>de</strong>s fondateurs et un partenaire <strong>de</strong>Films Distribution à Paris. Ils gèrent <strong>les</strong> ventes à l’internationale,entre autres, <strong>de</strong>s films d’Olivier Masset-Depasse, <strong>de</strong> Bouli Lannerset <strong>de</strong> plusieurs titres <strong>de</strong> Joachim Lafosse.2010IllégalQuinzaine <strong>de</strong>s Réalisateurs,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.—2006CagesFestival internationaldu Film <strong>de</strong> Toronto.Compétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Rome.Prix du public, Festival duFilm francophone <strong>de</strong> Namur.Prix du Jury jeune,Festival du Filmfrancophone <strong>de</strong> Namur.—2004Dans l’ombre (court).Léopard <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.Prix <strong>de</strong> la mise en scène,d’interprétation féminineet <strong>de</strong> la photographie, -Awards for best direction,best actress and bestphotography, Les Lutinsdu Court Métrage.—<strong>2000</strong>Chambre froi<strong>de</strong> (court).Mention spéciale,Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Valence.Meilleur court métrage,Festival du Film <strong>de</strong> Dres<strong>de</strong>.Meilleur court métrage,Festival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.Semaine <strong>de</strong> la Critique,Festival du Film <strong>de</strong> CannesIllégal© Versusproduction,Patrick Muller


112 113Stéphane Aubier& Vincent Patar


114 115 Aubier & Patar810Stéphane Aubier& Vincent PatarLa Belgique possè<strong>de</strong>une tradition richeet vivace dans ledomaine <strong>de</strong> la ban<strong>de</strong><strong>de</strong>ssinée, avec<strong>de</strong>s personnagesrécurrents telsque Tintin, <strong>les</strong>Schtroumpfs ouencore LuckyLuke. Mais malgrécertaines adaptationsau petit ou grandécran, l’animationbelge n’a pas laréputation qu’elleaurait méritée.Ceci s’explique en partiepar le fait que la plupart<strong>de</strong>s longs métrages d’animationen Europe sont<strong>de</strong>s co-productions entreplusieurs pays, la Belgiquey étant le plus souvent unco-producteur minoritaire.De plus, <strong>les</strong> réalisateurs etscénaristes sont souventétrangers. À titre d’exemple,la productrice belge Viviane<strong>Van</strong>fleteren a produit <strong>de</strong>uxfilms nominés aux Oscars,Les Triplettes <strong>de</strong> Bellevilleet Brendan et le secret <strong>de</strong>Kells, mais aucun <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxn’a été perçu comme étantun projet belge, puisquesitués à l’étranger et réaliséspar <strong>de</strong>s réalisateurs françaiset irlandais, respectivement.Le long métrage Panique auvillage du duo <strong>de</strong> cinéastesbruxellois Stéphane Aubieret Vincent Patar est uneexception à cette règle. Unfilm d’animation en stopmotion,adapté <strong>de</strong> la sérietélévisée éponyme, il suit<strong>les</strong> aventures <strong>de</strong> trois jouetsen plastique interprétant <strong>les</strong>personnages « Cow-boy »,« Indien » et « Cheval » dansun village rural qui pourraitbien être situé au cœur<strong>de</strong>s Ar<strong>de</strong>nnes belges. Si lepaysage n’est pas un indiceimmédiat pour le spectateurétranger, le régime alimentairedu trio, composé <strong>de</strong>gaufres et <strong>de</strong> bière, <strong>de</strong>vraitfaire l’affaire pour situer lefilm en Belgique.Les mouvements <strong>de</strong>spersonnages sont volontairementsaccadés, tel<strong>les</strong><strong>de</strong>s marionnettes, commesi un enfant articulait <strong>les</strong>jouets <strong>de</strong>rrière l’écran. Lescinéastes déjouent ainsi<strong>les</strong> pièges d’une animationimage par image pourparvenir à une véritableréussite stylistique.Les figurines, montées sur<strong>de</strong> petites plateformes,donnent l’impression d’avoirété produites en série maissont en réalité fabriquéesà la main dans <strong>les</strong> studiosd’Aubier et Patar. Selon <strong>les</strong>actions, il existe plusieursversions <strong>de</strong> chaque personnage.L’humour tienten gran<strong>de</strong> partie aux diversesposes <strong>de</strong>s figurines,toujours filmées en plansfixes. Citons par exemple lascène dans laquelle Chevallit le journal avec ses pattesavant, allongé sur le canapé,pendant que Cow-boy et Indienterminent chacun leurdouche matinale.Les aventures <strong>de</strong> ce triohors du commun possè<strong>de</strong>ntun côté plus sombre qu’unesimple fable enfantine. Lescénario ainsi que <strong>les</strong> voix<strong>de</strong> Cow-boy et Cheval, interprétéesrespectivementpar Aubier et Patar – sansoublier l’acteur belge BenoîtPoelvoor<strong>de</strong> qui prête lasienne à Steven, le voisinbruyant – accentuent lecôté adulte du film. L’accentaméricain (en français) <strong>de</strong>Bruce Ellison, qui prête savoix à Indien, offre au film<strong>de</strong>s gags récurrents.Pour passer du court (épiso<strong>de</strong>s<strong>de</strong> cinq minutes) aulong métrage, Aubier etPatar ont opté pour le grandécran, plaçant directementle film dans le mon<strong>de</strong> ducinéma plutôt que <strong>de</strong> la télévision,avec <strong>de</strong>s décors bienplus élaborés que pour <strong>les</strong>épiso<strong>de</strong>s télévisés, commele montre le long panoramiquedans lequel Facteurroule à vélo à travers lacampagne avant d’arriver auvillage. Mais ils ont toutefoisconservé la structure<strong>de</strong>s épiso<strong>de</strong>s télévisés, quireflétaient bien la courtecapacité d’attention d’unenfant. Le film, d’une durée<strong>de</strong> 75 minutes, compted’innombrab<strong>les</strong> mini-aventuresplutôt qu’une seule etunique histoire.En conversation avecStéphane Aubier etVincent PatarQuand avez-vous décidéqu’il faudrait faire un longmétrage <strong>de</strong> Panique auvillage ?Aubier : Quand noussommes arrivé à la fin <strong>de</strong> laproduction <strong>de</strong> la série, nousnous sommes rendu compteà quel point nous aimionsraconter <strong>de</strong>s histoires avecla technique que nous avionsdéveloppée. L’universque nous avions créé nenous quittait plus. Il semblaitprometteur <strong>de</strong> faireune histoire un peu pluslongue et <strong>de</strong> pouvoir dévierun peu – nous aimons beaucoupl’expérimentation, quece soit dans la techniqueou dans la narration. Parcontre, nous n’avions pas àce moment d’idée préciseen tête, et ce fut en faisant<strong>de</strong>s réunions <strong>de</strong> scénarioque nous avons commencéà définir nos idées et envies.Puis, nous avons essayé <strong>de</strong>trouver une ligne directricepour le scénario, notre premièreenvie étant qu’il y aitune fête au village.Et d’où vous était venuel’idée <strong>de</strong> base pour la série ?Patar : Pendant nos étu<strong>de</strong>sà la Cambre, nous essayionstoujours <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>rune certaine spontanéitédans notre façon <strong>de</strong> raconter,au contraire <strong>de</strong> l’animationclassique, qui est unprocédé long et laborieux.En <strong>de</strong>rnière année, nousavons fait chacun un film <strong>de</strong>fin d’étu<strong>de</strong>s. J’avais fait unfilm avec une marionnette etStéphane avait eu l’envie <strong>de</strong>faire du stop-motion. Il avaitdonc ramené <strong>de</strong>s jouets, etc’est comme ça qu’il a fait lepremier Panique au village.Il était vraiment très punk,avec beaucoup d’improvisation<strong>de</strong>vant la caméra. Cepetit film nous a fait rigolerbien longtemps. Dix ansaprès, notre producteurVincent Tavier a revu ce filmet – tilt –il a tout <strong>de</strong> suite accroché.Il nous disait « il fautdévelopper une série aveccette technique-là, c’estgénial ». Ainsi, <strong>les</strong> choses sesont mises en place et ona avancé sur la série, petità petit. Nous avons pris letemps d’affiner la techniqueet finalement, nous avonstrouvé ce que nous avionscherché <strong>de</strong>puis toujours…papier découpé, <strong>de</strong>ssinhyper dépouillé et une manière<strong>de</strong> raconter <strong>les</strong> chosesqui était proche du « liveaction ». Nous avions toutesnos figurines avec <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>spréparées, et du coupnous étions vraiment à l’aise<strong>de</strong>vant la caméra, à chaquesta<strong>de</strong> du travail on pouvaitenrichir la scène et insérer<strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> idées. Nousavions vraiment trouvé latechnique qui collait à notremanière <strong>de</strong> raconter.Pourquoi ces personnages,Cheval, Indien et Cow-boy ?Aubier : Le principe <strong>de</strong>Panique au village étaitd’avoir beaucoup <strong>de</strong> personnagesdans <strong>de</strong>s positionsdifférentes. Dans <strong>les</strong> brocantes,<strong>les</strong> seuls personnagesque l’on trouve dansplusieurs positions sont <strong>les</strong>indiens, <strong>les</strong> militaires, <strong>les</strong>cow-boys et <strong>les</strong> chevaux.Les soldats ne nous intéressaientpas parce qu’ils sonttout bosselés, avec <strong>de</strong>s casques,ce qui <strong>les</strong> rend diffici<strong>les</strong>à modifier. Nous sommesdonc resté avec <strong>les</strong> indienset <strong>les</strong> cow-boys. Commenous avions envie <strong>de</strong> raconter<strong>de</strong>s histoires dans <strong>les</strong>paysages <strong>de</strong> la Belgique,nous avons intégré cespersonnages aux paysagesbelges. De toute façon, <strong>de</strong>scow-boys et <strong>de</strong>s indiens, ilsn’ont que l’apparence. Cesont <strong>de</strong>ux personnages crétins.Il pourraient tout aussibien être Laurel et Hardy.Si nous avions installé uncow-boy et un indien dansun saloon, nous serions vitearrivés au bout, tandis que<strong>les</strong> histoires qui se passenten Belgique, on en connaît,et c’est facile pour nous d’entrouver. Nous aimons bien<strong>les</strong> confronter au mon<strong>de</strong>contemporain, aux ordinateurset autres technologiesdu moment, <strong>de</strong>s choses quenous utilisons tous <strong>les</strong> jours.Patar : Dès que l’on se ditque Cow-boy et Indien sont<strong>de</strong>s villageois comme <strong>les</strong>autres, alors n’importe quoipeut leur arriver à n’importequel moment.Page suivantePaniqueau Village© www.paniqueauvillage.com


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118 119Aubier & Patar« Nous nous concentronssur nos personnages, nousessayons <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire vivre,et si cela nous amuse,c’est que c’est bon. »Vous faites également <strong>les</strong>voix <strong>de</strong> Cheval et Cow-boy.Aubier : La voix <strong>de</strong> Cowboyétait facile à trouver[c’est la voix <strong>de</strong> Stéphanelui-même]. Pour Cheval, ons’était dit que Vincent allaitla faire parce qu’il a une voixplus grave, et puis c’est unpeu le chef <strong>de</strong> la maison.Pour Indien, Vincent avaitfait une autre voix, maiscelle-là ne fonctionnait pasdu tout. On s’est <strong>de</strong>mandélonguement comment fairevivre cet Indien face à unevoie aiguë et une voix graveet nous sommes tombés surBruce Ellison, un américainqui s’est installé en Belgiqueet qui a une voix un peu« cartoon ». Du coup, cela adonné quelque chose <strong>de</strong> décalépar rapport aux expressions<strong>de</strong> Cow-boy et Cheval,ce qui nous plaisait bien.Patar : Parce qu’on nevoit pas bouger <strong>les</strong> bouches<strong>de</strong>s personnages, nouspouvons enregistrer <strong>les</strong> voixaprès le tournage, ce quidonne une liberté supplémentaireet beaucoup plus<strong>de</strong> possibilités au niveau <strong>de</strong>la finition. Quand <strong>les</strong> voix nesont pas parfaites, on voitun jouet en plastique bouger<strong>de</strong>vant la caméra – et onn’y croit plus. Quand Brucea fait Indien, ou quandBenoît Poelvoor<strong>de</strong> a faitFermier pour la premièrefois, c’était une révélation.Un avantage <strong>de</strong> cette techniqueest qu’on a beaucoup<strong>de</strong> possibilités pour affiner<strong>les</strong> voix.Est-ce que vous écrivez unscénario traditionnel, avec<strong>de</strong>s dialogues formulés, ouest-ce que vous travaillezsurtout avec <strong>de</strong>s « storyboards » ?Patar : Nous préparonsune version « animatique »pour laquelle nous filmonset mettons vraiment ensembletous <strong>les</strong> petits <strong>de</strong>ssinspréparatoires, pour voir sinotre histoire tient la route.Mais, il y a aussi un scénarioavec <strong>de</strong>s dialogues,même si on <strong>les</strong> retravaillebeaucoup par après. Il y aune base assez précise auniveau <strong>de</strong>s personnagesprincipaux, parce que cesont eux qui donnent uneénergie et un rythme bienprécis au récit.Aubier : Au début dutournage au plus tard, nousavons besoin <strong>de</strong> savoirexactement ce que disent<strong>les</strong> personnages. Heureusementqu’à ce moment, nousavons la voix <strong>de</strong> l’acteur entête. Quand on a la voix, ona également un caractèreen tête, ce qui simplifie laformulation.Patar : Nous essayonsd’éviter que <strong>les</strong> voix virenttrop au style « cartoon »,même si el<strong>les</strong> sont assezcaricatura<strong>les</strong>. Nous préféronsgar<strong>de</strong>r une démarcheplutôt réaliste, avec <strong>de</strong>s voixnaturel<strong>les</strong>, comme <strong>de</strong>s gensqu’on croise dans la rue.C’est juste un peu contrasté,poussé, histoire <strong>de</strong> releverle goût.Aubier : C’est un peucomme dans Jour <strong>de</strong> fête<strong>de</strong> Jacques Tati où on necomprend pas toujours trèsbien ce qui est dit, mais lamanière dont c’est dit esttrès amusante.Le ton du récit amalgameune sensibilité adulte et uncôté très enfantin…Aubier : Nous voulonsêtre le plus honnête possibleavec nos personnages etavec nous-mêmes, raconterl’histoire <strong>de</strong> la façon la plusdynamique et naturellepossible.Patar : Nous ne nous <strong>de</strong>mandonspas pour qui nousavons écrit l’histoire ; on l’afait pour nous. Nous nousconcentrons sur nos personnages,nous essayons <strong>de</strong><strong>les</strong> faire vivre, et si cela nousamuse, c’est que c’est bon.Aubier : Il est vrai quequand ce film est sorti,<strong>les</strong> gens l’ont souvent vucomme un film pour enfants,alors que c’est peutêtreplutôt un film pour unpublic adulte qui amène <strong>de</strong>senfants. Enfin, la réactiondépend <strong>de</strong>s pays.Une gran<strong>de</strong> différence entrela série et le film est que lefilm est tourné en scope.Patar : C’est VincentTavier qui nous a proposécette idée. Au départ, nousavions un peu peur, parceque le format que nousaimons bien est le formatcarré <strong>de</strong>s films muets.Aubier : Les petits <strong>de</strong>ssinspréparatoires étaientcarrés. Donc au début, nousavons mis <strong>de</strong>ux, trois objetssur la table et nous <strong>les</strong> avonscadrés avec un appareilphoto, pour voir l’effet ducinémascope par rapport àl’original. Nous n’avions pasl’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> voir l’espacecomme ça. Tout paraissaitun peu vi<strong>de</strong>. Mais au final,dès qu’on avait décoré l’espace,cela <strong>de</strong>venait tout àfait naturel.Patar : Pendant nos testsimage, nous nous sommesvite rendu compte que cen’était pas la seule chose quiallait changer. Même au niveau<strong>de</strong>s détails, il y avait unmon<strong>de</strong> <strong>de</strong> différence. Prenonsl’exemple du scénario :nous pensions le faire ensix mois – finalement, nousavons mis trois ans, rien queparce que c’était un long etque c’était notre premier.Donc à tous <strong>les</strong> sta<strong>de</strong>s, nousavons dû préciser et travaillerdavantage <strong>les</strong> détails.Au niveau <strong>de</strong> l’image et dudécor nous avons dû trouver<strong>de</strong>s éléments plus tranchants,sans pour autantabandonner l’aspect bricolé.Pour la série, nous avionsl’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> découper <strong>les</strong>figurines au cutter et <strong>de</strong> <strong>les</strong>recoller au pistolet à colle.Pour répondre aux besoins<strong>de</strong> notre scénario, nousavons cette fois-ci fait <strong>de</strong>smoulages, <strong>de</strong>s vraies copies<strong>de</strong>s figurines standard.Comparé aux autres maisons<strong>de</strong> production, votreavantage doit être que vouspouvez presque tout faire« in-house », chez vous, dudébut jusqu’à la fin.Patar : Oui, nousavons toujours continué àtravailler comme nous le faisionsà l’école. Nous n’avonscommencé à déléguer dutravail qu’avec nos premièresséries pour la télé, ensollicitant l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> nos copainspour mettre nos <strong>de</strong>ssinsen couleur, par exemple.Nous avons conservécette manière <strong>de</strong> travailler<strong>de</strong> façon plus officielle avecPanique au village. Pourla série, nous avions uneéquipe <strong>de</strong> cinq personnes.Nous avons toujours voulutravailler en petit comité et<strong>de</strong> façon artisanale.Aubier : Il importe <strong>de</strong>trouver une bonne énergieentre collaborateurs. Nousessayons pour chaqueprojet <strong>de</strong> monter une équipe<strong>de</strong> gens avec <strong>les</strong>quels nousavons la plus gran<strong>de</strong> affinité,et qui apportent vraimentquelque chose au projet.Quand nous avons constituél’équipe pour le longmétrage Panique au village,nous sommes passés <strong>de</strong>cinq personnes à dix-sept.En plus, c’était une co-productionentre la Belgique,la France et le Luxembourg,donc il fallait trouver <strong>de</strong>sfrançais, <strong>de</strong>s belges et <strong>de</strong>sluxembourgeois.Patar : Au départ, nousne sommes pas forcémenttombés sur <strong>de</strong>s gens quenous connaissions maisplutôt sur <strong>de</strong>s gens qui nousavaient été conseillés. Nousne connaissions pas le jeuneanimateur luxembourgeoisOlivier Pesch, par exemple,et nous avons fait beaucoup<strong>de</strong> rencontres sur le terrain.Comment s’organise unejournée <strong>de</strong> tournage pour unfilm stop-motion ?Aubier : C’est un peucomme la fiction, parce quefinalement, il faut un planning.On fixe le jour, l’heureet on met la caméra <strong>de</strong>vanttel décor. Nous sommes arrivésle matin et <strong>les</strong> plateauxétaient déjà prêts à tourner.Pendant que l’animateur faisaitson animation, l’équipeinstallait un autre plateau.Patar : L’espace étaitdivisé en six plateaux. Il y enavait dans un premier tempstrois en simultané, pendantque l’équipe lumière travaillaitsur le décor et l’installation<strong>de</strong>s autres. Il y enavait toujours trois <strong>de</strong> prêts.Aubier : Les cadragesdoivent être systématisésaussi. On commence par<strong>les</strong> plans larges, car il fautchanger l’objectif en fonction<strong>de</strong>s scènes en cours. Etfinalement, il faut travailleren fonction <strong>de</strong> la lumière :début ou fin <strong>de</strong> journée, toutça doit se mettre en place.Aubier : À un momentnous avions du retard,donc il fallait trouver <strong>de</strong>ssolutions pour le combler.On a fini par enlever uneséquence – elle aurait dûavoir lieu dans un nouveaudécor que nous n’avons pasfait faute <strong>de</strong> temps. Puis ona restructuré <strong>les</strong> séquences<strong>de</strong> poursuites, par exemple,pour en réduire le nombre<strong>de</strong> plans…Patar : Finalement nousavons terminé le tournageun jour avant la date prévue,et <strong>les</strong> producteursétaient contents.


120 121 Aubier & PatarPanique au Village© www.paniqueauvillage.com


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124 125Aubier & PatarVincent Pataret Stéphane Aubierpar Frédéric FonteyneFilmographiecommuneVincent Patar, Stéphane Aubier et moi faisons vraimentpartie <strong>de</strong> la même génération. On s’est retrouvé dans <strong>les</strong> mêmesfestivals quand on faisait <strong>de</strong>s courts métrages. Récemment,Vincent a retrouvé une petite brochure que je viensaussi <strong>de</strong> retrouver pendant mon déménagement, et on s’estrendu compte qu’on avait participé au même concours <strong>de</strong>ban<strong>de</strong> <strong>de</strong>ssinée quand on était encore ado<strong>les</strong>cents et boutonneux(enfin, moi en tout cas, eux, je ne sais pas). Ce quej’aime chez eux, c’est eux justement, la manière dont ils réagissentquand ils trouvent une idée rigolote, quand ça vit. Ceque j’aime chez eux, c’est l’exigence <strong>de</strong> ce qu’ils cherchent.Et, bizarrement, ça peut rejoindre <strong>de</strong>s choses que je chercheaussi dans mes films. Quelque chose qui a à voir avec la surprise.Une idée <strong>de</strong> Vincent Patar et Stéphane Aubier, ça fait untrou dans le cerveau, ça désaxe. Et <strong>les</strong> idées, chez eux, il y ena presque chaque secon<strong>de</strong>. Après avoir vu un <strong>de</strong> leurs films,c’est comme si je sortais <strong>de</strong>s montagnes russes <strong>de</strong> la foire dumidi, ou mieux encore, le Rotor, ce vieux truc en bois ou onreste collé au mur.Frédéric Fonteyne est un réalisateur belge. Son premierlong métrage, Max et Bobo, sort en 1998. Suivent Une liaisonpornographique (1999), avec Sergi López et Nathalie Baye, etLa Femme <strong>de</strong> Gil<strong>les</strong> (2004), avec Emmanuelle Devos et ClovisCornillac.2009Panique au village(animation).Hors Compétition, Festivaldu Film <strong>de</strong> Cannes.Festival internationaldu Film <strong>de</strong> Toronto.Nomination, Meilleur FilmÉtranger, César 2010.—2003Panique au village(animation, sérieTV, 20 court).Nomination, Meilleur Court,European Film Awards.—2001Pic Pic, André et leursamis (animation).—<strong>2000</strong>L’ours, la femme et lechasseur (animation, court).—Panique à la cuisine(animation, court ,compilation <strong>de</strong> courts).Meilleur pilote TV,Festival du Filmd’Animation d’Annecy.—Rupture (animation, court).—Pic Pic André Show – 4-1(docu-fiction, TV court).—Ufo’s boven Geel(docu-fiction, court).Meilleur documentaire,Media 10/10 (Namur).—1998Les Baltus au Cirque(animation, court).—1997Pic Pic André Show– Le <strong>de</strong>uxième(animation, court).—1995Pic Pic André Show –The First (animation, court).Meilleure animation,Media 10/10 (Namur).—1993Le voleur <strong>de</strong> cirque (avecBenoît Marcan<strong>de</strong>lla)(animation, court).Prix José Abel, Festivalinternational du Filmd’animation d’Espinho.—1988Pic Pic André Show(animation, court).Meilleure animation, Festivaldu Film <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>.


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128 129 Meier910UrsulaMeierImpossible <strong>de</strong> nier que la cinéaste Ursula Meier,d’origine franco-suisse, est bien une femme.Cependant, ceci ne fait pas <strong>de</strong> la réalisatrice,qui partage son temps entre la Suisse et lacapitale belge, une cinéaste féminine. Ses <strong>de</strong>uxlongs métrages, Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>s et Home,sont basés sur le renversement <strong>de</strong> conventionscinématographiques bien établies. Et vu sonpenchant pour l’inversion, il serait plus justifié<strong>de</strong> la qualifier <strong>de</strong> réalisatrice non-masculine.Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>s retracel’histoire d’une ado<strong>les</strong>centesuisse qui se <strong>de</strong>stineà remporter une médailleolympique. Cherchant àmasculiniser son corps, ellerêve <strong>de</strong> pouvoir rivaliseravec <strong>les</strong> garçons, <strong>les</strong> plusforts d’entres eux, et <strong>de</strong> <strong>les</strong>vaincre. Lorsqu’elle s’éprend<strong>de</strong> Rudy, un nouveau venu,on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si elle l’aimepour sa bonté ou parce qu’i<strong>les</strong>t l’un <strong>de</strong>s coureurs <strong>les</strong>plus rapi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’école.Au fil <strong>de</strong>s images, on comprendrapi<strong>de</strong>ment qu’il nes’agit pas d’une typiquehistoire d’ado<strong>les</strong>cente. Nid’un pamphlet simplistesur le pouvoir féminin, oud’un plaidoyer pour l’égalité<strong>de</strong>s sexes. Contrairementà la plupart <strong>de</strong>s drames àthématique sportive, Desépau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>s insinue quele désir extrême <strong>de</strong> gagnerest malsain, et qu’il est plusimportant, sur le long terme,<strong>de</strong> connaître ses limites que<strong>de</strong> monter sur le haut du podium.Tout en contournantun message (ou une critique)féministe, le film estle témoignage du scénariod’Ursula Meier et <strong>de</strong> son coscénaristeFrédéric Vi<strong>de</strong>au,qui se concentre sur <strong>les</strong>personnages et leurs problèmes,non sur leur genre.S’il s’agit du dépassement<strong>de</strong>s autres dans Des épau<strong>les</strong>soli<strong>de</strong>s, le second long métraged’Ursula Meier, Home,traite <strong>de</strong> l’idée opposée :l’impassibilité <strong>de</strong> l’hommeface au changement. Dansune campagne désertiques’étend une autorouteinactive. Au bord du bitumese trouve une maison danslaquelle vit une famille <strong>de</strong>cinq personnes. Lorsque <strong>les</strong>travaux vont reprendre etque l’on annonce l’ouvertureprochaine <strong>de</strong> l’autoroute àla circulation, <strong>les</strong> habitantsrestent imperturbab<strong>les</strong> faceà la nouvelle.Malgré <strong>les</strong> inconvénientsprovoqués par l’autoroute –le bureau du père et l’école<strong>de</strong>s enfants se trouvent <strong>de</strong>Home© JérômePrébois


130 131Meierpart et d’autre du monstre,sans aucun passage cloutépour traverser – la famillechoisit l’emmurement plutôtque le déménagement. Ils’agit d’un road movie sansroad trip, sans personnagesloufoques rencontrésau bord <strong>de</strong> la route, sansréel<strong>les</strong> leçons à tirer. Laphotographie mêle la caméraà l’épaule et <strong>les</strong> planstrès posés, reflétant ainsile marasme dans lequelcette famille s’est embourbéesans aucune volonté<strong>de</strong> changer la situation. S’ilexiste un point communentre <strong>les</strong> personnages <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux films, c’est bien leurentêtement.Grâce à ses <strong>de</strong>ux longsmétrages, Ursula Meier, quia étudié le cinéma à Bruxel<strong>les</strong>où elle passe encoreaujourd’hui la moitié <strong>de</strong> sontemps, est <strong>de</strong>venue unecinéaste inclassifiable si cen’est qu’elle aime renverser<strong>les</strong> conventions établies.En conversation avecUrsula MeierVous avez débuté <strong>de</strong>ux fois :d’abord avec Des épau<strong>les</strong>soli<strong>de</strong>s, un long métrage quiétait un téléfilm à la base, etqui a été montré dans beaucoup<strong>de</strong> festivals ; et puis <strong>de</strong>nouveau avec Home.Le téléfilm m’a beaucoupaidée. C’est à la fois <strong>de</strong>la télé et un long métrage.Je l’ai fait en très peu <strong>de</strong>temps avec un budget trèsrestreint, et le film a eu pasmal <strong>de</strong> reconnaissance. Lefait d’avoir déjà fait un longmétrage était rassurantpour Home, qui était vraimenttrès atypique pour unpremier film. C’était un pari<strong>de</strong> cinéma, et quand on lelisait, il ne ressemblait pasà un scénario traditionnel.Il y avait vraiment tout cequ’on déconseille pour unpremier long métrage : undécor construit <strong>de</strong> A à Z, <strong>de</strong>senfants, un chat, <strong>de</strong>s voitures.Même la forme étaitcompliquée : le film mélange<strong>les</strong> genres et <strong>les</strong> tons et friseà la fois le surréalisme et lefilm d’horreur. Ce n’est pasun film naturaliste ; il y a unfort désir <strong>de</strong> décoller du réalisme.Faire un téléfilm a enquelque sorte désacralisémon premier long métrage.C’était vraiment une comman<strong>de</strong>: il y avait un thème,un budget défini, un nombre<strong>de</strong> jours <strong>de</strong> tournage limité.En plus, j’ai tourné avecune petite caméra vidéo –mais ces contraintes, je<strong>les</strong> ai trouvées plutôt créatives.Après, pour Home,j’avais envie <strong>de</strong> faire toutle contraire.Vous êtes domiciliée entreBruxel<strong>les</strong> et la Suisse. Cen’est donc pas étonnant quel’on retrouve <strong>de</strong>s thèmescomme le mouvement et <strong>les</strong>frontières dans vos films.Mon père est suissealleman<strong>de</strong>t ma mère estfrançaise. J’ai grandi en Normandieet près <strong>de</strong> Genève,mais en France, dans uneespèce <strong>de</strong> « no man’s land »qui s’appelle France voisine.Je passais la frontière quatrefois par jour, et je pense quemes films sont vraiment imprégnés<strong>de</strong> cela. Je voulaisfaire l’école <strong>de</strong> cinéma maisni en France, ni en Suisse, etétant donné que je ne suispas très douée en langues,j’ai choisi Bruxel<strong>les</strong>. J’adorecette ville et <strong>de</strong>puis mesétu<strong>de</strong>s, j’ai toujours gardéun appartement ici, enfaisant beaucoup d’aller-retoursavec la Suisse. J’oscilleentre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux, ce qui esttrès fatiguant mais en mêmetemps, j’ai l’impression quec’est ce qui me procure uncertain équilibre. Il me fautdu mouvement, commedans Home et comme dansmon prochain film. Je suisrestée en Belgique à cause<strong>de</strong> la Belgique. Il n’y a pasque son surréalisme ou safolie douce qui m’ont plu,je pense plutôt qu’au fond,je l’avais déjà en moi. J’aibesoin <strong>de</strong> ce regard décalésur <strong>les</strong> choses.Mais vous avez aussi besoin<strong>de</strong> voyager…Dans Home, j’ai vul’autoroute comme unefrontière. Je pensais beaucoupau documentaire Mur<strong>de</strong> Simone Bitton, un filmsur le mur entre la Pa<strong>les</strong>tineet Israël. Le prochain estsemblable, c’est un film enva-et-vient, comme si unmétronome au fond du filmlui donnait son rythme, satension et son air. Je vis <strong>de</strong>cette manière, donc je nesais plus si c’est le cinémaqui me fait vivre comme çaou si le fait <strong>de</strong> vivre commeça me fait faire <strong>de</strong>s filmscomme ça. Je me rendsclairement compte quej’en ai besoin ; au bout <strong>de</strong>trois jours, j’ai besoin <strong>de</strong>bouger. Maintenant, je fais<strong>de</strong>s coproductions avec laFrance, comme n’importequel réalisateur belge. Mespremiers courts, par contre,étaient <strong>de</strong>s co-productionsavec la Suisse et la Belgiqueseulement, et c’étaitbien aussi, ces <strong>de</strong>ux petitspays. J’ai l’impression quemes films sont européens,mais en même temps, ils ne« Le plateau est vraimentl’endroit pour contrôler <strong>les</strong>choses et en même tempsfaire en sorte que celapuisse déraper, échapper,pour qu’après, on recontrôleet redirige. »seraient pas ce qu’ils sontsi je n’avais pas été à l’école<strong>de</strong> cinéma à Bruxel<strong>les</strong>. Lesgens qui ont vu mon moyenmétrage Tous à table letrouvent très belge, et enmême temps il me ressembleénormément.Donc, si on veut, vous faites<strong>de</strong>s films sans frontièresmais sur <strong>les</strong> frontières.Oui ! Pour Home, je nevoulais pas que l’on sacheoù cela se situe, ni géographiquement,ni dansle temps. C’est une fable.Finalement, il a été filmé aufin fond <strong>de</strong> la Bulgarie. C’estmarrant, parce que l’une<strong>de</strong> mes références étaitl’Amérique et je cherchaisun paysage qui avait enmême temps quelque chosed’européen et <strong>de</strong> « western ».Au début, quand il y a cetteautoroute vi<strong>de</strong> et quandla première voiture arrive,c’est comme si <strong>les</strong> cow-boysdébarquaient <strong>de</strong> l’horizon.C’est bien <strong>de</strong> faire tout unfilm au même endroit, parcequ’on épuise le lieu jusqu’àce qu’on l’ait filmé et surfilmé.Cela ai<strong>de</strong> à poser <strong>les</strong>vraies questions du cinéma.Pour Home, l’enjeu <strong>de</strong> l’écritureet <strong>de</strong> la mise en scèneétait que le danger n’allaitpas venir <strong>de</strong> l’extérieur, <strong>de</strong>l’autoroute, mais <strong>de</strong>s personnageset <strong>de</strong> l’intérieur.Vos personnages ne vontpas bien loin – physiquement,ils restent plus oumoins sur place. Mais ilsvont très loin dans leursenvies, leurs désirs etleurs folies.Mes décors sont souvent<strong>de</strong>s non-décors : <strong>de</strong>sbords d’autoroute, <strong>de</strong>sfrontières. C’est peut-êtreune peur <strong>de</strong> m’enfermer ; j’aipeur <strong>de</strong> l’enfermement mental,c’est quelque chose quim’effraie. En plus, la Suisseest un pays qui a tendanceà se refermer sur lui-même.Je suis une gran<strong>de</strong> obsessionnelle,et je pense vraimenten termes d’espacesfermés et <strong>de</strong> lignes <strong>de</strong> fuite.Voilà qui est à la base <strong>de</strong>tout. Mes personnagesvont tous jusqu’au bout.Comme le disait le réalisateursino-malaysien TsaiMing-liang : « Quand on estdans une situation pénible,c’est seulement en arrivantà son bout, là où il n’y a plusd’autre échappatoire, quel’on trouve la force <strong>de</strong> s’ensortir. » Il y a quelque chosed’assez pur là-<strong>de</strong>dans, uncôté d’épuration mystique.Vos personnages vontjusqu’au bout et ont besoin<strong>de</strong> se perdre pour se retrouver.Est-ce que vous êtes legenre <strong>de</strong> cinéaste qui laisseune place à la folie sur leplateau, pour voir ce que çadonne ?Sur le plateau je cherchevraiment à tout contrôler,parce que, comme je l’ai dit,je suis une gran<strong>de</strong> obsessionnelle.J’ai une forteexigence <strong>de</strong> contrôle et enmême temps je pousse pourque <strong>les</strong> choses m’échappent,pour qu’il y ait un


132 133 MeierHome© JérômePrébois


134 135Meier« J’avais vraiment l’impression d’être un chefd’orchestre ; j’avais mes instruments quiétaient ces comédiens et <strong>de</strong>s énergies qui leurcorrespondaient ; et je gérais <strong>les</strong> énergies et<strong>les</strong> silences comme une partition musicale. »Des épau<strong>les</strong>soli<strong>de</strong>s© NeedProductiondérapage, une instance <strong>de</strong>l’inattendu. Dans le scenario<strong>de</strong> Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>s, il yavait <strong>de</strong>ux ou trois momentsoù il fallait que l’actrice,Louise Szpin<strong>de</strong>l, pleure.Mais elle n’a pas pleuré.Puis, à un moment donné,elle a pleuré et ce n’étaitpas du tout prévu et absolumentbouleversant, magnifique.Donc, le plateauest vraiment l’endroit pourcontrôler <strong>les</strong> choses et enmême temps faire en sorteque cela puisse déraper,échapper, pour qu’après, onrecontrôle et redirige.Votre cinéma est très corporel.On le voit surtoutdans Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>s,qui montre beaucoup <strong>les</strong>corps <strong>de</strong> ces jeunes athlètesado<strong>les</strong>centes en pleinetransformation.Cette contradictionentre le corps qui <strong>de</strong>vientmasculin à cause du sport<strong>de</strong> haut niveau et le corpsqui <strong>de</strong>vient féminin à cause<strong>de</strong> l’âge, donne sa tensionau film. Tant que je n’avaispas trouvé cela, je nepouvais pas filmer, c’étaitessentiel. Une fois qu’on atrouvé ça, cette corporalité,on peut raconter <strong>de</strong>s histoires,en faire une comédie,peu importe. Je crois beaucoupà la vérité du corpspour jouer quelque chose.Louise s’est entraînéependant six mois avec <strong>les</strong>champions d’athlétisme,elle a vraiment vu et vécula transformation <strong>de</strong> soncorps. Elle s’est musclée àl’entrainement et elle vomissaitaprès, elle s’est donnéea fond. Elle n’aimait pas soncorps pendant le tournage,d’ailleurs. J’ai compris enfaisant Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>sque je suis passée du sportau cinéma en faisant ce film.Sur le tournage il y avait <strong>de</strong>svrais athlètes, et je me suisdit qu’au fond, le cinéma etle sport ne sont pas si loinsl’un <strong>de</strong> l’autre. Ils partagentune mise en scène du corpset un regard. On a besoind’être regardé pour exister,que ce soit par le coach oupar le metteur en scène. Aufinal, la performance n’estpas forcément l’élément leplus intéressant.Est-ce que vous travaillez lerythme à l’écriture ou plutôtdans la salle <strong>de</strong> montage ?Tout d’abord, SusanaRossberg, qui a monté mes<strong>de</strong>ux longs métrages, amènequelque chose qui lui estpropre. Après, il est vrai quele rythme doit être présentdans le scénario, même sipar après, on y applique <strong>de</strong>schangements. Pour moi, lerythme vient <strong>de</strong> la tension,du nerf. Home était un filmtrès rythmé dans son écriture; je pensais souvent àLes Oiseaux d’Hitchcock. Lapremière voiture qui passe,c’est comme le premieroiseau qui attaque. Et puis,il y a l’évolution <strong>de</strong> l’autorouteet <strong>de</strong> sa ca<strong>de</strong>ncejusqu’aux vacances… Noussommes allés voir au bordd’une autoroute ce qu’étaitun trafic <strong>de</strong>nse, à compter<strong>les</strong> voitures à la minute,pour utiliser toutes cesinfos pendant l’écriture. Enlisant le scénario, <strong>les</strong> gensdisaient avoir du mal à respirer,toutes ces voitures, c’esthorrible ! Moi je résonnevraiment avec <strong>les</strong> énergieset j’ai besoin <strong>de</strong> trouver celapour comprendre le filmen général.Dans vos films, <strong>les</strong> dialoguessont souvent moinsimportants que <strong>les</strong> corps,la tension, le rythme. Commentest-ce que cela setraduit sur le plateau ? Commenttravaillez-vous avec<strong>les</strong> acteurs ?Ça dépend <strong>de</strong>s films et<strong>de</strong> comment ils sont tournés.Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>sétait tourné avec une petitecaméra et la limite entre leplateau et le hors-champétait très floue. De temps entemps, j’allais dans le champpour expliquer ou montrer<strong>de</strong>s choses. La directiond’acteurs est une énergie.Mon moyen métrage Tousà table était extraordinaireHome© JérômePrébois


136 137Meier« Pour moi, le fond et la formedoivent se marier dès lagenèse du projet. S’il n’y a pasun enjeu <strong>de</strong> cinéma en mêmetemps qu’un enjeu narratif,cela ne risque pas <strong>de</strong> m’exciterbeaucoup. »Home© JérômePréboispour ça, avec douze comédiensautour d’une table qui<strong>de</strong>vaient répondre à une<strong>de</strong>vinette. J’avais vraimentl’impression d’être un chefd’orchestre ; j’avais mesinstruments qui étaient cescomédiens et <strong>de</strong>s énergiesqui leur correspondaient ;et je gérais <strong>les</strong> énergies et<strong>les</strong> silences comme unepartition musicale. J’ai unrapport assez physique avec<strong>les</strong> acteurs et très vite, j’aibesoin <strong>de</strong> <strong>les</strong> toucher. Il y aquelque chose <strong>de</strong> très animalentre eux, tout commeil y a quelque chose <strong>de</strong> trèsintuitif et cérébral. C’est-àdire,je leur parle un peu <strong>de</strong>spersonnages mais pas trop,parce que jouer c’est aussiagir. Avec Home je n’ai comprisqu’après le tournageque j’avais dirigé <strong>les</strong> acteursexactement comme <strong>de</strong>vaientfonctionner <strong>les</strong> personnages.Le petit gamin,par exemple, est quelqu’unqui essaye par son énergie<strong>de</strong> s’en sortir, parce qu’il estune espèce d’éponge quiabsorbe la folie <strong>de</strong>s autres.Je l’ai dirigé <strong>de</strong> façon trèsénergique, comme le personnage.Isabelle Huppert,c’est quelqu’un à qui il fautdonner <strong>de</strong>s indications. Pastrop non plus, mais elle a besoin<strong>de</strong> faire sa cuisine paraprès, elle propose quelquechose, on le retravaille et onen discute. Olivier Gourmetpart plutôt du concret, chezlui c’est vraiment la mémoiredu corps qui le fait, etc’est assez génial, parce queje fonctionne <strong>de</strong> la mêmemanière ; c’est très important,<strong>les</strong> corps.Que pouvez-vous nous dire<strong>de</strong> plus sur votre <strong>de</strong>uxième– ou troisième – longmétrage ?Je suis en pleine écritured’un projet <strong>de</strong>stiné aujeune garçon qui a joué dansHome, Kacey Mottet Klein. Iln’avait jamais joué avant <strong>de</strong>faire Home, et nous avonsbeaucoup travaillé avec luiavant le tournage. C’étaitformidable <strong>de</strong> voir commentil a conservé un côté trèsspontané même en disantun texte appris et en faisant<strong>de</strong>s actions très précises.Cet équilibre entre spontanéitéet contrôle, c’esttout mon cinéma. Cela m’adonné envie <strong>de</strong> continuer àtravailler avec lui et d’écrireun rôle spécifiquementpour lui. Home est un filmcomplètement horizontal,une espèce <strong>de</strong> road movieà l’envers, où le pari était<strong>de</strong> faire un film d’une heureet <strong>de</strong>mie au bord <strong>de</strong> l’autoroute.Le prochain, je nepeux pas mieux le décrirequ’en disant que c’est unfilm vertical, situé entre uneplaine industrielle et unestation <strong>de</strong> ski extrêmementriche. C’est un film entrele haut et le bas, avec <strong>de</strong>smouvements <strong>de</strong> va-et-vient.Pour moi, le fond et la formedoivent se marier dès lagenèse du projet. S’il n’y apas un enjeu <strong>de</strong> cinéma enmême temps qu’un enjeunarratif, cela ne risque pas<strong>de</strong> m’exciter beaucoup.


138 139 MeierHomepar Marion HänselFilmographieIl y a quelques années, j’avais été séduite par un téléfilmproduit par ARTE et réalisé par une jeune cinéaste, UrsulaMeier, dont j’avais déjà apprécié le court métrage Tous à table.Quel bonheur <strong>de</strong> découvrir son premier long métrage Home.Ce film très personnel mélange la comédie et le drame. L’humoury est teinté <strong>de</strong> pu<strong>de</strong>ur et d’impu<strong>de</strong>ur. Mais surtout, ilen émane une belle tendresse pour tous <strong>les</strong> personnages <strong>de</strong>cette famille proche <strong>de</strong> la folie. La cohérence du travail faitsur l’image, <strong>les</strong> effets spéciaux et la ban<strong>de</strong> sont remarquable.La direction d’acteurs aussi célèbres qu’Isabelle Huppert etOlivier Gourmet, qui pour moi interprète ici un <strong>de</strong> ses rô<strong>les</strong><strong>les</strong> plus touchants, ainsi que celle <strong>de</strong>s jeunes ado<strong>les</strong>centssans expérience, est étonnante <strong>de</strong> maîtrise. Voici un film quiémeut profondément en parlant <strong>de</strong> la force et <strong>de</strong> la fragilitéd’une famille qui résiste. À voir absolument.Marion Hänsel est une réalisatrice et productrice belge.Depuis ses débuts avec Le Lit en 1982, elle a réalisé neuf films,dont Between the Devil and the Deep Blue Sea (1994) et Si levent soulève <strong>les</strong> sab<strong>les</strong> (2006).2008HomeSemaine <strong>de</strong> la Critique,Festival du Film <strong>de</strong> Cannes.Nomination, Meilleurephotographie, César 2009.Nomination, Meilleurpremier film, César 2009.Nomination, Meilleursdécors, César 2009.Prix SACD 2009, NouveauTalent Cinéma.—2004Monique Jacot (courtdocumentaire, TV).—Alain <strong>de</strong> Kalbermatten(court documentaire, TV).—2003Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>s (TV).Film d’ouverture,Section ACID, Festivaldu Film <strong>de</strong> Cannes.Prix du Jury, CinémaTout Écran.Meilleur Premier Film,Lauriers du Jury <strong>de</strong> la Radioet <strong>de</strong> la Télévision françaisesous l’égi<strong>de</strong> du Sénat.—2002Pas <strong>les</strong> flics, pas <strong>les</strong>noirs, pas <strong>les</strong> blancs(documentaire, TV).Prix <strong>de</strong> la TSR, FestivalInternational duCinéma DocumentaireVisions du Réel.—2001Tous à table (court).Prix du Public, Festivalinternational duCourt-Métrage <strong>de</strong>Clermont-Ferrand.Prix <strong>de</strong> la Presse,Festival internationaldu Court-Métrage <strong>de</strong>Clermont-Ferrand.Léopard <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.Prix <strong>de</strong> la jeunesse, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.—<strong>2000</strong>Autour <strong>de</strong> Pinget(documentaire).—1999Des heures sanssommeil (court).Prix Spécial du Jury,Festival internationaldu Court-Métrage <strong>de</strong>Clermont-Ferrand.—1994Le songe d’Isaac (court).Léopard <strong>de</strong> <strong>de</strong>main, Festivaldu Film <strong>de</strong> Locarno.


140 141NabilBen Yadir


142 143 Ben Yadir1010NabilBen YadirTandis que <strong>les</strong> autres cinéastes répertoriés dans cevolume comptent au moins <strong>de</strong>ux longs métrages àleur actif (ou un long métrage et une série télévisée),Nabil Ben Yadir, natif <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>, n’en a réalisé qu’unseul : Les Barons. La raison pour laquelle le réalisateurest toutefois repris ici est simple : <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> filmslocaux sortis au cours <strong>de</strong> ces dix <strong>de</strong>rnières années,son film fut l’un <strong>de</strong>s plus grands succès du box-office,un domaine où <strong>de</strong> nombreux autres films locaux,même applaudis par la critique, échouent encore.Sorti en novembre 2009,Les Barons, réalisé par un cinéasteinconnu du public et<strong>de</strong>s acteurs plutôt novicesen la matière, avait déjà enregistréplus <strong>de</strong> 100 000 entréesavant la fin <strong>de</strong> l’année.À titre <strong>de</strong> comparaison, LeSilence <strong>de</strong> Lorna, le <strong>de</strong>rnierfilm <strong>de</strong>s Frères Dar<strong>de</strong>nne,champions inégalés du boxoffice,avait cumulé près <strong>de</strong>70 000 entrées en 2008.L’intérêt du film <strong>de</strong> BenYadir, dont l’histoire sedéroule à Bruxel<strong>les</strong> dansle quartier populaire <strong>de</strong>Molenbeek, est double. Toutd’abord, il innove dans ungenre sous-représenté ducinéma belge : la comédie.D’autre part, il s’agit dupremier film dans l’histoire<strong>de</strong> la Belgique francophoneoù <strong>les</strong> immigrés maghrébins<strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième générationsont représentés autrementque dans <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> <strong>de</strong>méchants ou <strong>de</strong> victimes.La mère du cinéaste fait à cepropos une réflexion amusanteet révélatrice dans ledossier <strong>de</strong> presse : pourquoila police est-elle toujoursprésente à l’écran lorsquel’on filme <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong>sa communauté ?Enfin, Les Barons place définitivementla Belgique aumême niveau que <strong>les</strong> paysd’Europe du Nord, où <strong>de</strong>scomédies à succès tel<strong>les</strong>que Jalla ! Jalla ! (Suè<strong>de</strong>,<strong>2000</strong>) et Shouf ShoufHabibi ! (Pays-Bas, 2004)ont à la fois fait la leçon auxsociétés nationalistes etamusé le public.En plus <strong>de</strong> divertir, l’humourpeut servir d’armepour dénoncer <strong>les</strong> sujetstabous. Ben Yadir en estcertainement conscientlorsqu’il dresse le portraitd’une ban<strong>de</strong> <strong>de</strong> jeuneschômeurs maghrébins quise partagent la même béhème.Cependant, Ben Yadirsemble bien plus intéressépar le potentiel comique et« J’essaie <strong>de</strong> filmer ce qu’on ne voit pas, un côté<strong>de</strong> la Belgique qui existe bel et bien mais quiest ignoré par <strong>les</strong> cinéastes. Je parle surtout<strong>de</strong> moi et <strong>de</strong> mon entourage – et le biais <strong>de</strong>l’humour me permet <strong>de</strong> rire <strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. »mélodramatique que par lasatire ou le constat politique(même si, et il est important<strong>de</strong> le signaler, faire ce filmest un constat politique ensoi, puisqu’il met en lumièreune communauté largementsous-représentée sur <strong>les</strong>écrans belges).Ce sont <strong>les</strong> dialogues,constitués d’une accumulation<strong>de</strong> sketches misbout à bout, qui font <strong>de</strong>sBarons une véritable comédie.C’est un scénario quitrouve sa source dans lerêve d’Hassan, le personnageprincipal du film, <strong>de</strong>pouvoir un jour monter surscène. Mais il ne faut pascroire que Nabil Ben Yadiret Laurent Bran<strong>de</strong>nbourger,co-scénariste du film,ne sont bons qu’à écrire<strong>de</strong>s dialogues hilarants ;le court métrage <strong>de</strong> Yadir,intitulé Sortie <strong>de</strong> clown,également co-écrit par leduo, est principalement unfilm muet. L’histoire d’uncroquemort qui partage savie entre la morgue d’unhôpital la nuit et l’habit <strong>de</strong>clown qu’il revêt le jour pourdivertir <strong>les</strong> enfants mala<strong>de</strong>srepose sur la représentation<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s totalementopposés qui se fon<strong>de</strong>ntlentement l’un dans l’autrepour trouver un équilibrequi est loin, très loin <strong>de</strong> lacomédie hilarante et parfoisindisciplinée <strong>de</strong>s Barons.En bref, <strong>de</strong>s expériences et<strong>de</strong>s intérêts riches et variésqui <strong>de</strong>vraient contribuer à laréussite <strong>de</strong>s prochains films<strong>de</strong> Nabil Ben Yadir.En conversation avecNabil Ben YadirDans Les Barons, vous montrezun côté <strong>de</strong> la Belgique,et plus particulièrement <strong>de</strong>Bruxel<strong>les</strong>, que l’on n’a encorerarement vu à l’écran.J’essaie <strong>de</strong> filmer cequ’on ne voit pas, un côté<strong>de</strong> la Belgique qui existe belet bien mais qui est ignorépar <strong>les</strong> cinéastes. Je par<strong>les</strong>urtout <strong>de</strong> moi et <strong>de</strong> monentourage – et le biais <strong>de</strong>l’humour me permet <strong>de</strong> rire<strong>de</strong> tout le mon<strong>de</strong>. La premièrepersonne sur qui jetape, c’est moi-même. Puisviennent mes potes. Toutcela a un grand avantage :vu que je n’édulcore pas cequi me touche, je peux mepermettre <strong>de</strong> critiquer mesproches. Et si je n’épargnepas mes proches, cela medonne la permission <strong>de</strong>taper sur tout le mon<strong>de</strong>. LesFrançais tournent souventà Bruxel<strong>les</strong>, et ils se fontcroireque c’est Paris. Cen’est pas ce côté-là, ni cetteimage-là <strong>de</strong> la ville qui metouchent. Dans mon film,c’est le Bruxel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Molenbeek,le quartier populaire,que je montre, non pas leBruxel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s cartes posta<strong>les</strong>.Il n’y a pas <strong>de</strong> cars japonaisqui passent par-là, et engénéral, personne n’a rien<strong>de</strong> positif à dire au sujet <strong>de</strong>Molenbeek. J’avais vraimentenvie <strong>de</strong> montrer ce quartierautrement parce que j’adorema ville. J’ai grandi ici, j’ysuis né, et j’avais envie <strong>de</strong> larendre belle, parce qu’elleest belle. Tout dépend dupoint <strong>de</strong> vue.Votre film est un film trèsbruxellois, donc, très belge.J’aime beaucoup <strong>les</strong>films belges, aussi flamands.Quand je vois unfilm comme Daens ou mêmeun polar bien ficelé commeLa Mémoire du tueur, je<strong>les</strong> vois comme <strong>de</strong>s filmsbelges. Peut-être qu’il y a<strong>de</strong>s films belges francophoneset <strong>de</strong>s films belgesflamands, très bien – maisje me sens proche d’unemultitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> réalisateurs,qu’ils soient francophones,flamands ou mêmeétrangers. La Belgique estun pays compliqué, celase reflète dans le cinéma.Dès que tu fais un film entrefrancophones et flamands,tu as l’impression <strong>de</strong> faireune coproduction internationaleavec <strong>de</strong>s russes ou<strong>de</strong>s chinois. Mais je sais qu’ily a un cinéma belge, et onne peut pas le nier.


144 145 Ben YadirLes Barons© Entre Chien et Loup


146 147Ben YadirVous êtes un jeune réalisateurautodidacte. D’où estvenue votre envie du fairedu cinéma ?J’ai toujours rêvé fairedu cinéma. Mais au début,je ne voulais pas en faire,parce que pour moi « vouloir», c’était dire qu’on allaity arriver. Pour moi, c’étaitune chose inimaginable,tout comme il m’était impossible<strong>de</strong> faire du <strong>de</strong>ssin.Je pense qu’en Belgique, il ya plein <strong>de</strong> jeunes <strong>de</strong>s quartierspopulaires qui, dansleur for intérieur, voudraientfaire du cinéma et parler <strong>de</strong>leurs quartiers et <strong>de</strong> leursvies. Mais est-ce que <strong>les</strong>portes <strong>de</strong> l’INSAS ou <strong>de</strong>sautres gran<strong>de</strong>s éco<strong>les</strong> leursont ouvertes ? Il faut serendre compte <strong>de</strong> ces voixet <strong>de</strong> ce qu’el<strong>les</strong> ont à dire.Mon cas est le suivant : si jevois une porte fermée, je medis qu’il doit y avoir quelquechose d’intéressant <strong>de</strong>rrière.D’abord, je frappe – s’iln’y a personne, je casse.Vous avez d’abord tourné uncourt métrage quasimentmuet, Sortie <strong>de</strong> clown.J’ai mis dix ans à écrire LesBarons, avec mon co-scénaristeLaurent Bran<strong>de</strong>nbourger.Pendant cette écriture,la question du court métrages’est posée en partiepour son<strong>de</strong>r <strong>les</strong> réactionset voir si un long métragepourrait trouver une résonance…Je travaillais dansun parking à la Gare du Midiet un après-midi, j’ai essayé<strong>de</strong>s rencontrer <strong>de</strong>s gens ducinéma. Je leur ai racontél’histoire d’une personnequi était un clown le matinet qui travaillait <strong>les</strong> soirs entant que croquemort dansun hôpital. Je savais queLes Barons était en route,et je voulais faire un projetqui n’avait rien à voir, maisqui pour autant raconteraitmon histoire : l’histoire d’unmec qui passe ses journéesà faire un travail purementalimentaire et qui essaye<strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses artistiquesle matin. La gran<strong>de</strong>différence avec Les Baronsest l’absence <strong>de</strong> dialogues.Mais il y a <strong>de</strong>s points communsau niveau thématique :l’envie <strong>de</strong> donner du bonheur,et la capacité <strong>de</strong> rire<strong>de</strong> tout, même <strong>de</strong>s choses<strong>les</strong> plus graves. Et puis <strong>les</strong>protagonistes se ressemblentbeaucoup : Hassan,l’un <strong>de</strong>s Barons, a cetteenvie <strong>de</strong> monter sur scèneet <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir quelqu’un,d’être vu par <strong>les</strong> autres. Lecroquemort est lui aussiamer parce que personnene le connaît, et la seule manière<strong>de</strong> changer cela est <strong>de</strong>mener une double vie. Toutcomme Hassan : dans lequartier, tout le mon<strong>de</strong> croitqu’il est un Baron comme<strong>les</strong> autres, mais le reste dutemps, il se retrouve dans<strong>de</strong>s cabarets à faire dustand-up. Hassan, c’est moi,ce qui explique <strong>les</strong> facilités,tout comme <strong>les</strong> difficultés(cela dépendait vraiment<strong>de</strong>s moments) que j’avais àtravailler ce personnage.C’est quoi l’humour, pourvous ?Je dirais qu’il y a <strong>de</strong>uxéco<strong>les</strong> dans l’humour. D’uncôté, il y a l’humour très mathématique,où il faut qu’ily ait un rythme bien précis,une chorégraphie. Del’autre côté, il y a l’humourinstinctif, naturel, l’humour<strong>de</strong>s dialogues et <strong>de</strong>s situations.L’avantage d’être unautodidacte, c’est <strong>de</strong> pouvoirtranscrire l’humour <strong>de</strong>la vie dans le cinéma sans lapression <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir délivrerune pointe tous <strong>les</strong> vingtsecon<strong>de</strong>s, même si c’est aupéril <strong>de</strong> perdre le public. Àla télé, on perd facilementle public, il peut zapper.Au cinéma, le spectateura acheté son billet et il varegar<strong>de</strong>r, tu lui as donnél’envie <strong>de</strong> venir et à partir<strong>de</strong> ce moment, tu pourrasdire ce que tu voudras. Bienheureusement, je n’ai doncpas ce côté mécanique, jepeux rester instinctif, montrerl’humour <strong>de</strong>s quartierspopulaires et non pas unhumour formaté. Tout lemon<strong>de</strong> dit qu’il est difficile<strong>de</strong> faire rire le public, maissi tu le fais sincèrement,sans te poser la question, tuseras naturel, et il n’y auraaucun problème.Est-ce qu’il y a eu beaucoupd’improvisation surle plateau pour ces scènescomiques ?Non, tout est très écrit.Il ne peut y avoir qu’unesorte d’humour dans le film,inutile d’en avoir quarante.J’ai mon humour à l’écrit,et si <strong>les</strong> comédiens fontentrer leur humour à eux,à un moment donné, celane ressemble plus à rien. Ily a un humour écrit qu’unacteur doit transformerpour le rendre cinématographique,mais ce sont <strong>de</strong>smoments vrais, et non <strong>de</strong>s« brainstorms » collectifspour trouver <strong>les</strong> meilleurespointes. J’écris en parlant,j’invente, je suis beaucoupdans l’expression. Je vaistrouver une blague endiscutant. Je commencepar <strong>de</strong>s dialogues à chaque« La Belgique est un payscompliqué, cela se reflète dansle cinéma. Dès que tu fais un filmentre francophones et flamands,tu as l’impression <strong>de</strong> faire unecoproduction internationale avec<strong>de</strong>s russes ou <strong>de</strong>s chinois. »fois, mon GSM est rempli <strong>de</strong>dialogues, à chaque fois quej’ai une idée, je la note, je lagar<strong>de</strong>, et puis je vois où jepeux la placer.Mais ces <strong>de</strong>ux films ontaussi un côté beaucoup plussérieux…Oui, c’est sûr. On y parle<strong>de</strong>s Barons qui s’enfermentdans leur quartier, qui sesentent étrangers. Ce sont<strong>de</strong>s gens que l’on traite <strong>de</strong>voleurs quand ils ai<strong>de</strong>nt ungars à pousser sa voiturepour la démarrer. Il m’estarrivé, quand j’ai <strong>de</strong>mandé« elle est où la gare ? », que<strong>les</strong> gens m’aient répondu« elle est dans ton pays ».C’est drôle, mais c’est vrai,et dès que l’on se rendcompte que c’est vrai, çafait moins rire. L’équilibre<strong>de</strong> mes films en souffriraittrop si j’essayais d’y mettredu drame gratuitement. Ily a <strong>de</strong>s gens qui trouventque le film se casse avec labagarre, au moment où lacaméra est très proche etqu’il y a une violence physiqueextrême, que je revendiquepourtant expressément.Il y a un <strong>de</strong>uxième moment<strong>de</strong> violence et d’humiliation,au cabaret, qui a suscité <strong>de</strong>sréactions semblab<strong>les</strong>. Pourmoi, la violence <strong>de</strong>s motsest aussi forte que la violence<strong>de</strong>s coups. Raconterla vie <strong>de</strong> quelqu’un, cela nepeut pas être que drôle, etça ne peut pas être que triste.Il n’y a que le juste équilibrequi fait que <strong>les</strong> genss’i<strong>de</strong>ntifient à l’histoire, ense disant : « tiens, il m’a faitrire, il m’a fait pleurer, c’est<strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> vie. » Laforme attire : l’affiche, <strong>les</strong>couleurs et <strong>les</strong> personnagesramènent <strong>les</strong> gens au cinéma.Une fois assis <strong>de</strong>vant lefilm, ils sont obligés <strong>de</strong> voiret <strong>de</strong> ressentir cette forme,<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont importants.Il faut que ambiguïté resteintacte. Si <strong>les</strong> gens sortenten se disant « On est <strong>de</strong>sBarons », et qu’ils se promènentavec <strong>de</strong>s t-shirts <strong>de</strong>sBarons, il faut qu’ils revoientle film. C’est ce qui est drôleet dangereux en mêmetemps : <strong>les</strong> gens le prennentcomme ils veulent, c’est euxqui déci<strong>de</strong>nt.Votre film a attiré beaucoup<strong>de</strong> gens qui vont rarementau cinéma, notamment dansla communauté maghrébine.C’est un argumentfacile. Quand <strong>les</strong> gens disentque c’est un film sur lacommunauté maghrébine,je ne suis pas d’accord, c’estun film sur <strong>de</strong>s Bruxellois.Quand ils disent que c’est unfilm sur <strong>les</strong> francophones,non, je ne suis pas d’accord,c’est un film sur <strong>de</strong>s belgesbruxellois du quartier <strong>de</strong>Molenbeek. Les gens sontpartis voir le film parcequ’ils ont entendu que l’ony parlait d’eux – <strong>de</strong>s gensqui ont boudé le cinémapendant vingt ans parceque rien ne <strong>les</strong> intéressait.Ils sont allés voir par curiosité.Nous avons fait ungrand travail <strong>de</strong> promotionen amont, prévenant que le


148 149Ben Yadir« La gran<strong>de</strong> question à se poser serait <strong>de</strong>savoir si c’est véritablement un public quibou<strong>de</strong> le cinéma, ou si on ne serait pas enprésence d’un cinéma qui bou<strong>de</strong> son public.Le public <strong>de</strong>s Barons est un public très dur. »Les Barons© Entre Chien et Loupfilm allait sortir, surtout parInternet, et <strong>les</strong> jeunes duquartier étaient au courantque le film allait sortir alorsque beaucoup <strong>de</strong> journalistesen ignoraient encoretout. Les vrais barons <strong>de</strong> lavie ne vont pas acheter lejournal Le Soir pour savoirs’il y a un film belge quisort. Il y a <strong>de</strong>s médias moinsexploités à ces fins, et là, jem’en suis pleinement servi.La gran<strong>de</strong> question à seposer serait <strong>de</strong> savoir si c’estvéritablement un public quibou<strong>de</strong> le cinéma, ou si on neserait pas en présence d’uncinéma qui bou<strong>de</strong> le public.Le public <strong>de</strong>s Barons est unpublic très dur. Il a l’habitu<strong>de</strong><strong>de</strong> voir <strong>les</strong> gros filmsaméricains, et il ne va pashésiter à sortir <strong>de</strong> la salle s’ilreste sur sa faim. Il s’en foutun peu. Là, j’ai dû bien faire,il est resté jusqu’à la fin dufilm, il est allé le revoir, etil a conseillé à ses prochesd’aller le voir.Aux côtés d’acteurs peuconnus, on retrouve dansLes Barons <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong>renom tels Jan Decleir etEdouard Baer. Ont-ils étéfaci<strong>les</strong> à convaincre <strong>de</strong>participer à ce premier filmbruxellois ?Je n’avais rien à perdre.Je connaissais Jan Decleir<strong>de</strong> la télé. Des gens dumilieu du cinéma m’avaientdit : « Decleir, jamais il neva te dire oui ». Mais je suisallé le voir et cela c’estbien passé. Il avait lu <strong>les</strong>cénario, et pendant troisheures on a parlé <strong>de</strong> la vieet pas du tout du scénario.Il avait besoin <strong>de</strong> meconnaître et j’avais besoin<strong>de</strong> le connaître. Il a répétéavec <strong>les</strong> autres acteurs etil a beaucoup contribué aupersonnage d’Aziz. Dans lecas d’Edouard Baer, c’étaitune rencontre, tous cesgens sentaient qu’il y avaitune aventure dans le projet.J’avais besoin d’internationaliserle quartier. Ce n’estpas parce je faisais un filmsur mon quartier que j’allaisprendre <strong>de</strong>s vrais gensdu quartier. J’avais besoind’acteurs ; le décor allaitêtre vrai, <strong>les</strong> acteurs sont<strong>de</strong>s acteurs. Des « acteursnaturels » cela semble existerpartout, mais envoyezune caméra et le naturel adisparu. Il faut du travail. Enplus <strong>de</strong> Jan Decleir, EdouardBaer, Julien Courbey et legrand Fellag sont venus icipour tourner. Ils ne sont pasvenus faire un film françaisen Belgique, ils sont venusfaire un film bruxellois, doncils s’adaptaient, c’était super.Les gens s’attendaientà une caméra à l’épaule,à une image un peu sale,selon l’adage « nous allonsfilmer le réel ». Mais je faisdu cinéma, je ne filme pasle réel : le réel, je le retranscrisdans un mon<strong>de</strong>cinématographique.Les Barons est sorti l’année<strong>de</strong>rnière. Sur quoi travaillezvousen ce moment ?Je suis sur <strong>de</strong>ux projets,dont un polar belge, tournéen Flandres et en Wallonie,avec, j’espère, Jan Decleir,et puis un autre projet quisera probablement produitpar Djamel Bensalah, unecomédie entre le Maroc etl’Algérie. Ils sont en coursd’écriture et j’essaye <strong>de</strong> medépartager. Je prends montemps ; je n’ai pas envied’écrire vite, je préfèreécrire bien. J’écris toujoursavec Laurent, nous sommesun binôme complémentaire.Généralement, c’est moiqui apporte l’idée initiale,et puis on la développeensemble, c’est comme duping-pong. Nous discutonsbeaucoup ; il y a quelquesmois <strong>de</strong> discussions avantmême <strong>de</strong> commencer.


150 151Ben YadirNabil Ben Yadirpar Jan DecleirFilmographieNabil Prési<strong>de</strong>nt !Pour rien au mon<strong>de</strong> je n’aurais manqué un ren<strong>de</strong>z-vous avecNabil Ben Yadir, qu’il ait ou non réalisé Les Barons. C’est unhomme intelligent, bourré d’humour, et extrêmement discret.Je soupçonne qu’il vive au nom <strong>de</strong> l’amour. Il a un besoinextraordinaire <strong>de</strong> faire et <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s choses. Son film estune véritable œuvre d’art ! Vive Nabil Ben Yadir !Jan Decleir est un <strong>de</strong>s plus grands acteurs du cinéma belge.Il a joué dans Daens (1993), nominé aux Oscars et dans <strong>les</strong>films hollandais Antonia et ses fil<strong>les</strong> (1995) et Character (1997),qui ont tous <strong>de</strong>ux remporté un Oscar. Il a reçu <strong>les</strong> éloges <strong>de</strong> lacritique pour son interprétation d’un tueur à gages atteint parla maladie d’Alzheimer dans La Mémoire du tueur (2002).2010Les BaronsFestival du FilmFrancophone <strong>de</strong> Namur.Prix Spécial du Jury,Festival <strong>de</strong> Marrakech.Chicago InternationalFilm Festival.Prix d’interprétationmasculine, Festivalinternational duFilm d’Amiens.—2006Sortie <strong>de</strong> clown (court).Les Barons© Entre Chien et Loup


152 153Vincent Lecuyer surQuand la mer monteConclusionJe connaissais le travail <strong>de</strong> Yolan<strong>de</strong> Moreau en tant que comédienne,et dès que son premier film en tant que réalisatriceest sorti, je suis allé le voir au cinéma. Je crois qu’il esttoujours intéressant <strong>de</strong> voir ce que <strong>les</strong> acteurs-réalisateursécrivent comme rô<strong>les</strong> pour eux-mêmes ; souvent ce sont <strong>de</strong>srô<strong>les</strong> qu’ils ne trouvent pas facilement dans <strong>de</strong>s films d’autresréalisateurs. Dans Quand la mer monte, Yolan<strong>de</strong> n’est pas dutout ce personnage simple, un peu bête qu’elle a joué à plusieursreprises. Il s’agit ici d’un très beau rôle, plus dramatiqueet romantique que d’habitu<strong>de</strong>. Je viens du mon<strong>de</strong> du théâtreet j’ai beaucoup aimé comment le film réussit à suggérer lasolitu<strong>de</strong> que représentent <strong>les</strong> tournées en province pour <strong>les</strong>comédiens. Comme dans Ultranova et Louise-Michel, qui fontpartie, dans un certain sens, <strong>de</strong> la même famille, le film parle<strong>de</strong>s gens normaux, pas <strong>de</strong> héros, et il y a un petit côté désespéréqui est assez typique pour la Belgique et le Nord <strong>de</strong> laFrance. J’aime beaucoup ces films où l’on sort <strong>de</strong>s sentiersbattus, où <strong>les</strong> personnages sont plus complexes et où l’ambianceest souvent aussi importante que l’histoire.Vincent Lecuyer est un acteur belge <strong>de</strong> théâtre et <strong>de</strong> cinéma. Iltient le rôle principal dans Ultranova (2005) <strong>de</strong> Bouli Lannerset le court métrage Alice et Moi (2004) <strong>de</strong> Micha Wald.I. Un regard élargi.À côté <strong>de</strong>s dix jeunesréalisateurs mis en avantdans ce volume, 38 autrescinéastes (ou coup<strong>les</strong> <strong>de</strong> cinéastes)belges francophonesont réalisé un premierlong métrage <strong>de</strong>puis l’an<strong>2000</strong>. En résulte un nombre<strong>de</strong> premiers long métragesqui approche <strong>les</strong> 50 surune décennie, une quantitéimpressionnante pour n’importequel pays, et certainementpour une région d’unpeu plus <strong>de</strong> quatre millionsd’habitants.Une liste complète <strong>de</strong> tous<strong>les</strong> films produits avec <strong>les</strong>upport <strong>de</strong> la Commission<strong>de</strong> Sélection <strong>de</strong>s Films duCentre du Cinéma et <strong>de</strong>l’Audiovisuel, <strong>de</strong> la pério<strong>de</strong><strong>de</strong> <strong>2000</strong> à 2010 peut êtreconsultée à l’arrière <strong>de</strong> cevolume. Tous <strong>les</strong> premierslongs métrages y sontmarqués d’un astérisque.Il est intéressant dans cecontexte <strong>de</strong> relever certains<strong>de</strong>s noms et tendances quis’y dissimulent.Un premier nom qui mérited’être mentionné est celuidu scénariste prolifique etréalisateur occasionnel PhilippeBlasband, qui a notammentco-écrit tous <strong>les</strong> films<strong>de</strong> Sam Garbarski. Blasbanda réalisé son premier longmétrage, Un honnête commerçant,en 2002. Ses filmset scénarios se jouent fréquemment<strong>de</strong>s conventions<strong>de</strong> genres traditionnel<strong>les</strong> ettraitent <strong>de</strong> la langue – un sujetpeu abracadabrant pourun écrivain – et <strong>de</strong>s problèmes<strong>de</strong> communication.Dans Un honnête commerçant,un trafiquant <strong>de</strong>drogue majeur est interrogépar la police, mais sembleen besoin <strong>de</strong> s’exprimer visà-vis<strong>de</strong>s agents plus souventque ces <strong>de</strong>rniers n’ontbesoin <strong>de</strong> lui extirper <strong>de</strong>s informations.La Couleur <strong>de</strong>smots raconte l’histoire d’unefemme dysphasique, interprétéepar Aylin Yay. Coquelicots,le troisième film <strong>de</strong>Blasband, est situé dans lemilieu <strong>de</strong> la prostitution àBruxel<strong>les</strong>, et offre un aperçu<strong>de</strong> ce qu’aurait pu <strong>de</strong>venirIrina Palm <strong>de</strong> Garbarski sile scénario n’avait pas ététransposé en Angleterre.Son <strong>de</strong>rnier film, Maternelle,se concentre sur unerelation mère-fille difficile,un élément déjà importantdans La Couleur <strong>de</strong>s mots,et voit son habituée AylinYay occuper le premier rôle.Leur collaboration durablereflète en quelque sortecelle entre Olivier Masset-Depasse et l’actrice AnneCoesens, surtout parce que<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux réalisateurs privilégient<strong>de</strong>s films à rô<strong>les</strong>féminins forts.À côté <strong>de</strong> son travail régulierpour Garbarski (LeTango <strong>de</strong>s Rashevski, IrinaPalm, Quartier lointain) etFrédéric Fonteyne (Max etBobo et Une Liaison Pornographiqueà la fin <strong>de</strong>sannées 1990, La femme <strong>de</strong>Gil<strong>les</strong>, en 2004), Philippea aussi écrit ou co-écrit <strong>les</strong>scénarios <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux autresdébuts <strong>de</strong>s années <strong>2000</strong> :J’ai toujours voulu être unesainte, réalisé par GenevièveMersch, et Thomas estamoureux par Pierre-PaulRen<strong>de</strong>rs. Tous <strong>de</strong>ux traitent<strong>de</strong> jeunes gens et <strong>de</strong> leurdésir, explicite ou non, d’entreren communication avecle mon<strong>de</strong> qui <strong>les</strong> entoure.Ren<strong>de</strong>rs a fait suivre sonlong-métrage <strong>de</strong> Commetout le mon<strong>de</strong>, qui explore<strong>de</strong>s thèmes semblab<strong>les</strong>,sans être écrit par Blasbandmais par le réalisateur etauteur <strong>de</strong> ban<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ssinéesDenis Lapière.La fluidité culturelle <strong>de</strong> laBelgique et son ouvertureaux influences externesont amené plusieurs <strong>de</strong>ses cinéastes à tourner <strong>de</strong>sprojets – labellisés ici filmsbelges francophones – dansd’autres langues. Vinyan etIrina Palm, par exemple, ont


154 155Comme toutle mon<strong>de</strong>© BernardSpaukeLa cantante<strong>de</strong> tango© TarantulaJ’ai toujours vouluêtre une sainte parMiel van HoogenbemtC’est en 1987 que j’ai commencé à m’intéresser au travail<strong>de</strong> Geneviève Mersch. Je tournais alors un moyen métrage àBenidorm sur lequel elle a collaboré. Un petit groupe <strong>de</strong> futurscinéastes, encore étudiants en cinéma à l’époque, dontMersch, Frédéric Fonteyne et Caroline Strubbe participèrentau projet. C’est Geneviève qui, pour finir, a réalisé son premierlong métrage J’ai toujours voulu être une sainte, <strong>de</strong>uxans avant moi ! C’est l’honnêteté envers le thème et l’interprétationmagistrale <strong>de</strong> Marie Kremer, l’actrice principale,que j’affectionne tout particulièrement dans ce film. Il estabsolument essentiel que le cinéaste fasse preuve d’honnêteté,même face à la pression extérieure. J’aime aussi sa toucheféminine. En tant qu’homme, il y a certains films, commeLost Persons Area <strong>de</strong> Caroline Strubbe par exemple, que jen’aurais jamais pu réaliser. C’est la raison pour laquelle j’essaietoujours <strong>de</strong> travailler avec <strong>de</strong>s femmes sur mes films. El<strong>les</strong>sont plus soup<strong>les</strong>, plus subti<strong>les</strong> aussi.Miel van Hoogenbemt, né à Bruxel<strong>les</strong>, a débuté en tant quedocumentariste avant <strong>de</strong> réaliser son premier long métrageMiss Montigny (2005), un drame francophone. Il réalise ensuitePerfect Match (2007), une comédie dramatique flaman<strong>de</strong>. Iltravaille actuellement sur Fils unique, avec Patrick Chesnais.été tournés en anglais etfilmés, du moins en partie,à l’étranger.Plusieurs réalisateursd’origine étrangère habitentla Belgique en plus d’yavoir fréquenté une école<strong>de</strong> cinéma dans certainscas, comme par exemple laréalisatrice franco-suisseUrsula Meier. En font égalementpartie, <strong>de</strong> manièreremarquable, <strong>de</strong>ux talentshispanophones non mentionnésjusqu’ici : la cinéasteuruguayenne Beatriz FlorezSilva et l’ex-directeur <strong>de</strong>la photo argentin DiegoMartinez Vignatti. Tous <strong>de</strong>uxont connu leurs débuts dans<strong>les</strong> années <strong>2000</strong> : Silva en2001 avec Putain <strong>de</strong> vie (Enla puta vida) et Vignatti, quiétait chef opérateur <strong>de</strong>s<strong>de</strong>ux premiers longs métragesdu réalisateur mexicainCarlos Reygadas, en 2005avec La Marea. Les <strong>de</strong>ux ont<strong>de</strong>puis fait un second longmétrage chacun : Masange<strong>les</strong>et La Cantante <strong>de</strong> tango,respectivement. Conformémentaux attentes, dansPutain <strong>de</strong> vie et La Cantante<strong>de</strong> tango spécialement,l’Europe ainsi que la patriedu réalisateur jouent unrôle important.Un cas spécial d’étrangerstournant en Belgique sont<strong>les</strong> réalisateurs françaisayant délocalisé vers lenord. Le romancier et dramaturgeEric-EmmanuelSchmitt a débuté en tantque réalisateur avec O<strong>de</strong>tteToulemon<strong>de</strong>, dans lequelCatherine Frot – une actricefrançaise ! – joue une ven<strong>de</strong>usebelge. Son <strong>de</strong>uxièmefilm, Oscar et la Dame rose,basé sur son propre roman


156 157ConclusionLe jour où Dieuest parti en voyagepar Christophe RossignonJe connaissais vaguement [le directeur <strong>de</strong> photographie]Philippe <strong>Van</strong> Leeuw et je l’ai présenté au producteur PatrickQuinet, un ami proche avec qui j’avais souvent travaillé. Patrickest ainsi <strong>de</strong>venu le producteur du film Le jour où Dieuest parti en voyage, le premier long métrage <strong>de</strong> Philippe entant que réalisateur. C’est un film poignant sur le génoci<strong>de</strong>rwandais, un sujet dont on n’entend pas suffisamment parlerd’après moi. Il ne s’agit pas du premier film à ce sujet, certes,mais comparé aux autres génoci<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’histoire, très peu <strong>de</strong>films en parlent. Le film, très dur et austère, m’a littéralementabasourdi. Le plan fixe sur cette femme, interprétée par uneactrice extraordinaire, qui a perdu ses enfants, qui a tout perdu,est un <strong>de</strong>s moments <strong>les</strong> plus forts du film. Le film manquepeut-être <strong>de</strong> contexte ou <strong>de</strong> repères historiques, mais la tragédiehumaine du génoci<strong>de</strong> est très vivement exprimée.Christophe Rossignon est un producteur français qui a vule jour à 100 mètres <strong>de</strong> la frontière belge. Il a produit entreautres La Haine (1995), Irréversible (2002), Welcome et L’AffaireFarewell (2009). Il a également co-produit le long métragebelge <strong>de</strong> Frédéric Fonteyne, La femme <strong>de</strong> Gil<strong>les</strong> (2004).qui suit un jeune garçonatteint d’une maladieterminale, a lui-aussi étéco-produit par la Belgique.Français <strong>de</strong> naissance, <strong>les</strong>frères Guillaume et StéphaneMalandrin ont co-réaliséle polar psychologique Oùest la main <strong>de</strong> l’homme sanstête, situé en Belgique, avecCécile <strong>de</strong> France et BouliLanners. Guillaume avaitréalisé auparavant Ça m’estégal si <strong>de</strong>main n’arrive pas,pendant que Stéphane avaitco-écrit plusieurs scénarios,dont Ça m’est égal et unautre début belge, 25 <strong>de</strong>grésen hiver par StéphaneVuillet, en 2004.Les films d’animation formentun cas à part en ce quiconcerne leur classificationlinguistique, <strong>les</strong> voix étantenregistrées séparément.Pour Panique au village, parexemple, la version flaman<strong>de</strong>a été réalisée presqu’ensimultané avec la versionfrançaise, avec <strong>de</strong>s dialogueset blagues légèrementdivergents. Une partie dufinancement pour ce filmprovenait <strong>de</strong> la communautéflaman<strong>de</strong>. Ce genre<strong>de</strong> coopération nationalepermet au film d’être montrédans <strong>les</strong> sal<strong>les</strong> <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxparties du pays.De manière semblable, BenStassen, un animateur néen Wallonie, a surveillé letravail sur ses <strong>de</strong>ux longmétrages animés, Fly Meto the Moon et Sammy’sAdventures : The SecretPassage <strong>de</strong>puis son studioà Bruxel<strong>les</strong>, soustrayant<strong>de</strong>s financements flamandspour son premier film et <strong>de</strong>ssubsi<strong>de</strong>s en provenance<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux communautéspour le second. Venant d’unBeyond the Steppes© Need Production


158 159 ConclusionAmer© AnonymesFilms, TobinaFilmLe jour où Dieuest parti envoyage© Les Filmsdu Mogho& ArtémisProductionsUn angeà la mer© DragonsFilmsLa Régate© MarjorieJesper


160 161ConclusionLa Régatepar Sergi Lópezcontexte <strong>de</strong> développementen technologie 3D, Stassena fait <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux films en3D essayant visiblementd’égaler ce que produisent<strong>les</strong> studios d’animationaméricains. Les dialogues<strong>de</strong> Sammy’s Adventuresont été enregistrés d’abor<strong>de</strong>n anglais.Une Liaison pornographique <strong>de</strong> Frédéric Fonteyne fut letout premier film belge sur lequel j’ai travaillé. Je me suis faitalors <strong>de</strong> nombreux amis sur le plateau <strong>de</strong> tournage. En tant queCatalan, je me sens proche <strong>de</strong>s belges, on partage <strong>les</strong> mêmesjoies, la même simplicité, la même transparence. Lorsque j’aicommencé à travailler sur le film <strong>de</strong> Bernard Bellefroid, La Régate,j’y ai retrouvé certains <strong>de</strong> mes anciens collègues, <strong>les</strong> retrouvail<strong>les</strong>furent joyeuses, et ce fut agréable <strong>de</strong> travailler unefois <strong>de</strong> plus avec un jeune cinéaste tournant son premier longmétrage. Le scénario m’avait fortement impressionné en cesens qu’il semblait raconter une histoire vraie. Il s’agit d’unehistoire triste racontée <strong>de</strong> manière très réaliste. C’est, en fait,une histoire semi-autobiographique que personne n’aurait puinventer, si ce n’est le cinéaste.Sergi López est un acteur espagnol qui a joué en espagnol,catalan, anglais et français. Il a, entre autres, joué dans Le Labyrinthe<strong>de</strong> Pan (2006), Loin <strong>de</strong> chez eux (2002), Harry, un amiqui vous veut du bien (<strong>2000</strong>) et Une Liaison pornographique(1999), dans lequel il partage l’affiche avec Nathalie Baye.À la fin <strong>de</strong> la décennie, on apu constater chaque annéeplus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux débuts d’exception.Les premiers longsmétrages <strong>de</strong> 2009 soulignentune nouvelle fois ladiversité du cinéma belgefrancophone : il y avait un« giallo » belge, Amer, parHélène Cattet et BrunoForzani ; l’impressionnisteUn ange à la mer <strong>de</strong> FrédéricDumont, un drame<strong>de</strong> famille situé au Maroc ;l’intense Le Jour où Dieu estparti en voyage, un film surle génoci<strong>de</strong> rwandais parle réalisateur et ex-directeur<strong>de</strong> la photo Philippe<strong>Van</strong> Leeuw et La Régatepar Bernard Bellefroid,un <strong>de</strong>s rares films dont onpeut maintenir qu’il a <strong>de</strong>stouches Dar<strong>de</strong>nnesques,du moins dans sa manière<strong>de</strong> scruter <strong>de</strong>s relationsfamilia<strong>les</strong> endolories dansun contexte <strong>de</strong> classeouvrière wallonne.Beaucoup <strong>de</strong>s films en postproductionau moment <strong>de</strong>la finalisation <strong>de</strong> ce volumeaugurent bien : Beyond theSteppes <strong>de</strong> <strong>Van</strong>ja d’Alcantara,un drame historiquesitué en 1940 et co-produitavec la Flandres et la Pologne; le drame mère-fillecontemporain Marieke,Marieke par Sophie Schoukens; le drame sur fond<strong>de</strong> holocaust Rondo parOù est la main<strong>de</strong> l’hommesans tête© Luca EtterOscar et ladame rose© Oscar Films


162 163ConclusionMariekeMarieke© AlainMarcoenViva Riva!© KiripiKatembo SikuAmer parJaco <strong>Van</strong> DormaelJe ne suis pas un habitué du genre « giallo », et en généralquand il a y du sang, je regar<strong>de</strong> mes pieds en attendant que çapasse. Mais ce que Bruno Forzani et Hélène Cattet ont réussidans Amer dépasse le film <strong>de</strong> genre, et amène quelque chosed’hypnotique. C’est une expérience sensorielle <strong>de</strong> « Arte Povera». Avec une très petite équipe, un directeur photo qui asu inventer un 16 mm flamboyant, une grammaire très précise,ils créent un voyage sensoriel dans lequel la logiquedu cerveau se met en panne pour se faire supplanter par lalogique <strong>de</strong> la peau. L’essentiel est rarement visible, flou, ouhors champ. Les très gros plans et <strong>les</strong> aplats <strong>de</strong> couleurs dominent,le réel n’est donné qu’à imaginer. Ce n’est pas la <strong>de</strong>scriptiondu réel, c’est la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la perception. Les imagessont menta<strong>les</strong>, le son raconte autre chose que l’image. Ilsont réalisé le rêve <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> cinéastes, faire du cinémacomme on fait <strong>de</strong> la musique, avec une ban<strong>de</strong> d’amis, <strong>de</strong> l’ArtePovera riche, et avec peu <strong>de</strong> moyens ils ont trouvé un styletrès personnel. Une façon très mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> faire du cinémanon industriel.Jaco <strong>Van</strong> Dormael est un réalisateur belge. Son premierfilm, Toto le héros (1991), vaut la Caméra d’Or à Cannes. SuiventLe huitième jour (1996) et, plus récemment, son premierfilm en anglais, Mr. Nobody (2009).Olivier <strong>Van</strong> Mal<strong>de</strong>rghem etViva Riva ! par Djo Tunda WaMunga, situé en Afrique.II. Défis.Les films <strong>de</strong> JoachimLafosse et Bouli Lanners,d’autres titres commeLes Barons, Illégal et Calvaire,voire même Paniqueau village, jouent dansune Belgique reconnaissablebien que nonnécessairement réaliste.D’autres, y inclus <strong>les</strong> œuvresrassemblées d’UrsulaMeier, <strong>de</strong> Dominique Abelet Fiona Gordon ainsi que<strong>de</strong>s films tels Irina Palm,Quartier lointain, Voleurs<strong>de</strong> chevaux et Vinyan jouentsoit à l’étranger, soit dans<strong>de</strong>s pays non spécifiés – cesterritoires où seuls <strong>les</strong> filmspeuvent exister.Ce que tous ces films nepeuvent pour autant ignorer,c’est la réalité du marchédomestique et international.Là où Toto le héros,C’est arrivé près <strong>de</strong> chezvous et <strong>les</strong> films <strong>de</strong>s Dar<strong>de</strong>nne– du moins après LaPromesse – ont tous assuréà la caisse, ce ne fut pas toujoursle cas <strong>de</strong>s autres filmsmentionnés ici.La question <strong>de</strong> savoir pourquoile public domestiquen’achète pas plus <strong>de</strong> billetspour voir <strong>de</strong>s films locauxdont la qualité ne semblejamais mise en cause,dépasse le cadre <strong>de</strong> notreargument. Mais, il est juste<strong>de</strong> noter que <strong>les</strong> problèmesd’i<strong>de</strong>ntité qu’affrontent<strong>les</strong> réalisateurs – qu’estcequi définit la Belgiqueet la Belgitu<strong>de</strong> dans une


164 165Conclusion9 mm parAnne CoesensLe scénario <strong>de</strong> 9 mm <strong>de</strong> Taylan Barman m’a fort touchée.Il abor<strong>de</strong> une thématique qui m’est chère : le manque <strong>de</strong> communication.Ici il s’insinue au sein d’une famille et provoquele drame. Le film se déroule sur 24 heures. On comprend trèsvite à travers le quotidien <strong>de</strong> cette journée que chaque membre<strong>de</strong> la famille s’est peu à peu retranché <strong>de</strong>rrière ses problèmeset enfoncé dans un silence égoïste. Pourtant, il auraitfallu si peu durant cette journée fatale pour éviter le pire. Pourmoi, la mère était un rôle difficile parce que toute en <strong>de</strong>miteintes,sans éclat, peu sympathique et en partie fautive. Ilfallait accepter cette part sombre sans tenter <strong>de</strong> l’amoindrirou <strong>de</strong> l’excuser. Taylan, un directeur d’acteurs calme, précis,exigeant et très à l’écoute, ne voulait tourner qu’en plans-séquences,ce qui est toujours synonyme pour un acteur d’unegran<strong>de</strong> liberté <strong>de</strong> jeu. Même si la pression est plus forte. Letournage s’est révélé très agréable. En général, plus un filmest sombre, plus on rigole.Anne Coesens est une comédienne belge. Elle apparaîtdans tous <strong>les</strong> films <strong>de</strong> son compagnon, Olivier Masset-Depasse,ainsi que, entre autres dans Des épau<strong>les</strong> soli<strong>de</strong>s (2003) d’UrsulaMeier et Élève libre (2008) <strong>de</strong> Joachim Lafosse.région fortement dominéepar <strong>les</strong> modè<strong>les</strong> culturelsfrançais et américain ? –s’éten<strong>de</strong>nt aux schémas<strong>de</strong> distribution.Non seulement <strong>les</strong> cinémassont-ils engorgés <strong>de</strong>sgrands titres commerciauxen provenance <strong>de</strong> la Franceet <strong>de</strong>s États-Unis, mais <strong>de</strong>sproductions <strong>de</strong> ces paysmangent également unebonne partie du marché ducinéma d’art et d’essai, quisemble le plus propice àoffrir un public potentiel à laplupart <strong>de</strong>s films présentésici. L’exception qui confirmela règle est Les Barons, quia largement dépassé <strong>les</strong>standards du box-office <strong>de</strong>la <strong>de</strong>rnière décennie et attiréun public qui ne va pas,d’habitu<strong>de</strong>, au cinéma.Étant donné que la Belgiquefrancophone est un petitmarché, il est indispensableaux producteurs et cinéastes<strong>de</strong> trouver au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>sfrontières <strong>de</strong>s partenaires<strong>de</strong> production et <strong>de</strong>s publicspotentiels. Le choixnaturel est souvent le voisinimmédiat, la France, mais<strong>de</strong>s co-productions avec leCanada, l’Allemagne et laFlandre se font <strong>de</strong> plus enplus souvent.Ce qui démarque <strong>les</strong> filmsbelges francophones <strong>de</strong>leurs frères français et<strong>de</strong> bien d’autres cinémasnationaux est la multitu<strong>de</strong><strong>de</strong> voix créatives et individuel<strong>les</strong>qu’il comporte,reflétant ainsi la nature <strong>de</strong>la nation belge elle-même :<strong>de</strong>puis sa création pendantla première moitié <strong>de</strong>sannées 1800, la Belgique aété un « melting pot » bienau-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s simp<strong>les</strong> distinctionslinguistiques.Alors que Paris par exemple,la capitale du cinéma français,par exemple, forme unsorte <strong>de</strong> huis clos culturelet linguistique, Bruxel<strong>les</strong>se situe exactement à laligne <strong>de</strong> démarcation entre<strong>les</strong> sphères culturel<strong>les</strong>et linguistiques latine etgermanique – une intersection<strong>de</strong>s mentalités dont<strong>les</strong> différences et tensionsaiguillonnent une créativitémoins uniforme. C’est unecirconstance qui se reflèteclairement dans <strong>les</strong> filmsqu’on y produits.Ce dont ces films ont besoin,c’est d’une visibilité sur<strong>les</strong> marchés non-nationauxet non-francophones. Surla scène internationale, lecinéma belge francophone<strong>de</strong>vrait construire sur l’attentionet la reconnaissancedont ont bénéficié <strong>les</strong> frèresDar<strong>de</strong>nne pour mettre enavant cette génération quileur succè<strong>de</strong> avec tant <strong>de</strong>zèle. À tous <strong>de</strong> développerplus loin l’idée d’un cinémabelge francophone auxmultip<strong>les</strong> facettes produisantautant <strong>de</strong> talents et <strong>de</strong>films individuels.III. 10/10Joachim Lafosse défriche<strong>les</strong> limites <strong>de</strong>s relationshumaines. Nabil Ben Yadirmontre un coin <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>négligé à travers un prismecomique. Sam Gabarskidécouvre <strong>les</strong> origines, le<strong>de</strong>stin et la fatalité dans <strong>de</strong>sdrames comiques contemporains.Les personnagesd’Ursula Meier vont jusqu’aubout. Dominique Abel etFiona Gordon se dévoilentà travers le langage <strong>de</strong>sclowns, du théâtre et <strong>de</strong>sfilms muets.Stéphane Aubier et VincentPatar animent <strong>les</strong> histoiresqu’ils ont envie <strong>de</strong> voir.Micha Wald maintient que lechez-soi, c’est la famille. OlivierMasset-Depasse arbore<strong>de</strong>s femmes volontaires quiaffrontent <strong>les</strong> vicissitu<strong>de</strong>s<strong>de</strong> communication. Fabricedu Welz raconte <strong>de</strong>s histoiresd’amour et <strong>de</strong> <strong>de</strong>uilqui augurent mal. BouliLanners regar<strong>de</strong> ses personnagesévoluer dans lepaysage belge.Avec une moyenne <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxlongs métrages à leur actif,<strong>les</strong> réalisateurs et cinéastesinterrogés et profilés ici ont<strong>de</strong>s filmographies déjà fortsingulières. Il serait difficile<strong>de</strong> confondre un film <strong>de</strong>l’un d’eux avec celui d’unautre, même si, à présent,leur véritable griffe ainsique leur œuvre ne peuventêtre estimées qu’au sta<strong>de</strong>embryonnaire.Micha Wald le cite biendans notre entretien :« Développer une pattemet du temps » et elle nesera « développée qu’enfaisant d’autres films. » Cequ’ils ont pu atteindre enquelques années, et avecsi peu <strong>de</strong> titres, relève <strong>de</strong>l’exception.Le mon<strong>de</strong> s’est arrêté pourprendre note <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong>sfrères Dar<strong>de</strong>nne après <strong>de</strong>sannées <strong>de</strong> besogne dans laréalisation documentaire etau troisième long métrage,La Promesse, seulement. Encomparaison, la semence<strong>de</strong>s jeunes réalisateursprésents bénéficiait d’uneavance perceptible.Et si leur succès initialrappelle <strong>les</strong> louangesperçues par Toto le héroset C’est arrivé près <strong>de</strong> chezvous, ces nouvel<strong>les</strong> têtessemblent plus productivesque <strong>les</strong> réalisateurs <strong>de</strong> ces<strong>de</strong>ux films – considérantque la moitié tournent leurprochain film au moment<strong>de</strong> l’édition <strong>de</strong> ce volume,tandis que l’autre moitiéa au moins un projet enpréparation.Comme présagé dans l’introduction,aucun <strong>de</strong> cescinéastes n’emboîte directementle pas aux frèresDar<strong>de</strong>nne, que ce soit entermes <strong>de</strong> matière ou <strong>de</strong>style. Au revers, une jeunegénération prolifique etdiverse a fleuri.La forte présence <strong>de</strong> comédiesindividuel<strong>les</strong> et <strong>de</strong>films <strong>de</strong> genre, aux côtés ducinéma d’art et d’essai quid’habitu<strong>de</strong> prédomine laproduction <strong>de</strong>s petits pays,semble suggérer que lecinéma belge francophoneévolue vers un cinéma pluscompréhensif, typique <strong>de</strong>pays normalement beaucoupplus grands qu’unesimple communauté linguistiquecomptant quelquesquatre millions d’habitants.Alors que la Belgique entant qu’unité politique estdifficile à gouverner avec samultitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> voix si distinctes,c’est là bien ce qui rendces films uniques – et sisingulièrement belges.


166 167 00–10Filmographiesélective<strong>2000</strong>–2010Les films belges francophonessoutenus par la Commission<strong>de</strong> Sélection <strong>de</strong>s Films.* Premier long métrage.<strong>2000</strong>En vacances (Holiday),Yves Hanchar (LesFilms <strong>de</strong> l’Etang)Interprétation : Luc Picard,Didier De Neck, LuigiDiberti, Hil<strong>de</strong> <strong>Van</strong> Mieghem,Florence Giorgetti, FlorianeDevigne, CatherineHosmalin, Jessica Paré.Fragments <strong>de</strong> vie *,François L. Woukoache(PBC Pictures)Interprétation : TshilomboLubambu, DeneuveDjobong, Jean Bediebe,Jérôme Bolo, ThérèseNgo Ngambi, HélèneBeleck, Salomon Tatmfo,Christine Dahlia.Pleure pas Germaine (Don’tCry Germaine) *, Alain <strong>de</strong>Halleux (Y.C. Aligator Film)Interprétation : RosaRenom, Dirk Roofthooft,Catherine Grosjean, BenoitSkalka, Iwana Krzeptowski,Simon <strong>de</strong> Thomaz.Que faisaient <strong>les</strong> femmespendant que l’hommemarchait sur la lune ? *,Chris <strong>Van</strong><strong>de</strong>r Stappen(Banana Films)Interprétation : Marie Bunel,Hélène Vincent, MimieMathy, Tsilla Chelton, MachaGrenon, Christian Crahay.Regar<strong>de</strong>-moi *, FrédéricSojcher (Prima Vista)Interprétation : CarmenChaplin, Mathieu Carrière,Claire Nebout, Jean-PaulComart, Claudio Bigagli,Sandrine Blancke, MarcPonette, Eddy Letexier.Le Roi danse (The KingIs Dancing), GérardCorbiau (K2)Interprétation : BenoîtMagimel, Boris Terral,Tcheky Karyo, ColetteEmmanuelle, CécileBois, Claire Keim, JohanLeysen, Idwig Stephane.Thomas est amoureux(Thomas In Love) *,Pierre-Paul Ren<strong>de</strong>rs(Entre Chien et Loup)Interprétation : BenoîtVerhaert, Magali Pinglaut,Aylin Yay, Micheline Hardy,Frédéric Topart, AlexandreVon Sivers, Serge Larivière,Ab<strong>de</strong>lmamek Kadi.2001Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> Gibraltar *,Taylan Barman & MouradBoucif (Saga Film)Interprétation : MouradMaimouni, Bach-Lan Lê-BàThi, Ab<strong>de</strong>lslam Arbaoui,Elias Preszow, Samir Rian,Rachida Chbani, AsmahSheik, Noureddine Zerrad.Nuages, lettres à mon fils(Clouds, Letters to My Son),Marion Hänsel (Man’s Films)Voix : Catherine Deneuve.Petites misères (Dead Man’sHand) *, Philippe Boon &Laurent Bran<strong>de</strong>nbourger(Artémis Productions)Interprétation : AlbertDupontel, Marie Trintignant,Serge Larivière, BouliLanners, Olivier Massart,Sjarel Branckaerts,Christian Crahay.Putain <strong>de</strong> vie (En la putavida), Beatriz FloresSilva (Saga Film)Interprétation : MarianaSantangelo, Silvestre, JosepLinuesa, Andrea Fantoni,Rodrigo Speranza, AgustínAbreu, Fermi Herrero,Augusto Mazzarelli.2002Un couple épatant – Cavale– Après la vie (An AmazingCouple – On the Run –After Life), Lucas Belvaux(Entre Chien et Loup)Interprétation : GilbertMelki, Dominique Blanc,Ornella Muti, FrançoisMorel, Catherine Frot,Lucas Belvaux.Le Fils (The Son), Luc etJean-Pierre Dar<strong>de</strong>nne(Les Films du Fleuve)Interprétation : OlivierGourmet, Morgan Marinne,Isabella Soupart, NassimHassaïni, Kevin Leroy, AnneClosset, Félicien Pitsaer.Un honnête commerçant(Step by Step) *, PhilippeBlasband (ArtémisProductions)Interprétation : BenoîtVerhaert, PhilippeNoiret, Yolan<strong>de</strong> Moreau,Frédéric Bodson, SergeLarivière, Patrick Hastert,Jean-Michel Vovk.Hop *, Dominique Standaert(Executive Productions)Interprétation : KalombaMboyi, Jan Decleir,Ansou Diedhiou, AntjeDe Boeck, Alexandra<strong>Van</strong><strong>de</strong>rnoot, Serge-HenriValcke, Emile M’Penza.


168 16900–10Une part <strong>de</strong> ciel (A Piece ofSky) *, Bénédicte Liénard(Tarantula Belgique)Interprétation : SéverineCaneele, Sofia Leboutte,Josiane Stoléru, NaïmaHirèche, AnnickKeusterman, Yolan<strong>de</strong>Moreau, Gaëlle Müller,Olivier Gourmet.200325 <strong>de</strong>grés en hiver (25Degrees in Winter) *,Stéphane Vuillet(Man’s Films)Interprétation : JacquesGamblin, IngeborgaDapkunaïte, CarmenMaura, Raphaelle Molinier,Pedro Romero, ValérieLemaitre, MaureenLeleux, Bouli Lanners.L’autre (The Missing Half),Benoît Mariage (K2)Interprétation : DominiqueBaeyens, PhilippeGrand’Henry, LaurentKuenhen, Jan Decleir,Colette Emmanuelle,Bouli Lanners, MichaëlGoldberg, Eddy Letexier.J’ai toujours voulu êtreune sainte (I AlwaysWanted to Be a Saint) *,Geneviève Mersch(Artémis Productions)Interprétation : MarieKremer, Barbara Roland,Thierry Lefevre, JanineGodinas, Julien Collard,Raphaëlle Blancherie,Hervé Sogne.Michael Blanco *, StephanStreker (M.G. Productions)Interprétation : MichaëlGoldberg, Larry Moss,Lily Holbrook, JudyDickerson, Alfred J. CarrJr., Seymour Willis Green,Jake Speer, Jonathan Levit.Des plumes dans la tête(Feathers in My Head) *,Thomas <strong>de</strong> Thier (Magellan)Interprétation : SophieMuseur, Francis Renaud,Ulysse <strong>de</strong> Swaef, Alexis DenDoncker, Bouli Lanners,Colette Emmanuelle, JoRensonnet, Jean Ceuterickx.Les Suspects (TheSuspects) *, KamalDehane (Saga Film)Interprétation : Sid AliKouiret, Nadia Kaci, KamelRouini, Hamid Chakir,Larbi Zekkal, MohamedAdjaimi, Rachdi Bahia,Bendaoud Athmane.Le Tango <strong>de</strong>s Rashevski(Rashevski’s Tango) *,Sam Garbarski (Entrechien et loup)Interprétation : HippolyteGirardot, Ludmila Mikael,Michael Jonasz, DanielMesguich, NathanCogan, Jonathan Zaccaï,Tania Garbarski.2004Calvaire (The Or<strong>de</strong>al) *,Fabrice du Welz (LaParti Production)Interprétation : LaurentLucas, Brigitte Lahaie,Gigi Coursigny, Jean-Luc Couchard, JackyBerroyer, Philippe Nahon,Philippe Grand’Henry.Demain on déménage(Tomorrow We Move),Chantal Akerman(Paradise Films)Interprétation : SylvieTestud, Aurore Clément,Jean-Pierre Marielle,Natacha Régnier, LucasBelvaux, DominiqueReymond, Gil<strong>les</strong> Privat,Anne Coesens.L’Enfant endormi (TheSleeping Child) *,Yasmine Kassari (LesFilms <strong>de</strong> la Drève)Interprétation : MouniaOsfour, Rachida Brakni,Nermine Elhaggar,Fatna Ab<strong>de</strong>ssamie,Khamsa Ab<strong>de</strong>ssamie,Issa Ab<strong>de</strong>ssamie,Mimoun Ab<strong>de</strong>ssamie,Driss Ab<strong>de</strong>ssamie.La Femme <strong>de</strong> Gil<strong>les</strong> (Gil<strong>les</strong>’Wife), Frédéric Fonteyne(Artémis Productions)Interprétation : EmmanuelleDevos, Clovis Cornillac,Laura Smet, Alice &Chloé Verlin<strong>de</strong>n, ColetteEmmanuelle, Gil Lagay.Folie privée (PrivateMadness) *, JoachimLafosse (Ryva)Interprétation : KrisCuppens, CatherineSalée, Vincent Cahay,Mathias Wertz, StéphaneBissot, Isabelle Darras,Nicole Valberg.Quand la mer monte (Whenthe Sea Rises) *, Yolan<strong>de</strong>Moreau & Gil<strong>les</strong> Porte(Stromboli Pictures)Interprétation : Yolan<strong>de</strong>Moreau, Wim Willaert, BouliLanners, Jan Hammenecker,Vincent Mahieu, JackyBerroyer, PhilippeDuquesne, Olivier Gourmet.Trouble (Duplicity), HarryCleven (To Do Today)Interprétation : BenoîtMagimel, Natacha Régnier,Olivier Gourmet, NathanLacroix, Christian Crahay,Patrick Descamps.2005Belhorizon *, Inès Rabadan(Need Productions)Interprétation : EmmanuelSalinger, Ilona Del Marle,Nathalie Richard, Clau<strong>de</strong>Perron, Saskia Mul<strong>de</strong>r,Bruno Putzulu, FrédéricDussenne, Manuel Morón.Blanche Neige, la suite(Snow White : The Sequel),Picha (Y.C. Aligator Films)Interprétation : Cécile <strong>de</strong>France, Jean-Paul Rouve,Marie Vincent, Jean-Clau<strong>de</strong>Donda, Gérard Surugue,Benoît Allemane, FrançoisBarbin, Mona Walravens.Bunker paradise *,Stefan Liberski (ArtémisProductions)Interprétation : Jean-Paul Rouve, FrançoisVincentelli, Audrey Marnay,Bouli Lanners, SachaBourdo, Yolan<strong>de</strong> Moreau,Jean-Pierre Cassel.L’Enfant (The Child), Luc& Jean-Pierre Dar<strong>de</strong>nne(Les Films du Fleuve)Interprétation : JérémieRenier, Déborah François,Jérémie Segard, FabrizioRongione, OlivierGourmet, Anne Gerard,Bernard Marbaix.L’Iceberg *, Dominique Abel,Fiona Gordon & Bruno Romy(Courage Mon Amour)Interprétation : FionaGordon, Dominique Abel,Philippe Martz, LucyTulugarjuk, Thérèse Fichet,Georges Jore, OphélieRousseau, Robin Goupil.Miss Montigny *, Miel<strong>Van</strong> Hoogenbemt (EntreChien et Loup)Interprétation : SophieQuinton, Ariane Ascari<strong>de</strong>,Johan Leysen, FannyHanciaux, AgatheCornez, Magalie Dahan,Ségolène Schmitt.Nuit noire *, OlivierSmol<strong>de</strong>rs (Parallè<strong>les</strong>Productions)Interprétation : FabriceRodriguez, Yves-MarinaGnahoua, RaymondPra<strong>de</strong>l, Marie Lecomte,Philippe Corbisier, IrisDebuschere, Raffa Chillah.Ordinary Man, VincentLannoo (Hélicotronc)Interprétation : CarloFerrante, ChristineGrulois, Stefan Liberski,Georges Siatidis, ElladéFerrante, Vera <strong>Van</strong> Doren,Olivier Gourmet.Ultranova *, Bouli Lanners(Versus production)Interprétation : VincentLecuyer, Hélène DeReymaeker, MichaëlAbiteboul, VincentBelorgey, VivianeRobert, Marie Du Bled.Vendredi ou un autrejour (Friday or AnotherDay), Yvan Le Moine(AA Les Films Belges)Interprétation : PhilippeNahon, Alain Moraïda,Ornella Muti, HannaSchygulla, PhilippeGrand’Henry, JeanHermann, Jean-PaulGanty, Valérie D’Hondt.2006Cages *, Olivier Masset-Depasse (Versusproduction)Interprétation : AnneCoesens, SagamoreStevenin, MichelineGoethals, A<strong>de</strong>l Bencherif,Nasser Zerkoune,Michel Angely.Ça rend heureux(Whatever Makes YouHappy), Joachim Lafosse(Eklektik Productions)Interprétation : FabrizioRongione, Kris Cuppens,Catherine Salée, MarietEyckmans, Dirk Tuypens,Cédric Eeckhout.Comme tout le mon<strong>de</strong>(Mr. Average), Pierre-Paul Ren<strong>de</strong>rs (EntreChien et Loup)Interprétation : KhalidMaadour, CarolineDhavernas, ThierryLhermitte, Gilbert Melki,Chantal Lauby, DelphineRich, Amina Annabi.


170 17100–10La Couleur <strong>de</strong>s mots (TheColour of Words), PhilippeBlasband (Climax Films)Interprétation : Mathil<strong>de</strong>Larivière, Aylin Yay, SergeDemoulin, Benoît Verhaert,Martine Willequet, SergeLarivière, Laurent Capelluto.J’aurais voulu être undanseur (Gone for aDance), Alain Berliner(Artémis Productions)Interprétation : VincentElbaz, Cécile <strong>de</strong> France,Jean-Pierre Cassel, CircéLethem, Pierre Cassignar,Jeanne Balibar, SimonBuret, Franck Monier.Komma *, Martine Doyen(La Parti Production)Interprétation : ArnoHintjens, Valérie Lemaître,Edith Scob, FrançoisNégret, Amarante Pigla<strong>de</strong> Vitry d’Avencourt,Char<strong>les</strong> Pennequin,François Neyken.Nue propriété (PrivateProperty), Joachim Lafosse(Tarantula Belgique)Interprétation : IsabelleHuppert, Kris Cuppens,Jérémie Renier, YannickRenier, DominiqueReymond, RaphaëlleLubansu, Patrick Descamps,Didier <strong>de</strong> Neck.Pom le poulain *, OlivierRinger (Ring Productions)Interprétation : RichardBohringer, Morgan Marinne,Philippe Grand’Henry,Olivier Bonjour, Alain Eloy,Gilbert Cotty, RenaudRutten, Emmanuel Wautier.La Raison du plusfaible (The Right of theWeakest), Lucas Belvaux(Entre Chien et Loup)Interprétation : LucasBelvaux, NatachaRégnier, Eric Caravaca,Clau<strong>de</strong> Semal, PatrickDescamps, Gilbert Melki.Si le vent soulève <strong>les</strong> sab<strong>les</strong>(Sounds of Sand), MarionHänsel (Man’s Films)Interprétation : CaroleKaremera, IssakaSawadogo, Asma NoumanA<strong>de</strong>n, Saïd AbdallahMohamed, MoussaAssan, Emile AbossoloM’bo, Marco Prince.2007Control X *, BernardLeclercq & Thomas François(Entre Chien et Loup)Interprétation : BrunoBorsu, Simon Fraud, MehdiHammouti, MagloireGoblet, Camille <strong>de</strong> Leu.Coquelicots, PhilippeBlasband (Climax Films)Interprétation : CélinePeret, Laurent Capelluto,Véronique Dumont, MartineWillequet, Aylin Yay,Françoise Oriane, SergeLarivière, Valérie Lemaître.Cow-boy, BenoîtMariage (K2)Interprétation : BenoîtPoelvoor<strong>de</strong>, Julie Depardieu,François Damiens, GilbertMelki, Bouli Lanners,Jean-Marie Barbie.Formidable (Lollypop Men),Dominique Standaert(Artémis Productions)Interprétation : StéphaneDe Groodt, Serge Larivière,Astri<strong>de</strong> Akay, IsabelleDefosse, Sabrina Leurquin,Philippe Grand’Henry.Irina Palm, Sam Garbarski(Entre Chien et Loup)Interprétation : MarianneFaithfull, Miki Manojlovic,Kevin Bishop, Jenny Agutter,Siobhan Hewlett, DorkaGryllus, Ju<strong>les</strong> Werner.La marea *, DiegoMartinez Vignatti (EntreChien et Loup)Interprétation : EugeniaRamirez Miori, EduardoLeivar, Omar D’Allassana,Marcela Ferradas,Juan Ignacio Leivar,Sebastián Adolfo Ureta.O<strong>de</strong>tte Toulemon<strong>de</strong> *,Eric-Emmanuel Schmitt(Les Films <strong>de</strong> l’Etang)Interprétation : CatherineFrot, Albert Dupontel,Fabrice Murgia, NinaDrecq, Nicolas Buysse,Laurence d’Amelio, JulienFrison, Camille Japy.Voleurs <strong>de</strong> chevaux (In theArms of My Enemy) *, MichaWald (Versus Production)Interprétation : AdrienJolivet, Grégoire Colin,Grégoire Leprince-Ringuet, François-RenéDupont, Mylène Saint-Sauveur, Igor Skreblin.20089 mm, Taylan Barman(Saga Film)Interprétation : MorganMarinne, Serge Riaboukine,Anne Coesens, Filip Peeters,Ayham Vatandas, NabilBen Yadir, Martin Swabey.Eldorado, Bouli Lanners(Versus production)Interprétation : PhilippeNahon, Bouli Lanners,Stefan Liberski, RenaudRutten, Fabrice Ad<strong>de</strong>, DidierToupy, Jean-Luc Meekers,Jean-Jacques Rausin.Elève libre (PrivateLessons), Joachim Lafosse(Versus production)Interprétation : JonasBloquet, JonathanZaccaï, Claire Bodson,Yannick Renier, PaulineEtienne, Anne Coesens,Johan Leysen.Home *, Ursula Meier(Need Productions)Interprétation : IsabelleHupert, Olivier Gourmet,Kacey Mottet, Ma<strong>de</strong>laineBudd, Kacey MottetKlein, Ivailo Ivanov, Jean-François Stévenin.Masange<strong>les</strong>, BeatrizFlores Silva (Saga Film)Interprétation : AntonellaAquistapache, IgnacioCawen, Martín Flores,Nicolás Furtado, JuanGamero, Elisa García,Myriam Gleijer.Où est la main <strong>de</strong> l’hommesans tête (Where is theHand of the Head<strong>les</strong>s Man),Guillaume Malandrin,Stéphane Malandrin(La Parti Production)Interprétation : Cécile<strong>de</strong> France, Ulrich Tukur,Edouard Piessevaux, Tamarvan <strong>de</strong>n Dop, Bouli Lanners,Jacky Lambert, JosephMazy, Jan Hammenecker.Le Prince <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> *,Manu Gomez (MonkeyProductions)Interprétation : LaurentLucas, Robert Guilmard, Lio,Charlotte <strong>Van</strong>driessche,Jean-Clau<strong>de</strong> Dreyfus,Eugénie Alquezar,Serge Baudoux.Rumba, Dominique Abel,Fiona Gordon & Bruno Romy(Courage Mon Amour)Interprétation : FionaGordon, Dominique Abel,Philippe Martz, Bruno Romy,Clément Morel, MorganA<strong>de</strong>, Ophélie Anfry.Le Silence <strong>de</strong> Lorna(Lorna’s Silence), Luc &Jean-Pierre Dar<strong>de</strong>nne(Les Films du Fleuve)Interprétation : ArtaDobroshi, Jérémie Renier,Fabrizio Rongione, AlbanUkaj, Morgan Marinne,Olivier Gourmet, AntonYakovlev, Grigori Manukov.Les Tremblements lointains(Distant Tremors), ManuelPoutte (La Dolce Vita Films)Interprétation : AmélieDaure, Papa MalickNdiaye, Daniel Duval,Jean-François Stévenin,Pape Diouf, Adama Diallo,Mamadou N’dour.Vinyan, Fabrice duWelz (One Eyed)Interprétation : EmmanuelleBéart, Rufus Sewell, PetchOsathanugrah, JulieDreyfus, Amporn Pankratok,Josse De Pauw, Omm.2009Amer *, Hélène Cattetet Bruno Forzani(Anonymes Films)Interprétation : CassandraForet, Charlotte EugèneGuibbaud, Marie Bos,Bianca Maria D’Amato,Harry Cleven, Jean-Michel Vovk, DelphineBrual, Bernard Marbaix.Un ange à la mer (Angelat Sea) *, Frédéric Dumont(Dragons Films Productions)Interprétation : MartinNissen, Olivier Gourmet,Anne Consigny, JulienFrison, Pierre-LucBrillant, Louise Portal,Jacques Germain.Les Barons (The Barons) *,Nabil Ben Yadir (EntreChien et Loup)Interprétation : Na<strong>de</strong>rBoussan<strong>de</strong>l, Moura<strong>de</strong>Zenguendi, Mounir AitHamou, Amelle Chahbi,Julien Courbey, JanDecleir, Edouard Baer.La Cantante <strong>de</strong> tango(The Tango Singer),Diego Martinez Vignatti(Tarantula Belgique)Interprétation : EugeniaRamirez Miori, NicolasCazalée, Dora Baret,Patrick Descamps,Bruno To<strong>de</strong>schini, PieterEmbrechts, Oscar Ferrari.


172 17300–10Le Jour où Dieu est partien voyage (The DayGod Walked Away) *,Philippe <strong>Van</strong> Leeuw(Artémis Productions)Interprétation : RuthNirere, Afazali Dewaele,Lola Tuyaerts, LaetitiaReva, Pierrick le Pochat,Aphrodice Tuyizere,Ismail Dusengimana,Pacifique Niyotwizera.Maternelle (Motherly),Philippe Blasband(Climax Films)Interprétation : AnneGirouard, Benoît Verhaert,Aylin Yay, PhilippeRésimont, Didier De Neck,Nathalie Laroche, ChloéStruvay, Cédric Juliens.Mr. Nobody, Jaco <strong>Van</strong>Dormael (Toto & Co Films)Interprétation : JaredLeto, Diane Kruger, SarahPolley, Linh Dan Pham,Rhys Ifans, Toby Regbo,Juno Temple, Clare Stone.Oscar et la dame rose(Oscar and the Lady inPink), Eric-EmmanuelSchmitt (Oscar Films)Interprétation : Amir,Michèle Laroque, Max VonSydow, Amira Casar, MylèneDemongeot, ConstanceDolle, Simone-Elise Girard.Panique au village (A TownCalled Panic) *, StéphaneAubier et Vincent Patar(La Parti Production)Interprétation : JeanneBalibar, Benoît Poelvoor<strong>de</strong>,Vincent Patar, StéphaneAubier, Bouli Lanners,Nicolas Buysse, VéroniqueDumont, Bruce Ellison.Rapt, Lucas Belvaux(Entre Chien et Loup)Interprétation : Yvan Attal,Anne Consigny, AndréMarcon, ChristopheKourotchkine, FrançoiseFabian, Patrick Descamps,Sarah Messens.La Régate (The BoatRace) *, Bernard Bellefroid(Artémis Productions)Interprétation : JoffreyVerbruggen, ThierryHancisse, Sergi López,Pénélope Leveque, DavidMurgia, Hervé Sogneo,Stéphanie Blanchoud.Sans rancune! (NoHard Feelings!), YvesHanchar (To do Today)Interprétation : ThierryLhermitte, Milan Mauger,Marianne Basler, ChristianCrahay, Benoit <strong>Van</strong>Dorslaer, Benoît Cau<strong>de</strong>n,Alexandra <strong>Van</strong><strong>de</strong>rnoot.Sens interdits *, SumeyaKokten (HemioneProduction)Interprétation : ValèrieMuzzi, Edwige Baily, SerraErciyes, Canan Gol.Simon Konianski, MichaWald (Versus production)Interprétation : JonathanZaccaï, Popeck, AbrahamLeber, Irène Herz, NassimBen Ab<strong>de</strong>lmoumen, MartaDomingo, Ivan Fox.Sœur Sourire (SisterSmile), Stijn Coninx (LesFilms <strong>de</strong> la Passerelle)Interprétation : Cécile DeFrance, Sandrine Blancke,Chris Lomme, Marie Kremer,Jo Deseure, Jan Decleir, FilipPeeters, Christelle Cornil.2010Beyond the Steppes *,<strong>Van</strong>ja d’Alcantara(Need Productions)Interprétation : AgnieszkaGrokowska, Olga Justa,Borys Szyc, Ahan Zolanbiek,Tatiana Tarskaj.Hitler à Hollywood (Hitlerin Hollywood), FrédéricSojcher (Saga Film)Interprétation : Maria <strong>de</strong>Me<strong>de</strong>iros, Micheline Presle,Wim Willaert, Wim Wen<strong>de</strong>rs,Hans Meyer, NathalieBaye, Arielle Dombasle.Illégal (Illegal), OlivierMasset-Depasse(Versus production)Interprétation : AnneCoesens, Olivier Schnei<strong>de</strong>r,Esse Lawson, AlexandreGolntcharov, FrédéricFrenay, ChristelleCornil, Olga Zhdanova,Tomasz Bialkowski.Marieke, Marieke *, SophieSchoukens (Sophimages)Interprétation : Han<strong>de</strong>Kodja, Barbara Sarafian,Jan Decleir, CarolineBerliner, Philippe <strong>Van</strong>Kessel, Bernard Graczyk,Karim Barras, Michel Israel.Noir Océan (Black Ocean),Marion Hänsel (Man’s Films)Interprétation : AdrienJolivet, Nicolas Robin,Romain David, Alexandre<strong>de</strong> Seze, Jean-MarcMichelangeli, SteveTran, Nicolas Gob,Antoine Laurent.Quartier lointain (ADistant Neighbourhood),Sam Garbarski (EntreChien et Loup)Interprétation : PascalGreggory, JonathanZaccaï, Alexandra MariaLara, Léo Legrand,Pierre-Louis Bellet, LauraMartin, Laura Moisson.Rondo *, Olivier <strong>Van</strong>Mal<strong>de</strong>rghem (Saga Film)Interprétation : Julien Frison,Jean-Pierre Marielle, AuroreClément, Claire Vernet,Alice Mazodier, MarineKobakhidze, Nina Mazodier.Le Vertige <strong>de</strong>s possib<strong>les</strong>(Vertigo of Possibilities) *,Vivianne Perelmuter(Iota Production)Interprétation : ChristineDory, François Barat,Vincent Dieutre,Maxime Desmons,Olivier Costemale,Marie Payen, Liao Yi Lin,Bojena Horackova.Viva Riva! *, Djo Tunda WaMunga (MG Productions)Interprétation : ManieMalone, Patsha BayMukuna, Hoji Ya HendaBraga Fortuna, TomasEuricio Bie, Alex Herabo,Marlene Longage,Diplome Amekindra,Angelique Mbumba.Le Voyage extraordinaire <strong>de</strong>Samy (Sammy’s Adventures :The Secret Passage), BenStassen (nWave Pictures)Voix : Isabelle Fuhrman,Tim Curry, Melanie Griffith,Jenny McCarthy, AnthonyAn<strong>de</strong>rson, Kathy Griffin,Stacy Keach, Ed Begley Jr.


174 175Note sur<strong>les</strong> portraitsNote sur<strong>les</strong> auteursJ’avais déjà rencontré et photographié la plupart <strong>de</strong>s réalisateursprésents dans cet ouvrage pendant <strong>les</strong> différentsfestivals <strong>de</strong> cinéma au fil <strong>de</strong>s années.Ce projet m’a donné l’opportunité <strong>de</strong> <strong>les</strong> rencontrer <strong>de</strong>nouveau, mais à l’aise dans leur milieu, sans contrainte <strong>de</strong>temps ni le stress d’un festival où leur œuvre doit être présentéeet discutée. J’ai eu la possibilité <strong>de</strong> revoir quelques-uns <strong>de</strong>leurs films, <strong>de</strong> discuter avec eux comment réaliser la photo et<strong>de</strong> leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> me montrer leurs lieux préférés.Les photographies ont été prises en utilisant une PentaconSix TL sur pellicu<strong>les</strong> Kodak Porta, et une Canon 5D MkII pourle numérique.Le choix du format carré – natif en 6x6 pour la Pentaconet recadré pour la Canon – si loin du format « cinéma » traditionnel,m’a obligé à faire une réflexion sur le cadrage pourobtenir un portrait en gardant une composition cinématographiquequi laissait <strong>de</strong> la place aux détails <strong>de</strong>s lieux ainsi qu’auvisage du réalisateur.Les sujets ont été photographiés pour la plupart chez euxou dans <strong>de</strong>s milieux qui leur sont familiers, toujours en utilisantla lumière naturelle ou disponible.Les couleurs, qui par choix <strong>de</strong>vaient être très présentespour représenter la nouvelle saison du cinéma belge francophone,ont été rendues encore plus vives grâce à la lumièred’un début d’été exceptionnellement ensoleillé en Belgique.<strong>Boyd</strong> van <strong>Hoeij</strong>, néerlandais <strong>de</strong> naissance et éduqué auRoyaume-Uni, est un écrivain indépendant <strong>de</strong> cinéma et d’art.Il contribue régulièrement par ses artic<strong>les</strong> et critiques aux pagesdu magazine d’industrie Variety et <strong>de</strong> l’International FilmGui<strong>de</strong>; il est également responsable <strong>de</strong>s pages cinéma du magazineWinq et correspondant pour Cineuropa.org.Fabrizio Maltese, italien, est un photographe indépendantspécialisé en cinéma, portraits et voyages. Faces of FrenchCinema, une collection <strong>de</strong> ses portraits <strong>de</strong> comédiens et cinéastesfrançais, a été exposée à Édimbourg, Sao Paulo etLisbonne. Son travail a été publié, entre autres, sur <strong>les</strong> pages<strong>de</strong> Madame Figaro, Le Mon<strong>de</strong>, Première, The In<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nt etAmerican Popular Photography. Plus <strong>de</strong> détails sur ses œuvresà l’adresse www.fabriziomaltese.com.<strong>Boyd</strong> van <strong>Hoeij</strong> et Fabrizio Maltese gèrent ensemblel’agence EF Press <strong>de</strong>puis le Luxembourg et collaborent souventsur <strong>de</strong>s artic<strong>les</strong> et reportages <strong>de</strong> cinéma et voyages. Ilscomptent parmi leurs clients Elle, Winq, Männer, IndieWIRE,the Auteurs/MUBI, De Filmkrant et Spartacus Traveler.Fabrizio Maltese

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