Les sédiments anthropiques

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468 GÉOLOGIE DE LA PRÉHISTOIRErain de parcours (les pâturages sont-ils secs ou humides?La contamination des feuilles par les poussières détritiquesse fera dans des proportions bien différentes, Healy etLudwig 1965). À cette réduction pondérale s’ajoute uneforte réduction de volume. Les accumulations de crottesd’herbivores, même dans leur faciès les plus compacts, ontune forte porosité. Celle-ci devient énorme si l’on prend encompte les fibres végétales destinées à disparaître (planchephoto 2a et b). Les faciès fossiles correspondants ont uneporosité plus faible; ils prennent même parfois une structureporphyrique. La comparaison des densités de sphérolitesdans un échantillon actuel de la grotte d’Uzzo, enSicile, et dans un échantillon néolithique de la grotte del’Abeurador donne une juste idée de l’énorme réduction devolume que peuvent subir les accumulations de crottes aucours des siècles (fig. 9, planche photo 2e et f).Le sédiment, très fin, est le plus souvent formé de 60 à70 % de particules d’un diamètre compris entre 2 et50 mm dont la distribution granulométrique est caractéristique(fig. 4b). Les accumulations de phosphates decalcium y sont fréquentes, sous forme de croûtes ou depetites concrétions sub-sphériques creuses à surface lisseet mamelonnée.Ces faciès « résiduels », ces concentrés minéraux, danslesquels sphérolites et phytolithaires sont les composantsmajoritaires, sont ainsi le signe d’énormes réductions devolume. Celles-ci se signalent sur le terrain par de largesstructures en berceau, dans lesquelles, pour des raisonsgéométriques simples, les couches se redressent très fortementà l’approche des parois lorsque celles-ci ont une certaineobliquité (Brochier 1992, fig. 11).Dans ces conditions, il est clair qu’une crotte qui auraitconservé sa forme au début de la phase de minéralisationlente (les crottes de chèvre, sèches et résistantes, sont parfoispréservées dans les plaques denses formées de crottesde brebis écrasées), devient vite méconnaissable. Ce nesont d’ailleurs pas dans ces faciès que le fouilleur découvredes coprolithes. La concentration de la partie minérale desFigure 9. Évolution séculaire des fumiers et des migons. Supposons, pour simplifier, que les périodes d’utilisation de la bergeriesont saisonnières et annuelles. a : quelques dizaines d’épisodes de parcage se succèdent. À la fin du dernier, après une périodede séchage estival, les pasteurs assainissent la bergerie par brûlage (b) ; des banquettes imbrûlées subsistent dans les zonesrestées humides (proximité des parois, égouttoirs) ; le contact brûlé/imbrûlé est souligné par un liseré d’aspect charbonneux.c : les épisodes de parcage reprennent et nivellent, peu à peu, le relief. d : un nouvel assainissement par brûlage est pratiqué ;il est à nouveau suivi de quelques épisodes de parcage. e : quelques siècles plus tard, la minéralisation lente terminée,les niveaux imbrûlés sont réduits à leur charge minérale (principalement phytolithaires, sphérolites et poussières détritiques) ;les cendres, correspondant à une (ou quelques) année(s) de parcage seulement, prennent alors une place aussi importante,voire plus, que les dépôts issus d’une minéralisation lente, déposés pendant des dizaines voire des centaines d’années.Figure 9. Secular evolution of manure and migon deposits. a: ten or so annual folding occur. After a summer period of drying,shepherds disinfect the sheep pen through burning (b); unburnt banks remain in humid places; a black carbonaceous filmunderline the contact between burnt and unburnt material. c: folding periods resume and level the surface. d: a new burningoccur; several folding occur next. e: some century later, slow mineralisation achived, unburnt levels are reduced to their mineralcontent (phytoliths, spherulites and detritic dust); ashes, corresponding to one (or some) year, take as much thicknessas slow mineralised deposits corresponding to tens (or hundred) years.

Les sédiments anthropiques – Méthodes d’étude et perspectives 469crottes a pour autre conséquence d’augmenter la fréquence,extrêmement faible dans les dépôts actuels, desdents lactéales rhizolysées perdues par les animaux sur lelieu du parcage (Helmer 1984).Le second mode de minéralisation des accumulationsorganiques issues de l’élevage est le brûlage. Les enquêtesethno-archéologiques indiquent qu’autrefois lesbergers y mettaient le feu dans le but d’assainir la bergerieen cas de maladie du troupeau. Aujourd’hui, cettemotivation a disparu et le brûlage n’est plus effectué quepour réduire le volume des fumiers accumulés, sansavoir à les extraire manuellement.La période de mise à feu est, semble-t-il, toujours ledébut de l’automne, après une longue période d’inoccupationet de séchage, en préalable à une nouvelle utilisationde la bergerie. L’allumage est facile : on ajoute un peu depaille ou des branches à quelques plaques soulevées etmises en tas. La combustion ne produit pas en un feu vif,avec flammes, mais se réduit à un feu qui couve et progresselentement ; un feu de profondeur au sens deA. Metro (1975). Les avis convergent pour reconnaîtrequ’il serait très difficile de l’arrêter une fois allumé. Lacombustion dure très longtemps (deux mois pour la dernière,dans la grotte 2108A représentée figure 10).Le sol de la bergerie est alors couvert d’une couche decendre très poreuse ; le feu a épargné les secteurs les plushumides (proches des parois, sous les égouttoirs) qui subsistentsous la forme des banquettes et de petits îlots(fig. 10, planche photo 2l) surplombant d’une trentaine decentimètres la surface du sol. Cette hauteur varie, évidemment,avec l’hydratation. Le contact cendre/fumier est soulignépar un mince horizon charbonneux noirâtre rougissanten profondeur. Banquettes et accumulations cendreusessont rapidement recouvertes par une nouvelle couche decrotte au cours de la nouvelle utilisation de la bergerie,alors que se poursuit la lente réduction de volume des dépôtsnon brûlés déposés antérieurement. La figure 9 détaillel’évolution séculaire de ces stratigraphies. On y remarquel’importance relative grandissante que prennent les horizonsbrûlés dont l’épaisseur, qui évolue peu, est compriseentre le tiers et la moitié de l’épaisseur de départ ; end’autres termes, les horizons brûlés correspondants à une(ou quelques) année(s) occupent une épaisseur équivalenteou supérieure aux horizons minéralisés lentement déposéspendant des dizaines d’années voire des siècles. Laperception du temps dans de telles séquences reste doncextrêmement difficile.C’est dans ces horizons brûlés, bariolés et poreux, queles crottes peuvent, éventuellement, être fossilisées. Ellesrestent cependant difficilement attribuables à un animalparticulier tant est grande la variabilité saisonnière. Ce n’estque sous le microscope, en lame mince, que certainesstructures (convolutées ou « en dentelle », à pores aplatiset parallèles ; planche photo 2g, h et i) semblent pouvoirdifférencier les chèvres et les moutons des bovins (Brochieret Claustre 2000, Guélat et al. 1998). Inversement, si lesstructures sont bien fossilisées par le brûlage, leurs élémentsconstitutifs ne le sont pas : les sphérolites, lorsqu’ilssont préservés, sont devenus opaques et l’opale végétale estsoit très dégradée soit fondue.Le brûlage des accumulations de crottes, lorsqu’il est volontaire(des cas de brûlages en grotte déclenchés par lafoudre sont connus), a quelques conséquences archéologiquesimportantes : il implique une utilisation intermittentedu site, autrement dit, que celui-ci est une étape dansle mouvement cyclique annuel d’une partie (ou d’une)communauté agro-pastorale ; plus localement, il impliqueque les amendements n’étaient pas utilisés dans les cultures,que celles-ci soient absentes (s’il s’agit d’un site spécialisédans une activité unique) ou que l’intérêt de la fumuredes champs ne soit pas perçu.Le problème des litières est un problème difficile étudiéen détail à partir des dépôts holocènes récents de la Caunade Bélesta (Brochier et Claustre 2000 et planche photo 2jet k). L’ajout de litière pourrait être une pratique aussi ancienneque le Néolithique. Il reste cependant très difficilede le différencier d’une autre pratique, tout aussi banale :le nourrissage. L’ambition est sans doute d’ailleurs illusoirepuisque, de l’avis même des bergers, les fourrages souilléspar les animaux jouent le rôle de litière.Nous avons évité, jusqu’ici, d’employer le terme fumierque tous les lexicographes s’accordent à définir comme unmélange d’excréments animaux et de litière utilisécomme engrais ou, plus largement encore, comme n’importequelle accumulation de produits végétaux et animauxen voie de putréfaction. S’ajoute à ces sens agronomiques,le sens archéologique, comme dans l’expression « fumierlacustre », désignant un dépôt à dominante organique decomposition extrêmement variée, d’origine aussi bien domestiquequ’animale. On mesure à quel point l’emploi dece terme peut créer de confusion. Si l’on veut détailler unjour aussi bien les techniques d’élevage que l’histoire desfaçons culturales, des termes sans ambiguïté sont nécessaires.Il nous semble en particulier urgent, devant l’accumulationde données géoarchéologiques, de bien différencierles accumulations brutes d’excréments d’herbivores(simplement compactées) de celles dans lesquellesl’homme a introduit, quelle qu’en soit la finalité, des restesvégétaux. Si l’adjonction de paille, de feuilles, etc. est clairementétablie (litière) et bien qu’il soit difficile de diffé-

468 GÉOLOGIE DE LA PRÉHISTOIRErain de parcours (les pâturages sont-ils secs ou humides?La contamination des feuilles par les poussières détritiquesse fera dans des proportions bien différentes, Healy etLudwig 1965). À cette réduction pondérale s’ajoute uneforte réduction de volume. <strong>Les</strong> accumulations de crottesd’herbivores, même dans leur faciès les plus compacts, ontune forte porosité. Celle-ci devient énorme si l’on prend encompte les fibres végétales destinées à disparaître (planchephoto 2a et b). <strong>Les</strong> faciès fossiles correspondants ont uneporosité plus faible; ils prennent même parfois une structureporphyrique. La comparaison des densités de sphérolitesdans un échantillon actuel de la grotte d’Uzzo, enSicile, et dans un échantillon néolithique de la grotte del’Abeurador donne une juste idée de l’énorme réduction devolume que peuvent subir les accumulations de crottes aucours des siècles (fig. 9, planche photo 2e et f).Le sédiment, très fin, est le plus souvent formé de 60 à70 % de particules d’un diamètre compris entre 2 et50 mm dont la distribution granulométrique est caractéristique(fig. 4b). <strong>Les</strong> accumulations de phosphates decalcium y sont fréquentes, sous forme de croûtes ou depetites concrétions sub-sphériques creuses à surface lisseet mamelonnée.Ces faciès « résiduels », ces concentrés minéraux, danslesquels sphérolites et phytolithaires sont les composantsmajoritaires, sont ainsi le signe d’énormes réductions devolume. Celles-ci se signalent sur le terrain par de largesstructures en berceau, dans lesquelles, pour des raisonsgéométriques simples, les couches se redressent très fortementà l’approche des parois lorsque celles-ci ont une certaineobliquité (Brochier 1992, fig. 11).Dans ces conditions, il est clair qu’une crotte qui auraitconservé sa forme au début de la phase de minéralisationlente (les crottes de chèvre, sèches et résistantes, sont parfoispréservées dans les plaques denses formées de crottesde brebis écrasées), devient vite méconnaissable. Ce nesont d’ailleurs pas dans ces faciès que le fouilleur découvredes coprolithes. La concentration de la partie minérale desFigure 9. Évolution séculaire des fumiers et des migons. Supposons, pour simplifier, que les périodes d’utilisation de la bergeriesont saisonnières et annuelles. a : quelques dizaines d’épisodes de parcage se succèdent. À la fin du dernier, après une périodede séchage estival, les pasteurs assainissent la bergerie par brûlage (b) ; des banquettes imbrûlées subsistent dans les zonesrestées humides (proximité des parois, égouttoirs) ; le contact brûlé/imbrûlé est souligné par un liseré d’aspect charbonneux.c : les épisodes de parcage reprennent et nivellent, peu à peu, le relief. d : un nouvel assainissement par brûlage est pratiqué ;il est à nouveau suivi de quelques épisodes de parcage. e : quelques siècles plus tard, la minéralisation lente terminée,les niveaux imbrûlés sont réduits à leur charge minérale (principalement phytolithaires, sphérolites et poussières détritiques) ;les cendres, correspondant à une (ou quelques) année(s) de parcage seulement, prennent alors une place aussi importante,voire plus, que les dépôts issus d’une minéralisation lente, déposés pendant des dizaines voire des centaines d’années.Figure 9. Secular evolution of manure and migon deposits. a: ten or so annual folding occur. After a summer period of drying,shepherds disinfect the sheep pen through burning (b); unburnt banks remain in humid places; a black carbonaceous filmunderline the contact between burnt and unburnt material. c: folding periods resume and level the surface. d: a new burningoccur; several folding occur next. e: some century later, slow mineralisation achived, unburnt levels are reduced to their mineralcontent (phytoliths, spherulites and detritic dust); ashes, corresponding to one (or some) year, take as much thicknessas slow mineralised deposits corresponding to tens (or hundred) years.

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