Les sédiments anthropiques

Les sédiments anthropiques Les sédiments anthropiques

univ.provence.fr
from univ.provence.fr More from this publisher
12.07.2015 Views

466 GÉOLOGIE DE LA PRÉHISTOIREMicrocharbons, suie et spéléothèmes.Vers une résolution annuelleSuie et micro-charbons, en contexte karstique, peuventfournir au géoarchéologue de précieuses informationsmicro-chronologiques. Les cas sont rares, exceptionnelsmême, mais les indications sur les durées et les rythmesd’occupation, généralement inaccessibles à l’archéologue,permettent alors de discuter d’un des concepts centraux enarchéologie : celui d’unité archéologique minimale.Sur les parois des entrées de grotte ou des abris-sousrochese déposent parfois des enduits stalagmitiques quiprennent, comme les stalagmites et stalactites, le nom génériquede spéléothèmes. Ceux-ci, qu’il est parfois difficilede distinguer des stromatolites, sont formés d’un empilementde doublets calcitiques dont les termes sont caractériséspar des fabriques différentes. Les films de calcite engrand cristaux, souvent palissadiques, absorbant la lumièreréfléchie et apparaissant donc sombres, sont nommées parcommodité DCL (Dark Compact Laminae) ; les films decalcite finement divisée, réfléchissant fortement la lumière,sont nommés WPL (White Porous Laminae) (Genty et al.1994). Le caractère annuel de ces doublets, véritables« varves carbonatées », semble bien être le cas général(Baker et al. 1993, Genty et al. 1994, 1997).Quelques rares cas d’inclusion de matières carbonées ausein des doublets ont été signalés dans des spéléothèmesrécents (grotte de Domitsa en Tchécoslovaquie, mentionnédans le Précis de géologie de Aubouin et al., p. 326; grottede Han-sur-Lesse en Belgique, Genty et al 1997); ils laissentdeviner le potentiel de ce type de témoignage de laprésence humaine pour le géoarchéologue. Bien plus surprenanteencore est la découverte de restes charbonneuxdans une stalagmite prélevée au plus profond du systèmekarstique de Couffin-Chevaline, dans le Vercors. Ici, il n’estplus question de fréquentation humaine de cette zone profonde,inaccessible sans les techniques d’exploration modernes,mais de témoignages de l’activité de charbonniersqui, au XIX e siècle, produisaient le charbon de boisquelques centaines de mètres au dessus de la caverne surle plateau des Coulmes (Perrette et al. 1997).À notre connaissance, la première application à des problèmesgéoarchéologiques a été réalisée à partir de mincesfragments de spéléothèmes retrouvés dispersés dans les dépôtstardiglaciaires d’un abri-sous-roche pyrénéen d’altitude,la Balma de la Margineda. Ces fragments sont fins, rares ettrès petits, toujours largement inférieurs au centimètre carré.Ils justifient, à eux seuls, l’observation méticuleuse de tousles éléments grossiers extraits d’échantillons volumineux.Sans entrer dans les détails d’une analyse complexe, il apparaîtque ce sont uniquement les lamines WPL qui sont noirciespar un fin dépôt interprété, en référence à des observationsactuelles, comme de la suie (fig. 8). On remarque que lesfragments récoltés dans quelques unités sédimentaires successivesprésentent une telle similitude dans les rythmesd’occupation (absence ou présence de film de suie) qu’ilfaut conclure à une seule période séculaire de concrétionnement.Que cette période, enfin, représente une partie (ou latotalité) du temps correspondant à une seule couche archéologique(Brochier 1997, 1998).Les caractères climatiques locaux actuels et les processushydrologiques associés, largement conditionnés par le reliefet l’enneigement, ne font que conforter le caractère annueldes doublets. La couche archéologique, azilienne, apparaîtainsi résulter du cumul (et non pas être un palimpseste)de très nombreux (n > 30) passages annuels, parfoisconsécutifs, toujours à la même période de l’année. Au delàde l’information archéologique : l’abri n’était occupé quequelques mois dans l’année, régulièrement, toujours à lamême saison, par un groupe de chasseurs(-cueilleurs) debouquetins, qu’il était donc intégré dans un parcours le reliantà d’autres sites, l’information fondamentale est certainementcelle qui oblige à considérer la couche archéologiquecomme un objet composite et cumulatif. En d’autrestermes, que le synchronisme des différents témoins recueillisdans cette couche unique (industrie, faune… etstructures) est bien loin d’être assuré.Ce constat risque bien d’être le cas de figure généraldans les dépôts de grotte et d’abri-sous-roche. Il nouscontraint à admettre que l’approche spatiale d’une unitéarchéologique minimale, aussi mince soit elle, n’a guère desens et de crédibilité tant que nous n’aurons pas lesmoyens d’assurer le synchronisme à haute résolution (i.e.annuelle) de tous les témoins exhumés.Quand tous les grains sont anthropiquesÉtables et bergeriesDès les débuts de l’élevage, le marqueur spécifique, lesphérolite, se retrouve dans les habitations, à proximité, oudans les lieux réservés à cette activité. La présence dequelques sphérolites dans les terres d’un site où l’on suspecteles petits ruminants d’être domestiqués est suffisantepour conclure, même si les caractères ostéologiques sontencore peu convaincants. C’est ainsi que sur le site PPNBde Çayönü, en Turquie, la domestication est nette, si l’on sefie à l’analyse microscopique des poussières, quelquessiècles avant que les critères ostéologiques soient probants(Brochier 1993). La possibilité d’échantillonner dans lacavité médullaire des os longs permet de prendre encompte le matériel conservé dans les collections, et d’avoirainsi accès à des sites depuis longtemps disparus.

Les sédiments anthropiques – Méthodes d’étude et perspectives 467Pour peu que les conditions taphonomiques soient favorables,que le troupeau soit longtemps maintenu en un lieuunique, le sphérolite, éventuellement associé à d’autrespoussières (phytolithaires et algues siliceuses principalement),va constituer des accumulations sédimentairesconsidérables.Les recherches géo-éthnoarchéologiques conduites cesdernières années en Sicile et en Grèce ont permis de préciserla mise en place, les traitements et l’évolution des accumulationsd’excréments (Brochier et al. 1992, Acovitsioti-Hameau 2000).L’accumulation des crottes des moutons et des chèvresest extrêmement rapide. En fonction de l’hydratation desfèces, et donc de l’animal, de son régime alimentaire et dela saison, les faciès observés sont différents ; ils vont del’accumulation aérée et plus ou moins mobile de crottes dechèvres (ou de moutons en été), aux plaques dures et tasséesproduites par les brebis. Les parois de la grotte, ou dubâtiment, dans lequel sont abritées les bêtes sont usées parla laine poussiéreuse des animaux, suivant une bande dequelques décimètres de largeur comprise entre 40 et65 cm au dessus de la surface du sol. Le poli obtenuconserve ses caractères morphologiques macroscopiquespendant des millénaires. L’abrasion est telle qu’elle peutêtre suffisante pour effacer partiellement les profondssillons de quelques gravures paléolithiques ; celles de lagrotte Chabot en Ardèche en sont un bon exemple. Dans lesgrottes ou les abris ayant été utilisés pour l’élevage pendantdes siècles, il est facile de retrouver, plusieurs mètres audessus du sol, de tels polis ; leur découverte, avant toute interventionarchéologique, indique clairement la fonctionprincipale du site et les faciès qui y seront rencontrés. Cespolis perchés permettent d’imaginer les énormes quantitésde crottes qui se sont accumulées ; ils permettent égalementde prendre conscience de l’énorme réduction de volumequi s’est produite au fil des siècles consécutivement àla disparition de la matière organique.Celle-ci se produit soit progressivement, soit brutalementpar brûlage.En milieu abrité, il faut entre un et sept siècles pour quela bio-minéralisation soit totale. Il est difficile d’estimerprécisément la réduction de volume qui en résulte. Si l’onenvisage seulement la réduction pondérale, l’ordre degrandeur de la partie minérale restante est du quart de lamasse initiale ; la marge d’erreur est cependant grandepuisque ceci dépend de l’animal (est-il producteur desphérolites ?), de son alimentation (quelle est la part desPoacées dans son régime ?) et des caractéristiques du ter-Figure 8. Suie, spéléothème et micro-chronologie. LaminesDCL, WPL et films de suie restitués en fausses couleurs. Aziliende la Balma de la Margineda en Andorre. En vert les lamineswpl, en bleu les lamines DCL. Les différents passages, misen évidence par les films de suie (en rouge), sont toujoursassociés aux lamines WPL ; ils ont donc toujours eu lieuà la même période de l’année. On peut démontrer qu’ilscorrespondent à une seule unité archéologique qui prendainsi un caractère composite évident (d’après Brochier 1998,modifié).Figure 8. Soot, speleothem and micro-chronology. DCL, WPLand soot films shown in false colors. Azilian from Balma de laMargineda (Andorra). Green: WPL laminae; blue: dcl laminae.The presence of the hunters, proved by soot film (in red), isalways associated with WPL laminae; they thus occur at thesame period of the year. It can be demonstrated that all thesoot films correspond to only one archaeological unit, whichin turn take an obvious cumulative nature (after Brochier1998, modified).

<strong>Les</strong> sédiments <strong>anthropiques</strong> – Méthodes d’étude et perspectives 467Pour peu que les conditions taphonomiques soient favorables,que le troupeau soit longtemps maintenu en un lieuunique, le sphérolite, éventuellement associé à d’autrespoussières (phytolithaires et algues siliceuses principalement),va constituer des accumulations sédimentairesconsidérables.<strong>Les</strong> recherches géo-éthnoarchéologiques conduites cesdernières années en Sicile et en Grèce ont permis de préciserla mise en place, les traitements et l’évolution des accumulationsd’excréments (Brochier et al. 1992, Acovitsioti-Hameau 2000).L’accumulation des crottes des moutons et des chèvresest extrêmement rapide. En fonction de l’hydratation desfèces, et donc de l’animal, de son régime alimentaire et dela saison, les faciès observés sont différents ; ils vont del’accumulation aérée et plus ou moins mobile de crottes dechèvres (ou de moutons en été), aux plaques dures et tasséesproduites par les brebis. <strong>Les</strong> parois de la grotte, ou dubâtiment, dans lequel sont abritées les bêtes sont usées parla laine poussiéreuse des animaux, suivant une bande dequelques décimètres de largeur comprise entre 40 et65 cm au dessus de la surface du sol. Le poli obtenuconserve ses caractères morphologiques macroscopiquespendant des millénaires. L’abrasion est telle qu’elle peutêtre suffisante pour effacer partiellement les profondssillons de quelques gravures paléolithiques ; celles de lagrotte Chabot en Ardèche en sont un bon exemple. Dans lesgrottes ou les abris ayant été utilisés pour l’élevage pendantdes siècles, il est facile de retrouver, plusieurs mètres audessus du sol, de tels polis ; leur découverte, avant toute interventionarchéologique, indique clairement la fonctionprincipale du site et les faciès qui y seront rencontrés. Cespolis perchés permettent d’imaginer les énormes quantitésde crottes qui se sont accumulées ; ils permettent égalementde prendre conscience de l’énorme réduction de volumequi s’est produite au fil des siècles consécutivement àla disparition de la matière organique.Celle-ci se produit soit progressivement, soit brutalementpar brûlage.En milieu abrité, il faut entre un et sept siècles pour quela bio-minéralisation soit totale. Il est difficile d’estimerprécisément la réduction de volume qui en résulte. Si l’onenvisage seulement la réduction pondérale, l’ordre degrandeur de la partie minérale restante est du quart de lamasse initiale ; la marge d’erreur est cependant grandepuisque ceci dépend de l’animal (est-il producteur desphérolites ?), de son alimentation (quelle est la part desPoacées dans son régime ?) et des caractéristiques du ter-Figure 8. Suie, spéléothème et micro-chronologie. LaminesDCL, WPL et films de suie restitués en fausses couleurs. Aziliende la Balma de la Margineda en Andorre. En vert les lamineswpl, en bleu les lamines DCL. <strong>Les</strong> différents passages, misen évidence par les films de suie (en rouge), sont toujoursassociés aux lamines WPL ; ils ont donc toujours eu lieuà la même période de l’année. On peut démontrer qu’ilscorrespondent à une seule unité archéologique qui prendainsi un caractère composite évident (d’après Brochier 1998,modifié).Figure 8. Soot, speleothem and micro-chronology. DCL, WPLand soot films shown in false colors. Azilian from Balma de laMargineda (Andorra). Green: WPL laminae; blue: dcl laminae.The presence of the hunters, proved by soot film (in red), isalways associated with WPL laminae; they thus occur at thesame period of the year. It can be demonstrated that all thesoot films correspond to only one archaeological unit, whichin turn take an obvious cumulative nature (after Brochier1998, modified).

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!