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expérimentations photographiques en europe - Centre Pompidou

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C<strong>en</strong>tre <strong>Pompidou</strong>Dossiers pédagogiquesCollections du MuséeEXPÉRIMENTATIONS PHOTOGRAPHIQUESEN EUROPEDES ANNÉES 1920 A NOS JOURSAccrochage du MuséeCollections moderne et contemporaineJusqu’à fin mars 2009Eric Rondepierre, Loupe / Dormeur Livre 7, 1999-2003© Adagp, Paris 20081. CORPS ET EXPÉRIENCESLE CORPS COMME TERRAIN D’EXPÉRIMENTATIONCORPS SCULPTURE2. ÉMULSIONS ET SURFACESSURFACES D’ÉMULSIONPHOTOGRAPHIE/PEINTURE3. PERSPECTIVES ET POINTS DE VUEBASCULER LE REGARDJEUX OPTIQUES : JAN DIBBETS ET TOSANI4. PHOTOMONTAGELES FORMES DU MONTAGELE MOT ET L’IMAGEBIBLIOGRAPHIE1


Le C<strong>en</strong>tre Georges <strong>Pompidou</strong> propose l’accrochage d’une partie de sa collection autour de quatre thèmes,qui d’un étage à l’autre se répond<strong>en</strong>t, établissant des li<strong>en</strong>s <strong>en</strong>tre les sections Moderne et Contemporaine duMusée. En tout, huit espaces d’accrochage offr<strong>en</strong>t un parcours axé sur les gestes fondam<strong>en</strong>taux qui ontcontribué à inscrire la photographie dans le champ artistique.Au-delà des mouvem<strong>en</strong>ts majeurs de l’histoire de l’art qui s’y trouv<strong>en</strong>t représ<strong>en</strong>tés, le spectateur est invité àremonter le cours d’une histoire des formes et des postures adoptées face au support photographique. Tout<strong>en</strong> replaçant les <strong>en</strong>jeux propres aux différ<strong>en</strong>ts mouvem<strong>en</strong>ts artistiques abordés, nous nous attacherons doncà r<strong>en</strong>dre compte de ces passages transversaux qui racont<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t cet outil de représ<strong>en</strong>tationmécanique du réel a été progressivem<strong>en</strong>t incorporé aux pratiques artistiques.1. CORPS ET EXPÉRIENCESLE CORPS COMME TERRAIN D’EXPÉRIMENTATIONNiveau 5, Salle 16.Au cours du 19e siècle, la photographie était considérée comme l’outil de la ressemblance, <strong>en</strong> ce qu’elleconstituait une empreinte lumineuse de la réalité, un moy<strong>en</strong> d’évacuer la subjectivité du dessinateur <strong>en</strong>matière de représ<strong>en</strong>tation, un outil mécanisé qui assurait, du moins dans l’idée, une parfaite ressemblanceavec l’objet photographié. Interrogeant ces principes, la notion d’expérim<strong>en</strong>tation, fondam<strong>en</strong>tale dans lecontexte artistique des années 1920-1930, portera ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t sur le travail du support comme manièrede r<strong>en</strong>dre visible l’image <strong>en</strong> tant que surface, d’<strong>en</strong> révéler chaque constituant, jetant comme un voile surl’idée de vraisemblance et d’objectivité. Les travaux prés<strong>en</strong>tés dans cette première salle ont ainsi pour pointcommun de t<strong>en</strong>dre vers une autre quête d’objectivité, qui consisterait à pr<strong>en</strong>dre pour objet la subjectivité àl’œuvre dans le regard : représ<strong>en</strong>ter les constructions du regard <strong>en</strong> même temps que l’objet sur lequel il seporte.Dans cette salle qui réunit des travaux de MAN RAY, de HANS BELLMER, de RAOUL UBAC, de GERMAINEKRULL, d’ANDRÉ KERTÈSZ pour ne citer que les plus célèbres, l’idée d’une projection phantasmatique sur leréel s’incarne dans le sujet même des photographies. Donnant à voir des corps nus, tordus, morcelés, étirés,brûlés, ces clichés mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lumière les métamorphoses que le regard impose au réel, <strong>en</strong> redessinant sesproportions. C’est l’image de la déformation inconsci<strong>en</strong>te qui se trouve imprimée sur la pelliculephotos<strong>en</strong>sible.L’une des préoccupations majeures des surréalistes est bi<strong>en</strong> de faire sourdre les formes de l’inconsci<strong>en</strong>tpour mettre <strong>en</strong> faillite le concept même de réalité. Pour ce faire, les photographes vont simultaném<strong>en</strong>ttravailler le corps des modèles, <strong>en</strong> les ligaturant, <strong>en</strong> les amputant au moy<strong>en</strong> de jeux d’ombres et de lumières,<strong>en</strong> substituant certains de leurs membres par des objets ; et travailler le corps de l’image.André Kertész, Distorsion n° 60 , 1933Tirage de 1977. Tireur : Igor BakhtEpreuve gélatino-arg<strong>en</strong>tique, 24,7 x 19,7 cmDon de l'artiste 1978 - AM 1978-145(2)En tournant son objectif vers les reflets qui se form<strong>en</strong>t à la surface de miroirs déformants, et non directem<strong>en</strong>tvers le modèle, c’est <strong>en</strong> interv<strong>en</strong>ant sur la prise de vue qu’ANDRÉ KERTÈSZ, photographe hongrois installé àParis depuis 1925, obti<strong>en</strong>t ses « Distorsions ». Celle qui est exposée ici, soixantième d’une sériecomm<strong>en</strong>cée au début des années 1930, montre une femme allongée sur un canapé de cuir noir clouté. Cesélém<strong>en</strong>ts de décor, réduits au minimum, font s<strong>en</strong>s, <strong>en</strong> r<strong>en</strong>voyant à un imaginaire fantasmatique connotépar les réminisc<strong>en</strong>ces d’écrits qui ne sont alors accessibles que dans les <strong>en</strong>fers des bibliothèques. (Lesespaces dans lesquels les ouvrages lic<strong>en</strong>cieux étai<strong>en</strong>t stockés étai<strong>en</strong>t nommés « <strong>en</strong>fer des bibliothèques »parce qu’interdits au public. Ils seront rouverts à la fin des années 1960.)Les jambes du modèle s’allong<strong>en</strong>t pour occuper <strong>en</strong> hauteur trois quarts de la photographie et le reste ducorps s’<strong>en</strong> trouve tassé dans la partie supérieure, comme si le membre sur lequel se focalise la prise de vuev<strong>en</strong>ait de pr<strong>en</strong>dre le dessus sur tous les autres. Les formes liquides, dépossédées de toute ossature,r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t l’image d’une s<strong>en</strong>sualité languide qui conduit l’œil à se couler nonchalamm<strong>en</strong>t dans les reliefsondoyants de la surface photographique. André Kertész propose une plongée au cœur des dynamiquesformelles de l’eau et des formes organiques qui <strong>en</strong> découl<strong>en</strong>t, évoquant les recherches de formes nonrationnelles m<strong>en</strong>ées au même mom<strong>en</strong>t par Hans Arp, dadaïste dont il connaît bi<strong>en</strong> le travail.2


Raoul Ubac, Le Combat de P<strong>en</strong>thesilée I, 1938Photomontage. Solarisation,épreuve gélatino arg<strong>en</strong>tique, 29,8 x 39 cmDon de l'artiste 1976 - AM 1976-319© Adagp, Paris 2008Grâce au procédé de solarisation découvert parMan Ray à la fin des années vingt, RAOUL UBACintervi<strong>en</strong>t, quant à lui, au niveau du tirage et plusprécisém<strong>en</strong>t au mom<strong>en</strong>t de la révélation.Concernant l’inv<strong>en</strong>tion du procédé, la lég<strong>en</strong>devoudrait que l’assistante de Man Ray, Lee Miller,conc<strong>en</strong>trée dans l’obscurité du laboratoire, aits<strong>en</strong>ti passer une souris <strong>en</strong>tre ses jambes aumom<strong>en</strong>t de la révélation d’une photographie. Elleaurait brusquem<strong>en</strong>t allumé les lumières,provoquant des altérations à la surface de l’image qui baignait <strong>en</strong>core dans le révélateur.Dans Le Combat de P<strong>en</strong>thésilée I, que Raoul Ubac tire <strong>en</strong> 1938, les visages et corps sont dématérialisés parce procédé qui change la photographie <strong>en</strong> un dessin de lumière : les surfaces de chair s’estomp<strong>en</strong>t auprofit de halos qui cern<strong>en</strong>t les silhouettes.L’idée de réalité s’estompe pour laisser place à ses fantômes. Fantômes qui sembl<strong>en</strong>t tout droit v<strong>en</strong>us d’unpassé antique, ce que sous-t<strong>en</strong>d la référ<strong>en</strong>ce du titre à la reine des Amazones v<strong>en</strong>ant lutter auprès desTroy<strong>en</strong>s. Les figures de cette scène mythologique s’inscriv<strong>en</strong>t comme dans un bas-relief atemporel quivi<strong>en</strong>t contredire l’idée même de l’instantanéité objective, le « ça a été » au travers duquel Roland Barthes(Roland Barthes, La chambre claire : Note sur la photographie, Gallimard, Seuil, Paris, 1980, p.176) définirale mode de perception photographique. Ici l’évid<strong>en</strong>ce du principe de réalité se trouve r<strong>en</strong>versé par lesphénomènes de surgissem<strong>en</strong>t d’une mémoire culturelle qui montr<strong>en</strong>t un prés<strong>en</strong>t insaisissable dans soncaractère purem<strong>en</strong>t événem<strong>en</strong>tiel : l’imaginaire du passé infuse la perception du prés<strong>en</strong>t.Ubac obti<strong>en</strong>t un effet de bas-relief <strong>en</strong>core plus proche de l’effet sculptural avec Collage (positif sur négatif),exposé juste à côté, <strong>en</strong> tirant sur le papier une superposition légèrem<strong>en</strong>t décalée du négatif et du positifd’une même photographie. Les corps des guerriers imbriqués les uns dans les autres à la surface de cettefresque ne laiss<strong>en</strong>t plus apparaître qu’une bataille de lignes estompées, dessins d’une mémoire lacunaire.Raoul Ubac, La Nébuleuse, 1939Brûlage, épreuve gélatino-arg<strong>en</strong>tique, 40 x 28,3 cmDon de l'artiste 1976 - AM 1976-322© Adagp, Paris 2008Dans La Nébuleuse de1939, c’est <strong>en</strong> brûlant un tirage et <strong>en</strong> lephotographiant à nouveau que Raoul Ubac fait partir la silhouetted’une femme <strong>en</strong> volutes. Évocation des voluptés charnelles, de labrûlure d’un désir qui exhibe, dans un étoilem<strong>en</strong>t de cloques,l’incarnation du support arg<strong>en</strong>tique. Paradoxalem<strong>en</strong>t, l’action dufeu <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre des motifs qui r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t à l’élém<strong>en</strong>t liquide, ou à desfumées qui serp<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t hors d’un <strong>en</strong>c<strong>en</strong>soir : la femme, au visageavalé par un flou qui r<strong>en</strong>force le caractère vaporeux de l’apparition,ne manque pas de r<strong>en</strong>voyer aux figures du Djin maître desélém<strong>en</strong>ts, ou au serp<strong>en</strong>t Nadja cher à André Breton.Le motif de la serp<strong>en</strong>tine structure cette composition asc<strong>en</strong>dantecomme un motif ancestral chargé de s<strong>en</strong>s pour les surréalistes etd’autres avant eux.3


Giulio Paolini, 1421965, 1965Tirage unique réalisé dans l'atelier de l'artiste à Turin2 épreuves juxtaposées et collées sur latté sous emboitage plexiglasEpreuves gélatino-arg<strong>en</strong>tiques, 203 x 153,5 x 3,7 cmAchat 1997, AM 1997-11© Archivio Giulio Paolini, TurinLe spectateur est tout d’abord accueilli par un grand tirage surpapier de GIULIO PAOLINI qui porte pour seul titre la date de saréalisation, 1421965. Cette photographie <strong>en</strong> noir et blancreprés<strong>en</strong>te un homme, bras écartés, déplaçant un grand cadreblanc sur le fond blanc d’un mur. Il se trouve que le cadre decette photo qui met <strong>en</strong> abîme l’image du cadre, est lui-mêmeinscrit dans le cadre que forme, dans les mêmes proportions,l’ouverture de cette salle. Le verre qui recouvre la photographiereflète de surcroît le cadre de l’ouverture de salle qui lui faitface. La figure humaine, celle du sujet comme du spectateur, seretrouve piégée, prise dans un jeu de cadrages inextricablesqui accus<strong>en</strong>t le laisser aller de ses formes.A l’intérieur, un petit tirage polaroïd de BERNHARD JOHANNES BLUME datant de 1984, Eckige Nahrung,représ<strong>en</strong>te le portrait rapproché d’un homme noir <strong>en</strong> chemise à carreaux, dont les traits disparaiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong>raison d’un flou causé par un mouvem<strong>en</strong>t rapide de tête allant de gauche à droite. L’homme ti<strong>en</strong>t un objetindéterminé <strong>en</strong>tre ses d<strong>en</strong>ts. L’image r<strong>en</strong>voie à toute une iconographie de scènes de transe qui colle àl’image du noir d’origine africaine. Ici, comme dans les travaux où il se représ<strong>en</strong>te avec sa femme dans unintérieur petit bourgeois, mystérieusem<strong>en</strong>t agressé par les objets qui s’y trouv<strong>en</strong>t, il détourne les codes de laphotographie d’amateur qui, depuis le 19e siècle, t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de représ<strong>en</strong>ter l’invisible au travers de la mise <strong>en</strong>scène de séances de spiritisme.Bernhard Johannes Blume tourne à la fois <strong>en</strong> dérision ces images et l’absurdité d’une vie quotidi<strong>en</strong>ne<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t rationalisée <strong>en</strong> établissant un parallèle <strong>en</strong>tre les croyances et les activités domestiques.Ainsi le personnage ti<strong>en</strong>t dans sa bouche ce que le titre désigne comme étant une « nourriture anguleuse »,référ<strong>en</strong>ce burlesque au rationalisme excessif de la culture occid<strong>en</strong>tale, à la philosophie structurelle quel’artiste étudia durant ses jeunes années et aux conséqu<strong>en</strong>ces sociales qu’une telle organisation de lap<strong>en</strong>sée implique une fois portée à l’échelle industrielle. L’artiste nous montre ici des hommes qui n’arriv<strong>en</strong>ttoujours pas à l’avaler, au s<strong>en</strong>s littéral.Erwin Wurm, One Minute Sculptures, 1997-98Tirage 3/5. Série de 48 photographiesChaque photographie : 45 x 30 cmAchat 2000 - AM 2001-7(1-48)© Adagp, Paris 2008Tout aussi burlesques, les One MinuteSculptures d’ERWIN WURM sont prés<strong>en</strong>téessous forme d’un polyptique de seize colonnespour trois lignes, réparti sur deux cimaisesdans un angle. L’idée d’une série dont il s’agitd’épuiser les possibles est annoncée dans l<strong>en</strong>ombre et la disposition des cadres : rangésles uns à côté des autres, tous de mêmetaille, ils constitu<strong>en</strong>t un large bandeau quipourrait se poursuivre sur le mur et au-delà.Les principes de cette série sont simples,toujours les mêmes, mathématiques : demander à une personne d’adopter une position, avec un objet,p<strong>en</strong>dant une minute. Unité de temps, de lieux, d’action, la rigueur de la démarche semble répondre auxrègles que s’imposai<strong>en</strong>t les sculpteurs minimalistes des années 1960-1970, qui déclinai<strong>en</strong>t des sériesd’objets infinies à partir de quelques élém<strong>en</strong>ts combinatoires. Mais le résultat plastique ne donne pas dansl’épuration industrielle des matériaux, bi<strong>en</strong> au contraire. La pauvreté familière des objets sollicités r<strong>en</strong>voie5


davantage aux performances de cette même période, à l’image d’un Bruce Nauman qui se filmait dans unatelier à peine balayé pour figurer des mouvem<strong>en</strong>ts de danse réduits à un alphabet de gestes élém<strong>en</strong>taires.Ce que donn<strong>en</strong>t à voir ces photographies sont des sculptures. La photographie a ici une valeur purem<strong>en</strong>tdéictique : elle donne à voir l’objet qu’elle représ<strong>en</strong>te <strong>en</strong> négligeant sa matérialité propre. Considérant letraitem<strong>en</strong>t photographique bâclé qui résulte de ces prises de vue et le caractère dérisoire des situationsdans lesquelles ces corps se trouv<strong>en</strong>t, tantôt <strong>en</strong>goncés dans des cartons d’emballage ou des étagères <strong>en</strong>aggloméré, tantôt <strong>en</strong> équilibre sur des ballons de plastique ou sur la tête, une autre lecture est permise.Celle-ci, moins formelle, associe ces positions absurdes, d’équilibre précaire, à l’absurdité des posturesmorales qu’implique la société de consommation. Le culte de l’objet et sa critique nous sort<strong>en</strong>t littéralem<strong>en</strong>tpas les trous de nez, mais aussi par les yeux et les oreilles. C’est ce que donne à voir ce cliché qui changela tête ch<strong>en</strong>ue d’un homme <strong>en</strong> une statuette votive, détournant avec ironie les référ<strong>en</strong>ces utopiques auxformes d’art primitif. La photo de mode est égalem<strong>en</strong>t concernée, avec des clins d’œil plus ou moins directsà des clichés de Guy Bourdin parus dans Vogue, ce que confirme par ailleurs la réc<strong>en</strong>te participation del’artiste à la campagne 2008 du groupe Hermès pour lequel il a adapté la série.Georges Tony Stoll, Que fait-il seul dans son pantalon Adidas ?, 1999Moby Dick. Ensemble de 12 photographies couleur, 1994-2000Epreuve chromogène contrecollée sur aluminium, 75 x 50 cmDon de la Galerie du Jour Agnès b. 2003 - AM 2003-245(10)© Georges Tony StollL’œuvre de GEORGES TONY STOLL joue aussi de cette ironie mais surun ton plus désabusé. Ses photographies mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avant l’effortdésespéré pour obt<strong>en</strong>ir une belle composition géométrique avec lesmatériaux pauvres qui lui tomb<strong>en</strong>t sous la main. Dans ce but, il met<strong>en</strong> contraste les couleurs vives des objets de consommationcourante qui l’<strong>en</strong>vironn<strong>en</strong>t et les motifs ternis de couettes usagées,de papiers peints désuets, de moquettes vieillies. Une petite balle deping-pong rouge apparaît dans un angle, la torsion discrète d’un filélectrique blanc surgit dans le coin, rétablissant les compositions quiferai<strong>en</strong>t presque p<strong>en</strong>ser à une composition de Miró. Mais le flash del’appareil vi<strong>en</strong>t anéantir le bel aplat rose plastique de Alèze, ToileCirée, 1995, et vi<strong>en</strong>t jaunir davantage les murs qui disparaiss<strong>en</strong>tdans l’ombre sur les bords. Il met ainsi <strong>en</strong> scène une esthétique dela précarité où l’id<strong>en</strong>tité du sujet se trouve systématiquem<strong>en</strong>tévacuée au profit des objets et de la composition : tête coupée par lecadrage, bandée avec du chatterton, masquée par la chaussetteblanche d’un pied, recouverte d’un drap de douche jauni… A cet égard, le titre Que fait-il seul dans sonpantalon Adidas ? est suffisamm<strong>en</strong>t éclairant.D<strong>en</strong>is Darzacq, La chute n°1 , 2006Edition 7/8. Epreuve chromogène, 85 x 105 cmDon de la Société des Amis du Musée national d'art moderne 2008AM 2008-34 - © Ag<strong>en</strong>ce VuEnfin, le travail de DENIS DARZACQ explore les possibilités del’instantané photographique. Ses Chutes, réalisées <strong>en</strong>tre 2004 et2006 dans le 19e arrondissem<strong>en</strong>t de Paris, donn<strong>en</strong>t à voir ce quel’on pourrait appeler, par comparaison aux travaux d’Erwin Wurm,des sculptures d’une fraction de seconde. La démarche consistait àsaisir <strong>en</strong> vol les corps de ces « jeunes de cité » qui t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>td’échapper à la verticalité rationnelle de leur <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>effectuant des figures d’acrobatie dans la rue. L’exercice est lesuivant : sauter le plus haut possible <strong>en</strong> se lançant contre un murqui servira de tremplin afin de réaliser des figures. Dépassantl’aspect docum<strong>en</strong>taire qui consistait à aller témoigner d’une pratiqueinscrite dans les us et coutumes de Bobigny, la prés<strong>en</strong>ce duphotographe incitait ces jeunes à aller plus haut, quitte à se fairemal pour se livrer corps et âme à la photo. Ils exécutèr<strong>en</strong>t des figures <strong>en</strong> fonction de l’objectif afin d’obt<strong>en</strong>ir6


de leur corps l’image la plus spectaculaire que le photographe puisse saisir. En résulte un paradoxeformel saisissant : ces jeunes, <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>sion face aux emboîtem<strong>en</strong>ts de façades qui interdis<strong>en</strong>t touteprofondeur de champ, sont à la fois <strong>en</strong> train de tomber et de s’<strong>en</strong>voler.2. ÉMULSIONS ET SURFACESSURFACES D’ÉMULSIONNiveau 5, Salle 32A la fin des années 50, dans un contexte artistique marqué par l’émerg<strong>en</strong>ce de l’art brut et des valeurs anticulturellesque porte son inv<strong>en</strong>teur Jean Dubuffet, se fait s<strong>en</strong>tir le besoin de célébrer la matière pour ellemême,indép<strong>en</strong>damm<strong>en</strong>t d’un art dont le raffinem<strong>en</strong>t et l’intellig<strong>en</strong>ce asphyxiante avai<strong>en</strong>t déjà été l’objet desattaques dadaïstes. Contre les desseins de la rationalité, il s’agit d’<strong>en</strong> rev<strong>en</strong>ir au geste premier. Parl’expression du corps confronté à la matière il s’agit de s’affranchir du culte voué à la culture <strong>en</strong> Occid<strong>en</strong>t.C’est aussi celui de l’artiste qui s’<strong>en</strong> trouve mis à mal. Les photographies prés<strong>en</strong>tées ici r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t à ce queGaston Bachelard décrivait comme « les rêveries de la matière ». La matière comme surface objective duréel, même saisie à fleur de peau, ne peut r<strong>en</strong>voyer qu’aux songes, notre raison n’y <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ri<strong>en</strong>.Tout d’abord, c’est l’effacem<strong>en</strong>t de la notion d’auteur qui est à l’œuvre dans les photographies de graffitianonymes que réalise BRASSAÏ <strong>en</strong> 1930. C’est <strong>en</strong>suite l’effacem<strong>en</strong>t même du dessin, de la traceint<strong>en</strong>tionnelle de l’homme, qui est prés<strong>en</strong>té dans ces gros plans de murs uniquem<strong>en</strong>t travaillés par le temps.Apparaiss<strong>en</strong>t alors une infinité de métaphores paysagères : des ciels de rouille, des craquelures de peintures’ouvrant <strong>en</strong> corolles racornies sur le cim<strong>en</strong>t brut ou déployant des réseaux de cicatrices <strong>en</strong>tre ses cloques.Ainsi, lorsque Brassaï, sur certains clichés, laisse apparaître un résidu d’affiche politique composant un aplatde couleur primaire qui tranche brutalem<strong>en</strong>t avec le fond nuancé des traces d’usure, ce sont tous lesrapports <strong>en</strong>tre vie active et contemplative, petites histoires humaines et grandeurs naturelles, prés<strong>en</strong>t etéternité, qui sont ram<strong>en</strong>és à la surface.A la fin des années 1950, PIERRE CORDIER réalise des Chimigrammes, clichés obt<strong>en</strong>us à partir de réactionschimiques directem<strong>en</strong>t opérées sur le support arg<strong>en</strong>tique. Se form<strong>en</strong>t ainsi des tâches qui évoqu<strong>en</strong>t dansleurs contours le relief de bourrelets, d’amas de cellules ou de forêts de dégoulinures radiographiques. Dansles titres, <strong>en</strong> revanche, ni métaphores, ni même de mots : les dates constitu<strong>en</strong>t les titres. Les boursoufluresde l’esprit n’ont pas à s’ajouter à celles que propose déjà la matière, origine de toutes les structures de lap<strong>en</strong>sée.Cette démarche nous r<strong>en</strong>voie directem<strong>en</strong>t aux dessins trouvés des cabinets de curiosité, dessins produitspar les sillons d’une souche ou les traces de lich<strong>en</strong> sur une pierre. Il faut égalem<strong>en</strong>t faire référ<strong>en</strong>ce à latradition chinoise des « pierres de la forêt nuageuse », initiée <strong>en</strong> l’an 900 par le peintre Tou-Wang et quiconsistait à prés<strong>en</strong>ter <strong>en</strong> tant qu’œuvre des pierres trouvées, simplem<strong>en</strong>t polies et tamponnées. Despaysages de forêts plongées dans la brume surgissai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet de ces pierres prélevées sur les paroisverticales des falaises quand, une fois retournées, les patines déposées par les pluies s’étirai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> directiondu ciel comme autant de cimes. Le seul geste du « peintre » était alors de choisir parmi ce que la natureavait créé, la désignant par là comme étant la seule instance créatrice.Les tirages de HEINZ HAJEK-HALKE, réalisés de 1950 à 1970, témoign<strong>en</strong>t de l’intérêt de cet artiste pour lamatière picturale. En 1925 Hajek-Halke pratique et <strong>en</strong>seigne le photomontage à Berlin. C’est p<strong>en</strong>dant laguerre, alors qu’il v<strong>en</strong>d du sérum produit à partir du v<strong>en</strong>in tiré de son élevage de vipères, qu’il met au pointses premières expéri<strong>en</strong>ces de rayographies réalisées à partir de tâches d’<strong>en</strong>cre et de peinture sur plaquede verre. On retrouve dans ces travaux des procédés qui ont déjà attiré l’att<strong>en</strong>tion de certains peintressurréalistes, comme celui qu’emploie régulièrem<strong>en</strong>t Max Ernst dans ses peintures, obt<strong>en</strong>ant desarboresc<strong>en</strong>ces coralines au moy<strong>en</strong> d’une vitre <strong>en</strong>duite de peinture qu’il retire rapidem<strong>en</strong>t du supportd’application.Forêts de coraux, coupes osseuses, déserts de peau… les motifs se multipli<strong>en</strong>t avec la complexification deschaînes opératoires que l’artiste met <strong>en</strong> place : rayographies de pétales découpés, négatifs dephotographies de gouttes d’<strong>en</strong>cre se diffusant dans l’eau s’ajout<strong>en</strong>t et se superpos<strong>en</strong>t aux tirages demonotypes. Mais un motif vi<strong>en</strong>t de manière récurr<strong>en</strong>te structurer ces compositions aléatoires : le cercle,sorte de référ<strong>en</strong>ce à un signe mystique, tellurique ou solaire, qui donne à voir ici un rapport <strong>en</strong>tre micro etmacrocosme.7


PHOTOGRAPHIE / PEINTURENiveau 4, Salle 19Dans la partie contemporaine, les rapports <strong>en</strong>tre photographie et peinture développ<strong>en</strong>t la confrontation de lareproduction mécanique et le geste pictural dont la matérialité s’affirme <strong>en</strong> surface, plaçant au premier planla trace humaine dans ce qu’elle a de primitif.François Rouan, Epreuve négative III.4, 1998-20021/1, cire, 66 x 67 x 3 cmAchat 2004 - AM 2004-44 © Adagp, Paris 2008Dans cette salle, les Épreuves Négatives de FRANÇOIS ROUANréalisées, quant à elles, <strong>en</strong> 1998, font écho aux motifsorganiques déployés par Heinz Hajek-Halke. Les techniques etles résultats, bi<strong>en</strong> que très différ<strong>en</strong>ts, prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t dessimilitudes. La plaque de verre est ici le support du tirage : lesnégatifs imprimés jou<strong>en</strong>t du brouillage qui s’instaure <strong>en</strong>tre lesnuances de gris, les ombres portées par transpar<strong>en</strong>ce, et lesempreintes réalisées après coup avec de la cire blanche sur laplaque de verre. La photographie d’origine donne à voir desparcelles de peau, auxquelles se superposerai<strong>en</strong>t des tiragesagrandis d’empreintes de mains, conduisant à la confusiontotale des parties du corps représ<strong>en</strong>tées. Ces épreuvesmett<strong>en</strong>t à nu la muqueuse photographique, dans son caractère lisse et brillant.Gilbert & George, Black Death, (Mort noire), 198312 panneaux <strong>photographiques</strong>, cibachrome, acrylique et feuille d'or182 x 202 cm. Dim<strong>en</strong>sions de chaque panneau : 61 x 50,5 cmAchat 1984 - AM 1984-109 © Gilbert & GeorgeDans une toute autre esthétique, la composition <strong>en</strong> polyptiquede GILBERT & GEORGE, Black Death, 1983, rejoint un universsymbolique faisant référ<strong>en</strong>ce à la mort, dans le trou noirc<strong>en</strong>tral d’une bouche qui ouvre simultaném<strong>en</strong>t sur uneévocation du cosmos. La composition symétrique, à la foisdans l’horizontalité et la verticalité, l’usage de la feuille d’orassocié au tirage cibachrome vif, ainsi que les contours noirsdu dessin r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t la référ<strong>en</strong>ce à des formes d’art sacrécomme celles du vitrail.Affirmant <strong>en</strong>core davantage l’affrontem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre objectivité photographique et subjectivité du geste picturaldans toute son expressivité corporelle, Ruck (Convulsion) et Glück (Bonheur) d’ARNULF RAINER, imprim<strong>en</strong>tsur la surface parfaitem<strong>en</strong>t lisse de photographies <strong>en</strong> noir et blanc, de larges gerbes de couleurs qui fontéclater la représ<strong>en</strong>tation. Attiré dans ses premières années par le tachisme et l’art informel, Arnulf Rainerse rapprochera du mouvem<strong>en</strong>t de l’art corporel et des actionistes vi<strong>en</strong>nois avec lesquels il partagera le goûtpour le détournem<strong>en</strong>t de l’iconographie judéo-chréti<strong>en</strong>ne.Glück se réfère ainsi au bonheur de façon pour le moins provocante, <strong>en</strong> invoquant l’image de Saint Jean-Baptiste. Auréolée de cercles de peinture, la tête semble décapitée sur le fond blanc du tirage tropcontrasté. L’extase du sacrifice, de la mortification est r<strong>en</strong>due burlesque par l’expression du visage et laviol<strong>en</strong>ce régressive du geste pictural qui rappelle celle des actionnistes vi<strong>en</strong>nois dans leur recours auxmatières fécales ou au sang.Ruck, de son côté, évoque vaguem<strong>en</strong>t la silhouette d’un ange r<strong>en</strong>due évanesc<strong>en</strong>te par le grain de laphotographie qui est exagérém<strong>en</strong>t gros. La pellicule de forte s<strong>en</strong>sibilité a produit ces tirages qui exploit<strong>en</strong>tles caractéristiques de la « photo loupée ». Le souffle de cet ange ridicule semble dès lors diffuser le grainphotographique qui le fait apparaître à la manière d’un pulvérisateur. Les gerbes de peinture qui part<strong>en</strong>t depart et d’autre de son visage sembl<strong>en</strong>t propulsées par le même souffle, créant malgré tout un li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre lesélém<strong>en</strong>ts hétérogènes de l’image.8


3. PERSPECTIVES ET POINTS DE VUEBASCULER LE REGARDNiveau 5, Salle 27L’apparition de la photographie instantanée à la fin du 19e siècle et le développem<strong>en</strong>t de l’appareil à main audébut du 20e permett<strong>en</strong>t de fixer le mouvem<strong>en</strong>t de la vie. Ces deux facteurs vont déterminer l’émerg<strong>en</strong>cede nouveaux points de vue, traduisant le dynamisme des grandes villes : utilisation des diagonales et desobliques, déc<strong>en</strong>trem<strong>en</strong>t des cadrages, mise <strong>en</strong> exergue de la profondeur de champ au moy<strong>en</strong> de prises devue rasantes qui r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t l’effet de perspective <strong>en</strong> donnant à voir tous les plans, du plus proche au pluslointain. En témoign<strong>en</strong>t les clichés d’une GERMAINE KRULL qui, par ce biais, à la fin des années 20, porte <strong>en</strong>gloire les poutres rivetées des architectures métalliques dont elle exalte les <strong>en</strong>trecoupem<strong>en</strong>ts vertigineux(Pont susp<strong>en</strong>du de Rotterdam, 1926).Autre élém<strong>en</strong>t déterminant pour les années 20 : les vues aéri<strong>en</strong>nes réalisées lors de la guerre de 1914-1918ont marqué les photographes pour la vision épurée, synthétique, qu’elles donn<strong>en</strong>t du monde. Ces derniersvont rapidem<strong>en</strong>t expérim<strong>en</strong>ter les effets spectaculaires que produis<strong>en</strong>t les cadrages <strong>en</strong> plongée et contreplongéesur le paysage urbain. Ces déplacem<strong>en</strong>ts du regard marqu<strong>en</strong>t l’émerg<strong>en</strong>ce de ce que l’on appellerala « Nouvelle Objectivité », dont le souffle traversera autant l’Europe que la Russie.LASZLO MOHOLY-NAGY, alors <strong>en</strong>seignant à l’École du Bauhaus de Weimar, publie <strong>en</strong> 1925 avec LajosKassak Peinture, photographie, film, qui devi<strong>en</strong>t rapidem<strong>en</strong>t la référ<strong>en</strong>ce de l’avant-garde photographiqueeuropé<strong>en</strong>ne et russe. Cet ouvrage s’inscrit dans le prolongem<strong>en</strong>t des réflexions constructivistes, annoncées<strong>en</strong> 1920 par le Programme du groupe constructiviste d’Alexandre Rodtch<strong>en</strong>ko, influ<strong>en</strong>cé par Vladimir Tatlineet sa volonté de faire exister la forme géométrique, de manière autonome, dans l’espace ; et formulé par leManifeste réaliste des frères Naum Gabo et Anton Pevsner publié <strong>en</strong> 1921.Laszlo Moholy-Nagy définit la photographie comme une « superposition de jeux d’esprit et de s<strong>en</strong>sationsvisuelles » (Laszlo Moholy-Nagy, Malerei, photographie, film, Munich, Albert Lang<strong>en</strong>, 1925) prônant l’étudequasi sci<strong>en</strong>tifique des expéri<strong>en</strong>ces perceptives que l’artiste fait quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t. La compréh<strong>en</strong>sion desphénomènes optiques est pour lui source de connaissance. Partant de là, les réalités les plus banales dela ville peuv<strong>en</strong>t être prétextes à l’exercice d’un nouveau regard, car « la photographie révolutionne la vision »plus qu’elle ne doit chercher à reproduire le connu (Laszlo Moholy-Nagy, « How Photography RevolutionisesVision », The List<strong>en</strong>er, 8 Novembre 1933, trad. Jean Kempf). Source d’une « Nouvelle vision », d’une« Nouvelle Objectivité », ces pratiques doiv<strong>en</strong>t débarrasser l’« Homme Nouveau » de toutes lesmièvreries s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tales et subjectivistes. En ce s<strong>en</strong>s, la photographie est perçue comme un outilparticulièrem<strong>en</strong>t adapté pour dépasser l’expression de la subjectivité individuelle et représ<strong>en</strong>ter le mondemoderne <strong>en</strong> élevant l’art à l’échelle industrielle de son époque.Laszlo Moholy-Nagy, From the Radio Tower. Bird's Eye View. Berlin(Vue de Berlin depuis la tour de la Radio), 1928Tirage 8/25. Epreuve gélatino-arg<strong>en</strong>tique collée sur carton, 24,5 x 18,9 cmAchat 1994 - AM 1994-151 © Adagp, Paris 2008C’est ainsi que Moholy-Nagy réalise des prises de vue <strong>en</strong> plongéetelle que sa Vue de Berlin depuis la tour de la Radio (1928),proposant un éloignem<strong>en</strong>t et une verticalité telle, que le paysagearchitectural se change <strong>en</strong> une composition abstraite. Celle-cinécessite du spectateur une att<strong>en</strong>tion accrue pour parv<strong>en</strong>ir àreconstituer la réalité. Cet effet d’abstraction est r<strong>en</strong>forcé par laprés<strong>en</strong>ce d’une couche de neige qui, dans cette photographie <strong>en</strong>noir et blanc, expose des jeux de textures évoquant sesrecherches picturales antérieures. Selon les nuances des zones degris, le spectateur peut apprécier la d<strong>en</strong>sité de la couche de neigeet <strong>en</strong> déduire le matériau sur lequel celle-ci repose : gris sombre etduveteux sur l’herbe rase d’un gazon, gris presque blanc sur lasurface uniforme d’une dalle de béton, effet moucheté desarbustes qui la transperc<strong>en</strong>t… Il s’agit bi<strong>en</strong> d’éduquer le regard duspectateur, de compr<strong>en</strong>dre les phénomènes optiques pourid<strong>en</strong>tifier les choses, au-delà des écueils que représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t les jeux de transpar<strong>en</strong>ce, de superposition,d’imbrication des volumes.9


Près de ce tirage de Moholy-Nagy, celui de MAURICE TABARD, Londres, 1947, joue égalem<strong>en</strong>t des effets dela neige et de sa capacité à compléter le travail du noir et blanc <strong>en</strong> unifiant les volumes. Avec laphotographie de FRANÇOIS KOLLARD, Bords de Marne, 1928, c’est l’eau qui devi<strong>en</strong>t comme solide dans lalumière du soir, figeant l’écoulem<strong>en</strong>t de ce temps imparti au divertissem<strong>en</strong>t de la baignade.Alexandre Rodtch<strong>en</strong>ko, L'Escalier, 1930Epreuve gélatino-arg<strong>en</strong>tique, 29,6 x 42 cmDon de Mouli Rodtch<strong>en</strong>ko 1981AM 1981-585 © Adagp, Paris 2008Avec L’Escalier de 1930, ALEXANDRERODTCHENKO propose une composition quiexploite pleinem<strong>en</strong>t la dynamique de la diagonale<strong>en</strong> plus de la plongée pour donner à voir unepassante de dos, gravissant les marches avecson <strong>en</strong>fant dans les bras. Le jeu des contrastesest égalem<strong>en</strong>t radical : les ombres portées sontnettem<strong>en</strong>t découpées et les marches inscriv<strong>en</strong>t,à la surface de la photographie, une successionde lignes noires et blanches. Comme aplati parl’orthogonalité de la composition, l’espace <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> conflit avec la silhouette irrégulière du corps qui letraverse. L’immobilité géométrique du décor minéral et le mouvem<strong>en</strong>t de la vie se soulign<strong>en</strong>t l’un l’autre.Les photographies d’escalier qui accompagn<strong>en</strong>t celle-ci, ajoutées aux vues de rues <strong>en</strong> hauteur, réalisées pardes photographes comme BRASSAÏ, HANNES BECKMANN ou PAUL WOLFF montr<strong>en</strong>t à quel point la plongéeconstitua un poncif à cette époque.Rue Inquiétante, 1928, se distingue par le caractère irréel et psychologisant qu’UMBO donne à sa plongéeverticale sur l’activité passante d’une rue pavée. Au premier coup d’œil, les ombres qui s’étir<strong>en</strong>t sur lachaussée sembl<strong>en</strong>t avoir remplacé les hommes, réduits par le point de vue à des boules ramassées <strong>en</strong>tredeux épaules. Une ombre avance au bas de l’image avec, à la place de la tête, le carré d’une trappe.Accompagnant les ombres humaines, des tâches d’huile macul<strong>en</strong>t les trottoirs et sembl<strong>en</strong>t constituerd’autres ombres à l’état embryonnaire. Par les textures des sols − l’emboîtem<strong>en</strong>t des pavés de différ<strong>en</strong>testailles, les larges traînées sur la chaussée, les bandes formées par les planches −, ce tirage fait de la rueune gravure anonyme à l’eau forte.JEUX OPTIQUES : JAN DIBBETS ET TOSANINiveau 4, Salle 17Au début des années 1980, la photographie s’impose dans le champ de l’art et s’expose sur les cimaises,notamm<strong>en</strong>t sous l’influ<strong>en</strong>ce d’un JEAN-MARC BUSTAMANTE, anci<strong>en</strong> assistant de William Klein, qui propose,dès 1978, de grands formats couleur intitulés Tableaux. C’est l’émerg<strong>en</strong>ce d’une pratique que certainshistori<strong>en</strong>s, comme Dominique Baqué, désign<strong>en</strong>t sous le terme de « photographie plastici<strong>en</strong>ne », bi<strong>en</strong> quela notion soit difficilem<strong>en</strong>t cernable. En effet, les distinctions <strong>en</strong>tre photojournalisme, photographie de modeet photographie d’art sont des plus « floues » et t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à l’être toujours davantage, tant au niveau formelque sur le plan de la porosité des champs.Cette forme se distinguerait d’une photographie traditionnelle purem<strong>en</strong>t déictique, qui donne à voir le réel surle mode de la docum<strong>en</strong>tation. Elle se rattache à des principes proches de ceux de la « Nouvelle objectivité »<strong>en</strong> interrogeant avant tout la construction même du regard. Pour l’histori<strong>en</strong> de l’art Jean-François Chevrier,cette t<strong>en</strong>dance, caractérisée par ses grands formats, similaires à ceux de la peinture, et le souci de lamise <strong>en</strong> scène, relève d’une « autre objectivité » (Jean-François Chevrier, Une autre objectivité, IdeaBooks, London, 1988).Prés<strong>en</strong>té comme l’une des figures emblématiques de ce mouvem<strong>en</strong>t par Jean-François Chevrier, PATRICKTOSANI a <strong>en</strong>tamé depuis 1980 un travail de photographie sérielle, lequel se fonde sur un principe simple :basculer l’appareil photographique pour faire basculer la réalité. Dans ce but, il rev<strong>en</strong>dique l’emploi desmoy<strong>en</strong>s les plus « objectifs » de la photographie : la précision, la frontalité des prises de vue, la netteté, la10


couleur, l’agrandissem<strong>en</strong>t, et cela <strong>en</strong> s’intéressant à des thèmes banaux qui donneront à voir desr<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>ts du regard. Comme si les points de vue de la « nouvelle objectivité » s’<strong>en</strong> trouvai<strong>en</strong>tradicalisés : les vues plongeantes qu’il adopte pour représ<strong>en</strong>ter le corps humain, de manière objective, leréduis<strong>en</strong>t au statut d’objet.C’est le cas des dessus de têtes dans la série des « Têtes vue de dessus », VT et MCQ de 1992, isoléssur fond blanc comme des produits de luxe ou des pièces de musée qui serai<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong> valeur pour quelquecatalogue. Les corps s’<strong>en</strong> trouv<strong>en</strong>t découpés, dépersonnalisés par des jeux de point de vue portés à detelles extrémités qu’ils ne donn<strong>en</strong>t plus à voir, justem<strong>en</strong>t, que les extrémités du corps.Même principe adopté avec la contre-plongée dans la série des « CDD », où les modèles, installés surdes plaques de verre, sont photographiés par <strong>en</strong> dessous, se changeant <strong>en</strong> amas informes lorsqu’ils y sontassis ou <strong>en</strong> position accroupie, comme c’est le cas dans CDD IX. Lorsqu’ils s’y couch<strong>en</strong>t, comme dans CDDXXXIV ou CDD XXXV, ils se retrouv<strong>en</strong>t susp<strong>en</strong>dus dans l’espace. Par le r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>t vertical de laphotographie, une fois accrochée au mur, ces images font étrangem<strong>en</strong>t écho à ces publicités de mode quiprés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t, avec un dynamisme extatique, des jeunes bondissants, transportés dans un état d’apesanteurpar leurs chaussures de marque ou leurs vêtem<strong>en</strong>ts de sport. La différ<strong>en</strong>ce ici, c’est qu’ils sont précisém<strong>en</strong>timmobiles : paradoxe d’un instantané pausé.Le grain de la photo, exacerbé par les grands formats, joue aussi un rôle important dans la déréalisationdes corps et la mise <strong>en</strong> avant de la surface photographique. Dans CDD IX, cette forte prés<strong>en</strong>ce du grain estassociée à la trace que les chaussures laiss<strong>en</strong>t sur la plaque de verre. L’intérêt pour la surface parfaitem<strong>en</strong>tlisse de la photographie ayant infusé toutes les pratiques artistiques, la vitre est dev<strong>en</strong>ue un référ<strong>en</strong>t clé dece que Rosalind Krauss appelle le photographique (Rosalind Krauss, Le photographique, Macula, 1990). Ici,l’écran photographique mis <strong>en</strong> avant r<strong>en</strong>voie à la surface froide de la représ<strong>en</strong>tation mécanique. Enfin laréduction des titres à des sigles numérotés, soulignant l’aspect sériel de la démarche, <strong>en</strong>ferme ces corpsdans une collection d’objets qui n’est pas sans rappeler les obsessions typologiques qui marquèr<strong>en</strong>t lesdébuts de l’histoire de la photographie, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> matière d’anthropométrie.Patrick Tosani, Masque n°7 , 19991/5. Epreuve chromogène, 92,5 x 106,5 cmDonation Caisse des Dépôts 2006 - AM 2006-731© Adagp, Paris 2008Les vêtem<strong>en</strong>ts, à l’image des pantalons rigidifiés quiconstitu<strong>en</strong>t la série des « Masques », sont donnés à voircomme des « surfaces de recouvrem<strong>en</strong>t ». La forme obt<strong>en</strong>uepar r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>t du point de vue, habituellem<strong>en</strong>t frontal,montre le vêtem<strong>en</strong>t comme un masque, créant un étrangeraccourci <strong>en</strong>tre consumérisme post-moderne et lég<strong>en</strong>desprimitives. Ces pantalons changés <strong>en</strong> masques, par leursdéclinaisons colorées, sembl<strong>en</strong>t induire que ceux qui lesrevêt<strong>en</strong>t, cherch<strong>en</strong>t à investir une id<strong>en</strong>tité, un personnagesocial prêt à porter qui pourrait bi<strong>en</strong> posséder son possesseur.C’est aussi l’image de « l’abri » qui s’impose, celui de la grotte protectrice dans laquelle le regard vi<strong>en</strong>t seréfugier, cette fameuse architecture souple que le corps habite pour se protéger des agressions extérieures.De JAN DIBBETS, artiste néerlandais, sont prés<strong>en</strong>tés ici des esquisses préparatoires et des albums autour dedeux séries. Ses perspectives corrigées, réalisées <strong>en</strong> 1969 dans les parcs, les jardins ou sur les plages,sont précurseurs de nombreux travaux qui repos<strong>en</strong>t sur l’annulation ou le r<strong>en</strong>versem<strong>en</strong>t des effets deperspective dans la photographie, <strong>en</strong> interv<strong>en</strong>ant directem<strong>en</strong>t sur l’espace photographié <strong>en</strong> fonction de laposition et de l’angle de l’objectif. Nous pouvons par exemple p<strong>en</strong>ser aux travaux de Georges Rousse dansles années 1980, ou à ceux de Felice Varini, bi<strong>en</strong> que celui-ci ne se serve pas de la photographie, proposantaux visiteurs de chercher dans un espace d’exposition <strong>en</strong> trois dim<strong>en</strong>sions l’unique point de vue à partirduquel l’image construite <strong>en</strong> deux dim<strong>en</strong>sions se compose.Les photographies de Jan Dibbets, moins spectaculaires, plus conceptuelles, interrog<strong>en</strong>t les rapports <strong>en</strong>treperception optique et m<strong>en</strong>tale, <strong>en</strong>tre l’espace vu d’un point précis ou tout au long d’un parcours et l’imagem<strong>en</strong>tale de ce même espace. Il s’agit pour lui de transformer la perception des distances <strong>en</strong> changeantl’échelle de repères par rapport à des formes id<strong>en</strong>tiques ; de corriger une perspective linéaire <strong>en</strong> perspectivecavalière <strong>en</strong> construisant une barrière dans un pré ; d’incarner un parcours ou une frontière virtuelle <strong>en</strong>disséminant un même motif dans l’espace, comme ce fut le cas pour son célèbre Hommage à Arago11


commandé par la Ville de Paris, qui se répartit <strong>en</strong> 135 petits médaillons de bronze placés à même le sol pourmatérialiser le tracé du méridi<strong>en</strong> de Paris.4. PHOTOMONTAGELES FORMES DU MONTAGENiveau 5, Salle 17Le photomontage, qui connaîtra un grand av<strong>en</strong>ir dans l’usage qu’<strong>en</strong> feront journaux et revues dès lesannées 1930, voit son inv<strong>en</strong>tion rev<strong>en</strong>diquée par de nombreux artistes, notamm<strong>en</strong>t du côté des Dada et deses sympathisants. GEORGE GROSZ et JOHN HEARTFIELD s’<strong>en</strong> réclam<strong>en</strong>t, pour 1916, mais aucune publicationne permet de le prouver. L’un des premiers photomontages à être publié, dans le cercle du constructivismerusse, est celui qu’EL LISSITZKY réalise pour un ouvrage d’Ilya Ehr<strong>en</strong>burg, <strong>en</strong> 1922. Les premiersphotomontages d’Alexandre Rodtch<strong>en</strong>ko et de sa compagne Varvara Stepanova daterai<strong>en</strong>t, quant à eux, de1919 mais aucune publication, là aussi, le confirme. De son côté, RAOUL HAUSMANN <strong>en</strong> rev<strong>en</strong>diquel’antériorité, expliquant dans Courrier Dada que l’idée du photomontage lui est v<strong>en</strong>ue de la découverte d’unepratique populaire consistant à coller, sur des lithographies de mém<strong>en</strong>tos militaires, le visage d’un membrede la famille parti <strong>en</strong> guerre. HANNAH HÖCH, sa compagne d’alors, <strong>en</strong> situe l’origine dans les cartes postalesdu début du siècle qu’elle collectionne précieusem<strong>en</strong>t. Nous pourrions égalem<strong>en</strong>t faire remonter l’origine duphotomontage aux collages cubistes, qui introduisai<strong>en</strong>t déjà des images imprimées dans la composition…Mais, au-delà du débat qui se forme à propos de son inv<strong>en</strong>tion, ce qui doit être relevé n’est pas tellem<strong>en</strong>tl’inv<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> elle-même que la manière dont les modalités du recours au photomontage diffèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fonctiondes int<strong>en</strong>tions de ceux qui le pratiqu<strong>en</strong>t, comme le montr<strong>en</strong>t les œuvres ici exposées.Le photomontage des constructivistes, comme ceux d’ALEXANDRE RODTCHENKO, de MIECZYSLAW BERMAN oude LASZLO MOHOLY-NAGY mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> avant la blancheur de la feuille pour valoriser le caractère construit,épuré, prémédité des compositions. Les premiers collages dadaïstes, comme ceux de RAOUL HAUSMANN oude KURT SCHWITTERS, tout aussi composés, jou<strong>en</strong>t sur la saturation d’un espace r<strong>en</strong>du cohér<strong>en</strong>t dansl’hétérogénéité, afin de valoriser le caractère spontané des compositions. Les premiers fonctionnerai<strong>en</strong>tplutôt par juxtaposition, les seconds par agglutination, superposition. Encore différ<strong>en</strong>ts, les collagespartisans de JOHN HEARTFIELD, artiste <strong>en</strong>gagé dans la campagne communiste antihitléri<strong>en</strong>ne. Leurscaractères formellem<strong>en</strong>t moins audacieux et sémantiquem<strong>en</strong>t plus restreints provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d’un soucid’efficacité et d’une recherche plus grande de vraisemblance dans l’adjonction des images.Les tirages superposés, ou « collages dans l’épaisseur de l’image », représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t un mode dephotomontage particulièrem<strong>en</strong>t apprécié par les surréalistes, dans leur goût pour le rêve, la quête del’association d’images inconsci<strong>en</strong>tes. Il correspond mieux au ton assagi de rev<strong>en</strong>dications politiques quidériveront s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t de la représ<strong>en</strong>tation amorale de l’inconsci<strong>en</strong>t à celle de rêveries doucereuses.Raoul Hausmann, ABCD, 1923-1924Collage. Encre de Chine et collage d'illustrations de magazine découpéset collés sur papier, 40,4 x 28,2 cmAchat 1974 – AM 1974-9 © Adagp, Paris 2008L’un des plus célèbres collages de RAOUL HAUSMANN, ABCD, de1923-1924 fait s<strong>en</strong>s dans le contexte de sa réalisation, rappelé auc<strong>en</strong>tre de la composition : un ticket se référant à sa tournée dite« Anti-dada et Merz» avec Kurt Schwitters. Merz est le fragm<strong>en</strong>t demot découpé dans la grande presse, prélevé du termeKommerzbank, qui apparaît dans un collage dadaïste de Schwittersde 1919. Merz désignera par ext<strong>en</strong>sion l’<strong>en</strong>semble de l’œuvre deSchwitters, et sa personne même. Les quatre lettres qui sembl<strong>en</strong>tsortir de la bouche d’Hausmann, ou plutôt qu’il ti<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les d<strong>en</strong>tsavec rage et vigueur, ont une telle prés<strong>en</strong>ce typographique qu’ellesapparaiss<strong>en</strong>t comme criées. Étant quasim<strong>en</strong>t le seul élém<strong>en</strong>tphotographique du montage, la tête d’Hausmann occupe de surcroîtune place c<strong>en</strong>trale dans la composition, ce qui r<strong>en</strong>force « l’effetchoc » du visuel et l’impression que le dadasophe pousse un cri à lafois brutal et parfaitem<strong>en</strong>t maîtrisé, à l’image de la typographie <strong>en</strong>lettres bâtons <strong>en</strong>châssée avec précision <strong>en</strong>tre ses d<strong>en</strong>ts.12


Ces lettres sont aussi une référ<strong>en</strong>ce aux origines, celles de la langue, celle du monde, comme lesouligne la déchirure de ciel étoilé qui lui sort égalem<strong>en</strong>t de la bouche à la manière d’un phylactère, ou<strong>en</strong>core le schéma <strong>en</strong> coupe des gestes de l’accoucheur tout <strong>en</strong> bas de l’image. Hausmann propose ici unvéritable exercice de maïeutique qui vise à nous faire accoucher du s<strong>en</strong>s à partir du réel même. C’est laparole du corps, contre les constructions froides de l’esprit ; c’est la connaissance du monde par les s<strong>en</strong>s etnon par la mise à plat des connaissances indexées.Laszlo Moholy-Nagy, Das Tanzerpaar Olly & Dolly sisters(Les Sœurs danseuses Olly et Dolly), 1925Photomontage, épreuve gélatino-arg<strong>en</strong>tique, 16 x 11,7 cmAchat 1994 - AM 1994-150 © Adagp, Paris 2008Les Sœurs danseuses Olly et Dolly, réalisé <strong>en</strong> 1925 par MOHOLY-NAGY, représ<strong>en</strong>te bi<strong>en</strong> cette réduction des moy<strong>en</strong>s à l’ess<strong>en</strong>tiel queprône le Bauhaus, marqué par le constructivisme. Une seulephotographie découpée et trois points noirs, le tout sur fond blancsuffis<strong>en</strong>t à générer une composition à la fois dynamique et équilibrée.Une jeune femme dont la tête est remplacée par un point noir, c<strong>en</strong>trédans la composition, est assise sur un autre point noir beaucoup plusgros. Un troisième point noir id<strong>en</strong>tique à celui de la tête est posé dansun alignem<strong>en</strong>t parfait avec celui-ci, formant comme deux yeux videsqui attir<strong>en</strong>t notre regard.D’une même sobriété, quoique recherchant moins l’élégance qu’une efficacité directive, la construction <strong>en</strong>diagonale de Bâtim<strong>en</strong>t III de MIECZYSLAW BERMAN fait l’éloge de l’élan ouvrier. A l’aide de cinq sourcesd’images, l’œuvre met <strong>en</strong> scène l’imposante silhouette d’un travailleur rattaché à quatre découpes<strong>photographiques</strong>, représ<strong>en</strong>tant toutes des matériaux de construction, et passant au-devant d’une gravurer<strong>en</strong>versée de paysage aux acc<strong>en</strong>ts romantiques. Dans ces images, les élém<strong>en</strong>ts figuratifs sontreconnaissables et font s<strong>en</strong>s dans la composition, ce qui n’est pas toujours le cas dans les morceaux dephotos qu’emploi<strong>en</strong>t les dadaïstes.Le projet de Couverture pour le recueil constructiviste Mi<strong>en</strong>a Vsiekh d’ALEXANDRE RODTCHENKO, 1924, estun autre exemple qui témoigne de l’inv<strong>en</strong>tivité de l’artiste. L’on y voit des élém<strong>en</strong>ts emblématiques desambitions constructivistes : un imm<strong>en</strong>se compas attaché au mur évoque la précision d’ingénieur qui doit êtrecelle d’un artiste ; un homme qui marche, reproduit deux fois, semble suivre sa propre trace pour se donnerde l’élan ; une scène de matraquage évoque sans doute l’aube d’une ère nouvelle d’équité.Au premier coup d’œil, ce photomontage semble jouer à la fois sur la découpe nette et sur les jeux detranspar<strong>en</strong>ce… jusqu’à ce que l’on compr<strong>en</strong>ne qu’il n’y a pas de photomontage au s<strong>en</strong>s propre, mais unedisposition d’images découpées sur l’espace réel d’une table. La forte prés<strong>en</strong>ce des vitres brouille lesperceptions dans la simultanéité des plans. En tant qu’élém<strong>en</strong>t de l’esthétique urbaine, c’est un signe de lamodernité. Les rapports d’échelle et de transpar<strong>en</strong>ce, r<strong>en</strong>voyant aux préoccupations récurr<strong>en</strong>tes duconstructivisme, <strong>en</strong> font une image clef.Max Ernst, La Chanson de la chair, [1920]Collage. Gouache, mine graphite et illustrations demagazine découpées et collées sur papier, 15 x 20,8 cmAchat 1981 - AM 1981-8 © Adagp, Paris 2008Le collage La Chanson de la Chair du surréalisteMAX ERNST n’a pas du tout les mêmes objectifs. Entémoign<strong>en</strong>t le mode de collage et le recours autexte. Celui-ci, écrit lisiblem<strong>en</strong>t à la main dans lamarge, évoque une « chanson de la chair » àpropos d’un « chi<strong>en</strong> qui chie le chi<strong>en</strong> ». Un jeud’allitération <strong>en</strong> « ch » attire l’att<strong>en</strong>tion sur laprés<strong>en</strong>ce probable d’un mot d’esprit qui r<strong>en</strong>verrait à13


l’image et aux trois chi<strong>en</strong>s qu’on y voit courir. Mais ri<strong>en</strong> de bi<strong>en</strong> compréh<strong>en</strong>sible. La grande majorité desimages sont issues de gravures et de photographies qui s’intègr<strong>en</strong>t de manière cohér<strong>en</strong>te pour créer unescène qui joue de la vraisemblance de l’espace suggéré par la perspective linéaire. Les élém<strong>en</strong>ts sontsoigneusem<strong>en</strong>t découpés, avec un esprit de détail poussé comme <strong>en</strong> témoigne le coquillage d’à peine deuxmillimètres collé sur le cou du chi<strong>en</strong> décapité pour lui t<strong>en</strong>ir lieu d’œil.LE MOT ET L’IMAGENiveau 4, Salle 30Dans cette salle, les rapports du mot à l’image se font moins dans le s<strong>en</strong>s du mot dev<strong>en</strong>u image, que danscelui d’une image changée <strong>en</strong> discours, voire <strong>en</strong> pure idée. Depuis les années 1960, l’idée d’un art quis’oppose aux médias, d’un art réflexif, aboutit à une conceptualisation toujours plus poussée du rôle del’image dans les sociétés occid<strong>en</strong>tales. Images de la presse, affiches, cinéma, télévision, les codes doiv<strong>en</strong>têtre détournés pour r<strong>en</strong>dre visible ce qui ne l’est plus par phénomène d’accoutumance.En 1975, VICTOR BURGIN propose, avec la véhém<strong>en</strong>ce propre à ces années <strong>en</strong>core chargées d’espoirs dechangem<strong>en</strong>t, des images qui fonctionn<strong>en</strong>t comme des affiches publicitaires. Jouant d’un décalagesystématique <strong>en</strong>tre ce que l’on voit et ce que l’on peut lire, il crée des rapprochem<strong>en</strong>ts d’idées propres àgénérer des dommages du côté des idées reçues. Les slogans sont souv<strong>en</strong>t issus de la psychanalyse, de lasociologie, de l’anthropologie. Les images, quant à elles, sont souv<strong>en</strong>t réflexives, soit qu’elles mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong>abîme l’image publicitaire, soit que ce qui est dit dans le texte pointe du doigt l’effet produit par l’imagemême.Fausse perspective, de 1977, image prise à travers un pare-brise, représ<strong>en</strong>te une route de désertdisparaissant à l’horizon. Un texte, placé sur l’image, l’accompagne pour évoquer l’idée que le prés<strong>en</strong>t porte<strong>en</strong> lui tous les souv<strong>en</strong>irs du passé, lesquels conditionn<strong>en</strong>t chacun de nos gestes. Les stéréotypes quifaisai<strong>en</strong>t écran à l’analyse de cette image et conditionnai<strong>en</strong>t sa réception se trouv<strong>en</strong>t remis <strong>en</strong> cause :comm<strong>en</strong>t se fait-il que l’on associe l’horizon à l’idée d’av<strong>en</strong>ir, le désert à celle d’av<strong>en</strong>ture… Les images qu’ilprés<strong>en</strong>te sembl<strong>en</strong>t sortir tout droit d’un Road movie <strong>en</strong> noir et blanc, vision fabriquée de toutes pièces d’uneAmérique traditionnelle.Plus récemm<strong>en</strong>t, la fiction s’est retrouvée au c<strong>en</strong>tre des préoccupations artistiques. Depuis les années1980, les artistes décortiqu<strong>en</strong>t les films, les émissions télévisuelles ou cré<strong>en</strong>t des œuvres qui <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tdes li<strong>en</strong>s purem<strong>en</strong>t fictifs avec le réel, qui cherch<strong>en</strong>t à établir des passages dérangeants <strong>en</strong>tre fiction etréalité. Ils évoqu<strong>en</strong>t ainsi l’état d’apesanteur d’une société où les hommes sont à ce point habitués à laconsommation de fictions qu’ils habit<strong>en</strong>t une réalité elle-même dev<strong>en</strong>ue fiction, totalem<strong>en</strong>t dépourvued’épaisseur. C’est la voie suivie par SOPHIE CALLE, qui propose ici d’établir des li<strong>en</strong>s de projections <strong>en</strong>tretexte et images. C’est le spectateur qui crée le s<strong>en</strong>s avec, ou plutôt <strong>en</strong>tre, les élém<strong>en</strong>ts fournis.Eric Rondepierre, Loupe / Dormeur / Livre 7,1999-2003Tirage 1/10. Tirage numérique couleur contrecollé suraluminium, 41,5 x 57,5 cmDonation Caisse des Dépôts 2006 - AM 2006-651© Adagp, Paris 2008C’est ce que semble aussi évoquer ce travail d’ERICRONDEPIERRE, Loupe/Dormeur, 2000, constituéd’une série de photos de loupes braquées sur desmorceaux de pellicule, le tout sur fond de bureau d<strong>en</strong>uit. L’idée d’un réel proche de nous, celui dubureau, est dans le flou. Dans ce flou, deschevelures de femmes apparaiss<strong>en</strong>t, partiellem<strong>en</strong>tcoupées par le cadrage. Ce qui est bi<strong>en</strong> net et<strong>en</strong>tier <strong>en</strong> revanche, ce sont les images sur pellicule, des fragm<strong>en</strong>ts de films qui représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>td’autres femmes, idéalisées, vivant dans d’autres lieux, à d’autres temps.Si l’on s’approche de l’image et que l’on utilise justem<strong>en</strong>t une loupe, on pourra s’apercevoir que ce que l’onpr<strong>en</strong>ait pour une pixellisation de l’image numérique est <strong>en</strong> réalité un texte écrit <strong>en</strong> blanc dans un corps14


minuscule et qui recouvre la totalité de l’image. Ce texte, écrit à la première personne sur le mode de labiographie ou de l’autofiction, retrace la vie d’une personne qui travaille dans le cinéma. On peut lire auhasard, sur Loupe / Dormeur/ Livre 7 par exemple : « comme s’il fallait toujours compr<strong>en</strong>dre, on necompr<strong>en</strong>d jamais », ou <strong>en</strong>core « ri<strong>en</strong> qu’une formule à voix basse », et <strong>en</strong>fin : « le cinéma comme le mondeest une illusion ». Le texte n’est pas décryptable dans son <strong>en</strong>tièreté et r<strong>en</strong>voie à toutes ces fictions quirecouvr<strong>en</strong>t le réel d’un voile narratif.BIBLIOGRAPHIEOuvrages généraux• André Gunthert, Michel Poivert (dir.), L’art de la photographie des origines à nos jours, Paris, Citadelles &Maz<strong>en</strong>od, 2007.• André Rouillé, La Photographie, Paris, Gallimard, coll. « folio essais », 2005.• Dominique Baqué, Photographie plastici<strong>en</strong>ne. L'extrême contemporain, Paris, Éditions du Regard, 2004.• Michel Poivert, La photographie contemporaine, Flammarion, 2002.• André Rouillé, Serge Lemoine, Bernard Marbot, Anne Cartier-Bresson, Philippe Arbaizar,Jean-François Chevrier, Dictionnaire de la photo, Paris, Larousse, coll. « In ext<strong>en</strong>so », 1996.• Jean-Claude Lemangny, André Rouillé (dir.), Histoire de la photographie, Paris, Bordas, 1986.• Michel Frizot, Nouvelle histoire de la photographie, Paris, Bordas, 1984.Essais• Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008.• Rosalind Krauss, Le photographique, Paris, Macula, 1990.• Jean-François Chevrier, Une autre objectivité, Londres, Idea Books, 1988.• Roland Barthes, La chambre claire : note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.Catalogues• Qu<strong>en</strong>tin Bajac, Clem<strong>en</strong>t Chéroux, Collection Photographies, Paris, Editions du C<strong>en</strong>tre <strong>Pompidou</strong>, 2007.• Agnès de la Beaumelle (dir.), Hans Bellmer. Anatomie du désir, Paris, C<strong>en</strong>tre Georges <strong>Pompidou</strong> etGallimard, 2006.• Régis Durand et Dominique Baqué, Eblouissem<strong>en</strong>t, Paris, Ed. du Jeu de Paume, 2004.• Brigitte Hedel-Samson, Marisa Vescovo, Alexandre Rodch<strong>en</strong>ko, Biot, Musée national Fernand Léger /Paris, RMN, 2000.• Jérôme Sans, Erwin Wurm : one minute sculptures, Breg<strong>en</strong>z, Kunsthaus, Dijon, FRAC de Bourgogne,Neuchâtel, c<strong>en</strong>tre d’art, Ostfildern-Ruit, Cantz, 1999.• Alain Sayag (dir.), Lazlo Moholy-Nagy : compositions lumineuses 1922-1943, Paris, C<strong>en</strong>tre Georges<strong>Pompidou</strong>, 1995.• Eva Züchner, Andrei Nakov, Jean-François Chevrier, Yves Michaud, Raoul Hausmann, Musée d’artmoderne de Saint-Eti<strong>en</strong>ne, Musée départem<strong>en</strong>tal de Rochecchouart, 1994.• Bernard Blistène (dir.), Lazlo Moholy-Nagy, Marseille, Musée Cantini /Paris, RMN, 1991.• Rosalind Krauss, Jane Livingstone, Dawn Ades, Explosante-fixe : photographie et surréalisme, Paris,C<strong>en</strong>tre Georges <strong>Pompidou</strong> / Hazan, 1985.• Jean Bazaine, Paul Eluard, Yves Bonnefoy, Ubac, Paris, Maeght, 1970.Monographies et catalogues raisonnés• Danielle Sall<strong>en</strong>ave, André Kertész, Arles, Actes Sud, coll. « photo poche », 2007.• Rudi Fuchs, Gilbert et Georges : l’œuvre <strong>en</strong> images, 1975-2001, Paris, Gallimard, 2007.• Daniel Arasse, D<strong>en</strong>ys Riout, Jean-Marc Colard, Eric Rondepierre, Paris, Leo Scheer, 2003.• Christian Bouqueret, Raoul Ubac : photographie, Paris, Léo Scheer, 2000.• Gilles A. Tiberghi<strong>en</strong>, Patrick Tosani, Paris, Hazan, 1997.• Pierre Borhan et al, André Kertész, la biographie d’une œuvre, Paris, Seuil, 1994.• Jean-Hubert Martin et al, Man Ray : photographe, Paris, Philippe Sers, 1983.15


Ecrits d’artistes• Raoul Hausmann, Courrier dada, nouvelle édition augm<strong>en</strong>tée, établie et annotée par Marc Dachy, Paris,Allia, 2004.• Man Ray, Autoportrait, trad. Anne Guérin, Arles, Actes Sud, 1998.Li<strong>en</strong>s internet www.c<strong>en</strong>trepompidou.fr• Dossiers pédagogiques- T<strong>en</strong>dances de la photographie contemporaine ; série Collections, Un mouvem<strong>en</strong>t, une période- Sophie Calle, série Expositions• La collection du Musée <strong>en</strong> ligne, accès sur la page d’accueil du sitePour consulter les autres dossiers sur les collections du Musée national d'art moderneEn françaisEn anglaisEn savoir plus sur les collections du Musée et les œuvres actuellem<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>téeswww.c<strong>en</strong>trepompidou.fr/museeCrédits© C<strong>en</strong>tre <strong>Pompidou</strong>, Direction de l'action éducative et des publics, décembre 2008Texte : Norbert GodonCoordination : Marie-José Rodriguez16

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