Evaluer la dimension d'incertitude du raisonnement ... - CPASS

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E D I T O R I A LEvaluer la dimension d’incertitude du raisonnement cliniqueAssessing the uncertainty component of clinical reasoningD’une manière générale, on considère que les professionnelssont confrontés à deux types de problèmes àrésoudre 1 . Certains problèmes, dits simples (well definedproblems) ou encore bien structurés (well structuredproblems), sont caractérisés par le fait que l'ensembledes données nécessaires est d’emblée accessible etque la solution peut résulter d’une simple applicationde connaissances ; ils peuvent être résolus avec un hautdegré de certitude et, d’ailleurs, les professionnelsexperts du domaine concerné s’accordent en général surla nature de la solution correcte à mettre en œuvre.D’autres problèmes, dits complexes (ill defined problems)ou encore mal structurés (ill structured problems),sont en revanche caractérisés par le fait que lesdonnées constitutives ne sont pas toutes disponiblesd'emblée et que leur solution n'est pas univoque,impliquant une réflexion d’ordre supérieur quirequiert la mobilisation de connaissances diverses ; detels problèmes ne peuvent pas être résolus avec un hautdegré de certitude et, d’ailleurs, les professionnelsexperts du domaine concerné sont souvent en désaccordquant à la meilleure solution à mettre en œuvre, ycompris a posteriori quand le problème peut êtreconsidéré comme ayant été résolu.De façon spécifique, il est reconnu que les problèmesauxquels sont confrontés les professionnels de santé sont,dans l’immense majorité des cas, de type complexe oumal structuré. Le raisonnement clinique, considéré ausens générique du terme -c’est-à-dire en y incluant à lafois le processus de raisonnement diagnostique et celuide prise de décisions d’investigation et de traitement-,désigne le processus de résolution de problèmes que lescliniciens mettent en œuvre face à de tels problèmes 2 . Iln’est donc guère surprenant de constater que, face à unmême problème de santé, les chemins empruntés pourélaborer les solutions varient selon les cliniciens, y comprisau sein d’une même discipline.Selon Schön 3 , les institutions d'enseignement supérieurentraînent bien leurs étudiants à la résolution des problèmesde structure simple mais mal à celle des problèmesde structure complexe. La même remarque peuts'appliquer à l'évaluation du raisonnement clinique.Nous disposons de bons outils pour évaluer la résolutionde problèmes cliniques de structure simple et depeu d'outils pour évaluer celle des problèmes de structurecomplexe, notamment pour ceux qui impliquentREVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALEla prise de décision en contexte d'incertitude, caractéristiqueclé de l'exercice professionnel dans les sciencesde la santé.Si ces prémisses sont exactes, un outil d'évaluation duraisonnement clinique qui sonde la capacité à résoudreles problèmes de structure simple devrait être régulièrementen défaut pour déceler les personnes réellementcompétentes dans un domaine de raisonnement ; eneffet, des étudiants qui ont accumulé beaucoup deconnaissances, déclaratives en particulier, peuventmieux réussir à ces tests que des praticiens, dont lessavoirs livresques sont moins disponibles, mais qui sontriches d'expériences cliniques et qui ont, de ce fait,construit de riches et pertinents réseaux de connaissancesd’action. La littérature désigne cela sous le termed'effet intermédiaire de l'évaluation : les cliniciens deniveau intermédiaire, des résidents ou internes en finde formation par exemple, obtiennent régulièrement àce type de tests des scores supérieurs à ceux des praticiensexpérimentés. À l'inverse, s’il était établi que des praticienspossédant plusieurs années d'expérience obtenaientrégulièrement de meilleurs scores à tel ou tel testd’évaluation du raisonnement clinique, cela constitueraitun argument fort en faveur de la validité de cestests, c'est-à-dire leur capacité à bien mesurer ce qu'ilsprétendent mesurer, en l’espèce la qualité du raisonnementclinique.Les questions à choix multiples (QCM) portant sur descas cliniques, dits à contexte riche, sont tenues pour êtreactuellement un standard en matière d'évaluation duraisonnement clinique 4 . Elles présentent un cas cliniquepour lequel le candidat doit synthétiser l'informationdisponible, toutes les données nécessaires à la solutiondu problème étant fournies ; par construction, iln’existe qu’une seule bonne réponse. Ces examenspermettent une correction automatisée et peuvent êtreadministrés à de très grands groupes d'étudiants, d'oùleur large utilisation dans les examens de certification,aux États-Unis notamment.Le test de concordance de script (TCS) est un formatde test plus récent, qui cherche à prendre en compte ladimension d’incertitude inhérente au processus de raisonnementclinique 4 . Il présente un cas clinique pourlequel toute l'information clinique nécessaire à sa résolutionn'est pas fournie ou dans lequel certaines5

E D I T O R I A L<strong>Evaluer</strong> <strong>la</strong> <strong>dimension</strong> d’incertitude <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> cliniqueAssessing the uncertainty component of clinical reasoningD’une manière générale, on considère que les professionnelssont confrontés à deux types de problèmes àrésoudre 1 . Certains problèmes, dits simples (well definedproblems) ou encore bien structurés (well structuredproblems), sont caractérisés par le fait que l'ensembledes données nécessaires est d’emblée accessible etque <strong>la</strong> solution peut résulter d’une simple applicationde connaissances ; ils peuvent être résolus avec un hautdegré de certitude et, d’ailleurs, les professionnelsexperts <strong>du</strong> domaine concerné s’accordent en général sur<strong>la</strong> nature de <strong>la</strong> solution correcte à mettre en œuvre.D’autres problèmes, dits complexes (ill defined problems)ou encore mal structurés (ill structured problems),sont en revanche caractérisés par le fait que lesdonnées constitutives ne sont pas toutes disponiblesd'emblée et que leur solution n'est pas univoque,impliquant une réflexion d’ordre supérieur quirequiert <strong>la</strong> mobilisation de connaissances diverses ; detels problèmes ne peuvent pas être résolus avec un hautdegré de certitude et, d’ailleurs, les professionnelsexperts <strong>du</strong> domaine concerné sont souvent en désaccordquant à <strong>la</strong> meilleure solution à mettre en œuvre, ycompris a posteriori quand le problème peut êtreconsidéré comme ayant été résolu.De façon spécifique, il est reconnu que les problèmesauxquels sont confrontés les professionnels de santé sont,dans l’immense majorité des cas, de type complexe oumal structuré. Le <strong>raisonnement</strong> clinique, considéré ausens générique <strong>du</strong> terme -c’est-à-dire en y incluant à <strong>la</strong>fois le processus de <strong>raisonnement</strong> diagnostique et celuide prise de décisions d’investigation et de traitement-,désigne le processus de résolution de problèmes que lescliniciens mettent en œuvre face à de tels problèmes 2 . Iln’est donc guère surprenant de constater que, face à unmême problème de santé, les chemins empruntés pouré<strong>la</strong>borer les solutions varient selon les cliniciens, y comprisau sein d’une même discipline.Selon Schön 3 , les institutions d'enseignement supérieurentraînent bien leurs étudiants à <strong>la</strong> résolution des problèmesde structure simple mais mal à celle des problèmesde structure complexe. La même remarque peuts'appliquer à l'évaluation <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> clinique.Nous disposons de bons outils pour évaluer <strong>la</strong> résolutionde problèmes cliniques de structure simple et depeu d'outils pour évaluer celle des problèmes de structurecomplexe, notamment pour ceux qui impliquentREVUE INTERNATIONALE FRANCOPHONE D’ÉDUCATION MÉDICALE<strong>la</strong> prise de décision en contexte <strong>d'incertitude</strong>, caractéristiqueclé de l'exercice professionnel dans les sciencesde <strong>la</strong> santé.Si ces prémisses sont exactes, un outil d'évaluation <strong>du</strong><strong>raisonnement</strong> clinique qui sonde <strong>la</strong> capacité à résoudreles problèmes de structure simple devrait être régulièrementen défaut pour déceler les personnes réellementcompétentes dans un domaine de <strong>raisonnement</strong> ; eneffet, des étudiants qui ont accumulé beaucoup deconnaissances, déc<strong>la</strong>ratives en particulier, peuventmieux réussir à ces tests que des praticiens, dont lessavoirs livresques sont moins disponibles, mais qui sontriches d'expériences cliniques et qui ont, de ce fait,construit de riches et pertinents réseaux de connaissancesd’action. La littérature désigne ce<strong>la</strong> sous le termed'effet intermédiaire de l'évaluation : les cliniciens deniveau intermédiaire, des résidents ou internes en finde formation par exemple, obtiennent régulièrement àce type de tests des scores supérieurs à ceux des praticiensexpérimentés. À l'inverse, s’il était établi que des praticienspossédant plusieurs années d'expérience obtenaientrégulièrement de meilleurs scores à tel ou tel testd’évaluation <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> clinique, ce<strong>la</strong> constitueraitun argument fort en faveur de <strong>la</strong> validité de cestests, c'est-à-dire leur capacité à bien mesurer ce qu'ilsprétendent mesurer, en l’espèce <strong>la</strong> qualité <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong>clinique.Les questions à choix multiples (QCM) portant sur descas cliniques, dits à contexte riche, sont tenues pour êtreactuellement un standard en matière d'évaluation <strong>du</strong><strong>raisonnement</strong> clinique 4 . Elles présentent un cas cliniquepour lequel le candidat doit synthétiser l'informationdisponible, toutes les données nécessaires à <strong>la</strong> solution<strong>du</strong> problème étant fournies ; par construction, iln’existe qu’une seule bonne réponse. Ces examenspermettent une correction automatisée et peuvent êtreadministrés à de très grands groupes d'étudiants, d'oùleur <strong>la</strong>rge utilisation dans les examens de certification,aux États-Unis notamment.Le test de concordance de script (TCS) est un formatde test plus récent, qui cherche à prendre en compte <strong>la</strong><strong>dimension</strong> d’incertitude inhérente au processus de <strong>raisonnement</strong>clinique 4 . Il présente un cas clinique pourlequel toute l'information clinique nécessaire à sa résolutionn'est pas fournie ou dans lequel certaines5


E D I T O R I A Ldonnées sont ambiguës. Dans de tels contextes, noussavons que les cliniciens experts adoptent des cheminementsde <strong>raisonnement</strong> variables. Il ne peut donc yavoir une seule « bonne réponse ». Cette variabilité estincorporée dans le processus d’attribution <strong>du</strong> score, quipondère les indices numériques affectés à chacune desréponses proposées à l’étudiant en fonction des proportionsrespectives d’experts ayant sélectionné celles-ci.Une telle procé<strong>du</strong>re permet de dépasser l’appréciationbinaire en « tout ou rien ».L'étude présentée dans ce numéro par Jean-PierreFournier et ses col<strong>la</strong>borateurs 5 compare les résultatsobtenus à ces deux formats de tests par plusieurs popu<strong>la</strong>tionsde médecins, de niveaux d’expérience différents,travail<strong>la</strong>nt en salle d'urgence. Les deux tests ont été réalisésavec soin comme en témoigne les excellentes valeursde leurs coefficients respectifs de cohérence interne(mesurées par le test alpha de Cronbach). Les résultatsmontrent une disparition de l'effet intermédiaire. Lesmédecins les plus expérimentés obtiennent de meilleursscores que les médecins de niveau intermédiaire (lesinternes). Ce travail est le premier à démontrer une telleaptitude discriminante dans <strong>la</strong> littérature internationale.Par ailleurs, les scores obtenus aux TCS et auxQCM varient dans le même sens mais sans corré<strong>la</strong>tionsignificative. Ce point indique que QCM et TCSexplorent deux aspects distincts mais complémentairesde <strong>la</strong> compétence au <strong>raisonnement</strong> clinique. Ces résultatsdevront être confirmés par d'autres études et dansd'autres disciplines mais, s'ils étaient confirmés, ils suggéreraientque le TCS peut légitimement revendiquerune originalité et une valeur ajoutée au sein des outilsdisponibles pour l'évaluation <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> clinique.Tout en respectant les exigences de <strong>la</strong> perspectivedocimologique dans <strong>la</strong>quelle il s’inscrit, et à côté d'autresoutils éprouvés, qui mesurent déjà les <strong>dimension</strong>s lesmoins incertaines et les moins ambiguës <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong>clinique, tels que les QCM à contexte riche, ilpourrait compléter avec profit les moyens disponibles ouen développement, qui cherchent à appréhender <strong>la</strong><strong>dimension</strong> d’incertitude propre au processus de <strong>raisonnement</strong>clinique. Quand on connaît les conséquencesqu’ont les procédés d’évaluation à l’égard des apprentissagesdes étudiants -et dont rend compte, par exemple,l'adage « l'évaluation con<strong>du</strong>it le curriculum » -, l'intro<strong>du</strong>ctiond'un tel outil serait de nature à orienter favorablementles activités d’enseignement et d'apprentissage,au service d’une meilleure préparation des futursprofessionnels à <strong>la</strong> <strong>dimension</strong> d’incertitude <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong>clinique et à <strong>la</strong> réalité de <strong>la</strong> pratique clinique.Il reste que les problèmes que soulève le souhait deprendre authentiquement en compte <strong>la</strong> <strong>dimension</strong>d’incertitude <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> clinique ne sont pastous résolus. Dès lors que l’on reconnaît qu’il y a, eneffet et presque toujours, plusieurs manières de résoudreavec compétence un problème de santé donné, notrerôle d’enseignant et d’évaluateur devrait être d’aider lesétudiants à être en mesure d’é<strong>la</strong>borer et de justifierl’une des solutions raisonnables et acceptables possibles.Dès lors, un étudiant qui propose et argumente correctementl’une de ces solutions ne devrait pas être pénalisédans l’attribution des scores, au seul motif qu’uneminorité parmi les experts a choisi cette solution. Bienévidemment, les outils d’évaluation qui permettraientde dépasser ce point ont d’autres inconvénients oulimites : lourdeur, correction non automatisable, nécessitéde s’inscrire dans une démarche plus qualitativepour apprécier les critères c<strong>la</strong>ssiques de validité et defidélité, etc. A l’évidence, <strong>la</strong> recherche en é<strong>du</strong>cation dessciences de <strong>la</strong> santé a encore des pistes fécondes à exploreren matière d’évaluation <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> clinique.RéférencesBernard CHARLINMailto:bernard.charlin@umontreal.ca1. King PM, Kitchener KS. Developping reflectivejudgment : Understanding and promotingintellectual growth and critical thinking in adolescentsand a<strong>du</strong>lts. San Francisco (CA): Jossey-Bass, 1994.2. Nendaz M, Charlin B, LeB<strong>la</strong>nc V, Bordage G.Le <strong>raisonnement</strong> clinique : données issues de <strong>la</strong>recherche et implications pour l’enseignement.Pédagogie Médicale 2005;6:234-533. Schön D. The Reflective Practitioner: HowProfessionals Think in Action. New York: BasicBooks, 1983.4. Charlin B, Bordage G, Van der Vleuten C.L’évaluation <strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> clinique. PédagogieMédicale 2003;4:42-52.5. Fournier J-P, Thiercelin D, Pulcini C et al. Évaluation<strong>du</strong> <strong>raisonnement</strong> clinique en médecined’urgence : les tests de concordance des scripts décèlentmieux l’expérience clinique que les questions àchoix multiples à contexte riche. PédagogieMédicale, 2006,7:20-30.6 PÉDAGOGIE MÉDICALE - Février 2006 - Volume 7 - Numéro 1

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