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OBSERVATOIRE DESQUESTIONS HUMANITAIRESREPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL :RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLEPAR STÉPHANIE RIVOALPrésidente d’Action contre la Faim – France (ACF)MARS 2014Les opinions exprimées n'engagent que l'auteur et ne reflètent pasnécessairement l'opinion de l’organisation pour laquelle il travaille.


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFIENSEMBLEPar Stéphanie RIVOAL / Présidente d’Action contre la Faim – France (ACF)Le monde est changé par des hommes et des femmes qui, à un moment clé, portent des idées forteset les transforment en actions. Les French Doctors ont eu ce talent et ont révolutionné l'humanitaire.Ils ont lancé un mouvement moderne caractérisé par l’action directe 1 , le questionnement del’apolitisme et la volonté d’informer, de dénoncer et témoigner au travers de la mobilisationmédiatique. Son modèle interventionniste conserve une image de l'humanitaire venant en aide au"bénéficiaire" et sauvant sa vie en risquant la sienne. Les pères fondateurs du mouvement sontencore aujourd’hui admirés par la nouvelle génération, et perçus comme des modèles. Les foriihumanitaires sont honorés de leur présence. Mais le monde humanitaire change et le modèle desFrench Doctors a vécu. Lançons ensemble la relève de la pensée humanitaire et inventons unnouveau sans‐frontiérisme intellectuel et culturel.LES FRENCH DOCTORS : L’HUMANITAIRE « MODERNE » A PRIS DES RIDESQuand un groupe de médecins et journalistes français lance le mouvement des French Doctors en1971, fondé sur une idée de sans‐frontiérisme campé sur deux pieds, l’action directe et ladénonciation dans la presse, on parle alors d’un nouvel humanitaire, un humanitaire moderne.Si à l’époque ces idées changent le visage de l’humanitaire, en 2014 il est difficile de ne pas penserque le modèle a vécu. Les humanitaires des ONGs occidentales ne bénéficient plus de la protectionque leur octroyait leur statut dans les pays d’intervention. Des Etats comme l’Inde , en complexifiantle financement des ONGs étrangères 2 , tentent d’exclure leur intervention directe ou indirecte dansleur pays, estimant par exemple que la faim, qui met en danger la vie de 8 millions d’enfants par an,doit être résolue localement. Par ailleurs, l’action humanitaire fait désormais l’objet de critiques despays récipiendaires de l’aide, comme le montre avec humour le mockumentary « The Samaritans» 31En ligne avec l’action humanitaire menée jusqu’alors notamment par le CICR2Humanitaires ou de Développement3http://www.aidforaid.org/pilot.phpIRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires1


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014ou encore plus crûment le reportage « Assistance Mortelle » 4 de Raoul Peck 5 sur Haïti, qui avait crééquelques remous dans la communauté des ONGs occidentales.Soupçonnés de ne pas utiliser les fonds à bon escient, de n’être que les porte‐parole de nosgouvernements, ou de vouloir imposer à notre corps défendant un mode de pensée occidental endécalage avec les réalités du terrain en termes de temporalité et de culture, nous ne sommes plus lesbienvenus.Ces critiques ne sont pas sans fondement. Les ONGs humanitaires sont largement financées par lesgouvernements, via des structures de financement humanitaire dédiées (ECHO, OFDA, DFID). Cesmêmes entités présentent leurs structures de financement de l’aide comme un prolongement de lapolitique économique du pays. A titre d’exemple, Justine Greening 6 a annoncé dans son discours du27 janvier 2014:« I believe economic development must be DFID’s top priority in the future. It’s in theinterests of developing countries and in Britain’s interests too. (…) If we get developmentright we are market making and creating new investment opportunities. As a formerTreasury Minister, I’m acutely aware that Britain’s future economic strength depends on usincreasing our global exports. »Quant aux autres critiques, l’exemple maintes fois cité de l’Arche de Zoé a été la parfaite caricaturedes débordements possibles de l’Humanitaire, mais surtout le reflet d’une pensée encore empreintede la charité chrétienne qui a inspiré l’Humanitaire du 19 ème siècle. Cette mésaventure a renforcéauprès des populations l’idée que l’Humanitaire du Nord, malgré sa professionnalisation et la puretéde ses Chartes, était encore empreint de son idéologie initiale, issue non pas d’humanisme 7 maisbien d’une charité teintée de condescendance. Le « bénéficiaire » est une « victime », qui reçoittantôt une « aide », tantôt de l’ « assistance ».4http://www.arte.tv/guide/fr/043970‐000/assistance‐mortelle5Le documentaire critique violemment l’aide humanitaire en Haiti et Raoul Peck dit notamment dans une interview sur le documentaire :« Pour n’avoir pas assez pris appui sur les populations locales – dans la lignée de la théorie en vogue dans les sciences sociales,l’empowerment –, les bailleurs se sont fourvoyés, trop convaincus de la justesse morale de leur action pour mesurer l’injustice pratique deleurs effets. »6Secrétaire d’Etat Britannique chargée du Développement International (en lien avec DFID)7Qui n’apparaît pas comme un pilier des plus grandes Chartes des ONGs humanitaires françaises mais qui est le credo de l’associationTerre et Humanisme de Pierre Rabhi et du mouvement Colibri.IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires2


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014UN NOUVEAU MODÈLE HUMANITAIRE AUX CONFINS DU DEVELOPPEMENT : QUELLEPLACE POUR LE BÉNÉFICIAIRE ET LA SOCIÉTÉ CIVILE ?Les humanitaires sont supposés sauver des vies et réduire la souffrance des populations. Leur actiondoit être rapide, car souvent liée à des urgences ou des crises. Mais on constate pourtant que lesONGs humanitaires quittent rarement les pays où elles sont intervenues en urgence, et s’y installentdurablement (10, 20, 30 ans ou plus). Leurs humanitaires s’adaptent à cette temporalité maisconservent un mode opératoire similaire: projets de courte ou moyenne durée, nombreux expertsexpatriés majoritairement occidentaux (même si une tendance à l’internationalisation en la matièreest indéniable), mentalité aidant‐aidé. Malgré des efforts largement insuffisants, le bénéficiaire n’atoujours pas un rôle actif important ni dans l’aide, ni dans les dispositifs politiques locaux.Dans le flou qui régit les relations entre les ONGs occidentales et les populations des paysd’intervention, comme le décrit Antonio Domini 8 , le divorce est sur le point d’être consommé :« La défaillance à répondre et à renverser les tendances actuelles mènera à la perte durégime d’aide internationale et de protection fondé sur des principes humanitaires àl’épreuve des années. Si la déconnection entre les besoins perçus des bénéficiaires envisagéset l’aide et protection réellement fournies continue à croître, l’humanitarisme en tantqu’entreprise compassionnelle portant assistance aux personnes in extremis est en passe dedevenir une notion étrangère et suspecte à ceux qu’il prétend aider. »Faute d’une véritable révolution, l’Humanitaire occidental est condamné à devenir prestataire deservices auprès des gouvernements occidentaux, ou bien limité à des actions de petite échelle, (s’iln’est pas bouté hors des pays d’intervention, par les gouvernements voire par les populations ellesmêmes…).Il est urgent de renouveler le modèle.La professionnalisation des ONGs occidentales qui a caractérisé les 15 dernières années del’Humanitaire a fait perdurer l’essence même du modèle aidant/aidé (voire assisté), tout enaméliorant la qualité de l’aide (sans pour autant en changer la nature ou le modus operandi). On fait8Antonio Donini a travaillé pendant 26 ans pour les Nations Unies dans les recherches, l’évaluation et dans des capacités humanitaires. Ilest Chargé de Recherches principal au Centre International Feinstein (http://fic.tufts.edu), Université de Tufts où il dirige le Projet agendaHumanitaire 2015 (http://fic.tufts.edu/?pid=19#HA2015). Cet article est extrait de ‘Looking Ahead: Making our Principles Work in theRealWorld’, July 2007IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires3


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014toujours la même chose mais mieux. Cette tendance a creusé l’écart entre le niveau attendu par lesbailleurs de fonds institutionnels et la capacité locale à remplir des objectifs croissants (rédaction desappels à projets, niveau d’expertise attendu, impossible mesure d’impact, fameuse LFA 9 , etc…).Dans ce processus, on note certaines évolutions :des concepts comme le transfert des savoirs ou le renforcement des capacités sedéveloppent, tentant ainsi d’impliquer les populations locales dans l’aide. Mais, il nes’agit en réalité que d’un transfert Nord‐Sud 10 ou du renforcement des capacitéslocales et non celles des travailleurs humanitaires expatriés, insinuant par là‐mêmel’incapacité des populations à nous transférer des savoirs ou à renforcer noscapacités. Pourtant, le transfert des savoirs ancestraux, des clés de compréhensiondes cultures, ou le renforcement de nos capacités à comprendre les contextesd’intervention devraient sembler essentiels aux ONGs occidentales pour mener leuractionl’approche communautaire, pour sa part, a désormais intégré les manuels deréférence des ONGs occidentales. C’est un progrès certain mais l’application desprincipes humanitaires et l’efficacité de l’action, en particulier, dans les contextesd’urgence, restent prioritaires, comme moralement dominants devant desconsidérations culturelles locales qui pourraient les remettre en question. On parledésormais de résilience : révolution culturelle de l’humanitaire ou effet de mode ?de nouveaux mots tels que désoccidentalisation, planétarisation ou métissage fontleur apparition. De nouveaux concepts émergent également, dans le monde dudéveloppement et/ou de l’humanitaire comme l’idée de plateformes d’ONGsinternationales Nord et Sud (sur le modèle Alima 11 ) ou de satellisation 12 dans les paysdu Sud (comme SOS Sahel ou Aide et Action).Mais personne n’a encore réussi l’exploit des French Doctors: révolutionner l’humanitaire dans sonentièreté au point de lancer un « humanitaire moderne ». Au‐delà de l’exercice marketing, n’est‐ilpas temps de régénérer la pensée humanitaire? Les idées ne manquent pas mais l’erreur résidepeut‐être dans la méthode elle‐même. Continuer à discourir sur la meilleure manière d’assister lespopulations les plus vulnérables sans les inviter elles‐mêmes à la table des discussions et peut‐êtrerisquer qu’elles remettent en cause les fondements même de notre action, ne mènera qu’àl’élaboration d’une idéologie aux fondements identiques à la précédente.9Logical Framework Analysis10Les termes sont obsolètes mais en la matière aucune alternative n’a su encore remplacer le concept Nord‐Sud11http://www.alimaong.org/12Avec création d’entités locales autonomes sous le label de l’ONG occidentale mèreIRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires4


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014C’est en invitant des pensées non‐conventionnelles, inhabituelles et inédites, en s’autorisant unregard sur nous‐même porté par les autres que nous arriverons peut‐être à créer non pas unhumanitaire désoccidentalisé, planétarisé ou métissé, mais un humanitaire humaniste multi‐culturel,fondé sur les hommes aidants ou aidés, tendant à mettre sur un pied d’égalité les paroles, lescultures et les méthodes de toutes les parties prenantes de l’aide, de l’expert occidental aubénéficiaire acteur de sa propre assistance.Changeons la place du bénéficiaire dans l’action humanitaire.COMMUNICATION : LA PLACE DU BÉNÉFICIAIRE ÉVOLUEPour exister et agir, l’Humanitaire a besoin de moyens. S’il souhaite être impartial, neutre etindépendant (selon les principes humanitaires en vigueur), cela implique de ne pas se financerentièrement auprès des gouvernements. La solution est alors de se tourner vers le grand public.Celui, en France, semble encore plus en retard dans sa relation avec le bénéficiaire, que les ONGsauquel il confie ses économies. La charité, maintenant pudiquement nommée générosité du public,reste au cœur de l’acte de don et on observe même une généralisation du désir d’action directe. Aidépar les nouvelles technologies 13 , le donateur veut devenir donacteur et par là même un héros enpuissance sauvant des vies humaines en ouvrant son porte‐monnaie. Pour alimenter ce fantasme, lesONGs ont développé, depuis des années, une stratégie de communication axée sur l’émotionnel, àla limite du misérabilisme. Le bénéficiaire est plus que jamais une victime, et le donateur sonsauveur. Les enfants sont au cœur du dispositif, suivis de près par les femmes et les vieillards. Ontouche la corde sensible, laissant l’intellect loin derrière.Une nouvelle tendance semble émerger depuis peu. Les ONGs, embarrassées de l’image qu’ellesprojettent des populations, et dans un sursaut d’éthique, innovent : elles parlent désormais dusuccès de leurs actions, déplacent le propos sur le travailleur humanitaire ou le citoyen, voire tententd’éduquer le donateur sur l’action humanitaire 14 . Incidemment, au niveau international, un prix est13Le don par internet, les applications mobile, le développement du crowd‐funding ont changé la temporalité du don ainsi que le niveaud’implication du donateur dans l’action caritative.14A titre d’exemple, Action Contre la Faim, avec sa campagne sans image « ACF sauve une vie toutes les 3 minutes » a succédé à Solidaritéset ses vidéos sur le recrutement des personnes de bonne volonté s’improvisant humanitaires 14 ou sa campagne sur la minute de silence.Médecins du Monde avait déjà tenté de renverser la tendance en 2007 avec un spot montrant un enfant noir aux côtés du futur donateurdans un contexte occidental 14 , sans créer à l’époque de réel engouement. Le geste médical a aussi fait son apparition, déplaçant l’attentiondu bénéficiaire sur l’humanitaire notamment chez MSF.IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires5


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014décerné aux campagnes utilisant le plus de stéréotypes : the Rusty Radiators awards 15 . Sur le siteinternet de ce prix, il est d’ailleurs préconisé d’ailleurs de donner la parole aux populations etd’expliquer au donateur la complexité des situations et des remèdes. Ces nouvelles campagnestentent de faire oublier les habitudes des années 80‐90, du temps de Leila 100 Francs Après 16 ou leschansons We are the World. Sur ce dernier sujet, une association norvégienne a sponsorisé deuxvidéos qui reprennent les codes de la collecte de dons émotionnelle et la tournent en dérision. Weare the World devient Africa for Norway 17 où l’Afrique est appelée à donner des radiateurs pour lesNorvégiens frigorifiés. L’idée est bien de renverser le regard et d’imaginer celui que les populationsportent sur nous.Il est impératif de redonner sa dignité au bénéficiaire en utilisant son image autrement et de manièreinnovante. Une nouvelle communication humanitaire est possible, mais à quel prix ? Le donateur vat‐ilse laisser faire? Comment remplacer les sensations fortes que donnent les spots mettant enscène la misère et la souffrance par une communication différente et responsabilisante sans perdrede donateurs? Misons davantage sur l’intelligence du donateur. Le donateur a un cœur mais aussi uncerveau. La gageure est de lui faire utiliser les deux en même temps. L’interventionnismeopérationnel du donateur devrait être encouragé à se convertir en militantisme engagé.Invitons le donateur à laisser les humanitaires faire leur métier, les ONGs gérer au mieux les dons età soutenir leur action en s’engageant au plus près des associations.Donateurs, vous voulez agir ? Militez.LE PLAIDOYER, L’HÉRITAGE DU SANS‐FRONTIÉRISME MAIS QUI DÉNONCE QUOI ?Tout n’est pas à jeter dans l’idéologie des French Doctors, bien au contraire. Assortir l’action directed’une posture médiatique de témoignages a fait grandir l’humanitaire et lui a donné une nouvellefonction, celle de donner de la voix. Depuis 1969, les ONGs ont pour certaines hésité à suivre cetexemple et sont restées plus techniques. D’autres au contraire ont tout misé sur le témoignage,poussant l’exercice jusqu’au plaidoyer et à la dénonciation 18 . Pour les ONGs de terrain, le dilemme15http://www.rustyradiator.com/#why‐donate16Campagne comparant une petite fille dénutrie mais souriante avec la même petite fille joufflue :http://www.pixelcreation.fr/nc/galerie/voir/la_publicite_au_secours_des_grandes_causes/la_publicite_au_secours_des_grandes_causes/06_leila/17http://www.africafornorway.no/18Amnesty International, Greenpeace bien sûr mais aussi des ONGs opérationnelles comme Oxfam dont la branche française ne fait que duplaidoyerIRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires6


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014reste posé dans les mêmes termes qu’il y a 45 ans : doit‐on privilégier l’action humanitaire oudénoncer au risque d’être expulsé du pays et ne plus agir ?Si cette problématique est largement documentée, une nouvelle question se pose aujourd’hui : dequel droit les ONGs occidentales parlent‐elles au nom des victimes ? Les victimes ne pourraient‐ellespas s’exprimer elles‐mêmes ? Faut‐il un filtre occidental pour donner du crédit aux dires despersonnes ? Sommes‐nous devenus le garant de la vérité des témoignages ? Est‐ce encore unequestion culturelle ?La prochaine étape du plaidoyer des ONGs occidentales pourrait être de réussir à donner la paroleaux personnes des pays en direct, de parvenir à crédibiliser leurs propos, pourquoi pas, au travers deporte‐paroles locaux ? Les pays d’intervention ont des journalistes, des universitaires, desintellectuels tout à fait capables de s’exprimer, et d’analyser plus pertinemment la situation de leurspays. Serge Breysse, Directeur du Plaidoyer chez Action Contre la Faim y fait référence dans sonarticle 19 sur Grotius :« La représentativité relative des ONGs françaises peut être remise en cause par l’émergence desociétés civiles dans les pays d’intervention, qui remet en question cette représentativité si les ONG netrouvent pas le moyen d’impliquer ceux qu’elles veulent défendre, mais qui sont plus légitimes à lefaire eux‐mêmes. »A ce titre, Voice of the Poor 20 de Deepa Narayan‐Parker paru en 2000 tentait déjà par le témoignagede donner la parole aux pauvres pour décrire leur perception de la pauvreté et les manières d’ensortir. S’ensuit l’apparente nécessité d’avoir un garant moral, assorti un « traducteur », un porteparolequi occidentalise les propos et les rendront abordables, compréhensibles au public ou auxpolitiques pour décider. Mais ce filtre ne teinte‐t‐il pas les propos par essence ? Pourquoi ne pas allerplus loin et donner directement la parole aux personnes concernées, quitte à prendre le risqued’exposer nos décideurs à des chocs culturels auxquels nous ne les avons pas habitués. Quandverrons‐nous des personnalités issus de pays d’intervention porter la voix des ONG occidentales dansnos pays?19http://www.grotius.fr/le‐plaidoyer‐nouvel‐horizon‐des‐ong/20First in a group of three volumes resulting from a global consultation and research effort. multi‐country research initiative to understandpoverty from the eyes of the poor, the 'Voices of the Poor' project was undertaken to inform the World Bank's activities and the 'WorldDevelopment Report 2000/2001'. It marks the first time such an exercise has been undertaken in so many developing countries andtransition economies around the world. It provides a unique and detailed picture of the life of the poor and explains the constraints poorpeople face to escape from poverty in a way that more traditional survey techniques do not capture well. Each of the three volumesdemonstrates the importance of voice and power in poor people's definition of poverty.IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires7


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014Donnons la parole aux bénéficiaires, à la société civile et éduquons nos décideurs.LES PLATEFORMES NATIONALES ET INTERNATIONALES : GARE A L’ENTRE SOILà où le bât blesse vraiment est à mon sens dans les forii humanitaires occidentaux, et en particulierfrançais. La régénérescence de la pensée humanitaire doit aussi passer par un renouvellementhumain. S’il est appréciable que les pères fondateurs des French Doctors et leurs fils spirituels soientprésents dans les rencontres entre humanitaires français, il est impératif, afin de ne pas faireperdurer une pensée occidentalo‐centrée, voire franco‐centrée 21 , d’ouvrir plus largement cesrencontres à des personnalités issues du Sud.Il faut avouer que l’humanitaire français a la particularité d’avoir engendré les French Doctors et lesans‐frontiérisme d’une part et d’autre part d’être issu d’un mouvement militant particulier :l’association loi 1901. Il est donc facile d’imaginer que les humanitaires français se sentent investisd’une mission : celle de défendre ses valeurs associatives et militantes face aux avancées d’unhumanitaire anglo‐saxon qui, selon eux, a depuis longtemps perdu son âme.Mais il n’est pas simple de faire émerger un nouveau courant. Quand les grands noms del’humanitaire français, souvent fondateurs des plus grandes ONGs en France, prennent la parole, lesnon‐experts ou les plus jeunes, ne peuvent qu’écouter comme l’exprime Vincent Pradier, chargé demission pour Etudiants et Développement dans une interview en janvier 2014:« Nous sommes devenus la caution « jeunes » du secteur. Dernièrement, nous avons participé à uncolloque où nous étions censés avoir la parole…Comme d’habitude, ce sont les « vieux sages » qui onttenu le haut du pavé et qui ont mis en avant leur longue expérience… Nous, les jeunes, nous n’avonsquasiment pas eu la possibilité de nous exprimer… »Un « Duel Sans Frontières télévisuel » a opposé encore récemment Rony Brauman à BernardKouchner. Alors, combat de deux icônes de l’humanitaire ou discussion entre deux vieux sages ?21A ce titre, le Forum Espace Humanitaire, qui a vocation au départ de réunir des acteurs français de la solidarité internationale a tenté en2013 d’ouvrir le champ avec trois représentants des ONGs non occidentales mais qui étaient encore largement minoritaires. Malgré cela,les sujets sont parfois revenus sur des thématiques très françaises.IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires8


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014Osons dès maintenant prendre la relève. Sans attendre l’émergence de nouvelles personnalitéshumanitaires, ne pourrions‐nous pas oser de nouvelles idées, de nouveaux idéaux ? Poser les basesd’un modèle innovant, intellectuellement métissé par des personnalités du Nord comme du Sud ?Une sorte de nouvelle alliance humanitaire basée sur un sans‐frontiérisme intellectuel et culturel ?L’humanitaire pourrait prendre une forme différente mettant sur un pied d’égalité le Nord et le Sud,le soi‐disant aidant et le soi‐disant aidé. Si la nouvelle donne humanitaire n’est pas gagnant‐gagnant,il est fort à parier que les ONGs occidentales disparaîtront.Voyons déjà si la Conférence Nationale Humanitaire du 31 mars 2014 22 nous surprendra tant auniveau des intervenants 23 que des idées que l’on peut souhaiter impertinentes voirerévolutionnaires. Espérons également que la part belle donnée aux organisations du Sud et auxsociétés civiles dans le processus de concertation du World Humanitarian Summit qui aura lieu en2016 fera émerger une pensée innovante, multiculturelle et revigorée.Osons donc ensemble poser les bases d’un nouvel humanitaire post‐moderne. Invitons largement lasociété civile aux tables de discussions humanitaires.LA RELÈVE HUMANITAIRE : ÇA SERA PAR, AVEC OU CONTRE…Alors quelles recommandations pour avancer ?On peut envisager le scénario de la réforme « par » les fondateurs : les French Doctors critiquanteux‐mêmes l’humanitaire qu’ils ont créé et proposant une nouvelle formule. Certains s’y emploientactivement. On peut citer entre autres Pierre Micheletti 24 qui prône la désoccidentalisation 25 ouRony Brauman qui dès 2005 parle de « Mission Colonisatrice » et d’ « Ingérence Humanitaire » 26 .On peut envisager le scénario d’une nouvelle ère définie « avec » les grandes figures de l’humanitaireet leurs fils spirituels, en partant des notions de métissage ou de désoccidentalisation mais en allantbeaucoup plus loin et en osant la perte de contrôle idéologique au profit d’un métissage non deshommes mais des idées et des cultures.22http://fr.amiando.com/CNH2014.html;jsessionid=BFD3DB9847782CDB241B013C021C79FB.amiando?page=108544623A noter la présence de plusieurs intervenants issus des pays récipiendaires lais toujours en large minorité24http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/01/12/le‐modele‐humanitaire‐dominant‐est‐mis‐en‐question‐en‐haiti_1464293_3232.html25Notamment dans son livre « S ‘adapter ou renoncer » ou dans http://www.diploweb.com/Pratique‐de‐l‐humanitaire‐pour.html26http://www.monde‐diplomatique.fr/2005/09/BRAUMAN/12578IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires9


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014On peut aussi envisager de se lever « contre » les idées des années 70, de lancer un Printemps del’Humanitaire qui serait en opposition avec le dogme et viserait à rebâtir de zéro les fondamentauxqui sous‐tendent l’humanitaire actuel, jusqu’à en changer le nom.Les révolutions de la pensée se font rarement par les fondateurs de la pensée elle‐même, aussiouverts d’esprit soient‐ils, et faire table rase d’un esprit humanitaire français précieux serait jeter lebébé avec l’eau du bain.Il faudrait donc construire cette nouvelle pensée avec les créateurs de cet esprit frondeur etdénonciateur en y introduisant une notion renouvelée d’humanisme multiculturel et de militantismecitoyen. Dans ce nouveau modèle, le bénéficiaire doit changer de place à tous les niveaux et devenir,en direct ou au travers de la société civile locale, un acteur central de l’action humanitaire.L’exercice est ardu car le mode de pensée occidental laisse peu de place à l’autre dans son altérité,peu de place aux jeunes qui doivent du moins intellectuellement respecter les aînés, peu de placeaux différences culturelles des personnes venues des pays d’intervention qui n’ont pas le mêmevocabulaire, la même temporalité et un historique culturel différent. Il requiert un courageintellectuel car les principes humanitaires seraient à revisiter pour y intégrer des éléments étrangerset inconfortables – car inhabituels, mais aussi et peut‐être surtout une bonne dose d’humilité pourbalayer nos certitudes, la valeur absolue de nos principes, et repartir sur des bases axées surl’ouverture. Il s’agirait de cesser de dominer et accepter de recevoir, s’enrichir de la confrontationavec l’autre et lui donner une place et une voix. Il ne s’agit pas d’un compromis au rabais, d’unabandon, mais plutôt d’un renouveau idéologique.Comment aller plus loin ensemble ?‐ Formons un collectif humanitaire international ayant pour mission de réinventer un nouveauhumanitaire axé sur l’ouverture ; 27‐ Rénovons la gouvernance des ONGs occidentales en y faisant figurer plus de jeunes, deprofils atypiques et de personnalités des pays d’intervention issus de la société civile locale;construisons des Conseil d’Administration à parité homme‐femme, mais aussi Nord‐Sud ;27A ce titre, le mouvement Colibris pourrait inspirer, avec une mise à l’échelle internationale : http://www.colibris‐lemouvement.org/IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires10


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014‐ Faisons du partenariat stratégique le mode de fonctionnement des ONGs occidentales, loinde la simple sous‐traitance; développons largement une approche communautaireauthentique dans les modes opératoires humanitaires ;‐ Transformons le « transfert de savoir‐faire » et le « renforcement des capacités » en unsystème à double sens 28 : enseignons et apprenons;‐ Créons des espaces de parole multiculturels animés par des personnes issues de la sociétécivile, confrontons des points de vue dissonants et variés dans les forii 29 , conférences ouautres duels, ouvrons les fenêtres de la pensée ; allons jusqu’à créer des Comités deBénéficiaires 30 et leur donner une voix ;‐ Acceptons que la non‐expérience soit aussi porteuse de créativité pour ne plus opposer leshumanitaires ou non‐humanitaires, sortons de la secte humanitaire;‐ Ecrivons les papiers idéologiques ou techniques à quatre mains : experts internationaux etexperts locaux.‐ Développons une communication à la fois intelligente et émotionnelle ; éduquer le donateur,lui ôter en douceur ses supers pouvoirs de sauveur de vie ; respectons le bénéficiaire.‐ Remettons la vie associative et le militantisme citoyen au cœur de l’action humanitaire enattirant les citoyens du Nord vers une forme d’humanisme ouvert loin de la simple charité oude la moralisation.Le bénéficiaire veut et peut être acteur de l’action humanitaire mais aujourd’hui, tout le monde veutaussi être acteur : le donateur qui a du mal à abandonner son sentiment de toute‐puissance sur la viedes « victimes », les entreprises dont les fondations ne se veulent plus simples financeurs de projetsmais acteurs dans les pays 31 , les ONGs occidentales qui ont du mal à envisager d’abandonner l’actiondirecte, les gouvernements internationaux ou locaux. Dans ce foisonnement, il n’y aura pas de laplace pour tout le monde et il ne s’agirait pas d’oublier le bénéficiaire qui doit être au cœur del’humanitaire de demain 32 .28à ce titre, les bailleurs de fonds institutionnels devront être sensibilisés à cette approche à double sens et accepter d’y allouer desmoyens29A ce titre, ICVA (https://icvanetwork.org/ ) est un bon exemple mais sur les 70 ONGs membres, seulement une vingtaine sont des ONGsdites du Sud30On peut s’inpirer entre autres des Participatory Rural Appraisal issus du monde du Développement:http://en.wikipedia.org/wiki/Participatory_rural_appraisal31Les Fondations américaines sont particulièrement axés sur ce modèle32A ce sujet, le colloque organisé par ACF et Paris 3 les 19 et 20 juin 2014 à la Sorbonne sur « Figures de bénéficiaires 1970‐2030 »s’annonce particulièrement pertinent.IRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires11


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014Pour remplir leur mandat d’origine, les ONGs occidentales doivent changer en profondeur leurmentalité et choisir des modes d’intervention radicalement différents. Elles devront repenser lemode d’intervention en urgence pour ne pas détruire dans le feu de l’action les efforts des ONGs dedéveloppement ou les structures locales et impliquer les populations dans les décisions. Dans leursactions plus longues 33 , elles pourraient même devenir des passerelles culturelles agissant commeconsultants auprès des gouvernements ou enseignants dans des centres de formation, desuniversités locales ou bien, se transformer en entreprises sociales comme BRAC 34 ou en pépinièresd’entreprises sociales et solidaires, financeurs de projets économiques qui sortiront les populationsde la pauvreté.A minima, il est urgent de repenser notre modèle car c’est dans un creuset multiculturel,multigénérationnel, moins dogmatique et intellectualisant que se concoctera la pensée humanitairede demain.•33Qui représentent désormais plus de la moitié de leur budget pour la plupart d’entre elles.34Le Bangladesh Rural Advancement Committee (BRAC), basé au Bangladesh, est une organisation non‐gouvernementale dedéveloppement. Créé par Fazle Hasan Abed en 1972 après la libération du Bangladesh. Le BRAC est présent dans tous les 64 districts dupays. BRAC compte, parmi ses 135 millions de bénéficiaires, 120 000 employés, sélectionnés en partie sur des critères de vulnérabilité oude genre (la majorité sont des femmes), mélangeant le modèle ONG à celui de l’entreprise socialeIRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires12


REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFI ENSEMBLE / STÉPHANIE RIVOAL ‐ MARS 2014REPENSER L’HUMANITAIRE OCCIDENTAL : RELEVONS LE DÉFIENSEMBLEPar Stéphanie RIVOAL / Présidente d’Action contre la Faim – France (ACF)Les opinions exprimées n'engagent que l'auteur et ne reflètent pas nécessairement l'opinionde l’organisation pour laquelle il travaille.OBSERVATOIRE DES QUESTIONS HUMANITAIRESDirigé par Michel Maietta, chercheur associé à l’Iris et conseiller stratégique à la directionhumanitaire de Save the Children Internationalmaietta@iris‐france.org© IRISTOUS DROITS RÉSERVÉSINSTITUT DE RELATIONS INTERNATIONALES ET STRATÉGIQUES2 bis rue Mercœur75011 PARIS / FranceT. + 33 (0) 1 53 27 60 60F. + 33 (0) 1 53 27 60 70iris@iris‐france.orgwww.iris‐france.orgwww.affaires‐strategiques.infoIRIS / SAVE THE CHILDREN – Observatoire des Questions Humanitaires13

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