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DIAGONALESN°6 - Mai 2007LA LUTTE CONTRE L’EXCLUSION ÉCONOMIQUE


Une <strong>Fondation</strong> au cœur des solidaritésUne <strong>Fondation</strong> en rapide développementSon statut• <strong>Fondation</strong> reconnue d’utilité publique par décret du 11 avril 2001• Fondateurs : <strong>le</strong>s <strong>Caisses</strong> d’Epargne et <strong>la</strong> Caisse Nationa<strong>le</strong> des <strong>Caisses</strong> d’Epargne• Objet : agir contre toutes <strong>le</strong>s formes de dépendance et d’exclusion socia<strong>le</strong>• Dotation initia<strong>le</strong> : 15,24 millions d’euros• Conseil d’administration présidé par Char<strong>le</strong>s MilhaudSes modes d’intervention• Opérateur à but non lucratif du secteur sanitaire et médico-socia<strong>le</strong>n sa qualité de gestionnaire d’établissements et de services• Acteur direct de <strong>la</strong> lutte contre l’il<strong>le</strong>ttrisme• Financeur de projets innovants• Organisateur de débats publics• Hébergeur de fondations sous égideDe 2002 à 2006, <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> est passée de :• 21 établissements et services à 76 établissements et services gérés ;• 1800 p<strong>la</strong>ces d’accueil à 4 800 p<strong>la</strong>ces d’accueil ;• 985 col<strong>la</strong>borateurs à 3 012 col<strong>la</strong>borateurs ;• 46,2 millions d’euros de ressources dont 2,5 millions d’euros de donsà 147,2 millions d’euros dont 5,7 millions d’euros de dons reçus.La <strong>Fondation</strong> est désormais <strong>le</strong> premier réseau privé à but non lucratif de résidencesaccueil<strong>la</strong>nt des personnes âgées dépendantes. En 2007, el<strong>le</strong> devrait devenir, avec plusde 3 000 col<strong>la</strong>borateurs, <strong>la</strong> première fondation reconnue d’utilité publique par <strong>le</strong> nombrede ses sa<strong>la</strong>riés.Dans ses actions de lutte contre l’il<strong>le</strong>ttrisme, <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong>solidarité a développé <strong>le</strong> dispositif « Savoirs <strong>pour</strong> réussir », qui comptait au 31 décembre 2006,13 centres accueil<strong>la</strong>nt près de 600 jeunes de 16 à 25 ans fragilisés par <strong>la</strong> vie, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>urpermettre de reprendre goût à <strong>la</strong> <strong>le</strong>cture, à l’écriture et au calcul.www.fces.fr3


p. 61 Tab<strong>le</strong> ronde 2ACCOMPAGNER VERS L’INSERTIONSommairep. 62 IntroductionXavier Emmanuelli, président fondateur du Samusocialp. 70 Les inégalités face à l’emploi : présentation des faits et chiffresDenis C<strong>le</strong>rc, fondateur d’Alternatives Economiquesp. 09 OuvertureChar<strong>le</strong>s Milhaud, président de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne<strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidaritép. 17 Tab<strong>le</strong> ronde 1LA NÉCESSITÉ ÉDUCATIVE DANS L’INSERTIONp. 18 IntroductionA<strong>la</strong>in Bentoli<strong>la</strong>, professeur de linguistique à l’université Paris-V,vice-président de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidaritép. 28 « L’écrit et <strong>la</strong> capacité de changer de point de vue »Gabriel Tarlé, coordinateur pédagogique de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir »en Aquitainep. 34 « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » : redonner l’envie d’apprendreSamia Hassaine, chef de projet de l’association« Savoirs <strong>pour</strong> réussir » de Chambéryp. 44 Présentation des résultats du baromètre sur <strong>le</strong>s solidaritésintergénérationnel<strong>le</strong>sRégis Bigot, directeur adjoint du département conditions de vieet aspirations des Français au Crédocp. 52 Paro<strong>le</strong>s des bénéficiaires de l’insertion par l’activité économiqueMartine Calvo, rapporteur du groupe de territorialisation, Conseil Nationalde l’Insertion par l’Activité Economiquep. 78 Un cas concret : réinsertion à <strong>la</strong> maison d’arrêt de <strong>la</strong> Ta<strong>la</strong>udièreà Saint-EtienneHélène Henckens, directrice adjointe du Service Pénitentiaired’Insertion et de Probation (SPIP) de <strong>la</strong> Loirep. 84 Lutter contre l’exclusion bancaireRené Didi, directeur du développement de <strong>la</strong> Fédération Nationa<strong>le</strong>des <strong>Caisses</strong> d’Epargnep. 95 Tab<strong>le</strong> ronde 3DÉVELOPPER L’ESPRIT ENTREPRENEURIALp. 96 IntroductionJean-Michel Severino, directeur général de l’Agence Françaisede Développementp. 108 Une expérience de codéveloppementLahoussain Jamal, conseil<strong>le</strong>r en développement et stratégiede l’association Migrations et Développementp. 114 L’intégration économique des migrantsDidier Banquy, secrétaire général de <strong>la</strong> Caisse Nationa<strong>le</strong>des <strong>Caisses</strong> d’Epargnep. 126 ConclusionDidier-Ro<strong>la</strong>nd Tabuteau, directeur général de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong>d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité4 5


OuvertureChar<strong>le</strong>s MilhaudPrésident de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité89


Je voudrais vous dire, Mesdames, Messieurs, chers amis,combien je suis particulièrement heureux de vousaccueillir ce matin et d’ouvrir cette sixième édition desDiagona<strong>le</strong>s de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>. Le débat proposé aujourd’huipar <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> porte sur <strong>la</strong> lutte contre l’exclusion économique. Il s’agit d’unsujet d’actualité car l’exclusion économique touche dans <strong>le</strong>ur vie quotidienne,et sous des formes très diverses, plusieurs millions de nos concitoyens. Ils’agit d’un sujet de mobilisation constante, tant <strong>pour</strong> <strong>le</strong> Groupe Caissed’Epargne que <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité etvous savez qu’il s’agit d’un sujet auquel je suis particulièrement sensib<strong>le</strong> àtitre personnel.Les <strong>Caisses</strong> d’Epargne sont depuis <strong>le</strong>ur origine engagées dans <strong>le</strong>s missionsd’intérêt général. El<strong>le</strong>s ont contribué, avec des hygiénistes et des phi<strong>la</strong>nthropesdu XIX e et du début du XX e sièc<strong>le</strong> à l’intégration financière, bancaireet socia<strong>le</strong> des famil<strong>le</strong>s modestes. Cet engagement est toujours vivace et c’esttout compte fait peu connu. El<strong>le</strong>s ont consacré en 2006 plus de 50 millionsd’euros au financement de projets d’économie loca<strong>le</strong> et socia<strong>le</strong>. Quant à<strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>, el<strong>le</strong> porte dans son nom même l’estampil<strong>le</strong> de l’espoir, <strong>la</strong> solidarité.Cette formidab<strong>le</strong> démarche est à <strong>la</strong> fois organisée au p<strong>la</strong>n politique etsocial, mais éga<strong>le</strong>ment inscrite au cœur des re<strong>la</strong>tions entre <strong>le</strong>s hommes etsans <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> aucune société ne <strong>pour</strong>rait, non pas exister, mais s’é<strong>le</strong>ver.Char<strong>le</strong>s MilhaudLa <strong>Fondation</strong>, reconnue d’utilité publique en avril 2001, <strong>pour</strong>suit et incarnel’engagement sociétal du Groupe Caisse d’Epargne. El<strong>le</strong> <strong>le</strong> fait de manièrediversifiée et origina<strong>le</strong>. La lutte contre toutes <strong>le</strong>s formes d’exclusion est aucœur de sa mission et de sa raison d’être. La <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne<strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité est ainsi parfaitement légitime à poser et ouvrir <strong>le</strong> débatd’aujourd’hui. El<strong>le</strong> intervient en effet à tous <strong>le</strong>s âges de <strong>la</strong> chaîne humainede notre société, précédant <strong>le</strong>s problèmes d’exclusion auprès des jeunesde 16 à 25 ans, ou au contraire tentant de remédier à <strong>le</strong>urs effets dans l’accompagnementet <strong>le</strong> soutien de nos anciens, des personnes ma<strong>la</strong>des ethandicapées et de <strong>le</strong>urs proches.Chaque année, <strong>le</strong>s jeunes gens et <strong>le</strong>s jeunes fil<strong>le</strong>s participent aux journéesd’appel de préparation à <strong>la</strong> défense. A cette occasion, 60 000 d’entre euxsont repérés en situation d’il<strong>le</strong>ttrisme. Pour réduire <strong>le</strong>s situations de précarité,de dépendance ou d’exclusion engendrées par cette forme d’insécurité linguistique,<strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> conduit des démarches d’accompagnement qui <strong>le</strong>ursont destinées. Leur permettre de reprendre contact avec l’écriture, <strong>la</strong> <strong>le</strong>cture,<strong>le</strong> calcul, <strong>le</strong>ur redonner <strong>la</strong> confiance nécessaire <strong>pour</strong> pouvoir intégrer1011


sereinement une formation et construire un parcours professionnel, tels sont<strong>le</strong>s objectifs du dispositif « Savoirs <strong>pour</strong> réussir ». Actuel<strong>le</strong>ment, quinze centres« Savoirs <strong>pour</strong> réussir » sont opérationnels, notamment grâce à l’engagementdes <strong>Caisses</strong> d’Epargne.Du côté de <strong>la</strong> lutte contre l’exclusion des plus âgés, <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> est aussitrès active. El<strong>le</strong> accueil<strong>le</strong> aujourd’hui près de 5 000 personnes très âgéesqui ont perdu beaucoup de <strong>le</strong>ur autonomie et qui ne peuvent de ce fait plusvivre chez el<strong>le</strong>s. Plus de <strong>la</strong> moitié des 5 000 personnes accueillies dans <strong>le</strong>srésidences que gère <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> souffrent des troub<strong>le</strong>s liés à <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>died’Alzheimer qui requièrent des soins et une attention spécifiques. Lesfamil<strong>le</strong>s sont éga<strong>le</strong>ment très sollicitées par cette forme si nouvel<strong>le</strong> et sidéconcertante d’iso<strong>le</strong>ment et d’exclusion et el<strong>le</strong>s ont aussi besoin d’êtreaidées. Accueillir ces personnes en résidence, quel que soit <strong>le</strong>ur niveau derevenu, <strong>le</strong>s accompagner en établissement ou chez el<strong>le</strong>s, grâce au serviceà domici<strong>le</strong> mis en p<strong>la</strong>ce par <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>, <strong>le</strong>s aider à bien vivre, soutenir <strong>le</strong>ursproches, tel<strong>le</strong>s sont éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s missions quotidiennes de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>.Je <strong>le</strong> disais à l’instant, <strong>le</strong> débat de ces sixièmes Diagona<strong>le</strong>s porte sur unsujet d’actualité, une actualité préoccupante. Dans un contexte économiquediffici<strong>le</strong>, dans une société de plus en plus confrontée à un sentimentd’insécurité socia<strong>le</strong>, dans un monde en p<strong>le</strong>ine évolution, nombreux sontceux qui peinent à trouver <strong>le</strong>ur p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong> vie économique ou à <strong>la</strong>conserver. Nous avons tous en mémoire <strong>le</strong>s images de cet hiver, <strong>le</strong>s imagesde situations extrêmes qui rendent visib<strong>le</strong>s <strong>la</strong> partie émergée de l’iceberget qui, bien sûr, sont l’aboutissement et <strong>le</strong> visage <strong>le</strong> plus brutal de l’exclusionéconomique. Personne ne pouvait imaginer que, vingt-trois ans après <strong>le</strong>urcréation, <strong>le</strong>s Restos du Cœur distribueraient dix fois plus de repas que lorsde <strong>le</strong>ur ouverture et que 20 % des personnes accueillies par <strong>le</strong>urs soinsn’auraient pas de logement en 2005. Il y a quatorze ans, lors de <strong>la</strong> créationde <strong>la</strong> mission Sans Domici<strong>le</strong> Fixe de Médecins du Monde et de l’ouverturedu Samusocial à Paris, tout <strong>le</strong> monde s’accordait à voir là des situationsexceptionnel<strong>le</strong>s. Or <strong>le</strong> Samusocial a pris en charge près de 42 000 nuitéesen 2004, contre un peu plus de 37 000 en l’an 2000. La fondation Abbé Pierresouligne, quant à el<strong>le</strong>, dans son rapport 2006 que ce sont plus de 3 millionsde personnes qui sont mal logées ou n’ont pas de logement du tout. La<strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité avait d’ail<strong>le</strong>urs consacré <strong>le</strong>sDiagona<strong>le</strong>s de juin 2006 à cette question crucia<strong>le</strong> du logement dans l’intégrationsocia<strong>le</strong>.L’exclusion économique revêt de nouvel<strong>le</strong>s formes. La société françaiseglisse du sa<strong>la</strong>riat au précariat, <strong>pour</strong> reprendre <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s du sociologueRobert Castel. Sont menacées <strong>le</strong>s personnes en emploi précaire, <strong>le</strong>s intérimaires,<strong>le</strong>s saisonniers, <strong>le</strong>s jeunes sans formation ou en échec sco<strong>la</strong>ire.Selon l’INSEE, on compte aujourd’hui 3,5 millions de pauvres en Francedont 1,8 million de travail<strong>le</strong>urs pauvres, des personnes qui, bien qu’actives,se trouvent dans un ménage vivant au-dessous du seuil de pauvreté. Si nousé<strong>la</strong>rgissons notre champ de vision à l’Europe, nous y découvrons 14 millionsde travail<strong>le</strong>urs pauvres.Les conséquences de l’exclusion sont multip<strong>le</strong>s. Etre exclu économiquement,c’est ne plus avoir <strong>le</strong>s moyens de choisir son lieu de résidence, ne plusavoir <strong>le</strong>s moyens de choisir <strong>le</strong> cours de sa vie. Etre exclu économiquement,c’est faire face ou ne plus faire face à un enchevêtrement de difficultés quesont <strong>le</strong> chômage ou l’absence de formation, <strong>le</strong>s mauvaises conditions oul’absence de logement, <strong>le</strong>s problèmes de santé, <strong>le</strong>s difficultés sco<strong>la</strong>iresdes enfants, l’hostilité ou l’indifférence des autres, <strong>le</strong> surendettement, <strong>le</strong>sdifficultés alimentaires, <strong>la</strong> vulnérabilité familia<strong>le</strong> et parfois <strong>la</strong> vio<strong>le</strong>nce.Etre exclu économiquement, c’est en réalité une souffrance qui porte atteinteà votre identité socia<strong>le</strong>.Xavier Emmanuelli, dont je voudrais saluer <strong>la</strong> présence parmi nous, a raison desouligner que lorsque l’on évoque l’exclusion ou l’iso<strong>le</strong>ment, chacun croit savoirce que ces mots désignent, et d’évoquer <strong>la</strong> multiplicité des situations qu’el<strong>le</strong>recouvre et <strong>la</strong> difficulté d’appréhender <strong>la</strong> <strong>le</strong>nte désocialisation qui touche <strong>le</strong>spersonnes concernées, qu’el<strong>le</strong>s soient seu<strong>le</strong>s, jeunes, en famil<strong>le</strong> ou encore handicapéesou vieillissantes. Une chose est certaine, toutes souffrent.Si <strong>le</strong> travail demeure <strong>la</strong> pierre angu<strong>la</strong>ire de <strong>la</strong> cohésion socia<strong>le</strong>, c’est dans<strong>la</strong> mesure où il est aussi <strong>la</strong> clé de voûte d’une intégration à multip<strong>le</strong>s facettes.1213


“Il est trèsdiffici<strong>le</strong> de s’insérerp<strong>le</strong>inement dans <strong>la</strong>vie professionnel<strong>le</strong>avec des connaissancesde base<strong>la</strong>cunaires.”Le travail est certes ce qui permet aux hommes et aux femmes,grâce à sa rémunération, de se projeter dans l’avenir et<strong>le</strong> bâtir. Mais <strong>le</strong> travail a éga<strong>le</strong>ment une doub<strong>le</strong> dimensionsymbolique tout aussi capita<strong>le</strong>, cel<strong>le</strong> de pouvoir se sentir uti<strong>le</strong>dans ce que l’on fait et cel<strong>le</strong> de se voir confirmé et reconnudans son identité.Les débats de ces Diagona<strong>le</strong>s vont s’articu<strong>le</strong>r autour de troisthèmes : <strong>la</strong> nécessité éducative dans l’insertion, l’accompagnementvers l’insertion et <strong>le</strong> développement de l’espritentrepreneurial. Grâce aux divers intervenants qui nous ont faitl’honneur d’accepter notre invitation, nous <strong>pour</strong>rons confronter<strong>le</strong>s points de vue, mettre en perspective <strong>le</strong>s approches etessayer modestement de faire bouger <strong>le</strong>s lignes. Je remerciedonc particulièrement <strong>le</strong> docteur Xavier Emmanuelli, présidentdu Samusocial, Jean-Michel Severino, directeur général del’Agence Française de Développement, et toi, A<strong>la</strong>in Bentoli<strong>la</strong>,vice-président de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>, d’avoir accepté de présider<strong>le</strong>s trois tab<strong>le</strong>s rondes de cette journée.La première tab<strong>le</strong> ronde rappel<strong>le</strong>ra l’impérieuse nécessitééducative dans l’insertion professionnel<strong>le</strong>. L’il<strong>le</strong>ttrisme touche9 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion âgée de 18 à 65 ans résidant en Francemétropolitaine et ayant été sco<strong>la</strong>risée en France. Même siplus de <strong>la</strong> moitié de personnes en situation d’il<strong>le</strong>ttrisme ontun emploi, il est très diffici<strong>le</strong> de s’insérer p<strong>le</strong>inement dans <strong>la</strong> vieprofessionnel<strong>le</strong> avec des connaissances de base <strong>la</strong>cunaires.D’ail<strong>le</strong>urs, on note que parmi <strong>le</strong>s personnes allocataires duRMI, <strong>la</strong> proportion des personnes en situation d’il<strong>le</strong>ttrismeest trois fois plus é<strong>le</strong>vée que dans l’ensemb<strong>le</strong> de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion.Face à ces constats et à ces réf<strong>le</strong>xions, je voudrais souligner<strong>la</strong> pertinence et l’originalité du dispositif « Savoirs <strong>pour</strong> réussir »,conçu et mis en œuvre par <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité.Car, que voyons-nous dans <strong>le</strong>s centres « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » ? Desjeunes fil<strong>le</strong>s et des jeunes garçons soucieux, instab<strong>le</strong>s, très souvent mutiquesqui, au fur et à mesure des ateliers et des semaines, retrouvent doucementune confiance perdue, des liens intergénérationnels oubliés, uncadre, une stabilité et des règ<strong>le</strong>s jusque-là négligées. Grâce au travail desadultes qui <strong>le</strong>s accompagnent de manière bénévo<strong>le</strong> <strong>pour</strong> <strong>la</strong> majorité d’entreeux, ils parviennent à oser se projeter dans l’avenir, imaginer, penser etexprimer ce qu’ils souhaiteraient faire dans <strong>la</strong> vie.La deuxième séquence des Diagona<strong>le</strong>s sera consacrée à l’accompagnementdes réinsertions que ce soit face à l’emploi, face à l’exclusion socia<strong>le</strong> ouface à l’exclusion financière. Lors d’une enquête auprès des bénéficiairesde l’insertion par l’activité économique en Aquitaine dont il sera restitué uncertain nombre de paro<strong>le</strong>s, l’importance de cet accompagnement a étésystématiquement soulignée.Enfin, <strong>la</strong> dernière tab<strong>le</strong> ronde essaiera d’apporter un éc<strong>la</strong>irage sur <strong>le</strong> développementde l’esprit entrepreneurial, sur <strong>le</strong> développement et l’intégrationéconomique des migrants à <strong>la</strong> suite du rapport que j’ai eu l’honneur deremettre au gouvernement. Je terminerai ce propos en soulignant l’importancedu défi qui nous est <strong>la</strong>ncé col<strong>le</strong>ctivement et <strong>pour</strong> <strong>le</strong>quel toutes <strong>le</strong>sénergies seront bienvenues. S’insérer dans <strong>la</strong> société du travail, s’inclureéconomiquement et socia<strong>le</strong>ment au sens européen du terme, c’est construireson avenir, c’est aussi participer à <strong>la</strong> construction de notre avenir col<strong>le</strong>ctif.Comme l’écrivait Paul Ricœur, « <strong>le</strong> plus court chemin de soi à soi passe parl’autre ». Le regard des autres peut nous libérer, mais aussi nous enfermer.Je vous remercie et vous souhaite de fructueux échanges au cours de cesDiagona<strong>le</strong>s.1415


1La nécessité éducativedans l’insertionA<strong>la</strong>in BENTOLILAGabriel TARLESamia HASSAINERégis BIGOTMartine CALVO1617


Formation, éducation :une étape décisive vers l’insertion économiqueA<strong>la</strong>in Bentoli<strong>la</strong>, professeur de linguistique à l’université Paris-V,vice-président de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidaritéMesdames et Messieurs, en tant que vice-président de <strong>la</strong><strong>Fondation</strong>, je vous souhaite après <strong>le</strong> président, <strong>la</strong> bienvenue danscette enceinte <strong>pour</strong> assister à ces Diagona<strong>le</strong>s qui traitent du problèmeparticulier de l’insertion par l’économie. Il est intéressantet important de noter que <strong>la</strong> première tab<strong>le</strong> ronde traite de <strong>la</strong> question de <strong>la</strong>formation et de l’éducation dans <strong>la</strong> perspective de briser cette difficulté particulièreque représente l’insertion par l’économie. Ce rapprochement entrel’économique et l’éducatif est important et uti<strong>le</strong>. La <strong>Fondation</strong> est issue d’ungroupe dont <strong>le</strong> premier métier est de gagner de l’argent, or el<strong>le</strong> crée une<strong>Fondation</strong> d’intérêt public dont <strong>le</strong>s deux grandes orientations sont d’une partl’exclusion et <strong>la</strong> dépendance par l’âge et d’autre part l’exclusion et <strong>la</strong> dépendancepar l’éducation, autrement dit <strong>la</strong> question de l’il<strong>le</strong>ttrisme. Ce symbo<strong>le</strong>intéressant démontre comment <strong>le</strong> fait de réussir sur <strong>le</strong> p<strong>la</strong>n économique estnon seu<strong>le</strong>ment compatib<strong>le</strong> avec l’intérêt général, mais lui est même complémentaire.Il est indispensab<strong>le</strong> de donner ce signal fort que <strong>le</strong> fait de gagnerde l’argent n’est pas honteux mais uti<strong>le</strong>, à condition bien entendu, que cetteutilité ne se démente jamais, qu’el<strong>le</strong> soit indépendante de l’intérêt purementfinancier, c’est-à-dire qu’el<strong>le</strong> joue effectivement <strong>le</strong> jeu de l’utilité socia<strong>le</strong>.Je vais traiter de trois sujets complémentaires.• Le premier consistera à exposer un certain nombre de points concernantl’il<strong>le</strong>ttrisme : ce que c’est, quel<strong>le</strong> est <strong>la</strong> réalité qu’il recouvre dans notre payset ail<strong>le</strong>urs, et <strong>le</strong>s conséquences qu’il entraîne.• Dans <strong>la</strong> deuxième partie, je tenterai de répondre à une question très compliquéeet diffici<strong>le</strong>, mais que chacun se pose : comment concevoir que dansun pays où l’enseignement est obligatoire, des jeunes adultes qui ont passéde douze à quatorze ans à l’éco<strong>le</strong> se retrouvent en fin de parcours en situationde difficulté de <strong>le</strong>cture, plus encore d’écriture et souvent d’argumentationet d’explication ? Il s’agit d’une question légitime dont <strong>la</strong> réponse ne peutpas reposer sur l’incompétence et <strong>le</strong> cynisme, ou sur <strong>le</strong> fait que notre éco<strong>le</strong>ne vaut rien. La réponse implique d’autres interrogations, peut-être pluscomp<strong>le</strong>xes mais certainement beaucoup plus réel<strong>le</strong>s.• La troisième partie de mon exposé portera sur ce que l’on peut et ce quel’on doit faire. Il s’agira de voir ce que l’on peut faire en aval, <strong>pour</strong> ces jeunesqui sont plus de 65 000 tous <strong>le</strong>s ans à sortir du système sco<strong>la</strong>ire en situationd’il<strong>le</strong>ttrisme.Ma communication sera c<strong>la</strong>ire mais militante aussi car notre <strong>Fondation</strong> nese contente pas de faire du mécénat, el<strong>le</strong> est opératrice. Ceci est extrêmementimportant. La <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité fait, agit,met en p<strong>la</strong>ce, suit et construit, el<strong>le</strong> ne délègue pas. L’opération « Savoirs<strong>pour</strong> réussir » a cette particu<strong>la</strong>rité d’être montée, suivie, construite, évaluéepar <strong>le</strong>s équipes de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> mises en p<strong>la</strong>ce sur <strong>le</strong> terrain à l’initiativedes <strong>Caisses</strong> d’Epargne et qui font un travail tout à fait formidab<strong>le</strong>. Je souhaiteinsister d’emblée sur <strong>le</strong> fait que notre <strong>Fondation</strong> porte des projets et en1819


“Notre <strong>Fondation</strong>porte des projetset en assure <strong>la</strong>responsabilité.Ce<strong>la</strong> représenteun risque etnous donne uneresponsabilitéparticulière...”assure <strong>la</strong> responsabilité, ce qui n’est pas <strong>le</strong> cas de <strong>la</strong> plupartdes fondations reconnues d’utilité publique. Ce<strong>la</strong> représenteun risque et nous donne une responsabilité particulière.Première question à <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> il faut répondre : il<strong>le</strong>ttrisme etanalphabétisme, est-ce <strong>la</strong> même chose ? Pas tout à fait. Ladifférence tient au fait que l’analphabétisme touche des gensqui n’ont pas ou peu suivi de cursus sco<strong>la</strong>ire. L’il<strong>le</strong>ttrismetouche des jeunes qui ont mal appris, peu appris, tissé desma<strong>le</strong>ntendus avec <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et qui se retrouvent en bout decourse avec des difficultés considérab<strong>le</strong>s. L’analphabétismeest actuel<strong>le</strong>ment, en France, un phénomène très marginal,qui touche un peu moins de 1 %, soit 0,8% environ de <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion. Souvenons-nous que ce<strong>la</strong> concernait 50 % de <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion française à <strong>la</strong> fin du XIX e sièc<strong>le</strong> ; l’éco<strong>le</strong> de <strong>la</strong>République n’a pas si mal réussi puisqu’el<strong>le</strong> a réduit l’analphabétismede 50% à 0,8%. L’il<strong>le</strong>ttrisme concerne aujourd’hui10% – plus près de 11 % que de 9 % – de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion desjeunes adultes et ce chiffre n’a pas baissé depuis une bonnedizaine d’années. Cet il<strong>le</strong>ttrisme recouvre des difficultés trèsinéga<strong>le</strong>s, qui vont de <strong>la</strong> peine à identifier des mots isolésjusqu’à des difficultés particulières à comprendre <strong>le</strong> sensd’un petit texte simp<strong>le</strong>, fait de mots fréquents et composéde phrases peu comp<strong>le</strong>xes. Entre ces deux types de difficultés,on constate un continuum considérab<strong>le</strong> qui montre bien <strong>le</strong>handicap réel que représente l’il<strong>le</strong>ttrisme par sa difficulté avecl’écrit et évidemment avec l’oral. Avoir du mal à comprendreun petit texte simp<strong>le</strong> est un handicap social. C’est moinshandicapant que de ne pas savoir identifier un mot unique,évidemment, mais tous ceux qui ont inéga<strong>le</strong>ment des difficultésavec <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue écrite et <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue ora<strong>le</strong> seront un jour ou l’autreen difficulté culturel<strong>le</strong>, socia<strong>le</strong> et professionnel<strong>le</strong>.La question de l’il<strong>le</strong>ttrisme est globa<strong>le</strong>, c’est-à-dire qu’il seraitillusoire de penser qu’el<strong>le</strong> concerne simp<strong>le</strong>ment ceux qui ontdes difficultés de <strong>le</strong>cture. Il existe bien d’autres appareilspermettant de communiquer en dehors de l’écrit, mais cesdifficultés de <strong>le</strong>cture se doub<strong>le</strong>nt de difficultés d’écriture : nonseu<strong>le</strong>ment d’écriture manuscrite mais d’écriture tout court,et el<strong>le</strong>s sont éga<strong>le</strong>ment liées à des difficultés d’explication etd’argumentation ora<strong>le</strong>. En bref, être il<strong>le</strong>ttré aujourd’hui c’est avoirdes difficultés particulières avec <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue parlée et écrite qui rendent problématiquece droit fondamental de l’humain de passer sa pensée à l’autre,au plus juste de ses intentions. Ce qui caractérise <strong>le</strong>s humains, c’est <strong>le</strong>souci, <strong>la</strong> volonté d’être compris par l’autre, de disposer des moyens misen œuvre <strong>pour</strong> être compris par l’autre. Aucune communication anima<strong>le</strong> –et Dieu sait s’il en existe, de l’abeil<strong>le</strong> au grand singe Bonobo –, n’a cettecapacité, cette volonté d’al<strong>le</strong>r dans l’intelligence d’un autre consciemment,de regarder <strong>le</strong> résultat de sa communication, de <strong>la</strong> modu<strong>le</strong>r de tel<strong>le</strong> sortequ’el<strong>le</strong> se fasse dans <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>ures conditions possib<strong>le</strong>s. La conscience desresponsabilités que donne <strong>la</strong> prise de paro<strong>le</strong> lorsque l’on regarde chacundans <strong>le</strong>s yeux <strong>pour</strong> savoir si sa pensée a une chance d’être comprisecomme on <strong>le</strong> veut, à l’oral comme à l’écrit, est une spécificité de notreespèce, el<strong>le</strong> est fondamenta<strong>le</strong>.L’il<strong>le</strong>ttrisme s’inscrit aujourd’hui dans ce droit essentiel que nous devonsabsolument revendiquer <strong>pour</strong> nous, <strong>pour</strong> nos enfants. C’est en ce<strong>la</strong> quel’il<strong>le</strong>ttrisme m’intéresse. Il ne m’intéresse pas dans <strong>le</strong>s termes d’une puretélinguistique particulière. Les fautes d’orthographe, de morphologie, d’unsubjonctif mal fait, d’un conditionnel imprécis sont choquantes, ennuyeuses.L’indifférence actuel<strong>le</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s accords à <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> nous assistons quotidiennementme gêne, mais là n’est pas mon combat, il est autre. Moncombat contre l’il<strong>le</strong>ttrisme s’exerce <strong>pour</strong> donner à chacun <strong>la</strong> capacité dese faire comprendre, <strong>pour</strong> lui donner <strong>la</strong> possibilité de s’expliquer face àquelqu’un d’autre.Un livre récent expliquait que <strong>la</strong> vraie question qui se pose aujourd’hui estcel<strong>le</strong> de l’il<strong>le</strong>ttrisme au fond du fond. Utiliser <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, ce n’est pas par<strong>le</strong>rà quelqu’un qui nous ressemb<strong>le</strong>, qui croit dans <strong>le</strong> même Dieu, monothéistesque nous sommes, dont <strong>le</strong>s habitudes sont semb<strong>la</strong>b<strong>le</strong>s aux nôtres. Utiliser<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, c’est l’utiliser <strong>pour</strong> par<strong>le</strong>r à quelqu’un qui ne pense pas commemoi et bien plus encore, c’est l’utiliser <strong>pour</strong> par<strong>le</strong>r à celui que je n’aime pas,beaucoup plus que <strong>pour</strong> par<strong>le</strong>r à celui que j’aime. Cette re<strong>la</strong>tion avec l’il<strong>le</strong>ttrismeest essentiel<strong>le</strong> : par<strong>le</strong>r à quelqu’un que l’on n’aime pas est infiniment plusdiffici<strong>le</strong> que par<strong>le</strong>r à quelqu’un que l’on aime. On a tout de même <strong>le</strong> droitde par<strong>le</strong>r à ceux que l’on aime, bien sûr, mais par<strong>le</strong>r à ceux que l’on n’aimepas est un défi considérab<strong>le</strong>. Si vous par<strong>le</strong>z à quelqu’un que vous n’aimezpas et qui ne vous aime pas, vous avez intérêt à mobiliser <strong>le</strong>s mots <strong>le</strong>s plusprécis, <strong>le</strong>s structures <strong>le</strong>s plus justes, parce que rien de ce que vous al<strong>le</strong>zlui dire ne lui est familier, rien n’est acquis, tout est à gagner. Et <strong>pour</strong> ce faire,il faut disposer d’une <strong>la</strong>ngue forte à l’oral comme à l’écrit. Lorsque l’on estil<strong>le</strong>ttré, lorsque <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue nous manque, alors, nous sommes cantonnés àpar<strong>le</strong>r à d’autres nous-mêmes ; c’est-à-dire à rester entre nous parce que2021


“La batail<strong>le</strong>de l’il<strong>le</strong>ttrisme estcel<strong>le</strong> de l’ouverture,cel<strong>le</strong> de l’étranger,cel<strong>le</strong> de l’autre,différent de moi etc’est ce qui <strong>la</strong> rendsi importante...”cette <strong>la</strong>ngue trop restreinte, insuffisamment puissante nedépasse pas un cerc<strong>le</strong> étroit, où évidemment tout est ditavant d’être dit. Et lorsque ce<strong>la</strong> arrive, <strong>pour</strong>quoi par<strong>le</strong>r, <strong>pour</strong>quoiécrire, <strong>pour</strong>quoi communiquer ?La batail<strong>le</strong> de l’il<strong>le</strong>ttrisme est cel<strong>le</strong> de l’ouverture, cel<strong>le</strong> del’étranger, <strong>la</strong> batail<strong>le</strong> de l’il<strong>le</strong>ttrisme est cel<strong>le</strong> de l’autre, différentde moi et c’est ce qui <strong>la</strong> rend si importante. La question n’estpas simp<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong> de <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> normée, <strong>la</strong> batail<strong>le</strong> est cel<strong>le</strong>de <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> au plus loin de soi-même, avec <strong>la</strong> conscience et<strong>la</strong> volonté d’al<strong>le</strong>r loin. Tel<strong>le</strong> est <strong>la</strong> question posée aujourd’huipar l’il<strong>le</strong>ttrisme et c’est <strong>pour</strong>quoi notre engagement sur cettequestion est important, essentiel et fondamental. J’insistebeaucoup sur ce point parce qu’il ne faut pas qu’il y aitd’ambigüité sur <strong>la</strong> nature de notre engagement. Gabriel Tarlévous par<strong>le</strong>ra tout à l’heure d’autres lieux où <strong>le</strong>s batail<strong>le</strong>s s’engagent,se sont engagées et continuent d’être engagées, loinde chez nous. Les enjeux en Haïti, en Equateur, en Afrique sontceux que je décris ici. L’échel<strong>le</strong> est différente, mais <strong>le</strong>s enjeuxsont <strong>le</strong>s mêmes. De ces enjeux dépend l’avenir de ces pays.J’ajouterai trois types de conséquences à ce qui est <strong>le</strong> cœurmême de <strong>la</strong> question de l’il<strong>le</strong>ttrisme. La première : <strong>la</strong> vulnérabilitéintel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>. Lorsque l’on manque de puissance linguistique,de justesse, de volonté linguistique, ce<strong>la</strong> entraîne<strong>la</strong> difficulté de réfutation, c’est-à-dire que lorsque vous n’avezpas <strong>le</strong> mot <strong>pour</strong> dire votre pensée, vous n’avez pas non plus<strong>le</strong> mot <strong>pour</strong> analyser, critiquer, réfuter <strong>la</strong> pensée des autresqui est souvent d’ail<strong>le</strong>urs, el<strong>le</strong>, parfaitement ficelée, puissanteet convaincante. Ce<strong>la</strong> implique que vous êtes en situationd’insécurité linguistique, de vulnérabilité face à des discourset à des textes qui peuvent être excessivement dangereux.Comment peut-on être des citoyens responsab<strong>le</strong>s lorsquel’on n’a pas cette capacité effective de considérer, d’analyser,de démonter <strong>le</strong> discours et <strong>le</strong>s textes d’un autre, de demanderdes comptes, d’exercer sa juste pensée critique ? Il est essentielde considérer que <strong>la</strong> va<strong>le</strong>ur d’un texte et d’un discours nedépend pas du statut de celui qui <strong>le</strong> profère.La deuxième conséquence : lorsque l’on ne dispose pas decette sécurité linguistique, de <strong>la</strong> puissance du verbe, on a <strong>le</strong>plus souvent du mal à articu<strong>le</strong>r une pensée pacifique et pacifiée par <strong>le</strong>smots. Je ne veux pas dire, je ne dis pas qu’il suffit de par<strong>le</strong>r <strong>pour</strong> ne pasêtre vio<strong>le</strong>nt. Tel<strong>le</strong> n’est pas ma pensée, et si je <strong>le</strong> disais, l’Histoire medemanderait des comptes. S’il suffisait véritab<strong>le</strong>ment d’avoir une plumeagi<strong>le</strong>, un verbe particulièrement élégant <strong>pour</strong> par<strong>le</strong>r juste et fort, Célinen’aurait pas écrit ce qu’il a écrit, Le Pen ne dirait pas ce qu’il dit et biend’autres encore. La question n’est pas cel<strong>le</strong>-là ; lorsque l’on n’a pas appris<strong>la</strong> considération de l’autre, <strong>le</strong> discernement de l’autre comme étant celui versqui l’on tend, vers qui <strong>le</strong>s mots vont se porter avec autant d’audace que derespect, lorsque <strong>la</strong> pensée n’a pas <strong>la</strong> possibilité de formu<strong>le</strong>r, d’expliquer,d’argumenter alors <strong>la</strong> pensée n’est pas articulée. Il est d’ail<strong>le</strong>urs amusant denoter que <strong>le</strong> français utilise <strong>la</strong> même expression, « s’expliquer » <strong>pour</strong> expliquerquelque chose et <strong>pour</strong> al<strong>le</strong>r se « taper dessus » dehors. L’explication et l’argumentationarticu<strong>le</strong>nt effectivement <strong>la</strong> pensée et lorsqu’el<strong>le</strong>s manquent,on peut imaginer que <strong>le</strong> passage à l’acte vio<strong>le</strong>nt se fait plus faci<strong>le</strong>ment. Jesuis prudent sur ces questions-là, parce que <strong>la</strong> presse a toujours tendanceà simplifier <strong>le</strong>s choses et à établir des re<strong>la</strong>tions de cause à effet beaucouptrop simplistes alors que <strong>le</strong>s choses sont infiniment comp<strong>le</strong>xes.La troisième conséquence pose <strong>la</strong> question de l’insertion et de l’activitéprofessionnel<strong>le</strong>. On sait aujourd’hui que 4,5 à 5 % des sa<strong>la</strong>riés ont des difficultésimportantes d’écriture surtout, de <strong>le</strong>cture aussi, d’argumentation etd’explication. Ce<strong>la</strong> signifie qu’une part non négligeab<strong>le</strong> des gens au travailont des difficultés et sont cantonnés à des activités routinières parce quel’il<strong>le</strong>ttrisme ne permet ni <strong>le</strong> changement ni l’évolution. L’il<strong>le</strong>ttrisme imposeque l’on fasse toujours <strong>la</strong> même chose. Tout changement de procédure,tout changement d’instrument est immédiatement source de difficultés. Ilfaut donc réfléchir à ce<strong>la</strong>, réfléchir au fait que dans <strong>le</strong>s entreprises, certainesplus que d’autres, nous avons un problème de capacité effective à porternotre pensée, à expliquer, à argumenter, à mettre sur <strong>la</strong> tab<strong>le</strong> un certainnombre d’arguments et de propositions.En ce qui concerne <strong>le</strong>s enjeux, <strong>la</strong> question suivante se pose : 14 ans d’éco<strong>le</strong>et plus ou moins 11 % de jeunes de 16-17 ans, en difficulté, 17 à 18 % dèsl’entrée au collège. D’emblée, je réfute l’idée que notre éco<strong>le</strong> est immédiatementet directement seu<strong>le</strong> responsab<strong>le</strong> de cet échec important. D’emblée,je réfute l’idée qu’il puisse s’agir d’un simp<strong>le</strong> problème de méthode. Cetteidée que tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> méthode de <strong>le</strong>cture serait responsab<strong>le</strong> du dégât netient pas <strong>la</strong> route, je vous <strong>le</strong> dis avec toute <strong>la</strong> compétence qui est <strong>la</strong> miennedans ce domaine. Oublions l’idée qu’il suffirait de changer de méthode de<strong>le</strong>cture <strong>pour</strong> éradiquer l’il<strong>le</strong>ttrisme en France. Qu’un ministre ou toute autre2223


personne tienne ces propos n’a pas de sens. Il faut l’écarter d’emblée. Ilserait tel<strong>le</strong>ment simp<strong>le</strong>, tel<strong>le</strong>ment formidab<strong>le</strong> de pouvoir dire : « Nous allonschanger de méthode de <strong>le</strong>cture et il n’y aura plus d’il<strong>le</strong>ttrisme. » Ce<strong>la</strong> estdénué de fondement, mais ne veut pas dire <strong>pour</strong> autant que toutes <strong>le</strong>sméthodes se va<strong>le</strong>nt, loin de là.Quel<strong>le</strong> que soit <strong>la</strong> qualité d’une méthode de <strong>le</strong>cture, un enfant qui arrive auseuil de l’apprentissage avec une <strong>la</strong>ngue, un vocabu<strong>la</strong>ire ou des structuresgrammatica<strong>le</strong>s déficientes n’a que très peu de chance d’apprendre à lire.Tout se joue avant et tout se joue après. Un constat s’impose : c’est dans<strong>la</strong> continuité du système que se joue <strong>la</strong> question de l’il<strong>le</strong>ttrisme aujourd’huiet non pas sur un point particulier du système.Deuxième point, nous devons aussi considérer que <strong>la</strong> réalité de notre éco<strong>le</strong>a énormément changé. Souvenons-nous <strong>pour</strong> l’avoir passé, il y a une quarantained’années, que l’examen d’entrée en sixième éliminait des étudessecondaires <strong>le</strong>s trois quarts d’une c<strong>la</strong>sse d’âge. Il ne faut pas regretter cetemps, c’était un temps cruel et injuste, l’élimination d’une partie d’une c<strong>la</strong>ssed’âge était brutal, mais <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion sco<strong>la</strong>ire était triée sur <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>t. Il s’agissaitd’enfants connaissant <strong>le</strong>ur métier d’élève, disposant d’une certaine sécuritélinguistique, <strong>le</strong>s autres avaient été soigneusement mis sur <strong>le</strong> côté. Quand selève cette barrière et que l’éco<strong>le</strong> engage une action de massification considérab<strong>le</strong>,alors cette popu<strong>la</strong>tion change complètement de nature. Ce sontces enfants-là que l’éco<strong>le</strong> de <strong>la</strong> République accepte, c’est à eux qu’el<strong>le</strong>ouvre ses portes, ce sont eux qu’el<strong>le</strong> s’engage à conduire sur un parcoursd’études longues.C’était <strong>le</strong> pari de <strong>la</strong> démocratisation, mais l’éco<strong>le</strong> a gagné <strong>le</strong> pari de <strong>la</strong> massificationet a perdu celui de <strong>la</strong> démocratisation. Si l’on avait véritab<strong>le</strong>mentvoulu donner des chances à tous, il eût fallu, bien évidemment, changer enprofondeur notre éco<strong>le</strong>, or ce<strong>la</strong> n’a pas été <strong>le</strong> cas. El<strong>le</strong> a un peu bougé, el<strong>le</strong>a peint certains de ses pans de murs, mais en profondeur, el<strong>le</strong> n’a paschangé. Une éco<strong>le</strong> qui n’évolue pas tandis que sa popu<strong>la</strong>tion s’est tota<strong>le</strong>mentmodifiée ne pouvait pas réussir <strong>le</strong> pari de <strong>la</strong> démocratisation.Que s’est-il passé ? L’éco<strong>le</strong> a décrété <strong>la</strong> démocratisation, el<strong>le</strong> a décidé qu’el<strong>le</strong>al<strong>la</strong>it faire en sorte que <strong>la</strong> majeure partie des enfants réussissent et que <strong>le</strong>taux de réussite au bacca<strong>la</strong>uréat atteindrait 80 %. « Décrété », comme si l’onpouvait décréter <strong>la</strong> réussite. La réussite ne se décrète pas, el<strong>le</strong> se gagne, el<strong>le</strong>se construit. Il s’agit d’une batail<strong>le</strong>, au quotidien avec des moyens véritab<strong>le</strong>s,de réel<strong>le</strong>s modifications, de vraies dou<strong>le</strong>urs dans ces modifications com-“On a différél’évaluationdes compétencesdes élèveset des enfantsse sont trouvésprécipités dansce systèmedepuis<strong>la</strong> maternel<strong>le</strong>jusqu’au Bac,alors qu’ils nepossédaient pasmême <strong>le</strong>s savoirsfondamentauxnécessaires...”pliquées et diffici<strong>le</strong>s. Les 80 % de réussite au bacca<strong>la</strong>uréat,<strong>la</strong> dilution du bacca<strong>la</strong>uréat dans des filières bizarres et étranges,<strong>la</strong> baisse du niveau, même si ça ne semb<strong>le</strong> pas très progressisteà dire, sont responsab<strong>le</strong>s d’un faire semb<strong>la</strong>nt deréussite massive. On a différé l’évaluation des compétencesdes élèves, année après année, et des enfants se sont trouvésprécipités dans ce système depuis <strong>la</strong> maternel<strong>le</strong> jusqu’auBac, alors qu’ils ne possédaient pas même <strong>le</strong>s savoirs fondamentauxnécessaires. Malgré ce<strong>la</strong> on a <strong>la</strong>issé al<strong>le</strong>r avec deterrib<strong>le</strong>s comp<strong>la</strong>isances et on a différé <strong>le</strong>s constats.Qui fait ces constats aujourd’hui ? Moi, à l’université, lorsque<strong>le</strong>s étudiants arrivent à Bac + 2 ou Bac + 3 et que je constateque près de 20 à 25 % d’entre eux, l’an dernier, ne savaientpas exprimer sur <strong>le</strong> papier une pensée simp<strong>le</strong> dont nous avionsparlé toute l’année. Ce n’est pas <strong>le</strong> manque de connaissancesqui est en cause, mais l’incapacité à expliquer quelquechose c<strong>la</strong>irement, c’est-à-dire un savoir fondamental. Etquand je suis à ce moment-là obligé de dire que ce<strong>la</strong> ne vapas, ils ont raison de me dire « c’est scanda<strong>le</strong>ux », parce quece n’est pas à Bac + 2 que l’on doit faire <strong>le</strong> constat des difficultésconcernant des savoirs fondamentaux. C’est trop tard,c’est cruel, c’est un verdict sans appel et nous sommesaujourd’hui coupab<strong>le</strong>s, de ce point de vue, d’un mensongequi traverse <strong>la</strong> totalité de notre éco<strong>le</strong>.C’est une des questions que nous devons nous poseraujourd’hui : quel<strong>le</strong> est cette comp<strong>la</strong>isance qui <strong>la</strong>isse, quipropose à un enfant de passer au niveau supérieur <strong>pour</strong>mieux <strong>le</strong> massacrer ensuite ? Un système comp<strong>la</strong>isant dansson passage et cruel dans son arrêt est un système qui nejoue effectivement pas <strong>le</strong> jeu de <strong>la</strong> démocratisation. Un motde façon qu’il n’y ait pas d’ambigüité, sans revenir sur l’examend’entrée de sixième, je pense que l’évaluation sérieusedes acquis et des insuffisances aux étapes clés du système,notamment après <strong>le</strong> cours préparatoire et avant <strong>le</strong> passageen sixième, est une nécessité. Non pas <strong>pour</strong> dire « redoub<strong>le</strong> »,non pas <strong>pour</strong> dire « tu n’iras pas plus loin », mais <strong>pour</strong> dire :« Nous allons t’aider effectivement, par un soutien personnalisé,à faire en sorte que <strong>le</strong> passage à l’échelon supérieur aitune chance de te mener où tu veux, où tu peux al<strong>le</strong>r. »2425


“«Que veux-tu faireet que faut-il savoir<strong>pour</strong> réaliserce que tu veux ?»est <strong>le</strong> fondement del’opération «Savoirs<strong>pour</strong> réussir».”Dernière question qui se pose, que fait-on ? Toute <strong>la</strong> questionest là. La réponse que nous tentons d’apporter aujourd’huiest à <strong>la</strong> fois soup<strong>le</strong> et très exigeante. Nous nous adressonsà des jeunes adultes, de 16 à 25 ans, qui ont été « ba<strong>la</strong>dés »de c<strong>la</strong>sse en c<strong>la</strong>sse par notre système éducatif, souventaccueillis au seuil de <strong>le</strong>ur nouvel<strong>le</strong> c<strong>la</strong>sse par des gens quis’étonnent de <strong>le</strong>s voir encore là, alors qu’ils ont <strong>pour</strong>tantl’obligation d’y être. « Que fais-tu là, toi qui ne sais pas identifierun mot ? Que fais-tu là, toi qui ne sais pas lire un texte ?Que fais-tu là, toi qui ne sais pas lire un énoncé de mathématiques,un texte historique, un schéma ? » Ces enfants ontété, année après année, accueillis par ces mots-là et sontceux-là même que nous prétendons accueillir. Si nous nouscontentons de <strong>pour</strong>suivre <strong>le</strong>s méthodes de l’éco<strong>le</strong>, nous seronsfichus. Si nous <strong>le</strong>ur disons : « Nous allons recommencer àvous apprendre ce que vous n’avez pas su apprendre, paspu apprendre », nous sommes fichus. Il n’est pas questionde <strong>le</strong>ur faire d’emblée une proposition de resco<strong>la</strong>risation.Recommencer ce qui a échoué serait une erreur fondamenta<strong>le</strong>.Nous avons donc résolu dans cette opération « Savoirs <strong>pour</strong>réussir » d’inverser l’ordre des facteurs, nous demandons àces jeunes gens : « Que te reste-t-il comme envies ? Que tereste-t-il comme désirs ? Comment penses-tu que l’on <strong>pour</strong>raitenvisager un avenir que tu n’envisageais pas ou peujusqu’ici ? » Nous ferons vraie proposition de parcours à partird’un projet qui se construit peu à peu : « Tu as envie d’arriverà ce point-là ? » Considérons avec lucidité ce qu’il faut <strong>pour</strong>en arriver là. L’idée qui consiste non pas à dire « apprends ettu <strong>pour</strong>ras ensuite faire », mais « que veux-tu faire et que fautilsavoir <strong>pour</strong> réaliser ce que tu veux ? » est <strong>le</strong> fondement del’opération « Savoirs <strong>pour</strong> réussir ».L’opération repose sur l’accompagnement et <strong>le</strong> tutorat etn’est pas faci<strong>le</strong> à mettre en œuvre <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s tuteurs. La solutionde facilité <strong>pour</strong> eux consisterait à dire : « Tu ne sais pas,je vais t’apprendre. Tu sais mal lire, je vais t’apprendre à lire.Tu ne sais pas écrire ou tu fais des fautes d’orthographe, onva faire de l’orthographe. Tu ne sais pas compter, je vaist’apprendre à compter.» Cette générosité immédiate decelui qui sait envers celui qui ne sait pas est vouée à l’échec.Ces jeunes adultes ont besoin que nous <strong>le</strong>ur apportions <strong>la</strong> preuve de l’utilitéde l’apprentissage. Un des défis de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » est que <strong>la</strong> chargede <strong>la</strong> preuve nous appartient. C’est à nous de prouver que ce<strong>la</strong> vaut <strong>le</strong> coupalors que ce<strong>la</strong> ne va plus de soi. Des années d’échec ont effacé l’utilitémême de l’apprentissage. C’est l’apprentissage en tant que tel qui se trouvemis à mal parce qu’à force de ne pas pouvoir apprendre, de ne pas savoir<strong>pour</strong>quoi on apprend, on n’apprend plus et l’apprentissage lui-même seretrouve mis en cause.La priorité de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » est cel<strong>le</strong>-là d’abord et avant tout. Saréussite se doub<strong>le</strong> d’un accompagnement quotidien par des tuteurs formés.La formation des tuteurs de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » est <strong>le</strong> cœur du cahierdes charges. Si l’on n’arrive pas à tenir <strong>la</strong> formation des tuteurs, travail sur<strong>le</strong>quel l’équipe de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> met vraiment tous ses efforts, alors nouséchouerons parce que <strong>le</strong> projet dérivera.Il est fondamental d’accueillir un jeune, de savoir ce qu’il lui reste encorecomme projets, comme désirs, de l’aider à rég<strong>le</strong>r un minimum des problèmesessentiels comme <strong>la</strong> santé, <strong>le</strong> logement, sans <strong>le</strong>squels rien ne peut êtreentrepris ; définir un parcours, assurer dans ce parcours <strong>la</strong> restaurationessentiel<strong>le</strong> des savoirs de base et l’amener à un projet d’insertion, représenteau minimum deux ans d’accompagnement. C’est à partir de cetaccompagnement, au quotidien, où <strong>le</strong> tuteur a l’exigence d’une régu<strong>la</strong>ritéessentiel<strong>le</strong>, que l’on a une chance d’al<strong>le</strong>r au bout.Il est vrai que ce<strong>la</strong> est diffici<strong>le</strong>, deux ans, c’est long, ce<strong>la</strong> coûte cher, mais<strong>le</strong>s dégâts sont tels que l’on ne restaure pas d’un coup de baguette magiqueune confiance en soi, une confiance dans <strong>la</strong> vie, dans <strong>la</strong> réalisation de ceque l’on peut faire. C’est <strong>pour</strong>quoi <strong>le</strong> travail en aval, doit s’accompagnerd’un travail en amont de façon à ce que l’on puisse passer de 11 % d’il<strong>le</strong>ttrésen France à des chiffres comparab<strong>le</strong>s à ceux des pays du Nord, c’est-à-dire4,5 ou 5 %. Nous ne descendrons pas plus bas, mais il y a une réel<strong>le</strong> différenceentre 11 % et 4,5 ou 5 %.Nous nous sommes engagés dans cette opération avec l’équipe de <strong>la</strong><strong>Fondation</strong>, avec toutes <strong>le</strong>s personnes sur <strong>le</strong> terrain et nous avons fait <strong>le</strong>pari qu’il n’y avait pas de fatalité, que l’on ne baissait jamais <strong>le</strong>s bras, c’esteffectivement ensemb<strong>le</strong> que nous allons tenter de donner un avenir à ceuxqui n’en ont pas.2627


Gabriel Tarlé, coordinateur pédagogique de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » en Aquitaine«L’écrit et <strong>la</strong> capacité de changerde point de vue»sur des exemp<strong>le</strong>s tirés de mon vécu ici ou là. Bien sûr, on ne retrouvera pasces situations tel<strong>le</strong>s quel<strong>le</strong>s en France en 2007. Mon but étant seu<strong>le</strong>mentde faire prendre conscience de certains obstac<strong>le</strong>s.Avant de par<strong>le</strong>r de <strong>la</strong> nécessité éducative dans l’insertion , je vouspropose un voyage découverte dans <strong>le</strong> monde de l’analphabétisme,c’est-à-dire dans un monde sans contact réel avec l’écrit,<strong>pour</strong> mieux comprendre, de façon amplifiée, certains types dedifficultés rencontrés par <strong>le</strong>s il<strong>le</strong>ttrés.Pour ce faire il nous faut une clé, c’est Jack Goody qui me l’a fournie dès1970 dans son ouvrage La Raison graphique. Il affirme que <strong>le</strong> monde del’oral n’est ni atechnique, ni ascientifique, il génère des savoirs, manipu<strong>le</strong>des va<strong>le</strong>urs, mais, car il y a un mais, toutes ces connaissances sont polluéespar <strong>le</strong>s interférences propres au monde oral (tenue de l’interlocuteur,voix, gestes, environnement…). L’écrit, lui, permet <strong>la</strong> transformation de <strong>la</strong>pensée en une série de signes matériels, débarrassés en grande partie deces interférences. La pensée devient un objet manipu<strong>la</strong>b<strong>le</strong>, décorticab<strong>le</strong>,analysab<strong>le</strong>. On passe d’une pensée subjective à une pensée objective.Cette difficulté à objectiver qu’éprouvent <strong>le</strong>s analphabètes va générer desblocages, des troub<strong>le</strong>s si l’on introduit trop rapidement et sans précautionl’écrit dans un monde oral. Pour illustrer cette affirmation je vais m’appuyerLa première caractéristique de l’écrit est d’introduire une dimension spatiotemporel<strong>le</strong>parfois différente, toujours plus amp<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> de l’oral. Ce dernierme limite dans <strong>le</strong> temps à l’exercice de ma mémoire et dans l’espace auxpossibilités de mes dép<strong>la</strong>cements corporels. Cette prééminence du « icimaintenant » conduit à des difficultés pas toujours faci<strong>le</strong>s à analyser.Ainsi, au niveau de l’écriture, <strong>le</strong>s indiens Quetchua refusaient de s’entraînersur des modè<strong>le</strong>s en pointillés et étaient paralysés quand <strong>le</strong> nombre de lignesà effectuer était pair.Influencés par <strong>le</strong>s techniques du tissage ils rejetaient <strong>le</strong> travail mal fait (<strong>le</strong>smodè<strong>le</strong>s en pointillés) et ne pouvaient se dép<strong>la</strong>cer qu’à partir d’une lignede symétrie visib<strong>le</strong> (symbolique du poncho), ils commençaient par <strong>la</strong> lignedu milieu avec une cou<strong>le</strong>ur unique, puis passaient à cel<strong>le</strong> du dessus puisdu dessous avec une autre cou<strong>le</strong>ur, etc.Ces perceptions différentes de l’espace se retrouvent lorsqu’on demandeà un Indien Quetchua à quel<strong>le</strong> distance on se trouve d’un lieu. Il aura tendanceà dire que ce n’est pas très loin « aquisito », car <strong>pour</strong> lui, <strong>le</strong> tempsn’étant pas linéaire mais circu<strong>la</strong>ire, l’espace est perçu comme un cerc<strong>le</strong>dont il est <strong>le</strong> centre. Il indique donc <strong>la</strong> moitié de <strong>la</strong> distance réel<strong>le</strong> et si on2829


“Le temps de l’ora<strong>le</strong>st un temps dans<strong>le</strong>quel <strong>le</strong> futur esttel<strong>le</strong>ment incertainque <strong>le</strong>s promessesprésentes engagentpeu, d’où <strong>la</strong>difficulté de faireconstruire desprojets.”ajoute qu’il se dép<strong>la</strong>ce <strong>le</strong> plus souvent en courant on comprendque sa perception n’est pas <strong>la</strong> nôtre.Un exemp<strong>le</strong> intéressant d’interférence à conséquence économiqueest l’utilisation de l’argent dans une civilisation dutroc. Les incas ne connaissaient pas <strong>le</strong>s échanges monétaireset <strong>le</strong> troc s’effectuait toujours entre objets de va<strong>le</strong>uréquiva<strong>le</strong>nte. Les indiens ont donc catégorisé <strong>le</strong>s types demonnaies, <strong>le</strong>s pièces sont trocab<strong>le</strong>s contre <strong>le</strong>s fruits etlégumes ; <strong>le</strong>s bil<strong>le</strong>ts de 10 et 20 contre <strong>le</strong>s produits de l’épicerie; <strong>le</strong>s bil<strong>le</strong>ts de 100 ou 1000 contre <strong>la</strong> viande. Si l’indiendispose d’un bil<strong>le</strong>t de 1000 <strong>pour</strong> al<strong>le</strong>r au marché il ne sedép<strong>la</strong>cera pas en fonction de <strong>la</strong> distance ou du poids desmarchandises, mais ira de l’étal de viande à l’épicerie et terminerases achats par <strong>le</strong>s fruits et légumes afin d’obtenir àchaque fois <strong>le</strong> type de monnaie qui permet <strong>le</strong> troc.Au niveau du temps on est toujours frappé par <strong>le</strong> côté répétitifdes activités sans tenir compte des échecs ou succèspassés. L’exemp<strong>le</strong> de perception différente du temps, je l’airencontré chez <strong>le</strong>s voyageurs. Trop souvent un enfant à quiun enseignant a fait promettre de rapporter quelque chose<strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain se fera traiter de menteur s’il n’accomplit passa promesse, alors que <strong>pour</strong> lui <strong>la</strong> rencontre d’un hérisson,<strong>la</strong> demande d’un père ont occulté l’engagement précédent.Le temps du voyage demande une très grande réactivité,une remise en cause permanente du futur. Le temps de l’ora<strong>le</strong>st un temps dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> futur est tel<strong>le</strong>ment incertain que<strong>le</strong>s promesses présentes engagent peu, d’où <strong>la</strong> difficulté defaire construire des projets. Ce vécu intense du présentexplique aussi <strong>la</strong> « frime » chez <strong>le</strong>s voyageurs et <strong>le</strong>ur capacité à dépenserparfois en un jour ce qui aurait permis de vivre une semaine ou un mois.Un des aspects souvent négligé de ces problèmes de perception spatiotemporel<strong>le</strong>explique sûrement <strong>le</strong>s difficultés à percevoir <strong>le</strong>s dessins, <strong>le</strong>sschémas, etc. Nos civilisations occidenta<strong>le</strong>s oublient que entre un dessinet <strong>le</strong> réel l’écart est considérab<strong>le</strong>. Le dessin ne bouge pas, ne fait pas debruit, n’a pas d’odeur, n’a pas de profondeur, il peut parfois représenterdes choses sous des ang<strong>le</strong>s rarement perçus dans <strong>la</strong> vie (vue de dessus,vue de dessous, vue en coupe, etc).Face à ces difficultés, l’analphabète va projeter dans <strong>le</strong> dessin ses angoissesdu moment (en Haïti, un coq de combat perçu comme un lit par unepersonne dont l’enfant était mourant) ou se bloquer sur un détail enoubliant <strong>le</strong> tout (en Haïti, une personne identifiant un coq comme un animalmais se concentrant sur <strong>le</strong>s deux parties du bec ouvert <strong>pour</strong> affirmerqu’il s’agissait d’un bœuf). Parfois il peut reconnaître <strong>le</strong>s objets mais êtregêné par <strong>le</strong> point de vue (en Haïti, une personne capab<strong>le</strong> d’identifier surune première image un camion chargé de marchandises, sur <strong>la</strong> deuxièmedes trous dans <strong>la</strong> route, sur <strong>la</strong> troisième des gens <strong>le</strong>vant <strong>le</strong>s bras en signede malheur mais incapab<strong>le</strong> de reconnaître <strong>le</strong> camion de <strong>la</strong> première imagerenversé dans <strong>le</strong> ravin). L’image ne peut donc pas être première dans unesociété de l’oral. Ce phénomène existe aussi dans nos sociétés et A<strong>la</strong>inBentoli<strong>la</strong> a plusieurs fois souligné <strong>le</strong>s dangers d’interprétation par <strong>le</strong>senfants de certaines publicités.Je voudrais ici citer un exemp<strong>le</strong> dramatique dans <strong>le</strong>quel <strong>la</strong> pensée subjectivea permis d’occulter <strong>le</strong>s souffrances de certaines mères haïtiennes de<strong>la</strong> région des Côtes de Fer.Ce<strong>la</strong> se passe en 1975. J’ai remarqué un comportement qui me semb<strong>le</strong>aberrant. Les mères ne par<strong>le</strong>nt pratiquement pas à <strong>le</strong>ur nouveau-né, se3031


contentant de <strong>le</strong>ur donner <strong>le</strong> sein quand il p<strong>le</strong>ure, mais en revanche jouentavec lui, ne cessent de lui par<strong>le</strong>r, passent tous ses caprices dès qu’il aatteint environ sa deuxième année.Je demande de l’aide à Paris-V, A<strong>la</strong>in Bentoli<strong>la</strong> m’envoie <strong>le</strong> professeur Guyde Montis de l’hôpital St-Vincent-de-Paul. Au cours de nos enquêtes, à <strong>la</strong>question : « Savez-vous comment se font <strong>le</strong>s enfants ? » La réponse estimmédiate : « sé bondyé ki bay timoun » (c’est Dieu qui donne <strong>le</strong>s enfants).Nous interprétons ce<strong>la</strong> comme un simp<strong>le</strong> dicton à connotation religieuse,mais, face à <strong>la</strong> réitération de ce type de réponse, Guy de Montis demandede poser <strong>la</strong> question différemment : « Si vous ne faites pas l’amour pendantplus d’un an, pouvez-vous avoir un enfant ? ». Réponse : « si dyé vlé » (siDieu <strong>le</strong> veut). Nous mettrons plusieurs jours à comprendre.Privés de savoirs car <strong>le</strong>s anciens étaient restés en Afrique ou étaient mortspendant <strong>le</strong> voyage, privés de moyens de communiquer car on ne mettaitjamais deux esc<strong>la</strong>ves de même <strong>la</strong>ngue sur <strong>la</strong> même habitation séparantparfois <strong>le</strong> mari de <strong>la</strong> femme, <strong>la</strong> mère de ses enfants, ils ont du réinventerde nouvel<strong>le</strong>s <strong>la</strong>ngues, <strong>le</strong>s créo<strong>le</strong>s. Les mères descendantes de ces esc<strong>la</strong>vesconfrontées à une mortalité infanti<strong>le</strong> insoutenab<strong>le</strong> (450/1000) ont utilisé<strong>le</strong> mythe de <strong>la</strong> vierge <strong>pour</strong> échapper à <strong>la</strong> dou<strong>le</strong>ur de <strong>la</strong> perte. El<strong>le</strong>s raisonnentainsi : « Dieu fait <strong>le</strong>s enfants et pendant un temps, entre 1 et 2 ans, il <strong>le</strong>sobserve. S’ils sont mal faits il <strong>le</strong>s rappel<strong>le</strong> à lui et en fera d’autres, s’ils passent<strong>le</strong> cap des 2 ans ils sont à <strong>le</strong>ur mère. » On imagine <strong>le</strong>s dégâts considérab<strong>le</strong>ssubis par ces enfants non sollicités dans <strong>le</strong>urs premières années.“De nombreuxéchecs dans <strong>le</strong>développementéconomique ont<strong>pour</strong> origine <strong>la</strong>méconnaissancedes comportementsculturels desgroupes auxquelson s’adresse.”Comment rétablir <strong>la</strong> vérité scientifique, <strong>la</strong> pensée objective, sil’on n’est pas en mesure de combattre <strong>la</strong> mortalité infanti<strong>le</strong> ?On <strong>pour</strong>rait multiplier <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s qui montrent commentde nombreux échecs dans <strong>le</strong> développement économiqueont <strong>pour</strong> origine <strong>la</strong> méconnaissance des comportementsculturels des groupes auxquels on s’adresse. Dès 1970,Cheik Hamidou Kane nous mettait en garde en écrivant :« Les gens de chez moi sont hosti<strong>le</strong>s au changement parcequ’ils ont compris que <strong>le</strong> changement revêtu des oripeauxde <strong>la</strong> modernité qu’on <strong>le</strong>ur proposait consistait à renoncer à<strong>le</strong>ur caractère, à <strong>le</strong>ur personnalité et donc à <strong>le</strong>ur dignité. On<strong>le</strong>s conviait à devenir <strong>le</strong>s esc<strong>la</strong>ves des modè<strong>le</strong>s étrangersqu’ils ne maîtrisaient pas. »Dans son discours de clôture des cinquièmes Diagona<strong>le</strong>sDidier-Ro<strong>la</strong>nd Tabuteau citait Pierre Lecomte de Noüy, il mepardonnera donc de <strong>le</strong> p<strong>la</strong>gier : « Il n’existe pas d’autresvoies à l’éducation et au progrès des hommes que <strong>le</strong> respectde <strong>le</strong>ur dignité. »3233


Samia Hassaine, chef de projet de l’association « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » de Savoie«Savoirs <strong>pour</strong> réussir»:redonner l’envie d’apprendreNotre démarche consiste à identifier dès <strong>le</strong> début du suivi <strong>le</strong> potentiel dechaque jeune – même si certains maîtrisent peu de choses au départ – <strong>pour</strong>pouvoir l’aider à progresser. La confiance du jeune ne peut être restauréeque dans <strong>le</strong> cadre de <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion avec <strong>le</strong> tuteur.Qui sont <strong>le</strong>s jeunes accueillis dans <strong>le</strong>s centres « Savoirs <strong>pour</strong>réussir » ? La question est primordia<strong>le</strong> car ils sont au cœur dudispositif. Ces jeunes ont des points communs : ils se situentdans <strong>la</strong> même tranche d’âge – entre 16 et 25 ans –, ils sontdégagés des obligations sco<strong>la</strong>ires – même si certains sont sco<strong>la</strong>risés – etils n’ont généra<strong>le</strong>ment pas droit au revenu minimum d’insertion puisqu’ilfaut avoir plus de 25 ans <strong>pour</strong> en bénéficier. Ils traversent éga<strong>le</strong>ment unepériode crucia<strong>le</strong> : <strong>le</strong> passage de l’ado<strong>le</strong>scence à l’âge adulte, avec <strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>versementset <strong>le</strong>s questionnements que ce<strong>la</strong> entraîne.Un autre trait commun réunit tous <strong>le</strong>s jeunes de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » :une difficulté face aux savoirs de base. Quel<strong>le</strong> que soit <strong>le</strong>ur situation faceà ces savoirs, ils sont en rupture d’apprentissage et il nous incombe <strong>le</strong>lourd travail de <strong>le</strong>ur redonner l’envie d’apprendre.Ils partagent éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> même sentiment de dévalorisation et se sentent« incapab<strong>le</strong>s de ». Ils disent parfois : « Non, je ne sais pas faire ce<strong>la</strong>, moi. Ilfaut être intelligent <strong>pour</strong> <strong>le</strong> faire. » La perception très négative qu’ils ontd’eux-mêmes nous impose un travail de valorisation important tout au longde l’accompagnement sans quoi nous ne pouvons pas progresser avec eux.Les parcours sont divers et variés. Certains jeunes sont encore sco<strong>la</strong>risés,très peu dans notre association en Savoie, mais dans d’autres centres denombreux jeunes <strong>le</strong> sont. D’autres ont quitté l’éco<strong>le</strong> depuis très peu detemps et nous <strong>le</strong>s accueillons à <strong>la</strong> sortie du système sco<strong>la</strong>ire. D’autresencore ont, en revanche, quitté l’éco<strong>le</strong> depuis plusieurs années. Ils arriventà l’association à 21, 22 ou 23 ans, et sont depuis longtemps en ruptureavec <strong>le</strong>s apprentissages. Ce<strong>la</strong> semb<strong>le</strong> diffici<strong>le</strong> à concevoir mais certains deces jeunes n’ont quasiment eu aucun rapport avec l’écrit pendant cinq, six ousept ans. Ils ne lisent pas un livre et passent à côté de l’écrit pendant toutesces années. La tâche est ardue <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s réconcilier avec <strong>le</strong>s savoirs de base.Les jeunes qui se rendent à « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » ne savent pas toujoursce qui motive <strong>le</strong>ur venue, ils ont parfois un projet professionnel.Certains aimeraient se former, notamment <strong>le</strong>s jeunes âgés de 22 ou 23ans qui, après un temps de rupture, parfois même d’errance socia<strong>le</strong>, ontdéjà fait des « petits boulots » et se rendent compte qu’ils n’ont pasenvie de faire ce<strong>la</strong> toute <strong>le</strong>ur vie. Le simp<strong>le</strong> fait d’intégrer un organismede formation n’est pas une démarche faci<strong>le</strong> et peut être prématuré : ilsne se sont pas assis sur une chaise <strong>pour</strong> essayer de se concentrer etd’apprendre depuis si longtemps.3435


Les jeunes viennent nous voir <strong>pour</strong> différentes raisons.La difficulté de l’apprentissage du code de <strong>la</strong> route est un bon exemp<strong>le</strong>. Lepermis de conduire est un <strong>le</strong>vier, c’est l’objectif de près de 100 % des jeuneset <strong>pour</strong> ceux qui n’ont aucun diplôme, c’est l’occasion de pouvoir enfindisposer d’un papier et de pouvoir dire « j’ai réussi quelque chose ». Mais<strong>pour</strong> certains, <strong>la</strong> compréhension des questions est une difficulté ; <strong>le</strong> vocabu<strong>la</strong>ireutilisé <strong>le</strong>ur est inconnu : chacun d’entre nous sait ce qu’est uneagglomération ou un accotement, mais ce n’est pas évident <strong>pour</strong> ces jeuneset l’absence de maîtrise du vocabu<strong>la</strong>ire est un obstac<strong>le</strong> à l’obtention du code.Chaque situation est particulière et chaque jeune bénéficie d’un accueilpersonnalisé. Ils sont orientés vers nous par différentes voies, l’armée estnorma<strong>le</strong>ment <strong>la</strong> principa<strong>le</strong>. Un prescripteur qui nous adresse un jeune –au-delà de l’intérêt du jeune et de son évolution possib<strong>le</strong> – voit parfois <strong>le</strong>schoses à court terme. L’expression des motivations des jeunes nous permetalors de déterminer <strong>la</strong> demande véritab<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s objectifs sous-jacents. Quelssont <strong>le</strong>s enjeux <strong>pour</strong> ces jeunes ? A<strong>la</strong>in Bentoli<strong>la</strong> disait l’importance depouvoir s’exprimer, de se faire comprendre, se faire entendre. Les jeunesque nous suivons dans <strong>le</strong>s associations « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » disposentsouvent d’un nombre limité de mots à <strong>le</strong>ur vocabu<strong>la</strong>ire, et n’osent pass’exprimer. Il est diffici<strong>le</strong>, lorsque l’on n’a pas <strong>le</strong>s mots <strong>pour</strong> dire <strong>le</strong>s choses,de communiquer avec <strong>le</strong>s autres. Certains jeunes de l’association ont parfoisdu mal à se faire comprendre, nous <strong>le</strong>s aidons à exprimer ce qu’ils veu<strong>le</strong>ntvéritab<strong>le</strong>ment dire et à surmonter <strong>le</strong>urs blocages. L’enjeu est d’obtenir queces jeunes osent par<strong>le</strong>r : ensuite, il faut qu’ils se fassent comprendre. Ainsi,une jeune de l’association s’était approprié des mots compliqués, peu utilisés,et il lui arrivait parfois de <strong>le</strong>s « lâcher » dans des phrases de façon tout àfait inopinée, et il était alors diffici<strong>le</strong> de comprendre ce qu’el<strong>le</strong> vou<strong>la</strong>it dire.La maîtrise des savoirs de base permet d’entrer en contact avec <strong>le</strong>s autres,de pouvoir mettre en mots sa pensée et de l’exprimer correctement.Al<strong>le</strong>r voter veut éga<strong>le</strong>ment dire être capab<strong>le</strong> de comprendre <strong>le</strong> messagetransmis par <strong>le</strong>s politiques, pouvoir <strong>le</strong> décoder et jouer p<strong>le</strong>inement son rô<strong>le</strong>“Al<strong>le</strong>r voter veutéga<strong>le</strong>ment direêtre capab<strong>le</strong>de comprendre<strong>le</strong> messagetransmis par<strong>le</strong>s politiqueset jouerp<strong>le</strong>inementson rô<strong>le</strong>de citoyen.Nous avonsrécemmentmis en p<strong>la</strong>ceun atelier citoyenet un atelieré<strong>le</strong>ctions...”de citoyen. Nous avons récemment mis en p<strong>la</strong>ce un ateliercitoyen et un atelier é<strong>le</strong>ctions afin qu’ils apprennent à maîtriser<strong>le</strong>s savoirs de base. Pour que ces jeunes puissent trouver<strong>le</strong>ur p<strong>la</strong>ce dans <strong>la</strong> société il est impératif d’intégrer uncertain nombre de codes, d’arriver à <strong>le</strong>s maîtriser et à <strong>le</strong>sretransmettre.Le dernier enjeu est celui qui nous réunit aujourd’hui, l’insertion: pouvoir s’insérer durab<strong>le</strong>ment tant socia<strong>le</strong>ment queprofessionnel<strong>le</strong>ment. Or, beaucoup de jeunes ne maîtrisentpas <strong>le</strong>s savoirs de base et trouvent néanmoins du travail.La majorité des jeunes que nous voyons à l’association, ont18, 19 ou 20 ans, ils sont débrouil<strong>la</strong>rds et s’ils ont envie detravail<strong>le</strong>r, ils y arrivent : petits boulots, missions intérimaireset éventuel<strong>le</strong>ment un CDD de trois mois comme manœuvredans <strong>le</strong> BTP. Certaines personnes travail<strong>le</strong>nt parfois longtempsdans une entreprise sans maîtriser <strong>le</strong>s savoirs de base, mais<strong>le</strong> problème se pose au moment où se profi<strong>le</strong> une évolutionprofessionnel<strong>le</strong> : <strong>pour</strong> remplir un bordereau, il faut maîtriser<strong>le</strong>s savoirs de base.Cet enjeu est d’importance. Un jeune de 19 ans dans cettesituation est venu nous voir : il était employé en CDI dans unrestaurant McDonald’s depuis environ huit mois, il était trèscontent, motivé, valorisé par son travail. Il était préparateurde sandwichs et on lui a proposé une évolution professionnel<strong>le</strong>.Il s’agissait d’un poste en caisse, qui <strong>le</strong> mettait en contactavec <strong>la</strong> clientè<strong>le</strong>, mais qui nécessitait <strong>la</strong> maîtrise du « rendumonnaie ». Il ne savait pas <strong>le</strong> faire et c’est <strong>la</strong> raison de savenue à « Savoirs <strong>pour</strong> réussir ». Il lui était diffici<strong>le</strong> de refusercette proposition d’avancement. Il se trouvait confronté à unchoix : soit il réussissait à comb<strong>le</strong>r ses <strong>la</strong>cunes, soit, comme<strong>le</strong> font un certain nombre de jeunes, il abandonnait <strong>le</strong> travail3637


du jour au <strong>le</strong>ndemain, sans aucune explication. La maîtrise des savoirs debase est indispensab<strong>le</strong> à l’insertion professionnel<strong>le</strong> durab<strong>le</strong>. Or, <strong>le</strong> présidentChar<strong>le</strong>s Milhaud <strong>le</strong> rappe<strong>la</strong>it tout à l’heure, l’insertion professionnel<strong>le</strong>permet <strong>la</strong> reconnaissance socia<strong>le</strong>.Nos objectifsNotre premier objectif est de valoriser <strong>le</strong>s capacités des jeunes, <strong>le</strong>ur potentiel,afin de <strong>le</strong>ur donner ou de <strong>le</strong>ur redonner confiance. Il est inuti<strong>le</strong> de mettreen p<strong>la</strong>ce quoi que ce soit si nous n’arrivons pas à restaurer et à valoriserl’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Nous faisons tout <strong>pour</strong> mettre en avant <strong>la</strong>moindre de <strong>le</strong>ur réussite : un jeune travail<strong>la</strong>it depuis quelques semaines <strong>le</strong>code de <strong>la</strong> route sur <strong>le</strong> logiciel dont nous disposons et sur <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s jeunespeuvent passer des tests librement. A l’issue d’un test, il est venu me rendrecompte et me dire : « C’est nul, j’ai tout raté. » « Tu as tout raté ? Qu’est-ceque tu veux dire par là ? » « J’ai fait 18 fautes. » « Combien y avait-il dequestions à ce test ? » « Il y en avait 40. » Je lui ai répondu : « Ce<strong>la</strong> ne faitpas longtemps que tu travail<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> code, deux ou trois semaines, il yavait 40 questions et tu as fait 18 fautes. Tu as donc 22 bonnes réponses !C’est génial, tu as plus de <strong>la</strong> moitié des réponses qui sont justes. » Il m’aregardé, il n’a pas réagi pendant quelques fractions de secondes, il étaitinterloqué. Soudain un sourire magnifique a illuminé son visage. C’était <strong>la</strong>première fois qu’il se regardait de cette façon-là : il était capab<strong>le</strong> de réussirquelque chose.Un autre de nos objectifs est de permettre aux jeunes d’établir de nouveauxrapports avec <strong>le</strong>s savoirs et l’apprentissage. Ils ont vécu douloureusementces années d’éco<strong>le</strong>. Lorsque l’on est sur <strong>le</strong>s bancs de l’éco<strong>le</strong> et que <strong>le</strong>schoses se passent mal, que l’on n’y arrive pas, il devient douloureux de seremettre face à des savoirs, face à des apprentissages, et ce<strong>la</strong> ne se faitpas sans heurts. Un jeune qui prend un livre ou un papier et un crayon estparfois angoissé, il a <strong>le</strong>s mains moites et présente tous <strong>le</strong>s signes dustress. Nous essayons de modifier <strong>la</strong> perception que ces jeunes ont del’apprentissage et il nous semb<strong>le</strong> nécessaire de redonner du sens aux savoirs.“Un jeunequi prend un livreou un papieret un crayon estparfois angoissé,il a <strong>le</strong>s mainsmoites et présentetous <strong>le</strong>s signesdu stress. [...]Nous essayonsde modifier<strong>la</strong> perception queces jeunes ont del’apprentissageet il nous semb<strong>le</strong>nécessaire deredonner du sensaux savoirs...”Les principes de notre interventionNous privilégions un accompagnement global, personnaliséet tutoré.Global, parce que <strong>la</strong> situation particulière, <strong>le</strong> vécu de ces jeunesimpose de se pencher sur <strong>le</strong>s questions d’ordre sanitaireet social. Un accompagnement personnalisé tient compte de<strong>la</strong> situation particulière de chaque jeune. Le choix du tuteur estfait dans ce sens. En tant que chef de projet, je rencontre chacund’entre eux <strong>pour</strong> déterminer ses objectifs, son projet, sesenvies. J’apprends à <strong>le</strong> connaître, à identifier ses centres d’intérêtset je choisis <strong>le</strong> tuteur qui me semb<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus à même del’accompagner. Cet accompagnement tutoré est fondamental.Notre intervention s’inscrit dans un accompagnement enréseau.Nous devons travail<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong>s différents partenaires institutionnelsqui orientent <strong>le</strong>s jeunes vers nous, l’armée, <strong>le</strong> ministèrede l’Education nationa<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s missions loca<strong>le</strong>s. Ce sont éga<strong>le</strong>mentdes partenaires « ressources » qui, à un moment donné,peuvent rég<strong>le</strong>r des questions d’hébergement et débloquer<strong>le</strong>s aides financières nécessaires.Nous développons éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> partenariat avec <strong>le</strong>semployeurs. Nous avons notamment commencé avec unGroupement d’Employeurs <strong>pour</strong> l’Insertion et <strong>la</strong> Qualification,un GEIQ, qui travail<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> secteur de l’industrie agroalimentaire.Un responsab<strong>le</strong> de GEIQ rencontre des entreprisesdont <strong>le</strong> personnel est composé <strong>pour</strong> partie de jeunes qui travail<strong>le</strong>nten intérim, parmi <strong>le</strong>squels certains ne maîtrisent passuffisamment <strong>le</strong>s savoirs de base ; ils orientent <strong>le</strong>s jeunes versnous <strong>pour</strong> que nous <strong>le</strong>s soutenions dans une démarche d’apprentissageprogressif. Ceci a un intérêt <strong>pour</strong> l’employeur quipeut former des gens qu’il a déjà vu travail<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong> terrain etqu’il a envie de qualifier.À l’inverse, certains jeunes de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » peuvent3839


“La réconciliationavec <strong>le</strong>s savoirsde base passeaussi parune ouvertureculturel<strong>le</strong>,une ouvertureaux autres...”avoir envie de s’orienter vers <strong>le</strong>s métiers auxquels prépare <strong>le</strong>GEIQ et lorsqu’ils sont prêts, ils peuvent faire des stages <strong>pour</strong>valider <strong>le</strong>ur projet professionnel ou signer avec ce groupementd’employeurs des contrats de professionnalisation.Différents partenaires associatifs travail<strong>le</strong>nt à nos côtés, <strong>le</strong>sassociations de quartiers, <strong>le</strong>s associations vers <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>snous orientons <strong>le</strong>s jeunes quand ils rencontrent certainesdifficultés et <strong>le</strong>s associations culturel<strong>le</strong>s, parce que nous nepouvons pas faire l’impasse sur l’ouverture culturel<strong>le</strong>. Laréconciliation avec <strong>le</strong>s savoirs de base passe aussi par uneouverture culturel<strong>le</strong>, une ouverture aux autres.L’association « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » de Chambéry participeà l’action « Pour tous, l’accès au spectac<strong>le</strong> ». El<strong>le</strong> permet àdes personnes suivies par différentes associations d’al<strong>le</strong>rvoir des spectac<strong>le</strong>s de grande qualité <strong>pour</strong> une somme trèsmodeste, qui se doub<strong>le</strong> de <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un accompagnement.Nous avons mis <strong>la</strong> barre encore un peu plus hautpuisque nous avons développé un partenariat avec <strong>le</strong> serviceanimation du secteur gérontologie de l’hôpital de Chambéry.Un certain nombre de personnes âgées dépendantes sonten fauteuil. Nous avons demandé aux jeunes qui <strong>le</strong> souhaitaient,lorsqu’ils al<strong>la</strong>ient au spectac<strong>le</strong>, de pousser <strong>le</strong> fauteuild’une personne âgée <strong>pour</strong> qu’el<strong>le</strong> puisse assister à <strong>la</strong> représentation.Nous avons mené cette expérience deux fois.C’est vraiment très valorisant <strong>pour</strong> eux, car il s’agissait nonseu<strong>le</strong>ment d’al<strong>le</strong>r au spectac<strong>le</strong>, mais d’aider quelqu’un quin’aurait pas pu y al<strong>le</strong>r sans eux.Les moyensLa formation des tuteurs, sur <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> A<strong>la</strong>in Bentoli<strong>la</strong> insistait,est primordia<strong>le</strong>. Nous avons une trentaine de bénévo<strong>le</strong>s enSavoie qui ont reçu une formation obligatoire. Nous avonsbeaucoup de candidats tuteurs à « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » quipensent ne pas savoir faire : « Je ne suis pas prof, je ne suispas formateur », disent-ils, or ce n’est pas ce<strong>la</strong> qui est important.L’important est l’engagement qu’ils prennent vis-à-vis de ce jeune et <strong>le</strong> pariqu’ils font de <strong>le</strong> mener <strong>le</strong> plus loin possib<strong>le</strong>. Chaque personne qui vient àl’association est persuadée que chacun des jeunes est capab<strong>le</strong> d’avancer,au-delà de ce que l’on <strong>pour</strong>rait penser au premier abord. Et c’est en ce<strong>la</strong>que <strong>le</strong>s tuteurs représentent <strong>le</strong> point fort du dispositif.Le profil des tuteurs est très varié.Dans notre association, 60 % de personnes sont en activité, mais ce n’est pas<strong>le</strong> cas dans toutes <strong>le</strong>s associations « Savoirs <strong>pour</strong> réussir ». Ce sont desgens qui travail<strong>le</strong>nt et qui trouvent <strong>le</strong> temps de venir à « Savoirs <strong>pour</strong> réussir» deux heures par semaine. Il y a aussi des sa<strong>la</strong>riés, qui prennent desRTT ou des congés, <strong>pour</strong> assister à <strong>la</strong> formation obligatoire sur deux jours.C’est un réel engagement. L’âge varie entre 30 et 65 ans, ce sont des gensaux expériences et aux profils très divers, ce qui nous permet de nousadapter en fonction de l’intérêt particulier que peut manifester un jeune.Nous insistons bien auprès des tuteurs sur <strong>le</strong> fait qu’il n’est pas question<strong>pour</strong> eux de faire de <strong>la</strong> formation : nous sommes dans une mission d’accompagnement.Ce que nous demandons avant tout aux tuteurs, c’est de<strong>la</strong> bienveil<strong>la</strong>nce et de l’exigence vis-à-vis de ces jeunes, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s aider àal<strong>le</strong>r de l’avant.Nous disposons éga<strong>le</strong>ment de moyens techniques en complément desmoyens humains et nous essayons de trouver l’outil adapté à chaquejeune. Nous possédons plusieurs outils mis à disposition par <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>,comme des jeux de calcul mental. Le jeu est un bon moyen <strong>pour</strong> faire progresser<strong>le</strong>s jeunes en modifiant <strong>le</strong>ur rapport aux apprentissages qui nesont pas considérés comme un p<strong>la</strong>isir. Il nous faut trouver, <strong>pour</strong> chaquejeune, ce qui à un moment donné <strong>le</strong> poussera à al<strong>le</strong>r plus loin.Nous avons des ateliers, col<strong>le</strong>ctifs ou individuels.Au départ nous avions mis en p<strong>la</strong>ce des ateliers col<strong>le</strong>ctifs, comme l’ateliercode de <strong>la</strong> route, mais nous envisageons l’atelier individuel lorsque <strong>le</strong>besoin s’en fait sentir. Dans <strong>la</strong> recherche d’emploi, <strong>le</strong> permis de conduireest aujourd’hui indispensab<strong>le</strong>. Nous avons constaté qu’un certain nombrede jeunes rou<strong>la</strong>ient sans permis parce qu’ils n’arrivaient pas à obtenir <strong>le</strong>code. Je connais personnel<strong>le</strong>ment des jeunes qui tentent <strong>le</strong> code depuis4041


“L’atelier cuisinede Chambéry estun autre exemp<strong>le</strong>intéressant. [...]Il crée du lienavec <strong>le</strong>s autres,il permet de ne passe sentir isolé...”deux ans. Ils finissent par baisser <strong>le</strong>s bras. La participation àl’atelier permet aux jeunes d’avoir davantage confiance eneux quand ils sont à l’auto-éco<strong>le</strong> <strong>pour</strong> travail<strong>le</strong>r <strong>le</strong> code.Le suivi d’un jeune par un tuteur peut durer longtemps.Initia<strong>le</strong>ment, <strong>la</strong> durée ne devait pas excéder une année. Maisnous nous sommes aperçus que <strong>la</strong> prise en compte globa<strong>le</strong>du jeune nécessitait un accompagnement de plus longue durée.Le temps est un élément important dans <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion de confianceque nous établissons avec <strong>le</strong>s jeunes. L’accompagnementindividualisé est un atout supplémentaire <strong>pour</strong> <strong>le</strong> jeune qui arendez-vous toutes <strong>le</strong>s semaines avec son tuteur et participeaux ateliers, mais, à Chambéry, il peut éga<strong>le</strong>ment passer àl’association quand il <strong>le</strong> souhaite. S’il est découragé, que <strong>le</strong>schoses ne se sont pas bien passées au travail, qu’il y a eu unconflit, ou quoi que ce soit, il est <strong>le</strong> bienvenu <strong>pour</strong> en par<strong>le</strong>r.Les jeunes s’approprient vraiment <strong>le</strong> lieu : l’année dernière,un jeune a raté son CAP. Nous <strong>le</strong> suivons depuis un peu moinsd’un an et l’avons orienté vers un organisme qui lui donnedes cours de maths. Il vient à « Savoirs <strong>pour</strong> réussir » <strong>pour</strong>travail<strong>le</strong>r ses exercices. Il arrive <strong>le</strong> matin à 9 heures, il ditbonjour et va s’instal<strong>le</strong>r à une tab<strong>le</strong>. Il sort son cahier, son styloet il travail<strong>le</strong> seul. Parfois, il ne nous sollicite même pas, il sesent bien, en confiance.L’atelier cuisine de Chambéry est un autre exemp<strong>le</strong> intéressant.Au-delà du fait de partager un moment convivial, de créer dulien avec <strong>le</strong>s autres, il permet de ne pas se sentir isolé, il permetde travail<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong>s savoirs de base : lorsque nous mettons enp<strong>la</strong>ce des ateliers, ce n’est pas uniquement <strong>pour</strong> faire p<strong>la</strong>isiraux jeunes, nous avons un objectif pédagogique. Nous savons,d’une part, que <strong>le</strong> sujet intéresse <strong>le</strong>s jeunes, mais nous savonsaussi que nous pouvons à travers ce sujet banaliser l’écriture,<strong>la</strong> <strong>le</strong>cture, <strong>le</strong> calcul. Un atelier cuisine implique de lire une recette, de remplirune liste de courses, d’al<strong>le</strong>r faire <strong>le</strong>s courses, puis s’ajoute <strong>la</strong> notion de budget.Il faut ensuite calcu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s proportions. Ce<strong>la</strong> se fait presque naturel<strong>le</strong>ment.Au bout d’un moment, <strong>le</strong>s jeunes sont surpris quand on <strong>le</strong>ur dit « maisregarde tout ce que tu as fait », car ils l’ont fait si naturel<strong>le</strong>ment qu’ils n’enont pas conscience. Nous <strong>le</strong>ur permettons de prendre conscience de <strong>le</strong>urpotentiel et de <strong>le</strong>urs compétences.En conclusion, nous ne pouvons plus douter de <strong>la</strong> nécessité éducative à« Savoirs <strong>pour</strong> réussir ». C’est une absolue certitude qui nous pousse tous,sa<strong>la</strong>riés et bénévo<strong>le</strong>s, mais nous essayons de rester humb<strong>le</strong>s car notreaction est minime. Le jeune fait tout, c’est lui qui a <strong>le</strong> potentiel en lui etnous sommes juste là <strong>pour</strong> faire émerger ce potentiel, ces compétences,qui lui permettront de prendre son envol.Je souhaiterais revenir sur <strong>le</strong> mot « tuteur » qui prête parfois à polémique.Pour ma part, <strong>le</strong> tuteur est ce qui soutient <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nte. Le tuteur est là <strong>pour</strong>soutenir <strong>le</strong> jeune tant qu’il n’a pas <strong>la</strong> maîtrise suffisante des savoirs debase, <strong>pour</strong> avancer seul dans de bonnes conditions. Voici quelques lignesqui ont été écrites par une de nos bénévo<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> journal de notre association: « Il n’y a plus qu’à continuer avec une profonde détermination <strong>pour</strong>faire germer chez ces jeunes gens <strong>le</strong>s graines de <strong>la</strong> confiance et <strong>le</strong>s aider àfaire face à un environnement pas toujours favorab<strong>le</strong> en <strong>le</strong>ur donnant <strong>la</strong>force de découvrir <strong>le</strong>ur propre potentiel. »Nous avons aujourd’hui une trentaine de bénévo<strong>le</strong>s dans toute <strong>la</strong> Savoie,une vingtaine de jeunes en suivi actif. Nous avons démarré à Chambéryparce que nous ne voulions pas nous étendre sur tout <strong>le</strong> territoire à <strong>la</strong> fois.Nous sommes 2 sa<strong>la</strong>riées à temps p<strong>le</strong>in, moi-même et mon assistante, et,à Chambéry, 17 bénévo<strong>le</strong>s et 17 jeunes se rencontrent régulièrement.Nous nous développons actuel<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong> reste du département, àsavoir Saint-Jean-de-Maurienne, Albertvil<strong>le</strong> et Aix-<strong>le</strong>s-Bains, où nousavons des tuteurs formés.4243


Présentation des résultats du baromètresur <strong>le</strong>s solidarités intergénérationnel<strong>le</strong>sRégis Bigot, directeur adjoint du département conditions de vieet aspirations des Français au CrédocCe baromètre est <strong>le</strong> premier en France à suivre l’évolution dessolidarités familia<strong>le</strong>s à un rythme annuel. Il constitue donc uneimportante avancée dans <strong>le</strong> champ de l’action socia<strong>le</strong>. L’enquêtea été réalisée, au mois d’octobre 2006, par sondage sur l’ensemb<strong>le</strong>de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion représentative, 1023 personnes âgées de 18 ans et plusont été interrogées selon <strong>la</strong> méthode des quotas.Nous entendons beaucoup par<strong>le</strong>r de <strong>la</strong> faillite des liens familiaux dans <strong>le</strong>ssociétés industrialisées, nous nous posons beaucoup de questions, nousnous demandons si dans un pays comme <strong>la</strong> France il n’y a pas eu un délitementdes liens, <strong>le</strong>s gens étant de plus en plus individualistes. Nous noussommes éga<strong>le</strong>ment posé ce type de question à propos de <strong>la</strong> canicu<strong>le</strong> de2003. Cette enquête montre <strong>le</strong> contraire : <strong>le</strong>s solidarités familia<strong>le</strong>s sontaujourd’hui très vives, el<strong>le</strong>s s’expriment de différentes manières et on nepeut pas par<strong>le</strong>r d’un affaiblissement du lien. La composition des ménagesa changé au cours du XX e sièc<strong>le</strong>. Autrefois trois générations vivaient sous<strong>le</strong> même toit, c’est de moins en moins <strong>le</strong> cas aujourd’hui. Mais ce n’est pasparce que <strong>le</strong>s gens n’habitent plus ensemb<strong>le</strong> que <strong>le</strong> lien n’existe plus, ils’est recomposé d’une autre manière. Sans doute <strong>le</strong>s liens étaient-ils avantplus contraints et ils sont aujourd’hui plus choisis. Les résultats que je vaisvous exposer tendent à montrer que <strong>le</strong>s solidarités sont toujours bien vivaces.Premier élément d’information, 56 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion rencontrent <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>au moins une fois par semaine. Nous parlons de <strong>la</strong> famil<strong>le</strong> qui n’habite passous <strong>le</strong> même toit, nous avons voulu nous concentrer sur <strong>le</strong>s liens endehors de <strong>la</strong> famil<strong>le</strong> nucléaire <strong>pour</strong> disposer d’une vision plus globa<strong>le</strong> desliens familiaux. Ceux qui se voient <strong>le</strong> plus au sein de <strong>la</strong> famil<strong>le</strong> sont desruraux, des gens aux revenus modestes, des ouvriers, des employés oudes seniors, et ceux qui se voient <strong>le</strong> moins sont des cadres supérieurs, auxrevenus é<strong>le</strong>vés et des franciliens. Peut-on <strong>pour</strong> autant en déduire que <strong>le</strong>scadres, <strong>le</strong>s urbains sont moins sociab<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s autres.La réponse est non parce qu’il ne s’agit pas du même type de sociabilité.A <strong>la</strong> question « Vous sentez-vous proche des membres de votre famil<strong>le</strong> ? »,58 % répondent se sentir très proches et ceux qui, paradoxa<strong>le</strong>ment, sesentent particulièrement proches de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> sont justement <strong>le</strong>s cadressupérieurs et <strong>le</strong>s revenus é<strong>le</strong>vés, <strong>le</strong>s urbains, ainsi que <strong>le</strong>s seniors. On peutfréquenter sa famil<strong>le</strong> de façon irrégulière et <strong>pour</strong> autant y être très attaché.Ce<strong>la</strong> s’explique assez faci<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong>s études et l’emploi qui poussent àchanger de vil<strong>le</strong> : on passe d’une petite vil<strong>le</strong> à une grande ou à Paris. Le« déracinement » fait que l’on s’éloigne de plus en plus de sa famil<strong>le</strong> au furet à mesure que l’on monte dans l’échel<strong>le</strong> socia<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s liens familiaux serecomposent d’une autre manière.La famil<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> cas précis, ce sont <strong>le</strong>s grands-parents, <strong>le</strong>s petits-enfants,<strong>le</strong>s cousins, <strong>le</strong>s onc<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s tantes, y compris <strong>le</strong>s membres de <strong>la</strong> bel<strong>le</strong>-famil<strong>le</strong>.44 45


Un vo<strong>le</strong>t concernait <strong>la</strong> dépendance, une des causes qui préoccupe beaucoup<strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>, et nous avons demandé aux gens ce qu’ils seraient prêts àfaire si <strong>le</strong>urs parents devaient un jour se trouver en situation de dépendance.Les chiffres très é<strong>le</strong>vés sont assez étonnants.• 99 % seraient prêts à prendre des nouvel<strong>le</strong>s très régulièrement ;• 94 % seraient prêts à <strong>le</strong>ur rendre visite régulièrement ;• 93 % à <strong>le</strong>s aider dans <strong>le</strong>urs tâches administratives, à <strong>le</strong>s accompagnerdans <strong>le</strong>urs sorties, <strong>le</strong>ur prêter de l’argent.Les liens existent et montrent <strong>la</strong> volonté d’être là <strong>pour</strong> ses parents s’ils setrouvent un jour en situation de dépendance.Quatre points sont un peu plus délicats• Les gens sont moins prêts à déménager <strong>pour</strong> se rapprocher géographiquement.Ils sont aussi moins prêts à vivre avec <strong>le</strong>urs parents en situationde dépendance, à <strong>le</strong>s emmener en vacances et à s’occuper des soins telsque <strong>la</strong> toi<strong>le</strong>tte ou <strong>le</strong>ur donner à manger. Tout <strong>le</strong> monde n’est pas prêt à toutfaire <strong>pour</strong> ses proches.• La société a changé, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s se sont séparées de génération engénération. Chaque famil<strong>le</strong> tient à son autonomie et à vivre sur el<strong>le</strong>-même.On peut conserver des liens, mais ne pas <strong>pour</strong> autant revenir en arrière etaccueillir ses parents chez soi ou déménager et habiter dans <strong>le</strong>ur région derésidence.• Dans <strong>le</strong> même temps, depuis une trentaine d’années, voire cinquanteans, <strong>le</strong>s moyens de communication se sont considérab<strong>le</strong>ment développés,<strong>le</strong>s moyens de transport aussi, c’est beaucoup plus faci<strong>le</strong> de prendre <strong>le</strong> train,l’avion. Les distances se sont réduites et <strong>le</strong>s moyens de communication sesont fortement développés et il est donc plus faci<strong>le</strong> aujourd’hui de prendredes nouvel<strong>le</strong>s par téléphone, de se dép<strong>la</strong>cer, d’envoyer un e-mail – maisnous sommes là dans <strong>la</strong> situation de dépendance, ce n’est donc pas toutà fait approprié – <strong>le</strong>s liens se redéfinissent aujourd’hui d’une autre manièreet en utilisant <strong>le</strong>s moyens technologiques disponib<strong>le</strong>s.“Il existe une trèsforte réciprocitédes aides. [...] onl’observe chez <strong>le</strong>sjeunes qui reçoiventet qui, en mêmetemps, ont l’envied’accompagnerune personneen situation dedépendance.”• Nous avons demandé aux gens ce qu’ils avaient faitconcrètement <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> au cours des douze derniersmois et, à l’inverse, ce que l’on avait fait <strong>pour</strong> eux. Le premierrésultat montre que 86 % des Français ont été aidés, aucours de l’année, par un membre de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> – et il estimportant ici de repréciser qu’il ne s’agit pas de <strong>la</strong> famil<strong>le</strong> quihabite avec soi, mais des membres de <strong>la</strong> famil<strong>le</strong> qui habitentdans un autre lieu. Trois grands types de services ont étérendus :• <strong>le</strong> soutien moral : que ce soit par <strong>la</strong> présence, <strong>le</strong>s appelstéléphoniques, <strong>le</strong>s communications par Internet ;• <strong>le</strong>s échanges de services : garder <strong>le</strong>s enfants, faire du brico<strong>la</strong>ge,aider au ménage, faire des courses ;• <strong>la</strong> solidarité financière : prêt et don d’argent, transmissiond’héritage par anticipation.Ce chiffre est important : 86 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion a été aidéeau cours de l’année et en sens inverse, 86 %, donc 9 Françaissur 10, ont aidé un membre de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>.Lorsque nous avons analysé <strong>le</strong>s résultats de l’enquête, nousavons constaté avec surprise que <strong>le</strong>s niveaux des aidesreçues et des aides données étaient identiques : il existe unetrès forte réciprocité des aides. Lorsque l’on a reçu un soutienmoral, très souvent, on <strong>le</strong> rend. Lorsque l’on a reçu unservice, une aide ménagère ou une aide <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s courses, onest plus disposé à rendre ce service. Quand on a reçu del’argent, on est éga<strong>le</strong>ment amené à en rendre.C’est un phénomène important que l’on observe entre autreschez <strong>le</strong>s jeunes qui reçoivent et qui, en même temps, ont l’envied’accompagner une personne en situation de dépendance. Ils’agit de quelque chose de très fort, y compris au sein de <strong>la</strong>famil<strong>le</strong>. Quand on a reçu, on se sent redevab<strong>le</strong> et reconnaissant.4647


“Contrairementà ce que l’on pense,<strong>le</strong>s jeunesne partent pasplus tard du foyerparental,ils partent toujoursau même âge,21 ans, mais <strong>le</strong>spériodes d’al<strong>le</strong>rsretourssont plusfréquentes... ”Nous avons posé <strong>la</strong> question qui fâche : « Vous est-il arrivéau cours des douze derniers mois de ne pas avoir apporté del’aide à quelqu’un qui vous en avait demandé ? Seu<strong>le</strong>ment8 % des Français disent ne pas avoir répondu à une attente.Il est important de noter que lorsque l’on touche au sujet de<strong>la</strong> famil<strong>le</strong>, on touche à quelque chose de très particulier, trèssensib<strong>le</strong>, qui réveil<strong>le</strong> de bons ou de mauvais souvenirs et iln’est pas évident de dire : « non, je n’ai pas aidé quelqu’unau cours de l’année. » Il faut tenir compte du fait que <strong>la</strong>convention socia<strong>le</strong> interdit que l’on dise que l’on n’est pas là<strong>pour</strong> ses proches.Il faut re<strong>la</strong>tiviser tous <strong>le</strong>s résultats, nous n’avons pas vérifiéauprès des personnes interrogées si el<strong>le</strong>s étaient bien alléesaider <strong>le</strong>urs proches. Il s’agit de déc<strong>la</strong>ratif, <strong>le</strong>s gens disent cequ’ils veu<strong>le</strong>nt. On a toujours tendance à vouloir donner unebonne image de soi quand on répond à des questions, mêmepar téléphone.Si nous passons en revue des analyses de groupe, plusieursenquêtes montrent que <strong>le</strong>s femmes sont particulièrementplus solidaires, avec <strong>le</strong>s membres de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>, que <strong>le</strong>shommes. C’est un point que nous avons voulu vérifier danscette enquête et il n’y a pas tant de différence que ce<strong>la</strong>.Nous avons vérifié sur <strong>le</strong>s 27 types de solidarité possib<strong>le</strong>s etnous avons constaté des différences dans 25 % des cas – cen’était d’ail<strong>le</strong>urs pas toujours <strong>le</strong>s femmes qui aidaient plus que<strong>le</strong>s hommes – c’était parfois l’inverse.On observe que <strong>le</strong>s femmes sont plus impliquées dans <strong>le</strong>soutien moral, notamment par téléphone ou par <strong>le</strong>ur présenceet <strong>le</strong>s hommes sont plus disposés à aider <strong>le</strong>ursparents dépendants <strong>pour</strong> des travaux d’aménagement dulogement ou du brico<strong>la</strong>ge.En revanche, en termes d’âge, ce sont <strong>le</strong>s jeunes qui sontplus fréquemment aidés. Nous sommes face à trois types d’aides : <strong>le</strong>s donsd’argent, une aide administrative et <strong>la</strong> participation à des frais. On constatequ’au fur et à mesure que l’on avance en âge, l’aide reçue diminue régulièrement.Les jeunes sont fortement soutenus par <strong>le</strong>urs parents, y comprisaprès avoir quitté <strong>le</strong> domici<strong>le</strong> parental.Beaucoup d’études montrent que, contrairement à ce que l’on pense, <strong>le</strong>sjeunes ne partent pas plus tard du foyer parental, ils partent toujours aumême âge, 21 ans, mais <strong>le</strong>s périodes d’al<strong>le</strong>rs-retours sont plus fréquentes.Les jeunes entament des études qui se soldent parfois par des échecs etreviennent à <strong>la</strong> maison ; ou alors ils occupent un emploi précaire, ont du malà trouver du travail ou se retrouvent au chômage et là encore ils reviennentà <strong>la</strong> maison. La période d’instal<strong>la</strong>tion définitive dans <strong>la</strong> vie adulte se fait deplus en plus tardivement.Les famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus aisées aident beaucoup plus faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>urs enfants.Des études montrent qu’entre <strong>le</strong>s personnes <strong>le</strong>s plus riches et <strong>le</strong>s plus pauvres<strong>le</strong> niveau des aides peut être multiplié par cinquante. Qu’il s’agisse de l’argentde poche, de l’achat d’une voiture ou de meub<strong>le</strong>s.Une très grande inégalité existe donc en fonction du niveau de vie des famil<strong>le</strong>smais el<strong>le</strong> est paradoxa<strong>le</strong>ment compensée par une redistribution au seindes famil<strong>le</strong>s.Observons, par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cas d’une famil<strong>le</strong> avec deux enfants : l’un réussittrès bien, fait de bonnes études, trouve un bon travail et gagne bien sa vie.L’autre rencontre des difficultés. Les parents et <strong>le</strong>s grands-parents redistribuentdavantage d’aides du côté de celui qui en a <strong>le</strong> plus besoin.Des études montrent qu’au niveau macroéconomique, macrosocial, cetteredistribution au sein des famil<strong>le</strong>s réduit <strong>le</strong> niveau global des inégalités. Il ya donc à <strong>la</strong> fois un mouvement d’augmentation des inégalités qui fait que<strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus riches aident plus <strong>le</strong>urs enfants, mais, au sein d’unemême famil<strong>le</strong>, il y a une redistribution des cartes qui tend à compenser unpeu cet effet-là. L’aide augmente régulièrement, qu’il s’agisse de dons4849


“Le lien est plus forts’agissantde l’échangede services enpetite commune :il est plus faci<strong>le</strong>de garder l’enfantde quelqu’un, d’al<strong>le</strong>rfaire du brico<strong>la</strong>ge,d’al<strong>le</strong>r faire descourses <strong>pour</strong> unepersonne...”d’argent ou de conseils administratifs, notamment de prêt<strong>pour</strong> un logement. Les seniors, notamment <strong>le</strong>s 60 à 69 ans,sont très impliqués dans <strong>le</strong> soutien familial.Nous avons étudié <strong>la</strong> situation particulière du divorce.Comment se jouent <strong>le</strong>s solidarités familia<strong>le</strong>s à ce momentlà? Au moment où il y a séparation, <strong>la</strong> personne, qui seretrouve isolée, se tourne vers sa famil<strong>le</strong> et sera davantageaidée. El<strong>le</strong> recevra davantage d’aide financière, de soutienmoral, des échanges de service. L’impact du divorce conduità renouer <strong>le</strong>s liens familiaux. On a coupé un lien et l’on enrenoue un autre avec ses proches.L’aide est plus forte au sein des famil<strong>le</strong>s aisées car <strong>pour</strong> aideril faut avoir à <strong>la</strong> fois <strong>le</strong>s moyens et <strong>la</strong> disponibilité. Lorsquel’on est en situation de précarité financière, on n’a pas forcément<strong>la</strong> disponibilité <strong>pour</strong> se dép<strong>la</strong>cer, <strong>pour</strong> prêter de l’argentet il y a donc un rapport très net entre sa capacité financièreet sa capacité à soutenir ses proches.Un cliché, une idée reçue voudrait que <strong>la</strong> solidarité familia<strong>le</strong>soit plus forte dans <strong>le</strong>s campagnes que dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s,milieu individualiste où chacun ne pense qu’à lui-même.Nous nous apercevons que ce n’est pas du tout <strong>le</strong> cas, quelque soit <strong>le</strong> type d’aide, que ce soit du soutien moral ouautre. Le lien est plus fort s’agissant de l’échange de servicesen petite commune : il est plus faci<strong>le</strong> de garder l’enfant dequelqu’un, d’al<strong>le</strong>r faire du brico<strong>la</strong>ge, d’al<strong>le</strong>r faire des courses<strong>pour</strong> une personne.En revanche, lorsque l’on habite une grande vil<strong>le</strong> et que l’onest un peu plus éloigné des membres de sa famil<strong>le</strong>, on téléphoneplus souvent, on envoie de l’argent plus souvent, onprête de l’argent, on part en vacances plus souvent. L’aiden’est donc pas exactement <strong>la</strong> même, mais el<strong>le</strong> est aussi forte dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>sque dans <strong>le</strong>s communes rura<strong>le</strong>s.Nous voulions savoir ce qui se trouve au cœur des solidarités familia<strong>le</strong>s.Nous avons croisé <strong>le</strong>s différents paramètres des questions que nous avionsposées et nous avons mis en ba<strong>la</strong>nce « se sentir très proche de sa famil<strong>le</strong> »,« savoir que l’on peut compter sur ses proches en cas de difficultés financières», « fréquenter <strong>le</strong>s membres de sa famil<strong>le</strong> », « avoir été aidé et aider<strong>le</strong>s membres de sa famil<strong>le</strong> ».Nous constatons que ce qui joue <strong>le</strong> plus, c’est de « se sentir très prochede sa famil<strong>le</strong> », et non <strong>le</strong> fait de « rencontrer régulièrement sa famil<strong>le</strong> ». Onpeut habiter très loin des siens et s’en sentir très proche. Dès lors, <strong>le</strong> lienfamilial est très important. On peut habiter dans <strong>la</strong> même commune queses parents, son frère ou sa sœur, mais si, <strong>pour</strong> une raison ou <strong>pour</strong> uneautre, on ne s’en sent pas très proche, <strong>le</strong> lien est beaucoup plus lâche.Une autre variab<strong>le</strong> importante, c’est <strong>le</strong> fait d’avoir reçu une aide. Apporterune aide ne conditionne pas <strong>la</strong> force des liens familiaux. En revanche, lorsquel’on a reçu une aide et que l’on a été soutenu au cours d’un moment diffici<strong>le</strong>de sa vie, c’est un fait marquant dans l’esprit de celui qui a reçu, un mé<strong>la</strong>ngede sentiments de reconnaissance et de redevabilité.À l’inverse, il serait faux de dire, que lorsque l’on a donné à quelqu’un desa famil<strong>le</strong>, on ne s’en souvient pas, que ce<strong>la</strong> va de soi. Ce qui conditionne<strong>le</strong> lien, c’est plutôt <strong>le</strong> fait d’avoir reçu.Les principa<strong>le</strong>s conclusions de cette étude permettent donc d’affirmerque, contrairement à ce que l’on peut penser, <strong>le</strong>s liens familiaux sontencore très forts aujourd’hui.5051


Martine Calvo, rapporteur du groupe de territorialisation au Conseil National de l’Insertionpar l’Activité Economique (CNIAE)Le Conseil National de l’Insertion par l’Activité Economique a étécréé par <strong>la</strong> loi de 1991 et Monsieur C<strong>la</strong>ude Alphandéry en assure<strong>la</strong> présidence. Ce Conseil a une fonction de veil<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s politiquesde l’emploi des personnes en difficulté et de l’insertion, une fonctionde concertation des différents partenaires et une fonction de représentationinstitutionnel<strong>le</strong> du secteur. Il est composé de 42 membres.L’étude que je vais présenter a été réalisée dans <strong>le</strong> cadre du groupe territorialisationque j’anime et présidé par Madame Mireil<strong>le</strong> Bordes. La premièreétude a eu lieu dans <strong>le</strong>s pays de <strong>la</strong> Loire. A l’époque, Monsieur Fillon étaitministre du travail et nous avons voulu <strong>le</strong> convaincre du bien-fondé de l’insertionpar l’activité économique sur un territoire. Nous avons commencépar faire une étude en pays de <strong>la</strong> Loire et el<strong>le</strong> a apporté des éléments nouveauxen matière d’impact économique et financier. Madame Nelly Olin,qui a succédé à Monsieur Fillon, a demandé de <strong>pour</strong>suivre ce type d’étude.Trois études sont actuel<strong>le</strong>ment prévues : une en Aquitaine a été terminéeet j’en par<strong>le</strong>rai ; <strong>la</strong> deuxième est conduite en région PACA et <strong>la</strong> dernière seramenée en région Franche-Comté. L’Etat a fait <strong>le</strong> choix de mener un p<strong>la</strong>nde redynamisation des Centres Départementaux de l’Insertion par l’ActivitéEconomique (CDIAE), de prendre en compte tous <strong>le</strong>s éléments que nousParo<strong>le</strong>s des bénéficiairesde l’insertion par l’activité économiqueavions apportés lors de <strong>la</strong> première étude, et de travail<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s différentsdépartements <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s redynamiser et <strong>le</strong>s faire connaître.Les objectifs de cette étude étaient d’explorer et d’identifier <strong>le</strong>s différentesdimensions de l’impact de l’Insertion par l’Activité Economique (IAE) auprèsdes personnes inscrites dans un parcours d’insertion :• identifier <strong>le</strong>urs besoins et <strong>le</strong>urs attentes vis-à-vis des structures d’insertion ;• recueillir <strong>le</strong>ur vision du parcours d’insertion ;• appréhender <strong>le</strong>s difficultés des publics concernés et <strong>le</strong>s réponses trouvées.Je vais présenter succinctement <strong>le</strong>s méthodes, nous aborderons <strong>le</strong>s parcours,ensuite l’impact de l’IAE et <strong>le</strong>s quelques préconisations qui ont été faites.Ce travail a été réalisé avec <strong>le</strong> cabinet Fusio et tous <strong>le</strong>s éléments ici exposésse trouvent dans l’étude et sont consultab<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> site du CNIAE.Deux groupes de sa<strong>la</strong>riés en insertion ont été interviewés et nous avonséga<strong>le</strong>ment réalisé des interviews individuel<strong>le</strong>s. Nous avons fait en sorte dedisposer d’un échantillon très <strong>la</strong>rge en termes d’âge, de sexe, de zonegéographique et de structure d’insertion. L’ensemb<strong>le</strong> des départements del’Aquitaine a été couvert. Nous avons mené, dans <strong>le</strong>s différents départements,40 interviews individuel<strong>le</strong>s en entrée ou en fin de parcours.Un des enseignements de cette étude a été <strong>la</strong> prise de conscience que <strong>le</strong>spersonnes inscrites dans <strong>le</strong>s structures d’insertion par l’activité économiquene se vivent pas comme des personnes en difficulté et il faut être prudent52 53


avec cette étiquette que nous <strong>le</strong>ur « collons » sur <strong>le</strong> dos. El<strong>le</strong>s considèrent<strong>le</strong>s structures d’insertion par l’économie comme de véritab<strong>le</strong>s entreprises,dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s l’ouverture et l’écoute sont plus importantes. Les personnesse sentent beaucoup plus écoutées et c’est <strong>le</strong> point qui fait <strong>la</strong> différence.Lorsqu’on <strong>le</strong>ur pose <strong>la</strong> question de ces parcours d’insertion, il s’agit <strong>pour</strong>el<strong>le</strong>s d’une notion abstraite, el<strong>le</strong>s considèrent qu’el<strong>le</strong>s sont en entreprise etnon dans une situation de parcours. Le choix et <strong>la</strong> méthode qui ont étéretenus par <strong>le</strong> cabinet d’études avec <strong>le</strong>quel nous avons travaillé ontconsisté à utiliser <strong>le</strong> dessin comme mode d’expression.Nous allons voir à travers ces dessins <strong>le</strong> parcours d’insertion tel que cespersonnes <strong>le</strong> vivent. Nous <strong>le</strong> comprenons comme étant semé d’embûches,offrant une intégration faib<strong>le</strong> au cours d’un parcours rarement vécu avecoptimisme.Un premier dessin représente une montagne où l’on voit écrit : « Incertitude,incompréhension, <strong>la</strong>issé <strong>pour</strong> compte, amalgame » ; dans <strong>le</strong> second pic de<strong>la</strong> montagne, on lit : « Perte, confiance, dépression », puis ensuite « Erreur,égaré ». Nous observons qu’il s’agit de pics sur <strong>le</strong>squels ces mots ont étéécrits, derrière, nous voyons l’espoir et <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il mais <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il est caché par<strong>la</strong> montagne.Le second dessin est une succession de petites maisons. On passe de <strong>la</strong>maison de l’UNEDIC, avec <strong>la</strong> mention « parcours du combattant », à l’ANPEet en face « Intérim, Assedic et maison », et des flèches renvoient vers l’Assedic.C’est un cerc<strong>le</strong> vicieux. Ce dessin montre que tant que l’on n’a pas un emploi,il faut refaire <strong>le</strong> même chemin.Le troisième dessin a été fait par une femme : « En bas à gauche, c’était avant,j’étais commercia<strong>le</strong> chez AXA. En haut à gauche, ce sont <strong>le</strong>s employeursqui ne veu<strong>le</strong>nt pas de femme dans <strong>le</strong> bâtiment. » Il faut admettre que souventon dit à des personnes de plus de 50 ans et à des femmes en particulierqu’el<strong>le</strong>s ne doivent pas s’accrocher au métier qu’el<strong>le</strong>s ont choisi, qu’el<strong>le</strong>sdoivent accepter d’évoluer. Souvent, <strong>le</strong>s femmes qui occupent des métiersd’hommes s’entendent dire : « Oui, vous avez votre p<strong>la</strong>ce », mais il y a <strong>le</strong>sfreins de <strong>la</strong> branche professionnel<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>ur opposent : « C’est bien gentil,mais vous venez <strong>pour</strong> occuper une p<strong>la</strong>ce de peintre ou de maçon. » C’est<strong>pour</strong>tant un secteur porteur. Quand il y a de très bonnes re<strong>la</strong>tions, de trèsbons partenariats entre des structures et certains professionnels du bâtiment,<strong>le</strong>s choses se passent bien.Sur un autre dessin, on peut lire : « On tourne, on fait des promesses, maison n’entre jamais dans l’entreprise. Après, tu te trouves dans <strong>le</strong> même truc,on ne s’en sort pas. Les années passent, je pense à ma retraite, j’ai changéde pays <strong>pour</strong> mes enfants et <strong>le</strong> seul chemin <strong>pour</strong> moi c’est de travail<strong>le</strong>rseul, menuisier ébéniste. »Une autre personne a été victime d’un accident et illustre son parcours sousforme de routes, el<strong>le</strong> écrit : « Une route très longue depuis l’accident, beaucoupd’entreprises, beaucoup de branches, mais <strong>le</strong>s gens voient <strong>le</strong> handicapde <strong>la</strong> tête, pas des jambes. Attention, route dangereuse, sans suite, sens interdit». Sur l’axe principal, el<strong>le</strong> a p<strong>la</strong>cé une longue route, puis, sur <strong>la</strong> premièrebranche « en attente », ensuite « sans suite » et sur <strong>la</strong> dernière, « sans intérêt ».A <strong>la</strong> suite de ces premiers éléments, nous nous sommes interrogés : cesparcours sont-il construits ou sont-ils subis ? Pour tenter d’y répondre noussommes allés vérifier l’impact de l’IAE auprès des bénéficiaires. Commeen témoigne une des personnes interviewées : « C’est comme quand vousvoyez un individu qui est en train de mourir à l’hôpital, à l’association, ils tefont partir ou repartir <strong>le</strong> cœur avec des apports principa<strong>le</strong>ment aux niveauxpersonnel, professionnel, des re<strong>la</strong>tions avec <strong>le</strong>s autres et de <strong>la</strong> vie quotidienne. »Les principaux enseignements de <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> des bénéficiaires nous indiquequ’il s’agit d’une réponse transitoire à une situation d’urgence ou d’impasse.Sur <strong>le</strong> p<strong>la</strong>n personnel, on constate l’expression de <strong>la</strong> confiance retrouvée,de <strong>la</strong> reconnaissance par <strong>le</strong> travail, du retour à un équilibre, de l’ouvertureaux autres ou à de nouveaux lieux qui étaient jusque là inaccessib<strong>le</strong>s. Laprise en compte par <strong>le</strong>s SIAE de problèmes plus courants, tels que <strong>le</strong> logement,<strong>la</strong> santé, <strong>le</strong> dép<strong>la</strong>cement, <strong>le</strong> surendettement n’est pas souligné par <strong>le</strong>ssa<strong>la</strong>riés en insertion alors que c’est souvent ce que mettent en avant <strong>le</strong>sstructures d’insertion par l’activité économique. On note donc un déca<strong>la</strong>geentre <strong>le</strong> discours des professionnels qui <strong>le</strong>s accueil<strong>le</strong>nt et <strong>le</strong>s attentes prioritairesdes usagers.5455


Voici quelques témoignages des personnes interviewées sur ce que <strong>le</strong>ur aapporté <strong>le</strong>ur parcours d’insertion.Au p<strong>la</strong>n personnel :« Confiance en soi, c’est <strong>le</strong> fait de se dire qu’on n’est pas bon à rien, çadonne de <strong>la</strong> confiance en soi parce qu’on se dit qu’il y a des gens qui s’intéressentà vous et qui veu<strong>le</strong>nt que vous arriviez à quelque chose. »« Je faisais trente kilos de plus avant, c’est grâce au travail que j’ai perdudu poids, je suis boulimique et quand je suis au travail, je ne pense plus àmanger, tout simp<strong>le</strong>ment. »« Quand tu travail<strong>le</strong>s, ta tête est au travail, tu ne penses pas aux problèmeset quand tu rentres, tu es fatigué et tu as envie de te reposer. »Sur <strong>la</strong> reconnaissance :« Ils apprécient <strong>le</strong> travail que l’on fait <strong>pour</strong> eux – il par<strong>le</strong> des clients <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squelsil a travaillé –, il m’a dit : “ La prochaine fois que l’on a besoin de toi,on t’appel<strong>le</strong>ra parce que tu es un bosseur, tu fais ton boulot ”. Ça te donne<strong>la</strong> patate. »Sur l’autonomie :« Apprendre à se débrouil<strong>le</strong>r soi-même, à être responsab<strong>le</strong>, penser à autrechose, ça motive sur tous <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>ns, <strong>le</strong> moral, <strong>le</strong> fait de travail<strong>le</strong>r, <strong>le</strong> faitd’avoir un but tous <strong>le</strong>s jours. Ça donne envie de vivre <strong>pour</strong> dire quelquechose parce que des fois on pense à …, si vous voyez ce que je veux dire.»Au p<strong>la</strong>n professionnel, <strong>le</strong> niveau de <strong>le</strong>urs attentes est faib<strong>le</strong>, mais il peutse résumer ainsi : « Un travail fixe et plus long. » Un petit nombre souhaiteseu<strong>le</strong>ment « un renforcement du suivi ». Dans <strong>le</strong>s structures d’insertion parl’activité économique, il faut rappe<strong>le</strong>r que l’on pratique un suivi individualiséen dehors du temps de travail puisque ce sont des entreprises où l’on travail<strong>le</strong>comme dans n’importe quel<strong>le</strong> autre entreprise.Le retour à l’activité est un point essentiel« On n’aurait pas de boulot sans eux » ; « Regardez, depuis que je suis ici,j’ai du travail, avant, ça faisait bien huit ans que je ne travail<strong>la</strong>is pas. »L’acquisition de compétences et de savoir-faire est souvent soulignée :« Le truc, c’est que j’apprends tous <strong>le</strong>s jours. Ils ont <strong>le</strong> temps de vous apprendretandis que chez un patron, on vous dit : “ Prenez ça et débrouil<strong>le</strong>z-vous.” »« Ils vous font réviser pas mal de choses sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on a des <strong>la</strong>cunes,comme <strong>le</strong>s maths, <strong>le</strong> français. »« El<strong>le</strong> m’a fait faire une petite formation d’une semaine de repassage, el<strong>le</strong> m’adit que ça <strong>pour</strong>rait me servir <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s personnes âgées. Si je n’arrive pas à trouverun emploi d’auxiliaire de vie, je <strong>pour</strong>rais toujours faire de l’aide à domici<strong>le</strong>.»« N’importe quel boulot, c’est toujours une expérience en plus. »Le sentiment de fierté est éga<strong>le</strong>ment important : « La chance de voir unmeub<strong>le</strong> tout défoncé, tout moche et de passer six heures <strong>pour</strong> faire revivre<strong>le</strong> meub<strong>le</strong>, <strong>le</strong> p<strong>la</strong>isir de donner vie à quelque chose qui n’en a plus ! »En ce qui concerne <strong>le</strong>s re<strong>la</strong>tions aux autres, on constate que <strong>le</strong> parcoursd’insertion favorise <strong>la</strong> communication :« Les gens me par<strong>le</strong>nt maintenant, on ne se dit plus vous mais tu. » « Depuisque je suis ici, je suis devenu plus calme. »Un sentiment d’intégration se développe : « A Noël, je suis allé voir l’avocat<strong>pour</strong> <strong>la</strong> pension alimentaire. Maintenant, je fais tout ce que tout pèredivorcé doit faire. »D’autres dessins illustrent <strong>la</strong> perception qu’ils ont des apports bénéfiquesdu parcours d’insertion dans <strong>le</strong>ur vie quotidienne.Pour certains, c’est un sou<strong>la</strong>gement financier : « Ça m’aide déjà un peu,c’est un peu plus financièrement, c’est plus qu’un RMI », ou <strong>la</strong> résolution5657


de problèmes matériels : « Avec de l’argent, ça va me permettre de payer<strong>le</strong> permis, au moins <strong>le</strong> code parce que c’est indispensab<strong>le</strong> <strong>pour</strong> trouver untravail fixe » ou encore <strong>la</strong> possibilité de satisfaire ses envies : « Auparavant,je ne pouvais même pas me permettre un yaourt, c’était des pâtes, commeça, sans beurre et même pas de dessert. Là, au moins, je peux m’acheterun dessert. »Les principaux enseignements de ce dernier point montrent que l’IAE estun temps de répit, un sou<strong>la</strong>gement financier, une stimu<strong>la</strong>tion et un soutien<strong>pour</strong> <strong>la</strong> résolution de problèmes ou de démarches à faire. C’est aussi <strong>la</strong>possibilité de regarder un peu plus loin, de commencer à se projeter, àconcevoir un avenir, une ouverture de sa sphère.Les préconisationsCette étude a bou<strong>le</strong>versé un certain nombre d’idées reçues, notamment cel<strong>le</strong>sdes professionnels. En dehors de certaines structures d’insertion qui travail<strong>le</strong>ntsur des outils avec <strong>le</strong>ur tête de réseau, dont <strong>la</strong> visibilité est suffisante del’extérieur et de l’intérieur, nous nous sommes aperçus que de nombreusesstructures n’étaient pas suffisamment lisib<strong>le</strong>s. Nous avons proposé <strong>la</strong>construction d’outils de mesure mis en p<strong>la</strong>ce avec l’ensemb<strong>le</strong> du groupe depilotage et nous avons créé une échel<strong>le</strong> de mesure de l’apport des SIAE.Une personne qui est accueillie dans une structure d’insertion doit êtreévaluée, c’est-à-dire qu’il faut faire <strong>le</strong> point sur ses compétences avec el<strong>le</strong>afin qu’en sortant el<strong>le</strong> puisse dire « je sais faire ceci, j’ai appris ce<strong>la</strong> ». Un outilsimp<strong>le</strong> a été proposé. Il n’a pas été fait par un expert en comportement, maisa été construit à partir de <strong>le</strong>urs propres paro<strong>le</strong>s : nous avons repris <strong>le</strong>s mots« insertion socia<strong>le</strong> », « confiance en soi », « retour à un équilibre personnel »et <strong>le</strong>s différents éléments de l’insertion professionnel<strong>le</strong>. Ce<strong>la</strong> donne uneéchel<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>ur permet de s’évaluer eux-mêmes, dès qu’ils intègrent unestructure d’insertion.En ce qui concerne <strong>le</strong>s préconisations, nous avons travaillé afin d’accentuer<strong>la</strong> visibilité du parcours <strong>pour</strong> ses bénéficiaires. Nous avons constaté quecertains ne voyaient pas bien <strong>la</strong> répartition des rô<strong>le</strong>s entre ceux qui accompagnaientet ceux qui étaient dans l’entreprise <strong>pour</strong> enseigner des gestestechniques. Pour repérer <strong>le</strong>s codes de l’entreprise, <strong>le</strong>s hiérarchies, il est trèsimportant qu’ils apprennent à bien distinguer celui qui, dans l’entreprise, vaà un moment donné se pencher sur <strong>le</strong>urs problèmes d’endettement ou desanté et celui qui, dans <strong>le</strong> travail, est <strong>le</strong> chef d’équipe ou <strong>le</strong> patron. Ils doiventavoir une bonne représentation de <strong>la</strong> hiérarchie et des postes de travail.Il convient éga<strong>le</strong>ment d’accentuer <strong>la</strong> visibilité du parcours en fonction desprogrès réalisés : faire <strong>le</strong> lien avec <strong>le</strong> projet personnel et <strong>le</strong>s bénéficesimmédiats et rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s spécificités d’une structure d’insertion par l’activitééconomique et notamment l’aspect transitoire de l’accueil dans cette structure.Les structures d’insertion n’accueil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s personnes qu’un temps déterminé.El<strong>le</strong>s jouent un rô<strong>le</strong> de sas.Les rô<strong>le</strong>s de chacun et <strong>la</strong> va<strong>le</strong>ur de <strong>la</strong> structureUne structure d’insertion n’est pas une entreprise comme <strong>le</strong>s autres, el<strong>le</strong> estfaite <strong>pour</strong> favoriser <strong>le</strong> passage vers une autre entreprise. Pour ce<strong>la</strong>, il fautpréparer l’entretien de sortie. Si certaines entreprises font des entretiensde sortie, notamment cel<strong>le</strong>s qui sont adhérentes à des réseaux et qui ontopté <strong>pour</strong> des <strong>la</strong>bellisations, c’est <strong>le</strong> cas de Qualirei <strong>pour</strong> <strong>le</strong> CNEIL, VITA<strong>pour</strong> <strong>le</strong> COORACE, d’autres structures d’insertion, a contrario, <strong>la</strong>issent partir<strong>le</strong>s bénéficiaires sans préparer <strong>le</strong>ur départ.Une structure d’insertion, sur <strong>le</strong> p<strong>la</strong>n territorial, a éga<strong>le</strong>ment intérêt à renforcerou à consolider ses partenariats afin que <strong>le</strong>s sa<strong>la</strong>riés en insertion puissentéga<strong>le</strong>ment bénéficier du capital social établi par <strong>le</strong>s structures d’insertionpar l’activité économique. On ne s’intègre pas dans notre société avec <strong>le</strong>seul capital financier, il y a aussi tout un capital de re<strong>la</strong>tions socia<strong>le</strong>s ethumaines à développer. Il est donc très important que ces entreprisessoient bien situées dans <strong>le</strong> tissu et dans <strong>le</strong> développement économique local.5859


2Accompagner vers l’insertionXavier EMMANUELLIDenis CLERCHélène HENCKENSRené DIDI6061


« Au contact de <strong>la</strong> grande exclusion, il fautde grands professionnels »Xavier Emmanuelli, président fondateur du SamusocialVous avez raison de dire « Docteur », tant il est vrai que <strong>le</strong>s gens quisont dans l’extrême exclusion ont des problèmes et des handicapsd’au moins trois ordres : physique, psychique et socio-économique.Il n’y a pas de personne dans <strong>la</strong> grande exclusion qui neprésente pas des troub<strong>le</strong>s sanitaires et psychologiques. La description queje vais faire est caricatura<strong>le</strong> d’une personne en grande exclusion. Tous neprésentent évidemment pas <strong>le</strong>s mêmes symptômes, mais si nous décrivonsdes personnes gravement exclues, el<strong>le</strong>s présentent des traits communsque j’ai pu observer lorsque j’étais médecin à Nanterre, hôpital spécifiquesitué à 25 km au nord-ouest de Paris. C’était l’endroit où <strong>la</strong> police, <strong>la</strong> Brigaded’assistance <strong>pour</strong> personnes sans abri (BAPSA) conduisait <strong>le</strong>s gens quiétaient dans <strong>la</strong> rue, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ur porter assistance certes, mais aussi <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ssoustraire au regard des autres. Il s’agissait plus d’hygiène urbaine que deprotection des personnes. El<strong>le</strong> <strong>le</strong>s y conduisait parce qu’à l’époque, jusqu’en1994, <strong>le</strong>s personnes qui vivaient dans <strong>la</strong> rue étaient considérées commedes délinquants. C’était <strong>le</strong> délit de vagabondage et celui de mendicité. El<strong>le</strong>sétaient conduites à Nanterre <strong>pour</strong> faire un bi<strong>la</strong>n, se faire épouil<strong>le</strong>r, soigner,recevoir de quoi manger puis el<strong>le</strong>s étaient tout simp<strong>le</strong>ment raccompagnéesdans <strong>le</strong>s rues de Paris, une fois que <strong>le</strong>urs vêtements avaient étéétuvés et qu’el<strong>le</strong>s avaient reçu <strong>le</strong>s premiers soins.Ce qui m’étonnait <strong>le</strong> plus lorsque je rencontrais ces personnes sous <strong>la</strong> doucheobligatoire, c’était <strong>le</strong>ur état physique. El<strong>le</strong>s avaient des lésions considérab<strong>le</strong>set en même temps j’étais frappé par l’absence de p<strong>la</strong>inte. On retrouvait toujoursce mauvais état de santé et <strong>le</strong> manque ou l’absence de p<strong>la</strong>inte, quel<strong>le</strong>sque soient <strong>le</strong>urs lésions. J’en étais extrêmement étonné et je me suisensuite petit à petit fait une religion là-dessus. Pourquoi cette absence dep<strong>la</strong>inte ? Premièrement, parce que plus <strong>le</strong>s personnes sont exclues, moinsel<strong>le</strong>s trouvent de tribune <strong>pour</strong> en par<strong>le</strong>r ou el<strong>le</strong>s savent parfaitement que, siel<strong>le</strong>s poussent <strong>la</strong> porte d’un cabinet de consultation, toute <strong>la</strong> sal<strong>le</strong> d’attentese lèvera et partira en pensant : « Mon médecin soigne ces gens-làdonc ce n'est pas <strong>pour</strong> moi. »Je voyais <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> profond – et ceci est va<strong>la</strong>b<strong>le</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong> monde de l’exclusion– de <strong>la</strong> représentation corporel<strong>le</strong>. Par exemp<strong>le</strong>, si dans <strong>le</strong> métro, onvoit une personne profondément alcoolisée, personne ne viendra se mettreà côté d’el<strong>le</strong>. Pourquoi ? Non parce que l’on a peur d’un geste pulsionnel,agressif. Non parce que l’on a peur d’attraper des poux, <strong>la</strong> ga<strong>le</strong>… Ona juste peur d’être perçu par <strong>le</strong>s autres comme étant semb<strong>la</strong>b<strong>le</strong>, en toutcas comme faisant partie de l’environnement immédiat de ces personnes.El<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> savent et se sentent invisib<strong>le</strong>s, irreprésentab<strong>le</strong>s aux yeux de<strong>la</strong> société et lorsque l’on n’existe pas dans <strong>le</strong>s yeux des autres, on n’existepas non plus à ses propres yeux. On n’existe que par <strong>le</strong> regard de l’autre :6263


chacun d’entre nous s’autoséduit dans <strong>le</strong> regard de l’autre, on essaie des’imaginer <strong>la</strong> façon dont on est perçu. J’imagine que je suis perçu de tel<strong>le</strong>façon et je me séduis moi-même. La séduction disparaît en même tempsque l’absence de regard et petit à petit l’image se dégrade. Les enfantsqui, depuis l’enfance, n’ont été ni touchés, ni embrassés, ni caressés, niappelés par <strong>le</strong>ur nom, qui ont été considérés comme moins que rien ou quiont été battus ou violés subissent <strong>la</strong> même détérioration d’eux-mêmes. Ilsn’arrivent pas à avoir une image inconsciente, une perception de <strong>le</strong>ur proprecorps et lorsque l’on n’a pas <strong>la</strong> perception inconsciente de son corps,tout peut se produire en matière de santé. C’est <strong>la</strong> raison <strong>pour</strong> <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> jeprétends que l’exclusion s’accompagne obligatoirement de problèmessanitaires. La disparition ou atteinte du code du corps est une constante.Une deuxième chose se produit dans l’exclusion, c’est l’atteinte d’un autregrand code, important <strong>pour</strong> se situer dans <strong>la</strong> société, <strong>le</strong> code du temps.Celui-ci, je l’ai constaté lorsque j’avais des pansements à faire refaire, jedisais : « Rendez-vous mardi prochain. » Il ne venait pas car il ne se passerien dans <strong>la</strong> vie d’un exclu. Il n’y a pas de projet, il n’y a pas d’évènement,il n’y en a jamais eu et il n’y en aura pas. Les gens ont l’impressiond’être dans un présent répétitif, comment dans ces conditions peuvent-ilsse projeter dans <strong>le</strong> futur ? L’atteinte du temps est une constante et je l’aiobservée chez <strong>le</strong>s grands exclus mais aussi chez de jeunes types quin’avaient jamais travaillé, des enfants d’une famil<strong>le</strong> au chômage. Lorsquevous <strong>le</strong>ur trouvez un stage ou même un petit emploi, ils ont des difficultésà se mouvoir dans <strong>le</strong>s horaires. Tant que vous êtes là, ils respectent <strong>le</strong> tempsde <strong>la</strong> production, mais lorsqu’ils ne capteront plus votre regard sur eux,alors surviendront des pannes de réveil, des entorses de <strong>la</strong> chevil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> trainqui se rate, que sais-je. Ce<strong>la</strong> décourage toujours un patron ou un maîtrede stage. Le non-respect du temps est une raison d’échec. Le code dutemps est <strong>le</strong> premier alphabet que l’on perd et <strong>le</strong> dernier que l’on acquiert :<strong>la</strong> possibilité de gérer <strong>le</strong> temps n’est pas automatique. L’exclusion engendrede grands manques chez des gens qui n’ont jamais eu <strong>la</strong> connaissancedu temps. C’est <strong>la</strong> deuxième constante.Le troisième grand code qui disparaît est celui de l’espace. L’exclusionentraîne un repli archaïque sur soi-même : on recherche <strong>le</strong>s codes de survie“Le code du tempsest <strong>le</strong> premieralphabet que l’onperd et <strong>le</strong> dernierque l’on acquiert : <strong>la</strong>possibilité de gérer<strong>le</strong> temps n’est pasautomatique.”importants, où dormir, où coucher, qui je suis et dans que<strong>le</strong>space me protège-je. C’est <strong>la</strong> territorialisation. Les grandsexclus, vous l’avez sans doute observé chez <strong>le</strong>s clochards, sontau même endroit, ce<strong>la</strong> s’appel<strong>le</strong> <strong>le</strong> territoire. On se replie surun territoire que l’on a façonné ou que l’on a conquis, qui estl’endroit où l’on se sent en sécurité, où il y a des ressources,où l’on trouve à manger, où l’on peut faire <strong>la</strong> manche.Lorsque des jeunes n’ont pas de contact avec <strong>le</strong>s autres, ilsse replient sur <strong>le</strong> territoire du quartier, <strong>le</strong> territoire du jardin etils ont personnalisé ce territoire. Ce<strong>la</strong> a une importance chez<strong>le</strong>s grands exclus lorsque vous <strong>le</strong>ur donnez par exemp<strong>le</strong> unecarte de métro en <strong>le</strong>ur disant : « Vous vous rendrez là, vouschangerez là <strong>pour</strong> vous rendre au dispensaire. » Il n’y a pasde représentation abstraite du p<strong>la</strong>n. C’est ce que disaitKorzybski : « La carte n’est pas <strong>le</strong> territoire. » Le territoire estbien compris, mais <strong>la</strong> représentation, l’abstraction, ne sontpas vues. C’est <strong>la</strong> troisième atteinte des codes de l’exclusion.Pour répondre à votre question, qui sont-ils ? je dirais qu’ils’agit de personnes qui ont des atteintes profondes de cestrois codes.Le quatrième code est celui de l’altérité, comme dans <strong>la</strong>schizophrénie, comme dans l’autisme où l’on perd <strong>la</strong>connaissance de l’autre et des limites de son corps. Lorsquel’on s’adresse <strong>le</strong>s uns aux autres, on procède à une espècede petite parade d’approche, c’est <strong>le</strong> code de politesse : ons’approche, on tend <strong>la</strong> main, un sourire, on dit quelques mots,« Comment ça va ? », <strong>pour</strong> avoir un échange. Ce code desociété, ce code de politesse, a <strong>pour</strong> effet d’apaiser une rencontreavec quelqu’un d’inconnu. Je vais ritualiser ma rencontreavec cet inconnu grâce à ce code de politesse, cecode sociétal qui est vieux comme toutes <strong>le</strong>s sociétés. Ensituation d’exclusion, on ne se sert pas de ces codes-là, nientre exclus ni avec <strong>le</strong>s institutions. Les institutions vontdirectement aux faits, c’est-à-dire qu’el<strong>le</strong>s « chosifient» en6465


“La légendedu clochardphilosophe faitcroire que <strong>le</strong>s genschoisiraient <strong>le</strong>urcondition. Mais quichoisit l’enfer ?Personne.”quelque sorte, el<strong>le</strong>s demandent <strong>le</strong> nom, à quel type d’assistanceils ont droit, si <strong>le</strong> CV a été bien rempli car il n’y a pasde raison d’apaiser une rencontre. C’est <strong>pour</strong> ce<strong>la</strong> que l’exclusionporte à <strong>la</strong> barbarie, c’est-à-dire à l’impulsion. Vousobserverez que dans l’extrême exclusion, <strong>le</strong>s gens ne s’appel<strong>le</strong>ntpas Monsieur, ne se vouvoient pas, c’est beaucoupplus compulsif. En réalité, ce manque de codes vous conduità <strong>la</strong> paranoïa, à <strong>la</strong> crainte de l’inconnu.Un sociologue français, A<strong>le</strong>xandre Vexliard, a décrit quatrephases d’exclusion. Il a théorisé sur <strong>le</strong> sujet au cours decentaines d’entretiens qu’il a eu dans <strong>le</strong>s cafés, sur <strong>le</strong>s bordsde Seine, etc. La première de ces quatre phases est cel<strong>le</strong>de l’agression. Plus <strong>la</strong> société paraît étrange et étanche,plus ils agressent <strong>pour</strong> entrer dedans et faire valoir <strong>le</strong>ur droitd’existence. Ils agressent constamment l’éducateur, l’éco<strong>le</strong>,<strong>le</strong> collège, et tous ceux qui veu<strong>le</strong>nt s’occuper d’eux parcequ’ils comprennent bien que personne n’a <strong>la</strong> clé, que c’estincompréhensib<strong>le</strong> et que ce n’est pas fait <strong>pour</strong> eux.Ensuite, survient <strong>le</strong> deuxième stade : au bout d’un moment,<strong>la</strong> personne se dit : « Et si ce n’était pas <strong>la</strong> société qui étaitmauvaise, si c’était moi ? » Il s’agit d’un stade de dépréciationde soi, stade de dépression. « De toute façon, je ne vaux rien,je n’y arriverai pas. » Même si on essaye de proposer un stageou un petit boulot, ils sont convaincus de ne pas y arriver. La peurde l’échec conduit à l’échec. C’est un acte manqué et plusvous faites d’actes manqués, plus vous êtes voué à l’échec.Le stade de dépréciation est dangereux parce qu’il conduità se faire aider par <strong>la</strong> drogue, <strong>le</strong>s médicaments, l’alcool, etpousse parfois au suicide. Les deux grands stades d’agressionet de dépréciation sont évidemment réversib<strong>le</strong>s.Le troisième stade est <strong>le</strong> stade de fixation, c’est-à-dire <strong>le</strong>moment où <strong>la</strong> personne accepte son statut de marginal et<strong>le</strong> revendique. « Evidemment, je suis clochard, mais je l’ai detoute façon choisi », c’est <strong>le</strong> contresens que font souvent <strong>le</strong>sgens en croyant que l’on choisit sa vie. « Je revendique ma vie.Vous, vous êtes coincés, métro, boulot, dodo, etc. Moi, je suis libre, je vaisoù je veux, je dors où je veux, je dors quand je veux et vous, vous êtescoincés par <strong>la</strong> société. » Ce<strong>la</strong> devient <strong>la</strong> légende du clochard philosophe,une légende tenace qui fait croire, et on <strong>le</strong> voit même chez <strong>le</strong>s hommes politiques,que <strong>le</strong>s gens choisiraient <strong>le</strong>ur condition. Mais qui choisit l’enfer ?Personne. On peut rester des années dans <strong>le</strong> stade de fixation qui est renforcépar <strong>le</strong>s copains, par l’alcool, par <strong>le</strong>s institutions qui ne comprennent pas.Combien de fois entend-on « il refuse l’hébergement ». Evidemment qu’ilrefuse. Il refuse parce qu’il se revendique, on constate par là un effort narcissiquede <strong>la</strong> personnalité <strong>pour</strong> dire « moi, je suis et j’assume ».Enfin, <strong>le</strong> quatrième stade est celui d’abandon. Comme son nom l’indique,<strong>le</strong>s gens n’ont plus l’énergie, ne se voient plus, ne se représentent plus et sontà <strong>la</strong> charge des ONG, des bonnes âmes ou autres <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ur venir en aide.Ces quatre stades doivent être repérés parce qu’il faut vraiment s’acharnerau cours des deux premiers. Au stade de fixation, <strong>le</strong> pire ennemi de <strong>la</strong> réinsertion,c’est <strong>la</strong> personne el<strong>le</strong>-même et c’est très diffici<strong>le</strong>. L’écrivain Jean-Baptistede Foucault, homme qui a beaucoup réfléchi sur l’exclusion, a écrit dans LesTrois Cultures du développement humain que chacun d’entre nous doit remplirtrois contrats, un contrat matériel et deux contrats immatériels. Lecontrat matériel est <strong>le</strong> contrat du travail. On produit quelque chose, un objet,un service, on produit et on reçoit en contrepartie un sa<strong>la</strong>ire. On est donclibéré de ce contrat, qui est d’ail<strong>le</strong>urs bien balisé par <strong>le</strong> juridique, par sonsa<strong>la</strong>ire. Ce contrat permet d’exister socia<strong>le</strong>ment. On en est libéré lorsquel’on a reçu son sa<strong>la</strong>ire. Le deuxième contrat que l’on a <strong>le</strong>s uns avec <strong>le</strong>sautres est celui de l’altérité, donner, offrir, recevoir, prendre, remercier, c’est<strong>le</strong> contrat que l’on a avec <strong>le</strong>s autres. On n’est évidemment jamais libéré dece contrat et nous allons tout au long de notre vie avoir ce contact avec<strong>le</strong>s autres, nécessaire à <strong>la</strong> survie et qui nous rend un peu obligé vis-à-vis desautres. Le troisième contrat est encore plus mystérieux, il s’agit éga<strong>le</strong>mentd’un contrat immatériel, c’est celui du sens. Tout <strong>le</strong> monde se pose <strong>la</strong> question: qui suis-je ? Que veut dire ma souffrance ? Que veut dire mon amour ?Que veut dire ma mort ? Que veut dire <strong>le</strong> monde ? Où suis-je ? Qu’est-ce que<strong>le</strong> temps ? Tous <strong>le</strong>s hommes ont ce contrat du sens.Ces trois contrats sont obligatoires et si l’on croit que <strong>le</strong> contrat du travai<strong>le</strong>st suffisant, on se trompe, <strong>le</strong>s autres vont ensemb<strong>le</strong>. Nous ne sommes6667


pas des pièces de Meccano que l’on met dans un travail de production,il faut aussi tenir compte de l’environnement et des re<strong>la</strong>tions avec l’autre.Pour résumer, <strong>le</strong> travail sans <strong>le</strong>s amis et sans savoir où l’on va ne suffit pasà remplir <strong>le</strong> contrat. Si l’on a du travail et que l’on est avec <strong>le</strong>s autres, on viten communauté et l’on ne s’en échappe pas. Si l’on n’a que <strong>le</strong> troisièmecontrat, <strong>le</strong> sens, on est derrière <strong>le</strong>s murs d’un couvent. Les trois sont doncnécessaires et <strong>le</strong>s trois font l’homme en société.L’un des sujets diffici<strong>le</strong>s de l’exclusion est de savoir comment se situent<strong>le</strong>s gens. Ils ne se disent pas « je suis un exclu », ils ne peuvent pas se <strong>le</strong>dire, ils ne se sentent pas en difficulté, mais lorsque vous abordez <strong>le</strong> sujet,il y a trois sentiments. Le premier est : « Qu’est-ce que ces gens me veu<strong>le</strong>ntet au nom de quoi m’abordent-ils ? » Ce refus peut al<strong>le</strong>r jusqu’àl’agression. Le deuxième aspect, <strong>le</strong> plus dangereux, est que <strong>le</strong>s gensadoptent l’attitude qu’ils imaginent être votre espérance. Par exemp<strong>le</strong>, unepersonne coincée dans l’addiction à alcool vous dira très faci<strong>le</strong>ment :« Mais oui, je vais arrêter de boire. » Vous <strong>la</strong> croyez et vous al<strong>le</strong>z dans cesens. Il s’agit, bien entendu, d’un contrat extrêmement diffici<strong>le</strong> : el<strong>le</strong> vousdonnera <strong>le</strong>s apparences de quelqu’un qui va se battre, mais el<strong>le</strong> ne <strong>pour</strong>rapas tenir. El<strong>le</strong> sera déçue, vous <strong>le</strong> serez éga<strong>le</strong>ment et <strong>la</strong> qualité de re<strong>la</strong>tionsera très mauvaise parce que vous aurez cru sur paro<strong>le</strong> ce que <strong>le</strong>s gensont tenu à faire <strong>pour</strong> vous faire p<strong>la</strong>isir. Il faut donc faire très attention à nepas projeter son désir de rédemption ou de vouloir s’en sortir sur <strong>le</strong>sautres. Les gens vont à <strong>le</strong>ur rythme. La troisième attitude est l’indifférence<strong>pour</strong> ne pas être dans <strong>la</strong> honte. Il faut donc faire très attention aux paro<strong>le</strong>s,aux attitudes et aux comportements.Je crois que ce dont <strong>le</strong>s gens souffrent <strong>le</strong> plus dans l’exclusion, qu’ilsappel<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ur dignité, est que l’on ne <strong>le</strong>ur applique pas <strong>le</strong>s codes de <strong>la</strong> viecourante, ceux que l’on applique aux autres, sous prétexte qu’ils sont endifficulté. Or, ils savent que même s’il n’y a pas de demande, ni de manifestationde gêne ou de honte, il y a un rejet. Et malgré ce<strong>la</strong>, ils comprennentqu’il faut rattraper <strong>le</strong>s codes et produire l’échange nécessaire <strong>pour</strong> se sentirdigne d’être avec <strong>le</strong>s autres. Ce<strong>la</strong> a évidemment été théorisé par <strong>la</strong> microsociologie,l’éco<strong>le</strong> de Chicago, qui par<strong>la</strong>it des quatre distances : <strong>la</strong> distancedu toucher, <strong>la</strong> distance intime, <strong>la</strong> distance privée, <strong>la</strong> distancesocia<strong>le</strong> ou distance publique, cel<strong>le</strong> que l’on occupe avec l’autre. Il fautsavoir modu<strong>le</strong>r parce que l’exclusion vous conduit toujours à une régressionarchaïque. La microsociologie permet d’al<strong>le</strong>r très profondément dansdes représentations sociéta<strong>le</strong>s, dans des représentations de codes qu’il va“Il faut avoirprésent à l’espritque l’on part à <strong>la</strong>reconquête decodes archaïques.Si on ne <strong>le</strong>s a pasrésolus, <strong>le</strong>s gensvont tourner enrond, piégés dans<strong>le</strong>ur représentationd’eux-mêmes.”falloir <strong>le</strong>s aider à regagner <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s remettre à niveau demanière à ce qu’ils puissent retrouver une dynamique.Comment ce<strong>la</strong> se passe au Samusocial ? J’ai appliqué <strong>le</strong>srèg<strong>le</strong>s du Samu auquel j’avais eu <strong>le</strong> privilège de participeril y a trente-cinq ans qui reposent sur quatre grands principes.Premièrement l’urgence, ensuite <strong>la</strong> mobilité, <strong>la</strong> permanencejour et nuit et enfin, <strong>la</strong> mise à l’abri de façon àcommencer à sortir <strong>le</strong>s gens du gouffre dans <strong>le</strong>quel ils sesont mis. Un numéro d’appel, <strong>le</strong> 15 <strong>pour</strong> <strong>le</strong> Samu, <strong>le</strong> 115 <strong>pour</strong><strong>le</strong> Samusocial. L’urgence est une méthode <strong>pour</strong> al<strong>le</strong>r vers cesgens. Essayer en quelques minutes, à condition de bienconnaître <strong>le</strong>s archaïsmes d’établir un lien va<strong>la</strong>b<strong>le</strong>, reconnu,qui conduit vers <strong>la</strong> post-urgence. L’urgence est uneméthode <strong>pour</strong> sortir de <strong>la</strong> précarité. Ensuite, on gagne <strong>le</strong>scodes, on ne peut pas al<strong>le</strong>r de <strong>la</strong> rue vers l’insertion si l’onn’a pas fait <strong>le</strong> travail de post-urgence. Réfléchir et accompagner<strong>la</strong> personne, individuel<strong>le</strong>ment, sur <strong>la</strong> voie de <strong>la</strong> reconquêtede ces trois grands codes, <strong>le</strong> corps, <strong>le</strong> temps et l’espace,voire <strong>le</strong> quatrième qui est l’altérité, <strong>le</strong> code de l’autre.A <strong>la</strong> suite de quoi, <strong>le</strong> travail peut commencer.Mais il faut connaître l’atteinte et ce<strong>la</strong> demande un travaildiagnostique. Quel est <strong>le</strong> degré de désocialisation et quere-conquiert-on avant d’être dans <strong>la</strong> dynamique de l’insertion? Lorsque <strong>le</strong>s atteintes sont psychiques, psychologiques,<strong>la</strong> tâche est beaucoup plus diffici<strong>le</strong> et <strong>le</strong> temps pluslong, mais aucun psychisme n’est immobi<strong>le</strong> et tout <strong>le</strong> mondevaut <strong>la</strong> peine, il faut considérer ce<strong>la</strong> comme postu<strong>la</strong>t parceque c’est une réalité, tout <strong>le</strong> monde mérite que l’on se batte<strong>pour</strong> lui. Mais il faut y consacrer du temps et du savoir. Unautre de mes adages est : « Au contact de <strong>la</strong> grande exclusion,il faut de grands professionnels.» Il ne suffit pas d’avoirbon cœur, il faut connaître <strong>le</strong>s codes, il n’existe aucune procédureautomatique <strong>pour</strong> sortir de l’exclusion, il n’y a quedes accompagnements très personnalisés et il faut avoirprésent à l’esprit que l’on part à <strong>la</strong> reconquête de codesarchaïques. Si on ne <strong>le</strong>s a pas résolus, <strong>le</strong>s gens vont tourneren rond, piégés dans <strong>le</strong>ur représentation d’eux-mêmes.6869


Les inégalités face à l’emploi :présentation des faits et chiffresDenis C<strong>le</strong>rc, fondateur d’Alternatives EconomiquesAmoins de circonstances tout à fait exceptionnel<strong>le</strong>s, <strong>la</strong> décrue duchômage entamée depuis quelques années devrait se <strong>pour</strong>suivre.Ce n’est pas <strong>pour</strong> autant que l’exclusion dont certains sontvictimes sur <strong>le</strong> marché du travail sera éliminée. Je vais m’efforcerd’éc<strong>la</strong>irer ces deux affirmations.L’amélioration de l’emploi, tout d’abord. Il nous faut, <strong>pour</strong> <strong>la</strong> comprendre,faire un petit détour par <strong>le</strong>s questions démographiques. Jusqu’en 2005, <strong>le</strong>sgénérations jeunes qui arrivaient chaque année à 20 ans comprenaient enmoyenne aux a<strong>le</strong>ntours de 800 000 personnes, alors que <strong>le</strong>s générationsâgées qui atteignaient 60 ans en comprenaient environ 530 000. Certes,parmi <strong>le</strong>s jeunes, une partie d’entre eux <strong>pour</strong>suivaient <strong>le</strong>urs études et d’autresne cherchaient pas de travail, tandis que, parmi <strong>le</strong>s seniors, certainsavaient cessé précocement <strong>le</strong>ur activité et étaient en retraite ou préretraite.Reste que, en raison de cet écart démographique entre entrants et sortants,il fal<strong>la</strong>it alors créer 200 000 emplois supplémentaires chaque annéesimp<strong>le</strong>ment <strong>pour</strong> empêcher que <strong>le</strong> chômage ne gonf<strong>le</strong>. Et <strong>le</strong> chômage necommençait à diminuer que lorsqu’on parvenait à créer plus de 200 000emplois supplémentaires !Durant toutes ces années – de 1993 à 2005 –, <strong>la</strong> société française a beauavoir créé près de 3 millions d’emplois (dont 2,6 millions d’emplois sa<strong>la</strong>riés), <strong>le</strong>chômage n’a que faib<strong>le</strong>ment reculé. Si peu qu’il a semblé installé à perpétuitéau sein de <strong>la</strong> société française.Mais, depuis 2005, <strong>le</strong>s choses changent profondément du fait du retournementdémographique. Désormais, <strong>le</strong> nombre des nouveaux arrivants sur <strong>le</strong>marché du travail et celui des partants est à peu près équilibré. Dès qu’unemploi nouveau est créé, <strong>le</strong> chômage peut alors diminuer. C’est ce qui explique<strong>la</strong> baisse enregistrée depuis deux ans, et cette tendance ne va pas s’inverser.D’autant que, à ce changement issu de <strong>la</strong> démographie s’ajoute un changementde type économique : chaque point de croissance permet désormaisde créer nettement plus d’emplois qu’auparavant. Ainsi, <strong>le</strong> nombre d’emploisdans l’économie française (en équiva<strong>le</strong>nt temps p<strong>le</strong>in, de façon à comparerdes choses comparab<strong>le</strong>s) a progressé au total de 120 000 entre 1993 et 1997et de 300 000 entre 2002 et 2006, alors même que <strong>la</strong> croissance économiquea été très légèrement plus forte durant <strong>la</strong> première période. Autrement dit, <strong>la</strong>même croissance permet de créer désormais deux emplois là où, jusqu’àprésent, on parvenait à en créer un.Pourquoi ? Tout simp<strong>le</strong>ment parce que ce ne sont plus <strong>le</strong>s mêmes emplois.Il y a dix ans encore, <strong>la</strong> principa<strong>le</strong> source d’emplois se trouvait dans <strong>le</strong>sservices liés aux entreprises : <strong>la</strong> finance, <strong>la</strong> publicité, <strong>le</strong>s études, <strong>le</strong> marketing.Des activités caractérisées par de fortes « économies d’échel<strong>le</strong> », c’est-à-70 71


“Dans <strong>le</strong>s annéesà venir, <strong>le</strong> niveaudu chômage ne seraplus déterminépar l’insuffisanced’emplois, maispar l’insuffisanced’employabilité.”dire où il n’est pas nécessaire de créer beaucoup d’emplois<strong>pour</strong> produire davantage.Aujourd’hui, au contraire, l’essentiel des créations d’emploisse trouve dans des activités de service caractérisées par <strong>le</strong>« face-à-face », <strong>pour</strong> reprendre l’expression de Jean-Baptistede Foucauld. Ce sont, par exemp<strong>le</strong>, <strong>la</strong> santé, <strong>la</strong> formation, <strong>la</strong>justice, <strong>la</strong> sécurité, l’accompagnement, <strong>le</strong>s services aux personnes,etc. Par exemp<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> soutien sco<strong>la</strong>ire, ordinateuret vidéo ne remp<strong>la</strong>ceront jamais <strong>le</strong> travail d’explication d’unepersonne compétente.Dans toutes ces activités, <strong>le</strong>s gains de productivité sont quasiinexistants. Les professionnels qui rendent ces services doivent,à chaque fois, s’adapter à une demande particulière, à despersonnes ou des publics particuliers.Il en est de même dans toute l’Union européenne. Une croissancepas plus rapide qu’avant engendre davantage decréations d’emplois, et ceci au moment même où, du faitdes nombreux départs en retraite, tout emploi supplémentairecréé permet de réduire <strong>le</strong> chômage. Nos sociétés, globa<strong>le</strong>ment,ne sont pas en panne d’emplois, même si – on yreviendra – <strong>la</strong> qualité de certains de ces nouveaux emplois<strong>la</strong>isse beaucoup à désirer.Toutefois, ne faisons pas <strong>la</strong> mariée trop bel<strong>le</strong>, notamment ence qui concerne <strong>le</strong>s évolutions démographiques. Il ne suffitpas, en effet, que des travail<strong>le</strong>urs partent en grand nombreen retraite <strong>pour</strong> que l’emploi s’améliore automatiquement.D’abord, <strong>le</strong>s entreprises peuvent profiter de ces départs <strong>pour</strong>comprimer <strong>le</strong>urs effectifs, se recentrer sur <strong>le</strong>ur « cœur demétier » et abandonner des productions pas assez intéressantes<strong>pour</strong> el<strong>le</strong>s : un départ n’est donc pas forcément compensépar une embauche, il s’en faut de beaucoup.Ensuite, <strong>le</strong>s emplois qui se « libèrent » ne correspondent pasforcément aux qualifications de ceux qui cherchent du travail. Quand <strong>la</strong>mono-activité domine, comme c’était <strong>le</strong> cas, dans <strong>le</strong>s années 1960, desvallées vosgiennes alors dominées par <strong>le</strong> texti<strong>le</strong>, <strong>la</strong> crise du secteur dominantprovoque beaucoup de chômage, parce qu’aucune autre activité nepermet de prendre <strong>le</strong> re<strong>la</strong>is en cas de déclin de ce secteur dominant. Aucontraire, sur un territoire donné, lorsque <strong>le</strong>s activités sont diversifiées, uneentreprise qui disparaît n’entraîne pas forcément <strong>le</strong> déclin de tout <strong>le</strong> tissuéconomique. En outre, plus <strong>le</strong>s emplois existants sont variés, plus il estfaci<strong>le</strong> de trouver « chaussure à son pied ».On voit donc l’importance de ce que l’on appel<strong>le</strong> aujourd’hui <strong>le</strong> « développementlocal », c’est-à-dire <strong>la</strong> dynamisation de territoires locaux par desacteurs qui parviennent à susciter des activités diversifiées qui assurentplus faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> renouvel<strong>le</strong>ment des emplois. L’emploi appel<strong>le</strong> l’emploi, parceque <strong>le</strong>s entreprises et <strong>le</strong>urs sa<strong>la</strong>riés, en dépensant l’argent qu’ils gagnent,créent des opportunités d’emplois dans <strong>le</strong> commerce, <strong>le</strong>s services, etc.Le problème est que tous <strong>le</strong>s territoires n’ont pas <strong>le</strong> même dynamisme. Lacarte de France de l’emploi ressemb<strong>le</strong> à un tissu en « taches de léopard »,selon l’expression de Pierre Veltz. Certains territoires sont caractérisés parde nombreuses créations d’emplois, tandis qu’ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s suppressions d’emploisne sont compensées que par peu, voire pas, de créations nouvel<strong>le</strong>s.Le « retournement démographique » ne rég<strong>le</strong>ra donc pas tous <strong>le</strong>s problèmesd’emploi. Mais il va provoquer une modification fondamenta<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> marchédu travail. Dans <strong>le</strong>s années à venir, <strong>le</strong> niveau du chômage ne sera plusdéterminé par l’insuffisance d’emplois, comme ça a été <strong>le</strong> cas depuis trenteans, mais par l’insuffisance d’employabilité.En effet, ce n’est pas parce qu’un employeur a besoin de main-d’œuvrequ’il prend <strong>le</strong> premier venu. Le marché du travail est hautement sé<strong>le</strong>ctif :l’expérience professionnel<strong>le</strong>, l’origine socia<strong>le</strong>, <strong>le</strong> diplôme, l’âge, <strong>la</strong> façondont on se présente, comme <strong>le</strong> disait <strong>le</strong> docteur Xavier Emmanuelli, contribuentà cette sé<strong>le</strong>ction. Le regard porté par <strong>le</strong>s employeurs, mais aussi par<strong>le</strong>s structures qui s’occupent du rec<strong>la</strong>ssement des demandeurs d’emploi,sur <strong>le</strong>s personnes qui patientent dans <strong>la</strong> fi<strong>le</strong> d’attente des chômeurs se7273


évè<strong>le</strong> ainsi déterminant <strong>pour</strong> « décrocher » ou non un emploi. Et lorsquel’on a stagné de longs mois dans cette fi<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s employeurs potentiels seméfient plus encore, y voyant <strong>la</strong> preuve d’une « inemployabilité ». Le chômagedevient alors une trappe dont il est diffici<strong>le</strong> de sortir.Dans <strong>le</strong> tri ainsi effectué, trois facteurs jouent un rô<strong>le</strong> très important.D’abord, l’origine ethnique, comme <strong>le</strong> montrent <strong>le</strong>s enquêtes de testingmenées notamment à l’initiative de <strong>la</strong> HALDE (Haute autorité de luttecontre <strong>le</strong>s discriminations et <strong>pour</strong> l’égalité) et qui consistent à mesurerquel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s propositions d’entretien répondant à deux candidaturesidentiques en tous points à l’exception d’un seul, l’origine ethnique.Ensuite, l’absence de diplôme : 17 à 18 % des jeunes qui arrivent chaqueannée sur <strong>le</strong> marché du travail sont dans ce cas, moitié parce qu’ils n’ontpas réussi à décrocher <strong>le</strong> diplôme qu’ils préparaient (CAP, BEP, bac), moitiéparce qu’ils n’ont pas réussi à atteindre <strong>le</strong> niveau <strong>le</strong>ur permettant de seprésenter à l’examen et ont quitté l’éco<strong>le</strong> en situation d’échec. Pour cesderniers, selon <strong>le</strong> CEREQ (Centre d’études et de recherches sur <strong>le</strong>s qualifications),40 % d’entre eux étaient au chômage trois ans après <strong>le</strong>ur arrivéesur <strong>le</strong> marché du travail.Enfin, <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs âgés, même dotés d’une expérience professionnel<strong>le</strong>riche, qui <strong>pour</strong>rait être valorisée, sont fréquemment écartés de l’emploi.Leur « capital humain », c’est-à-dire l’ensemb<strong>le</strong> des savoirs professionnelsacquis durant <strong>le</strong>ur carrière, est ignoré ou méprisé, parce qu’on <strong>le</strong> suspected’être dépassé. Or, à <strong>la</strong> différence de <strong>la</strong> pi<strong>le</strong> Wonder, <strong>le</strong> capital humains’use si l’on ne s’en sert pas, et ces travail<strong>le</strong>urs seniors se retrouvent assezvite privés d’atouts sur <strong>le</strong> marché du travail.Comment endiguer cette réalité de l’exclusion qui risque de durer ?Je ne par<strong>le</strong> pas de <strong>la</strong> grande exclusion que <strong>le</strong> docteur Xavier Emmanuellinous a décrite, mais de l’exclusion au quotidien, cel<strong>le</strong> qui peut toucher toutun chacun, victime d’un accident de <strong>la</strong> vie. Car demain – dans trois ouquatre ans peut-être –, des postes demeureront non <strong>pour</strong>vus, alors mêmeque des chômeurs capab<strong>le</strong>s de <strong>le</strong>s occuper resteront dans <strong>la</strong> fi<strong>le</strong> d’attente,faute d’« employabilité » avérée vis-à-vis d’employeurs méfiants, estimantque ces candidats risquent de ne pas faire l’affaire.Il n’existe pas de remède mirac<strong>le</strong> <strong>pour</strong> mettre fin à cette spira<strong>le</strong> de l’exclusion.Néanmoins, on connaît <strong>le</strong>s solutions qui permettraient de <strong>la</strong> réduire.La première concerne <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce ou <strong>le</strong> développement de structuresspécialisées, comme <strong>le</strong>s structures d’insertion par l’activité économique(SIAE), qui sont des « sas » de retour vers l’entreprise. Le rô<strong>le</strong> de ces structuresest à <strong>la</strong> fois de permettre à tous <strong>le</strong>s chômeurs en difficulté d’acquérirune compétence professionnel<strong>le</strong> et de rassurer <strong>le</strong>s employeurs quant à <strong>la</strong>capacité des personnes concernées à occuper tel ou tel poste. Le premier rô<strong>le</strong>suppose <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce de dispositifs de validation des acquis professionnels,<strong>le</strong> second passe par un dispositif de tutorat et d’accompagnement despersonnes en difficulté dans <strong>le</strong>urs démarches vis-à-vis de l’emploi et desemployeurs. Il s’agit de désarmer <strong>le</strong> regard dévalorisant ou méfiant de ceuxqui recrutent, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ur garantir que <strong>la</strong> personne qui est devant eux, malgrédes handicaps passés, est en mesure de faire correctement ce métier.La deuxième solution concerne <strong>la</strong> lutte contre l’échec sco<strong>la</strong>ire. Car c’est àl’éco<strong>le</strong> que <strong>la</strong> machine à exclure commence souvent son sinistre travail.Les jeunes qui en sortent sans formation ou en situation d’échec arriventdiffici<strong>le</strong>ment à s’insérer dans <strong>la</strong> vie professionnel<strong>le</strong>. Leur parcours est <strong>le</strong>plus souvent caractérisé par une alternance de chômage et de « petitsboulots », qui suscite de <strong>le</strong>ur part agressivité, révolte et peut déboucher surdes activités illéga<strong>le</strong>s. Ce parcours est alors l’exact opposé de l’insertion parl’activité économique, et se termine souvent par l’exclusion ou <strong>la</strong> délinquance.Enfin, et surtout, <strong>la</strong> troisième concerne <strong>la</strong> réduction de <strong>la</strong> pauvreté <strong>la</strong>borieuse.On croyait ce phénomène limité aux économies libéra<strong>le</strong>s, comme <strong>le</strong>s Etats-Unis. On découvre que, même dans un pays comme <strong>la</strong> France, où <strong>la</strong> protectionsocia<strong>le</strong> est très développée, il existe. Il suffit que <strong>le</strong> niveau de viemensuel d’une personne seu<strong>le</strong> tombe en dessous de 850 euros <strong>pour</strong> qu’el<strong>le</strong>soit dans une situation de pauvreté monétaire (1250 euros s’il s’agit d’un7475


“Un milliond’emploisont une duréeinférieure àvingt-quatre heureshebdomadaires.”coup<strong>le</strong> sans enfant), situation qui engendre toute une sériede privations ou de difficultés qui empêchent de vivre norma<strong>le</strong>ment.Ce<strong>la</strong> concerne des personnes sans emploi percevant<strong>le</strong> RMI (420 euros mensuels), mais aussi, de plus enplus fréquemment, de personnes qui travail<strong>le</strong>nt : environ 1,8 millionde travail<strong>le</strong>urs sont actuel<strong>le</strong>ment dans ce cas.Toutefois, contrairement à ce que beaucoup croient, cettesituation de pauvreté est très rarement due à un sa<strong>la</strong>irehoraire insuffisant, comme <strong>le</strong>s travaux du CERC (Conseil del’emploi, des revenus et de <strong>la</strong> cohésion socia<strong>le</strong>) l’ont montré.Le Smic français, sans être <strong>le</strong> plus é<strong>le</strong>vé de l’Union européenne,est néanmoins re<strong>la</strong>tivement é<strong>le</strong>vé, à parité avec <strong>le</strong>Royaume-Uni et légèrement en dessous des Pays-Bas. Lesautres pays ont des sa<strong>la</strong>ires minima bien inférieurs.La pauvreté <strong>la</strong>borieuse, en France, provient essentiel<strong>le</strong>mentde durées d’emploi trop courtes, qu’il s’agisse de tempspartiel ou de contrats temporaires entrecoupés de périodesde chômage non ou peu indemnisé. Si une personne seu<strong>le</strong>travail<strong>le</strong> moins de vingt-quatre heures hebdomadaires –moins de deux tiers de temps – payées au Smic, son revenu<strong>la</strong> c<strong>la</strong>sse parmi <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs pauvres. Or, c’est <strong>la</strong> règ<strong>le</strong>dans <strong>le</strong>s contrats aidés (dont <strong>la</strong> durée hebdomadaire estgénéra<strong>le</strong>ment inférieure à vingt-quatre heures), et c’estfréquent dans <strong>la</strong> grande distribution, dans l’hôtel<strong>le</strong>rie-restauration,dans <strong>le</strong>s services à domici<strong>le</strong>… Au total, un milliond’emplois ont une durée inférieure à vingt-quatre heureshebdomadaires.Les politiques publiques ont, hé<strong>la</strong>s, trop souvent accentué cephénomène. Les emplois aidés, on l’a vu, sont presque tousde faib<strong>le</strong> durée hebdomadaire. Les détaxations fisca<strong>le</strong>s etsocia<strong>le</strong>s des services à domici<strong>le</strong> sont allées dans <strong>le</strong> même sens.S’y ajoute l’intermittence dans <strong>le</strong> chômage : il suffit de travail<strong>le</strong>rmoins de sept mois dans l’année au Smic <strong>pour</strong> tomber endessous du seuil de pauvreté si l’on est une personne seu<strong>le</strong>et que l’on n’est pas indemnisé par l’assurance chômage. C’est <strong>le</strong> cas, enparticulier, de <strong>la</strong> majorité des jeunes sans diplôme qui, en raison de fréquentespériodes de chômage, mettent du temps avant d’atteindre <strong>le</strong>s six mois travaillésqui <strong>le</strong>ur permettront d’être indemnisés.Certes, ces faib<strong>le</strong>s niveaux de rémunération peuvent être atténués par <strong>le</strong>srevenus du conjoint au sein du ménage : il n’est donc pas automatique quede faib<strong>le</strong>s durées d’emploi débouchent sur <strong>la</strong> pauvreté <strong>la</strong>borieuse. Maisc’est fréquent. D’abord en raison de l’accroissement du nombre de famil<strong>le</strong>smonoparenta<strong>le</strong>s, qui n’ont, dans <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur des cas, qu’un revenu professionnel<strong>pour</strong> vivre, et dont <strong>le</strong> temps de travail est fréquemment limité par<strong>la</strong> présence d’enfants qui, faute de revenus suffisants, ne peuvent être gardéspar des organismes spécialisés. Ensuite, <strong>le</strong>s statisticiens mettent en avantce qu’ils appel<strong>le</strong>nt <strong>la</strong> « po<strong>la</strong>risation de l’emploi ». Lorsqu’un conjoint est endifficulté sur <strong>le</strong> marché du travail, l’autre est fréquemment dans <strong>le</strong> mêmecas : chômage ou emploi à temps partiel.Ce sont ces trois grands chantiers qu’il nous faut mener de front, si nousvoulons réduire l’exclusion dans une société où ce n’est plus l’emploi quisera rare, mais l’employabilité qui risque de faire défaut.Le premier concerne l’accompagnement, <strong>la</strong> formation, <strong>la</strong> réinsertion professionnel<strong>le</strong>des personnes en situation d’exclusion.Le second touche à <strong>la</strong> lutte contre l’échec sco<strong>la</strong>ire, plus fréquent en Franceque dans <strong>le</strong>s autres pays comparab<strong>le</strong>s de l’Union européenne.Le troisième vise <strong>la</strong> qualité des emplois créés, de sorte que <strong>le</strong>s emploispaupérisants disparaissent progressivement. Ce <strong>pour</strong>rait être, comme auxPays-Bas, par <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce de structures permettant de « mutualiser »<strong>le</strong>s temps de travail dans <strong>le</strong>s services aux personnes, en assurant à chaqueemployé un temps de travail plus comp<strong>le</strong>t réparti entre plusieurs usagers.Ce <strong>pour</strong>rait être aussi, comme l’expérimente actuel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> gouvernement,par <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un revenu de complément, <strong>le</strong> revenu de solidaritéactive, au bénéfice de tous ceux dont <strong>le</strong> revenu professionnel ne permetpas d’atteindre l’équiva<strong>le</strong>nt d’un Smic à temps p<strong>le</strong>in. De nombreux exemp<strong>le</strong>sétrangers attestent que, dans ce domaine, comme dans <strong>le</strong>s deux autres, i<strong>le</strong>st possib<strong>le</strong> d’améliorer <strong>le</strong>s choses. A nous de <strong>le</strong> vouloir.7677


Hélène Henckens, directrice adjointe du Service Pénitenciaire d’Insertionet de Probation de <strong>la</strong> LoireLe Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP) dépend del’administration pénitentiaire du ministère de <strong>la</strong> Justice et son rô<strong>le</strong> nese limite pas à intervenir dans <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s maisons d’arrêt, puisque seu<strong>le</strong>mentun quart de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion péna<strong>le</strong> suivie par <strong>le</strong> ministère de <strong>la</strong>Justice est incarcérée. Les personnes sous contrô<strong>le</strong> judiciaire, cel<strong>le</strong>s en sursisavec mise à l’épreuve, cel<strong>le</strong>s en liberté conditionnel<strong>le</strong> sont suivies en milieuouvert et el<strong>le</strong>s sont trois fois plus nombreuses que <strong>le</strong>s personnes incarcérées.Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation s’intéresse aux deuxpopu<strong>la</strong>tions : <strong>le</strong>s personnes incarcérées et cel<strong>le</strong>s qui sont suivies à l’extérieur.Sa mission consiste à préparer <strong>la</strong> sortie de cel<strong>le</strong>s qui sont incarcérées, partantd’un présupposé, à savoir que <strong>la</strong> personne incarcérée ne l’est que <strong>pour</strong> untemps dans sa vie, et quel que soit <strong>le</strong> délit commis, el<strong>le</strong> passe plus de tempsà l’extérieur qu’en milieu pénitentiaire.Les fondements de notre action au sein d’une maison d’arrêt s’inscrivent encomplément d’une autre mission de garde et de surveil<strong>la</strong>nce.Nous représentons moins de 10 % de <strong>la</strong> mission généra<strong>le</strong> et notre actionne peut pas s’accomplir sans un réseau extrêmement important de partenairesRéinsertion à <strong>la</strong> maison d’arrêtde <strong>la</strong> Ta<strong>la</strong>udière à Saint-Etienneà l’extérieur comme à l’intérieur, ce qui a conduit à <strong>la</strong> création depuis 1985d’associations socioculturel<strong>le</strong>s au sein de toutes <strong>le</strong>s maisons d’arrêt, centresde détention et centra<strong>le</strong>s.Ces associations sont porteuses de va<strong>le</strong>urs importantes, cel<strong>le</strong>s de <strong>la</strong> Sociétécivi<strong>le</strong> qui s’introduit dans un monde privé, extrêmement fermé et use dudroit de regard de <strong>la</strong> société civi<strong>le</strong> sur l’ensemb<strong>le</strong> des actions publiques.La vigi<strong>la</strong>nce que <strong>le</strong> privé peut exercer sur des missions publiques, <strong>la</strong> complémentaritédes actions, est primordia<strong>le</strong>. C’est ce qui explique que nousavions, il y a quatre ans déjà, sollicité <strong>la</strong> Caisse d’Epargne dans <strong>le</strong> cadredu financement des Projets d’Economie Loca<strong>le</strong> et Socia<strong>le</strong>, <strong>pour</strong> nous aiderà cofinancer ce « jardin extraordinaire ». Je vais vous <strong>le</strong> présenter.L’association socioculturel<strong>le</strong> de <strong>la</strong> maison d’arrêt a d’abord et avant toutune vocation culturel<strong>le</strong> et sportive en faveur des détenus. El<strong>le</strong> s’est donné<strong>pour</strong> mission de mener une action d’accès à <strong>la</strong> culture dite « de loisir », unaccès à <strong>la</strong> revalorisation de l’image de soi, à <strong>la</strong> création et à l’expressionde soi. La demande initia<strong>le</strong> est venue des femmes détenues dont <strong>le</strong> souhaitétait d’apprendre, dans <strong>le</strong> cadre des actions culturel<strong>le</strong>s, à faire des bouquets.Après une expérience de quelques semaines, <strong>la</strong> persévérance de <strong>la</strong> demandeétait tel<strong>le</strong> que nous <strong>le</strong>ur avons proposé de faire ensemb<strong>le</strong> un travail de revalorisationde l’ensemb<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ur cour de promenade. El<strong>le</strong>s ont dessiné desp<strong>la</strong>ns, des projets, el<strong>le</strong>s souhaitaient disposer d’un espace de formation78 79


“La demandeinitia<strong>le</strong> est venuedes femmesdétenues dont <strong>le</strong>souhait étaitd’apprendre, dans<strong>le</strong> cadre des actionsculturel<strong>le</strong>s, à fairedes bouquets...”<strong>pour</strong> pouvoir produire el<strong>le</strong>s-mêmes <strong>le</strong>urs f<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>urs p<strong>la</strong>nteset en faire des bouquets.La col<strong>la</strong>boration s’est établie entre l’association socioculturel<strong>le</strong>qui sollicite <strong>la</strong> Caisse d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>le</strong> financement duProjet d’Economie Loca<strong>le</strong> et Socia<strong>le</strong>, <strong>le</strong> SPIP, chargé d’unemission d’insertion, et l’établissement pénitentiaire chargéde <strong>la</strong> construction, puisque c’est sur son propre terrain quel’action s’est déroulée.Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation a é<strong>la</strong>rgi<strong>la</strong> demande en proposant non pas une simp<strong>le</strong> activité de loisir,mais une formation qualifiante qui débouche sur des contratspassés avec <strong>le</strong> lycée hortico<strong>le</strong> de Montravel à Saint-Etienne,où toutes <strong>le</strong>s femmes <strong>pour</strong>ront <strong>pour</strong>suivre <strong>le</strong>ur formation etpasser un diplôme.Nous privilégions toujours, lorsque ce<strong>la</strong> est faisab<strong>le</strong>, <strong>la</strong> miseen p<strong>la</strong>ce d’actions en col<strong>la</strong>boration avec un partenaire local<strong>pour</strong> que <strong>le</strong>s personnes détenues puissent continuer <strong>le</strong>urinsertion à l’extérieur, dans <strong>la</strong> vil<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> droit commun,lorsqu’el<strong>le</strong>s sont libérées.Les femmes ont dessiné <strong>le</strong>ur espace de promenade, l’aspectfonctionnel et nous avons organisé <strong>le</strong> contenu. Depuis, el<strong>le</strong>sont réalisé des p<strong>la</strong>ntations et el<strong>le</strong>s ont éga<strong>le</strong>ment été associéesà <strong>la</strong> construction.La demande des femmes de faire des bouquets s’est expriméeen 2001 et <strong>la</strong> serre a été construite et inaugurée en 2004. Lapremière action de formation de 112 heures, a été <strong>la</strong>ncéedès l’hiver ou <strong>le</strong> printemps 2005, puis nous sommes passésen 2006 à 350 heures de formation réparties en différentsmodu<strong>le</strong>s adaptés aux saisons.Il nous semb<strong>la</strong>it éga<strong>le</strong>ment intéressant qu’el<strong>le</strong>s puissent réaliserquelque chose qui ait du sens et dont <strong>la</strong> pérennité seraitassurée par <strong>le</strong> décor de <strong>le</strong>ur propre espace de vie : el<strong>le</strong>s ont été autoriséesà rapporter dans <strong>le</strong>urs cellu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s bouquets qu’el<strong>le</strong>s réalisaient.Dans un deuxième temps, el<strong>le</strong>s ont décoré l’ensemb<strong>le</strong> des espaces d’accueil<strong>pour</strong> <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s de détenus, puis dans un troisième temps l’ensemb<strong>le</strong> desbureaux des personnels de <strong>la</strong> maison d’arrêt. El<strong>le</strong>s peuvent à présent offrir<strong>le</strong>ur production à l’extérieur. En général <strong>le</strong>s personnes incarcérées sontvécues par <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> et <strong>la</strong> société comme des fardeaux, ce geste symbolique,de donner à l’extérieur des f<strong>le</strong>urs venant d’un milieu fermé a permisune revalorisation d’el<strong>le</strong>s-mêmes et <strong>le</strong>ur a donné un sentiment d’utilité.Depuis janvier 2007, nous sommes dans une phase de construction : nousavons eu l’idée de créer avec l’extérieur une entreprise d’insertion où <strong>le</strong>sproductions faites par <strong>le</strong>s femmes à l’intérieur <strong>pour</strong>ront orner des hallsd’entrée, des réceptions, des sal<strong>le</strong>s de spectac<strong>le</strong>s <strong>le</strong> cas échéant, desmairies. Nous envisageons d’é<strong>la</strong>rgir cette entreprise d’insertion aux hommes,<strong>pour</strong> qui nous avons éga<strong>le</strong>ment construit un projet de formation hortico<strong>le</strong>à l’extérieur, qui traite de tout ce qui est é<strong>la</strong>gage, entretien dans <strong>le</strong>sjardins publics et privés. Pour l’instant, nous nous concentrons sur <strong>le</strong> projetavec <strong>le</strong>s femmes puis nous verrons si nous pouvons <strong>le</strong> mettre en œuvreavec <strong>le</strong>s hommes.Quinze femmes, c’est-à-dire 100 % des femmes incarcérées à <strong>la</strong> maisond’arrêt de <strong>la</strong> Ta<strong>la</strong>udière, participent à cette action. La serre peut accueillirjusqu’à vingt personnes en formation mais nous avons rarement vingt personnesincarcérées. C’est un moment unique dans <strong>le</strong>ur vie où el<strong>le</strong>s ont <strong>le</strong>droit d’être toutes ensemb<strong>le</strong>, puisque même pendant <strong>la</strong> promenade, el<strong>le</strong>sne sont que <strong>la</strong> moitié.Nous avons maintenu une demi-journée de remise à niveau, nous soulignionsencore ce matin l’importance de faire du lien entre ce que l’on vit,ce que l’on fait et ce que l’on apprend : on apprend <strong>la</strong> botanique, à se soignerà l’aide de p<strong>la</strong>ntes médicina<strong>le</strong>s p<strong>la</strong>ntées dans <strong>le</strong> mini jardin que nous avonscréé ; nous avons un mini jardin de p<strong>la</strong>ntes aromatiques qu’el<strong>le</strong>s ont <strong>le</strong>droit d’utiliser en cuisine, de même qu’el<strong>le</strong>s peuvent manger <strong>le</strong>s sa<strong>la</strong>desqu’el<strong>le</strong>s produisent.8081


“Les personnesincarcérées sontvécues par <strong>le</strong>urfamil<strong>le</strong> comme desfardeaux, ce gestesymboliquede donnerà l’extérieur desf<strong>le</strong>urs venantd’un milieu ferméa permis unerevalorisationd’el<strong>le</strong>s-mêmes...”Leur but premier est d’améliorer <strong>le</strong>ur quotidien, de bouger etde se réinsérer par une dynamique au travail, de rendre uti<strong>le</strong><strong>la</strong> création. Ce n’est pas considéré comme un métier porteuret nous avons failli perdre un certain nombre de budgets surces actions de formation.Même si <strong>le</strong>ur but initial n’est pas de trouver un emploi, <strong>le</strong> faitde pouvoir <strong>pour</strong>suivre <strong>le</strong>ur formation avec <strong>le</strong> lycée hortico<strong>le</strong>peut offrir un débouché <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s plus motivées d’entre el<strong>le</strong>s.L’une d’el<strong>le</strong>s travail<strong>le</strong> actuel<strong>le</strong>ment au service public de <strong>la</strong>mairie de Saint-Etienne. El<strong>le</strong> ne peut être titu<strong>la</strong>ire en raisonde son casier judiciaire chargé, mais el<strong>le</strong> donne toute satisfactionet son contrat est <strong>pour</strong> <strong>le</strong> moment renouvelé. Nousespérons que ce<strong>la</strong> durera.Dans un premier temps nous avons été confrontés à denombreuses résistances de <strong>la</strong> part des surveil<strong>la</strong>ntes, quivoyaient dans cette création d’activités un surcroît d’obligationset de surveil<strong>la</strong>nce mais el<strong>le</strong>s ne mesuraient pas à quelpoint ce<strong>la</strong> aurait un impact positif sur <strong>le</strong>ur vie quotidienne.Ces décors, <strong>la</strong> valorisation de <strong>le</strong>ur rythme de vie, de <strong>le</strong>urespace de travail a fina<strong>le</strong>ment enthousiasmé tout <strong>le</strong> mondeet a rendu <strong>le</strong> climat plus serein. En trois ans et six stages deformation, il n’y a eu qu’un seul conflit pendant <strong>la</strong> formationet <strong>le</strong>s femmes ont appris à travail<strong>le</strong>r, à produire ensemb<strong>le</strong> età se respecter.Nous travaillons sur <strong>le</strong>s saisons et ce que nous rapportonsde l’extérieur favorise une création adaptée. Pour Pâques,nous avons composé dans <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs du jaune et du vert,à l’automne nous serons dans des cou<strong>le</strong>urs beaucoup pluschaudes, plus rouges, plus orangées. Pour Mardi Gras, nousavons mé<strong>la</strong>ngé serpentins et confettis dans <strong>le</strong>s bouquets.Les hommes incarcérés et qui travail<strong>le</strong>nt à l’extérieur produisent <strong>le</strong>s bouturesqui vont servir aux p<strong>la</strong>ntations des femmes.La création de l’entreprise d’insertion se fait en liaison avec une structureloca<strong>le</strong> d’hébergement et d’insertion qui assurera <strong>la</strong> formation continue, <strong>la</strong>remise à niveau : en effet, <strong>le</strong>s personnes sont détruites en sortant dedétention et <strong>le</strong>ur état de santé général ne <strong>le</strong>ur permet pas de reprendre untravail à temps p<strong>le</strong>in immédiatement qui <strong>le</strong>s conduirait à l’échec extrêmementrapidement. Les séquel<strong>le</strong>s sont lourdes même après quelques moisseu<strong>le</strong>ment de détention, c’est <strong>pour</strong>quoi nous avons souhaité que <strong>le</strong> mi-temps,tout comme un accompagnement individualisé, soient des engagementsobligatoires de l’entreprise d’insertion.Parallè<strong>le</strong>ment, nous allons essayer de valoriser cette entreprise comme unespace d’aménagement de peine, c’est-à-dire que <strong>le</strong>s personnes <strong>pour</strong>rontsortir avant même d’avoir fini <strong>le</strong>ur peine.On sait que des personnes qui sortent en sortie sèche, c’est-à-dire sansaucun accompagnement en fin de peine, récidivent beaucoup plus faci<strong>le</strong>ment: 80 %, dans <strong>le</strong>s deux mois qui suivent <strong>le</strong>ur sortie, alors que <strong>le</strong>s personnesaccompagnées pendant six mois au moins après <strong>le</strong>ur sortie ontmoins de chance de récidiver.Nous nous inscrivons donc délibérément dans une dynamique d’aménagementde peine et de lutte contre <strong>la</strong> récidive.8283


Lutter contre l’exclusion bancaireRené Didi, directeur du développement de <strong>la</strong> Fédération Nationa<strong>le</strong>des <strong>Caisses</strong> d’EpargneJe souhaiterais dire que <strong>le</strong> projet de <strong>la</strong> maison d’arrêt de <strong>la</strong>Ta<strong>la</strong>udière qui vient d’être présenté a été primé par <strong>la</strong> FédérationNationa<strong>le</strong> des <strong>Caisses</strong> d’Epargne l’an dernier. Il y avait un concoursrassemb<strong>la</strong>nt tous <strong>le</strong>s projets significatifs que <strong>la</strong> Caisse d’Epargnenous avait soumis et ce projet a été primé au p<strong>la</strong>n national. La vidéo esttoujours disponib<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> site www.10000histoires.net, ainsi que chaqueprojet primé en novembre de l’année dernière.Les <strong>Caisses</strong> d’Epargne sont présentes à titre de mécène dans <strong>la</strong> luttecontre l’exclusion et il m’appartient de montrer, <strong>pour</strong> commencer, en quoi<strong>la</strong> banque est un acteur incontournab<strong>le</strong> de l’insertion. On ne voit pas bien,a priori, <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> que peut jouer <strong>la</strong> banque <strong>pour</strong> des personnes en situationd’exclusion économique et socia<strong>le</strong>. Or, <strong>le</strong>s études que nous avons menées,<strong>le</strong>s observations que nous faisons, <strong>le</strong>s témoignages que nous apportentnos col<strong>la</strong>borateurs confirment que <strong>la</strong> banque n’est pas neutre dans l’évolutionde <strong>le</strong>ur situation. El<strong>le</strong> peut être un accélérateur ou un frein vers l’insertion,suivant l’attitude qu’el<strong>le</strong> adopte : si l’on ne possède pas de compteen banque, on ne peut ni toucher son sa<strong>la</strong>ire ni percevoir de prestationssocia<strong>le</strong>s. Si l’on ne possède pas d’instruments de paiement, il devient diffici<strong>le</strong>d’acquitter certaines factures ou tout simp<strong>le</strong>ment de rég<strong>le</strong>r son loyer ;si l’on n’a pas accès au crédit, il est impossib<strong>le</strong> de faire face à certainesdépenses… Ces exemp<strong>le</strong>s montrent que <strong>la</strong> banque est acteur incontournab<strong>le</strong>de l’insertion socia<strong>le</strong>, notamment en France. Ce n’est pas <strong>le</strong> cas partout enEurope, où <strong>le</strong>s paiements en liquide sont beaucoup plus répandus, où l’usagedu chèque est marginal ; <strong>le</strong>s prestations socia<strong>le</strong>s peuvent être versées enliquide, en Ang<strong>le</strong>terre, par exemp<strong>le</strong>.Nous avons identifié deux catégories de clients qui sont en situation d’exclusionbancaire, <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels nous sommes en train d’apporter des réponses.Première catégorie, <strong>le</strong>s particuliers, victimes d’un accident de <strong>la</strong> vie(divorce, chômage, ma<strong>la</strong>die…), ou ceux qui doivent investir <strong>pour</strong> trouverun emploi (achat d’un véhicu<strong>le</strong>, soins dentaires…) ; <strong>pour</strong> cette catégorie, ilne s’agit pas seu<strong>le</strong>ment d’accéder au compte chèque mais aussi de disposerdes instruments de paiement qui l’accompagnent, d’accéder au crédit,de pouvoir préserver une épargne, de s’assurer contre <strong>le</strong>s risques del’existence. Ce n’est pas seu<strong>le</strong>ment l’accès au compte, mais bien touteune série de produits et de services bancaires, adaptés à <strong>la</strong> situation dechacun, qui permettent réel<strong>le</strong>ment une vie socia<strong>le</strong>.Seconde catégorie, <strong>le</strong>s personnes qui sont en recherche d’insertion parl’économique et qui n’ont d’autre solution que de créer <strong>le</strong>ur propre emploi,parce que <strong>le</strong> marché du travail ne répond pas à <strong>le</strong>ur besoin ; <strong>la</strong> solutionbancaire est dans <strong>le</strong> microcrédit et <strong>le</strong>s services bancaires associés qui <strong>le</strong>urpermettent de créer <strong>le</strong>ur propre entreprise. C’est d’ail<strong>le</strong>urs sous l’impulsionde l’Association <strong>pour</strong> <strong>le</strong> droit à l’initiative économique, créée il y a unequinzaine d’années, que <strong>le</strong> microcrédit s’est développé en France, avec<strong>la</strong> participation de certaines banques.8285


“La banque peutêtre un accélérateurou un freinvers l’insertion,suivant l’attitudequ’el<strong>le</strong> adopte...”Il y a donc, de notre point de vue, deux grandes catégoriesde personnes dont l’insertion économique et socia<strong>le</strong> estconditionnée par <strong>le</strong>ur accès à des produits et services bancaires: <strong>le</strong>s particuliers en situation de fragilité socia<strong>le</strong> et <strong>le</strong>schômeurs qui créent <strong>le</strong>ur activité.La re<strong>la</strong>tion qui s’établit entre une banque et ses clients peutentrer dans une spira<strong>le</strong> négative <strong>pour</strong> de nombreuses raisonsqui sont importantes à rappe<strong>le</strong>r.Premièrement, l’évolution vers l’automatisation de l’ensemb<strong>le</strong>des opérations courantes des banques a diminué considérab<strong>le</strong>ment<strong>le</strong>s occasions de contact entre <strong>le</strong> client et sonconseil<strong>le</strong>r, ce qui prive <strong>la</strong> banque d’informations en tempsréel sur <strong>le</strong>s événements qui se produisent lorsqu’un client setrouve confronté à un accident de <strong>la</strong> vie. De plus, l’instal<strong>la</strong>tionde p<strong>la</strong>teaux téléphoniques filtre considérab<strong>le</strong>ment l’accèsà son conseil<strong>le</strong>r, <strong>le</strong> client n’ayant pas envie de se confieren cas de difficulté à un ou une inconnue.Deuxièmement, en France, depuis un certain nombre d’années,<strong>le</strong>s banques ont, à juste titre, accéléré <strong>la</strong> tarification de<strong>le</strong>urs services, afin d’équilibrer <strong>le</strong>urs sources de revenus.Aujourd’hui, <strong>la</strong> banque fait son résultat sur <strong>la</strong> totalité desproduits et des services qu’el<strong>le</strong> propose ; <strong>le</strong>s opérationsliées aux anomalies de comptes insuffisamment ou ma<strong>la</strong>pprovisionnés, <strong>le</strong>s incidents de paiement sont l’objet d’unefacturation qui peut être lourde, sans commune mesureavec <strong>le</strong>s montants des défauts de provision, ce qui peutaccélérer <strong>la</strong> détresse financière des clients dont l’équilibrebudgétaire est précaire.Troisièmement, une autre évolution concerne <strong>la</strong> rég<strong>le</strong>mentationqui contraint <strong>le</strong>s banques à une politique de maîtrise desrisques plus grande qui a <strong>pour</strong> conséquence de noter <strong>le</strong>s clients sur <strong>la</strong>base de signes indicateurs du degré de risque qu’ils représentent ; cetterég<strong>le</strong>mentation basée sur une approche industriel<strong>le</strong> favorise, d’une certainefaçon, l’exclusion bancaire des particuliers <strong>le</strong>s plus mal notés n’ayant pasaccès, entre autres, à un crédit ou un découvert, même si, de fait, <strong>le</strong>ursituation <strong>le</strong>ur permettait de pouvoir faire face à <strong>le</strong>urs obligations.La re<strong>la</strong>tion du client avec <strong>la</strong> banque se trouve mise à mal par toutes cesévolutions qui touchent spécia<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s clients en situation de fragilité,dont certains rencontrent des difficultés cognitives ou comportementa<strong>le</strong>squi peuvent conduire à une rapide dégradation des re<strong>la</strong>tions avec <strong>la</strong> banque.Nous avons accueilli pendant trois ans, à <strong>la</strong> Fédération, des spécialistesqui travail<strong>le</strong>nt sur ces questions d’exclusion bancaire et socia<strong>le</strong>, en particulierun doctorant qui a fait sa thèse sur ce sujet et nous bénéficions éga<strong>le</strong>mentde l’expérience de nos col<strong>la</strong>borateurs sur <strong>le</strong> terrain, dans <strong>le</strong>s agencesen zone sensib<strong>le</strong>.Nous avons organisé un séminaire pendant <strong>le</strong>quel, durant trois jours, descol<strong>la</strong>borateurs de <strong>Caisses</strong> d’Epargne ont travaillé avec des exclus rassembléspar ATD Quart Monde sur <strong>le</strong>urs représentations respectives. Quel<strong>le</strong>représentation peut avoir un exclu d’un banquier ? Quel<strong>le</strong> représentationpeut avoir un banquier d’un exclu ? Nous avons, au cours de ce séminaire,confronté des points de vue extrêmement riches qui nous ont beaucoupéc<strong>la</strong>irés sur <strong>le</strong>s incompréhensions qui résultent de ces différences dereprésentation.Une anecdote en dit long à ce sujet : un banquier expliquait, au cours dece séminaire, qu’il avait dû retirer <strong>la</strong> carte bancaire d’un client pauvre, dont<strong>le</strong>s moyens ne lui permettaient plus d’en bénéficier ; <strong>le</strong> banquier prit doncdes ciseaux et coupa <strong>la</strong> carte en deux en présence du client ; <strong>la</strong> cartedevait être détruite afin de sécuriser <strong>le</strong> client sur l’impossibilité de l’utiliser<strong>pour</strong>, expliquait <strong>le</strong> banquier, <strong>le</strong> protéger d’une utilisation fraudu<strong>le</strong>use éventuel<strong>le</strong>.Ce geste banal <strong>pour</strong> <strong>le</strong> banquier a été vécu par <strong>le</strong> client comme un8687


“Le divorce,<strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die sontdes accidentsde <strong>la</strong> vie quipeuvent menerà l’exclusion.Que peut faire<strong>la</strong> banque de ceconstat. Que peutel<strong>le</strong>proposer ?”acte d’agression d’une rare vio<strong>le</strong>nce : il a considéré que <strong>le</strong>banquier lui coupait véritab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s vivres. Nous voyonsbien que dans de tel<strong>le</strong>s situations <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion banquier-clientest perçue comme asymétrique au profit de <strong>la</strong> banque qui a<strong>le</strong> pouvoir de sanctionner, de prendre <strong>le</strong>s décisions <strong>pour</strong> <strong>le</strong>client pauvre.Lorsque nous analysons ces phénomènes, <strong>la</strong> définition que<strong>le</strong>s spécialistes donnent de l’exclusion bancaire est socia<strong>le</strong>.Je vous <strong>la</strong> livre : « Une personne est en situation d’exclusionbancaire et financière lorsque qu’el<strong>le</strong> subit un degré d’entravedans ses pratiques bancaires qui ne lui permet pas ou plusde mener une vie norma<strong>le</strong> dans <strong>la</strong> société qui est <strong>la</strong> sienne.»Nous voyons bien que <strong>la</strong> banque joue un rô<strong>le</strong> central quiconduit à favoriser ou à freiner l’insertion socia<strong>le</strong> suivant <strong>le</strong>sattitudes qu’el<strong>le</strong> adopte et <strong>le</strong>s décisions qu’el<strong>le</strong> prend.La définition de l’exclusion bancaire ne concerne pas seu<strong>le</strong>mentl’accès à des services ou des produits. El<strong>le</strong> concerneéga<strong>le</strong>ment l’usage de ces mêmes produits et services, c’està-dire<strong>la</strong> capacité du client à <strong>le</strong>s utiliser sans risque.Les <strong>Caisses</strong> d’Epargne ont créé, il y a cinquante ans, l’associationFinances et Pédagogie qui est <strong>la</strong>rgement imp<strong>la</strong>ntéesur <strong>le</strong> territoire français. Une trentaine de conseil<strong>le</strong>rs œuvrentà revisiter <strong>le</strong>s comportements à l’argent et à rendre accessib<strong>le</strong><strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion à <strong>la</strong> banque à des personnes en situation de fragilité.Il est fréquemment rapporté, au cours de ces formations,que beaucoup de jeunes ne maîtrisent absolument pas <strong>le</strong>découvert, par exemp<strong>le</strong>, au sens où ils ont <strong>le</strong> sentimentd’être à découvert justement quand <strong>le</strong> solde de <strong>le</strong>ur compteest en dessous du découvert autorisé.Les conséquences de tels défauts d’usage sont lourdes :incidents de paiement, interdiction bancaire, endettement<strong>pour</strong> comb<strong>le</strong>r son découvert… Certains enchaînements semettent en p<strong>la</strong>ce et peuvent conduire au surendettement.Utilisation de son compte et des moyens de paiement, recours au crédit,épargne en p<strong>la</strong>cements boursiers : autant de produits et services quinécessitent d’en maîtriser l’usage. L’association Finances et Pédagogieaborde, dans ses formations, tous <strong>le</strong>s univers de besoins liés aux produitsbancaires, <strong>pour</strong> au final mieux maîtriser son comportement à l’argent etses re<strong>la</strong>tions avec son banquier. Les entreprises publiques ou privées fontsouvent appel à l’association Finances et Pédagogie <strong>pour</strong> améliorer <strong>la</strong>gestion de son budget, prévenir <strong>le</strong> surendettement, acquérir son logement,préparer sa retraite…L’usage est donc un aspect important de l’exclusion bancaire et lorsquel’on retient une définition <strong>la</strong>rge de l’exclusion bancaire, basée sur <strong>le</strong> nonaccès aux produits bancaires ou <strong>le</strong> défaut d’usage, on ne dénombre plusseu<strong>le</strong>ment 200 000 ménages qui n’auraient pas accès à un compte, mais5 à 6 millions de personnes.Le divorce, <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die sont des accidents de <strong>la</strong> vie qui peuvent mener àl’exclusion. Que peut faire <strong>la</strong> banque de ce constat, que peut-el<strong>le</strong> proposer ?Des dispositions rég<strong>le</strong>mentaires en faveur de l’insertion bancaire existentet se développent depuis un certain nombre d’années. Mais el<strong>le</strong>s sont toutesre<strong>la</strong>tivement peu efficaces tout simp<strong>le</strong>ment parce qu’el<strong>le</strong>s reposent sur <strong>la</strong>possibilité de <strong>la</strong> personne en situation de fragilité de négocier el<strong>le</strong>-même,voire requérir <strong>pour</strong> être entendue. Or, ce n’est généra<strong>le</strong>ment pas <strong>le</strong> cas despersonnes auxquel<strong>le</strong>s nous avons affaire. C’est en ce<strong>la</strong> que ces mesuressont inefficaces. Les <strong>Caisses</strong> d’Epargne ont mené des études préa<strong>la</strong>b<strong>le</strong>savec une série de partenaires <strong>pour</strong> mieux comprendre ces phénomènes etétablir un comparatif avec ce qui existe ail<strong>le</strong>urs, en particulier dans d’autresbanques mutualistes qui ont mis en p<strong>la</strong>ce des dispositifs innovants.Les résultats des études que nous avons menées font apparaître plusieursnécessités :• proposer des produits et services adaptés à ce type de clientè<strong>le</strong> ;• concevoir des modu<strong>le</strong>s pédagogiques à l’intention de ces clientè<strong>le</strong>s, enparticulier sur <strong>la</strong> gestion du budget et <strong>la</strong> connaissance des produits et servicesbancaires ;8889


• accompagner ces personnes en fragilité sur <strong>le</strong>s difficultés socia<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong>srencontrent, en matière de logement, de santé (lutte contre l’alcoolisme…)• accompagner <strong>le</strong>s chômeurs qui créent <strong>le</strong>ur emploi <strong>pour</strong> affiner et tester<strong>le</strong>ur projet avant l’octroi de financements par <strong>le</strong>s <strong>Caisses</strong> d’Epargne grâceaux réseaux d’accompagnement à <strong>la</strong> création ;• coordonner cet ensemb<strong>le</strong> de mesures <strong>pour</strong> capitaliser sur <strong>la</strong> plus grandeefficacité d’une approche globa<strong>le</strong>.Devant l’amp<strong>le</strong>ur des popu<strong>la</strong>tions touchées par l’exclusion bancaire, nousavons dû faire des choix et définir précisément cel<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s nouspouvions agir efficacement.Nous avons, par exemp<strong>le</strong>, renoncé aux personnes victimes de <strong>la</strong> grandeprécarité où <strong>la</strong> banque, à part intervenir comme mécène d’associations quiœuvrent en <strong>le</strong>ur faveur, ne peut pas proposer de solutions efficaces quisoient de son ressort. Nous avons <strong>pour</strong> l’instant refusé d’intervenir sur <strong>le</strong>spopu<strong>la</strong>tions surendettées au sens où <strong>la</strong> Banque de France l’entend, c’està-diresur cel<strong>le</strong>s qui sont déjà passées devant <strong>la</strong> commission de surendettement,parce que nous n’avons plus de marges de manœuvre <strong>pour</strong> <strong>le</strong>saider, <strong>le</strong>ur situation étant très encadrée par <strong>le</strong>s protoco<strong>le</strong>s.Nous nous sommes donc concentrés sur <strong>le</strong>s cas <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels nous pouvionsêtre uti<strong>le</strong>s.Il s’agit des personnes qui ont eu des accidents de <strong>la</strong> vie : chômage, divorce,ma<strong>la</strong>die, tout événement qui peut se produire et dont l’impact sur l’équilibredu budget est néfaste. Le divorce en est un exemp<strong>le</strong> : maintien des revenusmais augmentation des dépenses par <strong>le</strong> doub<strong>le</strong>ment d’un loyer, l’acquisitionet l’entretien d’un second véhicu<strong>le</strong>… Il existe toute une série de scénariosde ce type qui conduisent <strong>la</strong> banque à appliquer strictement <strong>la</strong> rég<strong>le</strong>mentation,et à prendre des dispositions qui peuvent précipiter <strong>le</strong>s difficultésdes personnes qui connaissent ces situations ; <strong>la</strong> banque peut ainsi supprimer<strong>le</strong>s découverts, dès qu’el<strong>le</strong> constate <strong>le</strong>s premiers impayés, facturer<strong>le</strong>s anomalies et accélérer <strong>le</strong> déséquilibre budgétaire. La situation de crispationest d’autant plus forte que <strong>la</strong> personne, comme c’est souvent <strong>le</strong>cas, ne prévient pas sa banque des difficultés qu’el<strong>le</strong> rencontre.“Les banques sontdans une situationde concurrenceextrêmement forte,qui ne permet pasaux conseil<strong>le</strong>rs deconsacrer <strong>le</strong> tempsnécessaire à cesclientè<strong>le</strong>s, jugéesnon rentab<strong>le</strong>s...”C’est un vrai sujet de préoccupation. Comment amener unepersonne en fragilité budgétaire à prévenir sa banque desdifficultés qu’el<strong>le</strong> rencontre, comment l’amener à être proactivesachant que sans informations précises et fiab<strong>le</strong>s desa part, <strong>la</strong> banque aura plutôt tendance à réagir de façonrég<strong>le</strong>mentaire ?Les banques sont dans une situation de concurrence extrêmementforte, qui ne permet pas aux conseil<strong>le</strong>rs de consacrer <strong>le</strong>temps nécessaire à ces clientè<strong>le</strong>s, jugées non rentab<strong>le</strong>s.Dans <strong>le</strong> dispositif que nous mettons en p<strong>la</strong>ce <strong>pour</strong> luttercontre l’exclusion bancaire, nous nous intéressons principa<strong>le</strong>mentaux situations d’accidents de <strong>la</strong> vie, aux personnesen bonne voie d’insertion, par exemp<strong>le</strong> aux jeunes quirecherchent un emploi stab<strong>le</strong>, qui n’ont pas nécessairement<strong>le</strong>s moyens d’acheter <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>ur permettrait d’êtregéographiquement plus mobi<strong>le</strong>s. Nous avons donc identifiétoute une série de popu<strong>la</strong>tions dans <strong>le</strong> cadre de ce nouveaudispositif.Ce dispositif se matérialise par <strong>la</strong> création d’associations« Parcours Confiance ». L’innovation consiste en un apporten compétences de col<strong>la</strong>borateurs de <strong>Caisses</strong> d’Epargnequi sont mis à <strong>la</strong> disposition de l’association <strong>pour</strong> accompagner<strong>le</strong>s clientè<strong>le</strong>s éligib<strong>le</strong>s au dispositif. Lorsque <strong>la</strong> banquedétecte un client en proie au type de difficultés que j’évoquaisprécédemment, il est proposé à ce client un accompagnementparticulier. Ce<strong>la</strong> ne signifie pas qu’il doive quitter<strong>la</strong> Caisse <strong>d'Epargne</strong> en tant que client – il aura toujoursaffaire à son agence <strong>pour</strong> retirer ses instruments de paiementpar exemp<strong>le</strong> – ce<strong>la</strong> signifie qu’il va être accompagnépar un conseil<strong>le</strong>r spécialisé qui analysera précisément sasituation. C’est ce conseil<strong>le</strong>r qui prendra <strong>la</strong> décision d’honorerou pas un chèque en l’absence de provisions, de facturer ounon des frais en cas d’anomalies…9091


Le client change d’interlocuteur <strong>pour</strong> un temps ; son nouvel interlocuteursera plus disponib<strong>le</strong> et plus qualifié au regard des problèmes de toutenature qui peuvent surgir. Ce col<strong>la</strong>borateur de <strong>la</strong> Caisse d’Epargne, logédans l’association Parcours Confiance <strong>pour</strong>ra « prescrire » au client un certainnombre de mesures à prendre ; c’est aussi lui qui adaptera <strong>le</strong>s produitset services bancaires dont <strong>pour</strong>ra disposer <strong>le</strong> client et qui assurera <strong>le</strong>suivi de son compte. L’équipement bancaire qui sera proposé au clientsera plus avantageux que celui auquel il aurait dû se restreindre si son suiviavait été assuré par son agence. L’accompagnement global dont <strong>le</strong> clientva bénéficier dans « Parcours Confiance » est en quelque sorte une garantie<strong>pour</strong> <strong>la</strong> banque. Au-delà de l’accompagnement bancaire, <strong>le</strong> client severra proposé dans Parcours Confiance une formation pédagogique centréesur <strong>la</strong> gestion de son budget, ses comportements d’achat, <strong>le</strong>s produitset services bancaires ; il <strong>pour</strong>ra bénéficier éga<strong>le</strong>ment d’un suivi social sinécessaire ou d’un accompagnement dans <strong>la</strong> recherche d’un logementgrâce aux nombreux partenariats noués par Parcours Confiance avec destravail<strong>le</strong>urs sociaux, des associations caritatives.Cette association s’est créée dans un certain nombre de <strong>Caisses</strong>d’Epargne. 12 <strong>Caisses</strong> d’Epargne sont opérationnel<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s 28 existantesactuel<strong>le</strong>ment, 8 sont en train de démarrer, 2 ont un projet en cours et 2 sonten réf<strong>le</strong>xion.En général, <strong>le</strong> dispositif est bien accueilli par <strong>le</strong>s col<strong>la</strong>borateurs, sinon, iln’aurait pas pu se monter. Ce dispositif est exigeant, contraignant <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s<strong>Caisses</strong> d’Epargne, mais présente d’énormes avantages. Il permet de« remettre en sel<strong>le</strong> » un client. N’oublions pas qu’il s’agit d’un dispositif quise met en p<strong>la</strong>ce et qui est transitoire : on ne reste pas dans ParcoursConfiance pendant toute son existence bancaire, <strong>le</strong> client est suivi pendantsix mois, un an, deux ans au maximum, <strong>le</strong> temps qu’il retrouve une situationfinancière équilibrée.Les associations Parcours Confiance comptent à ce jour 26 col<strong>la</strong>borateurs,76 d’ici à <strong>la</strong> fin de l’année. Les premières indications statistiques dont nousdisposons montrent que <strong>pour</strong> l’instant <strong>le</strong>s clients suivis sont surtout desparticuliers ; <strong>le</strong>s chômeurs qui créent <strong>le</strong>ur activité en étant accompagnéspar des réseaux de soutien à <strong>la</strong> création d’entreprise tels que l’Adie,France Active, <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>teformes d’initiatives loca<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> réseau Entreprendre,<strong>le</strong>s Boutiques de gestion sont actuel<strong>le</strong>ment assez peu nombreux, <strong>le</strong>s<strong>Caisses</strong> d’Epargne ayant fait <strong>le</strong> choix de déployer <strong>le</strong> dispositif ParcoursConfiance en priorité au profit des particuliers.En conclusion, ce dispositif est bénéfique <strong>pour</strong> toutes <strong>le</strong>s parties prenantes: <strong>le</strong>s clients en difficulté sont accompagnés et trouvent des solutions à<strong>le</strong>ur situation, <strong>le</strong>s col<strong>la</strong>borateurs des <strong>Caisses</strong> <strong>d'Epargne</strong> peuvent <strong>pour</strong>quelques-uns intégrer <strong>le</strong> dispositif et donner ainsi un nouveau tournant à<strong>le</strong>ur parcours professionnel, <strong>le</strong>s autres col<strong>la</strong>borateurs sont sou<strong>la</strong>gés cardes solutions existent <strong>pour</strong> certains de <strong>le</strong>urs clients <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels ils n’ontni <strong>le</strong> temps ni <strong>le</strong>s compétences <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s accompagner ; enfin, <strong>le</strong>s administrateursdes <strong>Caisses</strong> <strong>d'Epargne</strong> peuvent progressivement constituer dessoutiens bénévo<strong>le</strong>s actifs aux côtés des clients en difficulté.9293


3Développer l’esprit entrepreneurialJean-Michel SEVERINOLahoussain JAMALDidier BANQUY9495


L’importance des re<strong>la</strong>tions Nord-SudJean-Michel Severino,directeur général de l’Agence Française de DéveloppementLes questions que posent <strong>le</strong>s pays en voie de développement et <strong>la</strong>façon dont el<strong>le</strong>s retentissent auprès de nous apporteront unetonalité d’exotisme à cette réunion. Pour introduire ces propos, jecommencerais par par<strong>le</strong>r de l’Agence Française de Développementqui est un établissement public, propriété de l’Etat et dont l’objet estde fournir des services et des réponses aux problèmes Nord-Sud dans <strong>la</strong>globalisation. Ce<strong>la</strong> veut dire que nous traitons quatre séries de sujets :• <strong>la</strong> convergence ou <strong>le</strong> rattrapage économique entre <strong>le</strong>s pays pauvres et<strong>le</strong>s pays de l’OCDE. Ce<strong>la</strong> n’a rien d’abstrait : <strong>la</strong> seconde moitié du XX e sièc<strong>le</strong>,a vu sortir de <strong>la</strong> pauvreté, en cinquante ans, plus de gens que dans toutel’histoire de l’humanité ;• <strong>le</strong>s fi<strong>le</strong>ts de sécurité sociaux globaux, dans <strong>le</strong>s pays en situation durab<strong>le</strong>d’exclusion, du fait de <strong>le</strong>ur enc<strong>la</strong>vement physique, de <strong>le</strong>ur très faib<strong>le</strong> potentielinstitutionnel, humain, ou du fait de situation de crise ;• <strong>le</strong>s situations de sortie de crise : <strong>le</strong>s grands conflits qui affaiblissent <strong>le</strong>spays comme <strong>le</strong> Liberia, <strong>la</strong> Sierra Leone, Haïti, l’Afghanistan, <strong>le</strong> Darfour ;• enfin, nous nous intéressons, de façon plus technocratique mais combienconcrète, à ce que l’on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s biens publics globaux, c’est-à-dire<strong>le</strong>s sujets d’intérêt commun de l’humanité dont <strong>la</strong> résolution passe à unmoment donné par <strong>la</strong> prise en compte des problèmes du Sud. On peutciter <strong>le</strong>s sujets qui frappent <strong>le</strong>s esprits, <strong>le</strong>s questions des ma<strong>la</strong>dies transmissib<strong>le</strong>sau premier rang desquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong> sida, mais éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> réchauffementclimatique, <strong>la</strong> biodiversité…Nous sommes une banque, notre activité se situe autour de 3,5 milliardsd’euros annuels. Une partie de cette activité se fait sous forme de subventions,environ 350 millions d’euros que nous recevons de <strong>la</strong> part du ministère desAffaires étrangères, <strong>le</strong> reste sont des prêts, des prises de participation etnos clients sont de tous ordres : des Etats, des entreprises, des structuresprivées, des associations, des col<strong>le</strong>ctivités loca<strong>le</strong>s. En résumé, tout interlocuteurque nous rencontrons sur notre chemin dans <strong>la</strong> résolution desproblèmes et dans l’atteinte de nos objectifs.Nos terrains géographiques privilégiés sont l’international ainsi que l’Outremer.Près d’un cinquième de notre activité s’exerce dans <strong>le</strong>s départementset <strong>le</strong>s territoires d’outre-mer français, <strong>la</strong> Polynésie, <strong>la</strong> Nouvel<strong>le</strong>-Calédonie,Saint-Pierre-et-Miquelon, etc.Ce sont des espaces domestiques particulièrement marginalisés dont <strong>le</strong>sPIB par habitant représentent seu<strong>le</strong>ment 40 % de ceux du territoire français.Mais l’essentiel de notre activité s’exerce à l’international, principa<strong>le</strong>menten Afrique subsaharienne, en Méditerranée et auprès des grands paysémergents tels que <strong>la</strong> Chine, l’Inde, <strong>le</strong> Brésil, où nous focalisons notre activitésur <strong>le</strong>s questions liées au climat et <strong>la</strong> biodiversité.9697


Je vais traiter essentiel<strong>le</strong>ment de <strong>la</strong> question de l’espace méditerranéen,de l’Afrique subsaharienne et de l’Outre-mer. Il est intéressant de partir de<strong>la</strong> démographie et de ses tribu<strong>la</strong>tions. L’histoire de <strong>la</strong> transition démographiqueest, à différents degrés, <strong>la</strong> caractéristique commune entre l’espacesubsaharien, <strong>la</strong> Méditerranée et l’Outre-mer.Les chiffres <strong>le</strong>s plus caricaturaux, <strong>le</strong>s plus frappants sont ceux des pays ausud du Sahara, où vivent aujourd’hui environ 600 millions d’habitants. Ilsseront près d’1,2 milliard d’ici vingt ans et 1,5 milliard d’habitants d’icitrente ou trente-cinq ans. C’est <strong>le</strong> processus où <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>ment est <strong>le</strong> plusrapide de toute l’histoire de l’humanité, il n’y a pas de précédent.Ce phénomène a débuté il y a environ cinquante ans. Je suis moi-mêmené en 1957 en Côte-d’Ivoire, qui comptait près de 3 millions d’habitantsdont une cinquantaine de milliers de personnes à Abidjan. Aujourd’huiAbidjan est une vil<strong>le</strong> de 3,5 millions d’habitants. Si on appliquait à <strong>la</strong> France<strong>la</strong> même évolution démographique, nous serions près de 240 millionsd’habitants aujourd’hui, contre environ 40 millions en 1960 et sur ces240 millions d’habitants plus de 60 millions seraient des étrangers. Cespays et ces espaces sont soumis à des contraintes démographiques ethumaines prodigieuses.L’explosion démographique va de pair avec deux phénomènes massifs :l’urbanisation et <strong>la</strong> migration. La migration est tout d’abord interne à cessociétés, <strong>le</strong>s gens partent des campagnes vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, ils partent desespaces ruraux pauvres <strong>pour</strong> al<strong>le</strong>r vers des espaces ruraux plus riches.C’est <strong>le</strong> cas en Côte-d’Ivoire : des Mossé burkinabés, des Peuls du Nigeront quitté <strong>le</strong>ur zone rura<strong>le</strong> déshéritée <strong>pour</strong> al<strong>le</strong>r peup<strong>le</strong>r <strong>la</strong> ceinturecacaoyère de <strong>la</strong> Côte-d’Ivoire. Ce n’est pas simp<strong>le</strong>ment une migration dumonde rural à un territoire urbain, c’est aussi une migration d’un territoirerural à un autre suivant <strong>le</strong>s zones.Par ail<strong>le</strong>urs, une partie de ces gens ne migrent pas seu<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>urpropre espace, ils ne se contentent pas de descendre vers <strong>le</strong> Sud, ils partentéga<strong>le</strong>ment au Nord. L’actualité est remplie de ces histoires de migrations“Les grandsphénomènesmigratoiresentraînent uneconséquencefinancièreextraordinaire,par <strong>la</strong> croissanceextrêmement rapidedes flux de retourdes migrantsdans <strong>le</strong>ur paysd’origine...”pathétiques, el<strong>le</strong> ne retient que <strong>le</strong>s gens qui échouent, <strong>le</strong>spirogues qui font naufrage en Méditerranée ou en At<strong>la</strong>ntique,<strong>le</strong>s gens qui sont refoulés derrière <strong>le</strong>s barbelés, tout une imageriequi correspond à <strong>la</strong> réalité du reflux. Mais cette proportionde gens repoussés est minime par rapport à cel<strong>le</strong> quiréussit à passer et qui traduit un flux de migration c<strong>la</strong>ndestinou réel ou officiel, non seu<strong>le</strong>ment en France, mais dans <strong>le</strong>reste de l’Europe et aux Etats-Unis.Les très grands mouvements migratoires reposent sur <strong>le</strong>smêmes réalités, sur des zones différentes du monde. Qu’ils’agisse du sous-continent indien et des pays arabes, desPhilippines et des Etats-Unis d’Amérique, du Mexique etdes Etats-Unis d’Amérique, de <strong>la</strong> Turquie et de l’Al<strong>le</strong>magne.Les grands phénomènes migratoires entraînent une conséquencefinancière extraordinaire, par <strong>le</strong>ur amp<strong>le</strong>ur, par <strong>la</strong>croissance extrêmement rapide des flux de retour desmigrants dans <strong>le</strong>ur pays d’origine, qui sont parmi <strong>le</strong>s grandsflux financiers de <strong>la</strong> décennie 90 et à présent de <strong>la</strong> nôtre.Nous savons mal capter ces flux, <strong>le</strong>s statistiques sont incertaines,mais nous sommes sans doute dans <strong>le</strong>s 500 milliardsd’euros ou plus de flux de retour. Ce sont des chiffres tel<strong>le</strong>mentimportants que l’on ne sait plus très bien à quoi ils peuventcorrespondre, <strong>la</strong> réalité est qu’ils sont en fait extrêmementdisparates et qu’à l’intérieur de ce paysage global, un certainnombre de pays se sont fait des spécialités d’être des terresd’émigration.C’est <strong>le</strong> cas par exemp<strong>le</strong> des pays du Maghreb, tout particulièrement<strong>le</strong> Maroc et l’Algérie, certains pays d’Afriquesubsaharienne et dans une moindre mesure <strong>la</strong> Turquie, <strong>le</strong>Mexique, <strong>le</strong>s Philippines, <strong>le</strong> Liban, etc. Le revenu de l’émigrationreprésente <strong>pour</strong> ces pays plusieurs points de <strong>pour</strong>-9899


centage de <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce des paiements, plusieurs points de déficit des opérationscourantes et plusieurs points de PIB. Un certain nombre de paysdeviennent complètement dépendants de ces flux, qui s’établissent dans<strong>la</strong> durée et représentent à long terme une véritab<strong>le</strong> structuration de <strong>la</strong>société, un afflux de financements qui soutient <strong>la</strong> consommation, l’investissementet représente un facteur de stabilisation socia<strong>le</strong> dont ces paysne peuvent plus se passer.Ce phénomène d’expansion démographique et de migration s’accompagned’un développement considérab<strong>le</strong> du secteur privé informel : l’auto-entrepriseou <strong>la</strong> très petite entreprise représente dans ces pays <strong>le</strong> principa<strong>le</strong>mploi du pays et l’essentiel de l’activité économique. Ce sont des paystrès privatisés, dans <strong>le</strong>squels <strong>la</strong> dépense publique représente une faib<strong>le</strong>part du PIB et dont l’activité privée informel<strong>le</strong> structure toute l’activité.La p<strong>la</strong>ce de l’Etat est beaucoup plus importante en outre-mer, malgré <strong>le</strong>niveau de chômage extrêmement important – environ de 30 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionactive. Malgré <strong>le</strong>s très faib<strong>le</strong>s revenus et <strong>la</strong> très grande pauvretéd’une fraction substantiel<strong>le</strong> de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, <strong>le</strong> poids de l’intervention publiqueet étatique est considérab<strong>le</strong> et représente une réel<strong>le</strong> spécificité.Lorsqu’il s’agit de trouver des solutions à ce type de problème, nous nousintéressons à ce qui <strong>pour</strong>rait augmenter <strong>le</strong> taux de croissance. La plupartde ces pays, contrairement à l’image que l’on peut en avoir, ne sont actuel<strong>le</strong>mentpas dans des flux de croissance de PIB négatifs, ils ont des fluxpositifs. Le continent subsaharien est dans un train assez bien installé de5 % de croissance et lorsqu’on <strong>le</strong>s compare avec <strong>le</strong>s 3 % d’évolutiondémographique nette, il y a des gains de pouvoir d’achat de l’ordre de 2 %par an ce qui n’est pas très éloigné de ce que <strong>le</strong>s grands pays de l’OCDE,y compris <strong>la</strong> France, représentent. Nous ne pouvons toutefois pas vraimentpar<strong>le</strong>r de convergence, même si des améliorations en va<strong>le</strong>ur absoluedes niveaux de vie existent.Les taux de croissance de 3 % et de l’ordre de 1,5 ou 2 % dans l’outre-merfrançais ne demandent pas de croissance démographique, mais ce<strong>la</strong>implique de pouvoir gérer <strong>le</strong>s conséquences politiques, <strong>le</strong>s difficultéssocia<strong>le</strong>s du mé<strong>la</strong>nge de popu<strong>la</strong>tion, <strong>le</strong>s difficultés de l’intégration. L’enjeuactuel des politiques d’aide au développement, dans notre propre espacedomestique dans l’outre-mer, n’est pas de passer de zéro à 2 % ou 3 % ou4 %, mais de passer de 5 % à 8 %. Il faut s’appuyer sur des dynamiquesexistantes et essayer de <strong>le</strong>s démultiplier. On ne crée pas <strong>le</strong> développementni <strong>la</strong> croissance économique, et lorsqu’il s’agit de l’intervention publique,on doit traiter de l’accompagnement, de <strong>la</strong> consolidation et de l’accélération.Un certain nombre de dimensions sont évidentes. Il faut essayer d’équiper<strong>le</strong>s pays, réussir à faire que <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s soient des espaces d’accueil <strong>pour</strong> <strong>le</strong>spopu<strong>la</strong>tions qui immigrent, fournir de l’énergie, du désenc<strong>la</strong>vement, structurerl’espace. Mais si l’on tient compte du fait que <strong>le</strong> secteur informel estl’économie dominante, <strong>le</strong> sujet auquel nous nous attacherons tout de suiteest <strong>le</strong> développement du secteur privé et <strong>la</strong> façon dont on doit renforcer <strong>la</strong>capacité des acteurs économiques <strong>pour</strong> accélérer <strong>le</strong>ur croissance.La comparaison avec <strong>le</strong>s sujets que nous venons d’évoquer est intéressante: dans ces espaces, ce que l’on considère ici comme exclusion etmarginalité, sont en réalité, des phénomènes de norme. La norme est dene pas être bancarisé, de ne pas être enregistré, d’exercer en dehors detoutes lois, de ne pas être financé de manière généra<strong>le</strong>.Par conséquent, franchir <strong>le</strong>s entraves au développement conduit à bancariserau bon sens du terme, tenir des comptes n’est pas suffisant, il fautarriver à donner du financement d’investissement – même à toute petiteéchel<strong>le</strong> – à ces acteurs économiques. Parvenir à <strong>le</strong>s aider, à renforcer <strong>le</strong>urspropres capacités techniques, professionnel<strong>le</strong>s, à investir, à créer <strong>le</strong>ursemplois, à être meil<strong>le</strong>urs techniquement dans <strong>la</strong> branche qui est <strong>la</strong> <strong>le</strong>ur,que l’on soit commerçant, tâcheron, é<strong>le</strong>ctricien ou que l’on développe une100101


entreprise de transformation quel que soit <strong>le</strong> produit. C’est <strong>pour</strong>quoi aucours de <strong>la</strong> dernière décennie, <strong>la</strong> question du développement des capacitésde ce secteur privé est devenue <strong>le</strong> principal sujet.Nous sommes devant une situation paradoxa<strong>le</strong>. Historiquement, <strong>pour</strong> unestructure comme <strong>la</strong> nôtre, qui exerce depuis à peu près soixante ans, <strong>la</strong>première préoccupation a été <strong>le</strong> financement de l’investissement étrangerdans ces pays. C’était un objet déterminant, <strong>la</strong> croissance économiquesemb<strong>la</strong>it, en particulier, dépendre de <strong>la</strong> capacité d’entreprises étrangèresà générer de l’emploi à grande échel<strong>le</strong>.Ce<strong>la</strong> correspondait éga<strong>le</strong>ment à ce que nous imaginions pouvoir faire entant qu’agences de développement installées dans <strong>le</strong>s pays du Nord :accompagner des entreprises du Nord paraissait logique.Passé un certain temps, cet axe a révélé ses limites parce que <strong>le</strong>s investissementsprivés des pays développés vers <strong>le</strong>s pays en développementsont fina<strong>le</strong>ment modestes, il sont localisés ou focalisés sur un petit nombrede grands pays.Par ail<strong>le</strong>urs, l’essentiel du secteur privé et de l’emploi reste en dehors dessecteurs de ces grandes entreprises étrangères.Nous sommes passés, par un mouvement de ba<strong>la</strong>ncier caractéristiquede bien des organisations, d’un extrême à l’autre et nous nous sommesintéressés à <strong>la</strong> microfinance et au micro-entrepreuneuriat. Nous avonsaccompagné <strong>le</strong> développement d’un très grand nombre d’institutions demicrofinances.Nous disposons aujourd’hui d’un portefeuil<strong>le</strong> proche de 300 millions d’eurosd’investissements en microfinance, un des plus gros portefeuil<strong>le</strong>s au monde,dans une très <strong>la</strong>rge gamme d’institutions aussi bien dans <strong>le</strong> Maghreb quedans l’Afrique subsaharienne ou qu’en Asie.Nous avons <strong>le</strong> p<strong>la</strong>isir de voir se développer et d’accompagner <strong>le</strong> développementde nombreuses institutions qui sont, dans un premier temps, et<strong>pour</strong> <strong>la</strong> plupart d’entre el<strong>le</strong>s, parties de visées socia<strong>le</strong>s ou de visées à <strong>la</strong>frange du caritatif. Au fil du temps, el<strong>le</strong>s se sont transformées en de véritab<strong>le</strong>sentreprises bancaires.“Nous sommespassés d’unextrême à l’autreet nous noussommes intéressésà <strong>la</strong> microfinanceet au microentrepreuneuriat.Nous disposonsaujourd’huid’un portefeuil<strong>le</strong>proche de300 millions d’eurosd’investissementsen microfinance...”Certaines d’entre el<strong>le</strong>s sont devenues des réseaux puissantsqui comptent des millions de clients. Il s’agit d’un grandmouvement de fou<strong>le</strong> qui n’a pas fini d’ail<strong>le</strong>urs d’occuperl’espace financier et nous sommes certains que cette microfinance– <strong>le</strong> microcrédit – dans <strong>la</strong>quel<strong>le</strong> nous continuons àinvestir, aussi bien en fonds propres qu’en refinancement àlong terme, va constituer un des très grands secteurs bancairesdes années 2020/2040.Quasiment toutes <strong>le</strong>s grandes banques internationa<strong>le</strong>s vontdevoir se positionner dans ce secteur. El<strong>le</strong>s l’ont ignoré dansun premier temps, el<strong>le</strong>s essaient de s’allier avec lui dans undeuxième temps, et nous allons, dans un troisième temps,<strong>le</strong>s voir prendre des participations et investir dans cedomaine comme s’il s’agissait d’un secteur c<strong>la</strong>ssique.Nous avons <strong>la</strong>issé vide une catégorie que l’on appel<strong>le</strong> dansnotre jargon <strong>la</strong> méso-entreprise, ce qui est intermédiaireentre <strong>le</strong>s très petites entreprises individuel<strong>le</strong>s ou quasi-individuel<strong>le</strong>s,et <strong>le</strong> secteur économique bancarisé c<strong>la</strong>ssique.Aujourd’hui, <strong>la</strong> question qui se pose est de savoir commentappréhender ce secteur de <strong>la</strong> méso-entreprise.Comment faire monter en gamme <strong>le</strong>s institutions de microfinanceau fur et à mesure de <strong>le</strong>ur développement ? Peutonconvaincre <strong>le</strong> secteur bancaire c<strong>la</strong>ssique de descendreen gamme afin de l’amener à suivre <strong>la</strong> petite entreprised’une dizaine ou d’une vingtaine de sa<strong>la</strong>riés dans <strong>le</strong>domaine de <strong>la</strong> transformation, en particulier, ou dans <strong>le</strong>domaine de l’agro-industrie ?Nous sommes actuel<strong>le</strong>ment en train de développer une séried’instruments en fonds propres et en quasi fonds propres<strong>pour</strong> suivre ce secteur et nous mettons en p<strong>la</strong>ce <strong>le</strong>s instrumentsd’accompagnement techniques, humains et <strong>le</strong>s formationsnécessaires à cette gamme d’entreprises.102103


“Ces dernièresannées,<strong>la</strong> questions’est poséesur <strong>la</strong> façon donton pouvait tirerces flux migrantsvers des enjeux,des objectifsde productionou de services,plus nettementque sur de<strong>la</strong> rentabilitéfinancière.”La question de <strong>la</strong> migration est directement liée aux préoccupationsdomestiques. En effet, depuis quelques années,une nouvel<strong>le</strong> génération d’acteurs se profi<strong>le</strong> : ces fameuxmigrants qui, après avoir gagné très modestement <strong>le</strong>ur vie<strong>pour</strong> <strong>la</strong> plupart d’entre eux en France, rapatrient dans <strong>le</strong>urpays d’origine une partie de <strong>le</strong>urs revenus et qui constituentdes flux croissants très significatifs macro-économiquement<strong>pour</strong> un certain nombre de pays.L’enjeu auquel nous devons faire face consiste à savoircomment faire jouer à cette catégorie d’acteurs, ou l’aider àjouer, un rô<strong>le</strong> économique plus net.Historiquement, ces rapatriements de fonds de travail<strong>le</strong>ursimmigrés ont été centrés sur des besoins de financementd’activité de consommation ou d’investissement extrêmementdifférés. C’est ce qui permet aux enfants, aux neveux,aux cousins, au petit frère ou à <strong>la</strong> petite sœur restés au paysd’al<strong>le</strong>r à l’éco<strong>le</strong> ; c’est ce qui permet de donner accès auxsoins, d’acheter une maison, un frigo, parfois de faire <strong>la</strong> fêteou de célébrer un mariage. Ce sont des besoins de proximitéfamilia<strong>le</strong>. Comme <strong>le</strong>s besoins sont immenses et très loind’être satisfaits dans <strong>le</strong>s pays d’origine, ce flux va continuerpendant une longue période de temps.Mais deux phénomènes se produisent.D’une part, <strong>le</strong>s autorités publiques, <strong>le</strong>s gouvernements d’uncertain nombre de ces pays prennent progressivementconscience de <strong>la</strong> dimension perverse de ces flux de retourqui s’accompagnent de phénomènes d’ordre macro-économique.Les flux de retour soutiennent <strong>le</strong> cours des devisestiers vers <strong>le</strong> haut, handicapant <strong>la</strong> compétitivité, créant ougénérant des niveaux de sa<strong>la</strong>ires parfois incompatib<strong>le</strong>s avec<strong>le</strong>s capacités d’exportation. C’est d’ail<strong>le</strong>urs <strong>la</strong> raison <strong>pour</strong><strong>la</strong>quel<strong>le</strong> un certain nombre de pays comme <strong>le</strong>s Philippinesse sont, à l’échel<strong>le</strong> internationa<strong>le</strong>, enfoncés dans des situationsdont il devient diffici<strong>le</strong> de sortir.Ce phénomène de subventions externes au pays – non sur une base publique,mais sur une base privée – génère une sorte d’impossibilité à croître.Au fur et à mesure que <strong>le</strong>s capitaux s’accumu<strong>le</strong>nt, une partie de cesmigrants désire se <strong>la</strong>ncer dans des projets de plus grande envergure ou devarier l’objectif de <strong>le</strong>ur flux de retour et essayent d’investir dans un butd’enrichissement personnel ou au profit de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>.Ces dernières années <strong>la</strong> question s’est posée sur <strong>la</strong> façon dont on pouvaittirer ces flux migrants vers des enjeux, des objectifs de production ou deservices, plus nettement que sur de <strong>la</strong> rentabilité financière.C’est un sujet diffici<strong>le</strong> car il s’agit d’un choix d’investissements privés.Nous sommes face à des personnes qui prennent des décisions à <strong>le</strong>uréchel<strong>le</strong>, à l’échel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>, avec une connaissance parfois trèsvariab<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ur propre contexte d’origine.Les dispositifs que l’on met en p<strong>la</strong>ce sont fata<strong>le</strong>ment centrés sur l’accompagnementdes personnes et des projets et ne peuvent pas être de grandesdécisions macro-économiques ou de grandes décisions structurel<strong>le</strong>s. Aucours de <strong>la</strong> dernière décennie, nous nous sommes progressivement alliésà des mouvements d’appuis aux migrants.Nous dialoguons, en France, avec ces associations <strong>pour</strong> trouver desmécanismes d’accompagnement et en aval, dans <strong>le</strong>s pays mêmes, nousavons investi dans un dispositif plus spécifiquement tourné vers cesacteurs <strong>pour</strong> <strong>le</strong>ur donner l’accès au financement ; c’est <strong>le</strong> cas d’un projetsubstantiel que nous menons dans <strong>la</strong> vallée du f<strong>le</strong>uve Sénégal et au Mali,conjointement avec des organisations de microcrédits loca<strong>le</strong>s. Nous tentonsd’orienter <strong>le</strong>s projets vers l’appui et <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’activités économiques,c’est <strong>le</strong> cas actuel<strong>le</strong>ment au Maroc où nous essayons de p<strong>la</strong>cer unepartie de cet investissement vers <strong>le</strong> tourisme rural, en particulier dans l’At<strong>la</strong>s.Il est frappant de constater <strong>le</strong> nombre de points sur <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s pratiqueset <strong>le</strong>s contraintes se rejoignent même s’il s’agit de phénomènes de masseet non de marginalité, des phénomènes de norme et non d’exclusion. Onne peut pas espérer soutenir <strong>le</strong> développement d’un secteur privé ou d’en-104105


trepreuneuriat de petite tail<strong>le</strong>, de très petites entreprises ou de petitesentreprises, si on ne travail<strong>le</strong> pas dans l’accompagnement individuel et <strong>le</strong>renforcement des capacités des personnes qui investissent, si on ne disposepas des instruments financiers spécifiques.Faire rentrer ces clientè<strong>le</strong>s dans <strong>la</strong> norme des établissements bancairesc<strong>la</strong>ssiques, et c’est particulièrement vrai en Afrique au sud du Sahara etdans <strong>le</strong> monde maghrébin, où <strong>le</strong>s établissements bancaires sont très réticentsà l’investissement <strong>pour</strong> des raisons structurel<strong>le</strong>s, suppose de trouver descanaux financiers et donc institutionnels différents, comp<strong>le</strong>xes à monter,qui ne se décrètent pas.Ce ne sont pas <strong>le</strong>s Etats qui peuvent <strong>le</strong>s créer, c’est au nom des entrepreneursprivés que des mouvements sociaux décident, à un moment donné,de s’investir. Nous pouvons <strong>le</strong>s soutenir, mais on ne décrète pas des institutions,on <strong>le</strong>s accompagne, on <strong>le</strong>s sollicite, on <strong>le</strong>s suscite.Nous sommes systématiquement contraints à des démarches très longues,qui exigent beaucoup de respect des sociétés dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on travail<strong>le</strong>,beaucoup de finesse d’approche, et qui sont en général contradictoiresavec notre volonté impatiente d’obtenir des résultats.Lorsque dans <strong>le</strong>s espaces bancaires nationaux <strong>le</strong>s commissions bancairesimposent des normes prudentiel<strong>le</strong>s rigoureusement incompatib<strong>le</strong>s avecl’accompagnement de ces très petits entrepreneurrs, alors même que <strong>le</strong>secteur bancaire est dans une situation financière mirifique et dégage desrevenus extrêmement importants et des taux de sinistralité extrêmementfaib<strong>le</strong>s, ce<strong>la</strong> pose un problème.Il en va de même lorsque <strong>le</strong>s rég<strong>le</strong>mentations hypothécaires, <strong>le</strong>s rég<strong>le</strong>mentationsdu crédit exigent des systèmes de sûreté inatteignab<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> cespopu<strong>la</strong>tions.On <strong>le</strong> voit, <strong>le</strong> travail sur <strong>la</strong> rég<strong>le</strong>mentation bancaire est extrêmement important: il s’agit de l’un des problèmes du développement. Comment se faitilque dans des pays où <strong>le</strong> secteur privé est aussi important <strong>la</strong> rég<strong>le</strong>mentationbancaire et toutes <strong>le</strong>s pratiques financières soient fina<strong>le</strong>ment aussihosti<strong>le</strong>s ? Nous pouvons certainement y voir une des raisons <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s<strong>la</strong> croissance est limitée dans ces pays.Pour conclure, je crois qu’un dialogue peut être fructueusement menéentre ceux qui s’occupent de ces questions sur <strong>le</strong> terrain domestique etsur <strong>le</strong> terrain international, ainsi que de l’accompagnement des migrants.Enfin, dernier point commun d’ordre macro-économique. Il faut que <strong>le</strong>srèg<strong>le</strong>mentations bancaires, <strong>le</strong>s systèmes financiers internationaux soientun écho positif à ce type de pratiques.Lorsque <strong>le</strong>s espaces bancaires nationaux disposent de lois sur l’usure limitanttrès fortement <strong>la</strong> fixation de taux d’intérêt, approcher <strong>le</strong> développement dumicrocrédit est un problème.106107


Une expérience de codéveloppementLahoussain Jamal, conseil<strong>le</strong>r en développement et stratégiede l’association Migrations et DéveloppementFrance et à mettre en p<strong>la</strong>ce des programmes d’é<strong>le</strong>ctrification. Environ120 vil<strong>la</strong>ges ont été é<strong>le</strong>ctrifiés et 150 ont maintenant accès à l’eau potab<strong>le</strong>.Des dispensaires et plus de 200 kilomètres de routes goudronnées ont étéfinancés par l’Etat marocain et par <strong>le</strong>s immigrés sous forme de contrat departicipation.Notre association, Migrations et Développement, a vu <strong>le</strong> jour dans<strong>le</strong>s années 80 à l'époque des fermetures d’usines et des restructurationsindustriel<strong>le</strong>s qui engendraient des p<strong>la</strong>ns sociaux prévoyant<strong>le</strong> départ des sa<strong>la</strong>riés à <strong>la</strong> préretraite. Certains départsétaient volontaires et parmi <strong>le</strong>s mesures prévues se trouvaient <strong>le</strong>s retoursvolontaires des migrants dans <strong>le</strong>ur pays, assortis de primes.L’association a été créée par des immigrés décidés à retourner dans <strong>le</strong>urpays d’origine. Ils ont consacré une partie de <strong>le</strong>ur prime de licenciement,mise en commun, <strong>pour</strong> tenter de moderniser <strong>le</strong>ur vil<strong>la</strong>ge et y favoriser <strong>le</strong>urretour. Ces immigrés retournaient dans des vil<strong>la</strong>ges très pauvres situésdans <strong>le</strong>s montagnes, où on était venu <strong>le</strong>s recruter. Il n’y avait ni eau, nié<strong>le</strong>ctricité, ni routes, parfois ni éco<strong>le</strong>, ni système de santé. Ils ont d’abordvoulu mettre en p<strong>la</strong>ce <strong>le</strong>s premiers équipements et infrastructures nécessaires.Beaucoup d’immigrés ne souhaitaient pas rentrer au pays, mais ilsont aidé ceux qui avaient fait ce choix et ont contribué au développementdes vil<strong>la</strong>ges. Ils ont commencé par col<strong>le</strong>cter des fonds tout en restant enL’immigration marocaine en Europe est considérab<strong>le</strong>. Environ 3 millionsd’immigrés sont répartis dans tous <strong>le</strong>s pays d’Europe et ce<strong>la</strong> pose un problèmegrave <strong>pour</strong> l’économie marocaine. L’argent transféré par <strong>le</strong>s immigrés– 25 milliards – est <strong>la</strong> première ressource du pays. Ce montant est supérieurà ce que rapporte l’agriculture, <strong>la</strong> vente du phosphate et <strong>le</strong> tourisme.Dans <strong>le</strong>s années 1999-2000, nous nous sommes rendus compte que <strong>le</strong>simmigrés vou<strong>la</strong>ient empêcher l’immigration continue. Cel<strong>le</strong>-ci fait plus dedégâts dans <strong>le</strong> vil<strong>la</strong>ge quitté qu’en France, c’est un frein au développementdu pays d’origine. Il n’y a plus de jeunes au pays, tout <strong>le</strong> monde veut partirparce que <strong>le</strong> départ est <strong>la</strong> règ<strong>le</strong> : <strong>le</strong> revenu est très différent entre <strong>le</strong> vil<strong>la</strong>gemarocain et <strong>la</strong> France ou l’Europe en général. Un ouvrier en France gagneplus qu’un professeur au Maroc. La solution <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s gens des vil<strong>la</strong>gesn’est donc pas d’al<strong>le</strong>r à l’éco<strong>le</strong>, d’avoir un métier, mais d’immigrer <strong>pour</strong>être riche. Il s’agissait <strong>pour</strong> notre association de casser cette dynamiqueet cette spira<strong>le</strong> et d’encourager <strong>le</strong> développement du Maroc. Le milieu ruralmarocain a beaucoup souffert de ce système : <strong>le</strong> taux d’analphabétismeest de 98 %.108109


“...l’argenttransféré par<strong>le</strong>s immigrés- 25 milliards -est <strong>la</strong> premièreressource du pays.Ce montant estsupérieur à ceque rapportel’agriculture,<strong>la</strong> vente duphosphate et<strong>le</strong> tourisme.”Nous devions faire revivre ces territoires en instal<strong>la</strong>nt l’é<strong>le</strong>ctricité,l’eau, un système de santé, des éco<strong>le</strong>s… 45 éco<strong>le</strong>sont ainsi été créées.Mais nous avons réalisé que l’instal<strong>la</strong>tion de l’é<strong>le</strong>ctricité, del’eau et des routes ne suffisait pas à maintenir <strong>le</strong>s jeunesdans <strong>le</strong>s vil<strong>la</strong>ges, bien au contraire, nous avions créé desbesoins que <strong>le</strong>s popu<strong>la</strong>tions ne pouvaient pas s’offrir.Il fal<strong>la</strong>it trouver une source de revenus et nous avons penséà revaloriser des produits locaux.Une dizaine de coopératives basées sur <strong>le</strong>s cultures existantesont ainsi été créées. Nous avons, par exemp<strong>le</strong>, mis en p<strong>la</strong>ceun système <strong>pour</strong> valoriser et conditionner <strong>le</strong> safran – produitcher – dans <strong>le</strong>s régions productrices, afin de <strong>le</strong> vendre sur <strong>le</strong>marché national et de l’exporter sur <strong>le</strong> marché européen.Il était éga<strong>le</strong>ment important de développer <strong>le</strong> tourisme rural.Les voyages tests que nous avons entrepris nous ont montréque <strong>le</strong>s touristes qui séjournent deux ou trois jours dépensentbeaucoup d’argent sur p<strong>la</strong>ce. C’est une activité immédiatementrentab<strong>le</strong>. Des femmes veuves ont ainsi accueilli desgroupes de touristes qui <strong>le</strong>ur ont réglé <strong>le</strong>urs repas et <strong>le</strong>urhébergement à hauteur de 60 euros. Ces femmes n’avaientjamais eu autant d’argent en main en une seu<strong>le</strong> fois.Ces activités se mettent en p<strong>la</strong>ce et sont promues par <strong>le</strong>simmigrés. Les projets ont d’abord été financés à 60 % pardes subventions, <strong>le</strong>s 40 % restant venant des immigrés. Aprésent <strong>le</strong>s chiffres se sont inversés. Certains projets sontfinancés à 80 % par des associations de vil<strong>la</strong>ges et desimmigrés et à 20 % par des subventions. Nous avons demoins en moins de subventions et si nous avions un système volontaristed’accompagnement au développement, nous n’en aurions plus besoin. Ily a une dizaine de coopératives dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s des femmes fabriquentdes tapis, des produits qui sont vendus aux touristes. L’activité économique,<strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s se mettent en p<strong>la</strong>ce. La production agrico<strong>le</strong> de p<strong>la</strong>ntes aromatiqueset de produits à forte va<strong>le</strong>ur ajoutée est re<strong>la</strong>yée par des épiciersmarocains qui se trouvent en région parisienne et à Bruxel<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> qu’ilspuissent assurer <strong>la</strong> vente de ces produits.Nous sommes, éga<strong>le</strong>ment en train de monter un partenariat avec une vingtained’épiciers parisiens : une reconversion de <strong>le</strong>ur commerce où <strong>la</strong> moitiéde <strong>le</strong>urs produits serait issue de <strong>la</strong> production loca<strong>le</strong>, du commerceéquitab<strong>le</strong>, ce qui <strong>le</strong>ur permettrait de toucher une nouvel<strong>le</strong> clientè<strong>le</strong>.Les immigrés avec <strong>le</strong>squels nous avions entamé cette démarche sontmaintenant à <strong>la</strong> retraite, mais <strong>le</strong>s jeunes, <strong>le</strong>urs enfants qui sont français,rejoignent peu à peu cette dynamique de l’association, et continuent d’appuyercette forme de développement ; certains d’entre eux commencent àcréer des agences de voyages, par exemp<strong>le</strong>, autour du projet quel’Assocation Française de Développement a financé sur <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>cedes équipements touristiques.Nous finalisons actuel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> montage d’un projet où <strong>le</strong>s immigrés participentà <strong>la</strong> création d’auberges dans <strong>le</strong>s vil<strong>la</strong>ges, nous avons créé descircuits touristiques. Ce projet a été financé à 30 % par l’AFD et à 70 % par<strong>le</strong>s migrants investisseurs ; il fournit une capacité d’accueil sur <strong>la</strong>quel<strong>le</strong>nous pouvons nous appuyer <strong>pour</strong> mettre en p<strong>la</strong>ce d’autres projets : développementet commercialisation de produits, création de chambres d’hôtes…Tous <strong>le</strong>s systèmes de tourisme rural ou culturel ne sont pas encoredéveloppés au Maroc, seu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s stations touristiques c<strong>la</strong>ssiques commeMarrakech et Agadir sont connues.110111


Notre méthode est basée sur <strong>le</strong>s échanges de savoir-faire. L’expériencefrançaise en matière de tourisme est très forte. Ce sont donc des Françaisqui viennent nous conseil<strong>le</strong>r, nous accompagner, <strong>pour</strong> former <strong>le</strong>s gens surp<strong>la</strong>ce. Il est intéressant de constater que des jeunes Français d’originemarocaine commencent à créer des agences de voyages, ils sont <strong>le</strong>smieux p<strong>la</strong>cés <strong>pour</strong> convaincre <strong>le</strong>s touristes de venir.Les actions de notre association portent sur trois vo<strong>le</strong>ts :• <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>t des infrastructures de base que nous continuons à développer.Beaucoup de vil<strong>la</strong>ges n’ont toujours pas l’eau, certains vil<strong>la</strong>ges sont diffici<strong>le</strong>sd’accès ;• vient ensuite <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>t économique centré sur <strong>le</strong>s coopératives et <strong>le</strong> tourisme ;• <strong>le</strong> dernier vo<strong>le</strong>t est celui de <strong>la</strong> solidarité. En effet, beaucoup d’immigrésà <strong>la</strong> retraite, handicapés et restés dans <strong>le</strong>ur vil<strong>la</strong>ge, ou <strong>le</strong>urs veuves, n’ontpas accès à <strong>le</strong>urs droits. Une étude de l’EGAS menée en France montreque 54 000 Marocains ont des droits à <strong>la</strong> retraite et ne <strong>le</strong>s réc<strong>la</strong>ment pas.Nous essayons de <strong>le</strong>s retrouver et nous nous sommes aperçus qu’il s’agissaitdans <strong>la</strong> plupart des cas de veuves qui ignoraient qu’el<strong>le</strong>s avaient droitaux pensions de reversion.La question de l’accès aux droits en France et de <strong>le</strong>ur compréhension sepose éga<strong>le</strong>ment : nous essayons de l’expliquer aux immigrés qui <strong>le</strong> plussouvent appliquent <strong>la</strong> loi marocaine dans <strong>le</strong>s pratiques de répudiation etde mariages forcés. Depuis <strong>le</strong> vote de <strong>la</strong> loi au Maroc qui interdit ces pratiques,nous essayons de <strong>la</strong> faire respecter par <strong>le</strong>s immigrés marocains<strong>pour</strong> pallier certains excès. Nous recevons l’appui financier de <strong>la</strong> Caissed’Epargne <strong>pour</strong> nous aider dans cette démarche de sensibilisation.Nous nous heurtons ensuite à des problèmes d’orientation de l’épargne.Les Marocains envoient beaucoup d’argent au pays, mais tout est investidans l’immobilier parce que c’est <strong>le</strong> seul secteur dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>s banquesprennent un risque ; el<strong>le</strong>s savent qu’el<strong>le</strong> <strong>pour</strong>ront toujours revendre <strong>le</strong> bien,<strong>le</strong> saisir et récupérer l’argent, mais el<strong>le</strong>s ne prennent pas de risque sur <strong>le</strong>sautres activités. La circu<strong>la</strong>tion des produits bancaires est importante entre<strong>la</strong> France et <strong>le</strong> Maroc et <strong>le</strong>s <strong>Caisses</strong> d’Epargne nous aident dans ce domaine“Grâceaux échangesFrance-Maroc,c’est tout<strong>le</strong> systèmed’éthique de vieque nousessayonsde réparer...”en offrant <strong>la</strong> possibilité, lorsque l’on est à <strong>la</strong> retraite de pouvoirretirer son argent sur p<strong>la</strong>ce, sans avoir à revenir enFrance <strong>pour</strong> <strong>le</strong> faire. Il devrait y avoir des systèmes de venti<strong>la</strong>tionde flux bancaires nord-sud.Grâce aux échanges France-Maroc, c’est tout <strong>le</strong> systèmed’éthique de vie que nous essayons de réparer. Il est très diffici<strong>le</strong>de faire passer <strong>le</strong>s messages dès l’éco<strong>le</strong>, mais enrevanche, lorsque l’on reçoit des groupes d’immigrés, desgroupes de jeunes des quartiers – 150 jeunes par an viennentséjourner et aider aux travaux dans <strong>le</strong>s vil<strong>la</strong>ges – ce<strong>la</strong>nous permet d’avoir un lien entre <strong>le</strong>s vil<strong>la</strong>ges et <strong>le</strong>s quartiers,ils témoignent de l’importance de <strong>la</strong> va<strong>le</strong>ur culturel<strong>le</strong> du vil<strong>la</strong>ge.L’éco<strong>le</strong> est dévalorisée : <strong>le</strong>s instituteurs ont quitté <strong>le</strong>uréco<strong>le</strong> <strong>pour</strong> venir en France, ils reviennent ensuite au vil<strong>la</strong>geavec une voiture, alors que s’ils étaient restés au Maroc, ilsn’auraient jamais pu s’en offrir une.Nos actions commencent à porter <strong>le</strong>urs fruits : nous avons faitvenir une vingtaine d’enfants d’immigrés, qui ont été logésdans <strong>le</strong>s foyers Sonacotra où vivent <strong>le</strong>urs parents et nous <strong>le</strong>savons emmenés voir <strong>le</strong>urs parents sur <strong>le</strong>s chantiers. Ils nousont dit : « On ne veut pas dormir là, ce n’est pas possib<strong>le</strong>.»Nous avons ensuite eu <strong>la</strong> chance de trouver à Paris descadres supérieurs, des « scouts » qui nous avaient proposéd’accueillir ces jeunes chez eux et ils ont pu voir <strong>la</strong> différenceentre l’immigré du foyer Sonacotra et une vraie famil<strong>le</strong>française. Ils sont allés eux-mêmes dans <strong>le</strong>s vil<strong>la</strong>ges expliquerque <strong>le</strong>urs parents n’étaient pas vraiment en France. Ils sontallés à <strong>la</strong> Cité des Sciences, à Paris, alors que <strong>le</strong>urs parents, envingt ans de présence en France n’ont jamais vu ni visité Paris.La va<strong>le</strong>ur d’exemp<strong>la</strong>rité, <strong>le</strong>s échanges avec des Français quiexpliquent <strong>le</strong>ur vie quotidienne, <strong>le</strong>ur intérêt <strong>pour</strong> <strong>le</strong> retour à<strong>la</strong> nature et <strong>la</strong> consommation bio, peut, mieux que tout, <strong>le</strong>sconvaincre que d’autres solutions existent.112113


L’intégration économique des migrantsDidier Banquy, secrétaire général de <strong>la</strong> Caisse Nationa<strong>le</strong> des <strong>Caisses</strong> d’EpargneJe vais commencer par rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> contenu de <strong>la</strong> <strong>le</strong>ttre de missionadressée par <strong>le</strong> ministre d’Etat à Char<strong>le</strong>s Milhaud. Trois orientationsy figuraient. La première orientation concernait <strong>la</strong> mise à p<strong>la</strong>t desdispositifs d’intégration économique des migrants arrivant enFrance. La dimension économique n’est pas suffisante mais essentiel<strong>le</strong> àl’intégration, dans <strong>la</strong> mesure où <strong>le</strong>s personnes qui ne sont pas intégréeséconomiquement ne sont pas intégrées du tout. Il s’agissait de faire l’étatdes lieux et d’envisager <strong>le</strong>s marges de progrès que nous pouvions réaliser.Tel<strong>le</strong> était <strong>la</strong> première question posée à Char<strong>le</strong>s Milhaud.Le deuxième point était d’essayer de mieux valoriser l’épargne des migrantsnotamment dans une perspective d’aide au retour ou d’aide au développementdans <strong>le</strong>ur pays d’origine.Enfin, <strong>la</strong> troisième question posée par <strong>le</strong> ministre d’Etat portait sur <strong>le</strong>s infrastructures,<strong>le</strong>s dispositifs existants, <strong>le</strong>s innovations qui pouvaient être envisagées<strong>pour</strong> favoriser <strong>le</strong>s actions de codéveloppement avec <strong>le</strong>s pays d’origine.Au préa<strong>la</strong>b<strong>le</strong>, il faut noter que <strong>le</strong>s banques d’une façon généra<strong>le</strong> sont bienp<strong>la</strong>cées <strong>pour</strong> avoir une vision de <strong>la</strong> dimension économique de l’intégration.Un seul chiffre <strong>pour</strong> illustrer <strong>le</strong> propos, aujourd’hui 96 % des migrants sontbancarisés. Il s’agit d’un taux extrêmement é<strong>le</strong>vé, quasiment identique autaux moyen en France qui est de 98 %. On peut dire que pratiquementtous <strong>le</strong>s migrants sont bancarisés, nous verrons ensuite dans quel<strong>le</strong>sconditions, 200 000 personnes sont cependant <strong>la</strong>issées sur <strong>le</strong> côté.Le Groupe <strong>Caisses</strong> d’Epargne est particulièrement concerné par <strong>le</strong>smigrants : un quart des Marocains installés en France sont clients duGroupe Caisse d’Epargne et nous avons dans nos réseaux beaucoup depopu<strong>la</strong>tions immigrées.Enfin, Char<strong>le</strong>s Milhaud, en tant que responsab<strong>le</strong> pendant très longtempsde <strong>la</strong> Caisse d’Epargne de Marseil<strong>le</strong> où <strong>le</strong>s questions liées à l’immigrationse posent d’une façon très prégnante, avait par son expérience et saréf<strong>le</strong>xion eu l’occasion de réfléchir à ces sujets.Quel<strong>le</strong> est <strong>la</strong> définition d’une personne immigrée, d’un migrant ? La définitionstatistique dit qu’il s’agit d’« une personne étrangère née à l’étranger etrésidant en France depuis au moins un an ». El<strong>le</strong> diffère de <strong>la</strong> notion de personneétrangère – on peut être étranger, résider depuis moins d’un an – eton peut aussi, c’est <strong>le</strong> cas d’un nombre é<strong>le</strong>vé de personnes immigrées,obtenir <strong>la</strong> nationalité française une fois installées en France. 40 % desimmigrés obtiennent <strong>la</strong> nationalité française une fois installés en France etont donc <strong>la</strong> doub<strong>le</strong> nationalité. Nous parlons d’une popu<strong>la</strong>tion de près de5 millions de personnes. Il faut distinguer deux groupes tota<strong>le</strong>ment diffé-114115


“Il n’y apas véritab<strong>le</strong>mentd’épargnedes migrants...Il s’agit soitde consommationsur p<strong>la</strong>cepar <strong>la</strong> personneimmigrée,soit de <strong>la</strong>consommationdélocaliséedans <strong>le</strong> paysd’origine.”rents et <strong>pour</strong> <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s questions ne se posent pas de <strong>la</strong>même façon : <strong>le</strong>s immigrés issus d’un pays européen et <strong>le</strong>sautres.Les immigrés issus d’un pays européen ne rencontrent pasde difficultés particulières. Un seul chiffre, <strong>le</strong>ur taux de chômageen France est de l’ordre de 6 %, ce qui est inférieur autaux de chômage français. Ils ne figurent donc pas dansl’étude qui ne porte que sur <strong>le</strong>s immigrés non issus d’unpays européen, soit près de 3,3 millions de personnes.Leur durée de séjour est un indicateur important <strong>pour</strong> prendredu recul par rapport aux difficultés d’intégration que l’on peutrencontrer. Environ un quart des immigrés aujourd’hui enFrance sont là depuis <strong>le</strong>s années 60, <strong>la</strong> moitié depuis <strong>le</strong>sannées 70 et <strong>le</strong>s trois quarts depuis <strong>le</strong>s années 80, chaquedécennie nous amène un quart de popu<strong>la</strong>tion supplémentaire.Les motivations initia<strong>le</strong>s <strong>pour</strong> venir en France sont essentiel<strong>le</strong>mentd’origine familia<strong>le</strong>. Les enquêtes que nous avonsmenées montrent que 10 % des immigrés disent être venusen France <strong>pour</strong> un emploi, même si, une fois installés enFrance, près d’un sur deux souhaite avoir un emploi.Il nous faut revenir sur un certain nombre d’idées fausses defaçon à <strong>le</strong>s battre en brèche. El<strong>le</strong>s sont au nombre de trois.Puis nous ferons <strong>le</strong> constat de <strong>la</strong> situation, trois constats éga<strong>le</strong>ment,et enfin nous dresserons <strong>le</strong>s perspectives, <strong>le</strong>s troisprincipa<strong>le</strong>s orientations du rapport Milhaud. Les organisationsse déclinent ensuite en une vingtaine de propositions.Les choses sont simp<strong>le</strong>s : trois idées fausses, trois constatset trois orientations.Trois idées faussesLa première est essentiel<strong>le</strong> : il s’agit de <strong>le</strong>ver l’ambiguïté autourdu terme « épargne des migrants ». Il n’y a pas véritab<strong>le</strong>mentd’épargne des migrants. Il n’y a pas d’épargne au sens d’accumu<strong>la</strong>tionde capital permettant ensuite d’investir <strong>pour</strong> dégagerdes revenus productifs. Il s’agit soit de consommation sur p<strong>la</strong>ce par <strong>la</strong> personneimmigrée, soit de <strong>la</strong> consommation délocalisée dans <strong>le</strong> pays d’origine.Ces flux sont importants – 500 milliards au niveau mondial – de l’ordrede 8 milliards à partir de <strong>la</strong> France, à peu près une petite moitié sousforme formel<strong>le</strong> et une grosse moitié sous forme informel<strong>le</strong> d’après nos estimations.Ce<strong>la</strong> représente un effort de privation de consommation considérab<strong>le</strong> <strong>pour</strong><strong>le</strong>s migrants. Si on <strong>le</strong> traduisait sous forme d’épargne, même si ce<strong>la</strong> n’enest pas, des taux de l’ordre de 15 à 25 % de <strong>le</strong>urs revenus. Le migrant seprive en moyenne de 15 à 25 % de son revenu, ce<strong>la</strong> peut atteindre danscertains cas jusqu’à 40 %, <strong>pour</strong> envoyer de l’argent dans son pays d’origine.Deuxième idée fausse : il ne faut pas croire que <strong>la</strong> dimension financièrepeut à el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> résoudre <strong>le</strong>s questions de l’immigration et de l’intégrationou inverser <strong>le</strong>s tendances. « Améliorons <strong>le</strong>s systèmes d’aide au retour,favorisons l’investissement dans <strong>le</strong>s pays d’origine, ce<strong>la</strong> va tout résoudre »est une fausse bonne idée. Les enquêtes que nous avons menées montrentque <strong>la</strong> démarche des migrants résulte <strong>le</strong> plus souvent d’extrême souffrance,col<strong>le</strong>ctive ou individuel<strong>le</strong>. La question de l’argent peut probab<strong>le</strong>ment êtreconsidérée comme secondaire dans <strong>la</strong> démarche d’émigration.Extrême souffrance, ce<strong>la</strong> veut dire qu’il y de <strong>la</strong> perte de confiance dans <strong>le</strong>urpays d’origine, ou dans <strong>le</strong>s institutions de <strong>le</strong>ur pays d’origine, en tout cas desdifficultés existent. Pour reprendre l’expression de Monsieur Philippe Seguin :« D’une façon généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s migrants ont un pied sur <strong>le</strong>s deux rives. ». Ils nesont pas en France, ils ne sont pas dans <strong>le</strong>ur pays d’origine, ils sont desdeux côtés à <strong>la</strong> fois. La dimension financière n’est pas un élément moteuret n’aura qu’une action modérée sur l’inversion des flux migratoires.La troisième idée fausse serait de croire qu’une politique unique concernant<strong>le</strong>s migrants serait une solution, que <strong>la</strong> même politique <strong>pour</strong>rait résoudretoutes <strong>le</strong>s questions d’immigration, quels que soient <strong>le</strong>s pays d’origine et <strong>le</strong>sraisons de cette immigration. Les migrants sont un peu plus de 3 millions enFrance, <strong>le</strong>s deux-tiers, soit 2 millions, viennent d’Afrique et sur ces 2 millions,<strong>le</strong>s trois-quarts viennent du Maghreb. La part qui vient de l’Afrique subsaharienneaugmente considérab<strong>le</strong>ment depuis une dizaine d’années, c’estlà <strong>le</strong> plus fort taux de progression.Il ne faut pas sous-estimer <strong>le</strong>s progressions très fortes d’immigration enprovenance de pays d’Asie ou de Turquie, el<strong>le</strong>s représentent près de 13 %116117


“... Le taux dechômage estun indicateurd’intégrationéconomiquedans <strong>la</strong> société,il est de 25 % <strong>pour</strong><strong>le</strong>s originairesdes pays duMaghreb...”des immigrés en France. Or en fonction de chacune de cespopu<strong>la</strong>tions, <strong>le</strong>s critères d’attachement au pays d’originesont de nature tota<strong>le</strong>ment différente et nous allons <strong>le</strong> retrouverà travers un certain nombre d’indicateurs.Face à <strong>la</strong> demande et à l’obtention de <strong>la</strong> nationalité française,<strong>le</strong>s disparités sont fortes.Aujourd’hui, 75 % des immigrés venant d’Asie demandent etobtiennent <strong>la</strong> nationalité française. Ils ne sont que 30 % <strong>pour</strong><strong>le</strong>s pays du Maghreb et de l’ordre de 20 % <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s paysd’Afrique subsaharienne.De même, l’attachement au pays d’origine prend des formesdifférentes. Ceci est particulièrement notab<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s personnesissues d’Afrique subsaharienne, l’attachement vientde <strong>la</strong> cellu<strong>le</strong> familia<strong>le</strong> en Afrique. Alors que <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s gensvenant des pays du Maghreb, c’est lié à <strong>la</strong> présence de <strong>la</strong>mère encore vivante dans <strong>le</strong> pays d’origine et on observedes changements de comportements au moment de <strong>la</strong> disparitionde <strong>la</strong> mère.En matière d’intégration par l’emploi, <strong>le</strong>s situations sont éga<strong>le</strong>mentdifférentes. On ne retrouve pas <strong>le</strong>s mêmes popu<strong>la</strong>tionsdans <strong>le</strong> bâtiment, dans l’hôtel<strong>le</strong>rie ou dans <strong>la</strong> restauration. Ily a des prédominances en fonction du pays d’origine.De façon identique, <strong>le</strong> critère de <strong>la</strong> volonté d’acquérir unlogement est différent selon <strong>le</strong> pays d’origine. Il est trèsé<strong>le</strong>vé <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s Maghrébins alors qu’il est très faib<strong>le</strong> <strong>pour</strong> <strong>le</strong>spersonnes issues des pays d’Afrique subsaharienne.En résumé, compte tenu des diversités en matière de comportement,d’attachement culturel, d’attentes au regard desquestions d’emploi ou de logement, il n’y a pas et il n’y aaucune raison qu’il y ait de modè<strong>le</strong> unique d’intégration économiqueen France.Trois constatsNous avons fait un trip<strong>le</strong> constat.• Le premier concerne <strong>le</strong>s efforts importants menés depuisplusieurs années et <strong>la</strong> persistance des difficultés d’intégrationéconomique. D’une façon généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s migrants jugent quel’intégration économique est diffici<strong>le</strong>, mais qu’el<strong>le</strong> ne l’est pas plus que <strong>pour</strong><strong>le</strong>s Français. Ils se mesurent naturel<strong>le</strong>ment par référence aux exclus d’originefrançaise.Premier indicateur : <strong>le</strong> taux de chômageObjectivement, il est vrai que <strong>le</strong>ur situation est diffici<strong>le</strong>, <strong>le</strong>ur taux de chômageest presque deux fois plus é<strong>le</strong>vé que celui des Français et <strong>le</strong>ur niveau de vieest inférieur d’un quart. Il s’agit de moyennes. Il y a en réalité des différencesénormes selon <strong>le</strong>s différentes popu<strong>la</strong>tions d’immigrés. Le taux de chômageest un indicateur d’intégration économique dans <strong>la</strong> société, il est de 25 %<strong>pour</strong> <strong>le</strong>s originaires des pays du Maghreb, mais il peut atteindre 40 % <strong>pour</strong><strong>le</strong>s jeunes du Maghreb dans <strong>le</strong>s zones sensib<strong>le</strong>s. Par comparaison, ce tauxde chômage ne touche que 6 % des Espagnols, des Portugais et desItaliens. Les écarts peuvent être considérab<strong>le</strong>s.Deuxième indicateur : <strong>la</strong> formationLe nombre de jeunes qui sortent du système éducatif, en France, sans maîtriser<strong>la</strong> <strong>le</strong>cture et <strong>le</strong> calcul est, chez <strong>le</strong>s enfants de parents issus de l’immigration,<strong>le</strong> doub<strong>le</strong> de celui des enfants issus de parents nés en France.Mais en matière d’enseignement supérieur, puisque nous allons nous intéresserà ce qui peut servir d’exemp<strong>le</strong>, servir de locomotive <strong>pour</strong> faire changer<strong>le</strong>s mentalités, il n’y a pas de différence entre <strong>le</strong>s immigrés et <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionfrançaise. 21 % des jeunes immigrés ont un diplôme d’enseignementsupérieur contre 23 % en moyenne en France.Troisième indicateur : <strong>la</strong> bancarisationLes migrants sont à 96 % bancarisés. Ils ont intégré <strong>le</strong> fait qu’en France,ce n’est pas <strong>le</strong> cas dans tous <strong>le</strong>s pays, <strong>pour</strong> pouvoir toucher un revenu, unsa<strong>la</strong>ire, une allocation, il faut avoir un compte dans une banque. Ils ignorent,en revanche, <strong>le</strong> fonctionnement de <strong>la</strong> banque, ils ont un taux d’équipementbancaire extrêmement faib<strong>le</strong> par rapport au reste de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion ; 60 %de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion des immigrés ont un livret A contre 80 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionfrançaise.En assurance-vie, 40 % des Français ont un produit financier de type assurancecontre 10 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion immigrée.Le contrat Accueil Intégration expérimenté en 2003 et progressivementgénéralisé en 2005 – actuel<strong>le</strong>ment seu<strong>le</strong>ment deux-tiers des départementsl’ont mis en œuvre – <strong>pour</strong> <strong>le</strong>s l’immigrés qui arrivent sur <strong>le</strong> territoire, comporteun certain nombre de vo<strong>le</strong>ts obligatoires. Parmi ces vo<strong>le</strong>ts obligatoires figurent118119


notamment une visite médica<strong>le</strong>, ainsi qu’une information du droit au comptebancaire, c’est-à-dire <strong>la</strong> possibilité d’ouvrir un compte bancaire. La démarchereste théorique et ne se traduit pas par un réel effet d’insertion économique.Pour autant, <strong>le</strong>s immigrés sont en moyenne plus créateurs d’entreprise, demicro-entreprises certes, que <strong>le</strong>s Français ; 6 % d’entre eux créent <strong>le</strong>urentreprise contre 4 % de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion française. La création d’entreprise<strong>pour</strong> un immigré est une façon de pallier <strong>le</strong>s difficultés du sa<strong>la</strong>riat. Cesentreprises réussissent dans <strong>la</strong> majeure partie des cas et plus de <strong>la</strong> moitiéd’entre eux vivent avec un niveau de revenus au moins égal au SMIC. Atitre de comparaison, aux Etats-Unis <strong>le</strong> taux de créateurs d’entreprise depopu<strong>la</strong>tion immigrée mexicaine est de l’ordre de 9 %.• Deuxième constat, <strong>le</strong>ur générosité envers <strong>le</strong>ur pays d’origine rend plus diffici<strong>le</strong><strong>le</strong>ur intégration économique : plus ils aident <strong>le</strong>ur pays d’origine, plusils épargnent, moins ils consomment, moins ils s’intègrent dans <strong>la</strong> société.J’évoquais <strong>le</strong> chiffre de 8 milliards d’euros chaque année, ce<strong>la</strong> représente undemi-point de PIB en France, soit l’équiva<strong>le</strong>nt d’un demi-p<strong>la</strong>n Marshall par an.Sur <strong>le</strong>s 8 milliards, 6 milliards partent directement vers <strong>le</strong> Maroc, l’Algérieet <strong>la</strong> Tunisie, ce<strong>la</strong> montre l’enjeu que représente <strong>le</strong> développement du bassinméditerranéen. Ces flux financiers n’ont pas seu<strong>le</strong>ment une dimensionéconomique. Il s’agit d’une dimension forte d’ordre social ou familial, surtoutdans <strong>le</strong>s premières années qui suivent l’instal<strong>la</strong>tion de l’immigré enFrance. C’est souvent lié au remboursement d’une dette, souvent réel<strong>le</strong> età tout <strong>le</strong> moins socia<strong>le</strong> ou mora<strong>le</strong>, qu’il a contractée vis-à-vis de sa famil<strong>le</strong>,de ses amis, de sa tribu restée sur p<strong>la</strong>ce. Ce<strong>la</strong> n’est pas propre à <strong>la</strong> France,c’est <strong>la</strong> même chose aux Etats-Unis, comme dans quasiment tous <strong>le</strong>spays d’immigration.Donc, <strong>la</strong> question très directement posée est cel<strong>le</strong> de l’équilibre entre <strong>la</strong>générosité vis-à-vis des pays d’origine de <strong>la</strong> part des immigrés et <strong>le</strong>ur propreintégration économique dans <strong>le</strong>ur pays d’accueil. C’est cet équilibrequi est diffici<strong>le</strong> à trouver dans <strong>le</strong> parcours de <strong>la</strong> vie de l’immigré.“... Les immigréssont en moyenneplus créateursd’entreprise, que<strong>le</strong>s Français ;6 % d’entre euxcréent <strong>le</strong>urentreprisecontre 4%de <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tionfrançaise...”• Troisième constat que nous avons fait, l’argent envoyé estsouvent fortement ponctionné par <strong>le</strong>s opérateurs et ne sertpas ou peu, au développement du pays d’origine. Les fraisde transfert sont un réel problème. Le montant de <strong>la</strong> ponctionest variab<strong>le</strong> selon ce que l’on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s corridors qui setrouvent entre <strong>le</strong> pays d’accueil et <strong>le</strong> pays d’origine. A partirde <strong>la</strong> France, <strong>le</strong>s frais de transfert sont en moyenne de l’ordrede 6 %, mais ils peuvent atteindre des taux beaucoup plusé<strong>le</strong>vés sur certains corridors. Par comparaison, <strong>le</strong> corridorentre <strong>le</strong>s Etats-Unis et <strong>le</strong> Mexique est de l’ordre de 4 %. Ceciest très directement lié au fait que <strong>la</strong> plupart de ces transfertspassent par <strong>le</strong>s sociétés de transfert et non pas par <strong>le</strong>système bancaire et qu’el<strong>le</strong>s profitent de positions dominantessur tel ou tel corridor. Western Union, par exemp<strong>le</strong>, esten position absolument dominante sur l’Afrique subsaharienne,où il réalise plus de <strong>la</strong> moitié de <strong>la</strong> part de marché et <strong>le</strong>quart sur <strong>le</strong>s pays du Maghreb.Lorsque <strong>le</strong>s banques essaient d’investir ces corridors, el<strong>le</strong>srecueil<strong>le</strong>nt un succès re<strong>la</strong>tivement limité. Les mécanismesmis en p<strong>la</strong>ce par <strong>le</strong>s sociétés de transfert d’argent offrentplusieurs avantages : <strong>le</strong> premier, en ce<strong>la</strong> qu’il repose sur uneconfiance absolue, construite de longue date avec l’opérateur,est que sur <strong>le</strong> marché de <strong>la</strong> confiance, il est long degagner des parts de marché. Ils ont l’avantage de pouvoirlivrer des fonds dans des dé<strong>la</strong>is extrêmement courtsjusqu’aux points <strong>le</strong>s plus reculés des différents pays grâce àun mail<strong>la</strong>ge de distribution extrêmement fin. Les opérateurs debanque à banque ne disposent pas d’un tel mail<strong>la</strong>ge.Enfin, dernière observation, l’argent envoyé sert peu au développementdes pays d’origine. 75 % est de consommationcourante, dont une grande partie consacrée aux dépenses desanté, 15 % sert à l’habitat dans <strong>le</strong> pays d’origine et <strong>le</strong>s projets120121


d’entreprise, qu’ils soient individuels ou col<strong>le</strong>ctifs, ne représentent qu’environ10 % des flux, à peu près 5 % dans des entreprises individuel<strong>le</strong>s, 5 %dans des entreprises col<strong>le</strong>ctives.Les orientationsLa première orientation consiste à se donner <strong>le</strong>s moyens de mieux intégreréconomiquement <strong>le</strong>s migrants arrivés en France. La première mesure envisagéeserait de renforcer <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>t économique du Contrat Accueil Intégration,(CAI). Il s’agit aujourd’hui d’une simp<strong>le</strong> information sur <strong>le</strong> droit au compte, ilfaut al<strong>le</strong>r au-delà de l’information, il faut faire de l’accompagnement et l’initiativemenée par l’association Finances et Pédagogie occupe une p<strong>la</strong>ceimportante. Il faut rendre compréhensib<strong>le</strong> <strong>le</strong>s produits bancaires, connaître<strong>le</strong>ur utilisation et <strong>le</strong>s risques qu’ils peuvent entraîner.Deuxième proposition <strong>pour</strong> favoriser l’intégration économique des migrants,développer <strong>le</strong>s microcrédits dont <strong>le</strong>s popu<strong>la</strong>tions immigrées sont d’importantsutilisateurs. Nous pouvons envisager de nombreux dispositifs et notammentrepérer <strong>le</strong>s jeunes et <strong>le</strong>s accompagner dans <strong>le</strong>s zones urbaines sensib<strong>le</strong>s.Troisième proposition, tirée de l’expérience de certaines banques ou<strong>Caisses</strong> d’Epargne espagno<strong>le</strong>s : considérer <strong>le</strong>s migrants comme de vraisre<strong>la</strong>is de croissance. Les <strong>Caisses</strong> d’Epargne espagno<strong>le</strong>s ont mis en p<strong>la</strong>cedes dispositifs spécifiques, adaptés à tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> popu<strong>la</strong>tion d’immigrés,avec une politique d’accompagnement de l’immigré tout au long de son cyc<strong>le</strong>de vie d’agent économique. Il s’agit d’ouverture de guichets spécifiques,voire d’agences spécifiques, d’agences communautaires. Des produitsspécifiques liés au transfert de fonds, puisque dès son arrivée sa préoccupationpremière est de bien organiser ce transfert. Dans <strong>le</strong> domaine immobilier,<strong>la</strong> possibilité d’obtenir des crédits immobiliers sur p<strong>la</strong>ce aussi bien quedans son pays d’origine.Enfin, des mécanismes, des produits spécifiques ont été développés <strong>pour</strong>aider à <strong>la</strong> création d’entreprise.“... L’argent envoyésert peu audéveloppementdes pays d’origine.75 % est deconsommationcourante,dont une grandepartie consacréeaux dépensesde santé...”La quatrième mesure sur l’intégration économique portait surtout ce qui concerne <strong>le</strong> microcrédit. Il existe aujourd’hui <strong>le</strong> fondsde cohésion socia<strong>le</strong> mis en p<strong>la</strong>ce par Jean-Louis Borloo quipermet d’apporter des mécanismes de garantie de coûts degestion, il faudrait al<strong>le</strong>r peut-être plus loin, notamment en« titrisant » un certain nombre de ces crédits, ce qui permetde sortir ces crédits du bi<strong>la</strong>n des banques et d’alléger ainsi <strong>le</strong>scontraintes rég<strong>le</strong>mentaires.Je voudrais terminer sur <strong>le</strong> sujet de l’intégration économiquepar deux réf<strong>le</strong>xions. La première est que l’intégration économiquen’est qu’un vo<strong>le</strong>t de l’intégration et nous avons vuque <strong>la</strong> maîtrise de <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue et <strong>la</strong> recherche d’un emploi sontdes éléments essentiels. Il est diffici<strong>le</strong> d’avoir une re<strong>la</strong>tionavec une banque si l’on maîtrise mal <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue ou si l’on nemaîtrise pas <strong>le</strong> minimum d’opérations de calcul.La deuxième observation est une question qui a longuementété débattue au sein de <strong>la</strong> mission et qui est diffici<strong>le</strong> : il s’agitde l’autorisation de faire des études, notamment au sein desentreprises, basées sur un critère ethnique. Pour l’instant,ce<strong>la</strong> s’oppose à <strong>la</strong> légis<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> CNIL, <strong>la</strong> CommissionNationa<strong>le</strong> de l’Informatique et des Libertés. Pour autant, ce<strong>la</strong>se développe maintenant dans <strong>la</strong> plupart des pays européens,au Danemark, en Al<strong>le</strong>magne, en Italie et ce<strong>la</strong> paraîtindispensab<strong>le</strong> <strong>pour</strong> pouvoir développer nos produits face àdes popu<strong>la</strong>tions qui ont des besoins extrêmement différents<strong>le</strong>s uns des autres. C’est une des suggestions du rapport.Deuxième orientation, faire en sorte que l’épargne desmigrants soit mieux valorisée <strong>pour</strong> développer <strong>le</strong>s paysd’origine. La première des propositions porte sur <strong>le</strong> coût de122123


“... Il s’agitd’abord de voirdans quel<strong>le</strong> mesureon peut favoriser<strong>la</strong> mobilitégéographiquedes migrants<strong>pour</strong> <strong>la</strong>ncer <strong>le</strong>codéveloppement...”transfert. Nous avons proposé de mettre en p<strong>la</strong>ce, et <strong>le</strong>Groupe <strong>Caisses</strong> d’Epargne a éga<strong>le</strong>ment pris des initiatives,un certain nombre de dispositifs qui permettraient de réduire<strong>le</strong>s coûts de transferts. Parallè<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> Groupe <strong>Caisses</strong>d’Epargne a engagé une démarche permettant d’organiserdes transferts grâce à l’envoi de cartes prépayées : l’immigréaurait un compte ici, avec une carte, et il y aurait unesorte de carte miroir dans <strong>le</strong> pays d’origine, <strong>le</strong> compte seraitcrédité en France et créditerait automatiquement et instantanément<strong>la</strong> carte miroir.Les différentes idées tournent autour des points suivants : ils’agit d’abord de voir dans quel<strong>le</strong> mesure on peut favoriser<strong>la</strong> mobilité géographique des migrants <strong>pour</strong> <strong>la</strong>ncer <strong>le</strong> codéveloppement.Prenons l’exemp<strong>le</strong> du Volontariat International Entreprise ; <strong>le</strong>VIE n’est pas ouvert aux personnes étrangères, mais nous<strong>pour</strong>rions imaginer qu’un migrant installé en France puisseéventuel<strong>le</strong>ment faire un VIE dans son pays d’origine où ilrapporterait son expérience et ses connaissances. Autourde <strong>la</strong> même idée, on suggère de créer de véritab<strong>le</strong>s filièresprofessionnel<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> des éco<strong>le</strong>s de formation d’infirmièresdans certains pays d’Afrique subsaharienne, oùdes jeunes femmes viennent, suivent pendant quatre à cinqans une formation ou une expérience en qualité d’infirmièreet repartent. Nous pouvons probab<strong>le</strong>ment l’organiser surdifférents métiers, que ce soit dans <strong>le</strong> bâtiment ou dans <strong>la</strong>mécanique, mais il faut que ce<strong>la</strong> soit structuré par filière professionnel<strong>le</strong>,ce n’est pas <strong>le</strong> cas actuel<strong>le</strong>ment en France.Des initiatives devraient aboutir à créer avec certains paysdes filières de branches professionnel<strong>le</strong>s.Nous avons éga<strong>le</strong>ment proposé d’é<strong>la</strong>rgir <strong>le</strong> compte épargnedéveloppement. Ce compte est un dispositif créé par une loide 2006 permettant de défiscaliser un certain nombre deressources en vue d’un retour dans son pays d’origine. Nous avons proposéd’é<strong>la</strong>rgir ce dispositif en nous inspirant des mécanismes d’épargnesa<strong>la</strong>ria<strong>le</strong> qui permettrait à une personne immigrée travail<strong>la</strong>nt dans une entreprisede se servir de son pécu<strong>le</strong> de départ <strong>pour</strong> réinvestir dans son pays d’origine,avec <strong>le</strong>s mêmes règ<strong>le</strong>s de défiscalisation ou d’exonération de chargessocia<strong>le</strong>s. Dans <strong>le</strong> même ordre d’idée, en matière d’assurance-vie, quiconcerne malgré tout 10 % de cette popu<strong>la</strong>tion, on <strong>pour</strong>rait envisager desautorisations de déblocage de l’assurance-vie <strong>pour</strong> réinvestir dans sonpays d’origine.La troisième orientation ne relève pas à l’évidence directement des banquesmais bien des pouvoirs publics. El<strong>le</strong> consiste à porter cette questionau niveau européen qui paraît, dans de nombreux cas, être <strong>le</strong> niveau <strong>le</strong>plus pertinent <strong>pour</strong> traiter des questions liées aux migrants. A <strong>la</strong> fois en termesde codéveloppement entre <strong>le</strong> nord et <strong>le</strong> sud, mais aussi en termesd’accueil des migrants. Les flux de migrants sont diversement concentrésdans tel ou tel pays européen. 80 % des Algériens en Europe sont enFrance, 50 % des Tunisiens, même s’il y a une popu<strong>la</strong>tion immigrée tunisienneextrêmement importante en Italie. De même, l’essentiel des Turcs,50%, est en Al<strong>le</strong>magne, mais il existe des popu<strong>la</strong>tions turques extrêmementimportantes en Hol<strong>la</strong>nde et un peu aussi en France. Nous retrouvons<strong>le</strong>s Marocains à peu près en proportion équiva<strong>le</strong>nte dans trois pays, <strong>la</strong>France, l’Espagne et l’Italie. Il s’agit donc à <strong>la</strong> fois d’un problème européenet de situations particulières avec des popu<strong>la</strong>tions particulières, qui limitentl’action européenne.Tels sont <strong>le</strong>s principaux éléments du rapport Milhaud qui a été remis à <strong>la</strong>fin de l’année 2006, – il se trouve sur <strong>le</strong> site Internet de <strong>la</strong> CNCE et à <strong>la</strong>Documentation française – il appartient à présent aux pouvoirs publics dese saisir de ces propositions. Mais sans attendre, <strong>le</strong> Groupe Caissed’Epargne a déjà mis en œuvre un certain nombre de ces propositions,notamment cel<strong>le</strong> concernant <strong>le</strong> VIE. La question des comptes miroir estéga<strong>le</strong>ment un projet sur <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> Groupe Caisse d’Epargne travail<strong>le</strong>.124125


Cette journée a été riche, longue et studieuse. Je voudrais<strong>pour</strong> conclure remercier <strong>le</strong>s intervenants qui ontaccepté de participer à ces travaux. Nous tenonsdeux Diagona<strong>le</strong>s par an, l’une sur l’exclusion socia<strong>le</strong>,cel<strong>le</strong> d’aujourd’hui, et l’autre sur <strong>la</strong> lutte contre toutes <strong>le</strong>s formes de perted’autonomie, sur <strong>le</strong> champ sanitaire et médico-social.Les résultats du baromètre qui vous ont été présentés montrent que cesréunions de travail et d’échanges trouvent p<strong>le</strong>inement <strong>le</strong>ur p<strong>la</strong>ce dans <strong>le</strong>sactivités de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>. Nous voulons, et j’espère que cette journée l’aillustré, contribuer aux réf<strong>le</strong>xions et aux débats sans exclusive ni inhibition.Nous continuerons dans cette voie qui permet <strong>la</strong> rencontre d’universitaires,d’acteurs d’entreprises, d’acteurs de terrain, d’acteurs associatifs, autourd’échanges, d’expériences et de savoirs.La <strong>Fondation</strong> a l’ambition de porter l’idée que <strong>le</strong> social a autant de va<strong>le</strong>urque l’économique. A travers <strong>le</strong> social se développent <strong>le</strong>s mêmes concepts,<strong>le</strong>s mêmes constructions, <strong>le</strong>s mêmes engagements, <strong>le</strong>s mêmes innovations.Il nous appartient d’organiser ce débat, demontrer que notre secteur, s’ilreprésente des charges, est éga<strong>le</strong>ment, et je crois que ce<strong>la</strong> a été démontréau cours de ces journées, une source de création, de richesses au sens<strong>la</strong>rge, richesses humaines et économiques.Nous voudrions que <strong>le</strong> social soit progressivement, grâce à des travaux,comme ceux de cette journée, associé à des termes comme recherche etdéveloppement. La présentation de « Savoirs <strong>pour</strong> réussir », l’action et <strong>le</strong>scompétences que ses acteurs ont réussi à mettre en commun <strong>pour</strong> luttercontre l’il<strong>le</strong>ttrisme des jeunes de 16 à 25 ans, illustrent bien cette idée. Entravail<strong>la</strong>nt ensemb<strong>le</strong>, universitaires, chercheurs et acteurs de terrain, nousDidier-Ro<strong>la</strong>nd TabuteauDirecteur général de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidarité126127


“...Nous voudrionsque <strong>le</strong> social soitprogressivement,à travers cestravaux, associéà des termescomme rechercheet développement...”pouvons construire des dispositifs qui font progresser <strong>le</strong>schoses et permettent de franchir de nouvel<strong>le</strong>s étapes.Il s’agit éga<strong>le</strong>ment de faire rimer <strong>le</strong> social avec professionnalisation.Xavier Emmanuelli l’a dit, j’ai noté sa phrase : « Il faut,face à l’exclusion, de plus grands professionnels encore.»Nous tenons beaucoup à cette idée de <strong>la</strong> professionnalisationcomme condition du développement social. Nous yretrouvons éga<strong>le</strong>ment <strong>la</strong> notion d’ingénierie socia<strong>le</strong>. Noussavons, nous voyons, nous mesurons lorsque nous travaillonsavec <strong>le</strong>s associations, à quel point <strong>la</strong> construction d’undispositif, sa pérennité, sa mise en œuvre reposent sur uneingénierie et non simp<strong>le</strong>ment, et ce<strong>la</strong> a éga<strong>le</strong>ment été dit aucours de cette journée, sur de <strong>la</strong> bonne volonté, du grandcœur, du dévouement. Il faut un travail intel<strong>le</strong>ctuel de conceptionet d’organisation de cette méthodologie des projetssociaux et c’est un des objectifs de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> que de réunirun peu de savoir, un peu de compétences sur cette ingénieriesocia<strong>le</strong> qui n’est pas suffisamment mise en va<strong>le</strong>ur.Le social, c’est éga<strong>le</strong>ment de <strong>la</strong> production de va<strong>le</strong>ur. On a puen prendre <strong>la</strong> mesure à travers <strong>le</strong>s différentes expériences ou<strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s qui ont été présentés. Lorsque l’on arrive à créerdu lien social, à permettre à quelqu'un de se regarder dans<strong>le</strong> regard des autres, on crée de <strong>la</strong> va<strong>le</strong>ur, on dépasse <strong>le</strong> quotidienet <strong>pour</strong> reprendre <strong>le</strong> mot de Char<strong>le</strong>s Milhaud –, on permetà une société de s’é<strong>le</strong>ver, de progresser et non simp<strong>le</strong>mentde se construire.Un dernier mot qui peut être associé à « social », ce que l’on ne fait passouvent : l’international. C’était l’objectif de cette dernière tab<strong>le</strong> ronde quede montrer que <strong>le</strong> social va au -delà des frontières. La question socia<strong>le</strong> nese pose pas seu<strong>le</strong>ment à côté de chez nous, el<strong>le</strong> s’ouvre sur <strong>le</strong>s autres. Iciet là-bas. La tab<strong>le</strong> ronde sur <strong>le</strong>s migrations et <strong>le</strong>s flux de popu<strong>la</strong>tion nousl’a montré de façon éc<strong>la</strong>tante.Je voudrais, aussi, à <strong>la</strong> fin de cette journée remercier en votre nom Isabel<strong>le</strong>Gayrard qui a animé cette journée, qui lui a permis de tenir <strong>le</strong> chemin exigeantdu fait d’un programme chargé, j’en suis conscient, que nous nousétions fixés.Pour conclure, j’emprunterai à Gabriel Tarlé, qui nous a fait voyager avecbeaucoup de ta<strong>le</strong>nt et d’engagement, cette image des Indiens d’Equateurà qui on demande <strong>la</strong> distance restant à parcourir et qui se p<strong>la</strong>cent toujoursau milieu du chemin. Bel<strong>le</strong> attitude optimiste et favorab<strong>le</strong>. Je vous proposede <strong>le</strong>s imiter même si en me p<strong>la</strong>çant au milieu du chemin restant à parcourirsur <strong>le</strong>s sujets qui sont <strong>le</strong>s nôtres, j’ai l’impression que <strong>le</strong>s distances àfranchir sont encore immenses. Merci en tout cas d’avoir essayé de nousmontrer aujourd’hui que <strong>le</strong> chemin était semé d’espoirs.128129


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Les “Diagona<strong>le</strong>s” de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong><strong>la</strong> solidarité proposent aux professionnels, aux universitaires,aux associations et aux partenaires de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong>, de venircroiser <strong>le</strong>s regards, échanger <strong>le</strong>s expériences, confronter <strong>le</strong>sconcepts aux réalités et débattre des enjeux du secteur.El<strong>le</strong>s ont lieu deux fois par an : une session au mois dejuin sur des thématiques liées à l’exclusion socia<strong>le</strong> et à <strong>la</strong> luttecontre l’il<strong>le</strong>ttrisme et une session au mois de décembre surdes thématiques re<strong>la</strong>tives au secteur sanitaire et médico-social.Les Diagona<strong>le</strong>s du 21 mai 2007 se sont déroulées à l’Hôtel de Boisgelin,5, rue Masseran, 75007 Paris.Les actes VI des “Diagona<strong>le</strong>s” de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidaritéTirage : 2 000 ex. • Edité par Graph Imprim • Adresse de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> : 9, avenue René Coty– 75014 Paris • Publication : directeur de <strong>la</strong> publication : Didier-Ro<strong>la</strong>nd Tabuteau, directeurgénéral de <strong>la</strong> <strong>Fondation</strong> • Coordination : Marguerite Azcona, directrice de <strong>la</strong> missioncommunication • Ensemb<strong>le</strong> des interventions synthétisées avec l’accord des participants :Mary Sills • Secrétariat de rédaction, re<strong>le</strong>cture et corrections : Estel<strong>le</strong> Le Moing,Florent Gambotti, Mai Lan Tran • Mise en pages : Emmanuel<strong>le</strong> Valin • Crédits photos :Valérie Couteron • Diffusion : service communication.www.fces.fr132


DIAGONALESLA LUTTE CONTRE L’EXCLUSION ÉCONOMIQUEwww.fces.fr<strong>Fondation</strong> <strong>Caisses</strong> d’Epargne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> solidaritéReconnue d’utilité publique par décret en Conseil d’Etat <strong>le</strong> 11 avril 20015, rue Masseran - 75007 Paris

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