Magazine SWISSLIFE Printemps 2011

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avec ses deux filles. Elle m’expliquaque leur esprit était resté en Côted’Ivoire. Elle travaillait aussi en Franceen tant que guérisseuse, mais il n’yavait qu’en Afrique qu’elle pouvait entreren transe.Bien des types d’états seconds sont liésà certains lieux, sociétés ou cultures.Car les esprits et les transes ont leursterritoires, leur géographie – et leurslimites.Un amour solidePour des millions de personnes, SriMata Amritanandamayi, surnommée«Amma» («mère»), est une sainte. Depuisdes années, cette indienne parcourtle monde pour serrer des gensdans ses bras; on dit qu’ils seraientdéjà 30 millions. Un de mes collègues,philosophe et donc sceptique, se renditpar curiosité à l’ashram d’Amma àKerala au cours d’un voyage d’étudedans le sud de l’Inde. Elle le serra dansses bras, et il ressentit une euphorie quidura plusieurs mois. Je ne voulais paspasser à côté d’une telle expérience.C’est ainsi que, comme 20 000 autresSuisses, je me rendis à l’Eulachhalle deWinterthour pour rencontrer Amma.Amma est une femme d’emblée sympathique.Elle a 57 ans, est petite, un peudodue, avec un sourire éclatant et uneétincelle dans les yeux. Elle vient d’unefamille pauvre. Quand elle avait neufans, sa mère est tombée malade et elle aLa manière dont Amma manifeste sonamour est plus qu’une démonstration.C’est peut-être la plus grande performanceartistique du monde.dû s’occuper de la maison et de ses septfrères et sœurs. Elle devait aussi allerde maison en maison pour récolterdes restes de nourriture destinés auxvaches. Elle était tellement choquée parla misère des gens qu’elle subtilisaitchez elle des habits pour les offrir.Quand elle ne pouvait rien donnerà quelqu’un, elle le serrait dans ses bras.Serrer dans ses bras des étrangers, deshommes, des personnes d’autres castesou même sans caste est encore aujourd’huiscandaleux pour la plupartdes Indiens. La manière dont Ammamanifeste son amour est plus qu’unedémonstration de sentiments. C’estune affirmation courageuse, voire politique.Peut­être la plus grande performanceartistique au monde.Amma me serra chaleureusementdans ses bras. Des gens embrassésavant moi par Amma furent submergésd’une telle émotion qu’ils fondirent enlarmes. Ce ne fut pas mon cas. Cependant,cette rencontre fut touchante.Amma me chanta quelque chose àl’oreille, éparpilla des pétales de rosesur ma tête et me donna une pomme etun bonbon. Elle agit comme une FifiBrindacier sautant les barrières, distribuantbaisers et sucreries et rêvant defaire du monde ce qu’elle a envie qu’ilsoit. Dépasser le quotidien, perdre lecontrôle, casser les normes.Pas d’état second universelSingulièrement, l’état second respecteun modèle culturel. Ce ne sont pas seulementles drogues utilisées qui diffèrentselon les régions du monde, maisles états seconds eux­mêmes. Le buveurde compétition bavarois a peu à voiravec le fumeur d’opium du Laos oule shaman indien qui a pris du peyotl.A fortiori, ces différences va lent aussiquand il s’agit d’états de conscience quine sont pas occasionnés par des substances,comme pour les yogis qui jeûnenten Inde, les derviches tourneursen Turquie ou les prêtres vaudous enHaïti.David Signer, 46 ans, est journaliste, écrivain etethnologue. Il a vécu plusieurs années en Afrique,a écrit «Die Ökonomie der Hexerei oder Warum esin Afrika keine Wolkenkratzer gibt,» ainsi que deuxromans (Salis Verlag).Lika Nüssli, 37 ans, a étudié le design textile etl’illustration. Elle exerce depuis 2001 commeindépendante et a gagné en 2006 le prix du livred’images suisse.

SWISSLIFE Printemps 2011Repères // 27

avec ses deux filles. Elle m’expliquaque leur esprit était resté en Côted’Ivoire. Elle travaillait aussi en Franceen tant que guérisseuse, mais il n’yavait qu’en Afrique qu’elle pouvait entreren transe.Bien des types d’états seconds sont liésà certains lieux, sociétés ou cultures.Car les esprits et les transes ont leursterritoires, leur géographie – et leurslimites.Un amour solidePour des millions de personnes, SriMata Amritanandamayi, surnommée«Amma» («mère»), est une sainte. Depuisdes années, cette indienne parcourtle monde pour serrer des gensdans ses bras; on dit qu’ils seraientdéjà 30 millions. Un de mes collègues,philosophe et donc sceptique, se renditpar curiosité à l’ashram d’Amma àKerala au cours d’un voyage d’étudedans le sud de l’Inde. Elle le serra dansses bras, et il ressentit une euphorie quidura plusieurs mois. Je ne voulais paspasser à côté d’une telle expérience.C’est ainsi que, comme 20 000 autresSuisses, je me rendis à l’Eulachhalle deWinterthour pour rencontrer Amma.Amma est une femme d’emblée sympathique.Elle a 57 ans, est petite, un peudodue, avec un sourire éclatant et uneétincelle dans les yeux. Elle vient d’unefamille pauvre. Quand elle avait neufans, sa mère est tombée malade et elle aLa manière dont Amma manifeste sonamour est plus qu’une démonstration.C’est peut-être la plus grande performanceartistique du monde.dû s’occuper de la maison et de ses septfrères et sœurs. Elle devait aussi allerde maison en maison pour récolterdes restes de nourriture destinés auxvaches. Elle était tellement choquée parla misère des gens qu’elle subtilisaitchez elle des habits pour les offrir.Quand elle ne pouvait rien donnerà quelqu’un, elle le serrait dans ses bras.Serrer dans ses bras des étrangers, deshommes, des personnes d’autres castesou même sans caste est encore aujourd’huiscandaleux pour la plupartdes Indiens. La manière dont Ammamanifeste son amour est plus qu’unedémonstration de sentiments. C’estune affirmation courageuse, voire politique.Peut­être la plus grande performanceartistique au monde.Amma me serra chaleureusementdans ses bras. Des gens embrassésavant moi par Amma furent submergésd’une telle émotion qu’ils fondirent enlarmes. Ce ne fut pas mon cas. Cependant,cette rencontre fut touchante.Amma me chanta quelque chose àl’oreille, éparpilla des pétales de rosesur ma tête et me donna une pomme etun bonbon. Elle agit comme une FifiBrindacier sautant les barrières, distribuantbaisers et sucreries et rêvant defaire du monde ce qu’elle a envie qu’ilsoit. Dépasser le quotidien, perdre lecontrôle, casser les normes.Pas d’état second universelSingulièrement, l’état second respecteun modèle culturel. Ce ne sont pas seulementles drogues utilisées qui diffèrentselon les régions du monde, maisles états seconds eux­mêmes. Le buveurde compétition bavarois a peu à voiravec le fumeur d’opium du Laos oule shaman indien qui a pris du peyotl.A fortiori, ces différences va lent aussiquand il s’agit d’états de conscience quine sont pas occasionnés par des substances,comme pour les yogis qui jeûnenten Inde, les derviches tourneursen Turquie ou les prêtres vaudous enHaïti.David Signer, 46 ans, est journaliste, écrivain etethnologue. Il a vécu plusieurs années en Afrique,a écrit «Die Ökonomie der Hexerei oder Warum esin Afrika keine Wolkenkratzer gibt,» ainsi que deuxromans (Salis Verlag).Lika Nüssli, 37 ans, a étudié le design textile etl’illustration. Elle exerce depuis 2001 commeindépendante et a gagné en 2006 le prix du livred’images suisse.

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