La Vénus d'Ille Prosper MÃRIMÃE - Pitbook.com
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liberté des cultes!»Les arrangements du lendemain furent réglés de lamanière suivante. Tout le monde devait être prêt et entoilette à dix heures précises. Le chocolat pris, on serendrait en voiture à Puygarrig. Le mariage civil devait sefaire à la mairie du village, et la cérémonie religieuse dansla chapelle du château. Viendrait ensuite un déjeuner.Après le déjeuner on passerait le temps comme l'onpourrait jusqu'à sept heures. A sept heures, on retourneraità llle, chez M. de Peyrehorade, où devaient souper lesdeux familles réunies. Le reste s'ensuit naturellement. Nepouvant danser, on avait voulu manger le plus possible.Dès huit heures j'étais assis devant la Vénus, un crayon àla main, recommençant pour la vingtième fois la tête de lastatue, sans pouvoir parvenir à en saisir l'expression. M.de Peyrehorade allait et venait autour de moi, me donnaitdes conseils, me répétait ses étymologies phéniciennes;puis disposait des roses du Bengale sur le piédestal de lastatue, et d'un ton tragi-comique lui adressait des voeuxpour le couple qui allait vivre sous son toit. Vers neufheures il rentra pour songer à sa toilette, et en mêmetemps parut M. Alphonse, bien serré dans un habit neuf,en gants blancs, souliers vernis, boutons ciselés, une roseà la boutonnière.«Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en sepenchant sur mon dessin. Elle est jolie aussi.»En ce moment commençait, sur le jeu de paume dont j'aiparlé, une partie qui, sur-le-champ, attira l'attention de M.
Alphonse. Et moi, fatigué, et désespérant de rendre cettediabolique figure, je quittai bientôt mon dessin pourregarder les joueurs. Il y avait parmi eux quelquesmuletiers espagnols arrivés de la veille. C'étaient desAragonais et des Navarrois, presque tous d'une adressemerveilleuse. Aussi les Illois, bien qu'encouragés par laprésence et les conseils de M. Alphonse, furent-ils assezpromptement battus par ces nouveaux champions. Lesspectateurs nationaux étaient consternés. M. Alphonseregarda à sa montre. Il n'était encore que neuf heures etdemie. Sa mère n'était pas coiffée. Il n'hésita plus: il ôtason habit, demanda une veste, et défia les Espagnols.Je le regardais faire en souriant, et un peu surpris.«Il faut soutenir l'honneur du pays», dit-il.Alors je le trouvai vraiment beau. Il était passionné. Satoilette, qui l'occupait si fort tout à l'heure, n'était plus rienpour lui. Quelques minutes avant il eût craint de tournerla tête de peur de déranger sa cravate. Maintenant il nepensait plus à ses cheveux frisés ni à son jabot si bienplissé. Et sa fiancée?... Ma foi, si cela eût été nécessaire,il aurait, je crois, fait ajourner le mariage.Je le vis chausser à la hâte une paire de sandales,retrousser ses manches, et, d'un air assuré, se mettre à latête du parti vaincu, comme César ralliant ses soldats àDyrrachium. Je sautai la haie, et me plaçai commodémentà l'ombre d'un micocoulier, de façon à bien voir les deuxcamps.Contre l'attente générale, M. Alphonse manqua la
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liberté des cultes!»Les arrangements du lendemain furent réglés de lamanière suivante. Tout le monde devait être prêt et entoilette à dix heures précises. Le chocolat pris, on serendrait en voiture à Puygarrig. Le mariage civil devait sefaire à la mairie du village, et la cérémonie religieuse dansla chapelle du château. Viendrait ensuite un déjeuner.Après le déjeuner on passerait le temps <strong>com</strong>me l'onpourrait jusqu'à sept heures. A sept heures, on retourneraità llle, chez M. de Peyrehorade, où devaient souper lesdeux familles réunies. Le reste s'ensuit naturellement. Nepouvant danser, on avait voulu manger le plus possible.Dès huit heures j'étais assis devant la Vénus, un crayon àla main, re<strong>com</strong>mençant pour la vingtième fois la tête de lastatue, sans pouvoir parvenir à en saisir l'expression. M.de Peyrehorade allait et venait autour de moi, me donnaitdes conseils, me répétait ses étymologies phéniciennes;puis disposait des roses du Bengale sur le piédestal de lastatue, et d'un ton tragi-<strong>com</strong>ique lui adressait des voeuxpour le couple qui allait vivre sous son toit. Vers neufheures il rentra pour songer à sa toilette, et en mêmetemps parut M. Alphonse, bien serré dans un habit neuf,en gants blancs, souliers vernis, boutons ciselés, une roseà la boutonnière.«Vous ferez le portrait de ma femme? me dit-il en sepenchant sur mon dessin. Elle est jolie aussi.»En ce moment <strong>com</strong>mençait, sur le jeu de paume dont j'aiparlé, une partie qui, sur-le-champ, attira l'attention de M.