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La diffusion musicale radiophonique en France de 1925 à 1939

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<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013En ce qui concerne les premières, « les catégories étant floues (musique légère,concert symphonique, programme lyrique, ambiance, disques ou plus simplem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>coreconcert) », les échantillonnages qu’elle a effectués lui ont seulem<strong>en</strong>t permis <strong>de</strong> distinguer la« couleur <strong>musicale</strong> » <strong>de</strong>s ant<strong>en</strong>nes 10 . L’analyse <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>res musicaux <strong>de</strong> Radio-Paris, parexemple, montre la discontinuité <strong>de</strong> sa programmation <strong>musicale</strong> au cours du temps 11 . Tout auplus peut-on noter, indique-t-elle, que, « par comparaison avec les autres postes, cette stationaccor<strong>de</strong> une importance relativem<strong>en</strong>t gran<strong>de</strong> à la musique classique 12 ».Pour mesurer la progression <strong>de</strong> la programmation au regard <strong>de</strong>s compositeurs, CécileMéa<strong>de</strong>l a effectué un échantillonnage <strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux stations <strong>de</strong> développem<strong>en</strong>tcomparable (Radio-Paris et le Poste Parisi<strong>en</strong>) <strong>en</strong> 1932, qu’elle a confronté à <strong>de</strong>s prélèvem<strong>en</strong>ts<strong>en</strong> 1937 13 . Les résultats obt<strong>en</strong>us montr<strong>en</strong>t une évolution s<strong>en</strong>sible <strong>de</strong>s proportions <strong>de</strong>compositeurs, qu’elle a classés <strong>de</strong> manière chronologique, « conforme à [celle] qu’utilisai<strong>en</strong>tles stations pour les auteurs dits classiques » (<strong>de</strong>puis le XVII e s. jusqu’au XX e s.) :« <strong>La</strong> musique d’ambiance ou <strong>de</strong> variétés (il semble difficile <strong>de</strong> les distinguer)arrive <strong>en</strong> tête <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>res les plus joués <strong>en</strong> 1937 sur les <strong>de</strong>ux stations alors que cinqans plus tôt, elle était dépassée par la musique du XIX e s. […] Le XIX e siècle est unemine pour la programmation <strong>de</strong>s stations, surtout <strong>en</strong> 1932. Au total, quarantecompositeurs sont utilisés par les <strong>de</strong>ux postes. Leur utilisation diminue pourtant <strong>en</strong>valeur absolue <strong>en</strong>tre 1932 et 1937 et cela est particulièrem<strong>en</strong>t vrai du Poste Parisi<strong>en</strong> :alors qu’ils représ<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t près <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong> la programmation <strong>en</strong> 1932, ils nerempliss<strong>en</strong>t plus que son septième cinq ans plus tard. Sur Radio-Paris, le chiffre passe<strong>de</strong> 22 à 12 % du nombre <strong>de</strong>s compositeurs. <strong>La</strong> musique du XX e s. connaît uneévolution tout à fait semblable 14 ».Les étu<strong>de</strong>s juxtaposées <strong>de</strong> la physionomie <strong>de</strong>s programmes musicaux et <strong>de</strong>s auteursque diffus<strong>en</strong>t ces <strong>de</strong>ux stations amèn<strong>en</strong>t Cécile Méa<strong>de</strong>l à prés<strong>en</strong>ter la « Babel <strong>musicale</strong> »comme l’une <strong>de</strong>s caractéristiques <strong>de</strong> la musique <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te 15 . Mais ses recherchest<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t surtout à montrer que la radio inv<strong>en</strong>te ses propres grilles stylistiques, délimitant ung<strong>en</strong>re « léger » et un g<strong>en</strong>re « sérieux », que l’on ne retrouve dans aucune autre institution<strong>musicale</strong>. Sans chercher à expliquer comm<strong>en</strong>t la réunion <strong>de</strong> la chanson, <strong>de</strong> l’opéra et <strong>de</strong> lamusique symphonique peut constituer un <strong>en</strong>semble cohér<strong>en</strong>t, l’histori<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t à laconclusion que la notion même <strong>de</strong> musique acquiert une uniformité qu’elle n’avait pasauparavant : « Avec la radio, le g<strong>en</strong>re même <strong>de</strong> musique <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t une unité. 16 »10 Ibid., p. 316.11 Contrairem<strong>en</strong>t à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Sylvie Garrec qui prés<strong>en</strong>tait une photo <strong>de</strong> la programmation <strong>musicale</strong> sur unesaison, Cécile Méa<strong>de</strong>l a t<strong>en</strong>té <strong>de</strong> r<strong>en</strong>dre compte d’une évolution <strong>de</strong> la répartition <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>res musicaux dans letemps. Ses prélèvem<strong>en</strong>ts (une semaine <strong>de</strong> programmes) ont concerné, pour Radio-Paris, les années 1930, 1932,1934, 1935, 1936, 1937, <strong>1939</strong>.12 MEADEL, Cécile, op. cit., p. 316.13 En relevant le nom <strong>de</strong>s compositeurs joués p<strong>en</strong>dant une semaine <strong>de</strong> 1937 et <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> 1932 (où laprogrammation d’une seule semaine était trop brève pour fournir <strong>de</strong>s données pertin<strong>en</strong>tes), elle obti<strong>en</strong>t un<strong>en</strong>semble <strong>de</strong> 349 musici<strong>en</strong>s pour un total <strong>de</strong> 465 morceaux.14 MEADEL, Cécile, op. cit., p. 318-319.15 <strong>La</strong> radio <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te [thèse], p. 703.16 Ibid., chapitre « De la musique avant toute chose », p. 329.Page 3 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013UNE VISION AFFINEE DE LA RADIOPHONIEMUSICALE DES ANNEES TRENTEUne recherche universitaire plus réc<strong>en</strong>te met <strong>en</strong> lumière quelques unes <strong>de</strong>s zones quele travail pionnier <strong>de</strong> Cécile Méa<strong>de</strong>l laissait dans l’ombre. <strong>La</strong> thèse qu’a sout<strong>en</strong>ue l’auteur <strong>de</strong>ces lignes t<strong>en</strong>d à confirmer l’hégémonie <strong>de</strong> la musique savante sur les on<strong>de</strong>s, tout <strong>en</strong> montrantles circonstances <strong>de</strong> sa « cohabitation » avec <strong>de</strong>s esthétiques émergeantes, plus légères et pluspopulaires 17 .Pour r<strong>en</strong>dre compte <strong>de</strong>s spécificités <strong>musicale</strong>s nées dans la radio <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te, il afallu multiplier les angles d’approche pour s’attacher à la fois aux mécanismes quiconditionn<strong>en</strong>t la production <strong>musicale</strong> et aux caractéristiques propres à celle-ci. Afin <strong>de</strong> r<strong>en</strong>drecompte <strong>de</strong> l’existant, dans sa réalité immédiate et dans sa dynamique, il est apparu intéressantd’échantillonner <strong>de</strong>s programmes sur toute la déc<strong>en</strong>nie.DEUX MODELES DE STATIONS POUR LA DECENNIEDeux postes ont une évolution qui incarne parfaitem<strong>en</strong>t celle <strong>de</strong> la radio <strong>de</strong>s annéestr<strong>en</strong>te : Radio-Paris / Poste national et Radio-LL qui va <strong>de</strong>v<strong>en</strong>ir, sous l’<strong>en</strong>seigne <strong>de</strong> Radio-Cité, l’un <strong>de</strong>s postes privés les plus populaires d’avant-guerre. Ces <strong>de</strong>ux modèles <strong>de</strong> stationssont aussi représ<strong>en</strong>tatifs <strong>de</strong> la partition du début <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>nie, où la distinction se fait plutôt<strong>en</strong>tre les gros postes et les petites stations artisanales, que <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te,où le clivage se situe alors <strong>en</strong>tre les postes d’Etat relevant <strong>de</strong> l’administration <strong>de</strong>s PTT et lespuissantes stations commerciales.A cause <strong>de</strong> l’irrégularité <strong>de</strong> la programmation selon les saisons, une photographieannuelle, toujours prise au même mom<strong>en</strong>t, <strong>de</strong>s émissions <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux stations <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ceétait préférable à <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> son<strong>de</strong> aléatoires. Le mois <strong>de</strong> juin a été choisi comme étalon <strong>de</strong>la déc<strong>en</strong>nie notamm<strong>en</strong>t parce qu’il correspond à une « moy<strong>en</strong>ne » <strong>en</strong>tre la pleine saison<strong>radiophonique</strong> et la pério<strong>de</strong> estivale, généralem<strong>en</strong>t plus creuse <strong>en</strong> matière <strong>musicale</strong>.Une typologie <strong>de</strong>s programmes <strong>radiophonique</strong>s, quantifiée par g<strong>en</strong>res, par nombres <strong>de</strong>plages et par durées a facilité l’interprétation <strong>de</strong> ce corpus <strong>de</strong> 10 mois <strong>radiophonique</strong>s 18 .17 BENNET, Christophe, Musique et Radio dans la <strong>France</strong> <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te : la création d’un g<strong>en</strong>re<strong>radiophonique</strong>, thèse <strong>de</strong> doctorat <strong>en</strong> histoire <strong>de</strong> la musique et musicologie <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong> Paris-Sorbonne,sout<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> juin 2007 sous la direction <strong>de</strong> Michèle Alt<strong>en</strong>. Cette thèse a fait l’objet d’une publication sous letitre : <strong>La</strong> Musique à la Radio dans les années Tr<strong>en</strong>te, Paris, L’Harmattan, 2010 : http://www.editionsharmattan.fr/in<strong>de</strong>x.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=31655.18 Avec 5 360 émissions, soit plus <strong>de</strong> 3 350 heures <strong>de</strong> <strong>diffusion</strong>, on dispose désormais d’un large socled’informations, exploitable <strong>de</strong> manières évolutive, comparative et globale.Page 4 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013UNE CONFRONTATION DES CONTENUS ET DES DISCOURSL’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la programmation <strong>de</strong>s auteurs a trouvé un très intéressant complém<strong>en</strong>t danscelle <strong>de</strong>s interprètes musicaux, eux aussi très prés<strong>en</strong>ts dans les <strong>de</strong>scriptifs <strong>de</strong>s émissions.Réunissant respectivem<strong>en</strong>t 2 185 auteurs et 2 012 interprètes, les inv<strong>en</strong>taires constitués àpartir du corpus <strong>de</strong> programmes prés<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t, <strong>de</strong> manières qualitative et quantitative, un tableau<strong>de</strong> la radiophonie <strong>musicale</strong> <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te. En effet, s’ils mett<strong>en</strong>t au jour les catégories etles subdivisions dans lesquelles intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t les musici<strong>en</strong>s radiodiffusés, ils permett<strong>en</strong>tégalem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> se faire une idée précise <strong>de</strong> leur récurr<strong>en</strong>ce, puisque pour chacun <strong>de</strong>s auteurs et<strong>de</strong>s interprètes inv<strong>en</strong>toriés, il est fait m<strong>en</strong>tion du nombre <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ces (c’est-à-dire <strong>de</strong>morceaux cités) et <strong>de</strong>s années d’apparition 19 .<strong>La</strong> composition d’un « corpus <strong>de</strong>s discours » a été motivée par <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>sseinscomplém<strong>en</strong>taires : expliciter, <strong>en</strong> premier lieu, certains aspects <strong>de</strong> la production que <strong>de</strong>srelevés laissai<strong>en</strong>t dans l’ombre et repérer quelles étai<strong>en</strong>t les modalités <strong>de</strong> leur <strong>diffusion</strong> et <strong>de</strong>leur réception ; vérifier, par ailleurs, la concordance <strong>en</strong>tre les <strong>de</strong>ux modèles <strong>de</strong> stations et lesautres postes du réseau français. Pour composer cette base <strong>de</strong> données écrites, n’ont été« épluchés » que les organes <strong>de</strong> la presse <strong>radiophonique</strong> qui rest<strong>en</strong>t consultables au service<strong>de</strong>s archives écrites <strong>de</strong> Radio <strong>France</strong>, à la BnF et à l’Inathèque <strong>de</strong> <strong>France</strong>. Compr<strong>en</strong>ant unéchantillon d’<strong>en</strong>viron 900 articles <strong>de</strong> presse, ce corpus est cep<strong>en</strong>dant suffisant, d’autant qu’ilrassemble une diversité <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vue éditoriaux.1930-1935 : ENTRE LE CONCERT TRADITIONNELET UN GENRE RADIOPHONIQUE EMERGEANT<strong>La</strong> constitution <strong>de</strong> corpus issus <strong>de</strong> sources multiformes a fait ressortir la nécessitéd’une scission temporelle dans l’étu<strong>de</strong> chronologique <strong>de</strong> la radiophonie <strong>musicale</strong>. <strong>La</strong>périodisation qu’avait suggérée l’histori<strong>en</strong> Christian Brochand s’applique parfaitem<strong>en</strong>t à cethème. Dans le processus <strong>de</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s programmes, il définissait 1935 commel’année charnière <strong>en</strong>tre « radio <strong>de</strong> transition (1929-1935) » et « radio mo<strong>de</strong>rne (1935-1940) » 20 .PROGRAMMES ECLECTIQUES ET MYRIADE D’AUTEURS<strong>La</strong> gran<strong>de</strong> diversité que révèle la typologie <strong>de</strong>s programmes (29 catégories 21 ) démontreque les responsables <strong>de</strong>s postes émetteurs <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t satisfaire un très large panorama19 Les auteurs et les interprètes cités sur les <strong>de</strong>ux stations génèr<strong>en</strong>t un nombre <strong>de</strong> 15 874 référ<strong>en</strong>ces qu’il a fallucatégoriser afin d’<strong>en</strong> dégager du s<strong>en</strong>s. Cette base <strong>de</strong> données fait l’objet d’une mise <strong>en</strong> ligne au sein du sitePLM : http://www.plm.paris-sorbonne.fr/spip.php?rubrique6 .20 BROCHAND, Christian, Histoire générale <strong>de</strong> la radio et <strong>de</strong> la télévision, t. I : 1921-1944, p. 390 et 406.21 Pour un aperçu <strong>de</strong>s typologies <strong>de</strong>s programmes, <strong>de</strong>s auteurs et <strong>de</strong>s interprètes, le lecteur pourra se reporter àl’article paru dans les Cahiers : BENNET, Christophe, « <strong>La</strong> programmation <strong>musicale</strong> <strong>en</strong> 1936 », in Cahiersd’histoire <strong>de</strong> la radio<strong>diffusion</strong> n°88 d’avril-juin 2006 : http://web.chr2009.free.fr/?p=667 .Page 5 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013d’auditeurs. Malgré les conting<strong>en</strong>ces économiques auxquelles les stations ont à faire face,elles t<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t d’assurer une cohér<strong>en</strong>ce à leur programmation <strong>en</strong> instaurant <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>sd’écoute qui rythm<strong>en</strong>t la vie <strong>de</strong>s auditeurs : le midi, le soir, le dimanche. Qu’il s’agisse dugrand poste à rayonnem<strong>en</strong>t national ou <strong>de</strong> la petite station artisanale, l’appar<strong>en</strong>te confusion<strong>de</strong>s programmes se lit surtout dans un mélange <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>res aujourd’hui considéré commeaberrant. En marge <strong>de</strong>s formes du concert savant qu’elles reproduis<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t et <strong>de</strong>s<strong>en</strong>chaînem<strong>en</strong>ts d’attractions <strong>de</strong> variétés et <strong>de</strong> danses qu’elles emprunt<strong>en</strong>t respectivem<strong>en</strong>t auxcafés-concerts ou music-halls et aux dancings, elles construis<strong>en</strong>t peu à peu le principe d’unemusique d’accompagnem<strong>en</strong>t. On constate que dès sa création le Poste national imite etprolonge cette innovation <strong>musicale</strong>. <strong>La</strong> création <strong>de</strong>s nombreuses petites formationsorchestrales est à ce titre significative : leur polyval<strong>en</strong>ce leur permet d’interpréter aussi bi<strong>en</strong>un répertoire <strong>de</strong> musique romantique (prégnante) et à dominante vocale, que <strong>de</strong>s arrangem<strong>en</strong>ts<strong>de</strong> chansons ou <strong>de</strong> musiques <strong>de</strong> danse. En décalquant, d’une part, les schémas existants <strong>de</strong>spectacles esthétiquem<strong>en</strong>t homogènes, et <strong>en</strong> inv<strong>en</strong>tant, d’autre part, les séqu<strong>en</strong>ces hétéroclites<strong>de</strong> disques, qu’elle « humanise » par le biais <strong>de</strong>s petits orchestres <strong>de</strong> station, la radio <strong>de</strong> lapremière moitié <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>nie s’est déjà trouvé un style. Ce mélange d’improvisation et <strong>de</strong>reproduction contribue à l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> programmes musicaux typiquem<strong>en</strong>t<strong>radiophonique</strong>s 22 .En associant la typologie <strong>de</strong>s programmes à celle <strong>de</strong>s auteurs, on remarque que lacélébrité <strong>de</strong>s musici<strong>en</strong>s s’affirme par leur appart<strong>en</strong>ance à toutes les émissions dérivées duconcert savant ainsi qu’aux séqu<strong>en</strong>ces « moy<strong>en</strong>nes » (mélange, musique légère et variée). Ons’aperçoit égalem<strong>en</strong>t que les protagonistes d’un g<strong>en</strong>re intermédiaire, comme ceux <strong>de</strong> lamusique symphonique légère ou <strong>de</strong> l’opérette, navigu<strong>en</strong>t aussi facilem<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>sprogrammes <strong>de</strong> « musique sérieuse » que <strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> divertissem<strong>en</strong>t. Le vi<strong>en</strong>noisFranz Lehar incarne parfaitem<strong>en</strong>t cette polyval<strong>en</strong>ce puisqu’on le trouve aussi bi<strong>en</strong> dans <strong>de</strong>sconcerts symphoniques ou lyriques que dans <strong>de</strong>s émissions <strong>de</strong> music-hall ou <strong>de</strong> musiques <strong>de</strong>films. <strong>La</strong> large palette d’écriture, dans laquelle l’art vocal occupe une place <strong>de</strong> choix, est sansdoute l’un <strong>de</strong>s vecteurs <strong>de</strong> la fréqu<strong>en</strong>te apparition <strong>de</strong> quelques auteurs. Ceux que l’on pourraitqualifier <strong>de</strong> « musici<strong>en</strong>s généralistes », par opposition à leurs congénères qui se focalis<strong>en</strong>t surun g<strong>en</strong>re précis, s’insèr<strong>en</strong>t aisém<strong>en</strong>t, grâce à <strong>de</strong>s titres soigneusem<strong>en</strong>t choisis, dans lesnombreuses plages thématiques dont l’atmosphère crée l’unité. <strong>La</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s « petitschefs-d’œuvre » dont dispos<strong>en</strong>t les programmateurs <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te permet d’alim<strong>en</strong>ter <strong>de</strong>sprogrammes multicolores tout <strong>en</strong> les lestant <strong>de</strong> valeurs indiscutables sur le plan <strong>de</strong> lalégitimité culturelle. Mais ce n’est sans doute pas tant par exig<strong>en</strong>ce intellectuelle que pour leurinépuisable variété <strong>musicale</strong> que les stations diffus<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s morceaux majoritairem<strong>en</strong>tappar<strong>en</strong>tés à une écriture tonale. En outre, on peut souligner la relative par<strong>en</strong>té qui existe, <strong>en</strong>cette première moitié <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>nie, <strong>en</strong>tre la programmation d’un grand poste à rayonnem<strong>en</strong>tnational et celle, plus artisanale, d’une petite station privée. Sur cette <strong>de</strong>rnière, on observecep<strong>en</strong>dant un fléchissem<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> musique savante, fléchissem<strong>en</strong>t que confirme,dans une moindre mesure, la typologie quantifiée <strong>de</strong>s auteurs 23 .Deux t<strong>en</strong>dances s’oppos<strong>en</strong>t quand on rapproche les données chiffrées sur lesprogrammes, les interprètes et les auteurs <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux stations. Sur Radio-Paris, la musiquesavante prédomine 24 . Principalem<strong>en</strong>t transmise par le biais <strong>de</strong>s émissions produites <strong>en</strong> studio,son importance dépasse largem<strong>en</strong>t celle <strong>de</strong>s catégories <strong>de</strong> « musique <strong>de</strong> divertissem<strong>en</strong>t » (leplus souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>registrées), et <strong>de</strong> « musique intermédiaire ». C’est <strong>en</strong> studio que les orchestres22 Musique et Radio dans la <strong>France</strong> <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te, « Des programmes privilégiant l’éclectisme », p. 25-52.23 Ibid., « Une myria<strong>de</strong> d’auteurs », p. 53-82.24 Cf. le graphique « évolution <strong>de</strong> la musique savante sur Radio-Paris <strong>de</strong> 1930 à 1935 ».Page 6 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013<strong>de</strong> station mix<strong>en</strong>t, comme pour imiter les émissions <strong>de</strong> mélanges <strong>de</strong> disques, <strong>de</strong>s musiquessymphoniques et <strong>de</strong>s variétés à chanter ou à danser.80%70%60%50%40%30%20%10%0%juin1930Evolution <strong>de</strong> la musique savante sur Radio-Paris<strong>de</strong> 1930 à 1935juin1931juin1932juin1933juin1934juin1935% <strong>de</strong>s heuresd'émissions% <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>cesd'auteurs% <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>cesd'interprètesEn l’abs<strong>en</strong>ce d’un tel espace médian sur Radio-LL, les émissions sont plus homogèneset segm<strong>en</strong>tées. Le micro est le principal vecteur <strong>de</strong> la musique <strong>de</strong> divertissem<strong>en</strong>t qui pr<strong>en</strong>dins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t l’asc<strong>en</strong>dant sur la musique savante, surtout véhiculée, <strong>en</strong> fin <strong>de</strong> pério<strong>de</strong>, par<strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> disques 25 .100%Evolution <strong>de</strong> la musique <strong>de</strong> divertissem<strong>en</strong>t sur Radio-LL<strong>de</strong> 1930 à 193580%60%40%20%0%juin1930juin1931juin1932juin1933juin1934juin1935% <strong>de</strong>s heuresd'émissions% <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>cesd'auteurs% <strong>de</strong>s référ<strong>en</strong>cesd'interprètesDES DIVERGENCES DE POINTS DE VUE ET D’INTERETSi l’on globalise les discours qui concern<strong>en</strong>t plus directem<strong>en</strong>t la question <strong>musicale</strong>, onpeut souligner l’action d’une minorité aux comman<strong>de</strong>s, intellectuellem<strong>en</strong>t exigeante, s<strong>en</strong>sibleà la musique savante, à l’art <strong>radiophonique</strong> et mue, semble-t-il, par le projet d’acculturation<strong>musicale</strong> <strong>de</strong>s masses. Ceux que d’aucuns qualifi<strong>en</strong>t d’élites s’oppos<strong>en</strong>t à une majoritéd’auditeurs, qui est, sinon grandissante, <strong>en</strong> tout cas composée d’usagers fort critiques et <strong>de</strong>moins <strong>en</strong> moins réservés quant à l’expression <strong>de</strong> leurs (dé)goûts. Bi<strong>en</strong> que reconnaissant lebi<strong>en</strong>-fondé <strong>de</strong> l’utilisation du média à <strong>de</strong>s fins pédagogiques, ils n’<strong>en</strong> rejett<strong>en</strong>t pas moins ceprincipe aux heures où ils l’écout<strong>en</strong>t ! Un peu plus chaque année, les témoignages s’agrèg<strong>en</strong>tpour dénoncer une saturation <strong>de</strong> « gran<strong>de</strong> musique ».25 Cf. le graphique « évolution <strong>de</strong> la musique <strong>de</strong> divertissem<strong>en</strong>t sur Radio-LL <strong>de</strong> 1930 à 1935 » et le chapitreconcernant les interprètes programmés à cette pério<strong>de</strong> : « la forte valeur id<strong>en</strong>titaire <strong>de</strong>s musici<strong>en</strong>s <strong>de</strong> stations ».Page 7 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013Il semble pourtant que les programmateurs, qui chemin<strong>en</strong>t pru<strong>de</strong>mm<strong>en</strong>t contre v<strong>en</strong>ts etmarées, ne s’y pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas si mal, compte t<strong>en</strong>u <strong>de</strong>s moy<strong>en</strong>s qui sont les leurs. Alors que laconjoncture économique n’est pas favorable, la radio t<strong>en</strong>te <strong>de</strong> ménager tous les publics, sansl’ai<strong>de</strong> (et c’est un euphémisme !) <strong>de</strong> ses alliés pot<strong>en</strong>tiels : les industriels du disque, les scèneslyriques subv<strong>en</strong>tionnées, les artistes musici<strong>en</strong>s 26 . Par ailleurs, il est sans doute peuvraisemblable que la forte programmation <strong>de</strong> musique savante relève seulem<strong>en</strong>t d’uneint<strong>en</strong>tion d’acculturation <strong>de</strong>s masses. <strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> d’une symphonie <strong>de</strong> Beethov<strong>en</strong>, quecertains auditeurs percevront comme un cours <strong>de</strong> musique <strong>en</strong>nuyeux, n’<strong>en</strong> est pas moinsvécue comme un divertissem<strong>en</strong>t par une autre catégorie <strong>de</strong> public. Sans véritable cahier <strong>de</strong>scharges, la radio évolue l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t sur les fon<strong>de</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> sa prime jeunesse. Ce n’est que trèsprogressivem<strong>en</strong>t qu’elle se libère <strong>de</strong>s auditions <strong>de</strong> musique <strong>de</strong> chambre, <strong>de</strong>s concerts « type1926 », tels que les désigne dans <strong>La</strong> Parole libre TSF un auditeur désabusé 27 . Aux toutespremières heures <strong>de</strong> la radio<strong>diffusion</strong>, cette profusion <strong>de</strong> spectacles traditionnels n’était guèreétonnante, puisque l’audi<strong>en</strong>ce moy<strong>en</strong>ne était celle d’une « bourgeoisie » éduquée aux valeursdu grand art musical. C’est <strong>de</strong> moins <strong>en</strong> moins le cas à mesure que l’on avance dans ladéc<strong>en</strong>nie. Quant au clivage public / privé, l’observation <strong>de</strong>s discours par l’interrogation <strong>de</strong> lapresse <strong>radiophonique</strong> confirme ce que laisse apparaître l’outillage quantitatif. Partant, quelleque soit la s<strong>en</strong>sibilité <strong>de</strong> l’organe <strong>de</strong> presse, les acteurs s’exprim<strong>en</strong>t plus volontiers, avant1935, sur « la Radio » au s<strong>en</strong>s large que sur l’altérité <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux modèles distincts.1936-<strong>1939</strong> : DES SIMILITUDES SUR LE FOND ETDES DISSEMBLANCES SUR LA FORMEL’interfér<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> plusieurs facteurs d’évolution bouscule, au cours <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong>moitié <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>nie, les programmes <strong>de</strong> la radio française. <strong>La</strong> baisse <strong>de</strong> fréqu<strong>en</strong>tation <strong>de</strong>sauditeurs du réseau national ne laisse pas indiffér<strong>en</strong>ts les gouvernants successifs. Malgré uninsidieux r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t <strong>de</strong> son immixtion dans l’organisation <strong>de</strong>s programmes et malgrél’élargissem<strong>en</strong>t, par la complém<strong>en</strong>tarité <strong>de</strong> ses ressources territoriales, <strong>de</strong> son offre artistique,la puissance publique ne parvi<strong>en</strong>t pas à ret<strong>en</strong>ir la fuite <strong>de</strong> son auditoire vers les postes privés.Répondant aux aspirations <strong>de</strong>s auditeurs, les postes privés imagin<strong>en</strong>t <strong>de</strong>s façons nouvelles <strong>de</strong>concevoir et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la radio. Composés par <strong>de</strong>s distributeurs <strong>de</strong> publicité <strong>en</strong> fonction <strong>de</strong>sp<strong>en</strong>chants <strong>de</strong> la multitu<strong>de</strong>, leurs programmes sont conformes aux préfér<strong>en</strong>ces qu’ils luisuppos<strong>en</strong>t. Face à la prés<strong>en</strong>tation pesante, à la routine administrative et à l’incessante pression<strong>de</strong>s pouvoirs politiques, les stations privées jou<strong>en</strong>t sur le terrain <strong>de</strong> la distraction, <strong>de</strong> lafantaisie, <strong>de</strong> l’imagination. Les auditeurs, qui sont chaque année plus nombreux, les préfèr<strong>en</strong>taux postes d’État parce qu’elles sont plus intéressantes, plus jeunes, plus actives et plus gaies.26 Au début <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>nie, tous ces acteurs, voyant <strong>en</strong> la radio davantage un rival pot<strong>en</strong>tiel qu’un possiblepart<strong>en</strong>aire ne cess<strong>en</strong>t <strong>de</strong> lui causer <strong>de</strong>s torts.27 <strong>La</strong> Parole libre TSF n°115 du 13 juillet 1930, p. 2, article intitulé « <strong>La</strong> composition <strong>de</strong>s programmes » :l’intéressé dénonce l’ « alternance chant, solo <strong>de</strong> piano, adagio pour violoncelle avec sonate pour violon »Page 8 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013UN AUDITOIRE A ACCULTURERL’exam<strong>en</strong> <strong>de</strong> quelques-un <strong>de</strong>s discours <strong>de</strong>s déci<strong>de</strong>urs est significatif : qu’ils agiss<strong>en</strong>t<strong>en</strong> faveur du réseau <strong>de</strong>s stations publiques ou qu’ils œuvr<strong>en</strong>t pour le grand poste privé, lespersonnalités qui sont aux comman<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s programmes ont <strong>de</strong>s conceptions finalem<strong>en</strong>tconverg<strong>en</strong>tes. Face à l’<strong>en</strong>nui qu’inspir<strong>en</strong>t aux auditeurs <strong>de</strong>s expressions qui leur sontétrangères, et dont ils sont apparemm<strong>en</strong>t saturés, il n’y a guère d’autre solution que d’avancermasqué et <strong>de</strong> les acculturer à leur insu. Le projet consiste finalem<strong>en</strong>t à infiltrer la culture (ounon-culture ?) <strong>de</strong>s sans-filistes, avec précaution et dans <strong>de</strong>s situations qui ne s’appar<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tpas, à leurs yeux, à un champ éducatif (musiques légères, musiques reconnues, courtesséqu<strong>en</strong>ces). Communém<strong>en</strong>t, ces responsables estim<strong>en</strong>t que l’assimilation <strong>de</strong> musiquesétrangères à leur culture ne peut se faire que par la capitalisation progressive d’un minimum<strong>de</strong> valeurs « moy<strong>en</strong>nes ». Côté réseau public, Désiré-Émile Inghelbrecht, le responsable <strong>de</strong> la« haute surveillance <strong>de</strong>s programmes <strong>de</strong> Paris-PTT » et <strong>de</strong> l’organisation artistique <strong>de</strong>sémissions fédérales, explique qu’ « il ne faut pas choquer par <strong>de</strong> la trop belle musique ;abandonner les cimes aux alpinistes et nous cont<strong>en</strong>ter d’am<strong>en</strong>er la masse à mi-côte » 28 . Côtéréseau privé, Jean Guignebert, le rédacteur <strong>en</strong> chef <strong>de</strong> « <strong>La</strong> voix <strong>de</strong> Paris » sur Radio-Cité,parle d’imprégner les intellig<strong>en</strong>ces à leur insu :« Certes la musique légère n’apportera pas au cerveau un <strong>en</strong>richissem<strong>en</strong>tconsidérable, mais elle ét<strong>en</strong>dra les connaissances, affinera tant soit peu la s<strong>en</strong>sibilité,préparera les voies à l’audition <strong>de</strong> musique plus profon<strong>de</strong>. 29 »A les croire l’un et l’autre, l’obstruction que font les auditeurs à toute« t<strong>en</strong>tative » d’acculturation est le fait principal <strong>de</strong> leur incapacité à déco<strong>de</strong>r ces musiquescompliquées. Si les constats et les positions <strong>de</strong> ces dirigeants sont assez comparables,diffèr<strong>en</strong>t pourtant les mo<strong>de</strong>s d’action et les résultats, au moins <strong>en</strong> termes d’opinions, <strong>de</strong> leurspolitiques respectives.RADIO-PARIS OU L’ACCULTURATION PAR LA MIXITE MUSICALE DESCONCERTSDès les premières années <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>nie, Radio-Paris, sans faire figure d’exception,inondait ses auditeurs <strong>de</strong> programmes musicaux hétérogènes. Le projet consistait à s’immiscerdans les habitu<strong>de</strong>s auditives <strong>de</strong>s sans-filistes. Dans un article intitulé « Pour l’éducation<strong>musicale</strong> <strong>de</strong>s masses », le chroniqueur Paul Dermée avait interprété ce choix <strong>de</strong>sprogrammateurs comme une volonté <strong>de</strong> ne pas faire trop didactique, trop austère. <strong>La</strong> diversité,la variété <strong>de</strong>s musiques, est donc perçue par les acteurs <strong>de</strong> la radiophonie comme synonyme<strong>de</strong> divertissem<strong>en</strong>t. D’après cet observateur, les épouvantables amalgames qui résult<strong>en</strong>t <strong>de</strong>cette conception réduis<strong>en</strong>t la portée éducative du média. Il admet pourtant qu’<strong>en</strong> l’état cesprogrammes bigarrés n’<strong>en</strong> ont pas moins permis à bon nombre <strong>de</strong>s usagers <strong>de</strong> s’accoutumer àcertains <strong>de</strong>s plus grands auteurs et à leurs œuvres 30 . En juin <strong>1939</strong>, on relève toujours sur28 TSF Programmes n°202 du 29 juillet 1934, p. 45 : « Quelques instants avec D.-E. Inghelbrecht », par PierreKeszler29 Ici…Radio-Cité n°10 du 12 mars 1938, p. 6 : « <strong>La</strong> boîte aux lettres ».30 <strong>La</strong> parole libre TSF n°181 du 18 octobre 1931, p. 3 : « Pour l’éducation <strong>musicale</strong> <strong>de</strong>s masses » par PaulDerméePage 9 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013Radio-Paris, <strong>de</strong>v<strong>en</strong>u le Poste national, pléthore <strong>de</strong> « concerts variés », d’émissions titrées« musique légère », <strong>de</strong> séqu<strong>en</strong>ces <strong>de</strong> « disques <strong>de</strong> musique légère et variée ». Conduit sous labaguette <strong>de</strong> François Gras, le concert du dimanche 4 juin <strong>1939</strong> illustre à la fois la relativelégitimité <strong>de</strong> tels assaisonnem<strong>en</strong>ts mais aussi les contestations qu’ils inspir<strong>en</strong>t. Pour ce débutd’après-midi dominical, le journal Le Petit Radio annonce :« Concert, direction Fr. Gras : Old Nick (Tzipine) ; <strong>La</strong> pie voleuse, ouverture(Rossini) ; <strong>La</strong> Housar<strong>de</strong> (Ganne) ; Blanche Neige et les sept nains, sélection(Churchill) ; Yvonette (Jeanjean) ; En relisant vos lettres (Masson-Kick) ; Saltarelle(Gounod) ; The Donkey Ser<strong>en</strong>a<strong>de</strong> (Friml) ; Boublichka (Némo et Mills) ; JubiléeStamp (Ellington) ».On voit bi<strong>en</strong> que cette composition <strong>de</strong> concert a pour dominante la musiquesymphonique légère. Par <strong>de</strong>s voisinages esthétiques, toutes les pièces qui ne sont pasvéritablem<strong>en</strong>t « <strong>de</strong> g<strong>en</strong>re » peuv<strong>en</strong>t s’appar<strong>en</strong>ter à une forme, somme toute, légère <strong>de</strong>musique, une musique « moy<strong>en</strong>ne » que l’on pourrait rapprocher <strong>de</strong> la « mi-p<strong>en</strong>te » dontparlait Inghelbrecht. Pourtant, prises séparém<strong>en</strong>t, certaines <strong>de</strong> ces œuvres se trouv<strong>en</strong>t, du point<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’écriture, particulièrem<strong>en</strong>t distantes. Il est aujourd’hui bi<strong>en</strong> difficile d’établir unli<strong>en</strong> <strong>en</strong>tre le swing d’Ellington et les « romances exquises » <strong>de</strong> Gounod, <strong>en</strong>tre la fluiditéthématique <strong>de</strong> <strong>La</strong> Pie voleuse et les mélodies simples <strong>de</strong> Blanche Neige et les sept nains,conçues pour être mémorisées et fredonnées. C’est pourtant ce que font les programmateurs<strong>de</strong> Radio-Paris, au moy<strong>en</strong> <strong>de</strong> ces brochettes <strong>de</strong> musique « légère et variée » dont l’idée d’uneesthétique que l’on pourrait qualifier <strong>de</strong> « relativem<strong>en</strong>t savante mais <strong>en</strong>core facile » favoriseles changem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> paysages sonores, les glissem<strong>en</strong>ts d’un style à un autre.Sur Radio-Cité, la musique classique est loin d’être délaissée, comme <strong>en</strong> témoigne laforte proportion <strong>de</strong>s auteurs <strong>de</strong> cette catégorie 31 . Mais la recette est très différ<strong>en</strong>te.DE PETITES CAPSULES MUSICALES HOMOGENES ET ATTRAYANTES SURRADIO-CITERadio-Cité s’adresse à un public sans doute plus populaire que celui <strong>de</strong> Radio-Paris.Sans faire <strong>de</strong> distinction péjorative, sans placer un g<strong>en</strong>re au-<strong>de</strong>ssus d’un autre, la station<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d proposer à ses auditeurs ce que chacun <strong>de</strong>s g<strong>en</strong>res et <strong>de</strong>s styles possè<strong>de</strong> <strong>de</strong> meilleur. Àcôté <strong>de</strong>s ve<strong>de</strong>ttes du dancing, <strong>de</strong> la chanson et <strong>de</strong>s variétés <strong>de</strong> music-hall, sont doncrégulièrem<strong>en</strong>t programmés à l’ant<strong>en</strong>ne <strong>de</strong>s artistes aux esthétiques plus savantes, telsl’organiste Charles Tournemire, la cantatrice Luci<strong>en</strong>ne Astruc et le pianiste Walter Joseph.Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers se produis<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> sonate dans les « V<strong>en</strong>dredis musicaux <strong>de</strong>Radio-Cité » (à 15h30) ». Qu’ils donn<strong>en</strong>t une « leçon » acidulée <strong>de</strong> quelques extraitsmusicaux, où qu’ils évolu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tant qu’interprètes, les représ<strong>en</strong>tants <strong>de</strong> ces g<strong>en</strong>res multiplesne rest<strong>en</strong>t guère longtemps au micro, mais ils y revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t. Ces courtes séqu<strong>en</strong>ces<strong>musicale</strong>s paraiss<strong>en</strong>t d’autant moins répétitives qu’elles s’inscriv<strong>en</strong>t dans <strong>de</strong>s grilles sanscesse r<strong>en</strong>ouvelées.31 Cf. le graphique « répartition <strong>de</strong>s auteurs <strong>en</strong> secon<strong>de</strong> pério<strong>de</strong> ».Page 10 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013Répartition <strong>de</strong>s auteurs <strong>en</strong> seco<strong>de</strong> pério<strong>de</strong>100%80%60%40%20%0%RP 1936RP 1937RP 1938RP <strong>1939</strong>RC 1936RC 1937RC 1938RC <strong>1939</strong>DiversDivertissem<strong>en</strong>tIntermédiaireSavanteInstaurée dès 1938, une émission quotidi<strong>en</strong>ne met à l’honneur le grand art musical, parle biais d’<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>ts <strong>de</strong> référ<strong>en</strong>ce. D’une durée d’<strong>en</strong>viron vingt minutes, ce r<strong>en</strong><strong>de</strong>z-vous<strong>de</strong>s mélomanes introduit, vers 18h30, les émissions <strong>de</strong> la soirée. On peut citer, à titred’exemple, le programme <strong>de</strong> la semaine du 4 juin <strong>1939</strong> que le journal <strong>de</strong> la station publie dansun <strong>en</strong>cadré titré « Le " mom<strong>en</strong>t musical " <strong>de</strong> Radio-Cité » :« Dimanche à 18h17 – Debussy : Sonate pour flûte, alto et harpe.Lundi à 18h25 – J.-S. Bach : Cantate, par les chœurs et orchestre <strong>de</strong> la SociétéBach.Mardi à 18h25 – Vaughan Williams : Séréna<strong>de</strong> à la Musique, solistes etorchestre sous la direction <strong>de</strong> Sir H<strong>en</strong>ry Wood.Mercredi à 18h45 – Liszt : Lég<strong>en</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong> Saint François <strong>de</strong> Paul marchant surles flots, Valse oubliée, <strong>La</strong> Campanella.Jeudi à 18h22 – Berlioz : <strong>La</strong> Damnation <strong>de</strong> Faust (extraits) avec CharlesPanzéra, José <strong>de</strong> Trévi et M. Berthon.V<strong>en</strong>dredi à 18h23 – Chausson : Le Roi Artus, avec Endrèze et Poème pourviolon et orchestre, avec Yehudi M<strong>en</strong>uhin.Samedi à 18h17 – Flor<strong>en</strong>t Schmitt : Suite <strong>en</strong> Rocaille, par le QuintetteInstrum<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> Paris. 32 »En <strong>1939</strong>, le tout jeune orchestre philharmonique <strong>de</strong> Paris <strong>de</strong>vi<strong>en</strong>t un habitué du studio <strong>de</strong>la rue <strong>de</strong> Washington. Cet <strong>en</strong>semble produit, <strong>en</strong> exclusivité pour Radio-Cité, <strong>de</strong> prestigieuxconcerts, à l’image du « 8 ème concert <strong>de</strong> Gala par l’Orchestre Philharmonique <strong>de</strong> Paris [donnéle 4 juin] sous la direction et avec le concours <strong>de</strong> Jacques Thibaud. 33 »<strong>La</strong> mise au grand jour <strong>de</strong> la radiophonie <strong>musicale</strong> <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te au travers <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxmodèles <strong>de</strong> postes émetteurs corrobore les hypothèses que quelques travaux pionnierspermettai<strong>en</strong>t <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r : la satisfaction, par les postes privés très écoutés, d’une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>distractions <strong>musicale</strong>s contre une offre obstiném<strong>en</strong>t culturelle, incarnée par un réseau public<strong>en</strong> quête d’auditeurs. Toutefois, <strong>en</strong> examinant les aspects les plus caractéristiques <strong>de</strong> chacune<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux conceptions du média, comme les li<strong>en</strong>s étroits <strong>en</strong>tre musique et patronage32 Ici…Radio-Cité n°74 du 2 juin <strong>1939</strong>, p. 2.33 Cet artiste <strong>de</strong> r<strong>en</strong>om a célébré quelques temps auparavant l’inauguration du nouveau studio [Ici…Radio-Citén°69 du 5 mai <strong>1939</strong>, p. 6 : « <strong>La</strong> brillante inauguration du studio Washington »].Page 11 sur 12


<strong>La</strong> <strong>diffusion</strong> <strong>musicale</strong> <strong>radiophonique</strong> <strong>en</strong> <strong>France</strong> <strong>en</strong>tre <strong>1925</strong> et <strong>1939</strong> – PLM – Christophe B<strong>en</strong>net – 2013publicitaire, comme la saisie du micro par les « amateurs », comme l’émerg<strong>en</strong>ce <strong>de</strong>sémissions didactiques, on perçoit, au contraire, <strong>de</strong>s rapprochem<strong>en</strong>ts jusque-là insoupçonnés.Ce sont surtout <strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s, un air <strong>de</strong> famille, qui constitu<strong>en</strong>t la substance même <strong>de</strong> laradiophonie <strong>musicale</strong> <strong>de</strong> la déc<strong>en</strong>nie. Partagés <strong>en</strong>tre leurs convictions et la conservation d’uneaudi<strong>en</strong>ce, les postes émetteurs tâtonn<strong>en</strong>t, cherch<strong>en</strong>t, trouv<strong>en</strong>t, inv<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t et se parodi<strong>en</strong>tréciproquem<strong>en</strong>t. Généralistes <strong>de</strong> fait, ils sont confrontés aux antagonismes <strong>de</strong> leurs auditeurs,cette masse invisible et pourtant « bruyante ». On peut désormais auth<strong>en</strong>tifier la spécificité <strong>de</strong>la radiophonie <strong>musicale</strong> <strong>de</strong>s années tr<strong>en</strong>te par cette étrange dichotomie : l’omniprés<strong>en</strong>ce <strong>de</strong> lachansonnette et la prégnance <strong>de</strong> la musique savante. Mais cette radiophonie, pourcaractéristique qu’elle soit, installe l’intégralité <strong>de</strong>s paradigmes <strong>de</strong> la radio mo<strong>de</strong>rne. Ent<strong>en</strong>tant <strong>de</strong> concilier le général et le particulier, le savant et le populaire, le loisir et l’éducatif,les concepteurs <strong>de</strong> programmes inaugur<strong>en</strong>t et mett<strong>en</strong>t à l’épreuve <strong>de</strong>s récepteurs tous lesformats et schémas <strong>de</strong>s médias audiovisuels d’aujourd’hui.Page 12 sur 12

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