L’anthropologie biologique :une approche holistique pour étudier le vieillissement humain.Nicole CHAPUIS-LUCCIANIVieillissement de la population, vieillissement indivi<strong>du</strong>elMots-clés : vieillissement, longévité, adaptabilité, transition démographiqueL’augmentation généralisée de la <strong>du</strong>rée de vie humaine <strong>et</strong> soncorollaire, le vieillissement, sont des phénomènes récents dansl’histoire de l’humanité. C<strong>et</strong>te situation rend l’étude <strong>du</strong> vieillissement <strong>et</strong>de la longévité particulièrement pertinente pour l’anthropologue car ellemodifie un certain nombre de paramètres au niveau de l’espèce. Eneff<strong>et</strong>, la <strong>du</strong>rée pendant laquelle le corps vieillit s’allonge <strong>et</strong> de nouvellespathologies liées à la dégénérescence se développent en particulierdans des populations jusqu’alors confrontées à des problèmes desurnatalité <strong>et</strong> de pathologies infectieuses.Le vieillissement est un processus biologique évolutif, complexe <strong>et</strong> multifactoriel,continuellement en interaction avec l’environnement physique,social <strong>et</strong> culturel dans lequel vivent les populations. Le phénomène devieillissement transforme aussi l’organisation sociale institutionnelle <strong>et</strong>familiale. L’anthropologie aborde l’étude des rythmes de vieillissementpar une approche synchronique (comparaison de populations <strong>vivant</strong>dans des milieux différents) ou diachronique par l’étude des transitionsbiologiques <strong>et</strong> socio-culturelles telles que celles accompagnant laménopause ou la r<strong>et</strong>raite.C<strong>et</strong> état de fait interroge l’anthropologue qui étudie l’adaptabilité <strong>et</strong>la variabilité humaine dans ses dimensions temporelle <strong>et</strong> spatiale.- Comment l’humain s’adapte à une <strong>du</strong>rée de vie plus longuesur les plans biologique <strong>et</strong> socio-culturel?- Quels facteurs environnementaux influencent sa <strong>du</strong>rée devie?- Comment les populations « gèrent » ce phénomène sur le plande la santé, <strong>et</strong> sur les plans social <strong>et</strong> économique?La complexité des processus de vieillissement <strong>et</strong> la démarcheholiste propre à l’anthropologie biologique impliquent l’apportde disciplines connexes : les sciences biologiques, médicales,humaines <strong>et</strong> sociales.Le phénomène de vieillissement populationnel est lié à l’augmentationde l’espérance de vie, à la baisse de la natalité. Le vieillissementcomporte des différences marquées selon les grandes régions écogéographiquesen fonction des particularités <strong>et</strong> des contraintes <strong>du</strong>milieu physique <strong>et</strong> socio-économique. En eff<strong>et</strong>, ces paramètresdémographiques varient en fonction de facteurs tels que :- le niveau de vie <strong>et</strong> de revenus (PIB par habitant),- le niveau d’accès aux soins <strong>et</strong> à l’é<strong>du</strong>cation de la population,- les politiques de santé <strong>et</strong> de régulation des naissances menéespar les gouvernements,- le degré d’urbanisation <strong>et</strong> les mouvements de populations(migrations de/vers l’étranger),- l’organisation de la famille, <strong>et</strong>c…Les figures 1 <strong>et</strong> 2, réalisées d’après des données recueillies pour le« Rapport Mondial sur le Développement Humain » (Walkins 2005),illustrent bien ces interactions.Figure 1 : Espérance de vie en fonction <strong>du</strong> PIB pour 163 pays (Extrait de Chapuis-Lucciani, Drusini 2007).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201068
L’anthropologie biologique :une approche holistique pour étudier le vieillissement humain.Figure 2 : Indice synthétique de fécondité en fonction <strong>du</strong> pourcentage de populationurbaine pour 163 pays (Extrait de Chapuis-Lucciani, Drusini 2007).Au niveau de l’indivi<strong>du</strong>, le vieillissement est un processus bio-culturel. Eneff<strong>et</strong>, pour l’anthropologue qui étudie les populations <strong>vivant</strong>es, l’Hommeest un être biologique <strong>vivant</strong> dans un environnement physique <strong>et</strong> socioéconomiqueparticulier dans lequel il grandit <strong>et</strong> vieillit, se nourrit <strong>et</strong> serepro<strong>du</strong>it. C<strong>et</strong> être est aussi doté de capacités cognitives <strong>et</strong> d’affectsqu’il développe au sein d’un système social organisé.Le vieillissement biologique commence dès la naissance <strong>et</strong> se termineà la mort de l’indivi<strong>du</strong>. L’OMS le définit comme un « processus gra<strong>du</strong>el<strong>et</strong> irréversible de modification des structures <strong>et</strong> des fonctions del’organisme résultant <strong>du</strong> passage <strong>du</strong> temps ». Tout au long de savie, les processus biologiques qui gouvernent la croissance <strong>et</strong> levieillissement de l’indivi<strong>du</strong> sont dépendants de son mode de vie <strong>et</strong>en particulier de ses con<strong>du</strong>ites alimentaires, de son suivi médical<strong>et</strong> de ses activités professionnelles, sociales <strong>et</strong> personnelles. Cesprocessus sont liés à l’environnement physique dans lequel il vit<strong>et</strong> à son niveau économique <strong>et</strong> son niveau d’é<strong>du</strong>cation. Ils sontaussi influencés par la perception que l’indivi<strong>du</strong> a de son corps<strong>et</strong> par ses représentations sociales <strong>et</strong> culturelles. Et quand lecorps n’est plus à l’optimum de ses capacités fonctionnelles,les perceptions psychologiques <strong>et</strong> les représentations socialessont des facteurs encore plus importants pour la survie del’indivi<strong>du</strong>.Il y a donc continuellement interactions, imbrications, entre lesprocessus biologiques <strong>et</strong> l’environnement <strong>et</strong> l’on ne peut pas analyserle rythme biologique <strong>du</strong> vieillissement sans prendre en compte lecontexte de vie si l’on veut comprendre <strong>et</strong> interpréter les processusadaptatifs.Etudier un processus complexe <strong>et</strong> évolutifLes organes <strong>et</strong> les structures biologiques « vieillissent » à des rythmesdifférents. Il n’y a pas de norme liée à l’âge chronologique qui pourraitservir de référentiel pour mesurer le vieillissement comme c’est lecas lorsque l’on étudie la croissance. En eff<strong>et</strong>, si l’on considère parexemple les signes apparents de vieillissement que sont les cheveuxblancs, ou les rides, on voit bien que leur apparition est très variabledans le temps selon les indivi<strong>du</strong>s ou les populations, des facteurstant génétiques qu’environnementaux in<strong>du</strong>isant une variabilité trèsimportante.Le vieillissement biologique « normal », c’est-à-dire « nonpathologique », s’accompagne d’un certain nombre de pertes, dedégénérescences anatomiques <strong>et</strong> fonctionnelles entraînant desdéficits <strong>et</strong> pouvant con<strong>du</strong>ire à des incapacités voire des handicaps.De plus, avec l’avancée en âge, la prévalence de pathologieschroniques augmente : diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires,ostéoporose, cancers…. Ces pathologies, plus oumoins invalidantes, sont généralement évolutives <strong>et</strong> nécessitent lamise en place de processus d’adaptation de la part des personnesconcernées mais aussi de leur entourage, c’est-à-dire de la famille<strong>et</strong> des institutions.La difficulté de l’étude <strong>du</strong> vieillissement vient donc de la complexitédes processus biologiques qui l’accompagnent. L’anthropologue doitalors choisir de recueillir un certain nombre d’indicateurs significatifsde l’état de santé, <strong>et</strong> de sa dégradation, en rapport avec l’aspectfonctionnel de l’organisme (par exemple, la force musculaire, la vision …)ainsi que des indicateurs de facteurs de risque <strong>et</strong> de morbidité(surcharge pondérale ou dénutrition, présence de pathologiesL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 69