L'anthropologie du vivant : objets et méthodes - CNRS - Dynamique ...

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12.07.2015 Views

Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationIntérêt de l’utilisation des méthodes d’anthropologie sociale L’articulation des données « micro » et « macro »L’alimentation nécessite une anthropologie du privé, uneanthropologie de l’intime et de la longue duréeL’alimentation et la cuisine relèvent de la sphère domestique et del’intime et c’est une caractéristique majeure influençant fortement lesconditions des enquêtes. Les méthodes développées par l’anthropologiesociale sont particulièrement bien adaptées pour gagner la confianced’une famille, d’un individu, d’un groupe, d’un réseau (constituant l’unitéd’observation abordable pour un chercheur et au centre de laquelle ilse situe). Pour ce faire, l’anthropologue de l’alimentation adopte doncune méthode spécifique d’observation : « le terrain ». L’observation dite« participante », la proximité recherchée avec les enquêté(e)s, l’intérêtà faire émerger le point de vue propre à ses interlocuteurs(trices) et àlui donner du sens, la durée longue d’investigation et l’implication del’enquêteur(trice) en sont autant d’aspects. C’est lorsqu’on atteint uncertain seuil de familiarité (grâce à l’immersion et la longue durée) avecun lieu d’observation que l’on peut cesser d’interroger les personnesque l’on étudie. Les entretiens semi-directifs (relation de « face à face») se révèlent utiles dans un premier temps car ils permettent d’éviterles contre-sens, de dépasser la simple description, et d’interrogerle lien entre discursif et pratiques. Car l’anthropologue ne cherchepas à constituer des données chiffrées ni à émettre des statistiquesmais à rendre compte de la complexité des habitudes alimentairesprises entre leurs dimensions symboliques et socio-économiquesarticulant besoins nutritionnels, habitudes régionales, nationales,ethniques, familiales, âge de la vie, statut social, genre, etc...Le sociologue Jean-Pierre Poulain rappelle combien l’étudedes prises alimentaires par les grandes enquêtes utilisant desdonnées déclaratives se heurte à la difficulté méthodologique« de l’objectivation des pratiques » (Poulain 2001 : 103-104).Seule une collecte de données à partir de la méthodologie del’observation et sollicitant les représentations des personnes(par les entretiens) permet de produire des données fiables.L’anthropologie sociale doit ainsi savoir sortir de sa pratiqueméthodologique principale pour donner accès aux forces structurelles(les dimensions économiques, politiques) et à la dimensiondiachronique. En effet, la dimension économique de l’alimentation nedoit pas être négligée. C’est ce que montrent, dans un autre champ,M. Selim et L. Bazin (2001). Ils restituent au social et au culturel leurimportance, mais en montrant en quelque sorte comment l’économiqueles modifie, voire les transforme. Dans le champ de l’alimentation, lecas des restaurants ou des commerces dits « ethniques » (dans lecadre d’une économie globalisée), par exemple, montre commentces restaurants travaillent autant l’imaginaire des autochtones quedes allochtones (Raulin 2000 ; Régnier 2004). Il est donc nécessairede replacer les individus et groupe étudiés dans les systèmes deproduction, de distribution, d’approvisionnement, d’auto-productiondans lesquels ils se situent.De la même manière, alors que les anthropologues sont trèsfréquemment sollicités pour répondre à des « questions de société »,il est fondamental de resituer les individus et le groupe étudié dansles campagnes de prévention ou les programmes de santé et ainsid’aborder le contexte idéologique de la demande institutionnelle(Fassin, Memmi 2004).Description succincte de la méthodeLes données ethnographiquesAprès avoir défini un thème de départ (Beaud, Weber 2003)qui va servir de cadre de réflexion pour démarrer la pré-enquêtepuis l’enquête, il s’agit, concrètement, d’effectuer la transcriptioncomplète des conversations et entretiens enregistrés mais ausside tenir un journal de terrain où toutes les informations observéeset vécues par le(la) chercheur(e) peuvent être recueillies. Sonutilisation nécessite de la rigueur pour constater la régularité desfaits et des pratiques alimentaires observées (il faut dater, noterL’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 201064

Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationl’heure) et décrire l’environnement dans lequel les observations sonteffectuées (descriptions des lieux, déplacement des personnes). Lejournal de terrain permet également de noter les mots, les expressionssignificatives employées au cours d’un repas, d’un achat ou d’unepréparation culinaire… Décrire les modes de consommation (Raulin1999), c’est aussi relever les propos qui sont au cœur des interactionsalimentaires. Ne pas noter les paroles, c’est manquer le sens desactions qu’on observe. Enfin, il est fondamental de rédiger dans cejournal de terrain les réflexions personnelles et les effets induits par laprésence des anthropologues sur le déroulement de l’observation. Nouspensons par exemple à l’offre invariable du plat national au momentde nos observations au Sénégal ou l’exhibition au contraire de platsexotiques face à l’ethnologue française au Danemark, perçue en vis-àvisde la renommée de la gastronomie française et de la dévalorisationdu modèle culinaire propre (Delavigne 2002), informations nécessairesaussi pour interroger l’ethnocentrisme du/de la chercheur(e). Que cesoit à partir des observations ou des entretiens, nous procédons à undécoupage par thème. Ensuite nous analysons le contenu recueilli enfonction du thème de départ et du cadre conceptuel dans lequel nousnous inscrivons (la lecture d’ouvrages théoriques et de terrain estnécessaire). Si possible nous effectuons des enquêtes comparativesqui sont constitutives de la méthode anthropologique et peuvent êtreconsidérées comme un équivalent de l’expérimentation. Dans le casde l’alimentation on peut comparer les « systèmes alimentaires »entre eux par exemple : environnement physique et social et typesd’agricultures, techniques de récoltes et stockages, cuissons,politiques alimentaires etc … En anthropologie, la comparaisona une vertu heuristique ; comparer est intimement lié à lagénéralisation (« conférer du sens à la diversité » selon FrançoiseHéritier-Augé (1988) mais aussi au fait de dégager des structurespertinentes tout en restant vigilants quant aux spécificités despopulations étudiées. Comme le souligne Pierre Bouvier (2000)« l’approche comparative dégage les processus contradictoiresd’unifications et de diversification ». En anthropologie del’alimentation nous accordons de l’importance à cet aspectcontradictoire qui est, à notre avis, l’élément créateur de la démarchecomparative.L’analyse des faitsA partir de tous les éléments pris en compte conjointement (histoire,économie, rapports hiérarchiques, rapports Nord/Sud, par exemple)et à partir des données ethnographiques recueillies sur le terrain,nous parviendrons à la définition d’un « système alimentaire ». Unefois le système alimentaire, au sein duquel se trouvent les personnesconcernées par l’enquête, observé, décrit, et replacé dans 1’ensemblede la société, il faudra tenter d’analyser la signification de toutesles actions et éléments qui s’y imbriquent : production et acquisitiondes aliments, techniques de stockage et de transformation, repas,habitudes alimentaires du groupe et des catégories d’individus,transmission et apprentissage, rôle des aliments dans la vie sociale,religieuse, économique et politique. Nous tenterons alors de mettreen évidence la manière dont, à travers ce système, un groupe exprimeses valeurs, sa structure sociale et ses croyances. Dans cetteapproche, nous considérons la nourriture comme 1’instrument d’uneexpression sociale. C’est concevoir 1’aliment comme un symbole prisdans des rapports sociaux. L’anthropologie de l’alimentation, avecsa démarche scientifique de terrain, permet de mettre en évidencecomment les comportements alimentaires ont une logique interne,souvent non biologique, et compréhensible à 1’analyse.Conclusion : les recherches en anthropologie del’alimentation ; au carrefour de l’interdisciplinaritéOn l’aura bien compris, les enquêtes sont qualitatives et se basentsur la recherche de régularité mais aussi de singularités. Lesdonnées recueillies sont fines et fiables du fait de l’implication duchercheur sur la longue durée mais aussi à cause du phénomènede saturation pris en compte (Berthaux 2005). L’avantage de ce typed’enquête tient à l’accès à des données inaccessibles lors d’enquêtequantitatives menées à grande échelle… L’inconvénient est le tempsL’anthropologie du vivant : objets et méthodes - 201065

Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationl’heure) <strong>et</strong> décrire l’environnement dans lequel les observations sonteffectuées (descriptions des lieux, déplacement des personnes). Lejournal de terrain perm<strong>et</strong> également de noter les mots, les expressionssignificatives employées au cours d’un repas, d’un achat ou d’unepréparation culinaire… Décrire les modes de consommation (Raulin1999), c’est aussi relever les propos qui sont au cœur des interactionsalimentaires. Ne pas noter les paroles, c’est manquer le sens desactions qu’on observe. Enfin, il est fondamental de rédiger dans cejournal de terrain les réflexions personnelles <strong>et</strong> les eff<strong>et</strong>s in<strong>du</strong>its par laprésence des anthropologues sur le déroulement de l’observation. Nouspensons par exemple à l’offre invariable <strong>du</strong> plat national au momentde nos observations au Sénégal ou l’exhibition au contraire de platsexotiques face à l’<strong>et</strong>hnologue française au Danemark, perçue en vis-àvisde la renommée de la gastronomie française <strong>et</strong> de la dévalorisation<strong>du</strong> modèle culinaire propre (Delavigne 2002), informations nécessairesaussi pour interroger l’<strong>et</strong>hnocentrisme <strong>du</strong>/de la chercheur(e). Que cesoit à partir des observations ou des entr<strong>et</strong>iens, nous procédons à undécoupage par thème. Ensuite nous analysons le contenu recueilli enfonction <strong>du</strong> thème de départ <strong>et</strong> <strong>du</strong> cadre conceptuel dans lequel nousnous inscrivons (la lecture d’ouvrages théoriques <strong>et</strong> de terrain estnécessaire). Si possible nous effectuons des enquêtes comparativesqui sont constitutives de la méthode anthropologique <strong>et</strong> peuvent êtreconsidérées comme un équivalent de l’expérimentation. Dans le casde l’alimentation on peut comparer les « systèmes alimentaires »entre eux par exemple : environnement physique <strong>et</strong> social <strong>et</strong> typesd’agricultures, techniques de récoltes <strong>et</strong> stockages, cuissons,politiques alimentaires <strong>et</strong>c … En anthropologie, la comparaisona une vertu heuristique ; comparer est intimement lié à lagénéralisation (« conférer <strong>du</strong> sens à la diversité » selon FrançoiseHéritier-Augé (1988) mais aussi au fait de dégager des structurespertinentes tout en restant vigilants quant aux spécificités despopulations étudiées. Comme le souligne Pierre Bouvier (2000)« l’approche comparative dégage les processus contradictoiresd’unifications <strong>et</strong> de diversification ». En anthropologie del’alimentation nous accordons de l’importance à c<strong>et</strong> aspectcontradictoire qui est, à notre avis, l’élément créateur de la démarchecomparative.L’analyse des faitsA partir de tous les éléments pris en compte conjointement (histoire,économie, rapports hiérarchiques, rapports Nord/Sud, par exemple)<strong>et</strong> à partir des données <strong>et</strong>hnographiques recueillies sur le terrain,nous parviendrons à la définition d’un « système alimentaire ». Unefois le système alimentaire, au sein <strong>du</strong>quel se trouvent les personnesconcernées par l’enquête, observé, décrit, <strong>et</strong> replacé dans 1’ensemblede la société, il faudra tenter d’analyser la signification de toutesles actions <strong>et</strong> éléments qui s’y imbriquent : pro<strong>du</strong>ction <strong>et</strong> acquisitiondes aliments, techniques de stockage <strong>et</strong> de transformation, repas,habitudes alimentaires <strong>du</strong> groupe <strong>et</strong> des catégories d’indivi<strong>du</strong>s,transmission <strong>et</strong> apprentissage, rôle des aliments dans la vie sociale,religieuse, économique <strong>et</strong> politique. Nous tenterons alors de m<strong>et</strong>treen évidence la manière dont, à travers ce système, un groupe exprimeses valeurs, sa structure sociale <strong>et</strong> ses croyances. Dans c<strong>et</strong>teapproche, nous considérons la nourriture comme 1’instrument d’uneexpression sociale. C’est concevoir 1’aliment comme un symbole prisdans des rapports sociaux. L’anthropologie de l’alimentation, avecsa démarche scientifique de terrain, perm<strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre en évidencecomment les comportements alimentaires ont une logique interne,souvent non biologique, <strong>et</strong> compréhensible à 1’analyse.Conclusion : les recherches en anthropologie del’alimentation ; au carrefour de l’interdisciplinaritéOn l’aura bien compris, les enquêtes sont qualitatives <strong>et</strong> se basentsur la recherche de régularité mais aussi de singularités. Lesdonnées recueillies sont fines <strong>et</strong> fiables <strong>du</strong> fait de l’implication <strong>du</strong>chercheur sur la longue <strong>du</strong>rée mais aussi à cause <strong>du</strong> phénomènede saturation pris en compte (Berthaux 2005). L’avantage de ce typed’enquête tient à l’accès à des données inaccessibles lors d’enquêtequantitatives menées à grande échelle… L’inconvénient est le tempsL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201065

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