Surpoids <strong>et</strong> obésité : une norme bio médicale unique en questiond’indivi<strong>du</strong>s dits « caucasiens » (i.e. « européens »), ont montré qu’endessousde 19 kg/m² <strong>et</strong> au-dessus de 31 kg/m², les risques de mortalitéétaient élevés. La communauté scientifique s’est ensuite rapidementaccordée sur les valeurs-seuils que nous connaissons désormais <strong>et</strong>l’OMS a publié ses directives, « universellement » applicables, en 1995.Face à l’expansion rapide des problèmes de surcharges pondérales <strong>et</strong> àla nécessité de cerner efficacement l’état de santé des populations, c<strong>et</strong>teclassification, certes rigide mais pratique, a facilement été adoptée. Lorsde l’établissement de c<strong>et</strong>te nouvelle norme, les intérêts scientifiques sesont donc centrés sur les risques sanitaires associés à un excès pondéral,délaissant la problématique de la représentativité des échantillons d’étude<strong>et</strong> de l’applicabilité de telles références à toutes les populations.des « caucasiens ». A contrario, les populations chinoises, thaïs,indonésiennes <strong>et</strong> enfin éthiopiennes avaient des IMC inférieurs àcelui <strong>du</strong> groupe de référence. L’application d’une même valeur-seuilclinique sur estime donc les risques associés à un excès de massegrasse dans le premier groupe populationnel, <strong>et</strong> au contraire les sousestime dans le second.Figure 1 : Variation de l’IMC à genre, âge <strong>et</strong> composition corporelle identiques dansdifférentes populations, d’après Deurenberg <strong>et</strong> al. (1998).Cependant, les relations entre l’IMC <strong>et</strong> le pourcentage de masse grassedans le corps, <strong>et</strong> donc avec les risques sanitaires associés, présente unegrande variabilité inter populationnelle. L’application d’une norme unique,applicable à toutes les populations <strong>du</strong> globe, est donc débattue.Une variabilité inter populationnellePour comparer les relations entre l’IMC <strong>et</strong> le pourcentage de massegrasse dans différentes populations, deux types d’approchesexistent : soit, à partir d’un pourcentage de masse grasse fixe, lesauteurs définissent les IMC correspondants, soit à l’inverse, à partird’un IMC donné, ils déterminent le pourcentage de masse grassecorrespondant dans divers groupes.Deurenberg <strong>et</strong> al. (1998), s’appuyant sur 32 études publiées,ont comparé les variations de l’IMC dans sept populations, àgenre, âge <strong>et</strong> pourcentage de masse grasse identiques (fig. 1).L’échantillon des « caucasiens », regroupant des américains,des australiens <strong>et</strong> des européens, a servi de groupe de référencepour les analyses. Il est apparu que, pour une proportion demasse grasse égale, les polynésiens <strong>et</strong> les noirs américainsprésentaient des IMC significativement supérieurs à celuiL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201048
Surpoids <strong>et</strong> obésité : une norme bio médicale unique en questionD’autres études corroborent ces observations. Ainsi Wang <strong>et</strong> al. (1994)ont comparé la composition corporelle de deux groupes de new-yorkais :les uns « caucasiens » <strong>et</strong> les autres d’origine asiatique (chinois, japonais,coréens <strong>et</strong> philippins). Ils ont constaté que, à genre <strong>et</strong> âge identiques, lesindivi<strong>du</strong>s asiatiques présentaient un IMC plus bas mais une proportionde graisses dans le corps plus élevée que les caucasiens. De nombreuxpays asiatiques présentent ainsi une faible prévalence d’obésité mais destaux élevés de maladies liées à un excès pondéral significatif (risquescardio vasculaires, hypertension ou diabète de type 2 par exemple) (Cho2002 ; Kim <strong>et</strong> al. 2004). Ces tendances ont également été observéesen Chine (He <strong>et</strong> al. 2001 ; Lear <strong>et</strong> al. 2007), à Singapour (Deurenberg<strong>et</strong> al.., 2000), au Japon (Gallagher <strong>et</strong> al. 2000 ; Kagawa <strong>et</strong> al. 2006), enIndonésie (Gurrici <strong>et</strong> al. 1998), ou encore à Taiwan (Chang <strong>et</strong> al. 2003).Mis à part les travaux de Deurenberg <strong>et</strong> al. (1995 ; 1998), les étudesconcernant les populations africaines sont peu nombreuses. Rush<strong>et</strong> al. (2007) ont comparé deux groupes de femmes sud-africaines :les unes noires <strong>et</strong> les autres d’origine européenne. Ils ont constaté,à l’instar de Deurenberg <strong>et</strong> al. (1998), qu’à pourcentage de massegrasse identique, les femmes noires présentaient un IMC inférieuraux femmes d’origine européenne. Luke <strong>et</strong> al. (1997) ont, quant àeux, comparé deux populations américaines possédant un héritagegénétique africain (Etats-Unis <strong>et</strong> Jamaïque) <strong>et</strong> une population <strong>du</strong>Nigéria <strong>et</strong> ont démontré que, pour un IMC égal à 25 kg/ m², lesNigérians présentaient un pourcentage de masse grasse plusfaible que les américains (respectivement 16,4% <strong>et</strong> 25,8%).Les travaux de Rush <strong>et</strong> al. (2007) corroborent également lesrésultats de Deurenberg <strong>et</strong> al.. (2008) concernant la populationpolynésienne. Ils ont en eff<strong>et</strong> comparé la variabilité de larelation entre l’IMC <strong>et</strong> la composition corporelle en Nouvelle-Zélande, séparant les femmes d’origine européenne,maori, pacifique <strong>et</strong> indo-asiatique. Ils ont ainsi montréque, à composition corporelle identique, les femmespolynésiennes présentaient des IMC significativement supérieurs àcelui des femmes d’origine européenne. Craig <strong>et</strong> al.. (2001) ont suivila même démarche en rapprochant un échantillon de polynésiensdes îles <strong>du</strong> Tonga avec des Australiens d’origine européenne. Tantchez les femmes que chez les hommes, les IMC correspondants àune même composition corporelle sont plus élevés dans le groupe<strong>du</strong> Tonga.Ainsi, la relation entre l’IMC <strong>et</strong> la composition corporelle présenteune grande variabilité inter populationnelle. Les prévalences définiesà partir de la classification de l’OMS peuvent donner une imagebiaisée des risques sanitaires réels. En eff<strong>et</strong>, une sur-estimation ouau contraire une sous-estimation des prévalences modifiera le degréd’alarme <strong>et</strong> se répercutera directement sur les modalités des plansd’action en santé publique. Des mo<strong>du</strong>lations des limites ont donc étéproposées selon les populations considérées : un abaissement dansl’ensemble des populations asiatiques : 23 kg/m² pour le surpoids <strong>et</strong>27,5 kg/m² pour l’obésité (OMS 2004) ; <strong>et</strong> au contraire une élévationdans les populations polynésiennes : 28-29 kg/m² pour le surpoids <strong>et</strong>au-delà de 35 kg/m² pour l’obésité (Craig <strong>et</strong> al. 2001)Respecter de la variabilité humaineNous pouvons nous interroger sur la pertinence des différences « inter<strong>et</strong>hnies » fréquemment signalées dans la littérature. Dans différentesétudes, deux critères ont été utilisées pour différencier les diversespopulations : la localisation géographique sur le globe, chaquepopulation étant alors déterminée par un territoire (Deurenberg <strong>et</strong> al.1998 ; Craig <strong>et</strong> al. 2001), ou un critère généalogique, les origines desaïeuls déterminant la population d’appartenance (Wang <strong>et</strong> al. 1994 ;Rush <strong>et</strong> al. 2007). La définition d’une population se limite donc soità un facteur écologique très généraliste soit à un facteur génétiquequalifié par l’ascendance « <strong>et</strong>hnique ».L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201049