Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes <strong>et</strong> variabilitéLa détermination des «seuils» de normalité peut s’en trouver affectée.Pour remédier à ces inconsistances méthodologiques, de nombreuxprotocoles de construction de standards ont été proposés (Borghi <strong>et</strong> al2006, Preece, Baynes 1978, Ward <strong>et</strong> al 2001). Il n’en reste pas moinsque l’uniformisation des procédés de construction des standards est loind’être acquise, comme en témoignent, par exemple, les innombrablesformules d’estimation <strong>du</strong> poids fœtal (Dudley 2005).>La diversité des populations utilisées pour la construction des standardsSi les problèmes de «construction» des référentiels sont importants, <strong>et</strong>pas toujours explicités dans la littérature, ils restent négligeables parrapport à la question centrale de leur représentativité. Les disparitésgénétiques, sociologiques <strong>et</strong> médicales, créent une mosaïque de sousunités populationnelles distinctes. La question se pose alors de savoirs’il convient d’utiliser des «normes» de croissance pour chacun de cessous-groupes, ou un nombre restreint de normes à valeur universelle.Les choix ne sont pas neutres sur le plan conceptuel, <strong>et</strong> peuvent êtrelourds de conséquence. Par exemple, dans le domaine de la santépublique, la décision d’appliquer les normes de croissance des paysdéveloppés aux pays en voie de développement peut con<strong>du</strong>ire à unesurestimation des r<strong>et</strong>ards de croissance. Mais, à l’inverse, n’utiliserque des normes locales élaborées à partir de populations à fortemorbidité revient à sous estimer le nombre d’enfants «en défaut decroissance». Par ailleurs, on ne peut nier l’existence de différencesde «potentialités» génétiques entre groupes humains, commel’attestent les corrélations de taille parents-enfants. Comment alorsrendre compte de la complexité de la variabilité de croissancenormale au sein d’une population par définition hétérogène ?Doit-on établir des normes en fonction de la taille des parents ?Doit-on, au contraire, choisir une population de référence la pluslarge possible, à l’échelle d’un pays au risque d’augmenter lavariabilité, <strong>et</strong> donc de diminuer la sensibilité des standards? Leproblème de l’efficacité de standards universaux a été <strong>et</strong> estencore âprement débattu (Onis <strong>et</strong> al 2007, Wang <strong>et</strong> al 2006).Les standards de croissance pourraient être idéalementétablis à partir d’une population de référence locale. C<strong>et</strong>te solutionest certainement la plus fiable, moyennant quelques précautionsméthodologiques, mais elle nécessite un investissement pratiqueparfois difficile à réaliser, <strong>et</strong> la nécessité d’un renouvellement fréquenten fonction des changements populationnels. L’autre solutionconsiste à choisir un standard de croissance parmi ceux de lalittérature. Ce choix ne peut s’opérer uniquement sur des critères defiabilité méthodologique, mais doit pondérer les avantages respectifsdes différents standards disponibles en matière de spécificité <strong>et</strong> desensibilité.Utilisation pratique des standards de croissanceQuelle que soit la rigueur avec lequel un standard a été établi, sonutilisation pratique - c’est à dire son utilisation pour l’estimationindivi<strong>du</strong>elle de l’âge ou de la qualité de la croissance d’un indivi<strong>du</strong>- se heurte à deux difficultés :- Quel seuil doit-on prendre en compte pour délimiter la croissancepathologique de la croissance normale ? 5ème percentile ? 10èmepercentile ? – 2 écart-types ? Les usages sont très variables d’unediscipline médicale à l’autre, d’une variable biométrique à l’autre, <strong>et</strong>selon les centres d’études. Ceci montre la part d’arbitraire qui entourela notion de « normalité » de croissance, l’évaluation biométriquen’étant qu’un des éléments d’appréciation <strong>du</strong> développementindivi<strong>du</strong>el.- Comment évaluer correctement la croissance d’un indivi<strong>du</strong> à partirde standards de croissance moyens ? La comparaison, à un âgedonné, des dimensions d’un suj<strong>et</strong> avec des valeurs de référencesuffit-elle à détecter toute anomalie de la croissance ?L‘utilisation des courbes standards pour la surveillance indivi<strong>du</strong>ellede la croissance sous-tend un préjugé implicite : tous les enfantseutrophiques possèdent les mêmes types de courbe de croissance,la variabilité inter-indivi<strong>du</strong>elle restant faible. En réalité, la diversitédes cinétiques de croissance chez l’enfant sain rend impossiblel’appréciation de la qualité de la croissance à partir de mesuresL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201034
Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes <strong>et</strong> variabilitéisolées, à des instants donnés. L’estimation de la croissance ne peutqu’être dynamique.Au delà de c<strong>et</strong>te représentation statique de la variabilité intrapopulationnellede croissance, le rôle de l’anthropologie biologiqueest d’évaluer l’importance des variations indivi<strong>du</strong>elles de croissancechez l’enfant normal, <strong>et</strong> leur signification en termes d’adaptabilité auxcontraintes environnementales <strong>et</strong> biologiques.Références bibliographiquesBORGHI (E.), DE ONIS (M.), GARZA (C.), VAN DEN BROECCK (J.),FRONGILLO (E.A.), GRUMMER-STRAWN (L.) 2006, Multicentre GrowthReference Study Group. Construction of the World Health Organisationchild growth standards: selection of m<strong>et</strong>hods for attained growth curves.Statistics and Medicine 25: 247-65.DUDLEY (N.J.) 2005, A systematic review of the ultrasound estimation off<strong>et</strong>al weight. Ultrasound in Obst<strong>et</strong>rics and Gynecology 25:80-89GUIHARD-COSTA (A.M.), DROULLÉ (P.), THIEBAUGEORGES (O.),HASCOËT (J.M.) 2000, A longitudinal study of f<strong>et</strong>al growth variability.Biology of the Neonate 78 : 8-12.ONIS M., GARZA (C.), ONYANGO (A.W.), BORGHI (E.) 2007,Comparison of the WHO child growth standards and the CDC 2000growth charts. Journal of Nutrition 137(1) : 144-8.PINEAU (J.C.), GRANGE (G.), KAPITANIAK (B.), VAYSSIERE (C.),TOMIKOWSKI (J.), GUIHARD-COSTA (A.M.) 2008, Estimation off<strong>et</strong>al weight: accuracy of regression models versus accuracy ofultrasound data. F<strong>et</strong>al Diagnosis and Therapy 24 (2) : 140-5PREECE (M.A.), BAINES (M.J.) 1978, A new family ofmathematical models describing the human growth curve.Annals of Human Biology 5 (1) : 1-24.WANG (Y.), MORENO (L.A.), CABALLERO (B.), COLE (T.J.)2006, Limitations of the current world health organizationgrowth references for children and adolescents. Food andNutrition Bull<strong>et</strong>in 27 (4 Suppl Growth Standard): 175-88WARD (R.), SCHLENKER (J.), ANDERSON (G.S.) 2001, Simplem<strong>et</strong>hod for developing percentile growth curves for height and weight.American Journal of Physical Anthropology 116: 246-50L’auteurAnne-Marie GUIHARD-COSTADirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur de l’UPR « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces ».- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces » (Paris,France)courriel : anne-marie.guihard-costa@evolhum.cnrs.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201035