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L'anthropologie du vivant : objets et méthodes - CNRS - Dynamique ...

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Nicole CHAPUIS-LUCCIANI, Anne-Marie GUIHARD-COSTA <strong>et</strong> Gilles BOETSCHL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodesEditeur : <strong>CNRS</strong> GDR 3267Paris - 2010L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010


L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodesAvec le soutien de :- La Formation Permanente de la Délégation Provence <strong>et</strong> Corse <strong>du</strong> <strong>CNRS</strong>- Le Réseau Thématique Pluridisciplinaire « Anthropologie biologie des populations actuelles»- <strong>CNRS</strong> GDR 3267 « L’homme <strong>et</strong> sa diversité : dynamiques évolutives des populations actuellesParis - 2010Copyright photos de couverture : Jeanne -Claudie LarrocheNicole Chapuis-Lucciani, Joëlle Robert-LamblinMaqu<strong>et</strong>te : MAYER Laurent (laurent.mayer@sfr.fr) : Valor ConsultantsL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010


SOMMAIREAvant-proposPlaidoyer pour l’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>Antonio GUERCIIntro<strong>du</strong>ctionLes champs de l’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>. Obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> méthodesAnne-Marie GUIHARD-COSTACHAPITRE I. Anthropologie génétique, démographique <strong>et</strong> épidémiologiqueDu local au macro-géographique : quelle(s) « population(s)» en anthropobiologie ?Morgane GIBERTInfluence <strong>du</strong> mode de vie sur la diversité génétique en Asie CentraleLaure SEGUREL, Myriam GEORGES, Renaud VITALIS <strong>et</strong> Evelyne HEYERAnthropologie démographique des populations restreintes : <strong>du</strong> recueil des données à leur analyse. Exemples dans lespopulations arctiquesJoëlle ROBERT-LAMBLINÉtude biodémographique de deux populations alpines de l’Ancien Dauphiné : L’Argentière la Bessée (France) <strong>et</strong> Chiomonte(Italie)Marilena GIROTTI, Emma RABINO-MASSA <strong>et</strong> Gilles BOETSCH.Eléments d’épidémiologie bioanthropologiqueAlain FROMENTL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20101


CHAPITRE II «Anthropologie de la croissance, normes corporelles <strong>et</strong> alimentation »Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes <strong>et</strong> variabilitéAnne-Marie GUIHARD-COSTABiométrie <strong>et</strong> Modélisation de la croissance chez l’ImmatureLoïc LALYSQuantification de la croissance à partir des indices dentairesFernando RAMIREZ ROZZIVariabilité mondiale des normes corporelles de corpulence, entre pluralité biologique <strong>et</strong> pluralité socialeAude BRUS <strong>et</strong> Gilles BOETSCHL’image <strong>du</strong> corps chez les Sénégalais. Application à l’étude de l’obésité dans le contexte de la transition des modes de vieEmmanuel COHEN, Nicole CHAPUIS-LUCCIANI, Patrick PASQUET, Lamine GUEYE <strong>et</strong> Gilles BOETSCHPratiques alimentaires <strong>et</strong> croissance <strong>du</strong> jeune enfant (0-3 ans) en milieu urbain <strong>et</strong> péri-urbain à Dakar, SénégalEmilie BUTTARELLI, Nicole CHAPUIS-LUCCIANI <strong>et</strong> Lamine GUEYELes méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationChantal CRENN <strong>et</strong> Anne-Elène DELAVIGNECHAPITRE III « Anthropologie <strong>du</strong> vieillissement »L’anthropologie biologique : une approche holistique pour étudier le vieillissement humainNicole CHAPUIS-LUCCIANIUne approche synchronique <strong>du</strong> vieillissement : exemple d’étude de la population sénégalaise âgéeNicole CHAPUIS-LUCCIANI, Aissatou SIGNATE, Fatoumata HANE, Enguerran MACIA, Mamadou COUME, BérengèreSALIBA-SERRE <strong>et</strong> Lamine GUEYEL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20102


De l’échelle macro à l’échelle micro, les étapes d’un parcours…Anne-Marie Ferrandez, Bérengère SALIBA-SERRE <strong>et</strong> Philipe DE SOUTO BARRETOActivités instrumentales physiques de la vie quotidienne chez les personnes âgées : validation d’une échellePhilipe DE SOUTO BARRETO <strong>et</strong> Anne-Marie FERRANDEZDialogue interdisciplinaire ? De l’intérêt de l’anthropologie sociale <strong>et</strong> culturelle dans l’analyse <strong>du</strong> vieillissement chez lesSénégalais à Marseille.Fatoumata HANEFemmes marocaines âgées <strong>vivant</strong> seules en région parisienne <strong>et</strong> bruxelloise. Exemple d’une enquête qualitative comparantles processus d’intégration en Belgique <strong>et</strong> en FranceMajda CHERKAOUI <strong>et</strong> Nicole CHAPUIS-LUCCIANICHAPITRE IV Outils <strong>et</strong> modèlesLa Modélisation Statistique en Anthropologie Biologique <strong>du</strong> VivantBérengère SALIBA-SERRE« Méthodologie des groupes de discussion focalisés (focus groups) ; intérêt pour l’anthropologie biologique ».Priscilla DUBOZ <strong>et</strong> Enguerran MACIAMesure de la composition corporelle par ultrasons : innovation <strong>et</strong> applicationsJean-Claude PINEAUTomographie assistée par ordinateur (CT) <strong>et</strong> imagerie par résonance magnétique (MR) pour mieux comprendre <strong>et</strong> caractériserla croissance <strong>et</strong> le développent <strong>du</strong> cerveau <strong>et</strong> <strong>du</strong> crâneFernando VENTRICELe modèle Primate en anthropologie biologique. Exemple de la repro<strong>du</strong>ctionCécile GARCIAL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20103


Plaidoyer pour l’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>Antonio GUERCI“Le devoir de la science normale n’est absolument pas celui de découvrir de nouveaux genres de phénomènes; en eff<strong>et</strong> se sont souvent ceux quine pourraient pas s’adapter à un encadrement qui s’échappent complètement. Généralement les chercheurs ne tentent pas d’inventer de nouvellesthéories : ils se montrent intolérants envers celles qui ont été inventées par d’autres. La recherche au sein de la science normale s’adresse aucontraire à l’articulation de ces phénomènes <strong>et</strong> de ces théories qui sont déjà fournis par le paradigme“. (Kuhn 1962).CriseDans le panorama scientifique contemporain ce ne sont pas les réponses qui manquent, mais ce sont plutôt les questions qui font défaut. Il s’agitd’un problème général qui touche la totalité des disciplines <strong>et</strong> qui m<strong>et</strong> en cause le système de construction <strong>du</strong> savoir par discipline. La distinctiondes <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> d’étude <strong>et</strong> des techniques de recherche garantit que chaque discipline puisse <strong>et</strong> sache (<strong>et</strong> enfin doive) opérer indépendamment desautres disciplines, en construisant ses propres <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> selon des critères internes. Ainsi chaque discipline se trouve,- en interne : à appliquer un ensemble de règles rigides sur un segment toujours plus restreint <strong>et</strong> contrôlé par le milieu environnant ;- à l’extérieur : à ne pas pouvoir communiquer, ou à communiquer très faiblement, avec les autres disciplines <strong>et</strong> méthodes sur de mêmes <strong>obj<strong>et</strong>s</strong>scientifiques.L’Anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> n’a pas c<strong>et</strong>te vocation à l’isolement.Le principal problème « interne » de la science « normale » (Kuhn 1962) est la carence d’interprétation. C’est-à-dire que l’on accepte la donnéeissue <strong>du</strong> cadre qui l’a pro<strong>du</strong>ite, indépendamment de son potentiel critique par rapport aux protocoles <strong>et</strong> au système théorique sur lesquels se sontbasés les essais. En d’autres termes, dans la science normale, les données sont d’autant plus fiables qu’elles correspondent à ce qu’on attend<strong>et</strong> à ce qu’on veut trouver ; car de toute façon il n’existe pas (ou très peu) de mauvaises données.La crise d’identité actuelle de nombreux anthropologues dérive de leur démarche laborieuse pour trouver une juste place dans le « systèmerecherche » qui manifeste de plus en plus ses limites. Ce ne sont pas les études en anthropologie biologique qui sont en crise, c’est le modèlede recherche actuel tout entier qui l’est (Guerci 2007).Parcellisation des savoirsConsidéré dans son sens premier de « discours sur l’homme », la recherche en anthropologie part de quelques considérations fondamentales,parfois banales :- qui sommes-nous ?- d’où venons-nous ?- où allons-nous ?Comme tout ce qui engendre quelque chose de profondément infantile (plus précisément, dans le langage technique, « qui présente uneforte néoténie »), ces questions un peu simpl<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> un peu trop génériques peuvent dessiner des axes de recherche d’une très grandeimportance.Il ne s’agit pas, précisons-le tout de suite, de chercher des réponses anthropologiques à des problèmes d’ordre uniquement philosophiquemais de savoir maintenir la recherche en vie, en pratiquant « l’art de se poser des questions », ce qui est à l’origine même de lascience.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20104


Plaidoyer pour l’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>Nous contemplons aujourd’hui un alphab<strong>et</strong> des savoirs devant lequel nous sommes désormais tous analphabètes.Considérée comme une discipline académique, l’anthropologie souffre d’un mal dont aucun secteur n’est exempt : la fragmentation des savoirs poursatisfaire les répartitions ministérielles des secteurs « scientico-disciplinaires ».Il suffit d’inventorier le nombre de facultés <strong>et</strong> de cours de licences en Italie, où l’enseignement de l’anthropologie est programmé, pour constaterqu’il existe une multitude d’approches où l’anthropologie biologique des populations actuelles est un instrument utile <strong>et</strong> même un axe portant de laformation.Dans le domaine des disciplines scientifiques, l’anthropologie présente une particularité qui, aujourd’hui, a des difficultés à se transformer en uneforce <strong>et</strong>, parfois, c<strong>et</strong>te transformation s’est tra<strong>du</strong>ite par un désavantage : c’est sa position irré<strong>du</strong>ctiblement à mi-chemin, depuis ses origines, entreles sciences de la vie <strong>et</strong> les sciences humaines. C<strong>et</strong>te collocation a eu, dans le temps, un fort impact tant pour l’histoire de la discipline que pourl’évolution de la structuration des sciences de l’homme.Au cours <strong>du</strong> vingtième siècle, elle s’est trouvée en eff<strong>et</strong> dans une position privilégiée pour réaliser un important revirement : première parmi lessciences humaines, elle a transféré son propre bagage conceptuel non plus seulement vers des « <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> externes » (c’est-à-dire vers les populationsextra-européennes, « exotiques »), mais vers sa propre société de provenance <strong>et</strong> d’appartenance. On peut lire ce mouvement de réflexion commeune sorte de théorème de Gödel de nos sciences : les résultats, comme dans le plus célèbre énoncé mathématique, ont été surprenants <strong>et</strong> ont permitpendant un certain temps un repensement autoréflexif qui a contaminé même d’autres doctrines.Sous certains aspects l’anthropologie est, parmi les sciences humaines, ce que la logique mathématique est aux sciences « <strong>du</strong>res », <strong>et</strong> la philosophieaux disciplines humanistes : une sorte de collant universel, une discipline spécifique qui est aussi instrument <strong>et</strong> présupposé des autres.Sans vouloir pousser trop loin l’analogie, l’anthropologie pourrait constituer une sorte de centre dynamique, un point d’observation en continuelmouvement <strong>et</strong> l’interface entre ce qui se sait déjà <strong>et</strong> les lignes de recherche possibles qui restent encore à parcourir. Le status hybride del’anthropologie pourrait en outre se révéler une excellente piste pour sortir des spécialisations scientifiques excessives.Trop souvent, c<strong>et</strong>te position d’interface est plutôt perçue comme une faiblesse que comme une force, d’où en dérive une sorte d’imitation avecles sciences plus fortes (tant d’un point de vue de l’univocité épistémologique que de la position académique).Il existe dans le monde <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> au moins une espèce dont le patrimoine naturel ne coïncide pas immédiatement avec le mode de vie, <strong>et</strong>où le mode de vie modifie profondément le patrimoine même, sans pour cela avancer quelque prétention d’unicité, Homo sapiens con<strong>du</strong>ità l’extrême, en lui faisant faire un très important saut quantitatif, la tendance progressive à la culture qui caractérise déjà les mammifèressupérieurs <strong>et</strong> les primates.La dépendance actuelle de toute la recherche aux financements (publics ou privés) nous renvoie à une autre question : existent-ils, ouexisteront-ils à court terme, des domaines de recherche « neutres » consacrés uniquement à faire progresser le front <strong>du</strong> savoir ?En étudiant l’espèce Homo sapiens, les données de la génétique, de la sociologie, de la physiologie, de l’histoire, de la médecine, dela géographie, de l’écologie <strong>et</strong> de la philosophie s’appliquent à un unique obj<strong>et</strong>/suj<strong>et</strong> (Guerci 2007). Mais ce n’est pas suffisant : ellesinteragissent entre elles, en allant configurer un modèle d’analyse qui, par rapport au canon classique de la scientificité, intro<strong>du</strong>it unevariable très importante : celle de la variabilité historique. Les êtres humains ne constituent pas le résultat déterministe de donnéesdéjà disponibles (gènes, situation écologique, facteurs culturels), mais le résultat, en évolution perpétuelle, d’un long processusd’humanisation qui, phylogénétiquement <strong>et</strong> ontogénétiquement, les transforme <strong>et</strong> les modèle continuellement, tant dans les réponsesL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20105


Plaidoyer pour l’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>« culturelles » que « biologiques ».Nous nous confrontons donc à un processus d’anthropopoièse.Le positionnement à mi-chemin entre Sciences de la vie <strong>et</strong> Sciences de l’homme, combiné à une approche holistique ou systémique, configuredonc d’ores <strong>et</strong> déjà un terrain de dialogue où les données, les théories, les thèses <strong>et</strong> les problèmes des différentes disciplines pourront se croiser<strong>et</strong> s’hybrider. Il ne s’agit pas, bien enten<strong>du</strong>, de revendiquer la possession exclusive <strong>et</strong> centrale de ce terrain de rencontre, mais d’en discerner lespotentialités à une époque où la fragmentation des disciplines devient plus que jamais un problème. Il s’agit, évidemment, d’une politique scientifiqueà long terme, qui, comme toutes les entreprises de longue haleine, comporte des risques <strong>et</strong> des incertitudes. Mais aujourd’hui, on perçoit de toutesparts l’exigence pour la recherche de r<strong>et</strong>rouver sa vocation primaire : celle de pro<strong>du</strong>ire la connaissance au-delà de toute emprise pro<strong>du</strong>ctive.Priorités de la démarcheUne des oppositions conceptuelles les plus pernicieuses de l’histoire de l’Occident pèse encore aujourd’hui dans l’organisation académique del’anthropologie, fondée sur des oppositions entre nature <strong>et</strong> culture, nature e nurture, inné <strong>et</strong> acquis.Autour de c<strong>et</strong>te opposition de nombreuses pages ont été écrites mais, <strong>et</strong> c’est cela qui compte le plus, il ne s’agit absolument pas d’un thème pourpenseurs oisifs : n’importe quelle politique d’intervention sociale, de la plus élémentaire à la plus radicale, assume comme base substantielle unaxiome naturaliste ou même culturaliste, en se fondant sur une vision précise de l’homme, de son être au monde, de ses potentialités <strong>et</strong> de ses limites,en agissant en conséquence.Pour c<strong>et</strong>te raison l’anthropologie n’a jamais pu être neutre (<strong>et</strong> n’y réussit même pas aujourd’hui) par rapport aux choix politiques : quoi qu’on disesur Homo sapiens suppose aussitôt une réserve – pas toujours dans la direction atten<strong>du</strong>e – en termes de choix sociaux <strong>et</strong> de vision partagée <strong>du</strong>monde.C<strong>et</strong>te situation est vécue par certains comme une malédiction, par d’autres comme une force, mais dans les deux cas il s’agit d’un choixincontournable.Dès que la science occidentale aura définitivement abandonné l’opposition binaire nature/culture, on comprendra alors mieux la façon dont unegrande partie des sous-secteurs de la science devra se confronter avec l’anthropologie.Ainsi une discussion neutre sera possible <strong>et</strong> certains axes de recherche apparaissent déjà particulièrement prom<strong>et</strong>teurs (voir les secular trends,l’anthropologie de la santé, de l’alimentation, <strong>du</strong> vieillissement...).Dans un processus de ce genre, des opportunités inespérées s’offriront à l’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>, ainsi qu’à toute autre discipline« généraliste ».Déjà, en 1945, Merleau-Ponty affirmait que l’homme est totalement naturel <strong>et</strong> totalement culturel, <strong>et</strong> encore bien avant, Mantegazza (1877)souhaitait l’unitari<strong>et</strong>é des sciences anthropologiques <strong>et</strong> avant lui Villari (1871), fondateur de la première chaire d’anthropologie en Italie en1869, proclamait que l’histoire naturelle de l’homme doit être « la première page de l’histoire ».Le <strong>du</strong>alisme d’opposition entre nature/culture qui caractérise la pensée <strong>et</strong> l’action occidentales de ces derniers siècles a été, <strong>et</strong> est encore,la cause de dégradations scientifique, sociale, environnementale, économique <strong>et</strong> politique considérables.Heureusement, récemment, un front toujours plus large d’anthropologues s’est fait porteur d’un mouvement qui veut clore ce chapitredépassé de l’histoire scientifique. Parmi ceux-ci rappelons Descola (2005) pour l’intégralité <strong>et</strong> l’originalité innovatrices de ses pensées.Les constructions mentales humaines, <strong>et</strong> occidentales en particulier, sont des édifices <strong>du</strong>alistes qui fondent leurs racines en dichotomiesL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20106


Plaidoyer pour l’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>toujours réelles ou sublimées. L’opposition « nature <strong>et</strong> culture » n’est ni universelle, ni antique : pour de nombreuses populations ce concept estdépourvu de tout sens.Donc, ou nous continuons la voie des opposés « l’un contre l’autre armés» <strong>et</strong> nous transformons l’anthropologie en une « forme vide d’humanisme »d’une part <strong>et</strong> en une anthropologie moléculaire d’autre part, ou bien nous affrontons le paradigme d’« une culture de la nature <strong>et</strong> d’une nature de laculture » (Singl<strong>et</strong>on 2004).Récemment j’ai appris, qu’à la suite de l’intervention d’un anthropologue qui exposait ses recherches sur la biologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>, un interlocuteur peuaverti déclara : « Je pensais que cela n’existait plus! ». C<strong>et</strong>te affirmation, moins prosaïquement <strong>et</strong> plus correctement, peut être formulée en cestermes: « Mais existe-t-il encore une discipline qui puisse se poser des questions ? ».Dessins: Le razze umane – Luigi Figuier, 1874 Photos: Razze Umane Viventi – Soci<strong>et</strong>à Editrice Libraria Milano, 1926Corps normalisécorps stigmatisécorps racialiséDescriptions <strong>et</strong> constructionsanthropologiques se confondent:l’anthropologie devient anthropopoïèseDe la description de la variabilitéhumaine à la constructiond’identités “autres”L’Occident depuisdes siècles a construit lesautres cultures, sans toutefoisse rendre à l’évidence que mêmesa propre culture est une constructionnormativisée <strong>et</strong> le « divers » estnormé en fonction de lanormalité présuméede l’Occident même.Antonio Guerci – Chaire d’Anthropologie - DiSA Département de Sciences Anthropologiques <strong>et</strong> Musée d’Ethnomédecine “A. Scarpa” – Université de Gênes (Italie)Références bibliographiquesDESCOLA (P.) 2005, Par-delà de la nature <strong>et</strong> culture, EditionsGallimard, Bibliothèque des Sciences Humaines, Paris, 623 p.GUERCI (A.) 2007, Dall’antropologia all’antropopoiesi. Brevesaggio sulle rappresentazioni e costruzioni della variabilità umana,C. Lucisano Editore, Milano, 200 p.KUHN (T.S.) 1962, The Structure of Scientific Revolution, TheUniversity of Chicago Press, Chicago, 24 p.MERLEAU-PONTY (M.) 1945, Phénoménologie de la perception,Editions Gallimard, Paris, 59.MANTEGAZZA (P) 1877, L’accentramento della scienza, L<strong>et</strong>tera alquotidiano La Nazione, del 16 marzo 1877, XIX, n. 75 : 2.VILLARI (P) 1871, Intro<strong>du</strong>ction au cours universitaire de l’annéeacadémique 1871-1872.SINGLETON (M.) 2004, Critique de l’<strong>et</strong>hnocentrisme, Parangon,Paris, 79 p.L’auteurAntonio GUERCI-Professeur des universités, Titulaire de la Chaire d’Anthropologie, Directeur <strong>du</strong>Musée d’Ethnomédecine, Université de Gênes (Gènes, Italie)- Département de Sciences Anthropologiques, Section d’Anthropologiecourriel : antonio.guerci@unige.itTél. 0039 010 2095987L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20107


L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : quelles méthodes pour quelle spécificité ?Anne-Marie GUIHARD-COSTA, UPR 2147Par nature interdisciplinaire, l’anthropologie biologique a toujours été très liée aux domaines de recherche des disciplines voisines, biomédicales,sociales ou culturelles. Elle en a souvent adopté les méthodologies <strong>et</strong> les perspectives, au risque, parfois, de s’y fondre. L’investissement croissantdes anthropologues dans des problématiques nouvelles en sciences biologiques, environnementales, ou sociales va de pair avec une dispersionthématique qui constitue à la fois la richesse, mais également la faiblesse de l’anthropologie biologique.Et pourtant, l’anthropologie biologique possède une démarche scientifique spécifique, qui traverse la multiplicité de ses champs d’intervention.Le point commun à tous les anthropologues est de partager le même paradigme : celui de l’espace/temps, c’est à dire celui de la diversité <strong>et</strong> del’évolution humaine. Dans c<strong>et</strong>te perspective singulière, quel que soit le thème de recherche abordé, l’homme est toujours envisagé en tant qu’êtrebiologique, en total interaction avec son environnement physique, socio-économique <strong>et</strong> culturel.Pour se développer, l’anthropologie biologique doit s’appuyer sur une de ses caractéristiques essentielles : l’interdisciplinarité. Le caractère holistiquede l’anthropologie biologique est en soi une chance pour la connaissance scientifique en général. A une époque où la parcellisation des savoirs<strong>et</strong> l’hyperspécialisation de la recherche commencent à atteindre leurs propres limites d’efficacité, le développement d’un champ disciplinaire parnature ouvert à tous les aspects de la diversité biologique humaine s’avère particulièrement important sur le plan conceptuel, comme sur le planméthodologique. L’approche singulière de l’anthropologie biologique procure indéniablement aux disciplines voisines (biologiques, médicales,sociales <strong>et</strong> écologiques) un regard spécifique sur des <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> d’étude communs.De plus, la demande sociétale concernant l’anthropologie biologique est forte. Les interrogations sur l’évolution biologique de notre espèce, sonadaptation aux changements rapides de mode de vie <strong>et</strong> d’alimentation, l’influence des migrations sur l’évolution des flux géniques, les modificationsmorphologiques ou physiologiques éventuelles <strong>du</strong> corps humain dans un futur proche ou lointain, entrent dans le champ de la problématiqueanthropologique. Donner à comprendre la complexité des processus biologiques de transformation de notre espèce en fonction d’un milieuévoluant rapidement, tel est également l’enjeu de notre discipline.Cependant, en France, notre discipline est en crise, en termes de moyens matériels <strong>et</strong> humains qui lui sont consacrés. Nous ne sommes plusen mesure actuellement de répondre efficacement aux enjeux scientifiques énumérés plus haut.Bien enten<strong>du</strong>, les moyens à m<strong>et</strong>tre en œuvre relèvent en grande partie des choix de la politique scientifique des institutions <strong>et</strong> organismesqui structurent <strong>et</strong> financent la recherche. Il n’en incombe pas moins aux scientifiques eux-mêmes de formuler clairement les priorités <strong>et</strong>de proposer des actions structurantes aux différents acteurs de la recherche, afin de promouvoir <strong>et</strong> soutenir les initiatives dans ce champdisciplinaire.C’est dans le cadre de c<strong>et</strong>te démarche volontariste que s’est tenu à Carry le Rou<strong>et</strong>, <strong>du</strong> 1 au 4 octobre 2008, l’atelier de formation <strong>CNRS</strong>:«L’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : nouveaux <strong>obj<strong>et</strong>s</strong>, nouvelles méthodes 1 » , tout à la fois atelier de réflexion sur les évolutionsméthodologiques qui traversent notre discipline, <strong>et</strong> lieu de rencontre pour les acteurs de la recherche. Son but, au-delà de l’état des lieuxconcernant les nouvelles problématiques <strong>et</strong> méthodologies émergeantes, était de susciter des interrogations, croiser les points de vuesur des problématiques voisines, <strong>et</strong> par la même développer les échanges au sein de notre communauté. La présence, au cours dec<strong>et</strong> atelier, d’une grande partie des doctorants en anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>, invités à présenter leur propre démarche méthodologique,témoignait de c<strong>et</strong>te volonté de développer la discipline en assurant son avenir.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20108


L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : quelles méthodes pour quelle spécificité ?Les textes présentés ici sont le refl<strong>et</strong> <strong>du</strong> travail collectif de réflexion effectué au cours de c<strong>et</strong> atelier. Ils ne prétendent pas apporter une visionexhaustive des méthodologies employées pour l’étude anthropologique de populations actuelles, mais constituent certainement des pistes de travailà approfondir. De même, on ne saurait y trouver un catalogue de techniques plus ou moins spécifiques à l’anthropologie biologique : ce qui a étédemandé aux auteurs est de définir des processus méthodologiques, à partir de leur propre expérience de recherche. Ce travail mène évidemmentà une certaine hétérogénéité de l’ensemble, que nous n’avons pas cherché à gommer. Bien au contraire, c<strong>et</strong>te diversité tra<strong>du</strong>it parfaitement lamultiplicité des approches méthodologiques dans notre discipline, qui est la clef de sa richesse conceptuelle.Le plan général de l’ouvrage est structuré dans une perspective d’utilisation pratique, le lecteur devant pouvoir facilement trouver les informationsrépondant à sa problématique personnelle. C’est ainsi que les textes des différents auteurs sont regroupés en quatre grands chapitres. Les troispremiers chapitres alimentent la réflexion sur les avancées méthodologiques dans les grands domaines de recherche actuels de l’anthropologiebiologique : anthropologie génétique, démographique <strong>et</strong> épidémiologique, anthropologie de la croissance, normes corporelles <strong>et</strong> alimentation,anthropologie <strong>du</strong> vieillissement. Le quatrième chapitre, plus transversal, propose quelques réflexions sur le recueil <strong>et</strong> l’analyse des données enanthropologie biologique. Le format électronique offre l’avantage certain d’une grande possibilité de diffusion, une gratuité qui perm<strong>et</strong> à tous depouvoir le consulter. Puisse c<strong>et</strong> ouvrage électronique, non « figé » dans un support papier, rester temporaire <strong>et</strong> modifiable, signe d’une recherch<strong>et</strong>oujours <strong>vivant</strong>e.L’auteurAnne-Marie GUIHARD-COSTADirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur de l’UPR « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces ».- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces » (Paris, France)courriel : anne-marie.guihard-costa@evolhum.cnrs.fr1Organisateurs : N. Chapuis-Lucciani (UMR 6578), A.M.Guihard-Costa (UPR 2147), Gilles Boëtsch (UMR 6578), la Formation Permanente de la Délégation Provence <strong>et</strong> Corse <strong>du</strong> <strong>CNRS</strong>, leRTP « Anthropologie biologie des populations actuelles ».L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20109


Du local au macro-géographique : quelle(s) « population(s)» en anthropobiologie ?Morgane GIBERTMots-clés : population, échantillonnage, microévolutionIntro<strong>du</strong>ctionLe terme de « population » est largement employé dans enanthropobiologie, mais que signifie-t-il ? Le présent travail ne vise pasà définir « le » concept de population. L’objectif est plus de soulignerque la question fondamentale sur les unités de populations restelargement ouverte <strong>et</strong> que celles-ci doivent être définies en réponse à laproblématique posée.Des années 60 à aujourd’hui : un changement d’échelleAprès la seconde guerre, l’abandon de l’approche typologique au profitd’une perspective adaptationniste (Lainé 2000) replace l’étude del’évolution de l’Homme à l’interface de la biologie <strong>et</strong> de la culture ; del’environnement humain, naturel ou anthropisé (Little, Haas 1989).Des proj<strong>et</strong>s tels que ceux soutenus par l’International BiologicalProgram puis Man and the Biosphere sont représentatifs de cesrecherches où l’évolution des populations humaines est considéréedans sa complexité. L’approche méthodologique est alorspluridisciplinaire <strong>et</strong> les échelles géographiques considérées plutôtmicro-géographiques. Dans ce contexte, les p<strong>et</strong>its groupes («isolats ») s’imposent à l’intention générale grâce aux progrès dela génétique des populations.Avec le développement des techniques de l’ADN <strong>et</strong> de labioinformatique, l’anthropologie biologique se redéfinit (Crawford2007). On fait place d’avantage à la variation, aux « tendances» statistiques, aux gradients de fréquences (Laine 2000), auxcorrélations entre génétique <strong>et</strong> linguistique (Cavalli-Sforza1997). On observe alors une tendance à l’étude macrogéographiquede la variabilité humaine.Les contours de la Population :Quelle stratégie d’échantillonnage ?La définition de la population <strong>et</strong> l’échantillonnage représentent lapremière étape de toute étude anthropogénétique (Jobling <strong>et</strong> al.2004). Si tous les indivi<strong>du</strong>s de la terre pouvaient être échantillonnésil n’y aurait pas de problème de représentativité. Pour des raisonsfinancières comme éthiques, cela est bien enten<strong>du</strong> impossible, d’oùla nécessité d’une stratégie d’échantillonnage.Le développement d’une échelle micro-géographique vers uneéchelle macro-géographique se tra<strong>du</strong>it par une évolution desstratégies d’échantillonnage.Du point de vue historique, le terme d’ « isolat » fût créé en 1928par Wahlund qui considère alors des populations panmictiquesdont l’effectif demeure restreint au cours des générations <strong>et</strong> quin’échangent entre elles qu’un p<strong>et</strong>it nombre d’indivi<strong>du</strong>s. En 1929,Dahlberg redéfinira sur une base plus pragmatique le conceptd’« isolat », comme étant la population à l’intérieur de laquellechaque indivi<strong>du</strong> a la possibilité de se marier (Sutter, Goux 1961).En fait, la notion même d’isolat apparaît comme relative. Les termesde « population fermée » ou « p<strong>et</strong>ites populations » semblent plusappropriés (Jakobi 1984). Dans ce contexte, l’endogamie est lecritère de définition de la population.L’étude des « populations fermées » a permis la compréhensionde mécanismes de transmission <strong>et</strong> de microévolution au sein depopulations aisément identifiables dans le temps <strong>et</strong> dans l’espace.Toutefois, il apparaît rapidement que ces modèles sont rares <strong>et</strong> peureprésentatifs de l’ensemble de l’humanité. Les anthropologues sesont alors intéressés aux populations « ouvertes » tout en restantfidèles à leur approche démographique ou biodémographique(Crawford 2004 : 124). En particulier, la méthode généalogiqueperm<strong>et</strong> de cerner les limites de la population considérée grâceà la reconstitution des histoires indivi<strong>du</strong>elles, familiales oucommunautaires sur des périodes temporelles plus ou moins longues.1L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 10


Du local au macro-géographique : quelle(s) « population(s)» en anthropobiologie ?La détermination <strong>du</strong> cercle des mariages <strong>et</strong> le calcul de la probabilitéd’origine des gènes perm<strong>et</strong>tent alors d’évaluer la robustesse des limitesattribuées à la « population » (Boëtsch, Sevin 1990).Le recueil des données généalogiques reste cependant long, fastidieux <strong>et</strong>coûteux pour peu que les terrains soient éloignés. Dès lors, il est tentantde rechercher des critères plus simples de sélection des échantillons. Lespremières études biodémographiques ont souligné que le plus souvent,l’indivi<strong>du</strong> n’a pas la possibilité de se marier en dehors de certaineslimites géographiques, de certains milieux historiques, économiques,sociaux ou religieux (Sutter, Gou 1961). Par la suite, on a pu démontrerune corrélation entre distances génétiques <strong>et</strong> géographiques puis entredistances génétiques <strong>et</strong> linguistiques (Cavalli-Sforza <strong>et</strong> al. 1994).Avec le développement de recherches à l’échelle macro-géographique(Auton <strong>et</strong> al. 2009), les critères de définition de populations ne s’appuientplus sur la notion d’endogamie mais sur des critères plus larges telsque la proximité géographique, la langue, l’ « <strong>et</strong>hnie », la religion <strong>et</strong>la culture (Jobling 2004 : 274). Les indivi<strong>du</strong>s sélectionnés ne sontplus les membres d’une communauté clairement identifiée mais aucontraire des indivi<strong>du</strong>s échantillonnés aléatoirement sur une airegéographique <strong>et</strong>/ou au sein d’une population aux contours larges.Echantillon local, échantillon « poolé » :quelle stratégie ? pour quelle problématique ?Selon la stratégie adoptée on peut globalement définir deux typesd’échantillons : des échantillons « locaux » définis sur une basebiodémographique (stratégies de mariage, généalogies..) <strong>et</strong> deséchantillons « poolés » (ex : prélèvements en milieu hospitalier..)regroupant des indivi<strong>du</strong>s dispersés au sein d’un groupe culturel<strong>et</strong>/ou d’une aire géographique large.Selon Ptak <strong>et</strong> Przeworski (2002), les échantillons « poolés» sont les plus à même de perm<strong>et</strong>tre la détection d’unmaximum de variabilité. Ils sont donc les plus adéquats pourle développement d’une approche phylogéographique ou lamise en évidence de nouveaux polymorphismes. De même,Städler <strong>et</strong> al. (2009)soulignent que lespopulations « locales »tendant à s’écarter desconditions de panmixie,sont bien moinsindiquées que lespopulations « poolées» pour rechercher lesignal d’un évènementd é m o g r a p h i q u eancien. Si l’objectifest la descriptionde l’ensemble de lavariabilité ou la reconstruction de l’histoire ancienne <strong>et</strong> macrogéographiquede notre espèce, les échantillons « poolés » sont alorsporteurs de précieuses informations.Alors pourquoi rechercher des échantillons locaux, coûteux en temps<strong>et</strong> en argent ? Le premier argument est celui de la repro<strong>du</strong>ctibilitédes résultats (Hammer <strong>et</strong> al. 2003 ; Phillips-Krawczak <strong>et</strong> al. 2006).Ensuite, les échantillons locaux s’avèrent plus aptes à souligner lessous-structures des « populations » <strong>et</strong> la complexité de leur histoirecomme par exemple, les relations qu’elles ont pu entr<strong>et</strong>enir avec despopulations voisines au cours <strong>du</strong> temps (Gibert <strong>et</strong> al. 2010).Des positions intermédiaires :la recherche d’un compromisIl existe des positions intermédiaires, qui visent à améliorerl’échantillonnage sans aller jusqu’à l’étude exhaustive de ladémographie de la population. La démarche consiste alors à rechercherdes traits culturels suffisamment stables <strong>et</strong> caractéristiques d’une« population » pour pouvoir être considérés comme des caractèreshéritables.2L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 11


Du local au macro-géographique : quelle(s) « population(s)» en anthropobiologie ?L’un des traits culturels le plus étudié dans les populations européennesest sans doute le patronyme. Comme le précise Darlu (2004), le nomrenvoie dans bien des situations à une histoire généalogique parfoisancienne <strong>et</strong> à une aire géographique d’origine. Le patronyme en tantqu’élément de la démographie historique s’avère donc un moyen depénétrer <strong>et</strong> comprendre la complexité des sociétés <strong>et</strong> leur évolution dansle temps <strong>et</strong> dans l’espace.Bowden <strong>et</strong> al. (2008) montrent bien le potentiel des patronymes pouréliminer les bruits de fond résultant des migrations récentes, soulignerdes sous-structures <strong>et</strong> améliorer la compréhension de l’histoire despopulations. Toutefois, l’ancienn<strong>et</strong>é des patronymes varie d’unepopulation à l’autre (King, Jobling 2009). Dans ce cas, on peut rechercherd’autres traits culturelssusceptibles de tra<strong>du</strong>ireun lien de parenté :clans <strong>et</strong>/ou tribus, lieuxde rassemblement deslignées issues d’unmême ancêtre.Il faut toutefoisconsidérer ce traitau cas par cas, parexemple le terme de «tribu » ne représentepas en Asie Centrale(Chaix <strong>et</strong> al. 2006) lamême entité que chezles Bédouins <strong>du</strong> MoyenOrient. On voit bien ladifficulté à généralisersans connaissancespréalables desstructures de parenté<strong>et</strong> des stratégies demariage.Des positions extrêmes :la classification humaine <strong>et</strong> ses limitesL’augmentation <strong>du</strong> nombre de marqueurs utilisables a con<strong>du</strong>itcertains chercheurs à s’intéresser (ou se ré-intéresser) à la possibilitéd’assigner des indivi<strong>du</strong>s à de grands groupes <strong>et</strong> en conséquencede valider de tels groupes « <strong>et</strong>hniques » ou « continentaux ». Laconfusion entre <strong>et</strong>hnies <strong>et</strong> dèmes (Lainé 2000) est alors poussée àson paroxysme dans certains grands proj<strong>et</strong>s internationaux (voir Box9.2. dans Jobling 2004) où les objectifs biomédicaux surpassent lesobjectifs anthropologiques, <strong>et</strong> où la tentation <strong>et</strong>hno-raciale s’officialise(Foucard 2007).Comme le précisent Fan <strong>et</strong> al. (2008), la collecte d’échantillons surune « grande échelle dans différentes régions géologiques <strong>et</strong>/oudifférents groupes <strong>et</strong>hniques vise à extraire des informations desgènes pour comprendre des phénomènes biologiques de l’êtrehumain ainsi que le mécanisme de la pathogénèse ». L’obj<strong>et</strong> d’étudeici n’est plus la « population » mais le génome.Dans ce contexte, la stratégie d’échantillonnage se base sur le fait quela variabilité observée à l’échelle des continents pourrait contenir desinformations sur les pressions de sélection exercées sur différentesparties <strong>du</strong> génome (Calafell 2003). Dans ce cas, la stratégie ne visepas à définir les pourtours d’une population pour décrire la variabilitéqui la compose, mais à « construire » des groupes de telle sorte quedes contours de « population » existent. Le raisonnement est donccirculaire (Hardwood 2008).De telles recherches ont fourni de précieuses informations sur le rôlede la sélection naturelle dans l’évolution de notre espèce, la nature<strong>et</strong> les causes de la variation des taux de recombinaison, l’éten<strong>du</strong>e <strong>et</strong>la nature de la variation au sein <strong>du</strong> génome humaine (Auton 2009 ;Novembre, Di Renzo 2009). Pour autant, s’agissant de l’histoire <strong>du</strong>peuplement humain <strong>et</strong> celle d’une possible classification de l’Homme,il reste nécessaire de garder un certain recul quant à ces premiersrésultats (Larrouy 2008 ; Long <strong>et</strong> al. 2009).3L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 12


Du local au macro-géographique : quelle(s) « population(s)» en anthropobiologie ?Pour reprendre les termes de Jorde <strong>et</strong> al. (2001), il reste à établir lepont entre l’histoire évolutive <strong>et</strong> la génétique médicale. Le choix despopulations est sans doute un élément clé dans c<strong>et</strong>te démarche. Laparticipation grandissante d’anthropologues à de tels programmes derecherche apporte <strong>et</strong> apportera de nouveaux éléments de discussion,comme le laisse déjà entrevoir l’organisation de colloques sur cesthématiques en France <strong>et</strong> ailleurs («DNA Sampling - Strategies &Design», Paris 2007).ConclusionSi l’évolution des techniques (biopuces, séquençage …) perm<strong>et</strong>d’aborder la complexité à l’échelle <strong>du</strong> génome, l’interprétation de cesdonnées nécessite une démarche intégrative considérant les niveauxsupérieurs, ceux de la population <strong>et</strong> de l’espèce, <strong>et</strong> la complexité desprocessus qui les mo<strong>du</strong>lent.D’une part, l’étude micro-évolutive des populations peut éclairer l’histoire<strong>du</strong> peuplement <strong>et</strong> de la dynamique des populations, notamment pourdes échelles plus récentes. D’autre part, l’analyse des sous-structuresdes populations représente à l’ère <strong>du</strong> « génomique » un nouvelenjeu de l’anthropologie <strong>et</strong> de la médecine. En eff<strong>et</strong>, les premièresétudes épidémiologiques menées selon des approches cas-témoinà l’échelle génomique, montrent que la sous-structuration despopulations est une des causes majeures de faux positifs (Chen <strong>et</strong>al. 2009). Ainsi, la prise en compte des sous-structures est donc unparamètre essentiel pour la recherche d’association entre gènes<strong>et</strong> traits phénotypiques (Tian <strong>et</strong> al. 2008), ceci incluant les traitsrésultant de l’adaptation des populations à leur environnement(Excoffier 2009).RemerciementsJe remercie ici G. Boëtsch, G. Larrouy <strong>et</strong> A. Sevin, qui tantsur le terrain qu’en laboratoire ont bien voulu partager leursconnaissances sur la question des « populations ».Photos MG issues <strong>du</strong> programme ANR jcjc-0115 «Sibérie».Références bibliographiquesAUTON (A.), BRYC (K.), BOYKO (AR.), LOHMUELLER (KE.),NOVEMBRE (J.), REYNOLDS (A.), INDAP (A.), WRIGHT (MH.),DEGENHARDT (J.), GUTENKUNST (R.), KING (KS.), NELSON(MR.), BUSTAMANTE (CD.) 2009, Global distribution of genomicdiversity underscores rich complex history of continental humanpopulations, Genome research. 19: 795-803.BOWDEN (G.R.), BALARESQUE (P.), KING (T.E.), HANSEN (Z.),LEE (A.C.), PERGLE-WILSON (G.), HURLEY (E.), ROBERTS (S.J.),WAITE (P.), JESCH (J.), JONES (A.L.), THOMAS (M.G.), HARDING(S.E.), JOBLING (M.A.) 2008, Excavating Past Population Structuresby Surname-based Sampling: The gen<strong>et</strong>ic legacy of the Vikings inNorthwest England. Molecular Biology and Evolution 25(2): 301-09.BOETSCH (G.), SEVIN (A.) 1990, in A. Chaventré <strong>et</strong> DF. Roberts.(éds.) Approche pluridisciplinaire des isolats humains, congrès <strong>et</strong>colloques N°3, Editions de l’INED, pp. 383-400.CALAFELL (F.) 2003, Classifying humans, Nature Gen<strong>et</strong>ics 33: 435-36.CAVALLI-SFORZA (LL.), MENOZZI (P.), PIAZZA (A.) 1994, Thehistory and geography of human Genes. Princ<strong>et</strong>on University Press,Princ<strong>et</strong>on, 413p.CAVALLI-SFORZA (LL.) 1997, Genes, people and languages.Proceedings of the National Academy of Sciences USA. 94: 7719-7724.CHAIX (A.), QUINTANA-MURCI (L.), HEGAY (T.), HAMMER (M.F.),MOBASHER (Z.), AUSTERLITZ (F.), HEYER (E.) 2006, From socialto gen<strong>et</strong>ic structures in central Asia, Current Biology (17)1: 43-48.CHEN (J.), ZHENG (H.), BEI (J.X), SUN (L.), JIA (W.H.), LI (T.),ZHANG (F.), SEIELSTAD (M.), ZENG (Y.X.), ZHANG (X.), LIU (J.)2009, Gen<strong>et</strong>ic structure of the Han chinese population revealed bygenome-wide SNP variation. American Journal of Human Gen<strong>et</strong>ics85(6): 775-785.CRAWFORD (M.) 2007, Anthropological gen<strong>et</strong>ics. Theory, M<strong>et</strong>hodsand applications, Cambridge University Press, Cambridge, 476p.4L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 13


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Du local au macro-géographique : quelle(s) « population(s)» en anthropobiologie ?SUTTER (J.), GOUX (JM.) 1961, L’aspect démographique des problèmesde l’isolat, Population, 16(3): 447-462.TIAN (C.), GREGERSEN (PK.), SELDIN (MF.) 2008, Accounting forancestry : population substructure and genome-wide association studies.Human Molecular Gen<strong>et</strong>ics 17(2): R142-150.L’auteurMorgane GIBERTChargée de Recherche au <strong>CNRS</strong>FRE 2960 Laboratoire d’Anthropologie Moléculaire <strong>et</strong> Imagerie de Synthèse (Toulouse, France)<strong>CNRS</strong>, Université de Toulousecouriel : gibert@cict.frTél : 05-61-14-59-826L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201015


Influence <strong>du</strong> mode de vie sur la diversité génétique en Asie CentraleLaure SEGUREL, Myriam GEORGES, Renaud VITALIS, Evelyne HEYERIntro<strong>du</strong>ctionL’homme a évolué au cours de son histoire en étroite relation avecde nombreuses contraintes de nature aussi bien environnementalesque sociales. La répartition de la diversité génétique à l’intérieur despopulations <strong>et</strong> entre elles, aussi appelée structure génétique despopulations, est le refl<strong>et</strong> de tous ces changements. La génétique serévèle être un outil de choix pour comprendre l’histoire des populations,avec deux approches possibles <strong>et</strong> complémentaires. D’un côté, l’étudede la diversité génétique dans des régions « neutres » <strong>du</strong> génome(n’influençant pas la survie / repro<strong>du</strong>ction des indivi<strong>du</strong>s) nous perm<strong>et</strong> decomprendre l’histoire démographique des populations : flux migratoiresentre populations, croissance ou goulots d’étranglement, choix deconjoints... D’un autre côté, l’étude de la diversité génétique dans desrégions <strong>du</strong> génome sous sélection (influençant la survie / repro<strong>du</strong>ctiondes indivi<strong>du</strong>s) nous parle de l’histoire adaptative des populations :contraintes environnementales, nutritives ou infectieuses... Dansc<strong>et</strong>te étude, nous cherchons à comprendre en quoi, dans lespopulations humaines, le mode de vie au sens large peut être unfacteur d’évolution en tant que tel. Pour cela, notre objectif est dedéchiffrer la diversité génétique en Asie Centrale où cohabitentdes <strong>et</strong>hnies au mode de vie contrasté : d’un côté des éleveurstraditionnellement nomades organisés selon un mode de filiationpatrilinéaire, (les indivi<strong>du</strong>s se définissent selon leur ascendancepaternelle), les Kirghizes, Kazakhs, Turkmènes <strong>et</strong> Karakalpaks<strong>et</strong>, d’un autre côté, des agriculteurs sédentaires organisésde façon bilinéaire (les indivi<strong>du</strong>s se définissent d’après leurascendance paternelle <strong>et</strong> maternelle), les Tadjiks.Histoire démographiqueLa comparaison des marqueurs uni-parentaux, le chromosomeY <strong>et</strong> l’ADN mitochondrial, nous perm<strong>et</strong> de r<strong>et</strong>racer l’histoiredémographique des hommes <strong>et</strong> des femmes, respectivement.Depuis l’étude pionnière de Seielstad <strong>et</strong> al. (1998) nous savonsque les marqueurs uni-parentaux ont une répartition de la diversitégénétique différente qui semble refléter des histoires démographiquescontrastées entre hommes <strong>et</strong> femmes. Ces différences sont deplus corrélées à l’organisation sociale des populations dont, entreautres, les pratiques matrimoniales <strong>et</strong> les règles d’héritage (Oota<strong>et</strong> al. 2001 ; Hamilton <strong>et</strong> al. 2005 ; Chaix <strong>et</strong> al. 2007). Cependant,ces marqueurs ne représentent chacun qu’un unique marqueur nonrecombinant <strong>et</strong> leur diversité génétique est affectée par de multiplesfacteurs confondants, ce qui constitue une importante limite à cesétudes (Cummins 2001 ; Balloux 2009). Il semble donc maintenantimportant d’obtenir des données multi-locus (sur les autosomes <strong>et</strong>le chromosome X) pour mieux apprécier les différences de structuregénétique entre hommes <strong>et</strong> femmes, <strong>et</strong> caractériser l’influence del’organisation sociale sur l’histoire démographique sexe-specifique(Balaresque, Jobling 2007 ; Segurel <strong>et</strong> al, 2008). Ainsi, dans notreétude, la comparaison de données multi-locus entre populationspatrilinéaires <strong>et</strong> bilinéaires nous a permis de m<strong>et</strong>tre en évidenceque, dans les populations patrilinéaires, la création / séparationde groupes d’indivi<strong>du</strong>s habitant ensemble (phénomène de fusion/ fission fréquents chez les populations nomades) favorise leregroupement d’hommes apparentés. La diversité génétique estalors fortement ré<strong>du</strong>ite au sein des populations pour les hommes,mais non pour les femmes. De manière importante, ces résultatsn’ont pas été r<strong>et</strong>rouvé dans les populations bilinéaires, soulignantl’importance de l’organisation sociale comme facteur d’évolutionchez l’Homme.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201016


Influence <strong>du</strong> mode de vie sur la diversité génétique en Asie CentraleHistoire adaptativeEn parallèle, nous cherchons à r<strong>et</strong>racer l’histoire adaptative de cespopulations à travers l’étude de gènes liés à l’alimentation, puisqu’àpriori de tels gènes sont affectés par des processus adaptatifs différentsentre éleveurs <strong>et</strong> agriculteurs. Notre but est de mieux comprendredepuis quand, <strong>et</strong> dans quelle proportion, les populations d’Asie Centralese sont spécialisées respectivement dans l’élevage <strong>et</strong> l’agriculture.L’idée est donc ici de chercher des mutations qui ont été favorablesdans un mode de vie, mais non dans l’autre, <strong>et</strong> de dater l’expansion deces mutations pour connaître la période à laquelle chaque populationa effectué une transition d’un mode de vie chasseur-cueilleur versdes modes de pro<strong>du</strong>ction plus spécialisés. Nous avons ainsi étudié ladiversité de gènes liés à la digestion de la viande, <strong>du</strong> lait, des céréalesou des sucres, gènes ayant déjà été identifiés comme affectés par lemode de vie (Caldwell <strong>et</strong> al. 2004 ; Bersaglieri <strong>et</strong> al. 2004 ; Perry <strong>et</strong> al.2007). Nous avons également récolté des données physiologiques <strong>et</strong>anthropométriques accompagnées de questionnaires médicaux, surl’alimentation <strong>et</strong> l’activité physique, chez des Kirghizes (éleveurs) <strong>et</strong>des Tadjiks (agriculteurs), en milieu urbain <strong>et</strong> rural, afin de pouvoirvérifier nos prédictions génétiques sur des données phénotypiques.Nos résultats montrent que les agriculteurs <strong>et</strong> les éleveurs ontbien subi des pressions de sélection différentes (Segurel, 2010),<strong>et</strong> d’autres analyses à venir nous perm<strong>et</strong>tront de savoir à quellepériode correspondent ces nouvelles contraintes associées àune des transitions majeures dans l’histoire de l’Homme, leNéolithique.Références bibliographiquesBALARESQUE (P.), JOBLING (M.A.) 2007, Human populations:houses for spouses, Curr Biol 17: R14-6.BALLOUX (F.) 2010, The worm in the fruit of the mitochondrial DNAtree, Heredity 104(5):419-20BERSAGLIERI (T.), SABETI (P.C.), PATTERSON (N.),VANDERPLOEG (T.), SCHAFFNER (S.F.), DRAKE (J.A.), RHODES(M.), REICH (D.E.), HIRSCHHORN (J.N.) 2004, Gen<strong>et</strong>ic signaturesof strong recent positive selection at the lactase gene, Am J HumGen<strong>et</strong> 74: 1111-20.CALDWELL (E.F.), MAYOR (L.R.), THOMAS (M.G.), DANPURE(C.J.) 2004, Di<strong>et</strong> and the frequency of the alanine:glyoxylateaminotransferase Pro11Leu polymorphism in different humanpopulations, Hum Gen<strong>et</strong> 115: 504-509.CHAIX (R.), QUINTANA-MURCI (L.), HEGAY (T.), HAMMER (M.F.),MOBASHER (Z.), AUSTERLITZ (F.), HEYER (E.) 2007, From socialto gen<strong>et</strong>ic structures in central Asia, Curr Biol 17: 43-8.CUMMINS( J.) 2001, Mitochondrial DNA and the Y chromosome:parallels and paradoxes, Reprod Fertil Dev 13: 533-42.HAMILTON (G.), STONEKING (M.), EXCOFFIER (L.) 2005, Molecularanalysis reveals tighter social regulation of immigration in patrilocalpopulations than in matrilocal populations, PNAS U S A 102: 7476-80.OOTA (H.), SETTHEETHAM-ISHIDA (W.), TIWAWECH (D.), ISHIDA(T.), STONEKING (M.) 2001, Human mtDNA and Y-chromosomevariation is correlated with matrilocal versus patrilocal residence, NatGen<strong>et</strong> 29: 20-1.PERRY (G.H.), DOMINY (N.J.), CLAW (K.G.), LEE (A.S.), FIEGLER(H.), REDON (R.), WERNER (J.), VILLANEA (F.A.), MOUNTAIN(J.L.), MISRA (R.), CARTER (N.P.), LEE (C.), STONE (A.C.) 2007,Di<strong>et</strong> and the evolution of human amylase gene copy number variation,Nat Gen<strong>et</strong> 39: 1256-60.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 17


Influence <strong>du</strong> mode de vie sur la diversité génétique en Asie CentraleSEGUREL (L.), MARTINEZ-CRUZ (B.), QUINTANA-MURCI (L.),BALARESQUE (P.), GEORGES (M.), HEGAY (T.), ALDASHEV (A.),NASYROVA (F.), JOBLING (M.A.), HEYER (E.), VITALIS (R.) 2008, Sexspecificgen<strong>et</strong>ic structure and social organization in Central Asia: insightsfrom a multi-locus study, PLoS Gen<strong>et</strong> 4(9):e 1000200SEGUREL (L.) 2010, Mode de vie <strong>et</strong> diversité génétique dans lespopulations humaines d’Asie Centrale. These de doctorat, UniversitéPierre <strong>et</strong> Marie Curie - Paris VISEIELSTAD (M.T.), MINCH (E.), CAVALLI-SFORZA (L.L.) 1998, Gen<strong>et</strong>icevidence for a higher female migration rate in humans, Nat Gen<strong>et</strong> 20:278-80.Les auteursLaure SEGURELChercheure Post doctorante- UMR 7206 «Eco-anthropologie <strong>et</strong> <strong>et</strong>hnobiologie»(Paris, France)<strong>CNRS</strong> - MNHN - Université Denis Diderot Paris 7courriel : lauresegurel@gmail.comMyriam GEORGESAssistante-Ingénieure au <strong>CNRS</strong>- UMR7206 Eco-anthropologie <strong>et</strong> Ethnobiologie (Paris, France)<strong>CNRS</strong>, MNHN, Université Paris7courriel : georges@mnhn.frRenaud VITALISChargé de Recherche au Centre National de la Recherche Scientifique- UMR 1062 «Centre de Biologie pour la Gestion des Populations»(Montpellier, France)INRA – IRD – CIRAD – Montpellier SupAgrocourriel : vitalis@supagro.inra.frEvelyne HEYERProfesseur au Muséum National d’Histoire Naturelle- UMR 7206 «Eco-anthropologie <strong>et</strong> <strong>et</strong>hnobiologie»(Paris, France)<strong>CNRS</strong> - MNHN - Université Denis Diderot Paris 7courriel : heyer@mnhn.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201018


Anthropologie démographique des populations restreintes, <strong>du</strong> recueil des données à leuranalyse. Exemples dans les populations arctiquesJoëlle ROBERT-LAMBLINMots-clés : anthropologie démographique ; micro-approche ;enquête de terrain ; populations arctiquesL’ anthropologie démographiqueLes recherches en anthropologie démographique constituent unmoyen d’appréhender l’adaptation d’un groupe humain à sonenvironnement, par son aptitude à y survivre <strong>et</strong> à se repro<strong>du</strong>ire. Enétudiant des sociétés de dimension ré<strong>du</strong>ite (populations actuellesou historiques, bien délimitées, isolées comme les p<strong>et</strong>its groupes dechasseurs-cueilleurs ou d’autres minorités <strong>et</strong>hniques), l’anthropologieau sens large <strong>du</strong> terme s’efforce de prendre en compte l’ensemble desparamètres socioculturels <strong>et</strong> économiques, de même que les facteursenvironnementaux (Boëtsch <strong>et</strong> al 2007).L’étude des phénomènes démographiques <strong>et</strong> de leur évolutioncouvre un large champ de l’histoire des indivi<strong>du</strong>s <strong>et</strong> de leur société :naissance, maladie, décès, mariage, repro<strong>du</strong>ction, migration, effectifde population, structure par âge <strong>et</strong> par sexe, occupation <strong>du</strong> territoire,mode d’habitat, <strong>et</strong>c. J’accorderai ici un intérêt particulier à la mortalité<strong>et</strong> à la fécondité, pour deux raisons essentielles. Les tendances de lamortalité -générale <strong>et</strong> infantile- sont de bons indicateurs de l’impactde l’environnement, comme de la santé physique <strong>et</strong> psychiqued’une population. L’étude de la natalité <strong>et</strong> de la fécondité perm<strong>et</strong> depercevoir les changements de comportements au sein <strong>du</strong> couple<strong>et</strong> de la famille, ainsi que d’observer l’évolution <strong>du</strong> patrimoinegénétique d’une population. Des exemples seront pris parmides populations arctiques que j’ai étudiées : les chasseursde mammifères marins inuit <strong>du</strong> Groenland de l’est, ainsi quecertaines minorités de renniculteurs de Sibérie nord-orientale.Ces communautés qui vivent dans un milieu très contraignant,ont été tardivement atteintes par la colonisation ; les processusde sédentarisation, la médicalisation <strong>et</strong> la scolarisation, ontentraîné une acculturation accélérée <strong>et</strong> des changementssociaux majeurs.Au Groenland oriental (Ammassalik <strong>et</strong> Scoresbysund), monL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010observation des transitions a pu se faire au moyen d’un suivi surquarante années : 1967-2007 (Robert-Lamblin 1994 <strong>et</strong> 2008). Mesenquêtes de terrain ont été complétées en outre par de nombreusessources (25 recensements nominatifs, anciens <strong>et</strong> récents, desregistres paroissiaux <strong>et</strong> hospitaliers, les généalogies établies parRobert Gessain, en 1934 <strong>et</strong> 1966, <strong>et</strong> une enquête sur la féconditéréalisée par la sage-femme est-groenlandaise Sofie Jorgensen, en1972). En Sibérie, des enquêtes plus ponctuelles ont été effectuéesdans différents groupes <strong>et</strong>hniques.Description succincte des méthodesUne fois bien définie la population à étudier (population entièreou sélection d’un groupe) <strong>et</strong> son contexte socio-culturel<strong>et</strong> environnemental bien précisé, la spécificité de l’approcheanthropologique dans le domaine démographique réside dans lesméthodes particulières de collecte des données :- enquêtes <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>iens approfondis, adaptés à la population étudiée,<strong>et</strong> effectués auprès d’indivi<strong>du</strong>s ou de groupes familiaux situés dansleur propre cadre de vie ;- recoupement des données de l’enquête avec d’autres informations,afin de préciser <strong>et</strong> compléter les éléments recueillis;- mise en lumière de comportements <strong>et</strong> opinions, selon les générationsou les groupes socio-économiques;- suivi dans le temps de l’évolution démographique de la communauté(enquêtes sur le long terme);- constitution de généalogies biologiques <strong>et</strong> reconstruction historiqueà l’échelle locale.Exemple de l’enquête sur les femmes <strong>et</strong> la familleL’enquête réalisée auprès des femmes a<strong>du</strong>ltes a été menée aumoyen de questionnaires préétablis, complétés par des entr<strong>et</strong>iensde type ‘ouverts’. Ces informations recueillies directement auprèsdes femmes sont en outre accompagnées d’autres provenantd’entr<strong>et</strong>iens con<strong>du</strong>its auprès de sages-femmes, médecin local,personnel de dispensaires, responsables des affaires sociales…19


Anthropologie démographique des populations restreintes, <strong>du</strong> recueil des données à leur analyse.Exemples dans les populations arctiquesEnfin, lorsqu’elles existent, ce qui n’est pas toujours le cas dans les paysen voie de développement, des données d’Etat-civil sont collectées :registres de naissances <strong>et</strong> de morts, recensements administratifs,données médicales, registres paroissiaux, qui vont venir compléter nosinformations, les recouper, pallier les imprécisions ou omissions del’enquête directe auprès des familles.Le questionnaire d’enquêteSchématiquement présentées, les différentes catégories de donnéesrecueillies au moyen <strong>du</strong> questionnaire portent,- sur les femmes :. leur âge aux premières règles, première maternité, dernière maternité<strong>et</strong> ménopause. L’âge au mariage, au veuvage, ainsi que l’âge à chaquematernité ;. ont-elles des pratiques contraceptives ? Si oui, quelle méthode estutilisée <strong>et</strong> sur quelle <strong>du</strong>rée ? Quelle est leur conception de la dimensionidéale de la famille ?. les techniques d’accouchement sont notées en milieu traditionnel ;. le mode d’alimentation <strong>du</strong> nourrisson : sein, biberon, ou autres, ainsique la <strong>du</strong>rée de l’allaitement ;. en outre, le niveau d’é<strong>du</strong>cation <strong>et</strong> la profession de la femme (<strong>et</strong> celle<strong>du</strong> conjoint) constituent des informations importantes.- sur les enfants, les informations recueillies nous indiquent :. le nombre, le sexe <strong>et</strong> l’intervalle entre les naissances ;. la mortalité fœtale (avortements spontanés ou provoqués), ainsi quela mortalité des enfants à la naissance ou en bas âge, des donnéessouvent sous enregistrées dans les documents administratifs ;. le métissage ;. les personnes ayant la charge des enfants <strong>et</strong> les casd’adoption.- concernant les conjoints, nous sommes renseignés sur :. leur origine <strong>et</strong>hnique <strong>et</strong> le mode de choix <strong>du</strong> conjoint ;. le degré de parenté entre époux admis socialement ;. la différence d’âge entre les conjoints ;. l’âge <strong>et</strong> la cause <strong>du</strong> décès, le cas échéant.- concernant la cellule familiale, nous apprenons,. si les deux parents vivent ensemble, en tant que célibataires,mariés, divorcés, remariés ;. ou bien s’il s’agit d’une famille monoparentale ;. quel est le rôle (souvent primordial) des grands-parents -maternelsou paternels- dans la famille.- les autres informations recueillies lors de c<strong>et</strong>te enquête perm<strong>et</strong>tentencore d’apporter un éclairage utile :. sur l’histoire des migrations des indivi<strong>du</strong>s ou des familles ;. sur les changements de comportements intervenus entre lesdifférentes générations de femmes, changements souvent en rapportavec un niveau d’é<strong>du</strong>cation supérieur des filles par rapport à leursmères ;. sur des différences observables entre régions géographiques ouentre groupes <strong>et</strong>hniques cohabitant dans la même région.Le dépouillement des données recueilliesIl comprend le codage des informations contenues dans les réponsesau questionnaire <strong>et</strong> à l’entr<strong>et</strong>ien (assurant ainsi l’anonymat <strong>et</strong> laconfidentialité des données personnelles), la constitution d’une baseinformatisée, puis le suivi <strong>du</strong> traitement statistique de ces paramètresdémographiques replacés dans leur contexte socio-culturel.L’exploitation des résultatsOn peut procéder à une analyse de type longitudinal, en s’intéressantpar exemple à une génération de femmes ayant vécu les mêmesévénements pendant une même période de temps, ou bien d<strong>et</strong>ype transversal, en observant à un moment donné des femmes degénérations différentes. On obtient ainsi une analyse dynamique del’évolution de la population (Robert-Lamblin 1988), ou au contraire,un cliché instantané de la société étudiée (tableau I, extrait de Robert-Lamblin 2001).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201020


Anthropologie démographique des populations restreintes, <strong>du</strong> recueil des données à leur analyse.Exemples dans les populations arctiquesTableau I - Enquête auprès des femmes des minorités autochtones de Sibérie nord-orientale :premiers résultats de l’enquête sur les femmes <strong>et</strong> la famille à Berëzovka (Yakoutie)(59 femmes interrogées, âgées de 20 à 77 ans, sur un total de 98 femmes ayant 20 ans <strong>et</strong> plus, en 2000)Groupe d’âgedes femmes50 ans <strong>et</strong> plusn = 1240 à 49 ansn = 1330 à 39 ansn = 1620 à 29 ansn = 18Ensemblefemmes20 ans <strong>et</strong> plusn = 59Nb d’enfantspar femme:nb moyen(min/max)5,7(2/13)3,9(1/10)2,5(1/4)2,1(1/4)3,3(1/13)Familleidéale: nbd’enfantsen moyenne(min/max)7,7 1(4/10)4,9 2(2/15)3,5(2/10)3,5(2/10)4,4 3(2/15)Contraception:nb de femmes yayant eu recours21071433Age aux lèresrègles: âgemoyen *(min/max)15,7(13/20)13,6(11/18)13(11/16)12,5(11/16)13,5(11/20)* en années <strong>et</strong> dixièmes d’années 1 : 7 réponses - 2 : 11 réponses - 3 : 52 réponsesRésultats <strong>et</strong> analysesAge à la lèrematernité: âgemoyen *(min/max)22,8(19/27)23,4(19/35)21,6(17/26)19,2(17/24)21,5(17/35)Le passage de la fécondité naturelle à la fécondité contrôlée oumaîtrisée, avec un suivi de la transition démographique au cours deson déroulement (Chesnais 1986) est un suj<strong>et</strong> d’intérêt.L’étude de la natalité à Ammassalik, ses trois phases1/ La période de fécondité naturelle à Ammassalik, sans limitationdes naissances : taux de natalité variant de 30 à 40‰ ; 8 à 9enfants mis au monde par femme, dont 3-4 sur<strong>vivant</strong>s ; féconditélongue <strong>et</strong> régulière de 20 à 34 ans ; grossesses tardivesfréquentes ; espacement des naissances de 24 à 36 mois, liéà un long allaitement.Age à la dernièrematernité:âge moyen *(min/max)35(23/49)32,6(24/40)27,12/ Une augmentation de la natalité <strong>du</strong>e à : l’assistancemédicale ; la stabilisation des unions après lachristianisation (<strong>et</strong> l’interdiction de divorce) ; le débutde libéralisation des moeurs avant le mariage ; ladiminution <strong>du</strong> temps de l’allaitement (donc de l’intervalleintergénésique) <strong>et</strong> le phénomène de jeunesse de lapopulation influant sur la structure par âge. Entre 1950<strong>et</strong> 1959, le taux de natalité varie de 50 à 55‰. En 1965,doublement de la population en 20 ans (sans immigration<strong>et</strong> avec une émigration non négligeable).3/ L’intro<strong>du</strong>ction de la contraception : programme danoisappliqué en 1969 ; diffusion très rapide par les sagesfemmesgroenlandaises, auprès de toutes les générationsde femmes <strong>et</strong> dans toutes les localités (figure 1).Figure 1 - Passage de la fécondité naturelle à la féconditécontrôlée : évolution <strong>du</strong> taux de fécondité par âge desfemmes d’Ammassalik, selon la génération <strong>et</strong> la période(497 femmes recensées en 1976 <strong>et</strong> suivies jusqu’à décembre 1986)La courbe A correspond à la période précédant la campagnede limitation des naissances (avant 1969)la courbe B, à la période malthusienne.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201021


Anthropologie démographique des populations restreintes, <strong>du</strong> recueil des données à leur analyse.Exemples dans les populations arctiquesEn deux ans, chute de la natalité de 47‰ à 28‰, puis en 5 ans :à 17‰ (car autorisation d’I.V.G. en 1973). Même s’il y eut par lasuite une certaine reprise de la natalité, les comportements se sontmodifiés.Les mentalités féminines ont changé en très peu d’années, démontrantune prise de conscience rapide <strong>et</strong> une mise en pratique immédiatedes nouvelles idées, même dans un domaine aussi important <strong>et</strong>fondamental que la maternité. Les changements récents dans lavie repro<strong>du</strong>ctive des femmes se caractérisent par une limitation <strong>du</strong>nombre d’enfants mis au monde (en moyenne 7,2 enfants dans lesannées 1960 ; 2,9 en 2005). L’arrêt de la fécondité pendant plusieursannées peut être suivi d’une reprise pour une ou plusieurs grossessespour des raisons particulières. Les dernières maternités sont moinstardives <strong>et</strong> partant l’âge moyen des mères à la naissance de leursenfants moins élevé.Parmi les changements fondamentaux opérés au sein de la famillegroenlandaise, les naissances hors mariage sont devenues la règle,mariage <strong>et</strong> repro<strong>du</strong>ction se sont totalement dissociés. Les unionssont peu stables, séparations <strong>et</strong> divorces fréquents. Le tableau II(tableau II ) indiquant par qui sont élevés les enfants de moins de15 ans à deux périodes successives (Robert-Lamblin 1999), reflètec<strong>et</strong>te transformation de la famille.L’évolution de la mortalité1/ La période des premiers contacts <strong>et</strong> les problèmes de surviedans un environnement très sévère, se caractérisent par : desaccouchements sans sage-femme, sans hygiène ; une mortalitéinfantile élevée (248 ‰ en 1897-1901) ; un taux de mortalitégénérale situé autour de 35 ‰. Les décès à l’âge a<strong>du</strong>lte sont <strong>du</strong>sprincipalement aux famines, accidents de chasse <strong>et</strong> de transport,homicides <strong>et</strong> vend<strong>et</strong>tas chez les hommes, accouchements chezles femmes.2/ Contacts <strong>et</strong> colonisation ont entraîné une ré<strong>du</strong>ction de lamortalité avec la disparition des famines, l’amélioration del’hygiène aux accouchements <strong>et</strong> la baisse de la mortalitéinfantile dès la formation de sages-femmes, enfin uneassistance médicale considérable.Tableau II - Contexte familial dans lequel étaient élevés, en 1976 <strong>et</strong> 1990,les enfants d’Ammassalik âgés de 0 à 14 ansPopulation est-groenlandaise dela commune d’Ammassalik:enfants présents en 1976 enfants présents en 1990enfants âgés de 0 à 14 ans Nb % Nb %Enfants habitant avec leurs deux parents :…mariés 550 57 332 37,6…non mariés 27 2,8 112 12,7…Total 577 59,8 444 50,2Habitant avec leur mère :…mariée à un autre homme 53 5,5 15 1,7…veuve 35 3,6 17 1,9…divorcée ou séparée 31 3,2 30 3,4…non mariée 91 9,5 155 17,6…Total 210 21,8 217 24,6Habitant avec leur père :…veuf 17 1,8 7 0,8…divorcé ou séparé 12 1,2 25 2,8…Total 29 3 32 3,6Enfants habitant chez leurs grands-parents :…maternels 48 5 78 8,8…paternels 10 1 18 2…Total 58 6 96 10,9Habitant chez leurs oncles ou tantes :…maternels 27 2,8 24 2,7…paternels 12 1,2 10 1,1…Total 39 4 34 3,8Habitant chez des parentséloignésElevés par d’autres personnes(placés ou adoptés)Ensemble des enfants âgés de 0à 14 ans16 1,7 22 2,536 3,7 39 4,4965* 100% 884** 100%*Recensés au 31 décembre 1976 * * Recensés au 31 juill<strong>et</strong> 1990L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201022


Anthropologie démographique des populations restreintes, <strong>du</strong> recueil des données à leur analyse.Exemples dans les populations arctiquesMais en même temps, de nouvelles causes de mortalité ont faitleur apparition : épidémies mortelles (en l’absence d’immunité) <strong>et</strong>maux sociaux. Au début <strong>du</strong> XXè siècle, le taux de mortalité reste trèsfluctuant, jusqu’au milieu <strong>du</strong> XXè siècle <strong>et</strong> l’usage des antibiotiques.Actuellement, le taux de mortalité générale se trouve proche de celuides pays européens (10 à 15‰), mais il existe un eff<strong>et</strong> de la structurepar âge de la population qui est jeune.Le taux de mortalité infantile, très en baisse (tableau III), restecependant encore élevé (32‰) malgré la généralisation desaccouchements à l’hôpital. Comme précédemment, c<strong>et</strong>te mortalitéest essentiellement périnatale (de la première semaine).En raison de l’assistance médicale <strong>et</strong> sociale prodiguée aux personnesâgées, l’âge moyen au décès est en progression, mais on constateune inégalité entre les sexes (tableau IV). Un risque nouveau demort accidentelle ou violente, dû à l’alcoolisme, est apparu dansles années 1960. Dans la période la plus récente, 38% des décèssurvenus à Ammassalik, sont des morts violentes (accident, suicide<strong>et</strong> homicide).Tableau III - Evolution de la mortalité infantile dans la population estgroenlandaised’AmmassalikAnnées Taux pour 1.0001942-1946 1571947-1951 1811952-1956 1201957-1961 1141962-1966 1461967-1971 1091972-1976 841977-1981 601982-1986 611997-2001 342002-2006 32Tableau IV- Evolution de l’âge moyen au décès, au cours de périodessans épidémie mortelle,(population est-groenlandaise d’Ammassalik)Périodesâge moyen au décès(mortalité infantile incluse)âge moyen au décès(mortalité infantile exclue)hommes femmes hommes femmes(a) 1937-46 18 21 26 33(b) 1977-86 22 32 32 41(c) 1987-96 33 38 38 45(d) 1997-2006 46 54 47 56En 2007, la population est composée pour un tiers de jeunes demoins de 15 ans <strong>et</strong> seulement 7% de celle-ci atteint ou dépasse60 ans (figure 2), car en dépit de l’assistance médicale <strong>et</strong> socialedéployée, un certain nombre de facteurs s’opposent toujours àl’élévation de la <strong>du</strong>rée de la vie : des facteurs climatiques, maisaussi économiques <strong>et</strong> sociaux. On observe le même phénomènedans l’ensemble <strong>du</strong> Groenland (figure 3), en Alaska, au Canada <strong>et</strong>en Sibérie. Ces nouvelles causes de mortalité sont révélatrices <strong>du</strong>malaise psychologique <strong>et</strong> social que connaissent les populationsarctiques.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201023


Anthropologie démographique des populations restreintes, <strong>du</strong> recueil des données à leur analyse.Exemples dans les populations arctiquesSources: Informations de la commune d’Ammassalik<strong>et</strong> documentation.’Greenland’s Statistics’Figure 2 - Pyramide des âges de la population d’Ammassalik (née auGroenland), au 1er janvier 2007Population totale = 2871 indivi<strong>du</strong>sAges9080706050403020100Population groenlandaise d'Ammassalik au 01.01.2007-2 0 0 -1 0 0 0 1 0 0 2 0 0Hommes- N=1450 Femmes- N=1421L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 20109080706050403020100Nb d'indivi<strong>du</strong>sLe déficit de la classe d’âge 30-35 ans (née en 1970-74) sur la pyramide reflète le fort impact de lacampagne en faveur de la contraception lancée en 1969, suivi toutefois par une reprise de la natalitéaprès 1975.Intérêt <strong>et</strong> limites des méthodesL’approche anthropologique des phénomènes démographiquesrend possible une analyse fine de la fécondité <strong>et</strong> destransformations de la famille, ou encore de l’évolution de lamortalité a<strong>du</strong>lte <strong>et</strong> infantile, au sein d’une même population,dans un contexte de changements socioculturels. Les enquêtesde longue <strong>du</strong>rée, à passages répétés, perm<strong>et</strong>tent notammentd’observer les modalités de la transition démographique aucours même de son déroulement. Elles servent par ailleursà établir des comparaisons avec d’autres populationspartageant des paramètres communs : origine, culture ouenvironnement.Figure 3 - Evolution de l’espérance de vie de la population groenlandaised’après les données statistiques démographiques <strong>et</strong> médicalesAgesE sp é ran ce d e v ie à la n aissan ce d e la p o p u latio nn é e au G ro e n lan d70686664626058565452501 95 4 -19 5 81 95 9 -19 6 01 96 1 -19 6 51966-19701971-19751976-19801981-19851986-1990P é rio d e s1 99 1 -19 9 51 99 6 -20 0 0 2 00 1H om m esF em m esUne telle démarche rejoint les recherches de certains démographess’étant orientés vers la ‘micro-approche’ <strong>du</strong> terrain. On se reporteraà la notion d’« observatoires de population », expression désignanttoute étude suivant pendant une longue période (plusieurs annéesou dizaines d’années) une population entière, clairement délimitée(ville ou ensemble de villages), en recueillant régulièrement desinformations sur les événements y survenant (naissances, décès,unions ou ruptures d’union, migrations). Des chercheurs de l’INEDont développé ce concept <strong>et</strong> ces méthodes, en particulier GillesPison (2005) au Sénégal.24


Anthropologie démographique des populations restreintes, <strong>du</strong> recueil des données à leur analyse.Exemples dans les populations arctiquesLes généticiens de population <strong>et</strong> épidémiologistes s’intéressent auxbases de données ainsi constituées pour appuyer leurs propres études.Enfin, les archéologues ou préhistoriens travaillant sur les populations <strong>du</strong>passé recherchent dans ces analyses des modèles de référence (tellesque celles qui concernent les p<strong>et</strong>its groupes de chasseurs-cueilleurs).Toutefois, les limites de l’approche de type micro-démographiqueapparaissent dans les difficultés rencontrées pour mesurer <strong>et</strong> quantifierdes éléments qualitatifs ou des facteurs explicatifs. De même, la faibledimension des effectifs étudiés peut limiter la portée de certains résultatsen amplifiant quelques phénomènes ou en les rendant anecdotiques.Références bibliographiquesBOËTSCH (G.), CAZES (M.−H.), DUBOZ (P.), ROBERT−LAMBLIN(J.) 2007, Recherches en anthropologie démographique : le casdes populations restreintes, in A.-M. Guihard Costa, G. Boëtsch,A. Froment, A. Guerci <strong>et</strong> J. Robert-Lamblin (éds), L’Homme <strong>et</strong> sadiversité. Perspectives <strong>et</strong> enjeux de l’Anthropologie biologique, <strong>CNRS</strong>Editions, Paris, p.83-95.CHESNAIS, (J.-C.) 1986, La transition démographique. Etapes,formes, implications économiques. Paris, PUF, 580 p.PISON (G.) 2005, Population observatories as sources of informationon mortality in developing countries. Demographic Research, 13,13: 301-334.ROBERT-LAMBLIN (J.) 1988, La transition démographiqueà Ammassalik (Groenland oriental). Bull. <strong>et</strong> Mém. de la Soc.d’Anthropologie de Paris, t. 5, s. XIV: 267-288.ROBERT- LAMBLIN (J.) 1994, Changements démographiquesdans une communauté arctique (Scoresbysund, Groenlandoriental) : une étude longitudinale. Bull<strong>et</strong>ins <strong>et</strong> Mémoires de laSociété d’Anthropologie de Paris, 3-4 : 163-180.ROBERT-LAMBLIN (J.) 1999, La famille, le village, la ville : <strong>Dynamique</strong><strong>du</strong> changement social au Groenland oriental de 1960 à 1990. Etudes/Inuit/ Studies, 23,1-2: 35-53.ROBERT- LAMBLIN (J.) 2001, Berëzovka : un « isolat » évène enYakoutie nord-orientale. Boréales, Revue <strong>du</strong> Centre de RecherchesInter-Nordiques, 82/85: 57-88.ROBERT-LAMBLIN (J.) 2008, Various aspects of a long-termanthropological survey in Ammassalik (East Greenland). Changesin demographical structure and way of life, Historical and culturalproblems of northern countries and regions, Komi, RussianFederation, 4: 51-75. http://www.hcpncr.com/journ408/journ408roblambstatengl03.htmlL’auteurJoëlle ROBERT-LAMBLINDirecteur de Recherche honoraire au C.N.R.S.- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces » (Paris,France) - <strong>CNRS</strong>courriel : joelle.robert-lamblin@evolhum.cnrs.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201025


Etude biodémographique de deux populations alpines de l’Ancien Dauphiné :L’Argentière la Bessée (Département des Hautes Alpes, France)<strong>et</strong> Chiomonte (Haute Vallée de Suse, Italie)Marilena GIROTTI, Emma RABINO MASSA ,Gilles BOETSCHMots-clés : biodémographie, populations alpines, Ancien DauphinéLes études d’anthropologie démographique concernant les populationsde Chiomonte (Haute Vallée de Suse, Italie) <strong>et</strong> de l’Argentière la Bessée(Département des Hautes Alpes, France) s’intègrent dans le proj<strong>et</strong>“Dauphiné” (Boëtsch, Rabino 1996) ; elles visent à montrer commentles événements historiques <strong>et</strong> économiques ont pu influencer leséléments démographiques (mariages, naissances, décès, migrations)en particulier leur dynamique repro<strong>du</strong>ctive <strong>et</strong>, partant, leur patrimoinegénétique.Pour l’Argentière la Bessée, nous avons construit notre corpus dedonnées à partir d’informations concernant les naissances, mariages<strong>et</strong> décès survenus entre 1690 <strong>et</strong> 1890. Pour Chiomonte, la périodeétudiée est un peu plus longue (1670-1935).De 1690 à 1889, nous avons pu effectuer des analyses statistiquessur les décès (7.034 actes à l’Argentière la Bessée <strong>et</strong> 11.034 actes àChiomonte) <strong>et</strong> les naissances (8.382 actes à Argentière la Bessée <strong>et</strong>12.055 actes à Chiomonte)A partir de ces données, nous avons pu constater que le soldenaturel à l’Argentière la Bessée est demeuré positif pendant toute lapériode étudiée ; en revanche, à Chiomonte, il est négatif pendanttout le XVIIIème siècle (<strong>du</strong> fait d’une grave crise de mortalité quia eu lieu entre la fin de l’année 1690 <strong>et</strong> le début 1691) <strong>et</strong> positif<strong>du</strong>rant tout le XIXème siècle.L’étude des décès en fonction de l’âge montre que ceux survenusavant l’âge de 14 ans constituent environ 50% de l’ensemble desdécès jusqu’au la première moitié <strong>du</strong> XIXème siècle dans lesdeux populations.En ce qui concerne la variabilité saisonnière, on a pu constaterdes différences importantes en fonction de l’âge: uneaugmentation des décès en hiver pour les enfants de moinsd’un an <strong>et</strong> pour les personnes de plus de 60 ans ; en revanche,pour les jeunes entre 1-14 ans, une forte augmentation estobservée au cours des mois chauds. Ces différences sontL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201016001400120010008006004002000liées à une susceptibilité différente aux facteurs climatiques (été/hiver ; froid / chaud ; humide/sec) même si l’influence de facteurssocio-culturels est présente (Girotti <strong>et</strong> al 2009 ; Pagezy 2003).Pour les deux populations, nous avons observé une saisonnalitémarquée pour les naissances avec des valeurs maximales enhiver <strong>et</strong> minimales au printemps <strong>et</strong> des valeurs basses en été.Pour l’Argentière la Bessée, on observe aussi de faibles valeurs enautomne (cf. Figure 1), ce qui correspond à une forte fréquence desconceptions au printemps. A l’Argentière la Bessée, les niveauxde conceptions sont plus faibles en hiver qu’à Chiomonte. C<strong>et</strong>tesaisonnalité est probablement liée aux facteurs économiques <strong>et</strong>culturels, c’est-à-dire aux migrations saisonnières que l’on peutobserver en été <strong>et</strong> en hiver à l’Argentière la Bessée <strong>et</strong> en étéà Chiomonte ; c<strong>et</strong>te dernière étant associée au phénomène d<strong>et</strong>ranshumance.Figure 1: saisonnalité des naissances <strong>et</strong> des conceptions à Chiomonte<strong>et</strong> l’Argentière la BesséeJanvierFévrierS a is o n n a lité d e s n a is s a n c e s e t d e s c o n c e p tio n sMarsAvrilMaiJuinJuill<strong>et</strong>AoûtSeptembreOctobreNovembreDécembreC hiom ontenais s anc esA rgentière laB es s éenais s anc esC hiom ontec onc eptionsA rgentière laB es s éec onc eptions26


Etude biodémographique de deux populations alpines de l’Ancien Dauphiné :L’Argentière la Bessée (Département des Hautes Alpes, France) <strong>et</strong> Chiomonte (Haute Vallée de Suse, Italie)L’analyse de la structure matrimoniale <strong>et</strong> la reconstruction de famillesrevêt une grande importance pour l’étude des processus micro-évolutifsd’une population (P<strong>et</strong>tener 1995). Pour Chiomonte, nous avons analyséles 749 mariages qui se sont pro<strong>du</strong>its entre 1670 <strong>et</strong> 1729 (cf. Figure 2)par la reconstruction des structures familiales. Nous avons pu m<strong>et</strong>tre enévidence un fort niveau de stabilité des ménages. Ceci nous a permisde connaître l’ensemble de la vie repro<strong>du</strong>ctive <strong>et</strong> la fin de l’union dans75,7 % des couples <strong>et</strong> la saisonnalité des événements avec des valeursminimales de mariages en été (travaux agricoles <strong>et</strong> pastoraux) au moisde mars (période de Carême) <strong>et</strong> de décembre (période de l’Avent). Lapopulation de Chiomonte, avec un taux de mariages exogames de plusde 20%, était une population sociologiquement <strong>et</strong> génétiquement bienouverte sur l’extérieur, ce qui était peu fréquent à l’époque.Figure 2 : Nombre de mariages à Chiomonte (Italie) pendant lapériode 1670 -172935302520151050L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010M a ria g e s à C h io m o n te 1 6 7 0 -1 7 2 9167016 7316 7616 7916 8216 8516 8816 9116 9416 9717 0017 0317 0617 0917 1217 1517 1817 2117 2417 27La population semble avoir répon<strong>du</strong> de façon différente aux diversévénements (économiques, politiques…) comme, par exemple, l’absencede mariages pendant les mois de crise économique qui ont précédé la gravecrise de mortalité <strong>du</strong> 1690-91, suivie, dans les années 1691-94, par uneaugmentation considérable des premiers mariages comme des remariagesvisant à rétablir l’équilibre populationnel, en particulier grâce à une féconditétrès active.Le nombre moyen d’enfants par couple est en relation avec l’âge de la mèreau mariage <strong>et</strong> la <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> mariage : 1 à 4 enfants si le mariage <strong>du</strong>re moinsde 20 ans, 5 à 8 enfants si le mariage <strong>du</strong>re plus de 20 ans <strong>et</strong> que la mère semarie avant 30 ans.L’intervalle intergénésique est lui aussi fortement influencé par la survie del’enfant précédent ; la mortalité infantile très élevée (250 - 300‰) va donccontinuellement influencer c<strong>et</strong> intervalle ; il est de 20 mois environ si l’enfantprécédent meurt dans sa première année de vie <strong>et</strong> de plus de 30 mois s’ilsurvie au bout d’un an. A ces époques, où la fécondité n’était pas contrôlée,on peut supposer que l’intervalle intergénésiqueétait plus long lorsque la survie dépassait la premièreannée, car il était lié à l’inhibition de la fécondité<strong>du</strong>e à l’allaitement.Enfin, la plupart des familles ont eu une descendance ;cependant la descendance de la génération suivanten’a été assurée que par un p<strong>et</strong>it nombre d’enfants- ceux qui pouvaient atteindre à leur tour l’âgerepro<strong>du</strong>ctif (Gomila 1969) - <strong>du</strong> fait d’une mortalitéélevée <strong>du</strong>rant l’enfance <strong>et</strong> l’adolescence.Ces résultats montrent que la natalité, la mortalité<strong>et</strong> les mariages sont influencés par les facteursenvironnementaux, socio-économiques <strong>et</strong> culturels,mais de façon différente ; en eff<strong>et</strong> la mortalité était,à c<strong>et</strong>te époque surtout influencée par les facteursenvironnementaux, alors que ce sont davantage lesaspects socio-économiques <strong>et</strong> culturels qui régulentle comportement matrimoniale <strong>et</strong> la natalité.27


Etude biodémographique de deux populations alpines de l’Ancien Dauphiné :L’Argentière la Bessée (Département des Hautes Alpes, France) <strong>et</strong> Chiomonte (Haute Vallée de Suse, Italie)Références bibliographiquesBOËTSCH (G), RABINO MASSA (E.) 1996, L’histoire biologique despopulations <strong>du</strong> Haut-Dauphiné: programme de recherche proposépar l’Association des Anthropologues de l’Arc Alpin (A4) AntropologiaContemporanea , 19 - 1-4: 1-9.GIROTTI (M), MANGIAPANE (G), BOETSCH (G), RABINO MASSA (E)2009, Saisonnalité des décès en montagne : approche comparative(Argentière-la-Bessée 05 <strong>et</strong> Chiomonte) (1690-1889) in : Boëtsch G.,Signoli M., Tzortzis S., (éds), La Mort <strong>et</strong> la Montagne, Edition desHautes-Alpes, Gap.GOMILA (J.) 1971, Les Bédik (Sénégal oriental). Barrières culturelles <strong>et</strong>hétérogénéïté biologique. Presse de l’Université, Montréal.PETTENER (D) 1995, Asp<strong>et</strong>ti biodemografici nello studio dellepopolazione umane, in F. Facchini (éd.) Antropologia, Evoluzione,uomo, ambiente. UTET, Torino, p. 492-500PAGEZY (H) 2003, Variations saisonnières, in AnthropologieBiologique - Evolution <strong>et</strong> biologie humaine, De Boeck & Larcier S. A.(éds), Bruxelles, p. 549-556Les auteursMarilena GIROTTIDoctorante à l’Université de la Méditerranée (France)- Laboratorio di Antropologia- Dipartimento di Biologia Animale e dell’Uomo- Universitàdegli Studi di Torino TORINO (Italie) <strong>et</strong>- UMR 6578, Unité d’Anthropologie bioculturelle , (Marseille, France)courriel : marilena.girotti@unito.itTél: + 39 011 6704551 - +39 338 666 5663Emma RABINO-MASSAProfessorLaboratorio di Antropologia- Dipartimento di Biologia Animale e dell’Uomo- Università degliStudi di Torino (Turin, Italie)courriel : emma.rabino@unito.itTél: + 39 011 6704550Gilles BOETSCHDirecteur de recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : gilles.bo<strong>et</strong>sch@gmail.comL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201028


Eléments d’épidémiologie bioanthropologiqueAlain FROMENTMots-clés : médecine darwinienne, anthropologie biomédicale, épidémiologieProblématiqueSi l’anthropologie biologique a indiscutablement une d<strong>et</strong>te envers lamédecine, puisque depuis ses origines, que ce soit en France ou àl’étranger, elle a été créée <strong>et</strong> animée par des médecins, la réciproquen’est, curieusement, pas vraie : la bioanthropologie n’a en eff<strong>et</strong>, pendantle siècle <strong>et</strong> demi qui a suivi sa fondation, guère contribué à la médecine.C’est seulement depuis les années 1990 que, sous le nom de médecinedarwinienne, s’esquisse une synthèse avec les acquis de l’évolutionhumaine (Williams, Nesse 1996 ; Stearns, Koella 2008, McKenna<strong>et</strong> al. 2008; O’Higgins, Elton 2008). A la différence de la médecineclassique, la médecine darwinienne s’intéresse au « pourquoi » <strong>et</strong>non au « comment » de la maladie <strong>et</strong> raisonne au niveau de l’espècedavantage qu’à celui de l’indivi<strong>du</strong>. Car si la maladie procède avant tout<strong>du</strong> « colloque singulier », d’un problème indivi<strong>du</strong>el, la médecine n’apas érigé en système c<strong>et</strong>te réflexion sur la nature de la maladie en laportant au niveau de l’espèce humaine toute entière, en tant qu’entitézoologique, ni en terme de populations. Il faut pour cela s’éloignerde la recherche d’une causalité immédiate, pour se placer dans uneperspective évolutive, notamment en termes d’adaptations (<strong>et</strong> demal-adaptations) <strong>et</strong> de compromis (trade-offs).C’est en parasitologie <strong>et</strong> en infectiologie que le recours audarwinisme a d’abord abouti à la notion de coévolution entrehôte <strong>et</strong> pathogènes (Ewald 1996). Et l’épidémiologie, qui ne selimite évidemment pas à l’étude des maladies transmissibles, ade grands bénéfices à tirer de c<strong>et</strong>te perspective évolutionniste,en intégrant les problématiques de l’anthropobiologie, comme lanotion de diversité génétique, <strong>et</strong> les outils de l’éco-anthropologie,basée sur l’approche holistique, les réseaux, la causalité nonlinéaire,pour interpréter les interactions entre l’environnementpathogène <strong>et</strong> le corps, tant biologique que social (Benoist1968).Les anthropologies épidémiologiquesDans l’Antiquité, les microbes étaient inconnus mais le rôle pathogènede l’environnement était bien connu, comme en témoigne certainesétymologies (« malaria » mauvais air, « paludisme » maladie <strong>du</strong>marécage). L’école pastorienne, récusant la notion de générationspontanée, a posé l’équation « un germe une maladie », <strong>et</strong> mis enévidence l’importance <strong>du</strong> « terrain », c’est-à-dire des idiosyncrasiesindivi<strong>du</strong>elles. Avec la période moderne, c<strong>et</strong>te notion est arrimée à ladécouverte <strong>du</strong> polymorphisme génétique, mais aussi des « traits devie » personnels.Au début <strong>du</strong> XXe siècle, l’anthropologie médicale, ou pathologique,est considérée comme une branche de l’anthropologie physiologique,<strong>et</strong> donc de la biologie pure. C<strong>et</strong>te anthropologie physiologique, aprèsl’ouvrage de synthèse de Damon (1975) a évolué vers des champsspécialisés, comme l’adaptation à l’altitude ou, suj<strong>et</strong> plus négligé,l’endocrinologie comparative. Dans un effort récent, l’anthropologiebiomédicale tente d’intégrer l’interaction entre facteurs biologiques<strong>et</strong> sociaux. Autrefois réunies, les deux Anthropologies, biologique <strong>et</strong>culturelle, forment à présent deux entités. Pourtant, dans l’espècehumaine, toute maladie, qu’elle soit infectieuse ou non, a son«histoire naturelle», c’est-à-dire un agent, une écologie, un terrain, <strong>et</strong>un cursus, mais aussi son «histoire sociale», c’est-à-dire le contextesociologique <strong>et</strong> économique de son apparition, de sa transmission<strong>et</strong> de son devenir. Il s’agit donc d’un processus bioculturel toujourscomplexe <strong>et</strong> systémique (Froment <strong>et</strong> al. 2007).C’est en ce sens que, selon l’angle choisi, on peut parler de deuxanthropologies médicales, l’une relevant de l’emboîtement de champsappartenant surtout à l’Anthropologie culturelle : Ethnosciences >Ethnobiologie > Ethnomédecine + Ethnopharmacologie (Guerci,Conigliere 2003). Dans ce domaine, les anthropologues de lasanté peuvent expliciter leur démarche sans faire appel à labiologie (Fainzang 2001). L’autre acception de l’Anthropologieépidémiologique est <strong>du</strong> domaine de l’Anthropologie biologique :Ecologie humaine > Ecomédecine > Anthropo-épidémiologie.L’épidémiologie bioanthropologique a pour mission d’intégrer cesdeux démarches.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 29


Eléments d’épidémiologie bioanthropologiqueConcepts de l’épidémiologieL’épidémiologie, tant descriptive qu’analytique, a besoin d’indicateurs,tels que la prévalence (nombre de cas au sein de la population) <strong>et</strong>l’incidence (nombre de cas/habitants/ unité de temps, un élément quitra<strong>du</strong>it mieux l’évolution d’un processus pathologique). En épidémiologieanthropologique on incorpore à ces indicateurs les caractèresanthropologiques biologiques (démiques) <strong>et</strong> culturels (<strong>et</strong>hniques) afind’aboutir à des modélisations plus réalistes qu’avec l’épidémiologiemédicale classique.Dans une perspective historique <strong>et</strong> anthropologique, c’est toutel’épidémiologie de l’hominisation) qui est passée en revue, lestransitions démographique, culturelle, alimentaire, épidémiologique,déclinant un véritable phénomène d’auto-domestication. Un des enjeuxest de tester la résilience des sociétés au changement. Depuis CharlesNicolle (1932) on sait que les maladies infectieuses apparaissent <strong>et</strong>disparaissent spontanément.Sous le terme d’éco-anthropologie, nous entendons un processusselon lequel l’enquête médicale est englobée dans une démarcheintégrative combinant l’anthropologie biologique (la diversité <strong>et</strong> lamicroévolution dans l’espèce humaine), qui sert de socle, maisaussi l’anthropologie culturelle, <strong>et</strong> la pensée écologique de typesystémique.* La composante culturelle : dans les travaux épidémiologiquestraditionnels, les relations entre l’homme <strong>et</strong> le milieu ne sontsouvent analysées qu’en termes d’interactions physiques (Gill<strong>et</strong>t1985). Ainsi, l’exposition à la malnutrition, aux eaux contaminéesou aux piqûres d’insectes, est bien sûr fonction des ressourcesalimentaires ou des exigences écologiques des pathogènes,mais elle dépend aussi d’un facteur de vulnérabilité lié àl’occupation de l’espace, au type d’activité, au sexe, à l’âge, <strong>et</strong>c.Or la connaissance de ces facteurs de comportements, dansleur temporalité <strong>et</strong> dans leur spatialité, est indispensable, nonseulement pour comprendre la répartition des pathologies,mais surtout pour asseoir les stratégies de lutte sur desbases culturelles appropriées. Il faut en particulier adm<strong>et</strong>tre que lesattitudes <strong>et</strong> comportements sont gouvernés par une part d’arbitrairequi échappe à la rationalité (Garine 1990).* L’intro<strong>du</strong>ction de la pensée écologique dans la réflexion médicale,spécialement dans le domaine de la santé publique (McElroy,Townsend 1985) : l’approche écologique est systémique <strong>et</strong>entreprend de décrire, analyser <strong>et</strong> comparer les interactions existantdans les différents milieux, compte- tenu des contraintes spécifiquesde chaque milieu. Elle est modélisable <strong>et</strong> se fait aussi bien auniveau macro que micro-écologique. La pertinence des concepts depathocénose (Grmek, 1983 : ensemble des maladies s’influençantréciproquement, dans un milieu <strong>et</strong> une population donnés), de soncorollaire la parasitocénose, <strong>et</strong> de méta-population (Grenfell,Harwood1997), doit être mise à l’épreuve des faits. C<strong>et</strong>te démarche impliqueune étude épidémiologique fine des différents groupes humains, enfonction de leurs activités, de leur rapport à l’environnement, <strong>et</strong> desréseaux d’échanges économiques dans lesquels ils sont insérés.ConclusionL’anthropologie biologique <strong>et</strong> la médecine ont un passé <strong>et</strong> un futurcommuns. Le poids des diverses maladies qui affectent l’organisme,qu’elles soient issues de l’environnement ou des pratiques socioculturelles,constitue une force de sélection majeure dans la genèsede la diversité humaine. Depuis quelques années la médecinedarwinienne d’une part, l’anthropologie biomédicale de l’autre,bâtissent un outil interdisciplinaire pour expliquer le pourquoi <strong>et</strong> lecomment de la maladie. Au sein de ce cadre conceptuel, l’épidémiologieanthropologique développe deux notions prom<strong>et</strong>teuses, celle depathocénose <strong>et</strong> celle de transition épidémiologique.Ce que l’on pourrait nommer l’écomédecine procède d’une approcheglobale, qui considère non plus «la» maladie, mais l’Homme, dans sonenvironnement, avec toutes «ses» maladies, considérées comme unensemble, <strong>et</strong> bien sûr, sa culture. L’interrogation spécifique portera surL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 30


Eléments d’épidémiologie bioanthropologiqueles conséquences sanitaires des changements récents dans les rapportsHomme-milieu, sous l’influence de ce que l’on appelle globalement la«modernisation», c’est-à-dire les transitions que vivent la plupart dessociétés rurales (Wirsing, 1985 ; Swedlund, Armelagos 1990).Au total, l’évolution des systèmes de pro<strong>du</strong>ction, la transformation despaysages, <strong>et</strong> leurs conséquences sanitaires seront traitées dans laperspective de l’écologie humaine, c’est-à-dire de l’analyse des processusbio-culturels de la relation homme-milieu (Hens <strong>et</strong> al. 1998). C’estla double notion de plasticité <strong>et</strong> d’adaptitude (aptitude à l’adaptation),par rapport à l’environnement, <strong>et</strong> de variabilité (dans le temps <strong>et</strong> dansl’espace, intra <strong>et</strong> inter-populationnelle), qui trace le cadre de la diversitéhumaine, laquelle servira de base à une analyse comparative.Références bibliographiquesBENOIST (J.) 1968. Esquisse d’une biologie de l’homme social.Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 59 p.DAMON (A.) (ed.) 1975, Physiological Anthropology. Oxford UniversityPress, Oxford.EWALD (P. W.) 1996, Evolution of Infectious Disease. OxfordUniversity Press, Oxford.FAINZANG (S.) 2001, L’anthropologie médicale dans les sociétésoccidentales. Récents développements <strong>et</strong> nouvelles problématiques.Sciences Sociales <strong>et</strong> Santé, 19 : 5-28.FROMENT (A.), BLEY (D.), ENEL (C.) 2007, Anthropologieépidémiologique: la dimension médicale de l’écologie humaine. In:Guihard-Costa A.M., Bo<strong>et</strong>sch G., Froment A., Guerci A. & Robert-Lamblin J. (éds), L’anthropobiologie des populations <strong>vivant</strong>es,état des lieux. Editions <strong>CNRS</strong>, Paris, p. 69-82.GARINE (I. De) 1990, Adaptation biologique <strong>et</strong> bien-être psychoculturel.Bull. Mém. Soc. Anthrop. Paris, ns, 2: 151-173.GILLETT (J.D.) 1985, The behaviour of Homo sapiens, theforgotten factor in the transmission of tropical disease. Trans.Roy. Soc. Trop. Med. Hyg., 79: 12-20.GRENFELL (B.), HARWOOD (J.) 1997, (M<strong>et</strong>a)populationdynamics of infectious disease. Trend in Ecol. and Evol., 12:395-399.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010GRMEK M. (1983) Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale.Payot, Paris.GUERCI (A.), CONSIGLIERE (S.) 2003, Anthropologie médicale, In:Ch. Susanne, B. Chiarelli & E. Rebato (directeurs), Sur les Traces dela Biologie Humaine. Les Fondements de l’Anthropologie Biologique.De Boeck, Bruxelles, p. 625-630.HENS (L.), BORDEN (R.J.), SUZUKI (S.), CARAVELLO (G.) 1998,Research in Human Ecology : an interdisciplinary overview. VUBUniversity Press, Bruxelles.McELROY (A.), TOWNSEND (P.K.) 1985, Medical Anthropology inEcological Perspective. Westview Press, Boulder.McKENNA (J.J.), TREVATHAN (W.), SMITH (E. O.) 2008, Evolutionarymedicine and health: new perspectives. Oxford University Press,Oxford.NICOLLE (Ch.) 1932, Destin des maladies Infectieuses. Paris, Assoc.des Anciens Elèves de l’Institut Pasteur, réed. 1993.O’HIGGINS (P.), ELTON (S.) 2008, Medicine and Evolution: CurrentApplications, Future Prospects. Soci<strong>et</strong>y for the Study of HumanBiology Symposium Series, CRC, Boca Raton.STEARNS (S.C.), KOELLA (J.K.) 2008, Evolution in health anddisease. Oxford University Press, Oxford.SWEDLUND (A.C.), ARMELAGOS G.J. (éds) (1990) Disease inPopulations in Transition. Anthropological and EpidemiologicalPerspectives. New York, Bergin & Garvey.WILLIAMS (G.), NESSE (R. M.) 1996, Why we g<strong>et</strong> sick: the newscience of Darwinian medicine. Vintage Books, New York.WIRSING (R.) 1985, The health of traditional soci<strong>et</strong>ies and the effectsof acculturation. Current Anthropology 26: 303-322.L’auteurAlain FROMENTDirecteur de recherche à l’IRD- UMR 208 «patrimoines locaux (Paris, France)IRD <strong>et</strong> MNHNcourriel : froment@mnhn.fr31


Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes <strong>et</strong> variabilitéAnne-Marie GUIHARD-COSTAMots-clés : croissance, modélisation, variabilité, normeLa croissance : des processus universels, une chronologieindivi<strong>du</strong>elleLes courbes de croissance biométrique peuvent être décomposéesen une série d’étapes correspondant à des phases de développementendocrino-physiologiques. Ainsi dans la période postnatale il esthabituel de décomposer la courbe moyenne de croissance staturaleen plusieurs phases distinctes (fig. 1) correspondant à des profils depro<strong>du</strong>ctions hormonales différents. La puberté constitue l’événementphysiologique majeur conditionnant la cinétique de croissance au coursde la deuxième partie de l’enfance.Figure 1 – Courbe staturale de la naissance à l’âge a<strong>du</strong>lte chez le garçon, avec indicationdes principales hormones impliquées dans la régulation de la croissanceCes phases de croissance sont communes à tous les indivi<strong>du</strong>simmatures, <strong>et</strong> correspondent aux processus maturatifs nécessairesà la formation de l’indivi<strong>du</strong> a<strong>du</strong>lte. Cependant, si les étapes de lacroissance sont universelles, leur chronologie est indivi<strong>du</strong>elle. Mêmechez des indivi<strong>du</strong>s parfaitement sains, la cinétique de croissancevarie fortement d’un indivi<strong>du</strong> à l’autre.Un exemple peut en être donné en ce qui concerne la croissancefœtale. Une étude prospective longitudinale (Guihard-Costa <strong>et</strong> al,2000), portant sur 24 fœtus nés à terme <strong>et</strong> en bonne santé, a montréque la cinétique de croissance, au troisième trimestre gestationnelétait très variable d’un enfant à l’autre (fig. 2), sans que c<strong>et</strong>tevariabilité n’aboutisse à une quelconque pathologie à la naissance.Figure 2 – Variabilité des cinétiques de croissance chez le fœtus au troisième trimestregestationnel.C<strong>et</strong>te variabilité de croissance, observable non seulement entrepopulations géographiquement éloignées, mais également ausein d’un échantillon restreint (voir exemple ci-dessus) compliquesingulièrement l’appréciation qualitative <strong>et</strong> quantitative desL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201032


Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes <strong>et</strong> variabilitéprocessus de croissance. La clef de c<strong>et</strong>te évaluation, <strong>et</strong> le suj<strong>et</strong> majeurde débat entre auxologues concerne les critères de choix des référentielsapplicables. Comment choisir les standards de croissance les plus fiablespossibles ? Comment utiliser ces standards pour l’appréciation de lacroissance d’un suj<strong>et</strong> donné ?Multiplicité des standards de croissance.Dans la littérature, quel que soit le paramètre biométriqueétudié, il existe un grand nombre de courbes de croissance deréférence, ces courbes standards pouvant différer beaucouples unes des autres. C<strong>et</strong>te hétérogénéité des standards decroissance mondiaux a deux causes : la diversité des méthodesutilisées pour leur élaboration, <strong>et</strong> les différences de structuredes populations étudiées.>La diversité des modes de construction des standards decroissanceElle concerne tous les stades méthodologiques, <strong>du</strong> choix dela taille de l’échantillon au choix <strong>du</strong> modèle mathématique delissage des courbes :• Certaines courbes standards sont construites à partirde quelques centaines de suj<strong>et</strong>s, d’autres en réunissentplusieurs centaines de milliers. Un effectif important,constitué d’une « méta-population » provenant deplusieurs centres de recueils de données, peut semblerpréférable, mais c<strong>et</strong>te solution, en accroissant la diversitépopulationnelle, peut diminuer la sensibilité de détectiondes cas pathologiques dans un contexte particulier.• Le mode de recueil des données peut également êtr<strong>et</strong>rès différent d’un standard à l’autre, avec des variationsimportantes dans les techniques <strong>et</strong> la précision desmesures. Une étude récente (Pineau <strong>et</strong> al 2008),montre qu’en ce qui concerne les standards prénataux,la variabilité de mesure entre observateurs est plusdéterminante dans la construction <strong>du</strong> standard quele choix <strong>du</strong> modèle mathématique utilisé pourconstruire les courbes. Ceci con<strong>du</strong>it à relativiser l’importance de lamodélisation au profit d’une plus grande attention portée à la qualitédes mesures.• Le mode de construction mathématique des courbes standards(calcul des paramètres statistiques de la variation, mode de lissagedes courbes) est souvent effectué différemment d’une étude àl’autre. Même à qualité de mesure équivalente, ces variationsméthodologiques peuvent avoir des conséquences importantes surle tracé des courbes de croissance (fig 3).Figure 3 – Influence <strong>du</strong> mode de lissage des données brutes sur la fiabilité des standards de croissance.Birth weight (g)4500350025001500500curves of percentileswithout smoothing2nd order polynomial fitn = 12286Weeks26 28 30 32 34 36 38 40 42A90th perc.50th perc.10th perc.Birth weight (g)4500350025001500500curves of percentileswithout smoothing3rd order polynomial fitn = 12286Weeks26 28 30 32 34 36 38 40 42B90th perc.50th perc.10th perc.A : lissage des percentiles bruts (en bleu) par une modèle polynomial d’ordre 2 (en orange) : la proportion des enfants hypotrophiquesest sous estimée après 36 semaines (partie coloriée en jaune)B : lissage des percentiles par une modèle polynomial d’ordre 3 : la sensibilité des courbes de percentiles est améliorée (lespercentiles lissés (en orange) modélisent bien les percentiles bruts (en bleu)Données (1980-1990) provenant de la Maternité de Clamart (92) (Pr E. Papiernik)L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010233


Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes <strong>et</strong> variabilitéLa détermination des «seuils» de normalité peut s’en trouver affectée.Pour remédier à ces inconsistances méthodologiques, de nombreuxprotocoles de construction de standards ont été proposés (Borghi <strong>et</strong> al2006, Preece, Baynes 1978, Ward <strong>et</strong> al 2001). Il n’en reste pas moinsque l’uniformisation des procédés de construction des standards est loind’être acquise, comme en témoignent, par exemple, les innombrablesformules d’estimation <strong>du</strong> poids fœtal (Dudley 2005).>La diversité des populations utilisées pour la construction des standardsSi les problèmes de «construction» des référentiels sont importants, <strong>et</strong>pas toujours explicités dans la littérature, ils restent négligeables parrapport à la question centrale de leur représentativité. Les disparitésgénétiques, sociologiques <strong>et</strong> médicales, créent une mosaïque de sousunités populationnelles distinctes. La question se pose alors de savoirs’il convient d’utiliser des «normes» de croissance pour chacun de cessous-groupes, ou un nombre restreint de normes à valeur universelle.Les choix ne sont pas neutres sur le plan conceptuel, <strong>et</strong> peuvent êtrelourds de conséquence. Par exemple, dans le domaine de la santépublique, la décision d’appliquer les normes de croissance des paysdéveloppés aux pays en voie de développement peut con<strong>du</strong>ire à unesurestimation des r<strong>et</strong>ards de croissance. Mais, à l’inverse, n’utiliserque des normes locales élaborées à partir de populations à fortemorbidité revient à sous estimer le nombre d’enfants «en défaut decroissance». Par ailleurs, on ne peut nier l’existence de différencesde «potentialités» génétiques entre groupes humains, commel’attestent les corrélations de taille parents-enfants. Comment alorsrendre compte de la complexité de la variabilité de croissancenormale au sein d’une population par définition hétérogène ?Doit-on établir des normes en fonction de la taille des parents ?Doit-on, au contraire, choisir une population de référence la pluslarge possible, à l’échelle d’un pays au risque d’augmenter lavariabilité, <strong>et</strong> donc de diminuer la sensibilité des standards? Leproblème de l’efficacité de standards universaux a été <strong>et</strong> estencore âprement débattu (Onis <strong>et</strong> al 2007, Wang <strong>et</strong> al 2006).Les standards de croissance pourraient être idéalementétablis à partir d’une population de référence locale. C<strong>et</strong>te solutionest certainement la plus fiable, moyennant quelques précautionsméthodologiques, mais elle nécessite un investissement pratiqueparfois difficile à réaliser, <strong>et</strong> la nécessité d’un renouvellement fréquenten fonction des changements populationnels. L’autre solutionconsiste à choisir un standard de croissance parmi ceux de lalittérature. Ce choix ne peut s’opérer uniquement sur des critères defiabilité méthodologique, mais doit pondérer les avantages respectifsdes différents standards disponibles en matière de spécificité <strong>et</strong> desensibilité.Utilisation pratique des standards de croissanceQuelle que soit la rigueur avec lequel un standard a été établi, sonutilisation pratique - c’est à dire son utilisation pour l’estimationindivi<strong>du</strong>elle de l’âge ou de la qualité de la croissance d’un indivi<strong>du</strong>- se heurte à deux difficultés :- Quel seuil doit-on prendre en compte pour délimiter la croissancepathologique de la croissance normale ? 5ème percentile ? 10èmepercentile ? – 2 écart-types ? Les usages sont très variables d’unediscipline médicale à l’autre, d’une variable biométrique à l’autre, <strong>et</strong>selon les centres d’études. Ceci montre la part d’arbitraire qui entourela notion de « normalité » de croissance, l’évaluation biométriquen’étant qu’un des éléments d’appréciation <strong>du</strong> développementindivi<strong>du</strong>el.- Comment évaluer correctement la croissance d’un indivi<strong>du</strong> à partirde standards de croissance moyens ? La comparaison, à un âgedonné, des dimensions d’un suj<strong>et</strong> avec des valeurs de référencesuffit-elle à détecter toute anomalie de la croissance ?L‘utilisation des courbes standards pour la surveillance indivi<strong>du</strong>ellede la croissance sous-tend un préjugé implicite : tous les enfantseutrophiques possèdent les mêmes types de courbe de croissance,la variabilité inter-indivi<strong>du</strong>elle restant faible. En réalité, la diversitédes cinétiques de croissance chez l’enfant sain rend impossiblel’appréciation de la qualité de la croissance à partir de mesuresL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201034


Approche anthropologique des processus de croissance : référentiels, normes <strong>et</strong> variabilitéisolées, à des instants donnés. L’estimation de la croissance ne peutqu’être dynamique.Au delà de c<strong>et</strong>te représentation statique de la variabilité intrapopulationnellede croissance, le rôle de l’anthropologie biologiqueest d’évaluer l’importance des variations indivi<strong>du</strong>elles de croissancechez l’enfant normal, <strong>et</strong> leur signification en termes d’adaptabilité auxcontraintes environnementales <strong>et</strong> biologiques.Références bibliographiquesBORGHI (E.), DE ONIS (M.), GARZA (C.), VAN DEN BROECCK (J.),FRONGILLO (E.A.), GRUMMER-STRAWN (L.) 2006, Multicentre GrowthReference Study Group. Construction of the World Health Organisationchild growth standards: selection of m<strong>et</strong>hods for attained growth curves.Statistics and Medicine 25: 247-65.DUDLEY (N.J.) 2005, A systematic review of the ultrasound estimation off<strong>et</strong>al weight. Ultrasound in Obst<strong>et</strong>rics and Gynecology 25:80-89GUIHARD-COSTA (A.M.), DROULLÉ (P.), THIEBAUGEORGES (O.),HASCOËT (J.M.) 2000, A longitudinal study of f<strong>et</strong>al growth variability.Biology of the Neonate 78 : 8-12.ONIS M., GARZA (C.), ONYANGO (A.W.), BORGHI (E.) 2007,Comparison of the WHO child growth standards and the CDC 2000growth charts. Journal of Nutrition 137(1) : 144-8.PINEAU (J.C.), GRANGE (G.), KAPITANIAK (B.), VAYSSIERE (C.),TOMIKOWSKI (J.), GUIHARD-COSTA (A.M.) 2008, Estimation off<strong>et</strong>al weight: accuracy of regression models versus accuracy ofultrasound data. F<strong>et</strong>al Diagnosis and Therapy 24 (2) : 140-5PREECE (M.A.), BAINES (M.J.) 1978, A new family ofmathematical models describing the human growth curve.Annals of Human Biology 5 (1) : 1-24.WANG (Y.), MORENO (L.A.), CABALLERO (B.), COLE (T.J.)2006, Limitations of the current world health organizationgrowth references for children and adolescents. Food andNutrition Bull<strong>et</strong>in 27 (4 Suppl Growth Standard): 175-88WARD (R.), SCHLENKER (J.), ANDERSON (G.S.) 2001, Simplem<strong>et</strong>hod for developing percentile growth curves for height and weight.American Journal of Physical Anthropology 116: 246-50L’auteurAnne-Marie GUIHARD-COSTADirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur de l’UPR « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces ».- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces » (Paris,France)courriel : anne-marie.guihard-costa@evolhum.cnrs.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201035


Biométrie <strong>et</strong> modélisation de la croissance chez l’indivi<strong>du</strong> immature.Loïc LALYSMots-clés : Croissance humaine, Biométrie, Ontogénèse, Immature.L’éventail des problématiques, des concepts <strong>et</strong> des connaissancesrépondant <strong>du</strong> domaine de l’Anthropologie est vaste, s’étendant autantsur des notions culturelles que biologiques, où l’évolution, l’adaptabilité<strong>et</strong> la diversité de l’Homme actuel vont pouvoir être appréhendées. Entant que science holistique, l’Anthropologie va étudier l’Homme dans saglobalité, en le considérant comme une entité unique <strong>et</strong> indivisible dontles multiples fac<strong>et</strong>tes créent <strong>et</strong> consolident son unité. L’Anthropologieva donc devoir comprendre l’Homme dans son ensemble, dansl’espace <strong>et</strong> dans le temps, avec le caractère multidisciplinaire, voir<strong>et</strong>ransdisciplinaire, qui définit la discipline.L’anthropologie de la croissance intègre tous les concepts précédemmentévoqués. C’est ainsi que le temps, l’espace <strong>et</strong> l’environnement peuventavoir une influence qui doit être maîtrisée en anthropologie de lacroissance. L’environnement est ici un élément majeur, l’ensembledes éléments liés aux conditions environnementales pouvant êtredes sources potentielles de modification de l’obj<strong>et</strong> d’étude (Rona2000). Les environnements socio-culturel <strong>et</strong> socio-économiquesont autant de paramètres qui, au même titre que la nutrition <strong>et</strong> lespathologies, vont avoir une influence notable sur la croissance. Lesproblématiques concernant l’enfant seront souvent différentes decelles concernant l’Homme a<strong>du</strong>lte, <strong>et</strong> des thématiques propres àl’enfant se posent indiscutablement.La croissance humaine résulte de la combinaison des processusde maturation <strong>et</strong> de modification de la taille. Pour modéliserles phénomènes de croissance, l’outil de référence est labiométrie. En prenant en compte des éléments biologiques,comportementaux ou physiologiques uniques <strong>et</strong> propres àchaque indivi<strong>du</strong>, les études biométriques sont une sourced’informations indispensable à la constitution de bases dedonnées sur la croissance. Elles connaissent d’ailleurs denos jours un véritable renouveau <strong>et</strong> un engouement sansL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010précédent, notamment dans le domaine de l’identification <strong>et</strong> del’authentification des indivi<strong>du</strong>s. En ce qui concerne l’anthropologiebiologique, la biométrie se présente comme un instrument dedéfinition de la croissance humaine <strong>et</strong> de sa variabilité d’ordre spatiale<strong>et</strong> temporelle, qui résulte de facteurs génétiques, environnementaux<strong>et</strong> sociaux. Elle est donc indispensable pour réaliser la modélisationdes phénomènes de croissance dans les populations actuelles.Constitution de bases de données biométriquesNos travaux s’inscrivent donc dans c<strong>et</strong>te démarche de modélisationdes phénomènes de croissance chez l’immature, grâce auxméthodes biométriques. La croissance garde la biométrie commepremier outil <strong>et</strong> intègre toujours une composante sociale <strong>et</strong>environnementale (Guihard-Costa <strong>et</strong> al. 2007). Notre approchesur l’étude des phénomènes de croissance a donc été développéedans c<strong>et</strong> esprit complémentaire entre les données biologiques <strong>et</strong>environnementales <strong>et</strong> s’articule selon les deux axes principaux : labiométrie radiologique, d’une part, <strong>et</strong> la somatométrie, d’autre part.La première partie de c<strong>et</strong>te banque de données est constituéede données de biométrie radiologique obtenues à partir desradiographies des os de la main <strong>et</strong> des os longs <strong>du</strong> corps humain.Pour cela, un recueil de radiographies a été effectué au sein deshôpitaux marseillais de l’Assistance Publique (A.P.-H.M.). Cesradiographies, réalisées sur des indivi<strong>du</strong>s de moins de 20 ans dansun contexte de traumatologie, répondent à des critères d’inclusionparticuliers <strong>et</strong> à un protocole strict de prise <strong>du</strong> cliché, notammentavec une distance foyer-obj<strong>et</strong> fixe. Ces clichés radiographiques ontété numérisés en favorisant la qualité de l’image ; ce qui nous apermis de réaliser différentes mesures avec, comme principe initial,de simuler numériquement les mesures anthropologiques prisessur une planche ostéométrique <strong>et</strong> ce, en inscrivant l’os à mesurerdans le plus p<strong>et</strong>it rectangle possible (cf figure 1). Au total, près de5000 images numérisées ont été analysées selon une méthodologienovatrice, validée statistiquement (Lalys <strong>et</strong> al. 2007). L’ensemble36


Biométrie <strong>et</strong> modélisation de la croissance chez l’indivi<strong>du</strong> immature.de ces données a permis d’obtenir de précieuses informations sur lacroissance osseuse des différents os étudiés : os de la main, de l’avantbras<strong>et</strong> de la jambe.Figure 1 : Biométrie radiologique <strong>et</strong> relevé des mesures sur le 2e métacarpe d’unindivi<strong>du</strong> immature.Marseille (A.P.-H.M.) <strong>et</strong> de différents d’établissements scolaires.Près de 2000 enfants de la région marseillaise, tous âgés de 3à 15 ans, ont ainsi été mesurés (cf. figure 2) au cours de notrecampagne. Le protocole de mesures comprenait 39 paramètres àrelever directement, répondant tous aux besoins spécifiques de nostravaux, avec notamment des mesures prises en position assise <strong>et</strong>debout. C<strong>et</strong>te campagne de mesure a permis l’obtention d’un corpusde près de 80 000 données somatométriques.Figure 2 : Relevé de mesures au cours de la campagne d’acquisition de donnéessomatométriquesLa seconde partie de c<strong>et</strong>te banque de données est constituéed’informations somatométriques sur la croissance des différentssegments corporels. L’acquisition de ces données a été faiteau cours d’une campagne de mesures réalisée au sein desservices pédiatriques de post urgences des Hôpitaux deL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201037


Biométrie <strong>et</strong> modélisation de la croissance chez l’indivi<strong>du</strong> immature.Modélisation de la croissance <strong>et</strong> ses applicationsLa modélisation de la croissance obtenue par l’intermédiaire de cesdonnées présente de nombreuses applications dans différents champsd’étude de l’Anthropologie biologique. L’exploitation des donnéesrecueillies sur la biométrie radiologique des os de la main <strong>et</strong> de l’avantbrasa notamment permis d’établir différents modèles de régressionafin de déterminer l’âge des indivi<strong>du</strong>s immatures. En eff<strong>et</strong>, l’estimationde l’âge est très souvent requise dans un contexte médico-légal, pourrechercher l’âge d’un indivi<strong>du</strong> <strong>vivant</strong>, soumis à une procé<strong>du</strong>re judiciaire,<strong>et</strong> dont l’identité est inconnue. En eff<strong>et</strong>, le système judiciaire demand<strong>et</strong>rès souvent une estimation pour ces indivi<strong>du</strong>s dont l’âge est inconnu, afind’engager les procé<strong>du</strong>res judiciaires adaptées. En anthropologie médicolégale,la détermination de l’âge peut également trouver des applicationsdans des procé<strong>du</strong>res d’identification d’un squel<strong>et</strong>te ou d’un cadavreclassé sous X. Enfin, en anthropologie des populations <strong>du</strong> passé, lestechniques de détermination revêtent un intérêt tout particulier pourla réalisation de profils paléodémographiques, véritables sourcesd’informations des populations historiques étudiées (Signoli <strong>et</strong> al.2004).Comme nous l’expliquions précédemment, la variabilité de lacroissance s’inscrit dans une dimension spatiale <strong>et</strong> temporelle <strong>et</strong>, àce titre, il est nécessaire d’actualiser les référentiels de croissanceen tenant compte de leur adaptation aux populations concernées.La banque de données biométriques que nous avons réalisée<strong>et</strong> qui est encore aujourd’hui en cours d’exploitation, apportedes informations actuelles sur une population française, dontles derniers référentiels compl<strong>et</strong>s datent de plus de 30 ans(Sempé 1971 ; Sempé <strong>et</strong> al 1979). L’ensemble des paramètresbiométriques relevés pourra faire l’obj<strong>et</strong> de courbes decroissance spécifiques, à partir des analyses statistiques denos données (cf. figure 3).Figure 3 : Représentation graphique des 5e, 25e, 50e, 75e <strong>et</strong> 95e percentiles de lastature chez les indivi<strong>du</strong>s masculins de notre échantillon d’enfants mesurés au coursde notre campagne d’acquisition de données somatométriquesComme nous l’avons déjà précisé, les études biométriques que nousavons menées sont indispensables pour étudier les changementsmorphologiques <strong>et</strong> morphométriques externes liés à la croissance. Enmodélisant la croissance, elles perm<strong>et</strong>tent également de modélisergéométriquement le corps de l’enfant. Ce type de recherche présentede nombreuses applications pratiques comme l’amélioration dela protection de l’être humain au cours des accidents de la route,développées en collaboration avec le Laboratoire de BiomécaniqueAppliquée (UMR T24-INRETS/Université de la Méditerranée).De nombreux outils informatiques perm<strong>et</strong>tant la simulation <strong>du</strong>comportement <strong>du</strong> corps humain au cours d’un choc sont ainsi deplus en plus développés. Ils sont utilisés pour mieux comprendre à lafois les sollicitations dynamiques sur le con<strong>du</strong>cteur ou les passagersau cours d’un accident, mais surtout l’ensemble des mécanismesL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201038


Biométrie <strong>et</strong> modélisation de la croissance chez l’indivi<strong>du</strong> immature.lésionnels qui en découle. La simulation numérique <strong>du</strong> comportement del’homme soumis à un impact demande d’avoir développé au préalabledes modèles mathématiques <strong>du</strong> corps humain, ou de segments corporels,suffisamment bio-fidèles afin de perm<strong>et</strong>tre des études des traumatismesgrâce à des simulations en 3D. La mise en œuvre de tels modèlesest particulièrement complexe car elle nécessite une connaissanceprécise des caractéristiques géométriques des éléments à modélisermais également des propriétés mécaniques des matériaux biologiquesimpliqués. La tâche est ren<strong>du</strong>e encore plus ar<strong>du</strong>e lorsqu’elle concernel’enfant, puisque d’importantes difficultés se posent comme l’acquisitionde données géométriques.Les applications <strong>et</strong> les proj<strong>et</strong>s dans ce domaine sont nombreux <strong>et</strong> fontappel à de multiples collaborations, tant dans le domaine scientifiqueque médical, au niveau national <strong>et</strong> international. C<strong>et</strong>te modélisation <strong>du</strong>corps de l’enfant est réalisée sur la base des travaux <strong>du</strong> proj<strong>et</strong> européenHUMOS (HUman MOdel for Saf<strong>et</strong>y) avec la perspective d’être complétéeà terme avec l’étude des traumatismes des enfants en situation dechoc automobile. Cela perm<strong>et</strong>tra de déterminer de manière exhaustivel’ensemble des traumatismes les plus fréquemment rencontrés <strong>et</strong>, parvoie de conséquence, l’ensemble des zones lésionnelles potentielleschez les enfants, en fonction des différentes classes d’âge. Cesrésultats constituent une solide base de travail pour connaître plusprécisément les mécanismes lésionnels <strong>et</strong> définir ensuite dessituations d’accidents <strong>et</strong> de traumatismes caractéristiques (Serre <strong>et</strong>al. 2006). Les résultats atten<strong>du</strong>s perm<strong>et</strong>tront d’une part d’évaluerles défauts de certains systèmes de sécurité <strong>et</strong>, d’autre part, deposer les bases des configurations lésionnelles pour lesquelles ilest impératif d’améliorer les systèmes de sécurité existants. Deplus, il sera possible d’évaluer l’adaptabilité des systèmes desécurité (ceinture de sécurité, airbag, rehausseur, sièges auto,<strong>et</strong>c.) <strong>et</strong> de confort au regard de la morphologie des enfants.Les risques lésionnels in<strong>du</strong>its en cas de choix d’équipementinappropriés pourront être ainsi déterminés.PerspectivesEn définitive, les perspectives de nos travaux de recherches’inscrivent dans trois axes différents qui font appel à la biométriehumaine.Le premier axe concerne l’ensemble des perspectives possiblesdans le domaine de l’estimation de l’âge des indivi<strong>du</strong>s immaturesen anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>, mais également en anthropologie despopulations <strong>du</strong> passé <strong>et</strong> médico-légale. Une validation devra êtreréalisée par l’application de l’ensemble des formules r<strong>et</strong>enues surune population d’indivi<strong>du</strong>s immatures d’âge <strong>et</strong> de sexe connus. Afinde prendre en considération la variabilité inter-populationnelle desphénomènes de croissance, c<strong>et</strong>te validation pourra se faire surdifférentes populations actuelles, notamment par la mise en placede collaborations tant nationales qu’internationales. De plus, c<strong>et</strong>tevalidation pourra également se faire sur une population immature<strong>du</strong> passé, d’âge <strong>et</strong> de sexe connus (Hunt, Albanese 2005). Celanous perm<strong>et</strong>tra en outre de juger de la pertinence de nos résultatspar comparaison avec les méthodes classiquement utilisées enanthropologie, basées sur l’étude des longueurs diaphysaires(Sundick 1978 ; Stloukal, Hanakova 1978)Le deuxième axe porte sur une problématique d’évaluation de lavariabilité synchronique de la croissance. Pour cela, des proj<strong>et</strong>sinternationaux devront être menés, en établissant un protocoled’acquisition de données somatométriques ainsi qu’une étuderadiologique sur la maturation osseuse <strong>et</strong> dentaire. Ces travauxperm<strong>et</strong>tront de m<strong>et</strong>tre en évidence une éventuelle différencedans le rythme des processus de croissance entre les différentespopulations.Enfin le dernier axe concerne l’évaluation de la variabilité diachroniquede la croissance à travers la comparaison de nos résultats avecceux de travaux particulièrement important dans le domaine, commel’étude longitudinale des enfants de Châteauponsac (Brus <strong>et</strong> al.2005) ou de Paris (Deheeger, Rolland-Cachera 2004) Les résultatsL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201039


Biométrie <strong>et</strong> modélisation de la croissance chez l’indivi<strong>du</strong> immature.obtenus perm<strong>et</strong>tront d’apprécier l’évolution de la croissance au cours<strong>du</strong> temps en confirmant la thèse de nombreux auteurs (Hauspie <strong>et</strong> al.1996, 1997 ; Papai <strong>et</strong> al. 2006) ainsi que l’inadéquation des référentielsde croissance classiquement utilisés aux populations actuelles.Références bibliographiquesBRUS (A.), HAUSPIE (R.), PANUEL (M.), BOËTSCH (G.) 2005, Analysesauxologiques de données longitudinales féminines (Châteauponsac,Limousin, France), Anthropo 11: 177-187.DEHEEGER (M.), ROLLAND-CACHERA (M.F.) 2004, Etude longitudinalede la croissance d’enfants parisiens suivis de l’âge de 10 mois à 18 ans.Archives de Pédiatrie 11: 1139-1144.GUIHARD-COSTA (A.M.), ADALIAN (P.) BRUS (A.),THIEBEAUGEORGES (O.) 2007, Anthropologie de la Croissance :référentiels, normes <strong>et</strong> variabilité indivi<strong>du</strong>elle, in A.M. Guihard-Costa,G. Boëtsch, A. Froment, A. Guerci, J. Robert-Lamblin (éds), L’Homme<strong>et</strong> sa diversité : Perspectives <strong>et</strong> enjeux de l’Anthropologie biologique,<strong>CNRS</strong> Editions, Paris, p 45-55.HAUSPIE (R.), VERCAUTEREN (M.), SUZANNE (C.) 1996, Secularchanges in growth, Hormone Research 45 Suppl 2: 8-17.HAUSPIE (R.), VERCAUTEREN (M.), SUZANNE (C.) 1997, Secularchanges in growth and maturation: an update, Acta PaediatricaSuppl 423: 20-27.HUNT (D.R.), ALBANESE (J.) 2005, History and demographiccomposition of the Robert J. Terry anatomical collection. AmericanJournal of Physical Anthropology 127(4): 406-417.LALYS (L.), ADALIAN (P.), CHAUMOITRE (K.), SIGNOLI (M.),LEONETTI (G.) 2007, Biométrie radiologique des os de la main :application à l’estimation de l’âge des indivi<strong>du</strong>s immatures. inBuch<strong>et</strong>, Seguy (éds), La paléodémographie : mémoire d’os,mémoire d’hommes, Editions APDCA, Antibes.PAPAI (J.), BODZSAR (É.), ZSAKAI (A.), SUSANNE (C.)2006, Evolution séculaire de la taille, <strong>du</strong> poids <strong>et</strong> de lacomposition corporelle à Jászság (Hongrie), Anthropo 11:151-158.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010RONA (R.J.) 2000, The impact of the environment on height:conceptual an theorical considerations, Annals of Human Biology27(2): 111-126.SEMPE (M.), 1971. Croissance <strong>et</strong> maturation osseuse, Théraplix,Paris, 103 p.SEMPE (M.), PEDRON (G.), ROY-PERNOT (M.P.) 1979, Auxologie,méthodes <strong>et</strong> séquences, Théraplix, Paris, 205 p.SERRE (T.), LALYS (L.), BARTOLI (C.), CHRISTIA-LOTTER(A.), LEONETTI (G.), BRUNET (C.) 2006, 3 and 6 years old childanthropom<strong>et</strong>ry and comparison with crash <strong>du</strong>mmies, in SAEInternational (Soci<strong>et</strong>y of Automotive Engineers) – Digital HumanModeling for Design and Engineering Conference, Omnipress,OmniPRO-CD, 2006-01-2354.SIGNOLI (M.), ARDAGNA (Y.), ADALIAN (P.), DEVRIENDT (W.),LALYS (L.), RIGEADE (C.), VETTE (T.), KUNCEVICIUS (A.),POSKIENE (J.), BARKUS (A.), PALUBECKAITE (Z.), GARMUS(A.), PUGACIAUSKAS (V.), JANKAUSKAS (R.), DUTOUR (O.)2004, Discovery of a mass grave of Napoleonic period in Lithuania(1812, Vilnius), Comptes Ren<strong>du</strong>s Palevol 3: 219-227.STLOUKAL (M.), HANAKOVA (H.) 1978, Die Lange der Längsknochenaltslawischer bewölkerungen unter besonderer Berücksichtigungvon Wachstumsfragen, Homo 29: 53-69.SUNDICK (R.I.) 1978, Human skel<strong>et</strong>al growth and age d<strong>et</strong>ermination,Homo 29: 228-249.L’auteurLoïc LALYSChargé de Recherche au <strong>CNRS</strong>- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces. » (Paris,France)courriel : loic.lalys@evolhum.cnrs.fr40


Quantification de la croissance à partir des indices dentairesFernando RAMIREZ ROZZIMots-clés : émail, lignes de croissance, <strong>du</strong>rée de formation, hypoplasieLa croissance chez l’homme moderne <strong>du</strong>re deux fois plus de temps quechez le chimpanzé. Par rapport à sa taille <strong>et</strong> au poids de son cerveau,l’homme est le mammifère qui présente la croissance la plus longue,caractérisée par une étape juvénile prolongée. Pourquoi, quand <strong>et</strong> dequelle manière c<strong>et</strong>te croissance prolongée s’est-elle mise en placeau cours de l’évolution des hominidés ? Ces questions sont centralesdans les nouvelles disciplines de l’anthropologie comme « evo-devo »(evolutionary development).Les études de la croissance chez les espèces fossiles se sont heurtéespendant des années à un obstacle qui semblait insurmontable, àsavoir l’attribution d’un âge précis à un évènement donné de la vie del’indivi<strong>du</strong>. Des travaux réalisés au cours des vingt dernières annéesont démontré que l’éruption dentaire est complètement intégrée à lacroissance générale de l’indivi<strong>du</strong> <strong>et</strong> que le développement dentaireest un moyen exceptionnel pour calibrer la croissance des indivi<strong>du</strong>s(tableau 1) (Smith 1989 a <strong>et</strong> b ; 1992 ; Smith <strong>et</strong> al. 1994 ; voir Robson,Wood 2008).Tableau 1 : Rapport entre les variables de croissance <strong>et</strong> l’âge d’éruption de lapremière molaire chez les primatesVariables de croissance N r penteLongueur cycle 12 0,28 0,09Femelle maturité sex. 13 0,86 1,06Age de sevrage 14 0,93 1,07Longueur gestation 18 0,85 0,24Intervalle e/ naissances 16 0,82 0,66Age femelle 1° naissance 8 0,93 0,76Mâle maturité sex. 9 0,93 0,76N : nombre d’éspèces D’après Smith 1992De plus, l’existence de lignes de croissance à l’intérieur de l’émailperm<strong>et</strong> d’attribuer des <strong>du</strong>rées précises aux étapes de la formationdentaire (figure 1) (Ramirez Rozzi 1998).Figure 1 : Coupe schématique d’une molaire montrant la disposition des lignes decroissance dans l’émail <strong>et</strong> les deux parties de la couronne.De c<strong>et</strong>te manière, les analyses de la microanatomie de l’émaildentaire ont permis de caractériser la croissance des espècesd’hominidés fossiles, de commencer à comprendre les processussous-jacents <strong>et</strong> d’avancer des hypothèses sur le rôle adaptatif dedifférents types de croissance.Lignes de croissance dans l’émail dentaireSuccinctement, rappelons que l’émail se forme selon deuxdirections, une verticale résultant de la formation des prismes parla sécrétion des améloblastes (cellules pro<strong>du</strong>ctrices de la matricede l’émail) depuis l’union de l’émail avec la dentine jusqu’à lasurface dentaire, l’autre, horizontale par l’inclusion de nouveauxaméloblastes actifs au front de formation de la matrice de l’émail(matrice qui, par la suite, se minéralise <strong>et</strong> devient l’émail tel qu’ilapparaît dans une dent en éruption). L’émail dentaire présentedeux types de lignes de croissance qui sont intimement liées auxL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 41


Quantification de la croissance à partir des indices dentairesprocessus de formation. Les striations-transversales correspondent àdes lignes plus ou moins transversales à l’axe des prismes qui résultentd’un changement dans la composition minérale des prismes dû à l’activitécircadienne des améloblastes. Elles présentent donc une périodicitéjournalière <strong>et</strong> la distance entre elles correspond à la quantité d’émailformé par un améloblaste en une journée (taux de sécrétion d’émail).Les stries de R<strong>et</strong>zius sont des lignes qui apparaissent, dans la coupelongitudinale d’une dent, comme délimitant des couches successives del’émail aux alentours des cuspides <strong>et</strong> des couches en imbrication sur lesfaces latérales de la couronne. Elles représentent les pas successifs <strong>du</strong>front de formation de la matrice de l’émail. Leur périodicité est donnéepar le nombre de striations-transversales qui les séparent <strong>et</strong> est compriseentre 6 à 11 chez l’homme moderne. On pense que la périodicité desstries est la même pour toutes les dents d’un même indivi<strong>du</strong>.Selon la disposition des stries, la couronne dentaire se divise en une partiecuspale dans laquelle les stries ne sont pas en contact avec la surfacede l’émail <strong>et</strong> en une partie latérale dans laquelle les stries rejoignentla surface de l’émail <strong>et</strong> forment de faibles dépressions nomméespérikymaties (figure 1). La <strong>du</strong>rée de formation des couronnes peutêtre obtenue avec plusieurs méthodes, mais on utilise principalementune méthode pour la partie cuspale <strong>et</strong> un autre pour la partie latérale.Dans la première, le cours des prismes est suivi depuis la dentinejusqu’à la surface de l’émail <strong>et</strong> on compte le nombre de striationstransversales ; si ceci n’est pas possible, la longueur <strong>du</strong> prisme estdivisée par la distance moyenne entre les striations-transversales<strong>et</strong> on obtient la <strong>du</strong>rée de formation en jours (figure 2).Pour la partie latérale, le nombre de stries est multiplié par leurpériodicité. L’addition de la <strong>du</strong>rée des deux parties perm<strong>et</strong> deconnaître la <strong>du</strong>rée de formation de la couronne. Il est importantde signaler que la formation de l’émail ne commence, ni nefinit, simultanément dans toutes les cuspides. Il est donc trèsimportant de signaler l’endroit où le décompte des lignes decroissance est effectué <strong>et</strong> de tenir compte <strong>du</strong> décalage deformation entre les cuspides.Figure 2 : Email cuspale. L’orientation générale des prismes est indiquée par leslignes en pointillé <strong>et</strong> les striations transversales par les flèches noires. Les flèchesblanches signalent des bandes à l’intérieur de l’émail, qui correspondent parfois auxstries de R<strong>et</strong>zius.Hominidés <strong>du</strong> Plio-PléistocèneLa croissance prolongée chez l’humain <strong>et</strong> la croissance raccourciechez les grands singes ont été les références de comparaison pour leshominidés fossiles à qui l’on a assigné une formation dentaire de typehumain ou de type chimpanzé selon l’écart, long pour le premier <strong>et</strong>court pour le second, entre l’éruption de la première incisive <strong>et</strong> celle dela première molaire (Bromage, Dean 1985). Nous savons aujourd’huique si l’écart entre l’éruption de ces deux types dentaires rappelleplutôt celui des chimpanzés, la formation dentaire des hominidésfossiles est particulière <strong>et</strong> que, s’il existe des similitudes entresles espèces fossiles, on découvre que chaque espèce d’hominidéprésente une formation dentaire caractéristique. Il semblerait quela <strong>du</strong>rée de formation des molaires n’est pas inférieure à deux ansL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 42


Quantification de la croissance à partir des indices dentaires<strong>et</strong> ne dépasse guère trois ans chez les hominidés <strong>et</strong> les grands singes ;les différences dans la morphologie <strong>et</strong> surtout dans la taille entre lesespèces résultent <strong>du</strong> concours des relations particulières pour chaqueespèce entre le taux de sécrétion de l’émail, le nombre d’améloblastesactifs à chaque étape <strong>et</strong> la <strong>du</strong>rée de vie active des améloblastes (figures3 <strong>et</strong> 4) (Lacruz <strong>et</strong> al. 2008).Figure 3 : Variation <strong>du</strong> taux de sécrétion de l’émail selon les espèces d’hominidés.IC : intervalle de confiance. D’après Lacruz <strong>et</strong> al. 2008.Figure 4 : Rapport entre le taux de sécrétion de la partie cuspale <strong>et</strong> la mégadontiechez les hominidés. La mégadontie est le rapport entre la taille des molaires <strong>et</strong> la taille<strong>du</strong> corps ; les valeurs élevées indiquent que les dents sont de taille considérable. Ilexiste une forte corrélation (P


Quantification de la croissance à partir des indices dentairesNéandertaliens <strong>et</strong> hommes modernesL’observation des lignes de croissance dans l’émail requiert que lesdents soient naturellement cassées ou sectionnées, ce qui constitueune limitation importante à ce type d’étude. Le développement <strong>du</strong>synchrotron <strong>et</strong> son utilisation pour l’étude de la croissance dentaire chezles hominidés fossiles perm<strong>et</strong> ce type d’analyse sans avoir à sectionnerles dents (Smith, Tafforeau 2008). Cependant, l’accès au synchrotronest très limité <strong>et</strong> n’est donc réservé qu’à des cas ponctuels (Smith <strong>et</strong> al.2007, 2007).A la différence des dents des hominidés <strong>du</strong> Plio-pléistocène, les dentsdes hommes fossiles <strong>du</strong> Pléistocène moyen <strong>et</strong> final sont rarementcassées. L’étude de la croissance dentaire doit donc être effectuéeà partir des périkymaties. La partie latérale (où les périkymaties sontprésentes) comprenant un pourcentage élevé de la couronne desFigure 5 : Distribution des périkymaties dans les dents antérieures. La hauteur dela couronne a été divisée en déciles pour éviter l’eff<strong>et</strong> de taille. Le nombre moyende périkymaties est donné pour chaque décile (N° Pk). Le nombre de périkymatiesaugmente vers le coll<strong>et</strong> dans toutes les espèces, mais l’augmentation est beaucoup plusmarquée chez H. sapiens <strong>du</strong> Paléolithique supérieur. Chez les néandertaliens, près <strong>du</strong>coll<strong>et</strong>, le nombre de périkymaties est plus bas que chez H. heidelbergensis, leur ancêtre,ce qui suggère que la formation dentaire chez les néandertaliens s’est spécialisée ensens opposé à celle de H. sapiens.incisives <strong>et</strong> des canines, l’étude <strong>du</strong> nombre <strong>et</strong> de la dispositiondes périkymaties a été réalisée sur ces types dentaires (figure5) (Ramirez Rozzi, Bermudez de Castro 2004). Le faible nombrede périkymaties chez les néandertaliens indique que la <strong>du</strong>rée deformation des dents antérieures était courte. Comme le rapportentre les étapes de formation de tous les types dentaires chez lesnéandertaliens ressemble à celui chez l’homme moderne (Tompkins1996), une <strong>du</strong>rée de formation raccourcie dans les dents antérieuresdoit forcement être accompagnée par une <strong>du</strong>rée de formationcourte dans les autres types dentaires. Les travaux effectuésau synchrotron ont aussi suggéré que les hommes modernes <strong>du</strong>Paléolithique Supérieur présentaient une formation dentaire <strong>et</strong> doncune croissance prolongée tandis que les néandertaliens avaient unecroissance plus rapide (Smith <strong>et</strong> al. 2007 ; 2007).Cependant, il est important de signaler que certaines populationsactuelles d’hommes modernes (figure 6) présentent un nombre faibleFigure 6 : Distribution des périkymaties dans l’incisive latérale inférieure chezl’homme moderne. Tandis que les européens actuels <strong>et</strong> <strong>du</strong> moyen âge montrent unnombre semblable de périkymaties, les pygmées de l’Afrique de l’ouest présente unnombre moins élevé de périkymaties près <strong>du</strong> coll<strong>et</strong>.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 44


Quantification de la croissance à partir des indices dentairesde lignes de croissance suggérant probablement une croissance pluscourte que celle des hommes modernes <strong>du</strong> Paléolithique Supérieure<strong>et</strong> que ce sont les populations européennes ou africaines, avec unmode de vie occidental, qui ont servi pour établir les standards actuelsde croissances. La question reste ouverte pour des populations quigardent encore un mode de vie traditionnel, pour lesquelles les registresdes naissances sont peu fiables ce qui rend les études de croissancedifficilement abordables.HypoplasiesLes études des lignes de croissance dans l’émail ont bouleversé l’étudedes hypoplasies, marqueurs de stress à la surface des couronnes. Eneff<strong>et</strong>, classiquement, l’emplacement de l’hypoplasie dans la hauteur dela couronne était obtenu afin d’estimer l’âge auquel le moment de stressavait eu lieu chez l’indivi<strong>du</strong>. Par exemple, si l’hypoplasie se situait à mihauteurd’une première incisive supérieure dont la <strong>du</strong>rée de formationde la couronne est de 4,3 ans, le stress était arrivé à l’âge de 2,5 ans(2,15 ans de formation de la couronne plus 0,35 ans pour la périodeentre la naissance <strong>et</strong> la première sécrétion d’émail sur ce type dedent). Or nous savons que la <strong>du</strong>rée de formation des couronnescomprend une zone que la hauteur de la dent ne prend pas encompte <strong>et</strong> qu’elle ne s’effectue pas de façon régulière. La méthodeclassique con<strong>du</strong>it à des résultats erronés (figure 7).Les hypoplasies linéaires qui résultent d’un arrêt précoce del’activité des améloblastes se présentent comme une bande plusou moins horizontale autour de la couronne en suivant le parcoursdes périkymaties. Les hypoplasies comprennent une ou plusieurspérikymaties bien délimitées. De ce fait, le moment <strong>du</strong> stress peutêtre parfaitement obtenu en effectuant le décompte des lignesde croissance dans l’émail (Cunha <strong>et</strong> al. 2004). Des figuresindiquant l’âge indivi<strong>du</strong>el pour chaque décile de la hauteur desdents antérieures ont été publiées par Reid <strong>et</strong> Dean (2006) <strong>et</strong>sont très utiles pour dater approximativement le stress quandle décompte des lignes de croissance ne peut être effectuédirectement sur la dent analysée. Notons cependant que cesfigures ont été établies pour une population particulière <strong>et</strong>L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010que leur utilisation pour d’autres populations comporte probablementun certain biais.Figure 7 : Dans un schéma de la première incisive supérieure, la hauteur de lacouronne a été divisée en déciles <strong>et</strong> l’âge correspondant à chaque décile a été indiqué(d’après Reid, Dean 2006). Une hypoplasie pro<strong>du</strong>ite vers l’âge de 2,5 ans se placeraità la limite inférieure <strong>du</strong> 6° décile, donc elle a lieu quand 60% de la hauteur de lacouronne a été formé. La <strong>du</strong>rée de formation de la première incisive supérieure estde 4,33 ans en moyenne. Si la méthode classique est employée pour estimer l’âgeauquel c<strong>et</strong>te hypoplasie s’est pro<strong>du</strong>ite, le 60% de la hauteur indiquerait qu’elle aeu lieu au moment où la dent était formée à 60%, c’est-à-dire 2,6 ans. Si l’on ajoutel’intervalle qui sépare la naissance <strong>du</strong> début de formation de la dent (0,44 ans) onestimera que l’hypoplasie a été pro<strong>du</strong>ite à l’âge de 3 ans, ce qui est faux. Étant donnéque l’hypoplasie a été formée à 2,5 ans, le résultat obtenu avec la méthode classiques’écarte d’un 20%, ce qui est considérable.ConclusionL’évolution de la croissance mais aussi la variation de la croissanceentre les populations actuelles sont des champs d’étude largementouverts. Le paramètre de formation dentaire qui donne le plusd’information sur la croissance d’un indivi<strong>du</strong> n’est pas connu aveccertitude, mais pourrait être l’éruption dentaire (Robson, Wood 2008).45


Quantification de la croissance à partir des indices dentairesLa diversité des processus observés chez les hominidés fossiles appelleà une plus large compréhension de différents types de croissance <strong>et</strong> deleur probable rôle adaptatif. L’étude des populations actuelles, en plus desa valeur intrinsèque, pourra largement éclaircir ces aspects.Références bibliographiquesBROMAGE (T.G.), DEAN (M.C.) 1985, Re-evaluation of the age at deathof Plio-Pleistocene fossil hominids, Nature 317: 525-528.CUNHA (E.), RAMIREZ ROZZI (F.V.), BERMUDEZ DE CASTRO (J.M.),MARTINON-TORRES (M.), WASTERLAIN (S.N.), SARMIENTO (S.)2004, A new look into enamel hypoplasias: evidence from the Sima delos Huesos Middle Pleistocene site, Am. J. Phys. Anthropol. 125: 220-231.LACRUZ (R.S.), DEAN (M.C.), RAMIREZ ROZZI (F.V.), BROMAGE (T.G.)2008, Megadontia, striae periodicity and patterns of enamel secr<strong>et</strong>ion inPlio-Pleistocene fossil hominins, Journal of Anatomy 213: 148-158.RAMIREZ ROZZI (F.V.) (éd) 1998, Enamel Structure and Development,and its Application in Hominid Evolution and Taxonomy. J. Hum. Evol.(special issue) 35 (4/5).RAMIREZ ROZZI (F.V.), BERMUDEZ DE CASTRO (J.M.) 2004,Surprisingly rapid growth in Neanderthals, Nature 428: 936-939.REID (D.J.), DEAN (M.C.) 2006, Variation in modern human enamelformation times, J. Hum. Evol. 50: 329-346.ROBSON (S.L.), WOOD (B.) 2008, Hominin life history:reconstruction and evolution, J. of Anat. 212: 394-425.SMITH (B.H.) 1989a, Growth and development and its significancefor early hominid behavior, Ossa 14: 63-96.SMITH (B.H.) 1989b, Dental development as a measure of lifehistory in primates, Evolution 43: 683-688.SMITH (B.H.) 1992, Life history and the evolution of humanmaturation, Evol. Anthropol. 1: 134-142.SMITH (B.H.), CRUMMET (T.L.), BRANDT (K.L.) 1994, Ages oferuption of primate te<strong>et</strong>h: a compendium for aging indivi<strong>du</strong>alsand comparing life histories, Yrbk Phys. Anthropol. 37: 177-231.SMITH (T.M.), TAFFOREAU (P.) 2008, New visions of dental tissueresearch: Tooth development, chemistry, and structure, Evol.Anthropol. 17: 213-226.SMITH (T.M.), TAFFOREAU (P.), REID (D.J.), GRUN (R.), EGGINS(S.), BOUTAKIOUT (M.), HUBLIN (J.J.) 2007, Earliest evidence ofmodern human life history in North African early Homo sapiens. Proc.Natl. Acad. Sci. U.S.A. 104: 6128-33.SMITH (T.M.), TOUSSAINT (M.), REID (D.J.), OLEJNICZAK (A.J.),HUBLIN (J.J.) 2007, Rapid dental development in a Middle PaleolithicBelgian Neanderthal, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 104: 20220-20225.TOMPKINS (R.L.) 1996, Relative dental development of UpperPleistocene hominids compared to human population variation. Am.J. Phys. Anthropol. 99: 103–118.L’auteurFernando RAMIREZ ROZZIDirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces » (Paris,France) - <strong>CNRS</strong>courriel : ramrozzi@yahoo.frtél : 33 1 43 13 56 09L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201046


Surpoids <strong>et</strong> obésité : une norme bio médicale unique en questionAude BRUS, Gilles BOETSCHMots-clés : surpoids, obésité, variabilité inter populationnelle,norme bio-médicaleDéfinition <strong>du</strong> statut nutritionnel d’un indivi<strong>du</strong>Ces dernières décennies, les pays in<strong>du</strong>strialisés ont connu unealarmante augmentation des prévalences <strong>du</strong> surpoids <strong>et</strong> de l’obésité,tant chez les enfants que chez les a<strong>du</strong>ltes. Ce problème n’estcependant pas exclusivement occidental, les statistiques devenantégalement inquiétantes dans de nombreux pays dits « émergents »,où il a par exemple été constaté que les prévalences <strong>du</strong> surpoids chezles jeunes femmes étaient supérieures à celles de la sous nutrition(Mendez <strong>et</strong> al. 2005). Ce phénomène est d’ailleurs observé autantdans les régions rurales que dans les zones urbaines. L’OrganisationMondiale de la Santé (1998) classifie désormais l’obésité parmi lesmaladies épidémiques. C<strong>et</strong>te maladie chronique est devenue unenjeu majeur en santé publique car elle est associée à des risques demorbidité <strong>et</strong> de mortalité élevés avec d’importants enjeux en termesde financements sanitaires.Afin de facilement repérer les indivi<strong>du</strong>s à risques <strong>et</strong> mesurerl’éten<strong>du</strong>e de l’épidémie, l’OMS a proposé en 1995 une classificationétablie à partir de l’Indice de Masse Corporelle (IMC). Desvaleurs-seuils perm<strong>et</strong>tent de répartir les suj<strong>et</strong>s en trois grandsgroupes: les indivi<strong>du</strong>s en insuffisance pondérale (IMC inférieurà 18,5 kg/m²), ceux qui sont dans la « norme » (IMC entre 18,5<strong>et</strong> 24,9 kg/m²), <strong>et</strong> ceux qui présentent une surcharge pondérale(surpoids si IMC entre 25 <strong>et</strong> 29,9 kg/m² <strong>et</strong> obésité au-delà de30 kg/m²). Ces recommandations sont applicables sur tous lesindivi<strong>du</strong>s a<strong>du</strong>ltes quels que soient le genre, l’âge <strong>et</strong> l’originegéographique.Construction d’une norme clinique quantitativeen questionNous pouvons nous interroger sur la pertinence de la normeappliquée, <strong>et</strong> notamment sur la méthodologie de sa constructionscientifique.L’obésité est médicalement définie comme une accumulationexcessive <strong>et</strong> anormale de réserves adipeuses, dépassant 25% <strong>du</strong>poids chez les hommes <strong>et</strong> 30% chez les femmes. C<strong>et</strong> excédent degraisses est associé à une augmentation des facteurs de risquessanitaires (Basdevant 2004). Diverses méthodes perm<strong>et</strong>tentd’évaluer le pourcentage de masse grasse corporelle d’un indivi<strong>du</strong>: l’absorption biphotonique à rayons X (ou DEXA), des techniquesd’imagerie médicale (tomodensitométrie ou imagerie par résonnancemagnétique), impédancemétrie,… Cependant, toutes sont assezcoûteuses <strong>et</strong> entraînent une logistique lourde <strong>et</strong> sont donc difficilementapplicables sur le terrain sur de grands échantillons.Le consensus s’est alors accordé sur l’utilisation de l’IMC. C<strong>et</strong>indice, conçu initialement par Quêtel<strong>et</strong> en Belgique en 1835(Quêtel<strong>et</strong> 1835), a été r<strong>et</strong>enu car c’est un rapport défini à partir demesures simples, fiables <strong>et</strong> repro<strong>du</strong>ctibles, de plus, bien corrélé àl’adiposité (Garrow, Webster 1985). Il est cependant reconnu quec<strong>et</strong> outil présente plusieurs limites. Il ne perm<strong>et</strong> pas, par exemple,de connaître la répartition des graisses, notamment le pourcentagede graisse abdominale, pourtant significativement impliqué dans lesrisques de maladies chroniques ultérieures (OMS 1995).La détermination des limites définissant surpoids <strong>et</strong> obésité estpar ailleurs issue d’études épidémiologiques qui s’intéressaientaux associations observables entre l’IMC <strong>et</strong> l’augmentation de laprévalence de maladies chroniques telles que des cardiopathiesou le diabète. Ces études, menées uniquement auprès de cohortesL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201047


Surpoids <strong>et</strong> obésité : une norme bio médicale unique en questiond’indivi<strong>du</strong>s dits « caucasiens » (i.e. « européens »), ont montré qu’endessousde 19 kg/m² <strong>et</strong> au-dessus de 31 kg/m², les risques de mortalitéétaient élevés. La communauté scientifique s’est ensuite rapidementaccordée sur les valeurs-seuils que nous connaissons désormais <strong>et</strong>l’OMS a publié ses directives, « universellement » applicables, en 1995.Face à l’expansion rapide des problèmes de surcharges pondérales <strong>et</strong> àla nécessité de cerner efficacement l’état de santé des populations, c<strong>et</strong>teclassification, certes rigide mais pratique, a facilement été adoptée. Lorsde l’établissement de c<strong>et</strong>te nouvelle norme, les intérêts scientifiques sesont donc centrés sur les risques sanitaires associés à un excès pondéral,délaissant la problématique de la représentativité des échantillons d’étude<strong>et</strong> de l’applicabilité de telles références à toutes les populations.des « caucasiens ». A contrario, les populations chinoises, thaïs,indonésiennes <strong>et</strong> enfin éthiopiennes avaient des IMC inférieurs àcelui <strong>du</strong> groupe de référence. L’application d’une même valeur-seuilclinique sur estime donc les risques associés à un excès de massegrasse dans le premier groupe populationnel, <strong>et</strong> au contraire les sousestime dans le second.Figure 1 : Variation de l’IMC à genre, âge <strong>et</strong> composition corporelle identiques dansdifférentes populations, d’après Deurenberg <strong>et</strong> al. (1998).Cependant, les relations entre l’IMC <strong>et</strong> le pourcentage de masse grassedans le corps, <strong>et</strong> donc avec les risques sanitaires associés, présente unegrande variabilité inter populationnelle. L’application d’une norme unique,applicable à toutes les populations <strong>du</strong> globe, est donc débattue.Une variabilité inter populationnellePour comparer les relations entre l’IMC <strong>et</strong> le pourcentage de massegrasse dans différentes populations, deux types d’approchesexistent : soit, à partir d’un pourcentage de masse grasse fixe, lesauteurs définissent les IMC correspondants, soit à l’inverse, à partird’un IMC donné, ils déterminent le pourcentage de masse grassecorrespondant dans divers groupes.Deurenberg <strong>et</strong> al. (1998), s’appuyant sur 32 études publiées,ont comparé les variations de l’IMC dans sept populations, àgenre, âge <strong>et</strong> pourcentage de masse grasse identiques (fig. 1).L’échantillon des « caucasiens », regroupant des américains,des australiens <strong>et</strong> des européens, a servi de groupe de référencepour les analyses. Il est apparu que, pour une proportion demasse grasse égale, les polynésiens <strong>et</strong> les noirs américainsprésentaient des IMC significativement supérieurs à celuiL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201048


Surpoids <strong>et</strong> obésité : une norme bio médicale unique en questionD’autres études corroborent ces observations. Ainsi Wang <strong>et</strong> al. (1994)ont comparé la composition corporelle de deux groupes de new-yorkais :les uns « caucasiens » <strong>et</strong> les autres d’origine asiatique (chinois, japonais,coréens <strong>et</strong> philippins). Ils ont constaté que, à genre <strong>et</strong> âge identiques, lesindivi<strong>du</strong>s asiatiques présentaient un IMC plus bas mais une proportionde graisses dans le corps plus élevée que les caucasiens. De nombreuxpays asiatiques présentent ainsi une faible prévalence d’obésité mais destaux élevés de maladies liées à un excès pondéral significatif (risquescardio vasculaires, hypertension ou diabète de type 2 par exemple) (Cho2002 ; Kim <strong>et</strong> al. 2004). Ces tendances ont également été observéesen Chine (He <strong>et</strong> al. 2001 ; Lear <strong>et</strong> al. 2007), à Singapour (Deurenberg<strong>et</strong> al.., 2000), au Japon (Gallagher <strong>et</strong> al. 2000 ; Kagawa <strong>et</strong> al. 2006), enIndonésie (Gurrici <strong>et</strong> al. 1998), ou encore à Taiwan (Chang <strong>et</strong> al. 2003).Mis à part les travaux de Deurenberg <strong>et</strong> al. (1995 ; 1998), les étudesconcernant les populations africaines sont peu nombreuses. Rush<strong>et</strong> al. (2007) ont comparé deux groupes de femmes sud-africaines :les unes noires <strong>et</strong> les autres d’origine européenne. Ils ont constaté,à l’instar de Deurenberg <strong>et</strong> al. (1998), qu’à pourcentage de massegrasse identique, les femmes noires présentaient un IMC inférieuraux femmes d’origine européenne. Luke <strong>et</strong> al. (1997) ont, quant àeux, comparé deux populations américaines possédant un héritagegénétique africain (Etats-Unis <strong>et</strong> Jamaïque) <strong>et</strong> une population <strong>du</strong>Nigéria <strong>et</strong> ont démontré que, pour un IMC égal à 25 kg/ m², lesNigérians présentaient un pourcentage de masse grasse plusfaible que les américains (respectivement 16,4% <strong>et</strong> 25,8%).Les travaux de Rush <strong>et</strong> al. (2007) corroborent également lesrésultats de Deurenberg <strong>et</strong> al.. (2008) concernant la populationpolynésienne. Ils ont en eff<strong>et</strong> comparé la variabilité de larelation entre l’IMC <strong>et</strong> la composition corporelle en Nouvelle-Zélande, séparant les femmes d’origine européenne,maori, pacifique <strong>et</strong> indo-asiatique. Ils ont ainsi montréque, à composition corporelle identique, les femmespolynésiennes présentaient des IMC significativement supérieurs àcelui des femmes d’origine européenne. Craig <strong>et</strong> al.. (2001) ont suivila même démarche en rapprochant un échantillon de polynésiensdes îles <strong>du</strong> Tonga avec des Australiens d’origine européenne. Tantchez les femmes que chez les hommes, les IMC correspondants àune même composition corporelle sont plus élevés dans le groupe<strong>du</strong> Tonga.Ainsi, la relation entre l’IMC <strong>et</strong> la composition corporelle présenteune grande variabilité inter populationnelle. Les prévalences définiesà partir de la classification de l’OMS peuvent donner une imagebiaisée des risques sanitaires réels. En eff<strong>et</strong>, une sur-estimation ouau contraire une sous-estimation des prévalences modifiera le degréd’alarme <strong>et</strong> se répercutera directement sur les modalités des plansd’action en santé publique. Des mo<strong>du</strong>lations des limites ont donc étéproposées selon les populations considérées : un abaissement dansl’ensemble des populations asiatiques : 23 kg/m² pour le surpoids <strong>et</strong>27,5 kg/m² pour l’obésité (OMS 2004) ; <strong>et</strong> au contraire une élévationdans les populations polynésiennes : 28-29 kg/m² pour le surpoids <strong>et</strong>au-delà de 35 kg/m² pour l’obésité (Craig <strong>et</strong> al. 2001)Respecter de la variabilité humaineNous pouvons nous interroger sur la pertinence des différences « inter<strong>et</strong>hnies » fréquemment signalées dans la littérature. Dans différentesétudes, deux critères ont été utilisées pour différencier les diversespopulations : la localisation géographique sur le globe, chaquepopulation étant alors déterminée par un territoire (Deurenberg <strong>et</strong> al.1998 ; Craig <strong>et</strong> al. 2001), ou un critère généalogique, les origines desaïeuls déterminant la population d’appartenance (Wang <strong>et</strong> al. 1994 ;Rush <strong>et</strong> al. 2007). La définition d’une population se limite donc soità un facteur écologique très généraliste soit à un facteur génétiquequalifié par l’ascendance « <strong>et</strong>hnique ».L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201049


Surpoids <strong>et</strong> obésité : une norme bio médicale unique en questionC<strong>et</strong>te « typologie » des indivi<strong>du</strong>s se révèle insatisfaisante car elleparaît rigide <strong>et</strong> fixiste, ignorant toutes les dimensions culturelles <strong>et</strong>comportementales in<strong>du</strong>ites par la notion de population. La variable «population géographique » n’est pas en eff<strong>et</strong> informative car elle englobeun pool de facteurs éco-sociaux très différents d’une région à l’autre : lesenvironnements physiques (climat ou niveau d’urbanisation) diffèrent,les comportements alimentaires varient (en termes d’apports caloriquesjournaliers, d’aliments de base ou de mode de préparation par exemple),le niveau d’activité physique <strong>et</strong> les dépenses énergétiques sont différents,les contextes socio-économiques, politiques <strong>et</strong> religieux sont divers.Une approche davantage holistique de la variabilité inter populationnelleparaît nécessaire car c<strong>et</strong>te dernière résulte de l’interaction entre descaractères intrinsèques <strong>et</strong> un large éventail de facteurs extrinsèques.L’indivi<strong>du</strong> ne peut pas être résumé à un assemblage de liaisons simples,il est le résultat d’un « processus » caractérisé par un grand nombre devariables aléatoires (Guerci <strong>et</strong> al. 2007).Enfin, le choix entre une norme identique pour tous ou un standardspécifique à chaque population est une problématique communeà tous les champs de recherche qui s’appuient sur la mesure <strong>du</strong>corps. C<strong>et</strong>te question est par exemple particulièrement aigüe dansle domaine de la croissance. Référentiels locaux <strong>et</strong> internationauxcoexistent <strong>et</strong> finalement se complètent au quotidien : les référentielsinternationaux de l’OMS perm<strong>et</strong>tent de standardiser les études <strong>et</strong>de comparer les modalités de croissance entre populations, lesstandards locaux semblent quant à eux plus appropriés poursuivre la croissance <strong>et</strong> évaluer l’état de santé d’un indivi<strong>du</strong>dans un contexte clinique quotidien.Il reste dans tous les cas nécessaire de rester attentif lors dela sélection <strong>du</strong> modèle normatif auquel nous nous référonscar ce choix influencera à terme les politiques de santé <strong>et</strong>de prévention, ainsi que les moyens financiers engagés.Références bibliographiquesBASDEVANT (A.) 2004, Définitions <strong>et</strong> classifications des obésités,in A. Basdevant <strong>et</strong> B. Guy-Grand (éd.), Médecine de l’obésité,Flammarion, Paris, p. 3-7.CHANG (C.J.), WU (C.H.), CHANG (C.S.), YAO (W.J), YANG (Y.C.),WU (J.S.), LU (F.H.) 2003, Low body mass index but high percentbody fat in Taiwanese subjects: implications of obesity cutoffs,International Journal of Obesity and Related M<strong>et</strong>abolic Disorders 27(2): 253-259.CHO (V.) 2002, WHO reassesses appropriate body-mass index forasian populations, The Lanc<strong>et</strong> 360: 235.CRAIG (P.), HALAVATAU (V.), COMINO (E.), CATERSON (I.) 2001,Differences in body composition b<strong>et</strong>ween Tongans and Australians:time to r<strong>et</strong>hink the healthy weight ranges?, International journal ofobesity 25: 1806-1814.DEURENBERG (P.), WOLDE-GEBRIEL (Z.), SCHOUTEN (F.J.M.)1995, The validity of predicted total body water and extra-cellularwater using multi-frequency bioelectrical impedance in an EthiopanPopulation, Annals of Nutrition and M<strong>et</strong>abolism 63: 4-14.DEURENBERG (P.), YAP (M.), VAN STAVEREN (W.A.) 1998, Bodymass index and percent body fat: a m<strong>et</strong>a analysis among different<strong>et</strong>hnic group, International Journal of Obesity and Related M<strong>et</strong>abolicDisorders 22 (12): 1164-1171.DEURENBERG-YAP (M.), SCHMIDT (G.), VAN STAVEREN (W.A.),DEURENBERG (P.) 2000, The paradox of low body mass index andhigh body fat percentage among Chinese, Malays and Indians inSingapore, International Journal of Obesity and Related M<strong>et</strong>abolicDisorders 24 (8): 1011-1017.GALLAGHER (D.), HEYMSFIELD (S.B.), HEO (M.), JEBB (S.A.),MURGATROYD (P.R.), SAKAMOTO (Y.) 2000, Healthy percentagebody fat ranges: an approach for developing guidelines based onbody mass index, American Journal of Clinical Nutrition 72: 694-701.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201050


Surpoids <strong>et</strong> obésité : une norme bio médicale unique en questionGARROW (J.S.), WEBSTER (J.) 1985, Qu<strong>et</strong>el<strong>et</strong>’s index (W/H²) as ameasure of fatness, International journal of obesity 9 (2): 147-153.GUERCI (A.), RAMIREZ-ROZZI (F.), RUDAN (P.), SARDI (M.) 2007,Variabilité morphologique des populations actuelles, in A.-M. Guihard-Costa, G. Boëtsch, A. Froment, A. Guerci, J. Robert-Lamblin (éd.),L’Homme <strong>et</strong> sa diversité. Perspectives <strong>et</strong> enjeux de l’Anthropologiebiologique, <strong>CNRS</strong> Editions, Paris, p. 45-55.GURRICI (S.), HARTRIYANTI (Y.), HAUTVAST (J.), DEURENBERG (P.)1998, Relationship b<strong>et</strong>ween body fat and body mass index: differencesb<strong>et</strong>ween Indonesians and Dutch Caucasians, European journal ofclinical nutrition 52 (11): 779-783.HE (M.), TAN (K.), LI (E.), KUNG (A.) 2001, Body fat d<strong>et</strong>ermination by<strong>du</strong>al energy X-ray absoptiom<strong>et</strong>ry and its relation to body mass indexand waist circumference in Hong Kong Chinese, International journal ofobesity 25: 748-752.KAGAWA (M.), UENISHI (K.), KUROIWA (C.), MORI (M.), BINNS (C.)2006, Is the BMI cut-off level for Japanese females for obesity s<strong>et</strong>too high? A consideration from a body composition perspective, AsiaPacific Journal of Clinical Nutrition 15 (4): 502-507.KIM (Y.), SUH (Y.K.), CHOI (H.) 2004, BMI and m<strong>et</strong>abolic disordersin south korean a<strong>du</strong>lts: 1998 Korea National Health and NutritionSurvey, Obesity Research 12 (3): 445-453.LEAR (S.A.), HUMPHRIES (K.H.), KOHLI (S.), BIRMINGHAM(C.L.) 2007, The use of BMI and waist circumference as surrogatesof body fat differs by <strong>et</strong>hnicity, Obesity 15 (11): 2817-2824.LUKE (A.), DURAZO-ARVIZU (R.), ROTIMI (C.), PREWITT (E.),FORRESTER (T.), WILKS (R.), OGUNBIYI (O.J.), SCHOELLER(D.A.), McGEE (D.), COOPER (R.S.) 1997, Relation b<strong>et</strong>weenBody Mass Index and body fat in black population samples fromNigeria, Jamaica, and the United States, American journal ofepidemiology 145 (7): 620-628.MENDEZ (M.A.), MONTEIRO (C.A.), POPKIN (B.M.) 2005,Overweight exceeds underweight among women in mostdeveloping countries, American Journal of Clinical Nutrition81: 714-721.OMS 1995, Utilisation <strong>et</strong> interprétation de l’anthropométrie. Sériesde rapports techniques, 854, Genève.OMS 1998, Obésité: prévention <strong>et</strong> prise en charge de l’épidémiemondiale. Série de Rapports techniques 300, Genève.OMS 2004, Appropriate body-mass index for asians populations andits implications for policy and intervention strategies, Lanc<strong>et</strong> 363:902.QUETELET (A.) 1835, Sur l’Homme <strong>et</strong> le développement de sesfacultés ou essai de physique sociale, Bachelier, Paris, 327 p.RUSH (E.), GOEDECKE (J.), JENNINGS (C.), MICKLESFIELD(L.), DUGAS (L.), LAMBERT (E.V.), PLANK (L.D.) 2007, BMI, fatand muscle differences in urban women of five <strong>et</strong>hnicities from twocountries, International journal of obesity 31: 1232-1239.WANG (J.), THORNTON (J.C.), RUSSELL (M.), BURASTERO(S.), HEYMSFIELD (S.), PIERSON (R.N.) 1994, Asians have lowerbody mass index (BMI) but higher percent body fat than whites:comparisons of anthropom<strong>et</strong>ric measurements, American Journal ofClinical Nutrition 60: 23-28.Les auteursAude BRUSChercheure Post-DoctoranteUMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : aude_brus@hotmail.comPort. Sénégal : (00221) 77 742 87 85/ Port. France : (0033) 06 62 47 54 86Gilles BOETSCHDirecteur de recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : gilles.bo<strong>et</strong>sch@gmail.comL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201051


L’image <strong>du</strong> corps chez les Sénégalais :Application à l’étude de l’obésité dans le contexte de la transition des modes de vieEmmanuel COHEN, Nicole CHAPUIS-LUCCIANI, Patrick PASQUET, Lamine GUEYE, Gilles BOETSCHMots-clés : Corps, obésité, représentations, transitionContexte de l’étudeDepuis plusieurs années, les pays <strong>du</strong> Sud constituent le siège d’uneurbanisation croissante, ren<strong>du</strong>e possible par des exodes ruraux massifssimilaires à ceux observés dans les pays occidentaux au 19èmesiècle (Veron 2007). Ils constituent l’étape achevée d’une transitiondémographique, épidémiologique <strong>et</strong> nutritionnelle mondiale (Pison2008 ; Omran 1971 ; Popkin 1999). Dans ces pays, une espérancede vie croissante <strong>et</strong> un environnement urbain édifié nouveau avecses propres composantes : pauvr<strong>et</strong>é, pollution, restauration rapide,surdensité démographique, <strong>et</strong>c… (Maire, Delpeuch 2004 ; McMickael2000), génère un contexte dans lequel les maladies infectieusescoexistent avec des maladies chroniques non transmissibles de plusen plus fréquentes (Maire <strong>et</strong> al 2002), à l’instar des pays occidentaux<strong>du</strong>rant le siècle dernier (Knapp 2000).La surcharge pondérale, plus particulièrement l’obésité, constitue l’undes indicateurs les plus marquants de ce changement (Delpeuch,Maire 1997). Depuis plusieurs années, l’Organisation Mondialede la Santé (OMS) considère l’obésité comme une pandémie quitouche aussi bien les pays in<strong>du</strong>strialisés que les pays <strong>du</strong> Sud(WHO 2003). Le développement technique <strong>et</strong> in<strong>du</strong>striel favorisel’expansion de milieux urbains où la sédentarité y est plusprononcée qu’en zone rurale <strong>et</strong> les ressources alimentairesdisponibles pour les populations y sont plus caloriques. Cescaractéristiques environnementales faciliteraient l’émergence<strong>et</strong> la propagation de l’obésité au sein de toutes les populationshumaines (Popkin, Gordon-Larsen 2004).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010Paradoxalement, alors que la culture occidentale s’adonne à unculte très prononcé pour la minceur (Fischler, 1999), le mode de vieactuel de la population occidentale entraîne une augmentation de laprévalence <strong>du</strong> surpoids <strong>et</strong> de l’obésité jamais observée à une telleéchelle jusqu’à présent (Eaton 2000 ; Popkin, Doak 1998). C<strong>et</strong>teexigence accrue vis-à-vis de l’apparence physique, particulièrementla minceur, génère des troubles de l’image corporelle (Cash 1996)qui ont des conséquences considérables sur la santé mentale despopulations occidentales, notamment chez les jeunes (Cash <strong>et</strong> al2004). A fortiori, les indivi<strong>du</strong>s en surcharge pondérale semblentlargement affectés par ces troubles psychologiques ; en eff<strong>et</strong>, ilsdéveloppent bien souvent, en plus de pathologies cardiovasculaires<strong>et</strong> métaboliques, des syndromes psychiques nécessitant une priseen charge médicale (Wadden, Stunkard 1985).Pourtant, malgré c<strong>et</strong>te mondialisation de la culture occidentale(Latouche 1992), <strong>et</strong> des normes corporelles comme la minceur quilui sont associées, des disparités culturelles <strong>et</strong> des antagonismesdemeurent au sein <strong>du</strong> globe (Diouf 2004). Les pays <strong>du</strong> Sud, enparticulier les pays africains (M<strong>et</strong>calf <strong>et</strong> al 2000 ; Craig <strong>et</strong> al 1999 ;Holdsworth <strong>et</strong> al 2004 ; Siervo <strong>et</strong> al 2006) valorisent l’embonpoint,comme les populations européennes jusqu’au début <strong>du</strong> siècledernier (Nahoum 1979). Selon le genre, il représente la réussitesociale, le pouvoir ainsi que la santé <strong>et</strong> la fertilité (de Garine, Pollock1995 ; Sylla 1985). Contrairement à ce qu’on observe dans les paysoccidentaux, les troubles de l’image corporelle associés au rej<strong>et</strong> del’adiposité sont rares en Afrique (Miller, Pumariega 2001 ; Szabo1999) ; plus encore, c<strong>et</strong>te valorisation traditionnelle de l’embonpointest considérée par certains auteurs comme un facteur facilitant ledéveloppement de l’obésité <strong>et</strong> de ses pathologies associées (Flynn,Fitzgibbon 1998 ; Duda <strong>et</strong> al, 2006), au même titre que les facteursenvironnementaux précédemment cités.Néanmoins, en zone urbaine africaine, une « occidentalisation »récente <strong>du</strong> mode de vie est en cours. Elle agit aussi bien surl’environnement physique des indivi<strong>du</strong>s : augmentation de la masse52


L’image <strong>du</strong> corps chez les Sénégalais :Application à l’étude de l’obésité dans le contexte de la transition des modes de viepondérale liée à une composition nutritive des aliments plus calorique<strong>et</strong> des dépenses énergétiques quotidiennes plus faibles (Mufunda,Chatora 2006 ; Pasqu<strong>et</strong> <strong>et</strong> al 2003), que sur leur univers social :perceptions <strong>et</strong> gestion <strong>du</strong> corps tournées vers la minceur (Diagne 1992),modèles vestimentaires en mutation (Bambara 2004), représentationstraditionnelles de la santé <strong>et</strong> de l’esthétisme en renégociation perpétuelle(Fassin 1992 ; Amouzou 2009 ; Ndiaye 2009 ). Un certain nombre demécanismes relatifs aux zones urbaines : système médical, scolaire <strong>et</strong>médiatique (Figures 1 <strong>et</strong> 2),Figure 1. Modèle de mannequinatactuel dominant en Afrique(AMINA, n°423, 2005).Figure 2. Campagne de sensibilisation sur la surchargepondérale à Yaoundé (Cameroun, mars 2007).auraient tendance à infléchir ces représentations positives del’embonpoint (Toriola <strong>et</strong> al 1996 ; Kishwar 1995 ; Szabo, Allwood2006) <strong>et</strong> générer un espace social ambivalent ou coexistenten un même lieu représentations traditionnelles <strong>et</strong> modernes<strong>du</strong> corps. De même, les populations d’origine africaine <strong>vivant</strong>dans les pays <strong>du</strong> « Nord » comme les Etats-Unis ou la Grande-Br<strong>et</strong>agne, tout en conservant une spécificité culturelle (Becker<strong>et</strong> al 1999 ; Viner <strong>et</strong> al 2006), semblent fortement influencéespar le système de représentations occidentales (Snooks, Hall2002).ProblématiqueEn considérant l’image corporelle comme à la fois porte d’entrée<strong>du</strong> système de valeurs <strong>et</strong> de représentations d’une société donnée<strong>et</strong> indicateur de c<strong>et</strong>te transition mondiale des modes de vie, noustenterons d’évaluer l’impact de l’acculturation occidentale via lesystème médiatique, scolaire <strong>et</strong> médical, sur le système de valeurafricain. Nous prendrons le cas de la population sénégalaise,largement influencée par la culture occidentale (Fougeyrollas 1963 ;Diop 2002), en confrontant trois milieux contrastés, les zones rurale<strong>et</strong> urbaine sénégalaises (Dakar), <strong>et</strong> une zone urbaine française(Paris). Derrière l’analyse des perceptions <strong>et</strong> pratiques corporelles, ils’agira de m<strong>et</strong>tre en évidence le contenu symbolique des catégoriesmobilisées par les indivi<strong>du</strong>s pour appréhender le corps, cellescise résumant souvent à la santé <strong>et</strong> à l’esthétisme, <strong>et</strong> d’évaluerleur schéma de renégociation dans ce contexte de recompositionculturelle.Au-delà de l’acculturation symbolique <strong>et</strong> sociale, prégnante auSénégal (Ndiaye 2007), nous nous penchons sur les aspectsphysiques <strong>et</strong> environnementaux de c<strong>et</strong>te acculturation occidentale.La prévalence croissante de l’obésité en milieu urbain africain <strong>et</strong>sénégalais (Maire <strong>et</strong> al 1992) constitue l’un des indicateurs les plusflagrants de c<strong>et</strong>te transition structurelle des modes de vie. Dans cecontexte social dynamique, les perceptions sociales de la santé <strong>et</strong>de l’esthétisme que nous cherchons à décrire, se proj<strong>et</strong>tent sur uncorps physiquement en mutation. Il s’agit alors d’évaluer l’impactde c<strong>et</strong>te transition des représentations, mais aussi de l’évolution del’écologie humaine associée à c<strong>et</strong>te transition épidémiologique <strong>et</strong>nutritionnelle, sur le contenu des catégories émiques définissant lecorps chez les Sénégalais.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 53


L’image <strong>du</strong> corps chez les Sénégalais :Application à l’étude de l’obésité dans le contexte de la transition des modes de vieMéthodologie> Etude qualitativeEnquête <strong>et</strong>hnologique. Nous menons une enquête qualitative<strong>et</strong>hnologique, dans les trois milieux d’étude : rural/urbain sénégalais <strong>et</strong>français (région parisienne), en respectant la méthodologie classiquepréconisée en anthropologie sociale (Copans 2005), pour rendre comptedes représentations <strong>et</strong> pratiques qui tournent autour <strong>du</strong> corps <strong>et</strong> desdimensions que nous lui jugeons associées, tels l’esthétisme <strong>et</strong> la santé.Nous travaillons de manière approfondie sur les conceptions populaires,les discours <strong>et</strong> les termes vernaculaires associés à ces notions, ainsique l’impact sur ces dernières de l’acculturation occidentale émergenteen zone urbaine. Nous décryptons les notions élémentaires : pouvoir,fertilité, maladie <strong>et</strong>c…, qui implicitement bâtissent le socle <strong>du</strong> systèmede représentations <strong>et</strong> de valeurs des Sénégalais en matière de corps,<strong>et</strong> évaluons les mécanismes sociaux issus de l’environnement urbainpouvant agir sur celui-ci. Nous orientons aussi notre démarche sur lerapport psychosocial <strong>du</strong> corps des Sénégalais en anticipant un impactprobable de ce contexte dynamique de représentations sociales, entrevalorisation <strong>et</strong> rej<strong>et</strong> de l’embonpoint, sur les processus de négociationpsychoaffectifs <strong>du</strong> corps.m<strong>et</strong>trons en évidence les normes sénégalaises vis-à-vis <strong>du</strong> corps,les tendances dynamiques <strong>et</strong> évolutives de ces schémas corporelsdans ce contexte transitionnel, <strong>et</strong> les approches psychosocialespotentiellement ambivalentes vis-à-vis de certains morphotypes :maigreur, minceur, grosseur, obésité, <strong>et</strong>c.... Nous avons construitnotre questionnaire en nous appuyant sur un protocole de validationreconnu scientifiquement (Vallerand 1989 ; Jaeschye, Guyatt 1990),<strong>et</strong> nous l’associons à un système de planches de photographies(Harris <strong>et</strong> al 2008 ; Cohen, Pasqu<strong>et</strong> 2010) qui perm<strong>et</strong>tront d’évalueravec précision les perceptions corporelles des enquêtés (Figure 3).A terme, nous croiserons les caractéristiques biomédicales de notreéchantillon représentatif, évaluées par le bilan bio-anthropologique,aux normes émiques sénégalaises relatives aux perceptions <strong>du</strong>corps, décrite par nos enquêtes socio-anthropologiques, pour rendrecompte de la réalité bio-culturelle sénégalaise.Figure 3. Exemple de planche photographique (Cohen, Pasqu<strong>et</strong> 2010).> Etude quantitativeAnthropobiologie. Dans une étude quantitative, nous effectuonsun ensemble de mesures anthropométriques <strong>et</strong> biologiques surun échantillon représentatif d’a<strong>du</strong>ltes dans nos trois milieux, quinous perm<strong>et</strong>tront d’entrevoir le statut des Sénégalais vis-à-vis del’obésité <strong>et</strong> de ses pathologies principales associées (diabète d<strong>et</strong>ype 2 <strong>et</strong> hypertension artérielle).Enquête socio-anthropologique <strong>et</strong> <strong>et</strong>hno-psychologique.Nous menons une enquête socio-anthropologique <strong>et</strong> <strong>et</strong>hnopsychologiquequantitative pour évaluer, à grande échelle, lesschémas généraux d’appréhension <strong>du</strong> corps des Sénégalaissur un plan socioculturel <strong>et</strong> psychosocial. Comme pourl’enquête précédente, mais d’une manière quantitative, nousL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 54


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L’image <strong>du</strong> corps chez les Sénégalais :Application à l’étude de l’obésité dans le contexte de la transition des modes de vieTORIOLA (A.L.), DOLAN (B.M.), EVANS (C.), ADETIMOLE (O.)1996, Weight Satisfaction of Nigerian Women in Nigeria and Britain:Inter-Generational and Cross-Cultural Influences, European EatingDisorders Review 4: 84-94.VALLERAND (R.J.) 1989, Vers une méthodologie de validationtransculturelle de questionnaires psychologiques: Implications pourla recherche en langue française, Psychologie Canadienne 30: 662-680.VERON (J.) 2007, La moitié de la population mondiale vit en ville,Population <strong>et</strong> sociétés 1-4.VINER (R.M.), HAINES (M.M.), TAYLOR (S.J.), HEAD (J.), BOOY (R.),STANSFELD (S.) 2006, Body mass, weight control behaviours, weightperception and emotional well-being in a multi<strong>et</strong>hnic sample of earlyadolescents, International Journal of Obesity 30: 1514-1521.WADDEN (T.A.), STUNKARD (A.J.) 1985, Social and psychologicalconsequences of obesity, Annals of Internal Medecine 103: 1062-1067.WHO 2003, Di<strong>et</strong>, nutrition and the prevention of chronic diseases,World Health Organization, Geneva, 149 p.Les auteursEmmanuel COHENDoctorant à l’Université de la Méditerranée (Marseille, France)UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : emmcohen2004@yahoo.frNicole CHAPUIS-LUCCIANIDirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur - adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : nicole_chapuis@hotmail.frPatrick PASQUETDirecteur de recherche au <strong>CNRS</strong>- UMR7206 Eco-anthropologie <strong>et</strong> Ethnobiologie (Paris, France)<strong>CNRS</strong>, MNHN, Université Paris7courriel : ppasqu<strong>et</strong>@mnhn.frLamine GUEYEProfesseur des Universités Praticien HospitalierResponsable de l’Unité de Neurophysiologie clinique, Service de Neurologie CHU Fann DakarDirecteur par intérim de l’UFR Sciences de la Santé UGB Saint-Louis (Sénégal)Directeur-Adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)- Laboratoire de Physiologie <strong>et</strong> d’Exploration Fonctionnelle, Faculté de Médecine, UniversitéCheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal)courriel : lamine.gueye@ugb.e<strong>du</strong>.snGilles BOETSCHDirecteur de recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : gilles.bo<strong>et</strong>sch@gmail.comL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201057


ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS),EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGALEmilie BUTTARELLI, Nicole CHAPUIS-LUCCIANI, Lamine GUEYEMots-clés : alimentation, croissance, jeune enfant, SénégalFIGURE 1. Mère <strong>et</strong> enfant, en salle des urgences de l’Hôpital Aristide Le Dantec,Dakar, Sénégal, mai 2009. (Photo Emilie Buttarelli)Problématique> Le contexte sénégalaisEn Afrique sub-saharienne, la malnutrition constitue un problèmepersistant qui affecte les jeunes enfants.C’est à partir de trois indicateurs anthropométriques quel’Organisation Mondiale de la Santé a élaboré de nouvellesnormes de croissance (MGRS/WHO 2006 ; 2007). Il s’agit<strong>du</strong> poids-pour-âge (mesure de la norme pondérale), de lataille-pour-âge (mesure spécifique <strong>du</strong> r<strong>et</strong>ard de croissance)<strong>et</strong> <strong>du</strong> poids-pour-taille (mesure spécifique de la maigreur ouémaciation). Pour ces indicateurs anthropométriques, une valeurinférieure à moins 2 écarts-type sur les courbes de l’OMS, révèle unétat de malnutrition chez l’enfant.Dans certains pays africains (Kenya, Ethiopie, Burkina Faso)des études concernant les pratiques alimentaires ont montréque l’utilisation d’un indice de diversité alimentaire perm<strong>et</strong>taitde corréler significativement pratiques alimentaires <strong>et</strong> mesuresanthropométriques - poids, taille, périmètre brachial - (Onyango <strong>et</strong>al, 1998 ; Arimond, Ruel 2002 ; Sawadogo <strong>et</strong> al, 2006).Une vaste étude nationale réalisée au Sénégal, l’EnquêteDémographique <strong>et</strong> de Santé 2005 (EDS IV 2005), (Ndiaye, Ayad2006) a dressé un portrait nutritionnel des enfants sénégalaisen définissant la malnutrition en termes anthropométriques <strong>et</strong> laquestion de l’alimentation en termes de consommation de groupesd’aliments. C<strong>et</strong>te étude n’établit cependant pas de lien direct entremalnutrition <strong>et</strong> pratiques alimentaires <strong>et</strong> par conséquent ne perm<strong>et</strong>pas de déterminer précisément l’impact de l’alimentation sur lacroissance de l’enfant.Par ailleurs, certaines études réalisées au Sénégal détaillent laconsommation d’aliments particuliers tels que les pro<strong>du</strong>its céréaliersou le lait caillé (Dillon, 1989). D’autres m<strong>et</strong>tent en évidence l’existencede carences en vitamines dans l’alimentation de l’enfant (Diouf <strong>et</strong> al,2002).Cependant, aucune étude systématique sur l’alimentation <strong>du</strong> jeuneenfant dakarois, perm<strong>et</strong>tant d’apprécier simultanément qualité <strong>du</strong>régime <strong>et</strong> mesures anthropométriques correspondantes, n’a étéentreprise. Or la possibilité d’établir des corrélations directes entrecroissance (mesures anthropométriques) <strong>et</strong> alimentation (pratiques<strong>et</strong> diversité alimentaire) est un outil important dans l’évaluation<strong>et</strong> la compréhension globale de la persistance de déséquilibresalimentaires.Nécessité d’une étude pluridisciplinaire en milieu urbainLa persistance de déséquilibres nutritionnels, en dépit d’uneamélioration des conditions de vie en milieu urbain au Sénégal (EDSL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 58


ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS),EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGALIV 2005), doit inciter à étudier l’influence effective des facteurs socioculturels.Etablir un bilan systématique <strong>et</strong> actualisé de l’alimentation <strong>du</strong>jeune enfant à Dakar constitue une étape préliminaire indispensable.La ville de Dakar présente aujourd’hui un milieu urbain hétérogène,caractérisé par des écarts socio-économiques entre habitants <strong>du</strong> centreville <strong>et</strong> néo-urbains des banlieues en pleine expansion (Kennedy, Nantel2006).Réaliser une étude comparative sur l’alimentation <strong>et</strong> la croissance<strong>du</strong> jeune enfant dans ce milieu urbain, haut lieu de disparités socioéconomiques,doit perm<strong>et</strong>tre de cerner l’importance persistante <strong>du</strong>facteur socio-économique, mais également de déterminer des invariantsculturels. L’analyse des comportements <strong>et</strong> la mesure quantitative de ladiversité alimentaire forment en eff<strong>et</strong> un prisme d’entrée multiple pourla compréhension de la persistance des déséquilibres alimentaires.La principale question auquel doit répondre l’étude est la suivante :existe-t-il aujourd’hui des pratiques alimentaires différentielles urbain/périurbain ou un « menu » similaire pour tous, en dépit de contrasteséconomiques ?C<strong>et</strong>te recherche doit perm<strong>et</strong>tre également d’élaborer un référentiel decroissance actualisé, sur la base d’un échantillon de 2200 enfantssains sénégalais, de la naissance à l’âge de 36 mois. Il s’agit d’uneétude transversale réalisée selon le protocole de l’OMS (MGRS/WHO 2006 ; 2007) dont les résultats donneront un aperçu pertinentde la croissance réelle des enfants dakarois.ProblématiqueConcernant les comportements <strong>et</strong> pratiques alimentairesLes représentations relatives à l’alimentation <strong>et</strong> aux aliments(proscriptions/prescriptions alimentaires, croyances, traditionsculinaires) ont toujours un impact important sur les pratiquesalimentaires <strong>et</strong> par conséquent sur la persistance dedéséquilibres.D’une part, fait culturel <strong>et</strong> tradition continuent d’exercer uneinfluence déterminante sur la consommation, en dépit d’uneurbanisation croissante (caractérisée par une augmentationdes revenus <strong>et</strong> un accès élargi à la consommation) <strong>et</strong> d’uneconnaissance certaine <strong>du</strong> message bio-médical actuel.D’autre part, le fait socio-économique est peut-être à l’origine de lapersistance <strong>du</strong> fait culturel : les « interdits » alimentaires reposentsouvent sur des denrées rares ou chères (viande, œufs…). Noussupposons qu’une redéfinition précise <strong>et</strong> très détaillée <strong>du</strong> statutsocio-économique d’une famille sénégalaise perm<strong>et</strong>trait de mieuxsaisir l’impact direct <strong>du</strong> facteur socio-économique. Un interdit (ouune restriction) alimentaire n’est-elle pas le fait d’une adaptationculturelle à une contrainte environnementale <strong>et</strong> socio-économique ?FIGURE 2. Plat traditionnel sénégalais : ceebu jën (bu xonq) ou riz (rouge) au poissonfrais. Dakar, Sénégal, décembre 2008. (Photo Emilie Buttarelli)L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 59


ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS),EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGAL> Concernant le lien entre alimentation <strong>et</strong> croissance de l’enfantUn indice synthétique des pratiques alimentaires (indice de diversité <strong>et</strong>de variété alimentaire) est un moyen simple de mesurer la qualité globale<strong>du</strong> régime de l’enfant.On peut supposer l’existence d’une corrélation positive de c<strong>et</strong>indice avec le statut nutritionnel de l’enfant, exprimé en indicateursanthropométriques.MéthodesDans le cadre de c<strong>et</strong>te recherche sur la croissance <strong>et</strong> l’alimentation <strong>du</strong>jeune enfant de la naissance à 3 ans, nous avons opté pour la combinaisonde trois méthodes : quantitative, semi-quantitative <strong>et</strong> qualitative.Une première étape est constituée par la prise de mesuresanthropométriques chez la mère (poids <strong>et</strong> taille) <strong>et</strong> chez l’enfant (poids,taille, périmètre brachial <strong>et</strong> périmètre crânien). L’évaluation <strong>du</strong> statutnutritionnel de l’enfant s’effectue par les indices Taille-Âge (TA), Poids-Taille (PT) <strong>et</strong> Poids-Âge (P-A) exprimés en z-scores.Des données socio-démographiques, socio-économiques <strong>et</strong> familiales(conditions de vie <strong>et</strong> type d’habitat, niveau d’é<strong>du</strong>cation des parents <strong>et</strong>suivi sanitaire) sont recueillies par questionnaire en face à face.Ce questionnaire comporte également un vol<strong>et</strong> alimentaire : pratiquesd’allaitement <strong>et</strong> de sevrage, fréquence de consommation de groupesd’aliments, perceptions <strong>et</strong> représentations autour de l’alimentationde l’enfant.Nous avons également choisi d’élaborer un indice des pratiquesalimentaires <strong>du</strong> jeune enfant sénégalais intégrant des variablessur les pratiques de nutrition de l’enfant (pratiques d’allaitement,utilisation d’un biberon…) ainsi que des scores de variétéalimentaire (SVA) <strong>et</strong> de diversité alimentaire (SDA).C<strong>et</strong>te approche des pratiques alimentaires en terme descoring est complétée par une phase qualitative d’observationparticipante au sein de familles d’enfants sélectionnés enfonction de leur statut nutritionnel <strong>et</strong>/ou socio-économiqueafin d’observer en temps réel l’alimentation effective <strong>du</strong> jeuneenfant sur une journée.Zones d’intervention <strong>et</strong> population d’étudeL’enquête se déroule dans la ville de Dakar, sur deux sites, d’unepart en centre urbain « ancien » au sein <strong>du</strong> Centre de ProtectionMaternelle <strong>et</strong> Infantile de Médina (commune de Dakar) <strong>et</strong> d’autrepart, au Centre de Santé Dominique, en milieu périurbain (communede Pikine-Guédiawaye).L’échantillon d’étude est constitué de 2 200 indivi<strong>du</strong>s : 1100 filles <strong>et</strong>1100 garçons répartis en 22 classes d’âge comprenant 50 indivi<strong>du</strong>spar classe d’âge (25 filles/25 garçons).FIGURE 3. Grand, p<strong>et</strong>it, rond : les enfants de Dakar (Photo Nicole Chapuis-Lucciani)Résultats atten<strong>du</strong>sC<strong>et</strong>te étude perm<strong>et</strong>tra d’établir un bilan systématique <strong>et</strong> actualisédes pratiques alimentaires <strong>du</strong> jeune enfant à Dakar.Elle perm<strong>et</strong>tra de déterminer l’impact relatif des facteurs culturels,L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201060


ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS),EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGALreligieux, socio-démographiques <strong>et</strong> environnementaux sur les pratiquesalimentaires.Nous validerons l’indice synthétique des pratiques alimentaires <strong>du</strong> jeuneenfant estimant la qualité globale <strong>du</strong> régime alimentaire, indice déjàutilisé dans d’autres pays d’Afrique comme par exemple au Burkina Faso(Sawadogo <strong>et</strong> al, 2006). Une corrélation positive de c<strong>et</strong> indice au statutnutritionnel de l’enfant (mesuré anthropométriquement) est atten<strong>du</strong>e.Une base de données pluridisciplinaires sur l’alimentation <strong>et</strong> la croissance<strong>du</strong> jeune enfant, de la naissance à l’âge de 3 ans, sera mise en place.C<strong>et</strong>te étude donnera également la situation actuelle de la croissanced’un vaste échantillon d’enfants dakarois en bonne santé.FIGURE 4. Réunions d’enfants au village de Dougar (Photo Nicole Chapuis-Lucciani)Références bibliographiquesARIMOND (M.), RUEL (T.) 2002, Progress in developing an infantand child feeding index: an example using the Ethiopia Demographicand Health Survey 2000, Food Consumption and Nutrition DivisionDiscussion paper n°143, International Food Policy Research Institute,Washington, USA.DILLON (J.C.) 1989, « Les pro<strong>du</strong>its céréaliers dans l’alimentation desevrage <strong>du</strong> jeune enfant en Afrique », Céréales en régions chaudes,AUPELF-UREF, Ed. John Libbey Eurotext, Paris.DIOUF S., DIAGNE I., MOREIRA C., SIGNATE SY., FAYE O.,NDIAYE O., SYLLA A., DIALLO I., THIAM D., DIOP B., THIAM I.,GAYE I., SARR M., FALL M. 2002, «Integrated treatment of irondeficiency, vitamin A deficiency and intestinal parasitic diseases:impact on Senegalese children’s growth », Archives Pédiatriques,2002, 9 (1):102-103.KENNEDY (G.), NANTEL (G.) 2006, Analysis of disparities innutritional status by wealth and residence : examples from Angola,Central African Republic and Senegal, Rapport <strong>du</strong> Nutrition Planning,Assessment and Evaluation Service, Food and Nutrition Division,Food and Agriculture organization of the United Nations, Rome.NDIAYE (S.), AYAD (M.) 2006, Enquête Démographique <strong>et</strong> de Santéau Sénégal (EDS-IV) 2005, Ministère de la Santé <strong>et</strong> de la PréventionMédicale, Centre de Recherche pour le Développement HumainDakar, Macro International Incorporation, Maryland, U.S.A.ONYANGO (A.), KOSKI (K.G.), TUCKER (K.L) 1998, Food diversityversus breastfeeding choice in d<strong>et</strong>ermining anthropom<strong>et</strong>ric statusin rural Kenyan toddlers, International Journal of Epidemiology, 27:484-489.SAWADOGO (P.S), MARTIN-PREVEL (Y.), SAVY (M.), KAMELI (Y.),TRAISSAC (P.), TRAORE (A.S), DELPEUCH (F.) 2006, An infantand child feeding index is associated with the nutritional status of6- to 23-moth-old children in rural Burkina Faso, Journal of Nutrition,136 (3): 656-663.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 61


ETUDE DES PRATIQUES ALIMENTAIRES ET DE LA CROISSANCE DU JEUNE ENFANT (0-3 ANS),EN MILIEU URBAIN ET PÉRIURBAIN À DAKAR, SÉNÉGALWHO Multicentre Growth Reference Study Group. WHO ChildGrowth Standards: Length/height-for-age, weight-for-age, weight-forlength,weight-for-height and body mass index-for-age: M<strong>et</strong>hods anddevelopment. Geneva: World Health Organization, 2006.WHO Multicentre Growth Reference Study Group. WHO Child GrowthStandards: Head circumference-for-age, arm circumference-for-age,triceps skinfold-for-age and subscapular skinfold-for-age: M<strong>et</strong>hods anddevelopment. Geneva: World Health Organization, 2007.Note : c<strong>et</strong>te étude est soutenue par la Fondation Nestlé (bourse derecherche 2010-2011 obtenue par Emilie Buttarelli)Les auteursEmilie BUTTARELLIDoctorante à l’Université de la Méditerranée (Marseille, France)UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : emilie.buttarelli@hotmail.frNicole CHAPUIS-LUCCIANIDirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur - adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : nicole_chapuis@hotmail.frLamine GUEYEProfesseur des Universités Praticien HospitalierResponsable de l’Unité de Neurophysiologie clinique, Service de Neurologie CHU Fann DakarDirecteur par intérim de l’UFR Sciences de la Santé UGB Saint-Louis (Sénégal)Directeur-Adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)- Laboratoire de Physiologie <strong>et</strong> d’Exploration Fonctionnelle, Faculté de Médecine, UniversitéCheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal)courriel : lamine.gueye@ugb.e<strong>du</strong>.snL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201062


Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationChantal CRENN, Anne-Elène DELAVIGNEMots-clés : alimentation, système alimentaire, anthropologie, méthodologieIntro<strong>du</strong>ctionL’anthropologie de l’alimentation s’est constituée tardivement <strong>et</strong>lentement en spécialité (Hubert, Crenn 2006). Le contexte social actuela joué dans son développement <strong>et</strong> son succès : interrogations vis-à-visdes problèmes de santé liés à l’alimentation, dans le cadre occidental(obésité, cancer) comme dans le cadre des pays <strong>du</strong> sud (développementdes maladies chroniques), interrogations sur le modèle occidentald’alimentation face aux crises sanitaires <strong>et</strong> sociales (épizooties commecelle de la « vache folle ») ou en lien avec la notion de « développement<strong>du</strong>rable » ou encore sous l’influence de l’idée de mondialisation.Anthropologues, psychologues, historiens, sociologues, géographesse sont maintenant saisis de ce domaine, engageant un dialoguedépassant ces disciplines. Le lien entre biologie <strong>et</strong> alimentation(Mennel <strong>et</strong> al 1992) mérite également d’être interrogé car c’est parlui que, pendant longtemps, la question alimentaire a été traitée.Ceux qui se sont penchés sur ce phénomène ont eu tendanceà considérer les aliments uniquement comme perm<strong>et</strong>tant defaire fonctionner « la machine-corps ». Or, c’est l’aspect nonnutritionnel qui constitue l’obj<strong>et</strong> de recherche de l’anthropologiede l’alimentation. Elle consiste en la mise en place d’un dispositifd’observation scientifique de phénomènes d’ordre symbolique,émotionnel mais aussi culturel, économique <strong>et</strong> social <strong>et</strong> qui,paradoxalement, occupent une place centrale dans l’étatnutritionnel <strong>et</strong> ce, de manière universelle.La notion de système alimentaireA la suite de Marcel Mauss, les anthropologues considèrentl’alimentation comme un « fait social total » <strong>et</strong> évoquenten filigrane la notion de « système alimentaire » surlaquelle nous allons insister. En eff<strong>et</strong>, il nous a sembléimpossible d’envisager la méthodologie de la recherchedans le champ de l’alimentation sans nous appuyer sur c<strong>et</strong>te notionqui a été schématisée par plusieurs auteurs (J. Goody, J. Barrau,I. de Garine, A. Hubert, J.-P. Poulain …). Nous r<strong>et</strong>iendrons, pourc<strong>et</strong> article, le schéma d’Annie Hubert qui nous semble posséderune valeur heuristique <strong>et</strong> pédagogique certaine (Hubert 1991). Ilplace au centre de son système l’indivi<strong>du</strong>, ce qui nous semble enanthropologie sociale être au cœur de notre investigation même si,comme le montre Annie Hubert (cf. figure 1), il est à resituer dansdifférents niveaux interdépendants.Figure 1 : Schéma d’un système alimentaire centré sur l’indivi<strong>du</strong> proposé parA. Hubert (1991)L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201063


Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationIntérêt de l’utilisation des méthodes d’anthropologie sociale L’articulation des données « micro » <strong>et</strong> « macro »L’alimentation nécessite une anthropologie <strong>du</strong> privé, uneanthropologie de l’intime <strong>et</strong> de la longue <strong>du</strong>réeL’alimentation <strong>et</strong> la cuisine relèvent de la sphère domestique <strong>et</strong> del’intime <strong>et</strong> c’est une caractéristique majeure influençant fortement lesconditions des enquêtes. Les méthodes développées par l’anthropologiesociale sont particulièrement bien adaptées pour gagner la confianced’une famille, d’un indivi<strong>du</strong>, d’un groupe, d’un réseau (constituant l’unitéd’observation abordable pour un chercheur <strong>et</strong> au centre de laquelle ilse situe). Pour ce faire, l’anthropologue de l’alimentation adopte doncune méthode spécifique d’observation : « le terrain ». L’observation dite« participante », la proximité recherchée avec les enquêté(e)s, l’intérêtà faire émerger le point de vue propre à ses interlocuteurs(trices) <strong>et</strong> àlui donner <strong>du</strong> sens, la <strong>du</strong>rée longue d’investigation <strong>et</strong> l’implication del’enquêteur(trice) en sont autant d’aspects. C’est lorsqu’on atteint uncertain seuil de familiarité (grâce à l’immersion <strong>et</strong> la longue <strong>du</strong>rée) avecun lieu d’observation que l’on peut cesser d’interroger les personnesque l’on étudie. Les entr<strong>et</strong>iens semi-directifs (relation de « face à face») se révèlent utiles dans un premier temps car ils perm<strong>et</strong>tent d’éviterles contre-sens, de dépasser la simple description, <strong>et</strong> d’interrogerle lien entre discursif <strong>et</strong> pratiques. Car l’anthropologue ne cherchepas à constituer des données chiffrées ni à ém<strong>et</strong>tre des statistiquesmais à rendre compte de la complexité des habitudes alimentairesprises entre leurs dimensions symboliques <strong>et</strong> socio-économiquesarticulant besoins nutritionnels, habitudes régionales, nationales,<strong>et</strong>hniques, familiales, âge de la vie, statut social, genre, <strong>et</strong>c...Le sociologue Jean-Pierre Poulain rappelle combien l’étudedes prises alimentaires par les grandes enquêtes utilisant desdonnées déclaratives se heurte à la difficulté méthodologique« de l’objectivation des pratiques » (Poulain 2001 : 103-104).Seule une collecte de données à partir de la méthodologie del’observation <strong>et</strong> sollicitant les représentations des personnes(par les entr<strong>et</strong>iens) perm<strong>et</strong> de pro<strong>du</strong>ire des données fiables.L’anthropologie sociale doit ainsi savoir sortir de sa pratiqueméthodologique principale pour donner accès aux forces structurelles(les dimensions économiques, politiques) <strong>et</strong> à la dimensiondiachronique. En eff<strong>et</strong>, la dimension économique de l’alimentation nedoit pas être négligée. C’est ce que montrent, dans un autre champ,M. Selim <strong>et</strong> L. Bazin (2001). Ils restituent au social <strong>et</strong> au culturel leurimportance, mais en montrant en quelque sorte comment l’économiqueles modifie, voire les transforme. Dans le champ de l’alimentation, lecas des restaurants ou des commerces dits « <strong>et</strong>hniques » (dans lecadre d’une économie globalisée), par exemple, montre commentces restaurants travaillent autant l’imaginaire des autochtones quedes allochtones (Raulin 2000 ; Régnier 2004). Il est donc nécessairede replacer les indivi<strong>du</strong>s <strong>et</strong> groupe étudiés dans les systèmes depro<strong>du</strong>ction, de distribution, d’approvisionnement, d’auto-pro<strong>du</strong>ctiondans lesquels ils se situent.De la même manière, alors que les anthropologues sont trèsfréquemment sollicités pour répondre à des « questions de société »,il est fondamental de resituer les indivi<strong>du</strong>s <strong>et</strong> le groupe étudié dansles campagnes de prévention ou les programmes de santé <strong>et</strong> ainsid’aborder le contexte idéologique de la demande institutionnelle(Fassin, Memmi 2004).Description succincte de la méthodeLes données <strong>et</strong>hnographiquesAprès avoir défini un thème de départ (Beaud, Weber 2003)qui va servir de cadre de réflexion pour démarrer la pré-enquêtepuis l’enquête, il s’agit, concrètement, d’effectuer la transcriptioncomplète des conversations <strong>et</strong> entr<strong>et</strong>iens enregistrés mais ausside tenir un journal de terrain où toutes les informations observées<strong>et</strong> vécues par le(la) chercheur(e) peuvent être recueillies. Sonutilisation nécessite de la rigueur pour constater la régularité desfaits <strong>et</strong> des pratiques alimentaires observées (il faut dater, noterL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201064


Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationl’heure) <strong>et</strong> décrire l’environnement dans lequel les observations sonteffectuées (descriptions des lieux, déplacement des personnes). Lejournal de terrain perm<strong>et</strong> également de noter les mots, les expressionssignificatives employées au cours d’un repas, d’un achat ou d’unepréparation culinaire… Décrire les modes de consommation (Raulin1999), c’est aussi relever les propos qui sont au cœur des interactionsalimentaires. Ne pas noter les paroles, c’est manquer le sens desactions qu’on observe. Enfin, il est fondamental de rédiger dans cejournal de terrain les réflexions personnelles <strong>et</strong> les eff<strong>et</strong>s in<strong>du</strong>its par laprésence des anthropologues sur le déroulement de l’observation. Nouspensons par exemple à l’offre invariable <strong>du</strong> plat national au momentde nos observations au Sénégal ou l’exhibition au contraire de platsexotiques face à l’<strong>et</strong>hnologue française au Danemark, perçue en vis-àvisde la renommée de la gastronomie française <strong>et</strong> de la dévalorisation<strong>du</strong> modèle culinaire propre (Delavigne 2002), informations nécessairesaussi pour interroger l’<strong>et</strong>hnocentrisme <strong>du</strong>/de la chercheur(e). Que cesoit à partir des observations ou des entr<strong>et</strong>iens, nous procédons à undécoupage par thème. Ensuite nous analysons le contenu recueilli enfonction <strong>du</strong> thème de départ <strong>et</strong> <strong>du</strong> cadre conceptuel dans lequel nousnous inscrivons (la lecture d’ouvrages théoriques <strong>et</strong> de terrain estnécessaire). Si possible nous effectuons des enquêtes comparativesqui sont constitutives de la méthode anthropologique <strong>et</strong> peuvent êtreconsidérées comme un équivalent de l’expérimentation. Dans le casde l’alimentation on peut comparer les « systèmes alimentaires »entre eux par exemple : environnement physique <strong>et</strong> social <strong>et</strong> typesd’agricultures, techniques de récoltes <strong>et</strong> stockages, cuissons,politiques alimentaires <strong>et</strong>c … En anthropologie, la comparaisona une vertu heuristique ; comparer est intimement lié à lagénéralisation (« conférer <strong>du</strong> sens à la diversité » selon FrançoiseHéritier-Augé (1988) mais aussi au fait de dégager des structurespertinentes tout en restant vigilants quant aux spécificités despopulations étudiées. Comme le souligne Pierre Bouvier (2000)« l’approche comparative dégage les processus contradictoiresd’unifications <strong>et</strong> de diversification ». En anthropologie del’alimentation nous accordons de l’importance à c<strong>et</strong> aspectcontradictoire qui est, à notre avis, l’élément créateur de la démarchecomparative.L’analyse des faitsA partir de tous les éléments pris en compte conjointement (histoire,économie, rapports hiérarchiques, rapports Nord/Sud, par exemple)<strong>et</strong> à partir des données <strong>et</strong>hnographiques recueillies sur le terrain,nous parviendrons à la définition d’un « système alimentaire ». Unefois le système alimentaire, au sein <strong>du</strong>quel se trouvent les personnesconcernées par l’enquête, observé, décrit, <strong>et</strong> replacé dans 1’ensemblede la société, il faudra tenter d’analyser la signification de toutesles actions <strong>et</strong> éléments qui s’y imbriquent : pro<strong>du</strong>ction <strong>et</strong> acquisitiondes aliments, techniques de stockage <strong>et</strong> de transformation, repas,habitudes alimentaires <strong>du</strong> groupe <strong>et</strong> des catégories d’indivi<strong>du</strong>s,transmission <strong>et</strong> apprentissage, rôle des aliments dans la vie sociale,religieuse, économique <strong>et</strong> politique. Nous tenterons alors de m<strong>et</strong>treen évidence la manière dont, à travers ce système, un groupe exprimeses valeurs, sa structure sociale <strong>et</strong> ses croyances. Dans c<strong>et</strong>teapproche, nous considérons la nourriture comme 1’instrument d’uneexpression sociale. C’est concevoir 1’aliment comme un symbole prisdans des rapports sociaux. L’anthropologie de l’alimentation, avecsa démarche scientifique de terrain, perm<strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre en évidencecomment les comportements alimentaires ont une logique interne,souvent non biologique, <strong>et</strong> compréhensible à 1’analyse.Conclusion : les recherches en anthropologie del’alimentation ; au carrefour de l’interdisciplinaritéOn l’aura bien compris, les enquêtes sont qualitatives <strong>et</strong> se basentsur la recherche de régularité mais aussi de singularités. Lesdonnées recueillies sont fines <strong>et</strong> fiables <strong>du</strong> fait de l’implication <strong>du</strong>chercheur sur la longue <strong>du</strong>rée mais aussi à cause <strong>du</strong> phénomènede saturation pris en compte (Berthaux 2005). L’avantage de ce typed’enquête tient à l’accès à des données inaccessibles lors d’enquêtequantitatives menées à grande échelle… L’inconvénient est le tempsL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201065


Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentation(<strong>et</strong> de ce fait le coût) nécessaire pour recueillir ces données de l’intime.C<strong>et</strong>te méthode de recherche en anthropologie sociale par l’alimentations’accommode fort utilement de l’interdisciplinarité car elle perm<strong>et</strong>, on l’a vu,une interprétation fine grâce à des enquêtes qualitatives basées sur despratiques réelles <strong>et</strong> non construites par les enquêteurs mais elle perm<strong>et</strong>également d’affiner des résultats quantitatifs comme l’ont démontré Guyde Thé <strong>et</strong> Annie Hubert (1988) dans le cas de la recherche effectuée surle cancer <strong>du</strong> rhino pharynx.Références bibliographiquesALTHABE (G.) 1990, Ethnologie <strong>du</strong> contemporain <strong>et</strong> enquête de terrain,Terrain 14 : 126-131.BEAUD (S.) 1995, L’usage de l’entr<strong>et</strong>ien en sciences sociales. Plaidoyerpour « l’entr<strong>et</strong>ien <strong>et</strong>hnographique », Politix 35 : 226-257.BEAUD (S.), WEBER (F.) 2003, Guide de l’enquête de terrain. Pro<strong>du</strong>ire<strong>et</strong> analyser des données <strong>et</strong>hnographiques, Paris, Ed. La découverte,357 p.BERTAUX ( D.) 2005 (2e édition), Le récit de vie. Paris, Armand Collin(Collection Sociologie ‘128’ – Série « L’enquête <strong>et</strong> ses méthodes »),128 p.BOUVIER ( P.) 2000, La socio-anthropologie, Paris, A.Colin, p. 56-58DELAVIGNE (A.-E.) 2002, A la recherche de la « culture culinairedanoise au sein de l’Europe des patrimoine, in P. Marcilloux (éd.)Les hommes en Europe, CTHS, Paris, p.323-335GOODY (J.) 1984, 1982, Cuisines, cuisine <strong>et</strong> classe, Paris,Centre Georges Pompidou, Centre de création in<strong>du</strong>strielle,collection Alors, 405 p.HERITIER-AUGE (F) 1988, « La comparaison », Problèmes<strong>et</strong> <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> de la recherche en Sciences sociales, journées deréflexion de L’EHESS, Marseille 5-6 Juin 1987; Montrouge12-13 Juin 1987 Paris, EHESS, 1988. Paris, pp. 280-290,HUBERT (A.) 1991, L’anthropologie nutritionnelle : aspectssocioculturels de l’alimentation. Cahiers d’études <strong>et</strong> de recherchesfrancophones / Santé 1(2): 165-168. (www.cahierssante.fr)HUBERT (A.), CRENN (C.) 2006, Alimentation, in Dictionnaire <strong>du</strong>corps en sciences humaines <strong>et</strong> sociales, (in B. Andrieu <strong>et</strong> G. Boëtschéd), Ed <strong>du</strong> <strong>CNRS</strong>, Paris, 545 p.FASSIN (D.), MEMMI (D.) 2004, Le gouvernement des corps, Editionsde l’école des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris ;266 p.MEAD (M.), 1945, Manuel pour l’étude des pratiques alimentaires,Bull<strong>et</strong>in of National Research Council, National Academy of Sciences,n° 111.MENNEL (S.), MURCOTT (A.) <strong>et</strong> VAN OTTERLOO (A.H.) 1992,The Sociology of Food: Eating, Di<strong>et</strong> and Culture, Current sociology40(2), : 124-152PALOMARES (E.), TERSIGNI (S.) 2001, Les rapports de placedans l’enquête : les ressources <strong>du</strong> malenten<strong>du</strong>, Langage & sociétén° 97 : 5-26.POULAIN (J.-P.) 2001, Les pratiques alimentaires de la populationmangeant au restaurant d’entreprise in A. Montjar<strong>et</strong>, Consommation<strong>et</strong> société. L’alimentation au travail, Cahiers pluridisciplinaires sur laconsommation <strong>et</strong> l’interculturel, Paris, L’Harmattan : 97-110.RAULIN (A) 2000, L’Ethnique est quotidien. Diasporas, marchés <strong>et</strong>cultures métropolitaines. L’Harmattan, Paris, 229 p.REGNIER (F.) 2004, L’exotisme culinaire. Essai sur les saveurs del’Autre, Le lien social, PUF, Paris, 264 p.SELIM (M.), BAZIN (L.) 2001, Motifs économiques en anthropologie.Paris, L’Harmattan, coll. Anthropologie critique, 251 p.THE (G. de), HUBERT (A.) 1988, Modes de Vie <strong>et</strong> Cancers, EditionsRobert Laffont, Paris, 320 p.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201066


Les méthodes de l’anthropologie sociale dans les études sur l’alimentationLes auteursChantal CRENNMaitre de Conférence en Anthropologie sociale Université de Bordeaux IIIUMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : crenn.girerd@wanadoo.frAnne-Elène DELAVIGNEChercheure Post-DoctoranteUMR 7206 « Eco-anthropologie <strong>et</strong> Ethnobiologie » (Paris, France)<strong>CNRS</strong>/MNHNcourriel : delavigne@mnhn.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201067


L’anthropologie biologique :une approche holistique pour étudier le vieillissement humain.Nicole CHAPUIS-LUCCIANIVieillissement de la population, vieillissement indivi<strong>du</strong>elMots-clés : vieillissement, longévité, adaptabilité, transition démographiqueL’augmentation généralisée de la <strong>du</strong>rée de vie humaine <strong>et</strong> soncorollaire, le vieillissement, sont des phénomènes récents dansl’histoire de l’humanité. C<strong>et</strong>te situation rend l’étude <strong>du</strong> vieillissement <strong>et</strong>de la longévité particulièrement pertinente pour l’anthropologue car ellemodifie un certain nombre de paramètres au niveau de l’espèce. Eneff<strong>et</strong>, la <strong>du</strong>rée pendant laquelle le corps vieillit s’allonge <strong>et</strong> de nouvellespathologies liées à la dégénérescence se développent en particulierdans des populations jusqu’alors confrontées à des problèmes desurnatalité <strong>et</strong> de pathologies infectieuses.Le vieillissement est un processus biologique évolutif, complexe <strong>et</strong> multifactoriel,continuellement en interaction avec l’environnement physique,social <strong>et</strong> culturel dans lequel vivent les populations. Le phénomène devieillissement transforme aussi l’organisation sociale institutionnelle <strong>et</strong>familiale. L’anthropologie aborde l’étude des rythmes de vieillissementpar une approche synchronique (comparaison de populations <strong>vivant</strong>dans des milieux différents) ou diachronique par l’étude des transitionsbiologiques <strong>et</strong> socio-culturelles telles que celles accompagnant laménopause ou la r<strong>et</strong>raite.C<strong>et</strong> état de fait interroge l’anthropologue qui étudie l’adaptabilité <strong>et</strong>la variabilité humaine dans ses dimensions temporelle <strong>et</strong> spatiale.- Comment l’humain s’adapte à une <strong>du</strong>rée de vie plus longuesur les plans biologique <strong>et</strong> socio-culturel?- Quels facteurs environnementaux influencent sa <strong>du</strong>rée devie?- Comment les populations « gèrent » ce phénomène sur le plande la santé, <strong>et</strong> sur les plans social <strong>et</strong> économique?La complexité des processus de vieillissement <strong>et</strong> la démarcheholiste propre à l’anthropologie biologique impliquent l’apportde disciplines connexes : les sciences biologiques, médicales,humaines <strong>et</strong> sociales.Le phénomène de vieillissement populationnel est lié à l’augmentationde l’espérance de vie, à la baisse de la natalité. Le vieillissementcomporte des différences marquées selon les grandes régions écogéographiquesen fonction des particularités <strong>et</strong> des contraintes <strong>du</strong>milieu physique <strong>et</strong> socio-économique. En eff<strong>et</strong>, ces paramètresdémographiques varient en fonction de facteurs tels que :- le niveau de vie <strong>et</strong> de revenus (PIB par habitant),- le niveau d’accès aux soins <strong>et</strong> à l’é<strong>du</strong>cation de la population,- les politiques de santé <strong>et</strong> de régulation des naissances menéespar les gouvernements,- le degré d’urbanisation <strong>et</strong> les mouvements de populations(migrations de/vers l’étranger),- l’organisation de la famille, <strong>et</strong>c…Les figures 1 <strong>et</strong> 2, réalisées d’après des données recueillies pour le« Rapport Mondial sur le Développement Humain » (Walkins 2005),illustrent bien ces interactions.Figure 1 : Espérance de vie en fonction <strong>du</strong> PIB pour 163 pays (Extrait de Chapuis-Lucciani, Drusini 2007).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201068


L’anthropologie biologique :une approche holistique pour étudier le vieillissement humain.Figure 2 : Indice synthétique de fécondité en fonction <strong>du</strong> pourcentage de populationurbaine pour 163 pays (Extrait de Chapuis-Lucciani, Drusini 2007).Au niveau de l’indivi<strong>du</strong>, le vieillissement est un processus bio-culturel. Eneff<strong>et</strong>, pour l’anthropologue qui étudie les populations <strong>vivant</strong>es, l’Hommeest un être biologique <strong>vivant</strong> dans un environnement physique <strong>et</strong> socioéconomiqueparticulier dans lequel il grandit <strong>et</strong> vieillit, se nourrit <strong>et</strong> serepro<strong>du</strong>it. C<strong>et</strong> être est aussi doté de capacités cognitives <strong>et</strong> d’affectsqu’il développe au sein d’un système social organisé.Le vieillissement biologique commence dès la naissance <strong>et</strong> se termineà la mort de l’indivi<strong>du</strong>. L’OMS le définit comme un « processus gra<strong>du</strong>el<strong>et</strong> irréversible de modification des structures <strong>et</strong> des fonctions del’organisme résultant <strong>du</strong> passage <strong>du</strong> temps ». Tout au long de savie, les processus biologiques qui gouvernent la croissance <strong>et</strong> levieillissement de l’indivi<strong>du</strong> sont dépendants de son mode de vie <strong>et</strong>en particulier de ses con<strong>du</strong>ites alimentaires, de son suivi médical<strong>et</strong> de ses activités professionnelles, sociales <strong>et</strong> personnelles. Cesprocessus sont liés à l’environnement physique dans lequel il vit<strong>et</strong> à son niveau économique <strong>et</strong> son niveau d’é<strong>du</strong>cation. Ils sontaussi influencés par la perception que l’indivi<strong>du</strong> a de son corps<strong>et</strong> par ses représentations sociales <strong>et</strong> culturelles. Et quand lecorps n’est plus à l’optimum de ses capacités fonctionnelles,les perceptions psychologiques <strong>et</strong> les représentations socialessont des facteurs encore plus importants pour la survie del’indivi<strong>du</strong>.Il y a donc continuellement interactions, imbrications, entre lesprocessus biologiques <strong>et</strong> l’environnement <strong>et</strong> l’on ne peut pas analyserle rythme biologique <strong>du</strong> vieillissement sans prendre en compte lecontexte de vie si l’on veut comprendre <strong>et</strong> interpréter les processusadaptatifs.Etudier un processus complexe <strong>et</strong> évolutifLes organes <strong>et</strong> les structures biologiques « vieillissent » à des rythmesdifférents. Il n’y a pas de norme liée à l’âge chronologique qui pourraitservir de référentiel pour mesurer le vieillissement comme c’est lecas lorsque l’on étudie la croissance. En eff<strong>et</strong>, si l’on considère parexemple les signes apparents de vieillissement que sont les cheveuxblancs, ou les rides, on voit bien que leur apparition est très variabledans le temps selon les indivi<strong>du</strong>s ou les populations, des facteurstant génétiques qu’environnementaux in<strong>du</strong>isant une variabilité trèsimportante.Le vieillissement biologique « normal », c’est-à-dire « nonpathologique », s’accompagne d’un certain nombre de pertes, dedégénérescences anatomiques <strong>et</strong> fonctionnelles entraînant desdéficits <strong>et</strong> pouvant con<strong>du</strong>ire à des incapacités voire des handicaps.De plus, avec l’avancée en âge, la prévalence de pathologieschroniques augmente : diabète, hypertension, maladies cardiovasculaires,ostéoporose, cancers…. Ces pathologies, plus oumoins invalidantes, sont généralement évolutives <strong>et</strong> nécessitent lamise en place de processus d’adaptation de la part des personnesconcernées mais aussi de leur entourage, c’est-à-dire de la famille<strong>et</strong> des institutions.La difficulté de l’étude <strong>du</strong> vieillissement vient donc de la complexitédes processus biologiques qui l’accompagnent. L’anthropologue doitalors choisir de recueillir un certain nombre d’indicateurs significatifsde l’état de santé, <strong>et</strong> de sa dégradation, en rapport avec l’aspectfonctionnel de l’organisme (par exemple, la force musculaire, la vision …)ainsi que des indicateurs de facteurs de risque <strong>et</strong> de morbidité(surcharge pondérale ou dénutrition, présence de pathologiesL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 69


L’anthropologie biologique :une approche holistique pour étudier le vieillissement humain.chroniques évolutives). Ces indicateurs sont associés à des facteurspsychologiques informant de la perception, <strong>du</strong> vécu <strong>du</strong> vieillissement.La définition de la « qualité de vie » par l’OMS (OMS 2004)correspond bien aux facteurs à prendre en compte dans la mesure <strong>du</strong>vieillissement. La qualité de vie est considérée comme « la perceptionqu’a une personne de sa place dans l’existence, dans le contexte dela culture <strong>et</strong> <strong>du</strong> système de valeurs <strong>du</strong> lieu où elle vit, par rapport àses objectifs, attentes, normes <strong>et</strong> préoccupations. Il s’agit d’un largechamp conceptuel, englobant de manière complexe la santé physiquede la personne, son état psychologique, son niveau d’indépendance,ses relations sociales, ses croyances personnelles <strong>et</strong> sa relation avecles spécificités de son environnement » (OMS, 2004). C<strong>et</strong>te définition,certes très large, donc nécessairement consensuelle, prend bien encompte l’ensemble des facteurs de bien-être <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> de déterminerdes indicateurs sur différents plans.La qualité de la vie des personnes âgées est largement déterminéepar leur capacité à conserver autonomie <strong>et</strong> indépendance. Ces deuxderniers concepts dépendent tout autant de l’état de santé physiquede la personne (présence ou non de pathologies handicapantes) quede sa place dans la société (la dépendance est un concept social quivarie selon les pays <strong>et</strong> les cultures) (Henrard, 1996 ; Caradec, 2001 ;Tubiana, 2003 ; Davis <strong>et</strong> Friedrich, 2004 ; Macia <strong>et</strong> al. 2007).Les modes d’approcheAfin d’appréhender le processus de vieillissement dans sacomplexité, les approches s’opèrent à différents niveaux :- Par une approche synchronique : au niveau des populations,sont comparés les modes de vie des populations de différentspays <strong>et</strong>, au sein d’une même population, ceux des ruraux, desurbains <strong>et</strong> des personnes qui ont émigré dans un autre pays.- Par une approche diachronique : en analysant les transitions(<strong>et</strong> les ruptures) biologiques <strong>et</strong>/ou socio-économiques(par exemple handicap, veuvage …) <strong>et</strong> les transmissionsintergénérationnelles de savoirs <strong>et</strong> de pratiques.L’approche synchroniqueC<strong>et</strong>te approche peut être intra-populationnelle. Elle perm<strong>et</strong> d’analyserl’évolution des processus de vieillissement au sein d’une populationen fonction <strong>du</strong> lieu de vie, urbain ou rural, qui implique des modesde vie différents ou/<strong>et</strong> un niveau socio-économique <strong>et</strong> un accès auxsoins contrastés (Drusini, 2000 ; Fortunato, Drusini 2005 ; Chapuis-Lucciani <strong>et</strong> al. 2009). C<strong>et</strong>te approche est particulièrement appropriéepour étudier les populations impliquées dans le processus de transitiondémographique ou pour mesurer l’influence de l’urbanisation surles besoins socio-sanitaires des personnes âgées (cf. par exempleCoumé 2000, au Sénégal). Les processus de migration à l’intérieurd’un pays (exode rurale) <strong>et</strong> vers d’autres pays, qui engendrent desmodifications rapides des modes de vie, susceptibles d’influencerles différentes dimensions <strong>du</strong> vieillissement, fournissent aussi dessuj<strong>et</strong>s pertinents pour étudier l’impact de l’environnement <strong>et</strong> <strong>du</strong> modede vie sur une population, sans biais liés aux facteurs génétiques(Schulz <strong>et</strong> al, 2006 ; El Bcheraoui, Chapuis-Lucciani 2008).L’approche comparative peut aussi être inter-populationnelle.Ses objectifs sont d’étudier le rythme <strong>du</strong> processus biologique devieillissement dans différents pays en fonction des modes de vie, desdifférences socio-culturelles, économiques <strong>et</strong> politiques, mais ausside confronter les conceptions <strong>du</strong> vieillissement <strong>et</strong> de la vie au grandâge très différentes dans les pays occidentaux <strong>et</strong> les pays africains<strong>et</strong> asiatiques où les « vieux » sont considérés comme des sages(Bâ, 1972 ; Thomas, 1983 ; Launer, Harris 1996 ; Puijalon, Trincaz2000 ; Willcox <strong>et</strong> al., 2002). En eff<strong>et</strong>, les relations entre l’état de santédes personnes âgées <strong>et</strong> les facteurs psycho-sociaux <strong>et</strong> culturels :valorisation sociale ou au contraire stigmatisation, estime de soi, force<strong>du</strong> réseau familial ou relationnel vs institutionnel, sont appropriées àétudier dans le cadre de l’anthropologie biologique (Hausdorff <strong>et</strong> al.1999 ; Davis <strong>et</strong> Friedrich, 2004 ; Macia <strong>et</strong> al. 2009).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 70


L’anthropologie biologique :une approche holistique pour étudier le vieillissement humain.L’approche diachroniqueIl s’agit d’étudier les transitions <strong>et</strong> les ruptures qui surviennent aucours de la vie, les phénomènes biologiques comme la ménopause(<strong>et</strong> l’andropause) <strong>et</strong> l’apparition de pathologies chroniques (maladiescardio-vasculaires <strong>et</strong> endocriniennes, handicaps moteurs ou perceptifs,<strong>et</strong>c …) qui entraînent des changements de mode de vie (con<strong>du</strong>itesalimentaires <strong>et</strong> observance des médications en particulier).Il en va de même en ce qui concerne l’analyse des transformations<strong>et</strong> des adaptations <strong>du</strong> mode de vie <strong>du</strong>es à des changements socioéconomiquestels que le passage à la r<strong>et</strong>raite, le veuvage ou lechangement de domicile (par exemple, l’entrée dans une institutionpour personnes âgées). (Sundquist, Johansson 1998 ; Macia <strong>et</strong> al.2008)Un autre thème d’étude concerne les personnes âgées immigrées, qui,au moment de la r<strong>et</strong>raite, n’ont plus le choix de « rentrer au pays »essentiellement pour des raisons de santé, mais aussi pour des raisonssocio-économiques <strong>et</strong> culturelles, <strong>et</strong> cumulent les complicationsde la vieillesse : vulnérabilité <strong>du</strong>e à la pénibilité de leur activitéprofessionnelle, mauvaises conditions de logement, isolement familial<strong>et</strong> culturel (Muñoz, 1999 ; Attias-Donfut, 2006). Intéressantes aussisont les études portant sur les migrants qui effectuent des allers<strong>et</strong> r<strong>et</strong>ours entre le pays d’origine <strong>et</strong> le pays d’immigration ; ellesperm<strong>et</strong>tent d’appréhender les « bricolages culturels » caractérisantleurs modes de vie <strong>et</strong> leurs pratiques sanitaires.Une autre approche consiste à étudier l’évolution des modesde vie au cours des générations afin de m<strong>et</strong>tre en exergue lestransmissions de savoir, de savoir-faire <strong>et</strong> de savoir-être entre lesgénérations. L’étude des con<strong>du</strong>ites alimentaires, en particulier enrelation avec certaines maladies chroniques telles que le diabèteou l’hypertension, <strong>et</strong> des pratiques de santé (suivi médical,observance, hygiène bucco-dentaire) sont des <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> d’étudesparticulièrement pertinents (par exemple, Crenn 2003).ConclusionPour bien comprendre le caractère évolutif <strong>et</strong> la diversité <strong>du</strong> processusde vieillissement, l’anthropobiologiste doit donc interroger le corps.Il mesure sa taille, son poids, sa capacité respiratoire, son acuitévisuelle <strong>et</strong> auditive, son état bucco-dentaire, sa force musculaire, ilinventorie ses pathologies … Ces indicateurs donnent une « image» de son état de santé physique qu’il m<strong>et</strong> en perspective avecdes indicateurs environnementaux <strong>et</strong> socio-économiques <strong>et</strong> desindicateurs d’identité sociale <strong>et</strong> psychologique, refl<strong>et</strong>s de son bienêtre<strong>et</strong> de sa qualité de vie.Les approches, synchronique ou diachronique, sont réalisées pardes méthodes qualitatives <strong>et</strong> quantitatives dont nous verrons desillustrations dans d’autres articles de c<strong>et</strong> ouvrage.Enfin, l’interdisciplinarité est une nécessité pour aborder d’étude <strong>du</strong>vieillissement dans sa complexité. Son étude ne peut en eff<strong>et</strong> se faireque dans une démarche holiste impliquant l’apport de disciplinesconnexes tant au sein de l’anthropologie biologique que des autresdomaines scientifiques. Différentes sous-disciplines anthropologiquessont impliquées dans le thème <strong>du</strong> vieillissement : l’anthropologiedémographique, l’anthropologie de la santé, l’alimentation <strong>et</strong> lanutrition, la morphologie <strong>et</strong> l’anthropologie des représentations <strong>du</strong>corps.Enfin, d’autres domaines scientifiques entrent en interaction étroiteavec le champ de l’anthropologie <strong>du</strong> vieillissement : la biologie <strong>et</strong>la médecine (gériatrie, rhumatologie, dermatologie, endocrinologie,stomatologie, ophtalmologie…), l’épidémiologie <strong>et</strong> la santé publique,la démographie, la sociologie <strong>et</strong> la psychologie sociale.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201071


L’anthropologie biologique :une approche holistique pour étudier le vieillissement humain.Références bibliographiquesATTIAS-DONFUT (C.) 2006, L’enracinement. Enquête sur levieillissement des immigrés en France, Armand Colin, Paris, 358 p.BA (A.A.) 1972, Aspects de la civilisation africaine, Présence Africaine,Paris, 140 p.CARADEC (V.) 2001, Sociologie de la vieillesse <strong>et</strong> <strong>du</strong> vieillissement,Nathan Université, Saint-Germain-<strong>du</strong>-Puy.CHAPUIS-LUCCIANI (N.), DRUSINI (A.) 2007. Anthropologie <strong>du</strong>vieillissement <strong>et</strong> de la longévité. In L’homme <strong>et</strong> sa diversité. Perspectives<strong>et</strong> enjeux de l’Anthropologie biologique, <strong>CNRS</strong> Éditions, Paris, p. 57-68.CHAPUIS-LUCCIANI (N.), GUEYE (L.), COUMÉ (M.), MACIA (E.),HANE (F.), SALIBA-SERRE (B.) 2009, Obesity, overweight andhypertension in the Senegalese elderly living in Senegal and in France.Influence of migration, Obesity 17, Supplement 2: S164COUME (M.) 2000, Etude sur le besoins socio-sanitaires <strong>et</strong> économiquesdes personnes âgées au Sénégal, ORGA CONSEIL.CRENN (C.) 2003, Alimentation <strong>et</strong> santé des familles d’émigrants auMaroc : acculturation <strong>et</strong> <strong>et</strong>hnicité, in I. Gobatto (éd.), <strong>Dynamique</strong>slocales de la mondialisation : les Afriques en perspective, MSHA/Kathala, Paris.DAVIS (N.C.), FRIEDRICH (D.) 2004, Knowledge of aging and lifesatisfaction among older a<strong>du</strong>lts, International Journal of Aging andHuman Development 59 (1): 43-61.DRUSINI (A.G.) 2000, Population Dynamics and Aging, in A.Siniarska, N. Wolanski (eds.) Ecology of Aging, Kamla-RajEnterprises, Delhi, India, p. 193-204.EL BCHERAOUI (C.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.) 2008, Obesityin the Lebanese elderly: prevalence, relative risks andanthropom<strong>et</strong>ric measurements, Lebanese Medical Journal, 56(3): p. 174-180.FORTUNATO (L.), DRUSINI (A.G.), 2005, Socio-demographic,behavioral and functional characteristics of groups of community andinstitutionalized elderly Quechua Indians of Peru, and their associationwith nutritional status, Journal of Cross-Cultural Gerontology, 20 (2):141-157; DOI: 10.1007/s10823-005-9088-2HAUSDORFF (J. M.), LEVY (B. R.), WEI (J.Y.) 1999, The power ofageism on physical function of older persons: reversibility of agerelatedgait changes, Journal of American Geriatrics Soci<strong>et</strong>y, 47:1346-1349.HENRARD (J.-C.) 1996, Vieillissement, santé <strong>et</strong> société, In J.-C.Henrard, S. Clément <strong>et</strong> F. Derriennic (éds), Questions en Santépublique, Paris, Editions INSERM, p. 7-18.LAUNER (L.J.), HARRIS (T.) 1996, Weight, height and body massindex distributions in Loarer, E., geographically and <strong>et</strong>hnically diversesamples of older persons. Age and Ageing, 25: 300-306.MACIA (E.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.), BOETSCH (G.) 2007 -L’âgisme <strong>et</strong> ses relations avec l’estime de soi <strong>et</strong> la santé subjective.Sciences Sociales <strong>et</strong> Santé. 25 (3): 79-106MACIA (E.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.) CHEVE (D.), BOETSCH(G.) 2008, Entrer <strong>et</strong> résider en maison de r<strong>et</strong>raite : des relations depouvoir autour <strong>du</strong> corps. Revue Française des Affaires Sociales., 1:191-204.MACIA (E.), LAHMAM (A.), BAALI (A.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.)2009. Perception of age stereotypes and self-perception of aging: acomparison of French and Moroccan population. Journal of Cross-Cultural Gerontology 24 (4): 391-410. DOI 10.1007/s10823-009-9103-0MUÑOZ (M.-C.) 1999, Exclusion sociale, vieillissement <strong>et</strong> immigration.Migration <strong>et</strong> santé 99/100: 57-70.OMS 2004, Plan d’action international sur le vieillissement : rapportsur la mise en œuvre.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201072


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Une approche synchronique <strong>du</strong> vieillissement :exemple d’étude de la population sénégalaise âgée.Nicole CHAPUIS-LUCCIANI, Fatoumata HANE, Aissatou SIGNATE, Enguerran MACIA, Mamadou COUME,Bérengère SALIBA-SERRE, Lamine GUEYEMots-clés : vieillissement, population sénégalaise, transition démographique,migrationsContexte de l’étudeLe vieillissement est un processus multifactoriel <strong>et</strong> évolutif tant auplan biologique que socio-économique <strong>et</strong> culturel. L’intérêt d’étudierla population sénégalaise par une approche anthropobiologique tientau fait qu’elle est confrontée à trois phénomènes démographiquesconcomitants impulsant des modes de vie <strong>et</strong> des états sanitairesnouveaux.En eff<strong>et</strong> le pays est dans une dynamique de transition démographiqueentrainant une augmentation de la population âgée. Le deuxièmephénomène est l’urbanisation massive en particulier vers la capitale.Enfin, le pays est confronté à une émigration importante essentiellementvers les pays occidentaux.Le vieillissement de la population entraîne l’apparition de pathologieschroniques évolutives liées à l’âge (cardio-vasculaires, bronchopulmonaires,ostéo-articulaires, métaboliques, oncologiques, neuropsychiatriques…) pouvant évoluer vers des incapacités fonctionnelles.Ce phénomène sanitaire est accentué par l’urbanisation qui provoquechangements alimentaires <strong>et</strong> sédentarisation <strong>et</strong> favorise ainsil’émergence des pathologies cardio-vasculaires <strong>et</strong> métaboliques.Comme d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal subit eneff<strong>et</strong> la transition nutritionnelle (Maire, Delpeuch 2004). Avecl’amélioration des revenus <strong>et</strong> l’urbanisation croissante, lesrégimes riches en sucres complexes <strong>et</strong> en fibres font placeprogressivement à des régimes énergétiques denses, riches enlipides <strong>et</strong> sucres simples. Si la ville propose une plus grandediversité dans l’offre alimentaire, c<strong>et</strong>te diversité impliquel’apport d’aliments in<strong>du</strong>striels plus caloriques. De plus, commele montre une étude réalisée au Cameroun les urbainsdépensent moins d’énergie que les ruraux ; le bilan énergétiquedes ruraux reste à peu près équilibré, alors qu’il est en moyenne enexcès chez les urbains, compte tenu de leur fort taux de sédentarité(Pasqu<strong>et</strong> <strong>et</strong> al. 2003).Enfin, ces trois phénomènes démographiques transforment nonseulement les modes de vie <strong>et</strong> les pathologies mais aussi la structure<strong>et</strong> l’organisation de la famille.En Afrique sub-saharienne, c’est le principe d’aînesse qui régit uneorganisation hiérarchique de la famille <strong>et</strong> les enfants ont la charge deleurs parents âgés. Au Sénégal, les personnes âgées sont perçuespositivement, respectés, l’avancée en âge apportant expérience<strong>et</strong> sagesse alors que dans les pays occidentaux le vieillissementest socialement dévalorisé (Trincaz 1998 ; Puijalon, Trincaz 2000 ;Macia <strong>et</strong> al. 2007). Si les représentations liées aux valeurs sociales« traditionnelles » per<strong>du</strong>rent, c<strong>et</strong>te conception sociale pourrait êtrebattue en brèche par les changements démographiques actuels :migrations des jeunes vers les villes <strong>et</strong> l’occident, augmentation dela proportion d’âgés, baisse de la natalité. Les vieux seront alorsmoins entourés <strong>et</strong> que dire de ceux qui vieillissent en occident sansfamille proche.ProblématiqueLes phénomènes de vieillissement de la population <strong>et</strong> l’urbanisationsont des processus récents au Sénégal. De plus, la forte migrationdes ruraux vers les villes sénégalaises, en particulier vers la capitaleDakar <strong>et</strong> vers l’étranger, donne l’opportunité de comparer unepopulation <strong>vivant</strong> dans des environnements de vie contrastés (rural,urbain, France) <strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre en évidence une possible influence del’environnement (<strong>et</strong> <strong>du</strong> mode de vie associé) sur la santé, commecela a été montré chez les Pima <strong>du</strong> Mexique (Schulz <strong>et</strong> al. 2006).Par ailleurs, les pathologies cardio-vasculaires <strong>et</strong> métaboliques sontL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201074


Une approche synchronique <strong>du</strong> vieillissement :exemple d’étude de la population sénégalaise âgée.actuellement reconnues comme un problème de santé publique auSénégal. Cependant peu d’études récentes portent sur ces pathologies<strong>et</strong> leurs facteurs de risque (Kane <strong>et</strong> al. 1995 ; Holdsworth <strong>et</strong> al. 2004 ;Fezeu <strong>et</strong> al. 2006 ; Duboz <strong>et</strong> al. 2010 ; Macia <strong>et</strong> al. 2010), d’où lanécessité de faire un état des lieux de l’état de santé des âgés le plussouvent atteint de pluri-pathologies.La prise en charge médicale <strong>et</strong> sociale des âgés est différente selonle lieu de vie. Le milieu rural sénégalais quoique très bien structurésur le plan sanitaire (des centres de santé sont répartis sur tout l<strong>et</strong>erritoire) souffre d’un déficit chronique de médecins ; les soins sonttrès fréquemment donnés par des infirmiers. En France, les migrantsbénéficient de l’assurance maladie ; mais sont-ils pour autant bien suivismédicalement quand ils sont atteints de pathologies chroniques ?Enfin, sur le plan familial <strong>et</strong> social, tant institutionnel qu’informel, quellesconséquences va avoir le passage de la famille élargie à la famillerestreinte en particulier en ville <strong>et</strong> dans les pays d’immigration quandles âgés seront atteints d’handicaps nécessitant une prise en chargeparticulière ?ObjectifsLe premier objectif de c<strong>et</strong>te étude est de mesurer l’impact del’urbanisation <strong>et</strong> de la migration sur une population génétiquementhomogène au sens anthropologique <strong>du</strong> terme (dans ce cas, 4grands-parents sénégalais) en comparant des populations <strong>vivant</strong>dans des environnements de vie différenciés : au Sénégal (milieurural / milieu urbain) <strong>et</strong> en France.Le deuxième objectif est de faire un état des lieux de la santé despersonnes âgées sénégalaises, de leur suivi médical, de leurmode de vie <strong>et</strong> de leur environnement familial <strong>et</strong> social.Enfin, le troisième objectif porte sur les perceptions <strong>du</strong>vieillissement <strong>et</strong> de la vieillesse : nous faisons l’hypothèse quele lieu de vie peut influer sur c<strong>et</strong>te perception, les Sénégalais<strong>vivant</strong> en France peuvent subir l’influence de la sociétéoccidentale dans laquelle ils vivent. Les urbains <strong>vivant</strong>s dansleur pays peuvent aussi sentir l’influence de la « modernité »à l’occidentale (influence de l’indivi<strong>du</strong>alisation des modes de vie,mais aussi des médias sur les jeunes générations). Au Maroc, parexemple, une perception négative de la vieillesse commence àapparaître en milieu urbain (Macia <strong>et</strong> al. 2009).MéthodesPour répondre à ces objectifs nous avons utilisé une méthodecomparative : des échantillons de population prélevés dans desmilieux différenciés (rural, urbain, étranger).Nous avons associé des mesures anthropométriques, perm<strong>et</strong>tantde mesurer l’état physique, à un questionnaire au cours <strong>du</strong>quelnous avons recueilli des indicateurs socio-démographiques, socioéconomiques,sanitaires <strong>et</strong> alimentaires ainsi que des informationsconcernant la perception de la santé, <strong>du</strong> corps, <strong>du</strong> vieillissement <strong>et</strong>de la vieillesse.C<strong>et</strong>te méthode est utilisée, au sein de notre équipe, pour étudierles populations âgées de plusieurs pays (El Bcheraoui, Chapuis-Lucciani 2008 ; Chapuis-Lucciani <strong>et</strong> al. 2009a ; 2009b ; Chapuis-Lucciani 2010).La population d’étude est répartie en plusieurs lieux d’enquête :Dakar <strong>et</strong> banlieue, trois villages sénégalais (Dougar, Rao <strong>et</strong> ToubabDialaw) <strong>et</strong> Marseille.Toutes les personnes enquêtées sont soumises à un entr<strong>et</strong>ien en faceà face fondé sur un questionnaire composé de questions fermées <strong>et</strong>de questions ouvertes.Les informations recueillies au cours <strong>du</strong> questionnaire portent sur :- des indicateurs socio-économiques (niveau d’études, professionsexercées au cours de la vie active, activité, chômage, prér<strong>et</strong>raite our<strong>et</strong>raite, revenus, origine <strong>et</strong> composition de la famille, pratique d’unereligion…)- des indicateurs d’insertion sociale (vie en famille nucléaire ouélargie, réseau familial <strong>et</strong> amical, intégration dans le quartier …)- des indicateurs psycho-sociaux (test d’estime de soi, autoperceptionde la santé, auto-perception <strong>du</strong> vieillissement).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 75


Une approche synchronique <strong>du</strong> vieillissement :exemple d’étude de la population sénégalaise âgée.CHAPUIS-LUCCIANI (N.), LAHMAM (A.), ABOUSSAD (A.), MELLOUKI(N.), NAJIH (A.), BOETSCH (G.), BAALI (A.) 2009b, Influence del’environnement socio-culturel <strong>et</strong> <strong>du</strong> lieu de vie sur l’état de santé desMarocains âgés de 50 ans <strong>et</strong> plus, Communication au colloque <strong>du</strong> GALF2009, Biologie, environnements <strong>et</strong> comportements des populationshumaines : passé, présent, futur, Bordeaux : 27-29 mai 2009.DUBOZ (P.), MACIA (E.), GUEYE (L.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.) 2010,Migrations internes, auto-évaluation de la santé, hypertension artérielle<strong>et</strong> obésité à Dakar (Sénégal), Bull<strong>et</strong>ins <strong>et</strong> Mémoires de la Sociétéd’Anthropologie de Paris (sous-presse)EL BCHERAOUI (C.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.) 2008, Obesity inthe Lebanese elderly: prevalence, relative risks and anthropom<strong>et</strong>ricmeasurements, Lebanese Medical Journal, 56 (3): 174-180.FEZEU (L.), BALKAU (B.), KENGNE (A.P.), SOBNGWI (E.), MBANYA(J.C.) 2006, M<strong>et</strong>abolic syndrome in a sub-Saharan African s<strong>et</strong>ting:Central obesity may be the key d<strong>et</strong>erminant. Atherosclerosis, A 29.HOLDSWORTH (M.), GARTNER (A.), LANDAIS (E), MAIRE (B.),DELPEUCH (F.) 2004, Perceptions of healthy and desirable bodysize in urban Senegalese women. International journal of obesity andrelated m<strong>et</strong>abolic disorders: journal of the International Associationfor the Study of Obesity 28(12): 1561-1568.KANE (A.), BA (S.A.), SARR (M.), DIOP (B.I.), HANE (L.), DIALLO(T.A.), NDOYE (F.), SAMADOULOUGOU (A.), DIOUF (S.M.) 1995,Arterial hypertension in Senegal: epidemiological aspects, clinicalfeatures, and therapeutic management problems. Dakar Medical40 (2): 157-161.MACIA (E.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.), BOETSCH (G.) 2007,Stéréotypes liés à l’âge, estime de soi <strong>et</strong> santé perçue, SciencesSociales <strong>et</strong> Santé 25 (3): 79-106.MACIA (E.), DUBOZ (P.), GUEYE (L.) 2010, Prevalence ofobesity in Dakar, Obesity Reviews 11(10): 691-694. DOI:10.1111/j.1467-789X.2010.00749.x.MACIA (E.), LAHMAM (A.), BAALI (A.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.)2009, Perception of age stereotypes and self-perception of aging: acomparison of French and Moroccan population, Journal of Cross-Cultural Gerontology 24 (4): 391-410. DOI 10.1007/s10823-009-9103-0MAIRE (B.), DELPEUCH (F.) 2004, La transition nutritionnelle,l’alimentation <strong>et</strong> les villes dans les pays en développement. Cahiersd’Etudes <strong>et</strong> de Recherches Francophones / Agricultures, 13(1): 23-30.PASQUET (P.), TEMGOUA (L.S.), MELAMAN-SEGO (F.), FROMENT(A.), RIKONG-ADIE (H.) 2003, Prevalence of overweight and obesityfor urban a<strong>du</strong>lts in Cameroon. Annals of Human Biology, 30: 551-562PUIJALON (B.), <strong>et</strong> TRINCAZ (J.) 2000, Le droit de vieillir, Fayard,ParisSCHULZ (L.O.), BENNETT (P.H.), RAVUSSIN (E.), KIDD (J.R.), KIDD(K.K.), ESPARZA (J.), VALENCIA (M.E.) 2006. Effects of traditionaland western environments on prevalence of type 2 diab<strong>et</strong>es in PimaIndians in Mexico and the U.S, Diab<strong>et</strong>es Care 29(8): 1866-1871.TRINCAZ (J.) 1998, Les fondements imaginaires de la vieillessedans la pensée occidentale. L’Homme, 147: 167-189.Les auteursNicole CHAPUIS-LUCCIANIDirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur - adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : nicole_chapuis@hotmail.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 77


Une approche synchronique <strong>du</strong> vieillissement :exemple d’étude de la population sénégalaise âgée.Fatoumata HANEEnseignante Chercheure- UMR 912 SE4S «Sciences économiques <strong>et</strong> sociales, Sociétés <strong>et</strong> Santé» (Marseille, Dakar)IRD/ ANRS- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» ; <strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh AntaDiop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako(Mali)Assistante à l’Université de Ziguinchor (Sénégal)courriel : hanefatoumata@yahoo.frAissatou SIGNATEDocteur en médecine- Laboratoire de Physiologie <strong>et</strong> d’Exploration Fonctionnelle, Faculté de Médecine, UniversitéCheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal)- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» ; <strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh AntaDiop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako(Mali)courriel : asignate1@hotmail.frBérengère SALIBA-SERREIngénieur d’Étude en Statistique au <strong>CNRS</strong>- UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle ; <strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée, EFS (Marseille,France)courriel : berengere.saliba-serre@univmed.frLamine GUEYEProfesseur des Universités Praticien HospitalierResponsable de l’Unité de Neurophysiologie clinique, Service de Neurologie CHU Fann DakarDirecteur par intérim de l’UFR Sciences de la Santé UGB Saint-Louis (Sénégal)Directeur-Adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)- Laboratoire de Physiologie <strong>et</strong> d’Exploration Fonctionnelle, Faculté de Médecine, UniversitéCheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal)courriel : lamine.gueye@ugb.e<strong>du</strong>.snEnguerran MACIAChargé de Recherche au <strong>CNRS</strong>- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» ; <strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh AntaDiop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako(Mali)courriel : enguerranmacia@yahoo.frTél : 06 79 65 27 45Mamadou COUMEGériatreMédecin Chef <strong>du</strong> Centre de Gériatrie Gérontologie de l’Institution de PrévoyanceR<strong>et</strong>raite <strong>du</strong> SénégalChef de Clinique Assistant Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal)Laboratoire de Physiologie <strong>et</strong> d’Exploration Fonctionnelle, Faculté de Médecine,Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal)<strong>et</strong> UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» ; <strong>CNRS</strong> (France) - UniversitéCheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou, Burkina-Faso)- Université de Bamako (Mali)courriel : drcoume@ipres.snL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201078


De l’échelle macro à l’échelle micro, les étapes d’un parcours…Anne-Marie FERRANDEZ, Bérengère SALIBA-SERRE, Philipe BARRETOMots-clés : vieillissement, activité physique, limitations fonctionnelles,sondage aléatoire stratifié à allocation proportionnelleC<strong>et</strong> article se propose de décrire l’enchainement méthodologique utilisépour étudier une problématique anthropologique donnée. L’exemplechoisi concernera la question suivante : « Quels sont les eff<strong>et</strong>s del’exercice physique sur l’amélioration de la santé <strong>et</strong> <strong>du</strong> bien-être, <strong>et</strong>sur la ré<strong>du</strong>ction des limitations fonctionnelles, chez les personnesâgées ?».Présentation <strong>du</strong> domaine scientifique dont relève laméthodologie utiliséeLa problématique concerne l’anthropologie biologique <strong>et</strong> culturelle, <strong>et</strong>plus particulièrement l’anthropologie <strong>du</strong> vieillissement. Elle s’inscritdans un contexte où l’indivi<strong>du</strong> est compris dans sa dimension à la foisphysiologique, psychologique <strong>et</strong> sociale. L’aspect pluridisciplinairede la question posée laisse présager de la multiplicité desméthodes qui pourront être mises en œuvre pour répondre à c<strong>et</strong>teproblématique.Choix <strong>et</strong> Intérêts de la méthodePlusieurs types d’observables sont impliqués, aussi bien quantitatifsque qualitatifs. Nous utiliserons donc plusieurs méthodes. Deplus la question est complexe : elle interroge clairement sur les «eff<strong>et</strong>s de … ». Il faudra donc m<strong>et</strong>tre en évidence une relation decause à eff<strong>et</strong>. On commencera par tester des associations.Description succincte de la méthodeLa suite méthodologique peut être résumée de la façon suivante :* Choix d’une population <strong>et</strong> échantillonnage* Enquête au moyen d’un questionnaire– Recherches d’associations <strong>et</strong>– Constitution d’un vivier* Construction de trois groupes– Homogènes sur des variables choisies* Recherche d’intervention– Eff<strong>et</strong> de groupe– Eff<strong>et</strong>s avant-après (court terme, long terme)Observons plus en détail chacune de ces étapes.> Choix d’une population <strong>et</strong> échantillonnageLa réalisation de l’enquête implique de travailler à partir d’unéchantillon de la population d’intérêt <strong>et</strong> donc de réfléchir à l’élaborationd’un plan de sondage. La population, pour c<strong>et</strong>te étude, est celledes adhérentes <strong>et</strong> adhérents à la Mutuelle Générale de l’E<strong>du</strong>cationNationale des Bouches-Du-Rhône (MGEN-13) en 2007, âgés de 60ans ou plus <strong>et</strong> résidant à Marseille, hors institutions spécialisées. Labase de sondage a été obtenue directement auprès de la MGEN-13,à partir de la liste de tous ses adhérents. La taille de la populationd’intérêt définie ci-dessus s’élevait alors à 8533 indivi<strong>du</strong>s.En fonction <strong>du</strong> problème posé <strong>et</strong> des éléments disponibles au momentde l’enquête, notamment de l’information disponible dans la basede sondage, nous avons alors été amenés à choisir une méthodede sondage nous perm<strong>et</strong>tant de construire un échantillon aléatoired’indivi<strong>du</strong>s. C<strong>et</strong> échantillon devait correspondre aux caractéristiquesque nous avons choisies. Ainsi, nous avons sélectionné un échantillonde 1000 personnes par la méthode <strong>du</strong> sondage aléatoire stratifié àallocation proportionnelle. C<strong>et</strong>te méthode de sondage consiste enun tirage aléatoire multiple.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 79


De l’échelle macro à l’échelle micro, les étapes d’un parcours…Son principe est le suivant:- On stratifie l’échantillon selon les variables choisies. Dans notre cas,la population d’intérêt est partitionnée en 10 sous-ensembles appelésstrates. Elle a en eff<strong>et</strong> été préalablement stratifiée sur le sexe (2 classes),<strong>et</strong> l’âge (5 classes : 60-64 ans, 65-69 ans, 70-74 ans, 75-79 ans, 80 ans<strong>et</strong> plus).- On applique un taux de sondage identique dans chacune des 10strates.- On effectue au sein de chacune des 10 strates, la méthode <strong>du</strong> trialéatoire.- Ainsi l’échantillon représente la population strate par strate <strong>et</strong>constitue un modèle ré<strong>du</strong>it de la population d’intérêt.> Enquête au moyen d’un questionnaireLes données nécessaires à l’étude ont été recueillies grâce à desauto-questionnaires envoyés à domicile par courrier postal auprès del’échantillon de 1000 personnes. C<strong>et</strong> auto-questionnaire comporteplusieurs vol<strong>et</strong>s :– Les caractéristiques socio-démographiques– La santé perçue <strong>et</strong> la santé générale– La satisfaction corporelle : apparence <strong>et</strong> forme physique– La limitation fonctionnelle– L’activité physique : intensité, fréquence <strong>et</strong> <strong>du</strong>rée sur les 7 joursprécédentsAu total, 1000 adhérents de la MGEN-13 ont été sollicités parcourrier pour aboutir à un échantillon de 535 répondants. L<strong>et</strong>aux de participation (rapport entre le nombre d’indivi<strong>du</strong>s ayantrenvoyé leur auto-questionnaire <strong>et</strong> le nombre d’indivi<strong>du</strong>s à quiun questionnaire a été envoyé) s’élève donc à 53,5%. Lescaractéristiques (sexe <strong>et</strong> âge) des répondants ont été comparéesà celles de la population d’intérêt. La répartition similaire parclasses d’âge <strong>et</strong> sexe <strong>et</strong> le taux de sondage identique danschaque strate laisse penser que les non-répondants <strong>et</strong> lesrépondants ne différaient pas suivant le sexe <strong>et</strong> l’âge (cftableau I).La constitution d’un tel vivier représente une étape essentiellepour m<strong>et</strong>tre en place la recherche d’intervention. Ainsi, à la fin <strong>du</strong>questionnaire, on demandait à l’enquêté s’il était d’accord ou non pourparticiper à une recherche ultérieure : la recherche d’intervention.La formulation était la suivante : « Un p<strong>et</strong>it nombre de personnesinterrogées dans c<strong>et</strong>te enquête seront invitées à participer à unerecherche ultérieure, où l’on tentera d’établir de façon précise l’eff<strong>et</strong>d’un exercice physique ou intellectuel, pratiqué au club des r<strong>et</strong>raitésde la MGEN-13, sur la santé <strong>et</strong> le bien-être ».Tableau I. Comparaison entre la répartition par strate des répondants <strong>et</strong> de lapopulation mèrePopulation (N=8533) Répondants (n=535)Sexe Age n % n %hommes 60-64 765 9 44 8,265-69 709 8,3 46 8,670-74 562 6,6 37 6,975-79 364 4,3 30 5,680 <strong>et</strong> plus 421 4,9 30 5,6femmes 60-64 1519 17,8 101 18,965-69 1370 16,1 84 15,770-74 1026 12 62 11,675-79 683 8 36 6,780 <strong>et</strong> plus 1114 13,1 64 12> Construction des trois groupesLe but est de constituer des groupes appariés sur la base <strong>du</strong> sexe, del’âge, de la CSP <strong>et</strong> de toute autre variable apparue comme pertinentelors de la première phase de l’étude, au sein desquels on réaliserades tirages aléatoires.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 80


De l’échelle macro à l’échelle micro, les étapes d’un parcours…> Recherche d’interventionParmi les 535 répondants, un peu moins de la moitié (250), a acceptéde participer à c<strong>et</strong>te recherche <strong>et</strong> 60 indivi<strong>du</strong>s participeront effectivementà la recherche d’intervention dont le but est, rappelons-le, de tester leseff<strong>et</strong>s de l’exercice physique sur la santé, le bien-être, <strong>et</strong> les capacitésfonctionnelles.Nous m<strong>et</strong>tons en place une recherche d’intervention où l’on explore àl’échelon indivi<strong>du</strong>el, dans un suivi longitudinal, les progrès en six moisd’un groupe « expérimental » par rapport à un groupe « témoin » ou «contrôle ». Il s’agit de tester, sur des variables choisies, les eff<strong>et</strong>s « Avant-Après » chez des personnes qui pratiquent, au sein <strong>du</strong> club des r<strong>et</strong>raitésMGEN-13, un exercice soit physique soit intellectuel, soit ne font aucunexercice en collectif. Les effectifs envisagés pour les trois groupes ainsidéfinis seront respectivement de 24, 24 <strong>et</strong> 12.Il faudra toutefois éviter certains biais possibles comme le biais de«préférence» qui consisterait à attribuer chaque indivi<strong>du</strong> dans le groupequ’il aurait choisi.> Analyses statistiquesEn ce qui concerne le traitement statistique des informationscollectées, nous envisageons de commencer par une approcheexploratoire multidimensionnelle dont le but est d’observer <strong>et</strong> décrireles données. Les méthodes statistiques que nous utilisons alorspour traiter les données sont principalement exploratoires commel’analyse en Composantes Principales (ACP) qui nécessite desvariables continues, l’Analyse des Correspondances Multiples(ACM) qui nécessite des variables qualitatives ou l’AnalyseFactorielle Multiple (AFM) qui est une synthèse de l’ACP <strong>et</strong> del’ACM <strong>et</strong> qui nécessite des groupes de variables. La démarchestatistique sera ensuite explicative. Des analyses de régressionsseront mises en œuvre, tout cela en fonction de la nature <strong>et</strong> dela structure des données. Les principales analyses envisagéesseront :* Des régressions linéaires- Une variable quantitative expliquée par une ou plusieursvariables quantitatives ou qualitatives* Des régressions logistiques (binaires ou polytomiques)- Une variable qualitative expliquée par une ou plusieurs variables(quantitatives ou qualitatives)* Des régressions PLS- Technique perm<strong>et</strong>tant de contourner certains obstacles de larégression linéaireAvantages <strong>et</strong> limites de la méthodeLe parcours que nous décrivons montre concrètement la démarchepas à pas, suivie par le chercheur successivement confronté auxlimites de chaque méthode, <strong>et</strong> à l’éventuelle nécessité d’en choisirune plus appropriée.Références bibliographiquesPublications récentes des auteurs sur le suj<strong>et</strong>FERRANDEZ (A.M.), BARRETO (P.S.), VENTELOU (B.), SALIBA-SERRE (B.), DAVIN (B.), THIEBAUT (S.) 2008, Âge <strong>et</strong> sédentarité : lapratique de l’activité physique comme source de disparités de santéface au vieillissement. Revue d’Epidémiologie <strong>et</strong> de Santé Publique56S: S356–S375.BARRETO (P.S.), FERRANDEZ (A.M.) 2007, Le processusincapacitant au cours <strong>du</strong> vieillissement : rôle de l’exercice/activitéphysique. Bull<strong>et</strong>ins <strong>et</strong> Mémoire de la Société d’Anthropologie deParis 19(3-4): 221-232BARRETO (P.S.), MACIA (E.), CHAPUIS-LUCCIANI (N.),FERRANDEZ (A.M.) 2009, Exercise and aging: relationships b<strong>et</strong>weenfunctional fitness, body mass index and psychosocial variables,Bull<strong>et</strong>ins <strong>et</strong> Mémoire de la Société d’Anthropologie de Paris 21(1-2):79-91.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201081


De l’échelle macro à l’échelle micro, les étapes d’un parcours…> On pourra consulter :Pour les techniques statistiquesSAPORTA (G.) 2006, Probabilités, analyses des données <strong>et</strong> statistiques,Editions Technip, Paris, 656 p.En ce qui concerne les ACP, ACMESCOFFIER (B.), PAGES (J.) 2008, Analyses factorielles simples <strong>et</strong>multiples : Objectifs, méthodes <strong>et</strong> interprétation, Dunod, Paris, 318 p.En ce qui concerne les régressions logistiquesHOSMER (D. W.), LEMESHOW (S.) 2000, Applied logistic regression,John Wiley and sons, New York, 397 p.BOUYER (J.), HEMON (D.), CORDIER (S.), DERRIENNIC (F.), STÜCKER(I.), STENGEL (B.), CLAVEL (J.) 1995, Epidémiologie. Principes <strong>et</strong>méthodes quantitatives, Editions INSERM, Paris, 498 p.En ce qui concerne le sondage aléatoire stratifié à allocationproportionnelleARDILLY (P.) 2006, Les techniques de sondage, Editions Technip,Paris, 311 p.Les auteursAnne-Marie FERRANDEZChargée de recherche <strong>CNRS</strong>- UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle (Marseille, France)<strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée, EFScourriel : anne-marie.ferrandez@univmed.frBérengère SALIBA-SERREIngénieur d’Étude en Statistique au <strong>CNRS</strong>- UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle ; <strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée, EFS (Marseille,France)courriel : berengere.saliba-serre@univmed.frPhilipe DE SOUTO BARRETOMaster scientifique en «Activité physique <strong>et</strong> santé»; Master scientifique en «AnthropologieBiologique»; Doctorant l’Université de la MéditerranéeUMR 6578 Anthropologie Bioculturelle (Marseille, France)<strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée, EFScourriel : philipebarr<strong>et</strong>o81@yahoo.com.brEn ce qui concerne les régressions linéairesMOTULSKY (H.) 2002, Biostatique : une approche intuitive, DeBoeck & Larcier, Bruxelles, 484 p.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 82


Activités instrumentales physiques de la vie quotidienne chez les personnes âgées :validation d’une échellePhilipe DE SOUTO BARRETO, Anne-Marie FERRANDEZMots-clés : aînés, limitation physique, validité, santéProblématiquePour qu’un indivi<strong>du</strong> puisse vivre de façon indépendante, il doit pouvoirréaliser quotidiennement certaines activités. Selon Graf (2008)celles-ci peuvent faire appel aux capacités physiques (e.g., marcherquelques centaines de mètres) comme aux capacités cognitives (e.g.,utiliser le téléphone, gérer l’argent). Les activités instrumentales de lavie quotidienne (AIVQ) font partie de ces activités (Hayakawa <strong>et</strong> al.,2010). Il existe plusieurs échelles d’AIVQ qui ont été élaborées afind’évaluer les limitations fonctionnelles, c’est-à-dire les limitations dansla réalisation de ces activités. L’échelle la plus connue, <strong>et</strong> souventutilisée dans des études avec des personnes âgées (≥ 60 ans) estl’échelle de Lawton, qui évalue les capacités pour utiliser le téléphone,faire les courses, faire la cuisine, faire le ménage, laver le linge, utiliserdes transports publics, prendre les médicaments, <strong>et</strong> gérer l’argent(Louis, 2010). Comme l’échelle de Lawton, les échelles d’AIVQ (Han<strong>et</strong> al., 2009 ; Oliveira <strong>et</strong> al., 2009 par exemple) évaluent généralementaussi bien des activités plutôt physiques (e.g., marcher dans la rue,activités ménagères) que d’autres activités plutôt cognitives (e.g.,gérer l’argent).Néanmoins, à notre connaissance, aucune échelle d’AIVQ n’évaluela capacité cardiorespiratoire, l’aptitude musculaire, <strong>et</strong> la souplesse,ces trois capacités physiques étant les principales à subir un déclinau cours <strong>du</strong> vieillissement (Barr<strong>et</strong>o <strong>et</strong> Ferrandez, 2007).Malgré l’enjeu important que représente la mesure des limitationsphysiques fonctionnelles d’une population, peu d’échelles AIVQont été scientifiquement validées (Han <strong>et</strong> al., 2009). Pourqu’un outil soit considéré comme valide, plusieurs procé<strong>du</strong>resdoivent être réalisées. La validité de critère est l’une desprocé<strong>du</strong>res les plus importantes, <strong>et</strong> consiste à référer l’outilqu’on souhaite valider à l’outil «gold standard», c’est-à-direl’outil de mesure considéré comme le plus approprié à ce quel’on souhaite mesurer. Dans le domaine des limitations physiquesfonctionnelles, il peut s’agir de mesures objectives comme parexemple la force de préhension de la main, mesurée à l’aided’un dynamomètre, la souplesse articulaire mesurée à l’aide d’ungoniomètre, ou la capacité cardiorespiratoire, évaluée au moyende l’ergo-spiromètre. La validité concurrente consiste à comparerl’outil que l’on souhaite valider à un autre outil similaire déjà validédans la littérature, qui mesure les mêmes variables. La validité deconstruit, ou discriminante, consiste à vérifier si l’outil de mesure estcapable de discriminer des groupes. Ainsi, par exemple, un outil demesure des limitations physiques fonctionnelles doit, à priori, êtrecapable de discriminer des indivi<strong>du</strong>s selon le sexe, <strong>et</strong> selon destranches d’âge (par exemple, 60-70 ans, 70-80 ans, <strong>et</strong> > 80 ans)car il est connu que les femmes sont fonctionnellement plus limitéesque les hommes (Park <strong>et</strong> al. 2010), <strong>et</strong> que les limitations physiquesfonctionnelles augmentent au cours <strong>du</strong> vieillissement (Stuck <strong>et</strong> al.,1999). La validité de contenu s’appuie sur le jugement d’experts quiconsidèrent que les items de l’outil qu’on souhaite valider mesurentbien les aspects qu’il prétend mesurer. Dans le cas des validationsd’échelles, un test de cohérence interne est utilisé afin de vérifier qu<strong>et</strong>ous les items de l’échelle sont significativement corrélés entre eux.La répétabilité test-r<strong>et</strong>est d’un outil perm<strong>et</strong> de vérifier sa stabilité dansle temps. Enfin, on peut obtenir des informations supplémentairessur la validité d’un outil, en analysant l’association entre mesuresobtenues au moyen de c<strong>et</strong> outil, <strong>et</strong> d’autres variables, reconnuesdans la littérature comme étant liées à ce que mesure c<strong>et</strong> outil qu’onsouhaite valider ; c’est la validité convergente.L’objectif de c<strong>et</strong>te étude est de proposer une échelle d’ActivitésInstrumentales Physiques de la Vie Quotidienne (AIPVQ) qui évalueles principales capacités physiques qui subissent des déclins avecle vieillissement, <strong>et</strong> de présenter quelques éléments de validation dec<strong>et</strong>te échelle sur une population de personnes âgées en France.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201083


Activités instrumentales physiques de la vie quotidienne chez les personnes âgées : validation d’une échelleProblématique>ParticipantsUn échantillon composé de 54 personnes âgées de 61 à 87 ans (moyenne= 69,9 ans ± 6,8), dont 13 hommes <strong>et</strong> 41 femmes, ont participé à c<strong>et</strong>teétude. Ces personnes faisaient partie d’un club de seniors à Marseille.Chaque participant a signé un formulaire de consentement éclairé.>Procé<strong>du</strong>resChaque participant a rempli un questionnaire compl<strong>et</strong>, comprenantl’échelle AIPVQ, des échelles de satisfaction corporelle <strong>et</strong> d’estimede soi, le nombre de maladies chroniques, le poids, la stature, <strong>et</strong> desquestions sur les activités physiques. Parmi les 54 participants, 38d’entre eux ont à nouveau rempli l’AIPVQ à une semaine d’intervalle.>Variables- L’échelle d’AIPVQLes limitations fonctionnelles ont été évaluées par l’AIPVQ (voirAnnexe 1). C<strong>et</strong>te échelle est composée de huit activités (e.g., fairel’entr<strong>et</strong>ien ménager, monter un étage d’escalier), pour lesquelles lapersonne doit indiquer si elle est capable de la réaliser, <strong>et</strong> avec quelledifficulté. Le degré de difficulté est noté de 0 à 3, ce qui donne unscore AIPVQ qui peut varier de 0 à 24, les scores les plus élevéscorrespondant aux limitations physiques fonctionnelles les plusimportantes.- Les autres variablesLes participants ont rapporté la <strong>du</strong>rée, la fréquence, <strong>et</strong> l’intensité desactivités physiques réalisées dans les 7 derniers jours. Le pro<strong>du</strong>itde ces trois mesures constitue le volume d’activité physique ;c’est une variable continue. Les participants ont aussi rempliune échelle de «satisfaction avec la fonction physique» (ESF)comprenant 5 items (e.g., « dans les 4 dernières semaines,quel était votre degré de satisfaction concernant votre formephysique générale ? »), <strong>et</strong> dont le score total varie de 5 à 25 (lescore le plus élevé correspondant à une meilleure satisfaction),<strong>et</strong> une échelle d’estime de soi comprenant 19 items (e.g.,« en général, j’ai confiance en moi »), <strong>et</strong> dont le score totalpeut varier de 19 à 95 (le score le plus élevé correspondant à unemeilleure estime de soi). Les participants ont rapporté le nombrede maladies chroniques diagnostiquées par un médecin. L’Indice deMasse Corporelle (IMC) a été calculé en divisant le poids (kg) par lataille (mètres) au carré (kg/m 2 ).>Analyses StatistiquesLa cohérence interne a été analysée à l’aide <strong>du</strong> test d’Alpha deCronbach, <strong>et</strong> à l’aide de corrélations item-échelle. La répétabilité testr<strong>et</strong>esta été évaluée en utilisant le test de corrélation de Spearman.Pour la validité de construit, nous avons examiné, à l’aide <strong>du</strong> testde Wilcoxon pour échantillons indépendants, si le score AIPVQ étaitdifférent entre hommes <strong>et</strong> femmes, <strong>et</strong>, à l’aide <strong>du</strong> test de Kruskal-Wallis, si les scores étaient différents entre les 3 tranches d’âge (60-69, 70-79, ≥ 80 ans). Des corrélations de Spearman (one-tailed) ontété utilisées pour tester les associations entre le score AIPVQ, d’unepart, <strong>et</strong> l’âge, le volume d’activité physique, l’IMC, le score à l’ESF, <strong>et</strong>l’estime de soi, d’autre part.RésultatL’échelle AIPVQ a présenté une bonne cohérence interne (α = 0,86).Chacun des items de l’AIPVQ a été bien corrélé à l’échelle, avec descoefficients qui variaient de 0,53 à 0,81. La répétabilité test-r<strong>et</strong>estde c<strong>et</strong>te échelle a été acceptable (r = 0,58, p < 0,001). En ce quiconcerne la validité de construit, l’AIPVQ a été capable de discriminerles indivi<strong>du</strong>s selon leur tranche d’âge (p=0,001) : les indivi<strong>du</strong>s de 60-69 ans avaient une médiane de 0,25, ceux de 70-79 ans une médianede 0,71, <strong>et</strong> enfin ceux de 80 ans ou plus une médiane de 5,7. Deplus, le score à l’AIPVQ a été positivement corrélé à l’âge (r = 0,54,p < 0,001), <strong>et</strong> négativement corrélé au volume d’activité physique(r = -0,46, p < 0,001). Il n’y a pas eu de différence liée au sexe dansle score AIPVQ (p = 0,87). Aucune corrélation significative n’a ététrouvée entre d’une part l’AIPVQ, <strong>et</strong> d’autre part l’IMC (p=0,14), lescore à l’ESF (p=0,13), <strong>et</strong> l’estime de soi (p=0,23).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201084


Activités instrumentales physiques de la vie quotidienne chez les personnes âgées : validation d’une échelleDiscussionC<strong>et</strong>te étude a proposé une nouvelle échelle de mesure des activitésinstrumentales physiques de la vie quotidienne, <strong>et</strong> a testé sa validationsur plusieurs points. La validité de construit, la cohérence interne,la répétabilité test-r<strong>et</strong>est, ainsi que la validité convergente ont étévérifiées. Le fait que l’échelle n’ait pas pu discriminer les hommes desfemmes, alors qu’il est connu que ces dernières présentent plus delimitations fonctionnelles (Park <strong>et</strong> al. 2010) peut être lié au fait que lesparticipantes à c<strong>et</strong>te étude étaient probablement plus en forme <strong>et</strong> plusactives physiquement que des femmes <strong>du</strong> même âge non impliquéesdans un club de seniors. Un autre point important concerne la validitéde contenu, c’est-à-dire le fait que les items mesurent bien ce que l’onsouhaite mesurer. Il est à noter que les activités qui composent c<strong>et</strong>teéchelle ont été sélectionnées sur la base des échelles utilisées dansd’autres études (Baumgartner <strong>et</strong> al., 2004 ; Gill <strong>et</strong> al., 2004 ; Hoyemans<strong>et</strong> al., 1996 ; Lawton, 1988 ; Shigematsu <strong>et</strong> Tanaka., 2000). De plus,même si l’avis d’experts dans le domaine des limitations physiques aucours <strong>du</strong> vieillissement n’a pas été demandé pour construire l’AIPVQ,un des auteurs (PSB) a de l’expérience dans l’évaluation de la conditionphysique fonctionnelle des personnes âgées.En conclusion, l’échelle que nous proposons présente l’intérêtd’aborder des activités qui demandent des efforts au niveau desdiverses capacités physiques concernées par le vieillissement,à savoir, la souplesse (hémicorps supérieur <strong>et</strong> inférieur), la forcemusculaire (membres supérieurs <strong>et</strong> inférieurs), <strong>et</strong> l’en<strong>du</strong>rancecardiorespiratoire (Barr<strong>et</strong>o <strong>et</strong> Ferrandez, 2007). C<strong>et</strong>te échelleAIPVQ présente de bonnes qualités métrologiques. Cependantcertaines confirmations sont nécessaires pour la validationcomplète de c<strong>et</strong>te échelle, principalement en ce qui concerne lavalidité de critère <strong>et</strong> la validité concurrente.Références bibliographiquesBARRETO (P.S,), FERRANDEZ (A.-M.), 2007, Le processusincapacitant au cours <strong>du</strong> vieillissement : rôle de l’exercice/activitéphysique. Bull<strong>et</strong>ins <strong>et</strong> Mémoires de la Société d’Anthropologie deParis 19 (3-4) : 221-232BAUMGARTNER (R.N.), WAYNE (S.J.), WATERS (D.L.) <strong>et</strong> al., 2004,Sarcopenic Obesity Predicts Instrumental Activities of Daily LivingDisability in the Elderly, Obesity Research, 12(12) : 1995-2004.GILL (T.M.), BAKER (D.I.), GOTTSCHALK (M.), <strong>et</strong> al., 2004, APrehabilitation Program for the Prevention of Functional Decline:Effect on Higher-Level Physical Function, Arch Phys Med Rehabil,85: 1043-1049.GRAF (C. ), 2008, The Lawton instrumental activities of daily livingscale, Am J Nurs. Apr, 108(4): 52-62.HAN (C.W.), LEE (E.J.), KOHZUKI (M.), 2009, Validity and reliabilityof the Frenchay Activities Index for community-dwelling elderly inSouth Korea, Tohoku J Exp Med., 217(3):163-8HAYAKAWA (T.), OKAMURA (T.), OKAYAMA (A.), KANDA (H.),WATANABE (M.), KITA (Y.), MIURA (K.), UESHIMA (H.), 2010,Relationship b<strong>et</strong>ween 5-year decline in instrumental activity of dailyliving and accumulation of cardiovascular risk factors: NIPPONDATA90, J Atheroscler Thromb. 17(1) : 64-72HOEYMANS (N.), FESKENS (E.J.M.), VAN DE BOS (G.A.M.),KROMHOUT (D.), 1996, Measuring functional status: Crosssectionaland longitudinal associations b<strong>et</strong>ween performance andself-report (Zutphen Elderly Study 1990–1993). J Clin Epidemiol, 49:1103–1110.LAWTON (M.P.), 1988, Instrumental Activities of Daily Living (IADL)Scale: Self-reported version, Psychopharmacol Bull, 24(4) :789–91.LOUIS (E.D.), 2010, Functional correlates of lower cognitive testscores in essential tremor, Mov Disord., 25(4) : 481-5.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201085


Activités instrumentales physiques de la vie quotidienne chez les personnes âgées : validation d’une échelleOLIVEIRA, (M.R.M.), FOGAÇA, (K.C.P.), LEANDRO-MERHI, (V.A.),2009, Nutritional status and functional capacity of hospitalized elderly,Nutrition Journal, 8 : 54PARK (S.M.), JANG (S.N.), KIM (D.H.), 2010, Gender differences asfactors in successful ageing: a focus on socioeconomic status, J BiosocSci. 42(1) : 99-111.SHIGEMATSU (Y.), TANAKA (K.), 2000, Age scale for assessing functionalfitness in older Japanese ambulatory women, Aging Clin. Exp. Res. 12 :256–263.STUCK (A.E.), WALTHERT (J.M.), NIKOLAUS (T.), BULA (C.J.),HOHMANN (C.),( BECK (J.C.), 1999, Risk factors for functional statusdecline in community-living elderly people: a systematic literature review,Social Science and Medicine , 48 : 445-469.Les auteursPhilipe DE SOUTO BARRETOMaster scientifique en «Activité physique <strong>et</strong> santé»; Master scientifique en «AnthropologieBiologique»; Doctorant l’Université de la MéditerranéeUMR 6578 Anthropologie Bioculturelle (Marseille, France)<strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée, EFScourriel : philipebarr<strong>et</strong>o81@yahoo.com.brAnne-Marie FERRANDEZChargée de recherche <strong>CNRS</strong>- UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle (Marseille, France)<strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée, EFScourriel : anne-marie.ferrandez@univmed.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201086


Activités instrumentales physiques de la vie quotidienne chez les personnes âgées : validation d’une échelleAnnexe 1. Echelle d’Activités Instrumentales Physiques de la Vie Quotidienne (AIPVQ)Les questions suivantes cherchent à mesurer votre aptitude à réaliser quelques activités <strong>du</strong> quotidien. Indiquez dans quelle mesure vous êtesphysiquement capable de réaliser ces activités, même si vous ne les faites pas souvent.Pour chacune des activités, dites-moi si vous êtes physiquement capable de la réaliser : seul, sans aucune difficulté ; seul, avecquelque difficulté ; seul, avec beaucoup de difficulté ; avec l’aide de quelqu’un ou pas capable de l’exécuter.1. Porter les paqu<strong>et</strong>s de courses d’environ 5 kilos2. Faire l’entr<strong>et</strong>ien ménager (ménage, rangement)3. Etendre le bras au-dessus <strong>du</strong> niveau de l’épaule4. Se pencher, s’agenouiller ou s’accroupir5. Marcher environ 500 mètres sans s’arrêter6. Marcher environ 1 km sans s’arrêter7. Monter un étage d’escalier8. Monter plusieurs étages d’escalierseul, sansaucunedifficultéseul, avecquelquedifficultéseul, avecbeaucoupde difficultéavec l’aide dequelqu’un oupas capable87L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010


Dialogue interdisciplinaire ? De l’intérêt de l’anthropologie sociale <strong>et</strong> culturelledans l’analyse <strong>du</strong> vieillissement chez les Sénégalais à Marseille.Fatoumata HANEConditions de vie <strong>et</strong> perception <strong>du</strong> vieillissementMots-clés : Anthropologie, sénégalais, vieillissement, migrationIntro<strong>du</strong>ctionTraiter des modes de vie des sénégalais âgés de plus de 55 ans àMarseille oblige à aborder à la fois la problématique <strong>du</strong> vieillissement<strong>et</strong> de celle de la migration ou plus simplement de la question <strong>du</strong>vieillissement en situation de migration. Ces deux champs de réflexionont commencé à émerger en sciences sociales depuis près d’unedécennie. Pourtant, le vieillissement tout comme la migration constituentdes <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> pluridisciplinaires par excellence parce que m<strong>et</strong>tant enjeu différentes logiques, sociales, économiques, <strong>et</strong>c. Ainsi, articulerune démarche qualitative, classique en anthropologie sociale à desmesures biologiques s’inscrivait dans une dynamique interdisciplinaireperm<strong>et</strong>tant d’analyser en profondeur <strong>et</strong> de documenter finement leseff<strong>et</strong>s <strong>du</strong> vieillissement sur les trajectoires ou les parcours migratoiresdes Sénégalais.L’objectif de ce propos est donc de montrer, à travers les modes de vie<strong>et</strong> la perception <strong>du</strong> vieillissement des Sénégalais à Marseille, l’intérêtde croiser différentes démarches dans l’analyse de thématiquestransversales comme le vieillissement <strong>et</strong> la migration.MéthodesNous avons utilisé une démarche classique en anthropologiesociale à savoir des entr<strong>et</strong>iens semi directifs <strong>et</strong> des observationsdans les milieux de vie [domiciles <strong>et</strong> foyers SONACOTRA]. Lesentr<strong>et</strong>iens ont été traités manuellement par analyse de contenutandis que les questionnaires ont été analysés par régressionlinéaire. A ces outils, s’ajoutait un questionnaire plutôt quantitatifavec des mesures anthropométriques administré par unmédecin.Chez les populations sénégalaises âgées <strong>vivant</strong> à Marseille, lamigration apparaît comme un processus évolutif que le vieillissementvient fortement influencer. Les personnes rencontrées passent d’unemigration de travail à une migration sociale [ici enten<strong>du</strong>e en termesde bénéfices <strong>et</strong> d’avantages sociaux résultant de leur conditionde personne âgée] <strong>et</strong> sanitaire. La migration initialement penséecomme temporaire, finit par être définitive mais ponctuée souventpar des allers-r<strong>et</strong>ours entre la France <strong>et</strong> le Sénégal.L’importance des politiques de prise en charge sociale <strong>et</strong> sanitaire,notamment avec les logements sociaux <strong>et</strong> la gratuité des soins,justifie le choix de rester en France où tout au moins la nécessité defaire des allers-r<strong>et</strong>ours entre leur pays d’origine <strong>et</strong> Marseille. A celas’ajoute une prise en charge économique prenant la forme de diversesaides ou de pensions de r<strong>et</strong>raites. En eff<strong>et</strong> ces mécanismes sociaux,de même que les systèmes de soins, sont jugés plus performantsen France qu’au Sénégal où les institutions d’assistance publiquen’existent pas. Tout le monde ne peut pas prétendre à la pension der<strong>et</strong>raite ; la gratuité des soins aux personnes âgées de plus de 60ans n’est décidée que depuis près d’un an <strong>et</strong> peine à être appliquéepour des raisons économiques.Cependant, il est nécessaire de préciser que la disponibilité del’offre de soins n’est pas gage de bonne santé chez les migrantsâgés sénégalais. Les données quantitatives confirment d’ailleursc<strong>et</strong>te situation. Près de 60% des personnes enquêtées souffraientd’hypertension artérielle méconnue ou mal suivie (Chapuis-Lucciani <strong>et</strong> al. 2008). Ces personnes n’hésitaient pas à demanderau médecin enquêteur des prescriptions médicamenteuses ou desmédicaments. Le choix des recours thérapeutiques est souvent guidépar l’accessibilité supposée ou réelle (langue, connaissance despathologies tropicales….) <strong>du</strong> médecin (le généraliste, le médecin dequartier) mais aussi sur recommandation d’un membre <strong>du</strong> grouped’appartenance sociale. Le recours aux spécialistes reste très limité,comme le montrait d’ailleurs C. Attias Donfut (2006).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201088


Dialogue interdisciplinaire ? De l’intérêt de l’anthropologie sociale <strong>et</strong> culturelledans l’analyse <strong>du</strong> vieillissement chez les Sénégalais à Marseille.Ceci nous con<strong>du</strong>it à formuler l’hypothèse selon laquelle les Sénégalaisâgés <strong>vivant</strong> à Marseille sont dans une forme de déconnexion institutionnellequi se tra<strong>du</strong>it par un accès limité aux structures de santé. Il semble eneff<strong>et</strong> que, parmi les Sénégalais qui font le choix de rester en France,certains d’entre eux vivent dans des conditions acceptables (dans unemaison <strong>et</strong> sont régulièrement visités par leur famille), tandis que d’autresse r<strong>et</strong>rouvent en situation d’exclusion sociale ou d’isolement. Ainsi, auxproblèmes liés aux mauvaises conditions de logement (hôtels meublés,foyers) <strong>et</strong> au faible niveau de revenus, se superposent d’autres contraintesexacerbées par le vieillissement à savoir une mauvaise santé <strong>et</strong> unisolement dû au détachement <strong>du</strong> monde <strong>du</strong> travail. Ainsi que l’écrivaitE. Temine, commentant l’oeuvre d’A. Sayad parlant de la mystificationde la condition d’émigré : « On y échappe [à la mystification] toutnaturellement lorsque l’on s’établit <strong>du</strong>rablement, lorsque se rompent,les uns après les autres, les liens qui rattachent à la condition d’origine,lorsque les liens familiaux se distendent, tout cela est bien connu…on y échappe aussi plus simplement quand on perd c<strong>et</strong>te conditionde travailleur » (Temine 1999 :272). En eff<strong>et</strong>, au fil <strong>du</strong> temps, surtoutau moment de la r<strong>et</strong>raite, les réseaux de solidarité <strong>et</strong> de sociabilités’effritent parce que basés sur la condition de travailleur <strong>et</strong> un certainpouvoir économique.Pour faire face à l’exclusion <strong>et</strong> à l’isolement, la plupart des Sénégalaiss’investissent dans les associations culturelles <strong>et</strong> religieuses oùdes formes de sociabilités primaires (prise de repas en groupe,organisation de groupes de prières, <strong>et</strong>c.) sont encore maintenues.Cependant, bien que certains soient dans des conditions de viedifficiles en foyer, la plupart des Sénégalais refusent l’idée devivre en maison de r<strong>et</strong>raite. En eff<strong>et</strong>, ces dernières sont perçuescomme déshumanisantes <strong>et</strong> très éloignées de la réalité culturellesénégalaise car renforçant l’image négative <strong>et</strong> l’inutilité <strong>du</strong> vieuxà écarter de la vie sociale. C<strong>et</strong>te image négative de la personneâgée est très éloignée de la perception d’un vieux valorisé,<strong>vivant</strong> en famille <strong>et</strong> bénéficiant d’un statut social privilégié <strong>du</strong>fait de son âge. Ce statut social privilégié est renforcé dans lepays d’origine par le pouvoir économique réel ou supposé <strong>du</strong>migrant.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010En définitive, les modes de vie des Sénégalais âgés à Marseille sontmarqués par une forme de migration alternative <strong>du</strong> fait des allersr<strong>et</strong>ours réguliers entre leur pays d’origine <strong>et</strong> leur société d’accueil.Ils se situent ainsi dans un double registre de références identitaires<strong>et</strong> culturelles : ils sont doublement valorisés au Sénégal par lamigration, signe de réussite sociale <strong>et</strong> par leur pouvoir économiquemais déclassés <strong>et</strong> souvent isolés en France.Références bibliographiquesATTIAS-DONFUT (C.) 2006, L’enracinement. Enquête sur levieillissement des immigrés en France. Armand Colin, Paris, 357 p.CHAPUIS-LUCCIANI (N.), CRENN (C.), SIGNATÉ (A.), HANE (F.),MACIA (E.), COUMÉ (M.), SALIBA-SERRE (B.), BOETSCH (G.),GUEYE (L.) 2008, État de santé <strong>et</strong> mode de vie des Sénégalais âgésComparaison selon leur lieu de vie, rural <strong>et</strong> urbain au Sénégal, <strong>et</strong> urbainen France. Actes <strong>du</strong> Congrès national des Observatoires régionauxde la Santé 2008. « Les inégalités de santé. Nouveaux savoirs,nouveaux enjeux politiques ». www.congresors-inegalitesdesante.frTEMINE (E.) 1999, Comprendre l’immigration. Quelques notes enmémoire d’Abdelmaleek Sayad, un sociologue hors <strong>du</strong> commun.Revue <strong>du</strong> Monde Musulman <strong>et</strong> de la méditerranée, N°85-87 : 265-273.L’auteurFatoumata HANEEnseignante Chercheure- UMR 912 SE4S «Sciences économiques <strong>et</strong> sociales, Sociétés <strong>et</strong> Santé» (Marseille, Dakar)IRD/ ANRS- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» ; <strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh AntaDiop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako(Mali)Assistante à l’Université de Ziguinchor (Sénégal)courriel : hanefatoumata@yahoo.fr89


Femmes marocaines âgées <strong>vivant</strong> seules en région parisienne <strong>et</strong> bruxelloise. Intérêt d’uneenquête qualitative comparant les processus d’intégration en Belgique <strong>et</strong> en FranceMajda CHERKAOUI, Nicole CHAPUIS-LUCCIANIMots-clés : vieillissement, immigration, femmes marocaines,enquête qualitativeLes migrations ont de tout temps constitué un suj<strong>et</strong> de préoccupation,tant pour les pays d’origine que pour les pays d’accueil. Le débatau sein de la Seconde Conférence de Démographie qui a eu lieu àBruxelles en novembre 2008 s’est focalisé sur le rôle que pouvait jouerl’immigration afin d’atténuer les eff<strong>et</strong>s <strong>du</strong> vieillissement démographiqueen Europe (Spidla 2008). En eff<strong>et</strong>, agir sur la variable immigration,plutôt que sur le taux de fécondité, afin de contrecarrer les évolutionsdémographiques, présente l’avantage d’avoir un eff<strong>et</strong> immédiat. L’idéed’un recours à l’immigration afin de combattre les eff<strong>et</strong>s <strong>du</strong> vieillissementdémographique a souvent été avancée.Cependant, les premières vagues d’immigration, celles qui ont participéà la reconstruction <strong>et</strong> au développement des pays d’Europe depuis lafin de la seconde guerre mondiale, ont maintenant vieilli.Le vieillissement des immigrés (Gallou 2007) pose une questionsociale qui suscite de vifs débats car elle implique des enjeuxpolitiques <strong>et</strong> sociaux importants. C<strong>et</strong>te évolution démographique vaposer bon nombre de problématiques liées à la prise en charge dec<strong>et</strong>te catégorie de personnes, en particulier celui de l’accès à lar<strong>et</strong>raite, puisqu’elles se sont « enracinées » (Attias-Donfut <strong>et</strong> al.2006 ).Se centrer sur les problèmes que rencontrent les personnesâgées immigrées implique que ceux-ci soient abordés à plusieursniveaux, celui de l’indivi<strong>du</strong> sur le plan social, économique,psychologique <strong>et</strong> de la santé, mais aussi au niveau de l’histoirede la migration <strong>et</strong> des politiques gouvernementales mises enœuvre. Les différences observées entre les deux pays, France<strong>et</strong> Belgique, sont importantes <strong>et</strong> riches d’enseignement maiselles possèdent également des similarités en terme de besoins,de façons d’aborder c<strong>et</strong>te problématique <strong>et</strong> en termes deproblèmes auxquels sont confrontées les personnes âgées qui sonttrop souvent dans des situations de paupérisation <strong>et</strong> ignorées.Certes, la question <strong>du</strong> vieillissement de la population immigréeen France n’est pas récente. Elle prend cependant une acuitéparticulière depuis les années quatre-vingt, en lien avec la prise deconscience <strong>du</strong> vieillissement général de la population. On rappelleraque 12 millions de personnes ont aujourd’hui plus de 60 ans enFrance, représentant 21% de la population. Elles seront 17 millionsen 2020, soit plus de 27%. En 2015, 40% de la population seraâgée de plus de 50 ans (source : Ministère des Affaires Sociales,Secrétariat d’Etat aux Personnes Agées, mars 2003).Dès lors que l’on aborde le vieillissement <strong>et</strong> le devenir des femmesâgées, ces femmes qui ont accompagné les vagues migratoires,les travaux sont inexistants. Ce que l’on sait, c’est que leurvieillissement fait apparaître un ensemble de difficultés auxquelleselles se trouvent confrontées. A ce jour, nous ne disposons pas destatistiques précises quant à leur nombre, leur situation sociale, leurétat de santé, leurs proj<strong>et</strong>s propres <strong>et</strong> leurs conditions de vie <strong>et</strong> nousn’avons aucune donnée qualitative sur les femmes» mentionne leRapport <strong>du</strong> Haut Conseil de l’Intégration en 2005.Dans le meilleur des cas certaines de ces femmes vont accéderà la r<strong>et</strong>raite, mais la plupart d’entre elles n’auront pas de droitsparce qu’elles ont travaillé de façon épisodique <strong>et</strong> pas toujoursofficiellement.A notre connaissance, une seule étude est consacrée à la vieillessedes femmes marocaines en France (Lmadani 2001). C<strong>et</strong>te étudem<strong>et</strong> en évidence les difficultés de vie auquel ces femmes âgéesconfrontées. Même si d’autres recherches sur la sphère familiale<strong>et</strong> sur l’école font référence indirectement aux femmes, le champdes recherches est encore vierge comme si la présence de cesfemmes était passée sous silence ; ce sont des actrices invisibles <strong>et</strong>invisibilisées de la sphère publique. En eff<strong>et</strong>, l’immigration est d’abordconsidérée principalement comme une immigration <strong>du</strong> conjoint oùles femmes sont d’abord obj<strong>et</strong> d’invisibilisation. Ces femmes ontaccompagné les vagues migratoires mais n’ont eu d’existence, dansL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 201090


Femmes marocaines âgées <strong>vivant</strong> seules en région parisienne <strong>et</strong> bruxelloise. Intérêt d’une enquête qualitative comparant lesprocessus d’intégration en Belgique <strong>et</strong> en Francela majorité des cas, qu’à travers leurs époux <strong>et</strong> n’avaient de statut juridiqueque celui <strong>du</strong> conjoint. Les droits dont elles étaient bénéficiaires sont desdroits dérivés qui ne leur accordaient aucune réelle autonomie.La plupart des recherches se sont focalisées sur l’immigration des hommes<strong>et</strong> n’ont fait que rarement référence aux femmes parce qu’on imaginait laprésence des immigrés comme temporaire, essentiellement masculine<strong>et</strong> liée à la période de la vie active des indivi<strong>du</strong>s, qui repartiraient, au plustard, à l’âge de la r<strong>et</strong>raite vivre dans leur pays. Si bien que l’immigration asouvent été traitée sous l’angle <strong>du</strong> r<strong>et</strong>our ou non au pays de la personne,une fois l’âge de la r<strong>et</strong>raite atteint » (Attias-Donfut <strong>et</strong> al. 2006).Par ailleurs, le renversement actuel de la conjoncture économique a faitémerger progressivement une « nouvelle question sociale » qui soulignel’extension quasi structurelle de la précarité <strong>et</strong> de la vulnérabilité socialedes femmes, amplifiée chez les femmes immigrées.Des chercheurs historiens <strong>et</strong> sociologues ont réalisé, à la demande<strong>du</strong> Fond d’Action Social (FAS) des travaux sur le vieillissement desimmigrés résidant dans les institutions, notamment les foyers d<strong>et</strong>ravailleurs, dont les plus connues sont ceux de Noiriel (1992) <strong>et</strong> deSamaoli (2003). Or, nombreux sont ceux qui vivent hors institution, enparticulier les femmes.La vieillesse des femmes nous interpelle ; la manière d’êtreaccompagné dans leur identité sociale <strong>et</strong> culturelle, la volontémanifeste de demeurer fidèle à leur communauté d’origine <strong>et</strong> d’êtresoutenue dans ce qu’elles estiment être le plus important à cemoment crucial de leur vie, pose problème parce que nul ne lesa anticipés. Aujourd’hui, veuves ou abandonnées, elles viventsouvent déchirées, acculturées, dans une réelle pauvr<strong>et</strong>é qu’ellesn’arrivent pas à exprimer.Les migrants marocains ont fait le choix de rester <strong>et</strong> ont abandonnél’illusion <strong>du</strong> r<strong>et</strong>our définitif dans leur pays origine (Schaeffer2001). La plupart ont fait le choix d’être inhumées dans leur paysd’origine <strong>et</strong> ont contracté une assurance pour le rapatriement <strong>du</strong>corps en cas de décès par le biais de l’ouverture d’un comptebancaire au Maroc.Parce que la vision des politiques publiques a maintenu vivace l’idéed’un caractère temporaire de la présence immigrée, les questionsrelatives au traitement même <strong>du</strong> vieillissement de ces populations :santé, accès aux droits <strong>et</strong> à la r<strong>et</strong>raite, adaptation des logements auhandicap … ont été, de ce fait, ignorés.En eff<strong>et</strong>, aux difficultés économiques <strong>et</strong> sociales liées à leur histoire devie, vont s’ajouter les problèmes de santé inhérents au vieillissementphysique. Comment utilisent-elles l’offre de soin ; comment sesoignent-elles ; quelle perception ont-elles de la maladie <strong>et</strong> de lavieillesse ?Une enquête qualitative portant sur le mode de vie, la santé, laperception de bien-être <strong>et</strong> la projection dans l’avenir de femmes<strong>vivant</strong> seules en France <strong>et</strong> en Belgique devrait perm<strong>et</strong>tre de mieuxcerner le vécu <strong>et</strong> les perspectives d’une fraction particulièrementvulnérable de c<strong>et</strong>te population issue de l’immigration que sont lesfemmes âgées veuves, divorcées ou abandonnées. Elle perm<strong>et</strong>traaussi de comparer les modes d’intégration dans ces deux paysd’Europe.ObjectifsAu cours de c<strong>et</strong>te enquête, nous cherchons à mesurer <strong>et</strong> à évaluerles perspectives de vie de ces femmes isolées, les mécanismesde défenses adaptatifs qu’elles mobilisent pour faire face àun environnement souvent perçu hostile à leur égard. Quellereprésentation ont-elles de leur vieillesse dans le pays de l’exil ?Qu’est ce qui les motive à rester en France ? Quelles sont leursréalisations, leurs souhaits <strong>et</strong> leurs aspirations ? Comment seproj<strong>et</strong>tent-elles dans le futur aussi bien immédiat que lointain ?Comment font-elles face à leur solitude ? S’inscrivent-elles dansun réseau ? Qui les prend en charge ? Quelles sont les réponsesinstitutionnelles apportées par les pays d’accueil en l’occurrence laFrance <strong>et</strong> la Belgique ?L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 91


Femmes marocaines âgées <strong>vivant</strong> seules en région parisienne <strong>et</strong> bruxelloise. Intérêt d’une enquête qualitative comparant lesprocessus d’intégration en Belgique <strong>et</strong> en FranceNous analysons de manière qualitative les marqueurs des processusd’intégration à travers les trajectoires de vie des femmes. Pour ce faire,nous interrogeons leur situation familiale, leur parcours professionnel,résidentiel, leur état de santé, leurs comportements alimentaires, leurpratique religieuse, les relations entr<strong>et</strong>enues avec leur pays d’origine <strong>et</strong>le choix de leur lieu d’enterrement.MéthodeCinquante femmes ont été sollicitées pour c<strong>et</strong>te étude, mais beaucoupont refusé de participer à l’étude par inquiétude d’éventuellesconséquences institutionnelles mais aussi par pudeur <strong>et</strong> honte.L’échantillon r<strong>et</strong>enu est composé de vingt <strong>et</strong> une femmes âgées entre50 <strong>et</strong> 62 ans, issues de la communauté marocaine, <strong>vivant</strong> seules à leurdomicile, dans deux grandes villes européennes, onze à Paris <strong>et</strong> dix àBruxelles.La méthodologie choisie est celle <strong>du</strong> récit de vie <strong>et</strong> de l’entr<strong>et</strong>iensemi-directif, outils <strong>et</strong> moyens d’investigation les mieux appropriés,car perm<strong>et</strong>tant la mise en confiance de la personne enquêtée.Tous les entr<strong>et</strong>iens ont été réalisés en arabe, langue maitrisée parl’enquêtrice. Pour l’échantillon parisien, nous avons effectué desentr<strong>et</strong>iens indivi<strong>du</strong>els à domicile afin d’éviter de heurter la sensibilité<strong>et</strong> la pudeur de ces femmes qui ont beaucoup de mal à parlerde leur mal-être, de leurs déchirements <strong>et</strong> de leurs souffrances.A Bruxelles, les enquêtes ont eu lieu au sein d’associations defemmes marocaines ; nous avons employé la méthode <strong>du</strong> focusgroup pour huit femmes (un groupe de trois <strong>et</strong> un groupe decinq) ; deux femmes ont préféré les entr<strong>et</strong>iens indivi<strong>du</strong>els.Références bibliographiquesATTIAS-DONFUT (C.), DAVEAU (P.), GALLOU (R.),ROZENKIER (A.), WOLFF (F.-C.) 2006, L’enracinement,Armand Colin, Paris, 350 p.GALLOU (R.) 2007, La vieillesse des immigrés isolés ouinactifs en France, La documentation française, coll. Etudes<strong>et</strong> recherches, Paris, 171 p.LMADANI (F. A. B.) 2001, Les femmes marocaines <strong>et</strong> le vieillissementen terre d’immigration. Confluences Méditerranée, 39, http://confluences.ifrance.com/textes/39lmadani.htmNOIRIEL (G) 1992, Le vieillissement des immigrés en RégionParisienne, Etude réalisée avec la coordination de GUICHARD (E)<strong>et</strong> LECHIEN (A-M) pour le Fond d’Action Sociale, 601 p.Rapport <strong>du</strong> Haut Conseil de l’Intégration 2005, La condition socialedes travailleurs immigrés âgés 52 pagesSAMAOLI (O.) 2007, R<strong>et</strong>raite <strong>et</strong> vieillesse des immigrés en France,L’Harmattan, Paris, 252 p.SCHAEFFER (F.) 2001, Mythe <strong>du</strong> r<strong>et</strong>our <strong>et</strong> réalité de l’entre-deux. Lar<strong>et</strong>raite en France, ou au Maroc, Revue Européenne des MigrationsInternationales, 17 (1) : 165-176.SPIDLA (V.) 2008, Opening speech. “Second European DemographyForum. B<strong>et</strong>ter soci<strong>et</strong>ies for families and older people”. Bruxelles, 24-25 Novembre, 2008Les auteursMajda CHERKAOUIDoctorante à l’Université de la Méditerranée (Marseille, France)UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle ; <strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée, EFScourriel : m.cherkaoui@laposte.n<strong>et</strong>Nicole CHAPUIS-LUCCIANIDirecteur de Recherche au <strong>CNRS</strong>Directeur - adjoint de l’UMI «Environnement, Santé, Sociétés»UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)courriel : nicole_chapuis@hotmail.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 92


La Modélisation Statistique en Anthropologie Biologique <strong>du</strong> VivantBérengère SALIBA-SERREDescription succincte de la méthode, avantagesMots-clés : modèle statistique, régression linéaire, régression logistique<strong>et</strong> limites de la méthodePrésentation <strong>du</strong> domaine scientifique dans lequel laméthode que vous présentez est utiliséeLa modélisation statistique est un outil fondamental en Anthropologie<strong>du</strong> Vivant : elle perm<strong>et</strong> de répondre à de nombreuses problématiquesinhérentes à la discipline, <strong>et</strong> ce, aussi bien d’un point de vue explicatifque d’un point de vue prédictif.Dans ce document, les objectifs sont les suivants :* Intro<strong>du</strong>ire le concept de modèle* Faire découvrir les méthodes statistiques classiques appliquées àl’anthropologie biologique <strong>du</strong> <strong>vivant</strong>* Insister sur l’importance de la nature <strong>et</strong> de la structure des donnéesdans le choix de l’outil statistique* Savoir lire <strong>et</strong> interpréter les résultats issus d’un modèle de régressionde régression logistiqueDans ce document, il s’agit principalement de familiariser le lecteur auconcept de modèle statistique. Ainsi la formalisation mathématiquesera abordée de façon succincte.Intérêts de l’utilisation de la méthodeEn statistique, l’approche exploratoire est fondamentale mais n’estpas suffisante. Elle est très souvent complétée par la mise enœuvre de modélisations statistiques. Par exemple, on rechercheles facteurs associés à une pathologie particulière, ou bien onsouhaite prédire l’appartenance à l’un des deux sexes à partirde mesures anthropométriques. Dans ces deux cas, la mise enœuvre d’un modèle statistique est incontournable.Un préalable indispensable à toute modélisation consiste à réaliserdes tâches d’exploration, de contrôle <strong>et</strong> de préparation des données.Ces tâches sont fondamentales car la qualité des résultats obtenusen dépend fortement.Chaque indivi<strong>du</strong> d’une population est décrit par un ensemble decaractéristiques appelées variables ou caractères. Il en existedifférents types :Les variables quantitatives (numériques) sont des variables dont lesvaleurs peuvent s’additionner, se moyenner. Leurs modalités sontdes nombres réels. Une variable quantitative peut être :- continue : elle prend alors des valeurs quelconques dans unintervalle (ex: le poids, la taille…) ou- discrète : ses valeurs isolées (ex : le nombre d’enfants…).Les variables qualitatives sont des variables dont on ne peut pasadditionner, moyenner les valeurs. On parle de variable binairelorsque la variable présente 2 modalités (ou catégories) <strong>et</strong> devariable polytomique lorsqu’elle comprend plus de 2 modalités. Unevariable qualitative polytomique est dite ordinale s’il existe un ordrenaturel entre les différentes catégories de la variable (ex: le niveaude satisfaction, les classes d’âge) <strong>et</strong> nominale lorsqu’il n’existe pasd’ordre naturel entre les différentes catégories de la variable (ex:catégorie socio-professionnelle,...).Une fois les tâches d’exploration, de contrôle <strong>et</strong> de préparationdes données effectuées, il est maintenant question de procéderà la modélisation. Etablir un modèle c’est formaliser de façonmathématique un phénomène, un comportement, dans le but d’enrepro<strong>du</strong>ire le fonctionnement pour perm<strong>et</strong>tre de comprendre (on parlealors de démarche explicative) ou de prédire, agir (on parle alorsde démarche prédictive, décisionnelle). La modélisation consiste àdécrire sous la forme d’équations mathématiques des phénomènesde la vie courante. Elle consiste à expliquer une variable par une ouL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 93


La Modélisation Statistique en Anthropologie Biologique <strong>du</strong> Vivantplusieurs autres variables <strong>et</strong> perm<strong>et</strong> également d’établir des prédictions.Dans ce qui suit, on décrira le modèle classique de régression linéaire <strong>et</strong>on présentera ensuite de façon détaillée un modèle couramment utiliséen anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : le modèle de régression logistique. Onillustrera c<strong>et</strong>te méthode à travers un exemple concr<strong>et</strong> : la recherche desfacteurs socio-économiques associés à la dépression chez la femme, ouautrement dit, la probabilité de se déclarer dépressive.Dans toute modélisation statistique, la variable dépendante est la variableque l’on cherche à expliquer ou à prédire à l’aide d’une ou plusieursvariables indépendantes. Suivant la démarche envisagée (prédictive ouexplicative), le champ d’application ou le logiciel utilisé, la terminologieassociée à ces deux types de variables peut être diverse.Tableau I. le charabia <strong>du</strong> statisticienvariable à expliquervariable dépendantevariable expliquéevariable à prédirevariable d’intérêtvariable réponsevariable cibleoutcom<strong>et</strong>arg<strong>et</strong>Y…variable(s) explicative(s)variable indépendantevariable de contrôlerégresseurprédicteurcovariableinputXi…* Estimation des paramètres <strong>du</strong> modèle* Analyse de l’adéquation <strong>du</strong> modèle aux données*ValidationIl est utile de rappeler qu’un « bon » modèle est un modèle quifournit une description raisonnable. Il doit être parcimonieux <strong>et</strong>interprétable.Présentons maintenant le modèle classique de régression linéaire.Une régression est dite simple si elle comporte une seule variableexplicative. Elle est dite multiple si elle en comporte au moins deux.Le modèle de régression linéaireQuelques exemples de régression linéaire* En anthropologie génétique• Expression de la relation entre la co-sanguinité moyenne <strong>et</strong> laprobabilité de mariage isonyme* En anthropologie <strong>du</strong> vieillissement• Expression de la relation entre la <strong>du</strong>rée de l’activité physique <strong>et</strong> lescore de limitation fonctionnelle chez les personnes âgées.La régression linéaire simple consiste à expliquer la variation d’unevariable quantitative Y par une autre variable X.Soit la droite d’équation Y= β 0+ β 1X. La régression linéaire simpleconsiste à déterminer une estimation des valeurs α <strong>et</strong> β. Elle consisteà rechercher la « droite des moindres carrés » qui passe « le plus prèspossible » de toutes les observations. Illustrons par un exemple :Le but est d’étudier comment le poids varie en fonction de la taille<strong>et</strong>, si une relation linéaire a un sens. Il s’agit d’une relation linéairesimple car une seule variable explicative (la taille) est utilisée.La stratégie de modélisation peut être résumée de la façonsuivante :* Choix de la variable dépendante* Choix <strong>du</strong> modèle : la nature de la variable dépendanteconditionne ce choix* Sélection <strong>et</strong> détermination des variables explicatives(théorie, littérature)L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 94


La Modélisation Statistique en Anthropologie Biologique <strong>du</strong> VivantFigure 1. Régression linéaire <strong>du</strong> poids sur la taille chez les filles (n=111)D’après les données de Lewis T. and Taylor L.R. (1967). Intro<strong>du</strong>ction to Experimental Ecology,New York: Academic Press, Inc..Tableau II- Résultats de la régression linéaire <strong>du</strong> poids sur la taille chez les filles (n=111)Paramètre Valeur Ecart-type t de Student Pr > t Borne inférieure95%Bornesupérieure95%Constante -153,13 21,248 -7,207 < 0,0001 -195,242 -111,016Taille 4,164 0,351 11,878 < 0,0001 3,469 4,858D’après les données de Lewis T. and Taylor L.R. (1967). Intro<strong>du</strong>ction to Experimental Ecology,New York: Academic Press, Inc..L’équation <strong>du</strong> modèle s’écrit alors:poids = -153.129+4.164 x tailleEn conclusion, la taille perm<strong>et</strong> d’expliquer 56% de la variabilité <strong>du</strong>poids (cf. coefficient R²). Pour expliquer la variabilité restante,d’autres sources de variabilité, comme l’âge, devront doncêtre prises en compte dans le modèle. Ce qui nous amèneau modèle de Régression Linéaire Multiple (RLM).La régression linéaire multiple perm<strong>et</strong> de rechercher si un groupede variables (quantitatives ou qualitatives) perm<strong>et</strong> d’expliquer lavariation d’une variable continue. Elle perm<strong>et</strong> en outre d’évaluer lerôle de chacune des variables explicatives.Elle peut être appliquée dans différents buts :* Pour explorer la relation entre plusieurs variables afin de trouver,parmi les variables X, celles qui influencent Y* Pour ajuster des données. On est principalement intéressé parl’eff<strong>et</strong> d’une variable particulière mais on veut ajuster les donnéespour les différences en fonction d’autres variables* Pour établir une équation perm<strong>et</strong>tant de prédire Y à partir deplusieurs variables XOn a mesuré sur n indivi<strong>du</strong>s p variables. Soit Y la variable à expliquer<strong>et</strong> les X j(j=1,…,p) les variables explicatives. On cherche à reconstruireY à partir des X jpar une formule linéaire <strong>du</strong> type :Y i=β 0+β 1X i1+β 2X i2+...+β 0X ip+e ii=1,.....,noù les e idésignent des rési<strong>du</strong>s aléatoires indépendants <strong>et</strong>identiquement distribués (loi normale de moyenne nulle <strong>et</strong> devariance σ²).Remarque importante : en présence de variables explicativesqualitatives, il faudra veiller à raisonner en termes d’indicatrices.Conditions de validité des régressions linéaires* En RLM, le nombre d’observations doit être impérativementsupérieur au nombre de variables explicatives (n>p)* Homogénéité des variances (homoscédasticité)* Absence d’auto-corrélation (rési<strong>du</strong>s)* Normalité des distributions* Normalité des rési<strong>du</strong>s* Absence de colinéarité entre les variables explicativesMais il existe une technique perm<strong>et</strong>tant de contourner certainsobstacles de la régression linéaire…… La régression PLS (Partial Least Squares)C<strong>et</strong>te méthode peut être envisagée dans les situations suivantes :* Lorsque les variables explicatives sont plus nombreuses que lesobservationsL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 95


La Modélisation Statistique en Anthropologie Biologique <strong>du</strong> Vivant* Lorsque les variables explicatives sont corrélées entre elles, mêmefortement corrélées* En présence de nombreuses données manquantesC<strong>et</strong>te méthode consiste à réaliser un compromis entre deux objectifs :maximiser la variance expliquée des prédicteurs Xi (principe de l’Analyseen Composantes Principales) <strong>et</strong> maximiser la corrélation entre les Xi <strong>et</strong>la variable à expliquer Y (principe de la régression linéaire). Elle reposesur un algorithme rapide qui consiste à une succession de régressionslinéaires simples. Elle remplace l’espace initial des (nombreuses)variables explicatives par un espace de faible dimensionnalité, c’est àdire par un p<strong>et</strong>it nombre de facteurs qui sont construits l’un après l’autrede façon itérative.Le modèle de régression logistique binaireQuelques exemples de régression logistique binaire* En anthropologie <strong>du</strong> vieillissement• recherche des facteurs socio-démographiques associés à unePerception <strong>du</strong> Soi Vieillissant négative* En anthropologie épidémiologique• recherche des facteurs associés à l’obésitéIl s’agit d’un modèle perm<strong>et</strong>tant d’exprimer la relation entre unevariable qualitative à deux classes (d’où le terme binaire) <strong>et</strong> une ouplusieurs variables qui peuvent être quantitatives ou qualitatives.Quelques notions utiles• La fonction de lien, fonction qui relie la moyenne à la combinaisonlinéaire des variables explicatives est le logit. Son expression estla suivante :logit p = lnp1-poù p est défini sur ]0 ; 1[• L’Odds Ratio (OR), ou rapport des côtes est une mesured’association. Il est égal à l’exponentielle <strong>du</strong> coefficient soitOR=e β .• OR=1 : il n’y a pas d’association• L’association n’est pas significative si le 1 est dans l’intervallede confiance• OR ≠ 1 : il y a une associationL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010• OR >1 : l’association est positive• OR


La Modélisation Statistique en Anthropologie Biologique <strong>du</strong> VivantLe modèle présenté dans le tableau III perm<strong>et</strong> de préciser l’impact desdifférents facteurs associés à la dépression : sexe, âge, revenu, catégoriesocioprofessionnelle, statut, composition <strong>du</strong> ménage, lieu de résidence,comorbidité physique.A âge identique, la situation de référence (en italique dans le Tableau III),correspond à une femme ayant des revenus supérieurs au seuil depauvr<strong>et</strong>é, active occupée, cadre, sans comorbidité physique, <strong>vivant</strong> encouple avec deux enfants, hors région Provence-Alpes-Côte d’Azur.Lecture <strong>du</strong> tableau : chez les femmes, toutes choses égales par ailleurs,relativement à une active occupée, une femme au chômage a uneprobabilité de déclarer être dépressive majorée de 76 % (un coefficientmultiplicatif, dit Odds Ratio, de 1,76).Les éléments ci-après (liste non exhaustive) perm<strong>et</strong>tent de juger de laqualité de l’ajustement <strong>et</strong> de valider le modèle de régression logistique :* Test d’adéquation <strong>du</strong> modèle (Hosmer <strong>et</strong> Lemeshow)* Aire sous la courbe ROC (Receiver Operating Characteristic)* Matrice de confusion (appelée aussi table de classification)* Validation (échantillon test, échantillon d’apprentissage)La courbe ROC est un tracé de la sensibilité (capacité à prédire unévénement correctement) en fonction de la spécificité (capacité àprédire un non-événement correctement). Elle perm<strong>et</strong> de visualiserle pouvoir discriminant d’un modèle. Puis l’aire sous la courbe estproche de 1, meilleur est le modèle.Si la variable à expliquer comporte plus de 2 modalités, il faudraalors avoir recours à une régression logistique polytomique. Cellecipeut être ordinale si les modalités de la variable à expliquersont ordonnées ou nominale si elles ne le sont pas.Références bibliographiquesAGRESTI (A.) 1990, Categorical Data Analysis, New York: JohnWiley & Sons, Inc.HOSMER (D.W.), LEMESHOW (S.) 1989, Applied LogisticRegression, John Wiley & Sons, Inc., New YorkTUFFERY (S.) 2007, Data Mining <strong>et</strong> statistique décisionnelle. Ed.Technip,MOTULSKY (H.J.) 2002, Biostatistique, une approche intuitive. DeBoeck Université, Paris, 484 p.TENENHAUS (M.) 1998. La régression PLS, théorie <strong>et</strong> pratique. Ed.Technip, Paris. 254p.L’auteurBérengère SALIBA-SERREIngénieur d’Étude en Statistique au <strong>CNRS</strong>- UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle ; <strong>CNRS</strong>, Université de la Méditerranée,EFS (Marseille, France)courriel : berengere.saliba-serre@univmed.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 97


Méthodologie <strong>et</strong> intérêts des groupes de discussion focalisés pour l’anthropologie biologiquePriscilla DUBOZ, Enguerran MACIAMots-clés : focus groups, anthropologie biologique, qualité de vie, AfriqueDans les études anthropobiologiques, la mesure est bien souvent larègle. Crânes, os longs, plis cutanés, force de préhension, mais aussiactivité physique, auto-évaluation de la santé, bien-être subjectif…Tout peut, <strong>et</strong> surtout doit, être mesuré, calculé <strong>et</strong> catégorisé afin defournir la vision la plus objective possible de l’homme. L’anthropologiebiologique n’est pas seule à s’inscrire dans c<strong>et</strong>te tendance positivistepuisque l’ensemble des sciences biomédicales, la psychologie sociale<strong>et</strong> certains courants de la sociologie sont également dominés par c<strong>et</strong>te« raison calculante » (Boëtsch <strong>et</strong> Chevé, 2006).Ainsi en anthropologie biologique, les thèmes de recherche sontgénéralement traités en soum<strong>et</strong>tant les hypothèses à l’épreuve deschiffres <strong>et</strong> des analyses statistiques. Réalisées sur des échantillonsreprésentatifs des populations, ces études ont souvent recours àl’utilisation de mesures anthropométriques, biologiques <strong>et</strong> d’échelles« validées », qu’elles soient psychosociales ou de santé.Au moment de la rédaction <strong>du</strong> questionnaire se posent alors deuxprincipales questions d’ordre méthodologique : quelles échelles<strong>et</strong> quelles mesures utiliser ? Sont-elles adaptées à la populationd’étude ? Ces questions sont d’autant plus importantes pourl’anthropologue travaillant en contexte non occidental que la quasitotalitéde ces échelles <strong>et</strong> mesures ont été développées en Europeou en Amérique <strong>du</strong> Nord. Ainsi, lors d’études nouvelles réaliséesen Afrique de l’Ouest par exemple, il est indispensable d’avoir unebonne compréhension des notions étudiées avant de procéder àleur mesure. C’est alors qu’une démarche qualitative s’impose, àla fois comme préalable nécessaire à la mesure adéquate desnotions étudiées, mais aussi comme alternative épistémologiqueindispensable à la compréhension de ces notions en milieuOuest Africain.Parmi les méthodes qualitatives les plus utilisées, lesgroupes de discussion focalisés ou focus groups paraissentparticulièrement adaptés à la démarche anthropobiologique.Nous détaillerons ici c<strong>et</strong>te méthode <strong>et</strong> illustrerons ses intérêts àtravers une étude réalisée sur la qualité de vie à Dakar, capitale <strong>du</strong>Sénégal (Macia <strong>et</strong> al. 2010).Définition, avantages <strong>et</strong> inconvénients des focus groupsLe groupe de discussion focalisé peut être défini comme « un<strong>et</strong>echnique d’entrevue qui réunit de six à douze participants <strong>et</strong> unanimateur, dans le cadre d’une discussion structurée, sur unsuj<strong>et</strong> particulier » (Geoffrion 2003). C<strong>et</strong>te technique repose sur ladynamique de groupe, sans chercher à faire valoir un point de vue. Ilne s’agit pas d’imposer un questionnaire précis aux indivi<strong>du</strong>s réunis,mais de leur donner l’occasion d’exprimer leurs représentations dela réalité sociale. Ces entrevues de groupes sont principalementemployées pour (1) identifier les dimensions d’une notion peuétudiée dans un contexte social <strong>et</strong> environnemental particulier (parexemple, les dimensions de la qualité de vie subjective à Dakar),(2) construire <strong>et</strong>/ou valider des questionnaires (en réunissant, parexemple, un comité d’experts), (3) identifier les principales questionsde recherche à approfondir, (4) confirmer des hypothèses (Morgan1988).Dans le champ de la qualité de vie, les deux méthodes qualitativesles plus répan<strong>du</strong>es sont les entr<strong>et</strong>iens semi-directifs (e.g. Rubin,Rubin 1995) <strong>et</strong> les groupes de discussion focalisés (e.g. Morgan,Krueger 1993). C<strong>et</strong>te dernière méthode a été r<strong>et</strong>enue dans nostravaux de recherche sur la qualité de vie au Sénégal pour plusieursraisons (Macia <strong>et</strong> al. 2010).Tout d’abord, l’avantage principal des focus groups est que c<strong>et</strong>teméthode est la seule à perm<strong>et</strong>tre les interactions entre participants,favorisant ainsi la confrontation de leurs opinions <strong>et</strong> de leursexpériences personnelles. Selon Poupart (1997), ces entrevues degroupe créent des situations propices à l’émergence de discoursspontanés. Elles perm<strong>et</strong>tent au chercheur d’accéder à une granderichesse narrative en un temps relativement restreint (e.g. Lehoux<strong>et</strong> al. 2006), tout en lui laissant la possibilité de garder une positionde recul nécessaire à tout effort d’objectivation. Enfin, les groupesL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 98


Méthodologie <strong>et</strong> intérêts des groupes de discussion focalisés pour l’anthropologie biologiquede discussion focalisés constituent une méthode tout à fait appropriéeà l’exploration de thématiques peu étudiées (Bender, Ewbank 1994),telle que la qualité de vie subjective à Dakar.Cependant, comme toute méthodologie, les groupes de discussionfocalisés présentent également des inconvénients. Ainsi, la dynamiquede groupe peut parfois ne pas être favorable à la pertinence deséchanges. Certains participants peuvent, par exemple, être réticents às’exprimer ; d’autres peuvent avoir tendance à imposer leur point de vue ;d’autres enfin peuvent constamment se rallier à la majorité (Geoffrion2003). En outre, selon l’expérience <strong>et</strong> l’habil<strong>et</strong>é de l’animateur, ce dernierpeut influencer la dynamique de groupe par sa manière de formuler lesquestions de relance ou en intro<strong>du</strong>isant ses opinions personnelles. Afinde limiter ces biais, il convient d’attacher une importance particulièreau recrutement des participants, au déroulement des entrevues (prisede parole par chaque participant) <strong>et</strong> à la neutralité de l’animateur enutilisant des techniques non-directives <strong>et</strong> de reformulation.Méthodologie des focus groups>La constitution des groupesLa préparation d’un groupe de discussion focalisé doit tenir comptede trois facteurs déterminants : la <strong>du</strong>rée de l’entrevue, le nombre degroupes <strong>et</strong> de participants <strong>et</strong> les relations (ou absence de relation)préalables entre les participants. Notons dès à présent qu’ungroupe de discussion focalisé n’est jamais suffisant puisque ladynamique d’un seul groupe ne peut répondre aux objectifs del’ensemble d’une recherche.Selon la plupart des auteurs, la <strong>du</strong>rée optimale d’un focus groupse situe entre une <strong>et</strong> deux heures (e.g. Morgan 1988 ; Geoffrion2003), c<strong>et</strong>te <strong>du</strong>rée perm<strong>et</strong>tant aux participants de trouver leursmarques les uns par rapport aux autres sans que la lassitudene se fasse sentir. Par ailleurs, il est admis que l’effectif idéald’un groupe de discussion focalisé se situe entre six <strong>et</strong> huitparticipants, ceci perm<strong>et</strong>tant à chaque indivi<strong>du</strong> de participeractivement à la discussion <strong>et</strong> à c<strong>et</strong>te dernière de rester construite <strong>et</strong>organisée (Morgan 1998). Cependant, concernant des recherchesportant sur des populations peu étudiées, certains auteurs suggèrentde constituer des groupes d’une dizaine de personnes environ(Bender, Ewbank 1994) alors que d’autres préfèrent constituer desgroupes plus restreints (e.g. Amiga <strong>et</strong> al. 1992). Ainsi, pour notreétude chaque groupe de discussion focalisé comprenait entre 5<strong>et</strong> 6 participants. Enfin, bien que certaines thématiques puissentcon<strong>du</strong>ire les chercheurs à constituer des groupes de discussiondans lesquels les indivi<strong>du</strong>s se connaissent, le plus souvent, l’inverseest recommandé (Geoffrion 2003).La question de l’hétérogénéité ou de l’homogénéité des groupes dediscussion focalisés reste encore débattue dans la littérature (Morgan,1998). Ce choix dépend à la fois de la thématique de recherche <strong>et</strong><strong>du</strong> contexte social dans lequel se situe l’enquête. Au Sénégal parexemple <strong>et</strong> pour notre thématique, compte tenu <strong>du</strong> fonctionnementde la société – domination des hommes sur les femmes, des aînéssur les cad<strong>et</strong>s (Balandier 1974 ; Ndiaye, Ayad 2006) – les groupesde discussion focalisés doivent être constitués de manière à êtrehomogènes en genre <strong>et</strong> en âge. Par ailleurs, afin de stimuler desdiscussions entre indivi<strong>du</strong>s partageant des conditions matériellessimilaires, nous avons également préféré distinguer les catégoriessocioprofessionnelles (élevée/faible). Ainsi, dans les enquêtesmenées à Dakar, huit groupes de discussion homogènes en âge,genre <strong>et</strong> CSP ont été constitués afin d’étudier les dimensions émiquesdes concepts de qualité de vie dans c<strong>et</strong>te population.>Le déroulement des entr<strong>et</strong>iensLors des entr<strong>et</strong>iens, une attention particulière doit être portée à lacréation d’un climat de confiance avec les participants. Il est parexemple nécessaire de leur signifier, avant le début de la discussion,qu’ils sont les pourvoyeurs de savoir, qu’il n’y a ni de bonnes ni demauvaises réponses <strong>et</strong> qu’ils peuvent donc s’exprimer en totaleliberté.Par ailleurs, <strong>du</strong>rant les groupes de discussion, le rôle de l’animateur estprimordial. C’est en eff<strong>et</strong> à lui que revient la responsabilité d’orienterL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 99


Méthodologie <strong>et</strong> intérêts des groupes de discussion focalisés pour l’anthropologie biologique<strong>et</strong> de relancer la discussion. Pour cela, certains auteurs suggèrent depréparer préalablement un guide d’entr<strong>et</strong>ien (e.g. Bender <strong>et</strong> Ewbank,1994). L’animateur est le plus souvent secondé par un observateur,notant les comportements non verbaux <strong>et</strong> vérifiant le bon fonctionnementdes enregistrements. Chaque groupe de discussion focalisé doit êtreenregistré <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ranscrit dans son intégralité.Pour terminer notons que, théoriquement <strong>et</strong> dans le milieu de la recherche,les participants contribuent gratuitement à ces entrevues de groupe.Dans notre étude nous avons uniquement dédommagé les participantspour leurs frais de transport.>Méthodes d’analyse des donnéesDiverses méthodes perm<strong>et</strong>tent d’analyser les discours recueillis parfocus groups, notamment l’interactionnisme symbolique (Mead 1934),la grounded theory (Glaser, Strauss 1967) ou encore la méthoded’analyse qualitative thématique développée par Mason (1996). Nousne détaillerons ici que c<strong>et</strong>te dernière méthode, particulièrement adaptéeà l’identification des dimensions d’une notion ou d’un concept que l’onsouhaite par la suite mesurer.C<strong>et</strong>te méthode analytique est constituée de deux phases. La premièrephase concerne l’identification des thèmes; la seconde est interprétative<strong>et</strong> conceptuelle.- Analyse thématiqueC<strong>et</strong>te phase de l’analyse comprend plusieurs étapes. Tout d’abord,à partir des verbatim obtenus, les thèmes – ici, les dimensionsémiques de la qualité de vie – doivent être identifiés par lecture<strong>et</strong> relecture des entr<strong>et</strong>iens. Deux chercheurs travaillent alorsindépendamment, identifiant <strong>et</strong> nommant les dimensions dans lesdiscours. Ce processus est dénommé indexation. Les chercheursproposent alors une liste de thèmes. Après discussion, ils trouventun accord quant à ces dimensions. Les citations les illustrant lemieux sont sélectionnées <strong>du</strong>rant ce processus.- Analyse conceptuelleL’analyse conceptuelle est décrite comme plus subjective quel’analyse thématique (Nicolson, Anderson 2003) <strong>et</strong> consisteen une interprétation des discours, une lecture « entre leslignes », influencée par la subjectivité <strong>et</strong> le parcours des chercheurseux-mêmes.Par exemple, dans notre étude, l’impact des tensions entreindivi<strong>du</strong>alisme <strong>et</strong> holisme – féconde thématique anthropologique– sur le bien-être des indivi<strong>du</strong>s a émergé des lectures <strong>et</strong> relecturesdes entr<strong>et</strong>iens. Ceci a donc constitué le cœur de c<strong>et</strong>te partie del’analyse.Exemple de résultats : la qualité de vie subjective àDakar (Sénégal)Malgré l’absence de consensus concernant la définition <strong>du</strong>concept 1 de qualité de vie, deux points semblent aujourd’hui émergerde la foisonnante littérature sur c<strong>et</strong>te thématique : (1) la qualitéde vie d’un indivi<strong>du</strong> ne peut être évaluée que par lui-même (e.g.Bowling <strong>et</strong> al. 2002 ; Cella 1998 ; Haas 1999 ; O’Boyle <strong>et</strong> al. 1992),(2) la qualité de vie est un concept multidimensionnel (Brock 1999 ;Camfield, Ruta 2007 ; Narayan <strong>et</strong> al. 2000 ; WHOQOL Group 1998a,1998b). Cependant, aucun consensus ne semble pouvoir être trouvéquant à la nature même de ses dimensions. A vrai dire, ces dernièresdiffèrent certainement selon les cultures, comme l’indique clairementla définition de l’OMS (WHOQOL 1998b) : « [la qualité de vie étant]la perception qu’a un indivi<strong>du</strong> de sa place dans l’existence, dansle contexte de la culture <strong>et</strong> <strong>du</strong> système de valeurs dans lequel ilvit, en relation avec ses objectifs, ses attentes, ses normes <strong>et</strong> sesinquiétudes ».Au Sénégal, la qualité de vie subjective des indivi<strong>du</strong>s n’avait, avantnotre enquête, jamais été étudiée. Ainsi, l’objectif principal de notreétude qualitative était de était définir la signification de ce conceptà Dakar (cf. Macia <strong>et</strong> al. 2010 pour plus de détails). Dans ce but,huit focus groups, homogènes en âge (30-35 <strong>et</strong> 50-55 ans), genre,<strong>et</strong> catégorie socio-professionnelle (élevée/basse) ont été réalisés1 Notre approche de la qualité de vie nous con<strong>du</strong>it à la définir davantage comme une notion que commeun concept. Cependant, la grande majorité des auteurs ne font pas c<strong>et</strong>te distinction <strong>et</strong> emploient l<strong>et</strong>erme de concept.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010100


Méthodologie <strong>et</strong> intérêts des groupes de discussion focalisés pour l’anthropologie biologiqueafin de répondre à c<strong>et</strong> objectif. La qualité de vie est apparue commemultidimensionnelle dans l’ensemble des discussions, mais tous lesgroupes n’insistaient pas sur les mêmes dimensions, indiquant que lespréoccupations principales des indivi<strong>du</strong>s différaient selon leur âge, genre<strong>et</strong> catégorie socioprofessionnelle. Pour chaque groupe, les définitionsles plus représentatives de la qualité de vie sont présentées dans leTableau 1.Figure 1 : Variation de l’IMC à genre, âge <strong>et</strong> composition corporelle identiquesdans différentes populations, d’après Deurenberg <strong>et</strong> al. (1998).Groupe Caractéristiques des participants Définition de la qualité de vieGroupe 1 Femmes, 50-55 ans, CSP* élevées Pour moi, c’est la santé avec beaucoup de paix. Et ilne faut pas se faire trop de soucis.Groupe 2 Femmes, 50-55 ans, CSP faibles Pour avoir une bonne qualité de vie, il faut avoir unebonne santé <strong>et</strong> que tes proches soient aussi en bonnesanté. Que tu aies à manger, que tu aies à boire.Groupe 3 Hommes, 50-55 ans, CSP élevées Donc, pour avoir une bonne qualité de vie, il fautque les trois choses soient présentes : avoir de l’argent,avoir une maison <strong>et</strong> tout ce qui va avec ; êtreen bonne santé, quand tu es malade, que tu puisseste soigner, quand un de tes proches est malade, qu<strong>et</strong>u puisses le soigner ; avoir la paix. C’est les troischoses que je vois.Groupe 4 Hommes, 50-55 ans, CSP faibles En premier, il faut avoir la santé, bien se porter. Etpuis il faut avoir les moyens.Groupe 5 Femmes, 30-35 ans, CSP élevées Avoir un boulot déjà, avoir un bon mari [rires]. Y’aaussi la santé.Groupe 6 Femmes, 30-35 ans, CSP faibles C’est être en paix, avoir une bonne situation, secontenter de ce que l’on a.Groupe 7 Hommes, 30-35 ans, CSP élevées Je trouve que tout ça tourne autour d’un aspectéconomique, parce que quand tu n’as pas assezd’argent, tu ne peux pas aspirer à une hygiène de vieassez élevée.Groupe 8 Hommes, 30-35 ans, CSP faibles Etre en bonne santé, avoir un bon travail, pouvoirsatisfaire ses envies.* CSP = catégorie socioprofessionnelle>Analyse thématiqueL’analyse thématique des discours recueillis a permis d’identifierquatre dimensions de la qualité de vie. Il s’agit de la santé physique, desconditions matérielles, des relations sociales <strong>et</strong> des caractéristiquespsychologiques indivi<strong>du</strong>elles.Dans tous les groupes, sans exception, la santé physique estapparue comme une dimension fondamentale de la qualité de vie.Par ailleurs, entr<strong>et</strong>enir de bonnes relations avec les membres de safamille <strong>et</strong> avoir une famille unie constituait également une conditionnécessaire au maintien d’une bonne qualité de vie. Bien enten<strong>du</strong>, lesconditions matérielles d’existence constituaient aussi une dimensionde la qualité de vie pour l’ensemble des indivi<strong>du</strong>s rencontrés. Enfin,si les problèmes de santé physique, les mauvaises relations sociales<strong>et</strong> le manque de moyens financiers ont été décrits comme étant àl’origine d’une mauvaise qualité de vie, les indivi<strong>du</strong>s rencontrésont toujours précisé que l’impact de ces manques sur le bien-êtredépendait de caractéristiques psychologiques indivi<strong>du</strong>elles. Ainsi, endehors des facteurs déclencheurs décrits précédemment, certainespersonnes seraient plus anxieuses <strong>et</strong> se feraient plus de soucis qued’autres, ce qui affecterait leur qualité de vie.>Analyse conceptuelleL’analyse conceptuelle fut consacrée à l’impact des tensions entreholisme <strong>et</strong> indivi<strong>du</strong>alisme sur la qualité de vie des Dakarois. Sansentrer dans les détails signalons simplement que c<strong>et</strong>te analyse étaitdirectement en lien avec les questions d’âge <strong>et</strong> de rapports entre lesgénérations à Dakar. En eff<strong>et</strong>, l’aînesse constituant un des piliers del’organisation sociale <strong>et</strong> familiale (Balandier, 1974), les aînés sontindéniablement au Sénégal les détenteurs des valeurs traditionnelles<strong>et</strong> les garants <strong>du</strong> maintien des habitus communautaires. C’est bienenten<strong>du</strong> principalement sur les jeunes que ce pouvoir <strong>et</strong> contrôledes aînés s’exercent, des jeunes qui aspirent à davantage deliberté d’action <strong>et</strong> d’expression, en accord avec les processus demodernisation <strong>et</strong> d’indivi<strong>du</strong>alisation en cours à Dakar. Ce pouvoir– <strong>et</strong> devoir – de contrôle des aînés est précisément apparu à l’origineL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010101


Méthodologie <strong>et</strong> intérêts des groupes de discussion focalisés pour l’anthropologie biologiqued’un sentiment de frustration pour de nombreux jeunes qui souhaiteraientpouvoir exprimer leur indivi<strong>du</strong>alité avec plus de latitude que ce que lesgénérations précédentes leur perm<strong>et</strong>tent. C’est ainsi que leur qualitéde vie semblait affectée par les mécanismes répressifs <strong>du</strong> processusd’indivi<strong>du</strong>alisation dont la pérennité est assurée par les générations plusâgées.Intérêt des focus groups pour les enquêtes quantitativesPour terminer c<strong>et</strong>te illustration de l’intérêt des focus groups enanthropologie biologique, il semble nécessaire d’indiquer comment c<strong>et</strong>teenquête qualitative a permis de modeler la phase quantitative qui l’asuivi. C’est en eff<strong>et</strong> grâce à c<strong>et</strong>te phase qualitative que nous avons puélaborer le questionnaire perm<strong>et</strong>tant de mesurer la qualité de vie – ouplus précisément ses quatre dimensions – dans la capitale sénégalaise.Ainsi, le questionnaire SF-12 (Gandek <strong>et</strong> al. 1998) a été adapté <strong>et</strong>validé sur la population Dakaroise afin de mesurer la « qualité de vieliée à la santé ». Le bien-être matériel a été évalué à l’aide d’unequestion simple tirée d’études déjà réalisées en Afrique de l’Ouest(Razafindrakoto, Roubaud 2006). Le bien-être social, quant à lui,a été évalué par cinq questions ouvertes perm<strong>et</strong>tant de coder aposteriori la qualité des relations avec la famille au sein <strong>du</strong> foyer,la famille en dehors <strong>du</strong> foyer, les amis, les voisins <strong>et</strong> les collègues.Enfin, la dimension psychologique de la qualité de vie a été évaluéepar l’échelle de satisfaction de vie (Diener <strong>et</strong> al. 1985), adaptée <strong>et</strong>validée sur la population sénégalaise par un comité d’experts.ConclusionLorsqu’un concept ou une notion peu étudiée doit être mesurée,il est essentiel de comprendre a priori ce que signifie ceconcept ou c<strong>et</strong>te notion. Dans c<strong>et</strong>te optique, les groupes dediscussions focalisés constituent une méthode d’investigationqualitative rapide, fournissant une grande richesse narrativepar les interactions qu’elle perm<strong>et</strong> entre les participants.Dans l’étude réalisée au Sénégal par les auteurs, ces focus groupsont tout d’abord permis d’identifier les dimensions de la qualité de viedans la population sénégalaise. Ils ont également permis de tester lapertinence de l’utilisation, au Sénégal, d’échelles mesurant la qualitéde vie dans les populations validées en contexte occidental. Ils ontenfin permis d’adapter ces échelles aux réalités de la populationsénégalaise. C<strong>et</strong>te méthode est donc fort intéressante pour lesanthropobiologistes, qui peuvent l’utiliser dans le but d’analyser lesdimensions de notions peu étudiées <strong>et</strong> de valider les échelles parlesquelles ils entendent mesurer ces notions. Les focus groups sontaussi particulièrement adaptés à la confirmation d’hypothèses issuesd’enquête quantitatives.Références bibliographiquesAMIGA (M.), SANOGO (N.), DOUCOURE (A.), JOHNS (N.) 1992, Laméthode des groupes focalisés (focus groups) appliquée à l’étudedes problèmes de la contraception dans les cercles <strong>du</strong> Kayes – Mopti<strong>et</strong> le district de Bamako – Mali, Médecine d’Afrique Noire 39(6) : 415-418BALANDIER (G.) 1974, Anthropo-logiques, Presses Universitairesde France, Paris, 278 p.BENDER (D.E.), EWBANK (D.) 1994, The focus group as a tool forhealth research: issues in design and analysis, Heath TransitionReview 4(1): 63-79BOËTSCH (G.), CHEVE (D.) 2006, Du corps en mesure au corpsdé-mesuré : une écriture anthropo-biologique <strong>du</strong> corps ?, Corps 1 :23-30.BOWLING (A.), BANISTER (D.), SUTTON (S.), EVANS (O.),WINDSOR (J.) 2002, A multidimensional model of the quality of lifein older age, Aging and Mental Health 6(4) : 355-371.BROCK (K.) 1999, ‘It’s not only wealth that matters—It’s Peace ofmind too : a review of participatory work on poverty and ill-being’. Astudy prepared for the World Development Report 2000/01, PREMWorld Bank, Washington DC, 74 p.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 102


Méthodologie <strong>et</strong> intérêts des groupes de discussion focalisés pour l’anthropologie biologiqueCAMFIELD (L.), RUTA (D.) 2007, “Translation is not enough”: using theGlobal Person Generated Index (GPGI) to assess indivi<strong>du</strong>al quality oflife in Bangladesh, Thailand, and Ethiopia, Quality of Life Research16 : 1039-1051.CELLA (D.) 1998, Quality of life in J.C. Holland, W. Breitbart (eds.),Psycho-oncology, Oxford University Press, New York, p. 1135-1146.DIENER (E.), EMMONS (R.E.), LARSEN (R.J.), & GRIFFIN (S.) 1985,The satisfaction with life scale, Journal of Personality Assessment 49 :71-75.GANDEK (B.), WARE (J.E.), AARONSON (N.K.), APOLONE (G.),BJORNER (J.B.), BRAZIER (J.E.), BULLINGER (M.), KAASA (S.),LEPLEGE (A.), PRIETO (L.), SULLIVAN (M.) 1998, Cross-validationof item selection and scoring for the SF-12 Health Survey in ninecountries: results from the IQOLA Project. International Quality of LifeAssessment, Journal of Clinical Epidemiology 51(11) : 1171-8.GEOFFRION (P.) 2003, Le groupe de discussion in B. Gautier (ed.),Recherche sociale. De la problématique à la collecte des données,Presses de l’Université <strong>du</strong> Québec, Québec, p. 333-356.GLASER (B.), STRAUSS (A.L.) 1967, The discovery of groundedtheory: strategies for qualitative research, Aldine PublishingCompany, Chicago, 271 p.HAAS (B.K.) 1999, A multidisciplinary concept analysis of quality oflife, Western Journal of Nursing Research 21(6)-: 728-742.LEHOUX (P.), POLAND (B.), DAUDELIN (G.) 2006, Focus groupresearch and the “patient’s view”, Social Science and Medicine63: 2091-2104.MACIA, (E.), DUBOZ (P.), GUEYE (L.) 2010, La qualité de viesubjective à Dakar, Science Sociales <strong>et</strong> Santé 28 (3): 41-73.MASON (J.) 1996, Qualitative researching, Sage, London, 223 p.MEAD (G.H.) 2006 [1934], L’esprit, le soi <strong>et</strong> la société, PressesUniversitaires de France, Paris, 434 p.MORGAN (D.L.) 1988, Focus group as qualitative research.Qualitative research m<strong>et</strong>hods series 16, Sage publications,Newbury Park, 80 p.MORGAN (D.L.) 1998, Planning focus groups (Focus group kit, Vol.2), Sage, London, 139 p.MORGAN (D.L.), KRUEGER (R.A.) 1993, When to use focus groupsand why, in D.L. Morgan (ed.), Successful focus groups: advancingthe state of art, Sage, London, p. 3-19.NARAYAN (D.), CHAMBERS (R.), SHAH (M.K.), PETESCH (P.)2000, Voices of the Poor. Crying out for change, Oxford UniversityPress, New-York, 314 p.NDIAYE (S.), AYAD (M.) 2006, Enquête démographique <strong>et</strong> de santéau Sénégal 2005, Calverton (USA), Centre de Recherche pour leDéveloppement Humain [Sénégal] <strong>et</strong> ORC Macro.NICOLSON (P.), ANDERSON (P.) 2003, Quality of life, distress andself-esteem: a focus group study of people with chronic bronchitis,British Journal of Health Psychology 8: 251-270.O’BOYLE (C.), MCGEE (H.), HICKEY (A.), O’MALLEY (K.), JOYCE(C.R.B.) 1992, Indivi<strong>du</strong>al QOL in patients undergoing hip replacement,Lanc<strong>et</strong> 339 : 1088-1091.POUPART (J.) 1997 L’entr<strong>et</strong>ien de type qualitatif : considérationsépistémologiques, théoriques <strong>et</strong> méthodologiques in J. Poupart, J.P.Deslauriers, L.H. Groulx, A. Laperrière, R. Mayer, P.P. Alvaro (ed.), Larecherche qualitative. Enjeux épistémologiques <strong>et</strong> méthodologiques,Gaëtan Morin éditeurs, Montréal, p. 173-206.RAZAFINDRAKOTO (M.), ROUBAUD (F.) 2006, Les déterminants <strong>du</strong>bien-être indivi<strong>du</strong>el en Afrique francophone : le poids des institutions,Afrique Contemporaine 220 : 191-223.RUBIN (H.J.), RUBIN (I.S.) 1995, Qualitative interviewing: the art ofhearing data, Sage, London, 302 p.WHOQOL GROUP 1998a, World Health Organization quality of lifeassessment (WHOQOL): development and general psychom<strong>et</strong>ricproperties, Social Science and Medicine 46(12) : 1569-1585.WHOQOL GROUP 1998b, Development of the World HealthOrganization WHOQOL-BREF quality of life assessment,Psychological Medicine 28 : 551-558.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 103


Méthodologie <strong>et</strong> intérêts des groupes de discussion focalisés pour l’anthropologie biologiqueLes auteursPriscilla DUBOZChercheure Post-Doctorante- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés»<strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou,Burkina-Faso) - Université de Bamako (Mali)- UMR 6578 Anthropologie Bioculturelle (Marseille, France)courriel : prisci<strong>du</strong>boz@yahoo.frTél : 06 79 65 27 45Enguerran MACIAChargé de Recherche au <strong>CNRS</strong>- UMI 3189 «Environnement, Santé, Sociétés» ; <strong>CNRS</strong> (France) - Université Cheikh AntaDiop (Dakar, Sénégal) - <strong>CNRS</strong>T (Ouagadougou, Burkina-Faso) - Université de Bamako(Mali)courriel : enguerranmacia@yahoo.frTél : 06 79 65 27 45L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010104


Mesure de la composition corporelle par ultrasons : innovation <strong>et</strong> applicationsJean-Claude PINEAUMots-clés : Composition corporelle, ultrasons, obésité, sportDans le cadre d’un proj<strong>et</strong> européen Bodylife, (2001-2003), un nouvelappareillage portable de mesure de la composition corporelle del’Homme, basé sur un ensemble de mesures électriques, magnétiques<strong>et</strong> acoustiques a été réalisé en collaboration avec l’Ecole NationaleSupérieure d’Arts <strong>et</strong> Métiers (Pineau <strong>et</strong> al. 2007).Ce proj<strong>et</strong> a permis de développer simultanément une recherchefondamentale <strong>et</strong> appliquée en anthropologie biologique. Sur le planépidémiologique, il était nécessaire de mesurer la composition corporelled’une façon non invasive puisque la connaissance de la simple valeur<strong>du</strong> poids, exprimé en kilogrammes, reste insuffisante. La mesure dela composition corporelle à travers les compartiments corporels - eaucorporelle totale, masse maigre <strong>et</strong> masse grasse segmentaire <strong>et</strong> totale- perm<strong>et</strong> une meilleure gestion <strong>du</strong> poids. La connaissance précise desdifférents compartiments corporels peut avoir une incidence sur le modede vie des personnes saines. Elle perm<strong>et</strong> d’envisager un suivi plusrationnel des indivi<strong>du</strong>s dans le cadre de régimes diététiques pouvantgénérer à terme une ré<strong>du</strong>ction des coûts de santé publique (Ziegler,Debry, 1998 ; Andreyeva <strong>et</strong> al. 2004). C<strong>et</strong>te mesure offre en eff<strong>et</strong>une aide à la prévention <strong>du</strong> risque de certaines pathologies commeles maladies cardio-vasculaires. Dans les différents secteurs desanté potentiellement intéressés par ce type d’appareillage, il estessentiel de connaître une estimation <strong>du</strong> rapport entre la graissepéri-viscérale <strong>et</strong> la graisse périphérique en particulier pour undépistage <strong>du</strong> risque cardio-vasculaire (Von-Ebeyn <strong>et</strong> al. 2003;Goran 1999 ; Roemmich <strong>et</strong> al. 1999). La mesure de la massegrasse, de la masse maigre <strong>et</strong> <strong>du</strong> contenu hydrique, associéeà une connaissance <strong>du</strong> profil clinique <strong>et</strong> psychologique desindivi<strong>du</strong>s, peut contribuer à l’amélioration de la santé <strong>et</strong> ausside la qualité de vie (WHO 1998). Par exemple, l’estimationde la composition corporelle, à travers la connaissance desdifférents compartiments corporels <strong>et</strong> de leurs variations intraindivi<strong>du</strong>elles au cours <strong>du</strong> temps, est utile, sur des périodescourtes (par exemple 4 à 5 semaines), pour le suivi des sportifs oule suivi des femmes enceintes (environ 9 mois) ou sur des périodesplus longues comme pour les suj<strong>et</strong>s obèses (de 6 mois à 2 ans) <strong>et</strong>au cours <strong>du</strong> vieillissement.1- Mesure de la composition corporelle par ultrasonschez les athlètes de haut niveauDans le cadre de la préparation physique des sportifs de hautniveau, il est recommandé d’évaluer les possibilités indivi<strong>du</strong>ellesde fluctuations de poids <strong>et</strong> leurs conséquences sur la compositioncorporelle afin d’optimiser les performances lors des compétitions(Hendler <strong>et</strong> al. 1995 ; Mourier <strong>et</strong> al. 1997; Nindl <strong>et</strong> al. 1996). Dans lesdisciplines sportives à catégories de poids, les instances fédéralesinternationales ont établi <strong>et</strong> fixé des catégories de poids chez lesathlètes selon leur discipline. Vis à vis de ces catégories, les athlètespeuvent être défavorisés au regard de leur poids corporel sachantque, pour augmenter leur chance de réussite en compétition, lesathlètes doivent se situer à la limite supérieure <strong>du</strong> poids de leurcatégorie (Horswill <strong>et</strong> al. 1990 ; Park <strong>et</strong> al. 1990). Signalons quela plupart <strong>du</strong> temps, quelques semaines avant la compétition, lesathlètes sont au-dessus <strong>et</strong> parfois très au-dessus des limites depoids supérieures imposées par le règlement fédéral. Dans c<strong>et</strong>teperspective une étude a été réalisée en collaboration avec l’InstitutNational des Sports <strong>et</strong> de l’E<strong>du</strong>cation Physique de Paris (INSEP)en vue de comparer la précision <strong>du</strong> pourcentage de graisse (MG%)entre la technique ultrasonore que nous avons utilisée avec notreappareillage portable <strong>et</strong> la technique de référence : l’absorptiométrieDEXA. Les pourcentages de graisse estimés par ultrasons restenttrès fortement corrélés avec ceux obtenus par DEXA (R>0.96)pour les athlètes de sexe masculin <strong>et</strong> féminin. Dans notre étude,l’erreur totale (TE) comprise entre 0.89 <strong>et</strong> 1.03 prouve le haut degréde précision de la technique ultrasonore (Lohman, 1996). Lesméthodes décrites par Bland <strong>et</strong> Altman (1986) ont été utilisées pourexaminer la précision des erreurs indivi<strong>du</strong>elles d’estimation de laL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 105


Mesure de la composition corporelle par ultrasons : innovation <strong>et</strong> applicationsmasse grasse entre la technique ultrasonore <strong>et</strong> la technique DEXA.La faible amplitude [-2,5 MG% ; +2,5 MG%] observée des écartsrési<strong>du</strong>els indivi<strong>du</strong>els <strong>du</strong> pourcentage de graisse entre la techniqueultrasonore <strong>et</strong> l’absorptiométrie DEXA m<strong>et</strong> en évidence un haut niveaude précision de notre technique ultrasonore. Nous observons de plusune très bonne symétrie des dispersions autour de la moyenne desécarts <strong>du</strong> pourcentage de graisse d’autant plus que ces dispersionsdes écarts indivi<strong>du</strong>els <strong>du</strong> pourcentage de graisse ne présentent pas debiais. (Pineau <strong>et</strong> al. 2009). La méthode ultrasonore est une techniquenon invasive plus accessible en routine <strong>et</strong> moins onéreuse que lesexamens d’absorptiométrie à rayons X.2- Technique ultrasonore appliquée à la mesure de lamasse grasse chez les adolescents obèsesLa mesure de la masse grasse corporelle a été déterminée par un<strong>et</strong>echnique ultrasonore sur une population de 94 adolescents obèses(57 filles <strong>et</strong> 37 garçons), âgés de 12 à 19 ans, <strong>et</strong> pour lesquels l’I.M.Cest supérieur à 30 kg.m-2. Parmi ces adolescents, 39% sont atteintsd’obésité de classe I, 28% de classe II <strong>et</strong> 33% de classe III. Pourchaque adolescent recruté à la consultation de médecine interne, nousavons procédé à un examen d’absorptiométrie à rayons X (DEXA),qui constitue notre mesure de référence (Plank <strong>et</strong> al. 2005). De façonsimultanée, nous avons déterminé la masse grasse totale (MG) àpartir d’une technique ultrasonore qui nécessite, pour calculer c<strong>et</strong>temasse grasse, le recueil de données anthropométriques : poids,stature <strong>et</strong> périmètres au niveau ombilical <strong>et</strong> à mi-cuisse. Nous avonsobtenu de très fortes liaisons entre la MG mesurée par ultrasonsversus DEXA, chez les filles (r=0.907) comme chez les garçons(r=0.975), l’erreur standard d’estimation SEE est respectivementde 3.6 kg <strong>et</strong> de 2.5 kg. Nous avons pu également vérifier, que,sur un sous-effectif de 24 adolescents obèses, la techniqueultrasonore est beaucoup plus précise que la technique des pliscutanés pour estimer la MG car l’erreur standard d’estimation(SEE) est de 2.7 kg avec la technique ultrasonore alors qu’elleatteint 12.7 kg avec la méthode des plis cutanés.Dans le cadre d’un programme multidisciplinaire (Dao <strong>et</strong> al. 2004)nous avons établi, sur 13 adolescents, qu’une diminution de la MGmesurée par DEXA accompagnée d’une ré<strong>du</strong>ction sensible <strong>du</strong> poidsest étroitement liée (r=0.97) à une diminution de la MG mesurée parultrasons.3- Relation entre la prise de poids <strong>et</strong> la prise de massegrasse chez la femme enceinte pendant la <strong>du</strong>rée degestationLe contrôle de la prise de poids maternel est nécessaire pour éviterles déséquilibres nutritionnels ainsi que les risques de survenued’une complication vasculaire pouvant avoir une incidence sur ledéveloppement <strong>du</strong> fœtus (Abrams <strong>et</strong> al. 1995 ; Cogswell <strong>et</strong> al. 1995).La prise de poids excessive au cours de la grossesse a des eff<strong>et</strong>sdélétères sur le déroulement de la grossesse <strong>et</strong> de l’accouchement(Kielgman, Gross 1985 ; Scholl <strong>et</strong> al. 1990).La présente étude, réalisée en collaboration avec la CliniqueMontplaisir à Lyon sur une période de 18 mois, a pour but de m<strong>et</strong>trenotre appareillage ultrasonore portable à la disposition des médecinsradiologues <strong>et</strong> obstétriciens afin de quantifier la prise de massegrasse associée à la prise de poids chez la femme enceinte pendanttoute la <strong>du</strong>rée de gestation.Les mesures des épaisseurs de graisse sous-cutanée à mi-cuisse <strong>et</strong>au niveau ombilical dorsal seront recueillies par la même infirmièreà 5 reprises : au début de la gestation, au cours des trois examenséchographiques standards <strong>et</strong> après l’accouchement. D’une façonsimultanée, une série de mesures anthropométriques ainsi que lescaractéristiques socio-culturelles seront relevées systématiquementsur l’échantillon total.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 106


Mesure de la composition corporelle par ultrasons : innovation <strong>et</strong> applicationsPerspectivesNotre appareillage portable peut être utilisé chez les sportifs de haut niveaudans différentes situations. A court terme, juste après un entraînementou dans la même journée, une perte de poids correspond à une perted’eau. A moyen ou à long terme, une perte de poids sans modificationde la masse grasse totale se tra<strong>du</strong>it par une baisse <strong>du</strong> volume hydriquecontenu dans la masse maigre. A l’inverse toute augmentation <strong>du</strong> poidssans modification de la masse grasse correspond à une augmentation dela masse musculaire, le volume hydrique au repos restant assez stablechez un même indivi<strong>du</strong>. Dans c<strong>et</strong>te perspective, la grande précision del’estimation de la masse grasse à partir de notre appareillage portableconstitue une aide précieuse pour l’entraîneur <strong>et</strong> le médecin. C<strong>et</strong>t<strong>et</strong>echnique représente un outil indispensable pour optimiser la préparationphysique des athlètes à travers un suivi longitudinal.C<strong>et</strong>te technique portable ultrasonore peut également être utilisée avecsuccès en épidémiologie. En eff<strong>et</strong>, elle présente de nombreux avantagestant sur le plan de la fiabilité,de la repro<strong>du</strong>ctibilité, de laprécision pour effectuerle dépistage <strong>et</strong> le suivid’adolescents obèsespuisqu’en France cesont 11.3% d’a<strong>du</strong>ltesqui sont obèsessoit 5.3 millions depersonnes.Une applicationparticulièrementoriginale estenvisagée avecc<strong>et</strong>te techniqueultrasonore dansle domaine del’obstétrique.Exemple d’un relevé de mesureL’objectif principal de c<strong>et</strong>te étude consiste à analyser l’évolution dela masse grasse en fonction de l’évolution <strong>du</strong> poids corporel <strong>et</strong> descaractéristiques socio-culturelles de la mère sans aucun risque pourles patientes ni pour les fœtus.Références bibliographiquesABRAMS (B.), CARMICHAEL (S.), SELVIN (S.) 1995, Factorsassociated with the pattern of maternal weight gain <strong>du</strong>ring pregnancy,Obst<strong>et</strong> Gynecol 86:170-176.ANDREYEVA (T.), STURM (R.), RINGEL(J.S.) 2004, Moderate andsever obesity have large differences in health care costs, Obs ResDec 12:1936-1943.BLAND (J.M.), ALTMAN (D.G.) 1986, Statistical m<strong>et</strong>hods for assessingagreement b<strong>et</strong>ween two m<strong>et</strong>hods of clinical measurement, Lanc<strong>et</strong>2:307-310.COGSWELL (M.E.), SERDUKA (M.K.), HUNGERFORD (D.W.),YIP (R.) 1995, Gestational weight gain among average-weight andoverweight women. What is excessive ?, Am J Obst<strong>et</strong> Gynecol 172:705-712.DAO (H.)., FRELUT (M.L.), OBERLIN (F.), PERES (G.), BOURGEOIS(P.), NAVARRO (J.) 2004, Effects of a multidisciplinary weight lossintervention on body composition in obese adolescents, Int J obes28: 290-299.GORAN (M.I.) 1999, Visceral fat in prepubertal children: influence ofobesity, anthropom<strong>et</strong>ry, <strong>et</strong>hnicity, gender, di<strong>et</strong> and growth, Am J HumBiol 11:201-207.HENDLER (R.G.), WELLE (S.L.), STATT (M.C.), BARNARD (R.),AMATRUDA (J.M.) 1995,The effects of weight re<strong>du</strong>ction to idealbody weight on body fat distribution, M<strong>et</strong>abolism 11:1413-1416.HORSWILL (C.A.), HICKNER (R.C.), SCOTT(D.L.), COSTILL (D.L.),GOULD (D.) 1990, Weight loss, di<strong>et</strong>ary carbohydrate, modificationsand high intensity physical performance, Medicine and Science inSports and Exercise 22:470-476.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010107


Mesure de la composition corporelle par ultrasons : innovation <strong>et</strong> applicationsKLIEGMAN (R.M.), GROSS(T.) 1985, Perinatal problems of the obesemother and her infan, Obst<strong>et</strong> Gynecol 66:299-306.LOHMAN (T.G.) 1996, Dual energy X-ray absorptiom<strong>et</strong>ry. in Champaign,IL: Human Kin<strong>et</strong>ics p:63-78.MOURIER (A.), BIGARD (A.X.), DE KERVILER (E.), ROGER (B.),LEGRAND (H.), GUEZENNEC (C.Y.) 1997,Combined effects of caloricrestriction and branched-chain amino acid supplementation on bodycomposition and exercise performance in elite wrestlers, Int J SportsMed 1997 18:47-55.NINDL (B.C.), FRIELD (K.E.), MARCHITELLI (L.J.), SHIPPEE (R.L.),THOMAS (C.D.), PATTON (J.F.) 1996, Regional fat placement inphysically fit males and changes with weight loss, Med Sci Sports Exerc22(7): 786-793.PARK (S.H.), ROEMMICH (J.N.), HORSWILL (C.A.) 1990, A season ofwrestling and weight loss by adolescent wrestlers: effect on anaerobicarm power, J Appl; Sports. Sci. Res. 4:1-4.PINEAU (J.C.), FILLIARD (J.R.), BOCQUET (M.) 2009, Ultrasoundtechniques applied to body fat measurement in male and femaleathl<strong>et</strong>es, Journal of Athl<strong>et</strong>ic Training 44 (2): 142-147.PINEAU (J.C.), GUIHARD-COSTA (A.M.), BOCQUET (M.) 2007,Validation of ultrasound techniques applied to body fat measurement:a comparison b<strong>et</strong>ween ultrasound techniques, air displacementpl<strong>et</strong>hysmography and bioelectrical impedance versus <strong>du</strong>al-energyX-ray absorptiom<strong>et</strong>ry, Ann Nutr M<strong>et</strong>ab 51:421-427.ROEMMICH (J.N.), ROGOL (A.D.) 1999, Hormonal changes<strong>du</strong>ring puberty and their relationship to fat distribution, Am J HumBiol 11:209-224.SCHOLL (T.O.), HEDIGER (M.L.), ANCES (I.G.), BELSKY(D.H.), SALMON (R.W.) 1990, Weight gain <strong>du</strong>ring pregnancyin adolescence: predictive ability of early weight gain, Obst<strong>et</strong>Gynecol 75: 945-953.VON-EYBEN (F.E.), MOURISTEN (E.), HOLM (J.), MONTVILAS(P.), DIMCEVSKI (G.), SUCIU (G.), HELLEBERG (I.), KRISTENSEN(L.), VON-EYBEN (R.) 2003, Intra-abdominal obesity and m<strong>et</strong>abolicrisk factors: a study of young a<strong>du</strong>lts, Int J Obes 27:941-949.WORLD HEALTH ORGANIZATION 1998, Prevention andmanagement of the Global Epidemic of Obesity: Report of the WHOConsultation on Obesity,in Geneva (éd), WHO.ZIEGLER (O.), DEBRY (O.) 1998, Epidémiologie des obésités del’a<strong>du</strong>lte. Encyl Méd Chir (Elsevier, Paris), Endocrinologie-Nutrition10-506-B-20, 7 p.L’auteurJean-Claude PINEAUDirecteur de recherche au <strong>CNRS</strong>- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces. » (Paris,France)courriel : jean-claude.pineau@evolhum.cnrs.frTel: 01 43 13 56 83L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010108


Computed tomography (CT) and magn<strong>et</strong>ic resonance (MR) imaging to b<strong>et</strong>ter understandand characterize brain and cranium growth and development.Fernando VENTRICEThe human brain is a very complex organ that presents severalunsolved enigmas, its evolution being perhaps the most intriguingone. This topic is deeply related to the evolution of our own species,and that is the reason why several paleoanthropologists are trying atpresent to understand the process that gave origin to human brain.Unfortunately, this organ is formed by soft tissue which is not sensitiv<strong>et</strong>o the fossilization process. Therefore, we must deal with indirectevidences to infer brain evolution from the fossil record: (1) the wellknown cranial capacity; the impressiones gyrorum of the differentbrain gyri and sulci (i.e. lunate sulcus, perisylvian asymm<strong>et</strong>ries); thep<strong>et</strong>alia patterns; and the anatomical compared studies on brains ofextant primates (Holloway 1996; Semendeferi <strong>et</strong> al. 1997; Falk 2006;Schoenemann 2006). Consequently, the fossil record provides onlyendocranial information. To b<strong>et</strong>ter understand the clues provided bythis information on our brain evolution, it is essential to d<strong>et</strong>ermine theexisting relationship b<strong>et</strong>ween the brain and the endocranium, andhow this relationship develops throughout the maturation process inour species.Nowadays we have new m<strong>et</strong>hodologies to address this question.In this short manuscript two scanning techniques, which may helpto b<strong>et</strong>ter understand and characterize growth and development ofhuman brain and cranium, will be d<strong>et</strong>ailed. These two techniquesare computed tomography (CT) and magn<strong>et</strong>ic resonance (MR)imaging (Guy, Ffytche 2005). Their physics principles will beformulated, with special attention being paid on the advantagesand disadvantages of each technique and their correspondingdifferences. At the same time, a brief explanation on how theirresults can be quantified to answer research hypothesis will begiven.The basic physics principle of CT scanning is the reconstructionof an object internal structure from different projections, which arebased on X-rays emitted towards the object from different angles.The object presents a vari<strong>et</strong>y of absorption rates depending onits constituent tissues. For this reason, when all projections areintegrated, CT images are much sharper than X-rays, showing ahigher definition not only in bone structures but also in soft tissues(Hsieh 2009).The MR physics principles are based on the resonance capacity ofcertain atoms, particularly the protons. When an object is exposedto a strong magn<strong>et</strong>ic field, the small magn<strong>et</strong>ic fields pro<strong>du</strong>ced bythe protons g<strong>et</strong> positioned in a particular direction. After a radiofrequencypulse application, an exciting and relaxing response ofthe protons is obtained. This response is called resonance, and canbe measured and quantified to d<strong>et</strong>ermine the type of tissue thatis being analyzed (Brown, Semelka 2003). In the human body, themolecule responsible for most of this kind of resonance is water(H 2 O), since it contains two protons and is present in the tissues ina high percentage.To highlight the differences b<strong>et</strong>ween these two scanning techniquesis useful to compare the image stacks obtained through each of them.On the one hand, a typical axial head CT image s<strong>et</strong> contains 275axial images of 512 x 512 pixels, which are obtained in a scanningsession lasting 15 seconds and have a voxel resolution equal to 0.5x 0.5 x 0.5 mm. This volum<strong>et</strong>ric CT stack occupies 144 Megabytes.On the other hand, a sagittal head MR image s<strong>et</strong> would contain 120sagittal images of 256 x 256 pixels, with a voxel size equal to 1.5 x 1x 1 mm, in a scanning session that lasts 10 to 15 minutes. This kindof MR stack occupies 16 Megabytes. With this information in mindit is evident that CT images are scanned faster and have a muchhigher resolution than MR images. So, what is the advantage of MRover CT?Since these imaging techniques extract different information fromL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 109


Computed tomography (CT) and magn<strong>et</strong>ic resonance (MR) imaging to b<strong>et</strong>ter understand and characterize brain and craniumgrowth and development.the same structure, the choice of the most suitable one will depend on thenature of the study that is being performed. For example, in a head CTimage, the bones appears white and very clear because they absorb largequantities of X-rays; grease and other soft tissues absorb less quantitiesof X-rays and appear in a gray scale; and finally, the air absorbs very littleradiation, with hollow structures appearing black (Figure 1).Figure 1: Coronal (upper left), horizontal (upper right) and sagittal (lower left) craniumCT images. Three dimensional (3D) reconstruction of cranium (lower right)On the other hand, in a head MR image, the bone structures areshown black because of their lack of water, but the soft tissues ofthe brain can be clearly recognized with high d<strong>et</strong>ail: gray matter,white matter and cerebrospinal fluid (Figure 2).Figure 2: Coronal (upper left), horizontal (upper right) and sagittal (lowerleft) head MR. 3D reconstruction of cortical brain tissue (lower right)generated using an automatic algorithm for brain extraction.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 110


Computed tomography (CT) and magn<strong>et</strong>ic resonance (MR) imaging to b<strong>et</strong>ter understand and characterize brain and craniumgrowth and development.Hence, if the objective of the research is to d<strong>et</strong>ect a bone fracture or todescribe cranium growth, a CT scan should be made. But if the objectiveis to characterize the brain development, find a certain gyri or discriminateb<strong>et</strong>ween gray and white matter, a MR scan should be performed.Other important differences arise when it is taken into account the natureof the object to be studied. For example, as it was mentioned above, MRscan can only be done with objects containing water; also, ferromagn<strong>et</strong>icobjects cannot be studied with this technique because of the presence ofa strong magn<strong>et</strong>ic field. On the other hand, the CT scan of living humansmakes necessary the design of protocols that minimize their expositiontime to ionizing radiations. The main differences b<strong>et</strong>ween these twotechniques are presented in Table I.Table I: Main differences b<strong>et</strong>ween CT and MR scans.As it was shown, CT and MR scanning techniques offer valuableand complementary information on the different structures thatconstitute the studied object. However, as they are solely imagingproce<strong>du</strong>res, they do not provide quantified data; to obtain this, it isnecessary to apply complementary techniques. The most simpleand straightforward of these is the volume measure of differentstructures by segmentation proce<strong>du</strong>res: (i) semiautomatic thresholdingsegmentation to measure endocranial volume from CT headimages (Jiang <strong>et</strong> al.2007), or (ii) segmentation based on algorithmsthat can extract, for example, gray matter, white matter, and cerebrospinalfluid from MR brain images (Smith, 2002). Another groupof techniques that allows the obtaining of size and shape informationfrom images includes geom<strong>et</strong>ric morphom<strong>et</strong>ric analysis (Bookstein,1991; Rohlf, Marcus 1993; Zelditch <strong>et</strong> al. 2004), and voxelbasedmorphom<strong>et</strong>ric analysis (Ashburner, Friston 2000). The latterenables the estimate of differences b<strong>et</strong>ween scanned images (e.g.:to compare what brain region grows faster).In conclusion, the imaging techniques are important tools that canbe used to answer a vari<strong>et</strong>y of hypothesis and address different aspectsof the human brain and its evolution. Particularly, the interestof my research lies in using these two techniques, as well as theircomplementary ones, to characterize the growth and developmentof the human brain and endocranium, with special emphasis on theontogen<strong>et</strong>ic evolution of the relationship b<strong>et</strong>ween these two structures.This body of knowledge may shed some light on our interpr<strong>et</strong>ationsof the indirect evidences we have about the human brainevolution.L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010111


Computed tomography (CT) and magn<strong>et</strong>ic resonance (MR) imaging to b<strong>et</strong>ter understand and characterize brain and craniumgrowth and development.Références bibliographiquesASHBURNER (J.), FRISTON (K.J.) 2000, Voxel-Based Morphom<strong>et</strong>ry- The M<strong>et</strong>hods, Neuroimage 11: 805-821.BOOKSTEIN (F.L.) 1991, Morphom<strong>et</strong>ric Tools for Landmark Data:Geom<strong>et</strong>ry and Biology, Cambridge University Press.BROWN (M.A.), SEMELKA (R.C.) 2003, MRI: Basic Principles andApplications, 3rd ed. Wiley-Liss.FALK (D.) 2006, Evolution of the primate brain, in, Handbook ofpalaeoanthropology. Vol. 2, p. 1133-1162.GUY (C.), FFYTCHE (D.) 2005, Intro<strong>du</strong>ction to the Principles of MedicalImaging, Revised, World Scientific Publishing Company.HOLLOWAY (R.) 1996, Evolution of the human brain, in, Handbook ofhuman symbolic evolution, p. 74-116.HSIEH (J.) 2009, Computed Tomography: Principles, Design, Artifacts,and Recent Advances, Second Edition, 2nd ed. SPIE Publications.JIANG (S.), CHEN (W.), FENG (Q.), YANG (S.) 2007, Automaticextraction and segmentation of the intracranial structure from cerebralcomputed tomography. Nan Fang Yi Ke Da Xue Xue Bao 27: 1805-1808.ROHLF (F.J.), MARCUS (L.F.) 1993, A revolution in morphom<strong>et</strong>rics,Trends in Ecology and Evolution 8: 129-129.SCHOENEMANN (P.T.) 2006, Evolution of the Size and FunctionalAreas of the Human Brain, Annual Review of Anthropology 35:379-406.SEMENDEFERI (K.), DAMASIO (H.), FRANK (R.), VAN HOESEN(G.W.) 1997, The evolution of the frontal lobes: a volum<strong>et</strong>ricanalysis based on three-dimensional reconstructions of magn<strong>et</strong>icresonance scans of human and ape brains, Journal of HumanEvolution 32: 375-388.SMITH (S.M.) 2002, Fast robust automated brain extraction,Human Brain Mapping 17: 143-155.ZELDITCH (M.), SWIDERSKI (D.), SHEETS (D.H.), FINK (W.)2004, Geom<strong>et</strong>ric Morphom<strong>et</strong>rics for Biologists, AcademicPress.L’auteurFernando VENTRICEDoctorant- Anthropological Institute, University of Zürich (UZH) (Zurich, Suisse)- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces » (Paris,France)courriel : fernando.ventrice@evolhum.cnrs.frL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010112


Le modèle Primate en anthropologie biologique : Exemple de la repro<strong>du</strong>ctionCécile GARCIAMots-clés : approche comparative, repro<strong>du</strong>ction, babouins, macaquesLes primates humains <strong>et</strong> non-humains partagent une longue histoireévolutive depuis plus de 6 millions d’années (–cf. Figure 1)Figure 1 : Phylogénie des primates (estimation à partir des restes fossiles)Modifié d’après Page <strong>et</strong> al. 2001Photos : N. Rowe, The pictorial guide to the living primates 1996C<strong>et</strong>te histoire commune perm<strong>et</strong> de répondre à des questionsconcernant l’homme en étudiant les pressions de sélection <strong>et</strong> lesadaptations des primates non-humains actuels. C<strong>et</strong>te approchecomparative inclut des comparaisons entre différentes espècesde primates <strong>et</strong> entre différentes populations de la mêmeespèce. La primatologie perm<strong>et</strong>, en considérant des aspectscomportementaux, physiologiques <strong>et</strong> anatomiques, de mieuxcomprendre l’évolution des Hominidés <strong>et</strong> leur adaptation àdes conditions environnementales changeant au cours <strong>du</strong>temps. Par ailleurs, les études menées sur l’adaptation desgrandes fonctions chez l’homme se heurtent inévitablementà des limitations éthiques mais peuvent être affinées grâceà des travaux comparatifs chez les primates non-humains.Les domaines de la santé humaine dans lesquels les primatesnon-humains sont utilisés en tant que modèles biologiquessont très variés. Nous citerons à titre d’exemple les thèmessuivants : la génomique fonctionnelle, la locomotion, les maladiesinfectieuses, l’endocrinologie de la repro<strong>du</strong>ction <strong>et</strong> la ménopause,le vieillissement, les maladies coronariennes, <strong>et</strong> l’obésité (Shively,Clarkson 2009). L’étude des primates non-humains <strong>et</strong> de leursadaptations physiologiques <strong>et</strong> comportementales aux contraintesenvironnementales, par une démarche intégrative <strong>et</strong> comparative,est une approche assez novatrice en France mais qui s’intègrepleinement dans le champ disciplinaire de l’anthropologiebiologique.Plusieurs espèces de primates, telles que les babouins, lesmacaques ou les chimpanzés constituent des modèles biologiquesappropriés car ils sont assez proches physiologiquement <strong>et</strong>phylogénétiquement de l’espèce humaine pour que les conclusionspuissent être transposables. De plus, les études réalisées chez cesespèces perm<strong>et</strong>tent de répondre beaucoup plus rapidement quedans l’espèce humaine à des questions relatives à l’acclimatation<strong>et</strong> à l’adaptabilité de différentes fonctions biologiques. Les primatesnon-humains, <strong>et</strong> spécifiquement les primates de l’Ancien monde(macaques, babouins…), sont notamment largement utilisés pourles recherches sur la fonction de repro<strong>du</strong>ction car le cycle menstruelchez ces espèces est similaire à celui observé chez la femme entermes de <strong>du</strong>rée, de variabilité, <strong>et</strong> de profil de sécrétion des hormonessexuelles (Stevens 1997 ; Wasser <strong>et</strong> al. 1998 ; Martin 2007).Dans l’espèce humaine, comme chez les autres mammifères <strong>et</strong> enparticulier les primates de l’Ancien monde, la fonction de repro<strong>du</strong>ctionest limitée par des facteurs biologiques influencés à divers degrés pardes facteurs environnementaux, auxquels s’ajoute potentiellementl’interaction non négligeable des facteurs sociaux <strong>et</strong> culturels.C’est dans ce contexte que nous avons développé une rechercheayant pour objectifs de déterminer l’impact de différents facteursenvironnementaux (disponibilité alimentaire, stress psychosocial…)sur la régulation de la fonction de repro<strong>du</strong>ction, la flexibilité desL’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 113


Le modèle Primate en anthropologie biologique : Exemple de la repro<strong>du</strong>ctionaptitudes repro<strong>du</strong>ctives <strong>et</strong> le vieillissement repro<strong>du</strong>ctif des primates.Afin d’envisager la fonction de repro<strong>du</strong>ction dans une perspectivepluridisciplinaire, nous avons développé plusieurs types de méthodologiesissues des sciences biologiques <strong>et</strong> comportementales pour les appliquerà des questions relevant <strong>du</strong> champ de l’anthropologie biologique. Nousavons notamment utilisé des méthodes d’observations comportementales,des techniques anthropométriques (Garcia <strong>et</strong> al. 2006, 2009a), desanalyses isotopiques (Garcia <strong>et</strong> al. 2004) <strong>et</strong> des analyses hormonales(Garcia <strong>et</strong> al. 2009b) chez des populations de babouins <strong>et</strong> de macaques.Ces différentes méthodologies nous ont permis de dégager plusieursrésultats importants :- Les stratégies adaptatives qu’utilisent les femelles babouins de notreéchantillon pour couvrir les coûts énergétiques de la lactation sont similairesà celles utilisées par l’homme. En eff<strong>et</strong>, il semble qu’une augmentationmodérée des apports énergétiques couplée à une ré<strong>du</strong>ction de l’activitéphysique constituent les principales adaptations comportementalesutilisées pour faire face aux contraintes énergétiques imposées parla lactation. Ces données confirment que l’hyperphagie lactationnelledes primates humains ou non-humains est modérée comparée à celled’autres espèces de mammifères. Nos données confirment égalementque, chez les primates, le stress énergétique de la lactation par unitéde temps est faible comparé à celui de la plupart des mammifèresde taille similaire (Dufour, Sauther 2002).- Le rang de dominance au sein de la hiérarchie <strong>du</strong> groupe socialexplique une grande partie des différences de fertilité observéeschez les femelles babouins. Les femelles de bas rang socialm<strong>et</strong>tent plus de temps à r<strong>et</strong>rouver une cyclicité ovarienne (cf.Figure 2) <strong>et</strong> ont des intervalles entre naissances plus longs queles femelles de haut rang social. Les mécanismes nutritionnels<strong>et</strong> les comportements alimentaires ne semblent pas jouer unrôle prépondérant dans la relation entre la dominance <strong>et</strong> larepro<strong>du</strong>ction <strong>et</strong> nos résultats indiquent plutôt que, dans cecontexte, le stress social pourrait être le mécanisme principalinterférant avec la régulation de la fonction de repro<strong>du</strong>ction(Garcia <strong>et</strong> al. 2006, 2008).Figure 2 : Comparaison des courbes de survie pour la <strong>du</strong>rée d’aménorrhée <strong>du</strong> post-partum(APP) chez des femelles babouin de haut rang <strong>et</strong> de bas rang social.- Les paramètres anthropométriques liés au bébé, tels que sonpoids ou sa croissance, influencent fortement le déroulement desévénements repro<strong>du</strong>cteurs. En eff<strong>et</strong>, les femelles babouins avec desbébés plus lourds m<strong>et</strong>tent moins de temps à reprendre des cycles(Garcia <strong>et</strong> al. 2006). De plus, nous avons montré que les bébésdevaient atteindre un poids seuil situé aux alentours de 2 kg avantque la mère ne puisse reprendre un cycle menstruel (cf. Figure 3)ce qui indique que le profil de croissance post-natale est un facteurdéterminant <strong>du</strong> succès repro<strong>du</strong>cteur maternel (Garcia <strong>et</strong> al. 2009a).L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 114


Le modèle Primate en anthropologie biologique : Exemple de la repro<strong>du</strong>ctionFigure 3 : Masse <strong>du</strong> bébé babouin à la fin de l’aménorrhée <strong>du</strong> post-partum. Le poids seuilde 2kg (range 1.5 – 2.5 kg) est indiqué par l’aire en pointillés. (Modifié d’après Garcia <strong>et</strong>al. 2009a)Références bibliographiquesDUFOUR (D.L.), SAUTHER (M.L.) 2002, Comparative andevolutionary dimensions of the energ<strong>et</strong>ics of human pregnancy andlactation, American Journal of Human Biology 14: 584-602.GARCIA (C.), ROSETTA (L.), ANCEL (A.), LEE (P.C.), CALOIN(M.) 2004, Kin<strong>et</strong>ics of stable isotope and body composition in olivebaboons (Papio anubis) estimated by deuterium dilution space: apilot study, Journal of Medical Primatology 33: 146-151.GARCIA (C.), LEE (P.C.), ROSETTA (L.) 2006, Dominanceand repro<strong>du</strong>ctive rates in captive female olive baboons (Papioanubis), American Journal of Physical Anthropology 131(1): 64-72.GARCIA (C.), LEE (P.C.), ROSETTA (L.) 2008, Impact of socialenvironment on variation in menstrual cycle length in captivefemale olive baboons (Papio anubis), Repro<strong>du</strong>ction 135(1):89-97.GARCIA (C.), LEE (P.C.), ROSETTA (L.) 2009a, Growth in colonyliving anubis baboon infants and its relationship with maternal activitybudg<strong>et</strong>s and repro<strong>du</strong>ctive status, American Journal of PhysicalAnthropology 138(2): 123-135.GARCIA (C.), SHIMIZU (K.), HUFFMAN (M.A.) 2009b, Relationshipb<strong>et</strong>ween sexual interactions and the timing of the fertile phase incaptive female Japanese macaques (Macaca fuscata), AmericanJournal of Primatology 71(10): 868-879.MARTIN (R.D.) 2007, The evolution of human repro<strong>du</strong>ction: aprimatological perspective, Yearbook of Physical Anthropology 50:59-84.PAGE (S.L.), GOODMAN (M.) 2001, Catarrhine phylogeny:noncoding evidence for a diphyl<strong>et</strong>ic origin of the mangabeys and forhuman-chimpanzee clade. Molecular Phylogen<strong>et</strong>ics and Evolution18(1): 14-25.SHIVELY (C.A.), CLARKSON (T.B.) 2009, The unique value of primatemodels in translational research, American Journal of Primatology71(9): 715-721.STEVENS (V.C.) 1997, Some repro<strong>du</strong>ctive studies in the baboon,Human Repro<strong>du</strong>ction Update 3(6): 533-540.WASSER (S.K.), NORTON (G.W.), RHINE (R.J.), KLEIN (N.),KLEINDORFER (S.) 1998, Ageing and social rank effects onthe repro<strong>du</strong>ctive system of free-ranging yellow baboons (Papiocynocephalus) at Mikumi National Park, Tanzania, HumanRepro<strong>du</strong>ction Update 4(4): 430-438.L’auteurCécile GARCIAChargée de Recherche au <strong>CNRS</strong>- UPR 2147, « <strong>Dynamique</strong> de l’Evolution Humaine: Indivi<strong>du</strong>s, Populations, Espèces » (Paris,France)courriel : cecile.garcia@evolhum.cnrs.frTél : +33 (0)1.43.13.56.34L’anthropologie <strong>du</strong> <strong>vivant</strong> : <strong>obj<strong>et</strong>s</strong> <strong>et</strong> méthodes - 2010 115

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