Littérature québécoiseNouveautésLorsqu’il n’écrit pas, Stéphane-Albert Boulais enseigne lecinéma et l’histoire de l’art au Cégep de l’Outaouais. Avecle début de cette trilogie campée dans la région de laHaute-Gatineau, l’auteur originaire de Maniwaki affirmait,en entrevue, vouloir montrer les richesses de son coin depays, sa géographie, sa faune, sa flore. Ainsi a-t-il imaginéun univers inspiré du conte, à cheval entre les XIX e et XXI esiècles, un chassé-croisé temporel peuplé de protagonistespas piqué des vers. L’héroïne, une scientifique chevronnée,cherche à découvrir le pouvoir mnémonique de lapierre. Aidée de l’Homme-Paul et d’un mystérieux sablier,elle plongera dans le passé, à la rencontre du destin desfemmes des Hautes-Rivières et du sien.LE SABLIER DU GRAND ZOR : LA TRILOGIE DE LO (T. 1)Stéphane-Albert Boulais, Écrits des Hautes-Terres, coll. Bivouac, 238 p., 22 $Personne n’a échappé à la vision d’apocalypse passée enboucle pendant des jours sur toutes les chaînes d’information,ni aux répercussions des attentats de 2001. Il y a eu unecoupure, un avant et un après-11 septembre. Depuis, la paixn’est plus, le malaise plane et immobilise la vie. André Ricard,par et dans son acte créateur, refuse d’adhérer à cette acceptioncollective du désastre planétaire. Quelques jours aprèsl’effondrement des tours jumelles, un dramaturge québécois,en deuil d’une femme aimée et vivant dans un village mexicainau bord du conflit armé, travaille à une création surl’amour dans le but de retrouver, en dehors de la foi, une paixintérieure dans ce monde en émoi. Une paix d’usage rétablità l’échelle humaine le drame médiatisé pour rendre à la mort ce qu'on lui doit :l’exaltation de la vie. »UNE PAIX D’USAGE. CHRONIQUE D’UN MONDE IMMOBILEAndré Ricard, Triptyque, 156 p., 20 $Au cours de l’été 1942, plusieurs navires sont coulés pardes sous-marins allemands au large des côtes gaspésiennes,et la rumeur court que des espions nazis ontinvesti certains villages du coin. Soixante ans plus tard,Claude Beaupré, passionné de navigation, est loin desoupçonner qu’en héritant d’un vieux voilier aux originesinconnues, il aura à lever le voile sur un mystère collectifet individuel. Personne ne s’étonnera qu’un romancier nésur les rives du Saint-Laurent s’intéresse à la mer, partieintégrante de son travail, et à tout ce qui s’y rattache.C’est le cas de Romain Saint-Cyr qui, après L’Impératriced’Irlande (VLB, 2001), inspiré par l’engloutissement dupaquebot Empress of Ireland, nous revient avec une relecture passionnanted’un pan de notre histoire maritime.BELLE COMME UN NAUFRAGERomain Saint-Cyr, VLB Éditeur, 368 p., 27,95 $« En tombant violemment à plat ventre, Arun eut le tempsd’apercevoir, au milieu de la confusion, des camions de l’armée,des soldats armés jusqu’aux dents prêts à tirer, desvoisins face contre terre, d’autres qu’on faisait sortir de chezeux avec la même brutalité » : Neil Bissoondath n’a pas écritun roman de guerre; cette dernière représente plutôt un prétextepour évoquer les conflits humains dont l’origine est souventinexplicable, et qui tiennent en otage des populationsentières vivant dans l’angoisse et l’insécurité. On se fait à tout,mais à quel prix? Arun n’a pas choisi la voix tracée par unefamille aisée. Pour assouvir l’idéalisme de ses 21 ans, ilaccepte le seul poste d’enseignant d’Omeara, village en pleineguerre civile d’une île imaginaire de l’Inde. Sa vision du monde , ainsi que celle dulecteur, seront durement mises à l’épreuve. Par l’auteur de Tous ces mondes en elleset Un baume pour le cœur (Boréal, 1999 et 2002).LA CLAMEUR DES TÉNÈBRESNeil Bissoondath, Boréal, 473 p., 29,95 $Alors qu’Un temps de chien nous décrivait le Montréal enmutation des sixties et le difficile passage de l’enfance à l’adolescencede Charles Thibodeau, qu’Un saut dans le vide montraitses premiers pas dans la vie adulte et la désillusion politiquedes années 80, Parti pour la gloire, troisième et derniertome de la série, nous ramène dans la décennie 90, où l’aspirantromancier devenu journaliste est maintenant biographeet assistant d’un bonze de la presse. Plus que le récit d’unhéros attachant, on trouve en toile de fond de cette trilogiel’histoire politique et sociale du Québec, de l’inauguration dumétro à l’épisode du « Beau risque » en passant par le secondréférendum et la crise du verglas. On ne saurait s’attendre àmoins d’Yves Beauchemin qui, depuis L’Enfirouapé, se fait l’un des grands observateursde la société québécoise.PARTI POUR LA GLOIRE : CHARLES LE TÉMÉRAIRE (T. 3)Yves Beauchemin, Fides, 242 p., 24,95 $Dans un cri de douleur, nous venons au monde, déjà déchirésentre le désir et la peur de découvrir ce vaste univers. La sécuritéou l’inconnu? Si seulement nous savions ce qui nousattend! Ce dilemme, façonnant notre parcours humainunique, oblige à naître plus d’une fois : il faut se transformer,se réinventer pour continuer à évoluer malgré les aléas de lavie, et éviter l’engourdissement de l’âme. <strong>Le</strong>s sept nouvellesdenses du premier recueil d’Hélène Robitaille ont pour noyaula naissance sous toutes ses formes : mise au monde, éclosion,commencement, recommencement, ouverture, création. Cesrenaissances nécessaires créent des personnages en perpétuelmouvement, vacillant entre les joies de la confrontation avec autrui et la peur del’engagement, et finissant trop souvent dans la solitude.LES CIGALES EN HIVERHélène Robitaille, L’instant même, 204 p., 22,95 $Gratz, grand-papa à l’heure du bilan, raconte sa vie à son petitfils,Eldon. Malgré les années additionnées, ses souvenirs sedivisent : « Il me reste un mois de mes douze ans, une semainedes mes vingt ans, un jour des mes quarante ans et une aprèsmidide mes soixante ans. » Lauréate du Prix Ringuet avec <strong>Le</strong>sMouches pauvres d’Ésope, histoire intense et rafraîchissantesur l’amitié et l’amour, Émilie Andrewes donne encore dansl’étrange, et réinvente la fantaisie et la légèreté sans négliger laprofondeur du discours. <strong>Le</strong> lecteur est transporté dans un lieumythique où les animaux sont ce qu’il y a de plus autobiographique: « Il n’y a pas eu un animal qui ne m’ait pascompris. Et ce qu’ils m’ont appris m’a servi de clé de voûte ».Comme dans une fable, un petit museau se pointe à chaque détour pour guiderl’homme à pas de lièvre ou de tortue.ELDON D’ORÉmilie Andrewes, XYZ éditeur, coll. Romanichels, 108 p., 18 $« Quoi de mieux pour le théâtre que l’histoire d’un acteur,mort, assassiné et de l’enquête folle, insensée pour trouverl’auteur du crime? » : pour élucider la mort de Cosmo, ceuxqui l’ont côtoyé défilent, dans un chassé-croisé de déclarationset de fragments de vérité, devant le tribunal des lecteursde Huston ou ici, des spectateurs de Pintal. Parmi eux prennentla parole des vivants, dont Elke, l’amour fou de Cosmo,quelques morts et, parfois, des instances inattendues commele couteau, arme du crime. Lorraine Pintal prouve une fois deplus qu’elle carbure aux défis. Après L’Hiver de force deDucharme, elle n’a pas hésité devant l’adaptation risquéed’Une adoration. Pour donner une portée théâtrale à ce récitpolyphonique en évitant de tomber dans le chaos, Pintal réduit à neuf le nombredes personnages et ressuscite l’acteur assassiné. Que le rideau se lève sur la mort deCosmo!UNE ADORATIONAdaptation théâtrale du roman de Nancy Huston par Lorraine Pintal,<strong>Le</strong>méac/Actes Sud, coll. Théâtre, 96 p., 12,95 $M A I - J U I N 2 0 0 68
Littérature québécoisele <strong>libraire</strong> CRAQUEMamerlor.Chroniquesautour d’un Q-tipRéjean Bonenfant, Éditionsd’art <strong>Le</strong> Sabord, 62 p., 19,95 $Lire les chroniques de Mamerlor,c’est comme feuilleter un vieil album de photos defamille. Mamerlor et Péraurel (en fait Ma Mère Laureet Père Aurel) se sont mariés en 1925 et ont eu prèsd’une vingtaine d’enfants, qui ont à leur tour vécutoutes sortes d’événements. De la naissance à la morten passant par des questions aussi fondamentales quel’orientation sexuelle et la place des vieux dans lasociété contemporaine, Mamerlor est la compréhensiveobservatrice de l’évolution de ceux qu’elle a tantaimés. Sans prétendre expliquer où va notre monde,les chroniques de Réjean Bonenfant offrent une visiontendre et lucide des différences générationnelles.Josiane Riverin-Coutlée <strong>Le</strong>s BouquinistesTout comme elleLouise Dupré, QuébecAmérique, coll. Mains libres,110 p., 16,95 $Tout comme elle, une premièreaventure théâtrale en 4 actes de 12tableaux chacun, nous fait entrerdans l’univers d’une mère et de safille, dans leurs solitudes et leurs incompréhensionsrespectives. Faire semblant, jouer le jeu plutôt qu’ouvrirleurs bras l’une à l’autre. Finalement, à travers certainsde ses gestes, certaines de ses paroles, la fillereconnaît sa mère. L’acceptation de l’amour-haineprend sa place : la fille veut être différente mais enmême temps, elle désire que sa mère l’aime. C’est lamise au monde d’une femme, dans un texte poétiqueteinté de subjectivité, qui permet à chacun d’en fairesa propre lecture. À la fin du livre, une conversationentre Louise Dupré, l’auteure, et Brigitte Haentjens,qui a assuré la mise en scène du texte avec cinquantecomédiennes sur les planches de l’Usine C en janvier2006, continue de nous éclairer sur le sujet.Marielle Paré MonetJe voudrais medéposer la têteJonathan Harnois,Sémaphore, 95 p., 16,95 $Jeune maison d’édition quis’inscrit en marge des sentiersbattus, les éditions Sémaphorepubliait, il y a de cela quelques mois, le premier romandu jeune auteur Jonathan Harnois. D’une sensibilitédésarmante, le propos de ce petit livre d’à peine centpages concerne un événement aux accents tragiques :le suicide d’un ami. Harnois parvient avec brio à éviterles écueils de ce thème mille fois visité et nous livre unrécit tout en nuances, porté par une plume d’unebeauté douloureuse. Irrigué de délicieuses trouvailleslittéraires, Je voudrais me déposer la tête offre uneintrospection ponctuée d’espoir qui nous mène droitaux confins de l’âme humaine. Empreinte d’une magnifiquepoésie, la langue de Harnois témoigne d’unerare maîtrise. Prometteur! Anne-Pascale Lizotte MonetLa Musique,exactementMicheline Morisset, QuébecAmérique, coll. Littératured’Amérique, 119 p., 16,95 $La musique, comme les parfums,est porteuse de nos plus chers souvenirs… Peut-êtreest-ce tout ce qui reste quand la mémoire s’effrite?Avec une musicalité poétique qui lui est propre,Micheline Morisset nous touche avec cette réflexiontendre sur le vieillissement, la perte de l’innocence etles relations familiales. En harmonie, la fille se remémoreces instants de l’enfance que le « temps nousvole », tandis que la mère voit sa mémoire lui déroberles gens et les saisons. Un propos nostalgique orchestrételle une symphonie sur la mémoire qui déforme,occulte, flanche, révèle avant le grand trou noir. Lasensibilité de l’œuvre est perceptible en sourdine, dansun silence feutré. Si on écoute bien, on peut presqueentendre le vent du large murmurer notre air préféré!Annie Mercier le <strong>libraire</strong>TavernesAlexis Martin, DramaturgesÉditeurs, 80 p., 14,95 $Dans une pièce qui nous montrequ’on n’a pas tout dit du mondedes tavernes, Alexis Martin nousfait entendre les éclats de ce lieuoù la parole se libère. Là, les voixdisent sans inhibition ce qui se noue dans le cœur, secroyant en sécurité dans la langueur de l’alcool : cellesd’un travesti, d’un Juif, d’un homme abusé dans sajeunesse et de nombre d’autres marginaux qui ontbesoin de faire un vacuum dans leur quotidien.Représentant ce lieu qui paraît être le tremplin vers laliberté, mais en réalité est le ressort de toutes solitudes,la pièce met en scène un défilé de personnagesinterprétés par un seul comédien. Il y a une bonnepart de vertige dans ce texte qui va de pair avec uneréflexion sur l’identité. À ce propos, le discours quetient le personnage du Juif sur la souveraineté desQuébécois est perspicace et, par sa lucidité, on ne peutplus savoureux. Drôle et intelligent.Yohan Marcotte Pantoute<strong>Le</strong>s Trois Modesde conservationdes viandesMaxime-Olivier Moutier,Marchand de feuilles,263 p., 21,95 $Déroutant au tout début, le romande Moutier a le mérite de nous accrocher très vite.Voyageant entre l’enfance et la maturité, le narrateur— qu’on sent très proche du romancier — nousoffre une anthropologie du quotidien, décrivant avecdétail l’univers qu’il habite. Pour ce faire, il se transposedans le lecteur à l’aide d’un « vous » très personnelet inclusif qui lui permet de prendre une distanceprotectrice avec une enfance et une adolescence difficiles,partagées entre un père artiste et rêveur et unemère entrepreneuse. Il reprend le « je » lorsqu’il nousfait partager sa vie d’aujourd’hui, jeune père de familleamoureux de la mère de ses enfants. C’est original,urbain (ou banlieusard, dans les passages de jeunesse)et contemporain, comme il se qualifie lui-même. Etc’est un éloge de l’amour qui contraste avec une formede littérature sombre et pessimiste.Yves Guillet <strong>Le</strong> FureteurM A I - J U I N 2 0 0 69