Bande dessinéeBandesd’adosIllustration : © GipiDepuis l’avènement de la révolutionindustrielle, l’adolescence s’est constituée,élargie et segmentée : on distingue lesprépubères et pubères, les sixteenagers eteighteenagers, les jeunes adultes et autresTanguy! La BD francophone vécut un destinparallèle : s’adressant d’abord aux jeunes, elledevint adulte à la fin des années 60. Et la BDjeunesse en pâtira, alors qu’on appliqua textola recette des maîtres belges pendant trenteans de séries radoteuses et insipides, avant queles éditeurs ne se décident à garnir leurs cataloguesde titres originaux et contemporains.Par Eric Bouchard, librairie MonetSoleil, soleil levant et impérialisme culturelQu’en est-il pour le public ado? Depuis la mi-90, unéditeur comme Soleil table sur l’heroic fantasy. À lasuite de l’arrivée de mégalithes médiatiques tels <strong>Le</strong>Seigneur des anneaux ou Harry Potter, ce choix finitpar s’avérer si fructueux qu’on croule aujourd’hui sousle genre. L’adaptation des mangas, datant de la mêmepériode, culmine en 2005 avec 40% du nombre destitres édités sur le marché de la BD francophone! Maisbien que ces produits leur plaisent, les ados rongenttous les mêmes os.Laissons-en aux adolescentsJoann Sfar, directeur de la défunte collection « Bréaljeunesse », reconvertie chez Gallimard sous le label« Bayou », nous offre une épatante première brasséede titres qui séduira un public laissé en friche par laBD. Avec Aya de Yopougon, nous sommes loin desclichés de l’Afrique exsangue, dans une comédie légèreet sensible aux couleurs ensoleillées. Yopougon,quartier populaire d’Abidjan en Côte d’Ivoire, est lascène de ces quelques jours de la vie d’Aya, sérieusejeune femme aspirante médecin, et de ses deuxcopines, qui songent davantage à remuer du popotin àla discothèque du coin, le Ça va chauffer! Et c’est unprix amplement mérité pour ce lauréat du meilleurPremier album à Angoulême en 2006.Skateboards et vahinés nous emmène dans le quotidienpréado de Flip le dauphin. Confronté aux conflitsde ses deux parents, il trouvera un exutoire dans leskateboard et les BD qu’il réalise, mettant en scène sonpapi sous le charme des douces vahinés lors de sonservice militaire à Tahiti. <strong>Le</strong> désir s’éveille, la rencontredes interdits aussi. Sur un ton très juste, Gipi(tiens, un autre lauréat : meilleur album pour Notespour une histoire de guerre, Actes Sud) nous dépeintavec de superbes aquarelles et beaucoup d’ambiancel’aventure rock de quatre garçons aux tempéramentsforts différents qui retrouvent dans le Local et lamusique un terrain pour exprimer leur énergie.Bonhomme néoclassiqueOù s’en est allée la bonne vieille aventure classique?Écrasé depuis longtemps sous le joug du semi-réalismeou de l’inévitable style « gros-nez » des séries d’humour,le traitement réaliste revient de loin avec le traitenthousiasmant de Matthieu Bonhomme (<strong>Le</strong> Marquisd’Anaon, Dargaud), qui met dans le mille avec deuxnouvelles séries prometteuses.M A I - J U I N 2 0 0 644Esteban est un jeune indien de la Terre de Feu, en1900. Sa mère décédée, il n’a qu’une idée en tête :s’embarquer comme harponneur sur un baleinier! Auquai d’embauche du Léviathan, les marins se tapentsur les cuisses devant ce gringalet téméraire, qui sauranéanmoins gagner sa place en rappelant le souvenir desa mère, un ancien amour du capitaine. Et bien vitel’adolescent s’attirera l’amitié de l’équipage grâce à sestalents de conteur, mais aussi au courage dont il ferapreuve au cours d’une dangereuse première chasse.Cette chasse à la baleine, un sujet plutôt litigieux denos jours, trouve beaucoup de grâce sous la remise encontexte brillante et documentée de l’auteur.Dans un Moyen Âge chevaleresque, Guillaume, découvrantque sa sœur aînée a fugué, partie sur les tracesd’un père censé être mort, choisira de faire de même,échappant ainsi à la présence d’un beau-père retors etmalvenu. Il sera guidé par les auspices d’une cousinequi voit au-delà des choses; aidé de la rencontreopportune d’un chevalier errant, mal dégrossi et augrand cœur; et aussi éclairé par une troublante intuition,de plus en plus manifeste, qui devra êtreapprivoisé. L’esthétisme soigné de Bonhomme insuffleà cette aventure mélancolique une grande authenticité…Gare à la tournure fantastique en fin d’album!Aya de Yopougon (t. 1)Clément Oubrerie & MargueriteAbouet, Gallimard, coll. Bayou,112 p., 25,95 $Skateboard et vahinés :<strong>Le</strong>s Aventures de Flip (t. 2)Morgan Navarro, Gallimard, coll.Bayou, 96 p., 24,95 $<strong>Le</strong> LocalGipi, Gallimard, coll. Bayou,120 p., 25,95 $<strong>Le</strong> Baleinier :<strong>Le</strong> Voyage d’Esteban (t. 1)Matthieu Bonhomme, Milan, coll.Capsule cosmique, 44 p., 18,95 $<strong>Le</strong>s Contrées lointaines :Messire Guillaume (t. 1)Matthieu Bonhomme & Gwen deBonneval, Dupuis, coll.Repérages, 48 p., 16,95 $
Bande dessinéele <strong>libraire</strong> CRAQUEMa voisine enmaillotJimmy Beaulieu, Mécaniquegénérale/<strong>Le</strong>s 400 coups,60 p., 12,95$Après <strong>Le</strong> Moral des troupes,récit biographique, JimmyBeaulieu revient avec une belle fiction estivale quiégaie et réchauffe. Montréal en été, une panne d’électricité,deux solitudes qui se rencontrent. La beautéd’une relation qui s’installe, la timidité qui fait placeaux sourires complices, les prétextes pour ne pas sequitter… Toutes ces petites choses, ces infimes détailsqui donnent à la vie toute sa saveur, voilà le véritablecœur de cet album. À travers ces pages, l’auteur nousfait littéralement vivre son histoire ; la chaleur de laville, la fraîcheur de la piscine, les cris des enfants,mais surtout l’éclosion parfumée de l’amour qui naît.Doux et subtil comme un parfum de crème glacée.Mathieu Forget MonetParoles de sourdsCollectif, Delcourt,coll. Encrages, 121 p., 19,95 $Après trois ouvrages traitant dumilieu carcéral (Paroles detaulards, Paroles de taule etParoles de parloirs), les éditionsDelcourt récidivent avec une incursion dans l’universde la surdité : parents sourds, enfants sourds, interprètes,toutes les situations y passent. Pour illustrer lestémoignages scénarisés par Corbeyran, on retrouve,entre autres, Berlion, Davodeau, Edith et Tronchet.Mais la plus belle réussite de cet album, on la doit àManu Larcenet qui, en seulement dix pages, parvientà créer une charge émotive hors du commun. Bienqu’inégal, comme la plupart des collectifs, Paroles desourds est à la fois drôle, touchant et sensibilisateur.Un bel hommage au courage de ces gens qui n’ont quele silence comme trame sonore. Fort!Mathieu Forget MonetLa Bande dessinéeVirginie François, Scala, coll.Tableaux choisis, 127 p., 28,50 $La bande dessinée étant cequelle est, bien en parler c’estaussi en mettre plein la vue.Avec une iconographie riche et puisant à toutes lessources, l’image a la part belle dans cet ouvrage qui,d’une manière claire et concise, nous explique labande dessinée d’Hergé à Joann Sfar, de Reiser àOsamu Tezuka. De la ligne claire à la bande dessinéecontemporaine, en passant par sa forme plus contestataireet engagée (avec un détour vers la BD américaineet le manga), les douze artistes choisis sontprésentés dans un style imagé et toujours juste.Comment, par exemple, pourrait-on définir le travailde Franquin autrement que par cette simple expression,« le mouvement et le son »? Un tour d’horizoncomplet de la bande dessinée des soixante-quinzedernières années, porte d’entrée pour les uns, objet deréférence pour les autres. David Dupuis PantouteAprès environ deux ans d’attente,voici enfin le deuxième et dernier chapitre de la« Vengeance du Comte Skarbek ». La patience ne futpas inutile, car le dénouement de l’histoire du peintreLouis Paulus, nom d’artiste du Comte, est stupéfiant!Plusieurs références à la culture et à l’histoire du XIX esiècle, fort bien introduites dans le scénario de Sente,donnent une ambiance particulière au récit. L’action,campée autour d’un procès, nous conduit, au coursdes péripéties, vers de longs flash-back hauts encouleur, se déroulant jusque chez les pirates. <strong>Le</strong>splanches, exécutées sur chevalet par le dessinateur de« Thorgal », Rosinski, appuient le tout avec le cachetde la peinture impressionniste. Autant à voir qu’à lire.Yohan Marcotte PantouteM A I - J U I N 2 0 0 645Un coeurde bronzeYves Sente (scénario) & GrzegorzRosinski (dessin), Dargaud,56 p., 29,95 $Trekking payantLax, Dupuis, coll. Repérages52 p., 21,95 $<strong>Le</strong> Choucas est de retour pourune nouvelle aventure! Si lasérie a changé de nom et faitpeau neuve, le héros de Lax, lui,n’a pas changé d’une plume. Engagé par une compagnied’assurances qui refuse de payer les indemnités àla veuve d’un ancien avocat, le détective paumé s’envolepour le Népal afin de prouver que le type n’est pasmort de cause naturelle. <strong>Le</strong> bédéiste a le don de faireparler ses personnages comme s’ils sortaient directementd’un polar ou d’un film noir. D’ailleurs, sesplanches, où le mouvement constant est très bienexprimé, n’ont rien à envier au cinéma. Mais commele héros de Trekking payant n’a pas la veined’Humphrey Bogart et que le gars des vues a oublié dese pointer au rendez-vous, les tribulations du Choucasne se font pas sans qu’il y laisse quelques plumes.Mireille Masson-Cassista PantouteL’EmbaumeurNéféritès (t. 1)Corgiat, Galliano & Cross, <strong>Le</strong>shumanoïdes associés,coll. Dédales, 48 p., 16,95 $Néféritès est le meilleurembaumeur de la ville, et possèdeun don pour faire parler les morts avant leur« ultime voyage ». À la suite de la mort suspecte d’unproche de la reine, il découvrira certains indices sur lecorps lui permettant de présumer qu’un meurtre a étécommis. Son enquête le mènera là où de lourdssecrets, difficiles à dévoiler, sont enfouis! C’est uneintrigue bien ficelée dans laquelle les personnagessemblent tous avoir quelque chose à cacher, mais sansqu’on sache si cela concerne l’enquête. Cela contribuebeaucoup à éveiller l’intérêt du lecteur pour les albumsà venir. L’atmosphère mystérieuse et envoûtante del’Égypte ancienne sous Ramsès constitue la toile defond de ce nouveau polar historique qui s’avère trèsprometteur! Chantal Chabot MonetHemingwayJason, Carabas, 48 p., 22,95 $<strong>Le</strong> Norvégien Jason, dont l’œuvrese caractérise par sesambiances austères et ses personnagesflegmatiques aumasque animalier, nous donneson opus le plus abouti à ce jour, finaliste au prix duscénario à Angoulême. Hemingway met en scène cetimmense écrivain dans le Montmartre des années 20,accompagné des monstres littéraires de l’époque(Joyce, Scott Fitzgerald), cette fois auteurs de bandesdessinées! Sous l’égide de Gertrude Stein, ils alignentles cases, s’efforçant d’entretenir leurs femmes; puis ilsen ont assez de ce métier de gagne-petit, et organisentun braquage de banque qui sera un formidable ratage.L’auteur propose une finale échevelée et tentaculaire,offrant les points de vue successifs des différents personnagesimpliqués. Génial.Eric Bouchard MonetYakitate Ja-Pan !!(t. 1)Takashi Hashiguchi,Akata/Delcourt, coll. Take,190 p., 9,95 $<strong>Le</strong>s Japonais ne mangent pasde pain au déjeuner, luipréférant le riz, le soja et lasoupe miso. C’est à cette habitudebien ancrée que s’attaquera le jeune Kazuma,à la suite d’un coup de foudre pour le pain et sa fabrication,le jour de ses six ans. Il faut dire qu’unboulanger avait repéré ses fameuses « mainssolaires », des mains à la température interne plusélevée que la moyenne, un atout rarissime pourfaire lever la pâte! Après dix ans de perfectionnementen autodidacte, Kazuma est enfin prêt àmonter à Tokyo pour passer les examens d’entréede la plus célèbre chaîne de boulangeries du pays,Pantasia, dans le but de créer le Ja-Pan, le painnational! Ce shônen énergique, instructif et pétrid’humour vous fera à coup sûr saliver de plaisir!Eric Bouchard MonetDracula<strong>Le</strong> prince valaqueVlad TepesPascal Croci & Françoise-SylviePauly, Éditions EmmanuelProust, coll. Atmosphères,64 p., 24,95 $La conversation se passe en 1888 entre l’archiviste duBritish Museum et Bram Stoker et porte sur la découvertede manuscrits concernant le comte Vlad Tepes :c’est son histoire, la vraie. Enfin, la partie concernantl’apogée de sa gloire apocalyptique. En 1462, laprincesse Cneajna, épouse légitime de Tepes, rédigeun testament et se confie au père Mircéa, frère ducomte : cela amène ce dernier à s’en prendre à denombreux notables de sa ville, qu’il fait empaler.Tepes était un homme sanguinaire qui exterminaitautant ses ennemis que son peuple. Par le biais d’undessin austère, tout en pointes et aux couleursgrisâtres, et d’un texte concis autant que poétique,nous entrons dans un épisode de la vie de l’Empaleur,qui donnera naissance au mythe de Dracula.Jacynthe Dallaire <strong>Le</strong>s Bouquinistes