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Numéro 34 - Le libraire

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L’intime étrangerL’écrivain est souvent présenté comme celui qui demeure en retrait, celui qu’un léger décalage sépare toujoursde sa vie. Ce serait depuis cet espace indéfini, jamais cartographié, qu’il écrirait. C’est peut-être ce quiexplique que le regard qu’un auteur porte sur son pays semble toujours étranger. En écrivant sur unerégion où ils ont vécu une expérience, une époque ou toute une vie, des écrivains nous dévoilent les trésorset les failles oubliées du Québec et d’ailleurs.Par Mira Cliche<strong>Le</strong> tour du propriétaireQui mieux que l’habitant d’un lieu peut nous en fairedécouvrir les particularités et apprécier les attraits?La valeur des auteurs qui parlent de leur coin de paysne se résume pas à cette fonction « touristique »,évidemment. Mais qui niera que le paysage ajoute auplaisir de la lecture?Parmi les explorateurs de régions du Québec, un noms’impose : Michel Tremblay. Plus encore que le joualdes personnages, c’est la langue classique et précise dunarrateur des Chroniques du Plateau Mont-Royal quiressuscite soixante ans de vie de quartier. Cette lecturerappelle ce sur quoi se sont édifiées les boutiqueschics et les épiceries fines de la rue Mont-Royal.C’est un Montréal bien différent que présente DanyLaferrière dans cet autre classique qu’est Commentfaire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer (Typo,192 p., 11,95 $). Fraîchement débarqué au Canada,Vieux Os, qui est en fait jeune et alerte, s’adonne à deuxplaisirs dont les Québécois ne sont pas fervents : lasexualité et la réflexion. Certaines choses n’ont pasbeaucoup changé depuis les années 1970…Changement de cap : l’Abitibi. Richard Desjardins ena fait connaître la beauté noire et les paysages meurtris,mais peu de Québécois y sont allés. Jeanne surles routes (XYZ, coll. Romanichels, 152 p., 22 $), ledernier roman de Jocelyne Saucier, parcourt l’étenduede ces terres nordiques à la recherche d’un passé communisteet amoureux : « On pourrait croire que jetourne en rond, que je m’use les sens, note la narratrice,alors que j’ai devant moi les fragments multipliésd’une histoire qui ne demande qu’à être décodée,racontée sans fin… »Décédé en décembre dernier, l’écrivain Noël Audet estl’un des rares auteurs québécois à aborder le passésans la moindre nostalgie. Son humour et ses narrationsjoueuses fouettent l’image figée de certainesrégions, notamment sa Gaspésie natale. Ceux qui ontaimé L’Ombre de l’épervier retrouveront avec joie samer rieuse dans le moins connu Quand la voilefaseille.<strong>Le</strong> voyageur intérieurDans leurs écrits comme dans leur vie, plusieursauteurs ont arpenté le territoire québécois jusquedans ses recoins les plus obscurs : « La tempêtenous attendait à la sortie du bois. Elle soufflait dela mer et de ces rochers sinistres qui ont donné sonnom au village : les Méchins. Je grelottais, les yeuxfermés, transi jusqu’au fond de l’âme. » Originairede Montréal, l’écrivain Jacques Ferron a tiré de sesannées de médecin de campagne quelques contesaussi dépaysants qu’inquiétants (Contes, BQ,286 p., 9,95 $). Sa phrase rapide et son humourcaustique nous font douter que certains de cestextes aient plus de cinquante ans.<strong>Le</strong> dernier livre de Louis Hamelin (Sauvages,Boréal, 276 p., 22,50 $) est un recueil de nouvellesqui fait passer le lecteur de Montréal à l’Abitibi, deGrand-Mère à Chibougamau, du rire franc au rirejaune. L’impression de voyage est d’autant plusgrande que l’auteur nous force à écouter la mélodiedu français — seule chose qu’on capte d’unelangue inconnue. Sous sa plume, les mots se répondent,les expressions se défigent et l’esprit s’élargit.Volkswagen blues de Jacques Poulin est l’un desrares road novels québécois. Parti à la recherche deson frère, le narrateur suit les Appalaches de Gaspéjusqu’aux Grands Lacs, puis traverse les États-Unispour aboutir à San Francisco. Il découvre en routeles mythes qui fondent son identité et celle denombreux Québécois.Dehors le monde« Cuba coule en flammes au milieu du lac Léman pendantque je descends au fond des choses. » Cettephrase magnifique, qui ouvre Prochain épisoded’Hubert Aquin, traduit la quête de soi à laquelle invitele voyage hors des frontières connues. Dans ce romantrouble, un Québécois mène en Europe des actionsrévolutionnaires en vue de permettre au Québec d’accéderà l’autonomie. Arrêté dès son retour au pays, ilraconte son histoire depuis la clinique psychiatriqueoù il attend son procès.Moins politisée, Bérénice Einberg, l’héroïne et narratricede L’Avalée des avalés de Réjean Ducharme,sent, elle aussi, que son Québec natal ne lui permettrapas d’étancher sa soif de liberté. Elle quitte donc lapetite île du Saint-Laurent où vit sa famille névrosée ettrouve, d’abord à New York puis en Israël, un terreauplus fertile à l’épanouissement de sa révolte.Dans un registre plus calme, Nikolski de NicolasDickner met lui aussi en scène l’étonnante certitudeque nos racines sont ailleurs et qu’on ne les trouvera,paradoxalement, que dans le déracinement. Né dansles Prairies, Noah débarque à Montréal et poursuit desétudes jusque dans les mers des Caraïbes tandis queJoyce, native de Tête-à-la-Baleine, navigue sur lesmers agitées de l’informatique. Quant au narrateuranonyme, il reste sagement à Montréal mais ne pensequ’à l’Alaska.Enfin, pour un tour du monde en huit nouvellesplutôt qu’en quatre-vingts jours, il faut découvrirl’autre visage d’Alain Grandbois, celui du voyageurau long cours. On oublie souvent que les deuxpremiers ouvrages du poète sont des réécritures derécits de voyage connus : ceux de Louis Joliette etde Marco Polo. Dans son recueil de nouvelles intituléAvant le chaos, Grandbois met à profit ses souvenirsexotiques, son approche dénudée de la langue et soncœur de bois tendre.Chroniquesdu PlateauMont-RoyalMichel Tremblay,<strong>Le</strong>méac/Actes Sud,coll. Thésaurus,1171 p., 42,95 $Quand la voile faseilleNoël Audet, BQ,199 p., 8,95 $Prochain épisodeHubert Aquin, BQ,384 p., 11,95 $NikolskiNicolas Dickner,Alto, 325 p., 22,95 $L’Ombre de l’épervierNoël Audet,XYZ éditeur,coll. RomanichelsPlus, 328 p., 15 $Volkswagen bluesJacques Poulin,Actes sud,coll. Babel,323 p., 12,95 $L’Avalée des avalésRéjean Ducharme,Gallimard, Folio,378 p., 17,95 $Avant le chaosAlain Grandbois, BQ,245 p., 9,95 $M A I - J U I N 2 0 0 629

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