Essai | Biographie | Documentle <strong>libraire</strong> CRAQUEAmerican VertigoBernard-Henri Lévy, Grasset,495 p., <strong>34</strong>,95 $En selle! En 2004, Bernard-HenriLévy, tignasse et poitrine au vent,sautait courageusement sur labanquette arrière d’une voiture etparcourait 25 000 kilomètres,rendant un papier à chaque livraison de The AtlanticMonthly. Sa popularité requinquée sur le continentpar Qui a tué Daniel Pearl?, « romanquête » consacréà ce journaliste américain assassiné au Pakistan, BH<strong>Le</strong>st invité par le directeur du magazine à marcher «dans les pas de Tocqueville » et à présenter un nouveaumiroir aux Américains en crise identitaire depuisle 11 septembre. On a aujourd’hui un livre incontestablementbâclé, mais sympathique : il ne méritepas la frappe massive de la critique. L’Amérique deBHL est belle de complexité. Elle tient plus deCarthage que de Rome, plus commerçante que guerrière,plus démocratique qu’on le croit sous le voiled’un discours religieux, plus cultivée qu’on le voudrait.Mathieu Simard Pantoute<strong>Le</strong>s TrésorsdisparusDu mythe à la réalitéMassimo Centini, De Vecchi,179 p., 29,95 $Ce livre est une promessed’aventure, un véritable voyage dans le temps etl’espace. Du saint Graal à l’Eldorado, des fonds marinsà la Vallée des Rois, on explore les côtes scandinaves àla recherche des trésors vikings, on questionne lessymboles secrets de la cathédrale de Chartres, onsonde le lac Toplitz en Autriche dans l’espoir d’yretrouver le trésor du troisième Reich. En naviguantentre le mythe et les sources documentées, l’auteurnous entraîne dans une chasse aux trésors sur lestraces de Cortés, Toutankhamon, des pirates Jean Bartet Francis Drake, de la reine de Saba, du dieu Odin…Un livre qui fait rêver et donne une furieuse envie departir à l’aventure, de tenter sa chance. On y apprendmême que le mythique trésor des Templiers pourraitse cacher sur une petite île au large de la Nouvelle-Écosse! David Dupuis PantouteChroniquesdes tempsconsensuelsJacques Rancière, Seuil,coll. La librairie du XXI e siècle,216 p., 39,95 $Il y a toujours des miracles dansle monde de l’édition. À preuve, le dernier livre d’ungrand penseur, Jacques Rancière. L’ouvrage de cevieux routier de la philosophie politique est un recueild’éditoriaux parus dans un grand quotidien brésilien.L’écriture est journalistique, certes, mais on peut ysentir toute la densité d’un véritable essaiphilosophique, en un magnifique tour de force d’unepensée sobre, d’une écriture concise et directe. <strong>Le</strong>ssujets traités varient énormément : d’une réflexionsur Sarajevo à la torture, ou des controverses agitantl’art contemporain à la censure et au cinéma. <strong>Le</strong>lecteur est assuré d’une chose : dorénavant, sonregard sur l’actualité sera enrichi.Laurent Borrego MonetDélits d’opinionChroniquesd’humeur… et riend’autreFrançois Parenteau, Lanctôtéditeur, 198 p., 19,95 $Il y a de ces espèces animalesque certains préféreraient ne retrouver que dans leszoos. Par exemple, le Zapartiste. Depuis peu, nousn’entendons plus le chant dominical de l’un d’eux.Pour raviver le souvenir récent de ces matins où le carrouselcessait de tourner, où le billet de FrançoisParenteau alimentait les débats de cuisine et remplissaitles premières tasses de café de la journée, il y adésormais le florilège que représente Délits d’opinion.Qu’ils eurent été éditoriaux, ludiques, distrayants,homériques ou chantés sur un air de Luis Mariano,cela avait bien peu d’importance : la voix de cetteespèce malheureusement rare est pertinente. Cetteparution permet aux paroles envolées par-delà lesondes de trouver un point d’appui où les réentendre ànotre guise. Jean-Philippe Payette MonetAdieu à l’amitiéHemingway, Dos Passoset la guerre d’EspagneAdieu à l’amitié nous lance surla trace de deux géants littérairesavec, en trame de fond, la guerre qui mit fin à leur relation.John Dos Passos et Ernest Hemingway se lièrentd’amitié lorsque très jeunes, ils se rencontrèrent enEspagne à la fin de la Première Guerre mondiale.Après plusieurs années de fréquentation, leur mésententese cristallisa autour des enjeux de la guerre civileespagnole. Parce qu’ils étaient politiquement opposéset de personnalités peu conciliables, cette guerre portaun coup définitif à une amitié déjà abîmée par letemps. Document très intéressant comportant denombreux détails sur la vie et l’œuvre de deux génieslittéraires, le livre de Stephen Koch entreprend dumême coup d’éclaircir les causes et les conséquencesde cette guerre qui eut des répercussions à traversl’Europe tout entière.Charles Quimper PantouteM A I - J U I N 2 0 0 620Stephen Koch, Grasset,378 p., <strong>34</strong>,95 $Sur l’amouret la mortPatrick Süskind, Fayard,95 p., 14,95 $<strong>Le</strong>s écrits de Süskind sont rareset lorsqu’on en publie un, sonpublic fidèle trépigne de curiosité.La plaquette qu’il propose cettefois est un essai --- genre auquel on ne l’associait pas --- sur l’amour et la mort, ces deux grands pôles de l’existence.Sans prétendre vouloir faire le tour de la question,il décortique plutôt ce que le sens commundésigne ainsi pour, à tout le moins, mieux cerner cesconcepts. Cherchant à amener les lecteurs à réfléchirsans se prendre la tête pour autant, il réussit grâce àdéjouer les conceptions toutes tracées avec des exemplesracontés avec la manière fatale qu’on lui connaît.Yohan Marcotte PantouteLa Société ParanoThéorie du complot,menaces et incertitudesVéronique Campion-Vincent,Payot, 235 p., 26,95 $Après avoir étudié les légendesurbaines et les mythes dans sesdeux précédents ouvrages, Véronique Campion-Vincent s’attaque maintenant aux théories du complot.Dans La Société Parano, elle dissèque et morcelleles théories les plus courantes et les plus tenaces. Ellese penche sur la question avec une précision impitoyable: en véritable scientifique, elle analyse,juxtapose, manie et étale les faits devant nous. Desfrancs-maçons aux sionistes, des illuminati auxextraterrestres, sans oublier le Vatican et les attentatscontre le World Trade Center : tout y passe. Ce n’estcertainement pas la matière qui lui manque dans unmonde où tout le monde se méfie des autres, unmonde où l’intolérance et la colère rendent l’imaginationplus fertile, et les gens un peu trop crédules.Charles Quimper PantouteFrères detranchéesMarc Ferro & al., Perrin,268 p., 39,95 $Y a-t-il eu réellement une trêveentre les belligérants la nuit deNoël 1914, comme l’a suggéré lefilm de Christian Carion? Au vudes quelque 8 millions de morts qu’a compté laPremière Guerre mondiale, l’événement semble surréaliste.D’ailleurs, pas plus les documents officiels queles propos des vétérans interrogés n’ont reconnu lesfaits. Quels sont donc les documents qui attestent laréalité de cette trêve? Sont-ils fiables? Comment levérifier? Et quelles seraient les motivations sousjacentesà ces négations? <strong>Le</strong> livre qu’ont préparé MarcFerro et ses trois éminents collaborateurs répond avecbrio à ces questions. Surtout, il nous fait découvrir uneréalité complexe et insoupçonnée. Car oser franchir lano man’s land pour fraterniser avec l’ennemi, c’estrésister à l’ennemi intérieur qui menace tout fantassin :l’« ensauvagement ». La lecture ne laisse pasindemne. Paul-Albert Plouffe PantouteModiglianiChristian Parisot, Gallimard,coll. Folio Biographies,<strong>34</strong>1 p., 14,95 $Lorsqu’on évoque AmedeoModigliani (1884-1920), onpense, bien sûr, à ces fameux portraitsaux formes longilignes quicaractérisent son œuvre. Cettebiographie, écrite par un spécialiste de l’artiste, noustrace fidèlement le parcours difficile et ardu de cepeintre italien débarqué à Paris en 1906. En toile defond, l’auteur nous fait revivre le bouillonnement cultureldu Paris d’avant-guerre. On y rencontre en effetles Picasso, Matisse, Soutine, Cocteau et bien d’autresencore, ce qui nous permet de bien saisir le milieudans lequel évoluait cet artiste décédé trop tôt, et quin’a connu la gloire qu’après sa mort. Ce format pocheinédit, agrémenté d’un cahier-photos, fait partie d’unenouvelle collection abordable chez Gallimard. Bravo!Céline Bouchard Monet
EssaiSens critiqueLa chronique de Jocelyn CoulonDécoder le mondeL’époque est tragique, dit-on. Tout semble se dérégler : le terrorisme et les armes de destruction massive prolifèrent, les relations entre les grands États se tendent,l’Europe est paralysée, l’Afrique s’enfonce, l’islamisme prospère. Bref, il en va des relations internationales comme du journalisme : une bonne nouvelle n’est pasune nouvelle, seules les mauvaises ont droit au chapitre. C’est normal, puisqu’elles nous préoccupent. Mais pour décoder le monde, faut-il simplement en soulignerles malheurs? Trois ouvrages jettent des regards croisés et contradictoires sur l’état du monde et son avenir prévisible.Posture nietzschéenneIl y a plus d’un siècle, en 1905 précisément, une série d’événements — lapremière révolution russe, la crise de Tanger, la guerre russo-japonaise —annonce une funeste catastrophe : la Première Guerre mondiale.Aujourd’hui, si on n’y prend garde, le développement de l’arme nucléairepar l’Iran et la Corée du Nord, les tensions autour de Taïwan, la montée enpuissance de la Chine, l’inquiétante stagnation du monde arabe et la violencequ’elle engendre nous réservent des lendemains tragiques. ThérèseDelpech, spécialiste mondialement connue des questions stratégiques,nous avertit : le XXI e siècle risque de ressembler au dernier et le retour dela sauvagerie, sinon de la barbarie, est déjà commencé, comme en font foiles tragédies rwandaise et bosniaque ou les attaques du 11 septembre.La spécialiste française dresse donc un portrait tout en noirceur du mondeactuel et de son avenir proche. Elle vise juste sur quelques sujets. Pourtant,il y a dans cet ouvrage quelque chose de faux, de malhonnête. M me Delpechaligne les clichés et les caricatures comme d’autres enfilent les perles. <strong>Le</strong>danger, écrit-elle, vient de l’Est, de l’Orient, ce magma de peuples d’oùémerge la Chine, puissance redoutable, et dont l’insolence est de vouloirtransformer à son profit les rapports de force au XXI e siècle, et ce, avec« le moins de scrupules sur les moyens employés pour y parvenir. » <strong>Le</strong>danger vient aussi de l’Iran dont les dirigeants, hirsutes et fanatiques, osentaussi défier l’ordre du monde pour le changer. Et, qui sait, avec des armesnucléaires. Enfin, le danger vient de ce monde arabe, figé dans le temps, oùl’islamisme radical recrute aussi vite que la peste tuait au Moyen Âge.Pendant que ces forces malignes au teint jaunâtre s’apprêtent à nous fondredessus, où est l’Europe, où est l’Occident? Nulle part, ou presque.L’Europe est avachie, « incapable de comprendre les problèmes » et souffre« d’une dégradation intellectuelle dont l’invective, l’absence de débat etla confusion des idées donnent des illustrations troublantes ». L’Occidenta réduit la politique aux seuls problèmes économiques et « les chefsd’États ne voyagent qu’accompagnés de représentants de valeurs boursières.» Nous sommes devenus Munichois et « la force spécifique quivient de la conviction est dans l’autre camp », c’est-à-dire chez les terroristesislamistes. Bref, la sauvagerie, la vitalité, la détermination sont chezles autres et nous — Européens et Américain — n’avons jamais rien fait àpersonne, sommes épuisés, attendons, comme des agneaux, d’être égorgés.L’Ensauvagement. <strong>Le</strong>retour de la barbarieau XXI e siècleThérèse Delpech,Grasset,366 p., <strong>34</strong>,95 $Justifierla guerre ?Gilles Andréani &Pierre Hassner(dir.), PressesSciences Po,364 p., 37,95 $Lire les évolutionsLaissons la cartomancie à sa devineresse. Gilles Andréani et PierreHassner, d’un côté, Thierry de Montbrial et Philippe Moreau Defarges,de l’autre, ont réuni des auteurs dont l’ambition est plus modeste et plussensée : lire les évolutions et offrir quelques pistes pour les comprendreet y faire face. Dans Justifier la guerre?, une quinzaine d’experts s’efforcentde penser le recours à la force face aux violences nouvelles : guerresciviles, nettoyage ethnique, génocide et hyper-terrorisme. Deuxthèses s’affrontent : les partisans de la force, dont l’expression brutaleest la guerre contre l’Irak, et ceux du droit, toujours attachés auxnormes et à la diplomatie sans pour autant être opposés à des interventionsponctuelles. Peut-on concilier ces vues? <strong>Le</strong>s réponses ne sont pastoutes faites, constate Hassner, pour qui la communauté internationalea besoin « d’une morale provisoire pour temps de crise, et des institutionssuffisamment flexibles pour pouvoir s’y adapter, suffisamment stablespour avoir une chance de modérer la violence ici et là. »Pour leur part, les auteurs du Ramses 2006 couvrent un large spectredes relations internationales : les questions militaires, l’économie, lesdéveloppements politiques en Europe, au Maghreb, en Russie et enChine, tout en offrant de courts essais sur une quarantaine d’autresquestions et situations. <strong>Le</strong> Ramses est un rapport annuel, une encyclopédiede l’actualité qui fait une large place aux statistiques sans pourautant délaisser l’analyse et la prospective. Ici, aucune imprécation, lesauteurs préférant l’exactitude des faits, première condition à des analysesrigoureuses. Soixante ans après la guerre, le monde est en recomposition,ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’il soit plongé dansle chaos. Ainsi, si l’Union européenne panse ses plaies après le rejet dela Constitution, elle en a vu d’autres et son chantier est toujours en construction.<strong>Le</strong> partenariat transatlantique sort amoché de la criseirakienne, mais Américains et Européens restent les moins mauvaisalliés possibles. Il y aura réconciliation sans subordination. Au Moyen-Orient, malgré des situations locales fragiles, les jeux sont loin d’êtrefaits en faveur des islamistes radicaux, car de vraies forces de progrèsagissent à l’intérieur des sociétés civiles. Enfin, la Russie vacille entre leprogrès économique et la régression politique. <strong>Le</strong> défi, pour elle, estd’arriver à limiter les inerties et à mobiliser les énergies.Dans ce livre prétentieux, constellé de citations de grands auteurs dont l’effetest parfois risible, on décèle la posture nietzschéenne : voilà le mondeet je vous aurai averti. M me Delpech a le ton impératif et ne laisse place àaucun débat. Son livre est truffé de jugements d’autorité, d’invectivesrageuses et d’affirmations spécieuses. Elle traficote les faits pour appuyersa thèse (comme elle a soutenu la guerre contre l’Irak, elle sait de quitenir). Récemment, dans le mensuel L’Histoire, elle justifiait toute sadémarche intellectuelle par le souci d’inciter le monde à « retrouver lesens de la responsabilité individuelle ». Voilà un objectif louable mais,avant de guider les autres, encore faudrait-il à M me Delpech le courage et ladécence de retrouver le sens de la vérité.RAMSES 2006.60 ans aprèsla guerre, unmonde enrecompositionThierry deMontbrial &Philippe MoreauDefarges (dir.),Dunod, 330 p.,73,95 $<strong>Le</strong> XXI e siècle a commencé par d’immenses feux d’artifice et par l’irruptiond’un terrorisme mondialisé. L’espoir et la tragédie sont les reversd’une même médaille, celle de l’aventure humaine. Son destin nous estinconnu et n’est pas écrit d’avance, mais nous savons une chose : nousavons traversé les épreuves du siècle passé.Jocelyn Coulon est directeur du Réseau francophone derecherche sur les opérations de paix, affilié au Centre d’étudeset de recherches internationales de l’Université deMontréal.M A I - J U I N 2 0 0 621