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Numéro 34 - Le libraire

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EssaiSens critiqueLa chronique de Jocelyn CoulonDécoder le mondeL’époque est tragique, dit-on. Tout semble se dérégler : le terrorisme et les armes de destruction massive prolifèrent, les relations entre les grands États se tendent,l’Europe est paralysée, l’Afrique s’enfonce, l’islamisme prospère. Bref, il en va des relations internationales comme du journalisme : une bonne nouvelle n’est pasune nouvelle, seules les mauvaises ont droit au chapitre. C’est normal, puisqu’elles nous préoccupent. Mais pour décoder le monde, faut-il simplement en soulignerles malheurs? Trois ouvrages jettent des regards croisés et contradictoires sur l’état du monde et son avenir prévisible.Posture nietzschéenneIl y a plus d’un siècle, en 1905 précisément, une série d’événements — lapremière révolution russe, la crise de Tanger, la guerre russo-japonaise —annonce une funeste catastrophe : la Première Guerre mondiale.Aujourd’hui, si on n’y prend garde, le développement de l’arme nucléairepar l’Iran et la Corée du Nord, les tensions autour de Taïwan, la montée enpuissance de la Chine, l’inquiétante stagnation du monde arabe et la violencequ’elle engendre nous réservent des lendemains tragiques. ThérèseDelpech, spécialiste mondialement connue des questions stratégiques,nous avertit : le XXI e siècle risque de ressembler au dernier et le retour dela sauvagerie, sinon de la barbarie, est déjà commencé, comme en font foiles tragédies rwandaise et bosniaque ou les attaques du 11 septembre.La spécialiste française dresse donc un portrait tout en noirceur du mondeactuel et de son avenir proche. Elle vise juste sur quelques sujets. Pourtant,il y a dans cet ouvrage quelque chose de faux, de malhonnête. M me Delpechaligne les clichés et les caricatures comme d’autres enfilent les perles. <strong>Le</strong>danger, écrit-elle, vient de l’Est, de l’Orient, ce magma de peuples d’oùémerge la Chine, puissance redoutable, et dont l’insolence est de vouloirtransformer à son profit les rapports de force au XXI e siècle, et ce, avec« le moins de scrupules sur les moyens employés pour y parvenir. » <strong>Le</strong>danger vient aussi de l’Iran dont les dirigeants, hirsutes et fanatiques, osentaussi défier l’ordre du monde pour le changer. Et, qui sait, avec des armesnucléaires. Enfin, le danger vient de ce monde arabe, figé dans le temps, oùl’islamisme radical recrute aussi vite que la peste tuait au Moyen Âge.Pendant que ces forces malignes au teint jaunâtre s’apprêtent à nous fondredessus, où est l’Europe, où est l’Occident? Nulle part, ou presque.L’Europe est avachie, « incapable de comprendre les problèmes » et souffre« d’une dégradation intellectuelle dont l’invective, l’absence de débat etla confusion des idées donnent des illustrations troublantes ». L’Occidenta réduit la politique aux seuls problèmes économiques et « les chefsd’États ne voyagent qu’accompagnés de représentants de valeurs boursières.» Nous sommes devenus Munichois et « la force spécifique quivient de la conviction est dans l’autre camp », c’est-à-dire chez les terroristesislamistes. Bref, la sauvagerie, la vitalité, la détermination sont chezles autres et nous — Européens et Américain — n’avons jamais rien fait àpersonne, sommes épuisés, attendons, comme des agneaux, d’être égorgés.L’Ensauvagement. <strong>Le</strong>retour de la barbarieau XXI e siècleThérèse Delpech,Grasset,366 p., <strong>34</strong>,95 $Justifierla guerre ?Gilles Andréani &Pierre Hassner(dir.), PressesSciences Po,364 p., 37,95 $Lire les évolutionsLaissons la cartomancie à sa devineresse. Gilles Andréani et PierreHassner, d’un côté, Thierry de Montbrial et Philippe Moreau Defarges,de l’autre, ont réuni des auteurs dont l’ambition est plus modeste et plussensée : lire les évolutions et offrir quelques pistes pour les comprendreet y faire face. Dans Justifier la guerre?, une quinzaine d’experts s’efforcentde penser le recours à la force face aux violences nouvelles : guerresciviles, nettoyage ethnique, génocide et hyper-terrorisme. Deuxthèses s’affrontent : les partisans de la force, dont l’expression brutaleest la guerre contre l’Irak, et ceux du droit, toujours attachés auxnormes et à la diplomatie sans pour autant être opposés à des interventionsponctuelles. Peut-on concilier ces vues? <strong>Le</strong>s réponses ne sont pastoutes faites, constate Hassner, pour qui la communauté internationalea besoin « d’une morale provisoire pour temps de crise, et des institutionssuffisamment flexibles pour pouvoir s’y adapter, suffisamment stablespour avoir une chance de modérer la violence ici et là. »Pour leur part, les auteurs du Ramses 2006 couvrent un large spectredes relations internationales : les questions militaires, l’économie, lesdéveloppements politiques en Europe, au Maghreb, en Russie et enChine, tout en offrant de courts essais sur une quarantaine d’autresquestions et situations. <strong>Le</strong> Ramses est un rapport annuel, une encyclopédiede l’actualité qui fait une large place aux statistiques sans pourautant délaisser l’analyse et la prospective. Ici, aucune imprécation, lesauteurs préférant l’exactitude des faits, première condition à des analysesrigoureuses. Soixante ans après la guerre, le monde est en recomposition,ce qui ne veut pas nécessairement dire qu’il soit plongé dansle chaos. Ainsi, si l’Union européenne panse ses plaies après le rejet dela Constitution, elle en a vu d’autres et son chantier est toujours en construction.<strong>Le</strong> partenariat transatlantique sort amoché de la criseirakienne, mais Américains et Européens restent les moins mauvaisalliés possibles. Il y aura réconciliation sans subordination. Au Moyen-Orient, malgré des situations locales fragiles, les jeux sont loin d’êtrefaits en faveur des islamistes radicaux, car de vraies forces de progrèsagissent à l’intérieur des sociétés civiles. Enfin, la Russie vacille entre leprogrès économique et la régression politique. <strong>Le</strong> défi, pour elle, estd’arriver à limiter les inerties et à mobiliser les énergies.Dans ce livre prétentieux, constellé de citations de grands auteurs dont l’effetest parfois risible, on décèle la posture nietzschéenne : voilà le mondeet je vous aurai averti. M me Delpech a le ton impératif et ne laisse place àaucun débat. Son livre est truffé de jugements d’autorité, d’invectivesrageuses et d’affirmations spécieuses. Elle traficote les faits pour appuyersa thèse (comme elle a soutenu la guerre contre l’Irak, elle sait de quitenir). Récemment, dans le mensuel L’Histoire, elle justifiait toute sadémarche intellectuelle par le souci d’inciter le monde à « retrouver lesens de la responsabilité individuelle ». Voilà un objectif louable mais,avant de guider les autres, encore faudrait-il à M me Delpech le courage et ladécence de retrouver le sens de la vérité.RAMSES 2006.60 ans aprèsla guerre, unmonde enrecompositionThierry deMontbrial &Philippe MoreauDefarges (dir.),Dunod, 330 p.,73,95 $<strong>Le</strong> XXI e siècle a commencé par d’immenses feux d’artifice et par l’irruptiond’un terrorisme mondialisé. L’espoir et la tragédie sont les reversd’une même médaille, celle de l’aventure humaine. Son destin nous estinconnu et n’est pas écrit d’avance, mais nous savons une chose : nousavons traversé les épreuves du siècle passé.Jocelyn Coulon est directeur du Réseau francophone derecherche sur les opérations de paix, affilié au Centre d’étudeset de recherches internationales de l’Université deMontréal.M A I - J U I N 2 0 0 621

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