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Numéro 34 - Le libraire

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PoésieVladimir Vladimirovitch MaïakovskiRecoller lesmorceaux d’unmaximalistePar Jean-Philippe Payette, librairie MonetComme plusieurs, je suis arrivé à Maïakovski parhasard, les yeux sur <strong>Le</strong> Nuage en pantalon. La couvertureest d’un rouge allant de pair avec le lettragecyrillique, et le titre a un parfum invitant. On ouvreavec la curiosité d’usage et on s’offre la première strophe: « Votre pensée / Rêvant dans votre cerveauramolli / Comme un laquais repu se vautre au gras dulit / Je la taquinerai sur un morceau de cœur sanglant/ J’en rirai de tout mon saoul, insolent et cinglant ».Alors là, vraiment, ça fait mal. Ce n’est pas Bardamu,du Voyage au bout de la nuit; ce n’est pas non plusThomas Bernhard assis dans son divan à oreilles dansDes arbres à abattre, loin de là, mais il plane là lafroideur des plumes trempées dans l’encre qui,comme un couperet, font de la fine boucheriecinq étoiles avec les mots. Devant Bardamu, laguerre éclatait; chez Bernhard, c’est laculture autrichienne qu’on déboulonnait; chezMaïakovski, c’est le verbe.Nous sommes happés de plein fouet tant le face-à-faceest franc, tant il a le mérite d’être clair. <strong>Le</strong>s cartes sontsur la table : Maïakovski fout le bordel, mais il le faitavec une cohérence qui nous scie sur place, nousoblige à poursuivre cette lecture-matraque, à avancersubjugués et fascinés par l’homme qui laisse pourtraces de sa courte vie quinze ans de théâtre, depoésie, mais aussi une correspondance animée avecLili Iourevna Brik, la femme à ses côtés pendant laguerre civile, l’aventure futuriste, son combat pourl’esthétique moderne, et avec qui il entretient unamour à l’image de l’homme : ardent, tortueux, passionnéet abrasif.On le surnommait « le double mètre » : son corps etsa biographique sont imposants. Alors qu’il n’a que 16ans, il séjourne près d’un an dans les prisons desRussies où il lira tous les grands classiques. C’est entrequatre murs qu’il constate qu’il faut « être cultivé pourservir la révolution ». À l’âge de 20 ans, sa premièrepièce de théâtre (au titre pour le moins cocasse deVladimir Maïakovski) est présentée et son premierrecueil de poèmes (Moi) est publiée. Suivront ensuiteles pièces Mistère-Bouffe. La Punaise, <strong>Le</strong>s Bains et LaGrande <strong>Le</strong>ssive, mise en scène trois mois avant sonsuicide en 1930, puis les recueils <strong>Le</strong> Nuage en pantalon,L’Homme, 150 000 000, J’aime, La Quatrièmeinternationale, De ceci, Vladimir Ilitch <strong>Le</strong>nine et Çava bien !, de même qu’À pleine voix, que nous retrouvonsmaintenant à la NRF.Avec la parution d’Àpleine voix : Anthologie poétique1915-1930, de VladimirVladimirovitch Maïakovski, lelecteur de poésie est convié à laredécouverte d’un écrivain total.« Il était tout entier dans chacunede ses apparitions », a ditde lui un certain Boris Pasternak.Cette rétrospective vient à pointnommé, car elle fournit la piècemanquante pour qui souhaite maintenants’aventurer dans les méandressavamment réglés de cethomme « entré vivantdans la légende ».monde que toi,ma mienne. Jet’aime de monâme entière, demon cœur entier »,lui écrira-t-il. Cettecorrespondance, nousla lisons en saisissantcomme on le peut cettepassion, cette tendressequi sort de l’esprit d’unmastodonte et en entendant,derrière les mots, laguerre civile. C’est l’amoursupérieur et militant écrit au fil d’un vaste territoiresemé d’« intranquillité ».C’est Robert Musil, parlant des poètes dont Maïakovskiétait un des porte-étendards, qui disait : « Quand jesuis parti à la guerre, il existait une poésie explosivequi mêlait des morceaux de chair au sentiment et àdes pensées philosophiques ». <strong>Le</strong> corpus récemmentpublié des œuvres de Maïakovski nous permet derecoller des morceaux de cette histoire qui s’arrêtelorsque, en 1930, ce géant se tire une balle en pleincœur, emportant avec lui le rêve communiste, sesamours tumultueuses, le fruit de vingt ans de travail entant que « poète, dramaturge, acteur, théoricien,peintre, affichiste et scénariste ». On imaginela chute.À pleine voix. Anthologiepoétique 1915-1930Trad. et annoté par ChristianDavid, Gallimard, coll. Poésie,453 p., 16,95 $<strong>Le</strong> Nuage en pantalon.TétraptiqueTrad. par Vladimir Berelowitch,Mille et une nuits, coll. La PetiteCollection, 80 p., 4,50 $« Un seul être vous manque,et tout est dépeuplé »La lecture des <strong>Le</strong>ttres, d’une sensibilité lyrique particulière,nous ramène à cette citation de Lamartine.Sa correspondance avec Lili Brik se déroule alors qu’ilest en mouvement, qu’il voyage. Il s’ennuie « terriblement» de sa Lili : « Je n’ai personne d’autre au<strong>Le</strong>ttres à Lili Brik 1917-1930Trad. par Andrée Robel,Gallimard, coll. L’Imaginaire,318 p., 16,95 $M A I - J U I N 2 0 0 613

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